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[RP] De la chrysalide au papillon

Daeneryss
« Le beau est toujours bizarre. » Charles Baudelaire

    - Chambéry, dans une taverne -

Moi aussi un jour, j'avais imaginé que je serai l'épouse bien heureuse d'un homme dont je serai folle amoureuse. Un rêve d'enfant sûrement car, lorsqu'on grandit, on sait très bien que l'Amour avec un grand "A" c'est toujours dans la tête et jamais dans la vraie vie. Alors pour moi ou les autres, en quoi cette "chose" aurait dû être différente ? Parce qu'il est Corleone ? Ou parce que j'y ai cru un moment...? Rien n'est différent, même pas lui dans ses pratiques douteuses. Le truc c'est que je reste irrévocablement dingue de lui et à ce destin là, je ne peux pas me défiler. Alors quitte à subir cet amour, autant qu'il soit véritablement rentabiliser. Et, si quelqu'un l'avait bien compris, c'était elle.

Nous étions là, assises dans cette taverne où la seule animation reste notre présence commune. Les rues de la ville sont habitées par les vents glacés des habitants fantômes et le peu d'âmes qui vivent se concentrent près de la Sénéchaussée, avec son lot de bêtise humaine suintante. Des sots. J'en venais presque à comprendre qu'ils se terrent pour ne pas s'afficher, cela ne serait qu'étaler une mare de consanguinité absurde et écœurante. Personnellement je n'avais vraiment pas besoin de ça, après l'épisode qui secoue actuellement ma vie. Mais, malgré tout, nous étions là. Je la regarde et l'écoute me donner son point de vue qu'elle me donne toujours sans réserve. Elle fait partie de ceux qui avaient toujours été là pour moi et qui avaient toujours su m'écouter. Quoiqu'il se passe et quoiqu'il arrive, elle s'était montrée présente pour moi. Alors pourquoi pas cette fois-ci après tout ? Elle ne dénotait pas. Et les idées les plus sournoises venaient même de son esprit. A croire que je n'avais pas encore assez d'amertume pour réfléchir comme il le fallait. Cet esprit de vengeance ne devait pas être assez aiguisé concernant Gabriele, malgré le trou béant qu'il ait pu commettre dans mon honneur.
    Mais tu paieras Gabriele. Sur tout ce que j'ai, tu te languiras. Ce ne sont pas des paroles, mais une promesse...

Et nous échangeons sur toutes ses idées plus loufoques les unes que les autres. Suis-je vraiment en train de comploter tout ça pour qu'il me revienne ? Non. Pas pour qu'il me revienne, mais qu'il me supplie de le reprendre pour les siècles des siècles. Amen! La messe est dite et aussi sournoises que le sont deux compères, nous nous entendons avec un sourire de coin sur le futur de cette entreprise qui sera, j'en suis sûre, une réussite hors norme.

Misson du jour : Se voir offrir une paire de perles de verre bleu turquoise par Gabriele Corleone. Quant à la suite... ça allait prendre un peu de temps et une organisation féminine spécifique. Mais je suis entre de bonnes mains.

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Arsene
    « Archiques et migraineuses, nos têtes dardent les orages inchoatifs. » Maxence Caron


    La rousse est affalée avec nonchalance sur une chaise de bois. Une chopine, d'où s'échappe quelques relents de gnôle Savoyarde, est maintenue entre les doigts délicats de sa main droite. Le récipient se balançant sur les veines boisées de la table, au rythme régulier qu'elle imprime à sa pogne. Les pupilles émeraudes papillonnent faiblement, embrassant péniblement l'ensemble de la pièce miteuse. Le crâne en déroute et maltraité par des coups répétitifs exprime violemment son mécontentement. Gangrenant les pensées et les réflexions de la jeune femme, le mal s'enroule sournoisement autour d'une cervelle lasse de résister. Distillant entre les chairs molles de son encéphale une douleur diffuse et agaçante. Son sillon vrille ses tempes d'une souffrance lancinante et brûlante. L'affliction joue sournoisement avec les humeurs de la Corleone, les nerfs irrités s'emballant à la moindre contrariété.

    L'alcool coule abondamment au fond de sa gorge et inonde lentement le cerveau meurtri. Le dos, déjà courbé par des responsabilités nouvellement acquises, s'affaisse jusqu'à rencontrer complètement le dossier d'une assise branlante et bancale. L'esprit bridant maladroitement ses humeurs massacrantes et mauvaises pour afficher un air affable à ses compatriotes. Les pupilles vaseuses vacillent le temps d'une respiration et les paupières se ferment à la recherche du sommeil salvateur et récupérateur. Angoissée et fatiguée. Mélange détonnant et destructeur. La frêle aux épaules étroites mais solides soutient bravement ses affres et ses plaies. La charge s'est considérablement alourdie et c'est un clan au complet que supporte la maigre carcasse. Pourtant, Corleone ne rechigne pas à la tâche et écoute avec un intérêt jusqu'alors inconnu les tracas quotidiens de ses semblables.

