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[RP fermé] Marécages

Alphonse_tabouret
Suite annexe



Sans qu’il s’en rende compte, ses pas l’avaient mené à sa chambre, les bras chargés du poids mort Castillon, lâchant d’une voix neutre à la soubrette hoquetant de surprise à leur vue en sortant des cuisines d’aller chercher un médecin. La petite avait hoché la tête et enfilant précipitamment un fichu, était sortie en courant de la maison basse, y créant quelques remous sans prendre le temps d’y répondre. Il avait monté les escaliers, ôtant à tous aussi simplement que cela la vision salie du Parasite, car personne à part Etienne ne s’était jamais permis de le suivre jusqu’à sa tanière quand il aurait été impossible d’empêcher les souris de la Maison de trainer aux abords des chambres réservées aux courtisans.
Si Adryan devait chuter, ce ne serait certainement pas de cette façon-là.
Il l’avait laissé tomber sur le lit, les bras engourdis par l’effort, et jeté un drap sur lui en suivant machinalement les premiers conseils de la vipère, plongeant un tissu dans un broc d’eau sur sa table de chevet et, s’asseyant sur le rebord , l’avait porté aux lèvres à peine entrouvertes pour y disperser, goutte à goutte, la seule médicamentation à portée de main.
Le temps fleuri avait semblé s’étendre jusqu’à l’improbable lenteur que fait naitre l’attente, au prise d’une pudeur qui l’empêchait de dévoiler le corps mâle pour regarder les symptômes qu’il avait perçu et d’une froide logique à vouloir nommer chaque chose comme elle devait l’être, sauvé quand, enfin, la précipitation d’une cavalcade avait résonné dans l’escalier et que les coups avaient été portés à sa porte. La soubrette avait été renvoyée dans la foulée, la main pleine d’écus pour assurer son silence, un regard froid en guise de prévention quant à chaque paroles qui lui échapperait, et, s’adossant au mur, Alphonse avait laissé le médecin dérouler son auscultation, fauve silencieux consumé par sa propre colère, surveillant autant ses gestes que la moindre de ses expressions.

De l’eau et du repos, avait-il finalement dit, l’ordonnance n’ayant pas évolué au fils des minutes, preuve s’il en fallait, que la putain connaissait parfaitement les armes du crime.Les saignements sont anodins, avait-il ajouté à mi-voix, conscient de l’endroit où il se trouvait, quand le chat payait la facture. Je ne saurais dire s’il a été violé ou s’il est novice, mais cela devrait rester sans conséquence…

Depuis, Alphonse n’avait pas bougé malgré le défilé des heures, chat de faïence adossé au mur en face du lit, le regard soucieux et concentré porté sur le Castillon dont la lourdeur du sommeil s’effilochait lentement de quelques spasmes vitaux quand la nuit, elle, tombait inexorablement sur les toits parisiens enveloppant la chambre d’une ombre claire.
_________________
--Adryan
Assommé par la fournaise insoutenable du désert, il était là, agenouillé et nu, les mains plongées dans le sable brulant, soumis à des volontés féroces qu’il ne maitrisait plus et qui se jouaient de lui comme d’un vulgaire insecte. Sauf que les insectes avaient leurs carapaces quand la sienne lui avait été arrachée pour le laisser à vif. Tout était si aveuglant de lumière, qu’il parvenait à peine à ouvrir les yeux tant les rayons ardents du soleil calcinaient tout d’un néant sans fin. Jusqu’aux restes des lianes desséchées qui se rabougrissaient et fondaient en fine poussière aussitôt avalée par les dunes mouvantes. Lui aussi aurait dû sentir sa peau craqueler sous le feu qui lui ployait l’échine, et pourtant, il était glacé jusqu’aux os d’un froid poisseux que rien ne semblait pouvoir réchauffer. Un crissement dans le sable lui fit remonter la tête, et par la fente de ses yeux, il distingua une silhouette bleue approcher, le visage camouflé d’un turban d’où ne luisait qu’un regard bienveillant plissé de rides. Sans un mot, la silhouette s’agenouilla devant lui, lui offrant le répit d’un peu d’ombre avant de lui offrir celui de ses mains en coupe où le narguait le mirage d’une eau d’une pureté improbable. L’Egaré se pencha, avide de boire à cette source prodigieuse, mais ses lèvres buttèrent contre le cuir sec d’une peau tannée. Le visage du Castillon se releva péniblement, les traits décomposés de désillusion, et en guise du regard ami espéré, flamboyait dans la fissure du tissu, le vert sibyllin d’iris fendues d’une pupille reptilienne. Non… La voix trop brisée ne raisonna qu’entre ses tempes alors que le chèche se désagrégeait pour faire apparaître le visage de Camille, défigurée pourtant du vert cinglant de ce regard venimeux. Elle lui souriait, murmurant des mots dont le sens lui échappait. Son visage s’approchait. Jusqu’à ce qu’il lui paraisse énorme. Jusqu'à envahir tout son horizon. Jusqu’à ce que ses lèvres d’une douceur éthérée se posent aux siennes. Mais nulle chaleur. Nul renfort. Juste la douleur le transperçant quand le mirage, maintenant Vipère, déchiquetait sauvagement sa bouche de la morsure de ses crochets.