    Ainsi l'esgourde se prête au jeu et absorbe, attentive, un flot diffus de paroles. La débandade d'un couple et les crises d'un autre. Elle se fait réceptacle des peines d'une rouquine. Sauvage et Nordique. Les phrases transpirant de fiertés et de douleurs avaient fini par se mélanger dans la caboche martyrisée. Elle n'avait pas défendu son frère, préférant donner des conseils à la femme souillée et trahie. La brindille entretient des relations conflictuelles avec les hommes. L'histoire débute sur l'absence d'un père charismatique et s'arrête sur un rustre aux pognes impérieuses et agressives. Le conte s'est bouclé en un peu plus d'une dizaine d'années et elle a du mal à revoir ses positions. Il y a bien un blond pourtant. Unique exception.

    La roussâtre patiente, légèrement avinée. Au fond de sa besace, une aiguille prête à percer la chair tendre d'un lobe d'oreille et une miséricorde aiguisée attendant son nouveau propriétaire.

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Daeneryss
L'heure est venue. Mais quelle heure est-il au juste ? Aucune idée de la précision, la bonne réponse sera " l'heure du changement ". A quoi bon vouloir changer en fait ? Pour lui ? Pour moi ? Pour qu'il se languisse et que je me prélasse de son infortune à me voir si forte. Pour qu'il comprenne encore une fois que je ne suis plus la jeune femme qu'il a connue, il y a déjà plusieurs temps de cela. Nous évoluons tous et les expériences nous font grandir. Ce qui ne tue pas, nous rend plus fort. Il ne m'a pas tuée ce soir là, malgré les milliers de lames qui se sont enfoncées dans mon cœur, à moins que ce ne soit dans l'estomac, ou le reste de mon être en fait...? Oui, ça devait être tout. Tout m'avait été arraché le soir de cet aveux sordide. Arraché, mais pas achevée.
Crains-moi Gabriele, car tu es à cent lieues de te douter du sort que je te réserve.

Il y aura la pluie, et après le beau temps. C'est pourquoi les idées d'Arsène étaient des plus précieuses. Une question avait cependant retourné mon esprit - bien qu'il soit retourné par l'éternel combat avec mon cœur : Pourquoi m'aidait-elle ? Pour les mêmes liens qui avaient fait que c'est à elle à qui j'avais demandé de l'aide ? Parce qu'elle me comprenait ? Ou parce que son propre frère l'avait suffisamment déçue pour que les liens fraternels passent en second plan ? Des questions. Pas de réponses. Mais pour une fois, ce serait bien comme ça. Seul importe le résultat de la manœuvre. Beaucoup me demanderont - ou pas - pourquoi c'est Arsene que j'ai choisi, ou ils se contenteront de se poser fortement la question. C'est tout aussi bien...

Allongée sur le ventre dans cette tente de fortune, seuls les petits bruits de mon enfant peuvent encore me ramener vers cette réalité, lorsqu'il n'est pas avec son père. J'entends bien, au dehors, le bruit du vent qui ne me donne pas envie de m'extirper de la douce chaleur de cet alcôve personnel. Une longue inspiration ponctue la motivation, alors que mon corps se retourne pour mieux perdre les azurs sur le tissu de la tente. Si je reste encore comme ça, c'est certain, le sommeil aura raison de moi. Il faut dire qu'il fait bien défaut dernièrement...
Ni une, ni deux, je me relève et me force à enfiler ce fuseau qui cachera le galbe de mes jambes. D'une main, j'attrape la chemise posée sur le côté, nouant à la hâte les liens de cuir qui en constituent la fermeture. Une cocarde suffira. Simple. J'ai toujours été simple. Et ces petits détails en étaient la preuve. Le dernier lien de cuir rejoindra la chevelure flamboyante, dévoilant le tatouage perdu sur ma nuque. Une nouveauté. Encore. Il n'y en aura jamais assez. Tout du moins, pas pour le moment.
Je suis prête.

C'est déjà quelques instants plus tard que je repousse une nouvelle fois la porte de la taverne, comptant bien tomber sur La rousse que je recherche. Et elle est là. Seule. Tant mieux, je n'avais pas spécialement envie que d'autres participent à ça. C'est un peu un moment que j'ai juste avec elle. Quelque chose me chagrine pourtant alors que je pose le regard sur elle. Elle semble comme ailleurs. Perdue dans ses pensées. Je ne peux m'empêcher de réfléchir au pourquoi du comment, laissant mon regard glisser sur l'environnement familier.


Tu ne me loupes pas Arsene, d'accord ? Tu vises les oreilles. Et on s'occupe du reste après. Enfin, si tu es toujours d'accord...

Ma main se perd dans la besace de cuir suspendue à mon épaule, avant de venir poser pour la énième fois les boucles de verres devant elle. Jamais deux sans trois parait-il.
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