Au creux du silence de la chambre du comptable, la litanie d’une prière berbère s’éleva, faible, rauque, malgré ce chant aux notes inconnues au monde auquel Adryan s’éveillait, des lambeaux d’orient accrochés à chacun de ses membres plombés d’une lourdeur hallucinatoire. Les prunelles grises s’ouvraient et s’agitaient sur le blanc immaculé du plafond, affolées de se croire prises au piège d’un dédale insoluble où seules les couleurs semblaient avoir un sens, même abscons. Cherchant à fuir le non-sens, ce fut sur la silhouette de faïence qu’il s’accrocha désespérément pour ne pas retomber dans la fournaise de son délire, le corps frissonnant de froid. La voix engluée s’éleva à nouveau, brisée.


Alors, Djinn, tu as décidé de me montrer chacun de tes visages. Cache ton regard maléfique. Je n’oublierai jamais. Tu m’as eu. Et je meurs de froid. Pourtant, rien de vert dans le regard posé sur lui. Que du noir. Un noir ennemi dans lequel, pourtant, il déposa tout son espoir et sa confiance alors que ses doigts se resserraient sur le tissu comme pour s’assurer qu’il ne se disloquait pas en sable mouvant entre ses doigts.

Alphonse… Sors-moi de là…
Alphonse_tabouret
Du chant, Alphonse ne perçut que quelques notes, trop faibles pour lui apparaitre mélodiques, trop basses pour former un tout avec clarté, trop personnelles pour qu’il ne fasse encore le moindre pas vers le corps à bout du Castillon, contemplant, impuissant, les ravages orchestrés aussi bien à la chair que l’esprit, attendant, avec cette insupportable patience féline, que la réalité ne disperse son horreur jusqu’à l’éveil. Le corps bridé dans la position qu’il n’avait pas quitté depuis des heures, la silhouette statique et le souffle silencieux, le comptable ne s’accordait que le mouvement des onyx, attendant la rencontre des perles pour savoir si c’était bien Adryan qui revenait d’entre les Maures ou le délire du poison qui l’agitait encore.

Alors, Djinn, tu as décidé de me montrer chacun de tes visages. Cache ton regard maléfique. Je n’oublierai jamais. Tu m’as eu. Et je meurs de froid.

Le regard noir ne cilla pas, pas plus que le visage impavide offert à l’attente de la résurrection. Une fois déjà, il avait arpenté le désert avec Adryan, une fois seulement qui les avait hérissés quand ils s’étaient éveillés au lendemain de cet initiatique voyage, la tête encore embrumée des plantes absorbées à leur insu, le gout d’une bile sans commune mesure à la gorge de s’être épaulés et aimés durant cette balade hallucinatoire. Il se rappelait par vagues abruptes à sa mémoire quelques détails aussi précis qu’incompréhensibles, comme la fournaise, la soif, la précipitation à trouver l’ombre… Les réminiscences douces et aériennes avaient pourtant encrés les recoins de ses tempes de l’amertume la plus fatale, parce qu’elles étaient justement belles, mais le souvenir qu’il gardait comme le plus terrifiant, restait ce soulagement de ne pas avoir affronté seul l’étendue du délire sableux qui s’était offert à eux…
Le voyage entrepris ce jour par Adryan avait été solitaire, et c’était bien à cet instant ci, plus que l’inexplicable état du corps asservi à la concupiscence d’un autre, plus que la distillation présumée de l’herboriste à ses veines, ce qui le glaçait d’effroi.


Alphonse… Sors-moi de là…

La prière se renouvela dans un langage partagé, celui de l’abandon, celui qui, dans son dernier souffle, tendait la main à la seule personne restant stable dans les horizons vacillants de la conscience magmatique, de la douleur et de ses vérités. L’ennemi était parfois ce qui restait de plus fiable quand le monde se désagrégeait, Alphonse le savait. Son Parasite aussi. La guerre sans merci qu’ils se livraient depuis toujours comportait sans qu’ils ne le désirent, des trêves insensées dont ni l’un ni l’autre n’auraient pu se passer sans pour autant qu’ils ne les réclament, monstres assujettis à leurs propres parcours, leurs propres craintes, frères d’armes plus qu’ils ne l’auraient jamais souhaité dans le ventre étouffant de cette maison close.
Le corps souple du chat se détacha du mur, ombre opaque dans le clair-obscur de la chambre, qui rejoignit sans un mot le bord du lit pour se saisir de la coupelle d’eau qui attendait le réveil du cavalier égaré aux déserts de son périple, amenant la coupe aux lèvres sèches quand la dextre glissait au cou pour incliner la tête et lui faciliter l’appropriation du remède. Mais l’eau buta à la bouche à peine entrouverte, scellée de cauchemars encore vivaces, ruisselant aux commissures, rafraîchissant le cou à défaut de la gorge, évinçant le seul bienfait le plus immédiat qu’il pouvait dispenser. Toujours muet, l’animal inclina la tête en contemplant le handicap de la faiblesse, et, sans hésiter plus, vida lui-même la coupe de moitié avant de se pencher aux lèvres Castillonnes et d’y déverser par un baiser, le filet d’eau salutaire.
Dans la quiétude de la chambrée, d’où ne montaient que partiels et étouffés, les bruits vivants de la maison, le baiser se renouvela jusqu’à ce que le verre soit vide et que les perles grises entredéchirent doucement le voile à l’onde salvatrice. Le regard noir ne quitta pas le jumeau, la main délaissant le cou pour laisser retomber la tête à l’oreiller, ne s’attardant que pour chasser du linge humidifié la pellicule de sueur sur le front moite du nobliau, l’y abandonnant,, fraicheur bien méritée au sortir de la brulure berbère, pour venir chercher sa main, et la serrer dans la sienne, paume contre paume, doucement, soucieuse, profitant de cette solitude asservie à l’importance de ces instants que l’on ne maitrise jamais pour le rattacher définitivement à leur monde, et lui confier, à mi-voix :

J’ai bien cru te perdre, Parasite… Maintenant que je te tiens, je te ramène avec moi…
_________________
--Adryan
A room. A large room
Right pictures, wrong words
Wrong pictures and right words

Avril-Room


La blancheur tanguait doucement, soumise aux volontés de la démarche feutrée de l’Animal asservissant de son silence prédateur jusqu’aux talons de ses bottes sur le plancher. Silhouette altière, nimbée d’une ouate effilochée déliant chacun de ses déplacements d’une langueur sauvage, terrifiante et magnifique. Le Félin aurait-il été nu que le lent roulement de ses muscles sous sa peau claire n’aurait davantage pu crever les yeux cernés qui l’épiaient. Rien n’était plus beau, rien n’était plus angoissant que l’ombre de ce regard fendant la laitance écœurante. Crucifié vif au seul poids d’un drap de flanelle blanche, les prunelles troubles du Miraculé suivaient l’avancée, terrifiées que le noir verdisse, que la peau pale du visage découpé avec art ne se couvre d’écailles rugueuses et froides. Tant englué à cette crainte spectrale que nul cillement ne troubla l’assiduité du Guetteur quand sa tête molle fut redressée, ni même quand la fraicheur de l’eau ruissela à son cou tendu. Pourtant les prunelles grises abdiquèrent sous le linceul de leurs paupières pales, battues en brèche par des lèvres enfin généreuses s’offrant à sa soif, brandissant comme seule arme leur douceur. Plus que l’eau diluant le venin corrompant son sang, ce fut à cette bouche chaude sans être brulante, à cette présence rassurante et attentive qu’Adryan s’abreuva comme un enfant perdu.

Paresseuses et avares, les paupières ne laissèrent s’échapper qu’un filament gris. Sans crainte, sans honte, sans nausée, avouant le besoin de l’autre, d’un autre, la main castillone se refermera sur celle qui se tendait. Main ennemie à laquelle pourtant il se confiait.


"J’ai bien cru te perdre, Parasite… Maintenant que je te tiens, je te ramène avec moi…"


Les secondes s’effilochaient, ne laissant enfler entre les murs de la chambre qu’une respiration calme et profonde qui aurait trahi l’endormissement si les prunelles grises ne s’ouvraient à sa cadence. La main libre, daignant enfin laisser en paix le drap froissé et moite de la torture infligée, s’éleva d'une lenteur prodigieuse pour tracer, sans oser la toucher, la pommette comptable. La crainte du mirage lambinait, farouchement tenace. Mais non plus que la vision se trouble pour laisser place à une créature monstrueusement verte, mais de perdre cet éclat de temps suspendu d’une trêve salutaire. Peur saugrenue d’un solitaire chevronné à être seul. Si son esprit n’avait encore été qu’un vulgaire jouet entre les crochets d’une drogue pernicieuse, Adryan aurait encore préféré crever déchiqueté par les corbacs que d’admettre à quel point le crampon, dans cet univers factice qui rongeait son quotidien, n’était autre que l’Ennemi. Ennemi définitivement trop intime pour mériter la moindre absolution.

Je te reconnais, Sultan. Ton ventre est comme une dune. Une dune qui enfle doucement sous le soleil, qui respire avec le vent. Tu es mouvant comme le sable qui glisse entre mes doigts. * A peine, la pulpe des doigts malades s’égara à l’ourlé de la bouche jumelle. Comme le sable, insaisissable et pourtant, là, toujours présent, éparpillant tes grains dans chaque lézarde pour la calfeutrer. Un sourire faible étira les lèvres castillones. Là où tu me ramènes, est-ce vraiment mieux que là d’où je reviens ? La main nobiliaire glissa à la nuque flamande pour l’envelopper, sans dureté mais avec détermination, le gris intensément mêlé au noir. Je ne le sais pas, mais pourtant je te suis. Comptable.

Drogué ou trop lucide, le pas était vite franchi.


* Clin d’œil
Alphonse_tabouret
Les doigts sahariens frôlèrent les lippes félines déversant à mi-voix une tempête de souvenirs, aussi corrosive qu’une bourrasque de sable, plaquant sans ménagement à l’âme boiteuse de chat, cette cohorte de sentiments imbibés d’amertume aux reflets maltés, cette culpabilité au laisser aller vivifiant de cette nuit unique né de la mutinerie d'une Fleur de Pois, cette rancœur à s’être vu offrir le paradis artificiel en compagnie de celui qu’il combattait avec tant de hargne pour ne plus laisser émerger, subitement, que ce lien incongru les rattachant plus solidement que toutes les batailles qu’il se livraient au sein de cette guerre quasi fraternelle. Un instant, infime, il fut renvoyé là-bas, dans ce désert hallucinatoire, dans cette oasis bue à la bouche jumelle, frémissant quand la main du nobliau se posait à sa nuque en l’interrogeant :

Là où tu me ramènes, est-ce vraiment mieux que là d’où je reviens ? Je ne le sais pas, mais pourtant je te suis, Comptable


A l’écueil des pensées, se substitua celui des prunelles, comètes ardentes tant dans les voiles gris emprisonnant l’une que dans la densité des noires les harponnant, peinture éphémère d’un lien étrangement inaltérable quand il était pourtant malléable à souhait au gré de leur insatiable rancœur … Ils avaient essayé toutes les armes à disposition dans leur lutte intestine, délaissant la confrontation des mots pour celle de la chair, le venin des sous-entendus pour la brulure de la violence, l’esquive salvatrice pour le bagne d’une présence continue, et à l’aube d’un crépuscule automnal, Alphonse, les tempes pleines de mots parfumés d’orient, découvrait, terrassé, qu’il ne tolérait pas que la chute du Parasite soit due à un autre que lui-même, savant égoïste dont l’indifférence usuelle se trouvait incapable de dépasser cette idée là … Il s’étaient tout permis, imbéciles esthètes apportant la valeur à leur combat par le respect mutuel de leur haine, et aux veines faunes, bouillonnait l’intolérable véracité d’une rage incandescente de ne pas être coupable de cette blessure-là, mis à nu devant l’évidence que personne d’autre que lui ne pouvait faire endurer mille morts à son parasite.
Jaloux, de la plus étrange façon qui soit.
Ce qui s’était passé dans la salle d’eau restait encore un mystère dont il avait corrompu chaque indice durant ses heures d’attente, jusqu’au portrait quasi certain de la pièce qui s’y était déroulée et la seule chose qui lui restait à savoir était le rôle précis, prémédité ou non, de chacun des aspirants comédiens… Alors, seulement, serait-il capable d’exercer à son tour ses talents de metteur en scène avec toute l’intransigeance due à sa fonction.


Non, répondit-il enfin à la question posée, éventrant au-delà du murmure sablonneux la ouate de la chambre…

Pour toi qui m’a mené le long des dunes arides, aujourd’hui, je suis vaisseau… Pour toi qui a couvert ma tête quand le soleil nous frappait, aujourd’hui je suis ombre… Ne me lâche pas…


Sous le poids inexistant de la main à sa nuque, la faune pencha la tête jusqu’à cueillir la bouche chaude du Castillon, seule réalité tangible capable d’être donnée quand le monde éventrait ses fissures à leurs pieds jusqu’à les transformer en gouffres, nourrissant son Parasite de la seule chose vraie qu’il eut à lui offrir pour le maintenir dans cette nouvelle réalité, quelque chose dont il savait le gout et qui, malgré les heurts multiples, terribles, avait la consistance d’un acquis qui n’appartenait qu’à eux, tantôt souffre, tantôt baume, mais éternel point d’ancrage aux esquifs sur lesquels ils étaient ballottés.


… mais mieux ou pas, c’est à la maison que je te ramène… Toi et moi savons que cela n’a pas de prix… conclut-il au fil d’un sourire résigné aux lèvres à même leurs jumelles, observant un temps de silence durant lequel il reprit la hauteur nécessaire à confronter de nouveaux leurs regards, inquiet autant que déterminé à ne plus le laisser errer au fil de sa folie.
Où as-tu été si loin, sans moi, chamelier ?, finit-il par demander, mêlant à l’interrogation l’accusation de ce périple en solitaire, sans sultan pour le rattraper, pire, livré à ces djinns assassins dont la faim avait dévoré les entrailles du cavalier sous couvert de leurs encens entêtants, avide de cette vérité sans encore oser la nommer clairement, méticuleux à ne point brusquer la convalescence si fraiche de l’intoxiqué.

Dis-moi Adryan… Dis-moi… Que mon courroux trouve à se nourrir…

_________________
--Adryan
« Non ».

Nul mensonge toléré entre les deux ennemis. Jamais. Telle était la loi tacitement instaurée pour n’épargner rien. Ni le baume, ni l’écorchure. La franchise prenait ses aises dans cette relation obscure dans la quelle les deux hommes s’usaient pour mieux se tenir debout. Dépendance scrupuleusement silencieuse, qui parfois, tel un volcan sous pression éclatait d’une éruption soudaine et imprévisible, dispersant la lave salvatrice des coups, des crocs et des griffes tout autant que le souffre perfide des baisers et des caresses. Rien n’était prémédité, et sans ces Autres qui labouraient leurs vies de situations les fracassant tout à tour, rien n’aurait dû, ni aujourd’hui, ni par le passé, les associer. Mais le temps, sournois, avait su tisser entre eux des liens complexes qui les étranglaient, tout autant qu’ils les sauvaient, quand à l’ombre de leurs rancœurs, l’un comme l’autre savaient cette fidélité, insupportable d’être salutaire, à éborgner d’une main tendue sans hésitation. Si les coups étaient souvent vifs, ils n’étaient jamais destinés à blesser plus que nécessaire pour que l’autre relève la tête et que le combat se poursuive dans les règles édictées du duel sans témoin. Et cela ne renforçait que leur rancœur à chaque réveil. Entre les tempes nobiliaires, la compréhension flânait, sans pourtant être autorisée à se dévoiler à la conscience. Détester pour ne pas aimer. Pour ne pas même y penser.

Pourtant, Adryan s’abreuva du nouveau baiser comme des précédents. Sans courroux, sans amertume, sans rejet, car rien ne lui semblait meilleur, à cet instant, que d’être libre de chacun de ses mots, même de chacun de ses regards, sans avoir à les censurer de crainte que le couperet ne tombe, cruel et meurtrier.


« … mais mieux ou pas, c’est à la maison que je te ramène… Toi et moi savons que cela n’a pas de prix… Où as-tu été si loin, sans moi, chamelier ? »


Oui, le Castillon le savait. Ses poings et son visage s’en souvenaient. Aussi hocha t-il la tête sobrement. La question n’était effectivement plus de savoir s’il était préférable de s’endormir que de regarder la réalité en face. Ou du moins des brides confuses de ce qu’il en restait. Sous le souffle comptable, le regard gris s’agita, fouillant sa mémoire brisée jusqu’à chercher bêtement des réponses dans une fine fissure du plafond. Lentement, le réel reprenait forme. Le retour de Normandie, le juteux contrat signé en poche. La soif. Le détour par le bar. Dacien enlaçant Camille. Le gout infect du vin. Le besoin impératif de prendre un bain, tant la sueur que l’irritation lui collaient à la peau. Et puis… Les lèvres Castillonnes s’entrouvrirent douloureusement alors que le gris blême revenait se réfugier au noir.


Je ne voulais pas partir si loin, articula t-il difficilement tant le tableau flou qui s’esquissait soulevait son ventre d’une nausée infecte. Je crois même que je ne voulais pas partir du tout. Mais il y avait ces lianes, d’un vert cruel, emprisonnant mes poignets, s’insinuant dans ma bouche, s’enroulant à mes jambes... Son regard s’affola quand la drogue s’assoupissant lentement éveillait la métaphore. A mon ventre… Et je ne cherchais pas fuir, non. J’aimais… Qu’est-ce que j’ai fait ? La respiration si tranquille quelques minutes auparavant s’alourdit du poids de la honte, de la colère, du refus de croire, encore. Déliant définitivement les liens drogués de sa chair outragée, Adryan se redressa sur un coude et prit les lèvres flamandes d’un baiser effrayé, où il s’accrocha avidement pour ne pas chuter, peinant même à s’en arracher tant le gouffre vacillait sous ses pieds et que la présence du comptable était la seule lueur en laquelle il croyait.

Qu’est-ce que j’ai fait ? … Ne t’éloigne pas Alphonse, ne me lâche pas...
La main fichée à la nuque féline resserra son emprise comme un animal traqué demandant grâce. Dis moi, dis moi je t’en supplie que je me trompe encore ? Qu’une telle trahison n’est pas possible. Les lèvres félines furent embrassées, encore, d’une douceur toute dévouée à chasser le cauchemar d’une vipère nimbée de vert, J’ai besoin de toi Alphonse….
Alphonse_tabouret
De la bouche du Parasite aux oreilles du chat les mots tombaient, abrupts, sans avoir de sens autre que celui déformé par l’hallucinatoire des drogues, la récusation du possible et les ressentis, vivaces, cruels, avides de s’accrocher aux tempes Castillonnes pour mieux les labourer de leurs griffes aiguisées.
Aurait-il voulu atténuer l’épaisseur du regard qu’il dardait dans celui du malade quand celui-ci livrait, par bribes décousues, la réalité qu’il avait imaginée pour échapper à celle qui l’avait prise, qu’il ne l’aurait pu, l’amertume sauvage de la compréhension prenant peu à peu le pas sur la raison. La silhouette de Dacien s’éloignant de la salle d’eau fut rappelée à la mémoire, réétudiant, encore pour la millième fois, l’ondulation des cheveux mouillés, la façon des vêtements de coller à une peau humide, et cette façon coupable de ne point se retourner malgré le cri de Camille pour mieux disparaitre dans sa chambre… Et la sorcière, l’infâme femelle tantôt putain, tantôt herboriste, dont le regard penché sur celui du cavalier criait la faute, jusqu’aux précautions confirmées par le médicastre sur le traitement à administrer, au fait, indéniablement de ce qu’Adryan avait absorbé…
Proie, le nobliau laissa sa voix se fissurer dans l’aveu du plaisir tronqué, lui éternellement tiraillé entre les besoins indécents de son corps et sa rage à les nier tant que possible, désarmé face à ce crime qui l’avait assouvi autant que souillé, perdu, à la façon des funambules dont le fil rompt brutalement pour les précipiter au sol. Les doigts froids du jeune homme se refermèrent brutalement sur la nuque féline, venant chercher sa bouche comme pour s’y nourrir encore, éventrant les lèvres avec force sans vouloir reprendre son souffle, soumettant le fauve à une douceur instinctive qu’il ne répudia pas, cueillant le cou tendu pour le ferrer plus longtemps à cette possession salvatrice. Les secondes filèrent, envolées dans le seul bruissement du baiser aussi intense que libérateur, le comptable se penchant sur la silhouette affamée de lumière qu’était à l’instant Adryan pour l’astreindre au lit où il devait séjourner.


Tu n’as rien fait
, finit-il par chuchoter à ses lèvres, pesant soigneusement les mots accusatoires qui s’écrasaient à ses tempes, réprimant les éclats les plus sanglants qui menaçaient de rompre le fragile équilibre de la pièce endormie. D’autres ont fait parler ton corps contre ta volonté. Vois comme il suffit d’une caresse, d’un outrage judicieusement mené pour le faire frissonner, poursuivit il en faisant glisser la dextre le long du drap jusqu’au ventre où il assura sa prise, habile détenteur des secrets les plus concupiscents, dessinant timidement sous l’obole reçue, le membre du nobliau. Ta seule volonté te garde la plus part du temps de ces envies là… La main délaissa le renflement tout juste né pour ne point l’enchaîner à une nouvelle pulsion quand il se noyait déjà dans celles l’ayant porté aux nues… Si on t’en prive, tu n’es plus que désir, passion, et fièvre… Leur traversée saharienne, la nuit de Noel, heures désinhibées par l’alcool et la solitude, leur avaient démontré à tous les deux à quel point cela était vrai. Lentement le chat se redressa, jusqu’à se lever, quittant la silhouette masculine, interrompant d’un regard la protestation qui aurait pu naitre aux lèvres jumelles en se défaisant de ses bottes, faisant passer par-dessus tête sa chemise, et d’un geste, ouvrant le drap pour gagner la couche où séjournait l’alité, uniquement vêtu de ses braies.
Tu es glacé, fit-il simplement en s’adossant à la tête de lit, passant un bras autour des épaules parasites pour délayer la chaleur de sa propre peau, se détachant pour cette nuit digressive, de la nausée d’accueillir dans son antre, à même sa chair, cet insupportable et vital ennemi, ce frère involontaire de douleurs et de jouissance, repère malencontreux dans ce marasme en perpétuel évolution, rivage qui l’avait trop souvent accueilli pour ne pas finir par y trouver cette assurance que rage ou abandon y étaient toujours acceptées.
Les doigts jouèrent un instant dans une mèche avant que la voix ne reprenne le fil de ses pensées.

Le médicastre t’a examiné…Tu as été drogué, commença-t-il, voix basse douce et pourtant empreinte d’une sévérité nette, reliquats ténébreux d’une mort anglaise à l’aube d’une vie nouvelle. Quelle qu’ait été ton approbation dans le geste, quel que soit le coupable… Les visages des deux antagonistes désignés passèrent ses prunelles, y dansant avec morgue quand il s’efforçait de ne rien en laisser paraitre… la dose était trop forte. Celui qui t’a fait ça connaissait tes faiblesses, ton imbécile conscience, et cette façon que tu as de t'y raccrocher... celui qui t'a fait ça a cherché à la détruire pierre par pierre sans se soucier de toi… Vérité cruelle mais indispensable qui avait toujours nourri leur relation chaotique. Le pouce assujettit le front Castillon et le renversa pour cueillir son regard, posant une seconde de silence avant de reprendre, sachant par avance que la liste était particulièrement réduite : Qui sait Adryan ? Qui connait tes vices au sein de cette maison ?

Qui te désire au point de te perdre, parasite ?
Est-ce elle, sous un quelconque prétexte de libération, de vengeance à ne pouvoir contenter ton ventre qui se dresse pour d’autres quand ton cœur saigne pour elle ?
Ou lui ? Bafoué, humilié par tes refus, par cette nuit que je lui ai craché au visage quand il a fait le choix de nous trahir, toi et moi ?


_________________
--Adryan
« Tu n’as rien fait »

Détrompe toi Alphonse, je suis fautif de ma propre somnolence.

La réponse se pressait aux lèvres Castillonnes, comme un virus plus amer encore que celui invité dans son verre. Mais le Chat n’en avait pas fini. Les mots ronflant d’un réconfort gratuit étaient châtiés des bouches jumelles pour les punir de trop de facilité. Impensable besoin qu’ils partageaient de délaisser le lisse de la surface pour plonger au plus trouble des eaux où la vérité se moquait d’eux. Pourtant, inlassables obstinés, ils la décortiquaient avec un soin opiniâtre pour se l’approprier et dompter comme ils le pouvaient la pieuvre affamée qu’elle s’ingéniait à être au sein de ce bordel. Si Dacien avait été liane, l’Aphrodite était ronce, griffant et déchiquetant tous ceux qui avait l’audace de vouloir la servir. Bien étrange remerciements que la Déesse offrait dans un ronronnement funeste. Pourtant, personne ne la fuyait, aussi hérissés fussent les caractères s’entrechoquant, Elle les ployait tous à sa volonté d’une main câline pour mieux les tromper.

Je suis fautif de ma propre faiblesse.


Tel aurait claqué l’aveu. Mais faible et misérablement sensuel, Adryan l’était définitivement quand d’une simple caresse et de mots trop justes pour être niés, le Chat le souffla aussi facilement que s’il avait donné un coup de pied dans un château de sable. Château de sable, tel était le bien futile palais de l’univers castillon auquel pourtant le noble s’acharnait à croire pour se rassurer d’un semblant de normalité.

« Vois comme il suffit d’une caresse, d’un outrage judicieusement mené pour le faire frissonner. Ta seule volonté te garde la plus part du temps de ces envies là. Si on t’en prive, tu n’es plus que désir, passion, et fièvre… »


Le Comptable lui aurait arraché la peau lambeau par lambeau, que l’effet n’aurait pu être plus insupportable. Si le Castillon avait depuis longtemps craché sur la pudeur de son corps, la nudité n’avait été jusqu’alors qu’un jeu pour enfant audacieux. Un souffle rauque raya les murs alors que le Chat s’éloignait pour mieux revenir. Paradoxe de reconnaître la torture salvatrice au bombé de cette bouche ennemie, seule capable de la formuler sans le vernis faussé d’une quelconque attente pour la graver de certitude dans les méandres malades depuis trop longtemps de son esprit.


« … a cherché à la détruire pierre par pierre sans se soucier de toi… Qui sait Adryan ? Qui connait tes vices au sein de cette maison ? »

Je sais. L’aveu déchiré s’égara entre les murs blancs, presque trop tenu pour être parfaitement audible à l’oreille du Félin quand pourtant c’était contre sa peau qu’Adryan se réchauffait. Combattant à terre, la nuque brisée de trop de coups, seule la dextre nobiliaire parvint à se tirer de la torpeur pour se poser au ventre flamand. Lui si taiseux, et secret, et avare de confidences se laissa guider par l’instinct le persuadant que le poison le plus virulent serait, cette fois, le silence qui l’étoufferait définitivement.

Lui. Il était inutile de faire résonner des noms entre les murs. L’air pesait déjà, saturé de la présence des deux coupables présumés. J’aurais pu lui rire au nez. Je ne l’ai pas fait. Parce que sans le vouloir, je le faisais déjà souffrir. Je ne l’ai jamais voulu. La dextre se ravivait à la chaleur tentatrice de la peau contre sa paume, jusqu’à pianoter un prélude de caresses vaporeuses. Je ne peux pas lui donner ce qu’il me réclame. L’assommé se redressa brièvement, laissant le gris qui avait fui le noir trop intense, se livrer le temps d’interroger. Mentir aurait été pire n’est-ce pas ? Pour lui comme pour moi. Pire… Un rire, tant dénué de joie qu’il en était lugubre, s’échappa des lèvres pâles. Imbécile, lâcha t-il pour lui-même plus que pour Alphonse, rien ne pouvait être pire que… La voix se délita, incapable d’enraciner la réalité même d’un simple mot. La dextre, mue d’un besoin viscéral de compenser le cataclysme s’agitant entre les tempes brunes, dérapa le long du ventre comptable, buttant sur le ceinturon avant de le contourner pour se perdre à cette chaleur traitre qui le perdait tout autant qu’elle le ranimait. Violé. Adryan de saint Flavien, Duc de Castillon, escrimeur émérite et sans indulgence, avait été violé par un courtisan imbuvable d’arrogance. Violé. Et il en avait joui. Il avait beau avoir vendu son corps à celles qui le réclamaient, jamais la honte, l’infamie, la souillure, la brisure n’avait été à ce point insondables. Abysses à ce point vertigineuses, que la respiration même fut brisée nette, tout comme la danse dissipée de la dextre allant et venant sur le tissu des braies comptables pour s’assouvir du renflement qui s’y dessinait lentement.

Pourtant pire, il y avait. Incontestablement

Comme pour châtier l’oreille qui l’écoutait, d’un cliquetis habile, le ceinturon abdiqua sous les doigts nobles alors que le regard à nouveau se perdait à la blancheur du plafond. Elle… Je pourrais tout lui donner, mais elle refuse tout, même mes regards. Pourtant, la nuit, elle se glisse dans mes draps, droguée par manque de courage ou par calcul, et m’enchaine à elle avec toujours plus de force. Elle me donne ses reins. Elle me donne ses soupirs. Mais jamais ses pensées. Les doigts glissés sous l’étoffe du vêtement jouaient de jeux les plus dangereux, éparpillant les caresses les plus incorrectes. Tourmenteurs sans même le vouloir, s’appesantissant à chaque pulsation qui les faisait frémir. Le regard chuta dans les prunelles noires, Je connais son corps sur le bout des lèvres, à en oublier qui je suis, mais ce qu’elle veut de moi, je ne sais pas. Peut-être se venge t-elle seulement car je l’ai faite putain. Le regard se vrilla de colère mêlée de douleur. Je les vu s’embrasser. La révélation claqua dans l’air comme un coup de fouet, même si pourtant, le Castillon refusait encore d’interpréter ce baiser comme celui de la traitrise la plus cruelle. Soit, en retour, Camille avait eu des mots durs pour Dacien, mais quand le fil de la vérité s’égarait, tout devenait trouble, incertain et sujet à caution.

Ce ne fut qu’essoufflé d’avoir trop parlé, d’avoir mis à nu la moindre parcelle de ses doutes les plus intimes, que le Castillon réalisa que la paume de sa main se consumait au contact de ce vit palpitant. Les lèvres Castillonnes s’entrouvrirent d’un souffle brulant et la dextre perfide embrasa outrageusement chacune de ses caresses, agaçant chaque faiblesse démasquée telle une vengeance secrète contre ces deux êtres qui l’accablaient. Se redressant, la senestre cueillit le menton comptable à même la paume, caressant la bouche de la pulpe du pouce s’offrant à mordre ou à sucer.
Tu étais le seul dépositaire de mes vices les plus décadents et faibles. Je t’avais choisi toi et nul autre car je sais que cela t’égratignes tout autant que moi et scelle ton silence. Ils m'ont volé, mais ne me tueront pas ce soir. Le couperet tomba d’une voix sourde et profonde d’une envie qui ne savait se taire.

Laisse-moi ne pas croire encore. Laisse-moi être crédule encore une nuit.
Alphonse_tabouret
Les mots tombaient, pierres lourdes de sens, au poids corrompu des accusations silencieuses qui avaient déjà germé entre les tempes comptables, ravivant passagèrement la rage indélébile s’appesantissant depuis des mois déjà sur la silhouette traitre de Dacien et qui se densifiait plus encore dans la chute Castillonne. La folie de l’Arrogant avait outrepassé tous les droits, rompu les fils délicats de l’asile qu’offrait en échange du joug qu’elle posait aux épaules, l’appétence vorace de l’Aphrodite et trahi les siens pour soulager la furie de son ventre au mépris le plus élémentaire de l’autre. Le silence félin répondait aux confidences, chemin de boue se frayant un passage entre les lèvres sèches d’Adryan, sans appeler de réponse quand même elles prenaient les détours de l’interrogation, sachant qu’à cet instant précis, il aurait été incapable d’offrir le moindre réconfort par la parole, le palais scellé à la colère qu’il éprouvait de savoir le seul refuge qu’il avait bâti sur les pierres de sa propre solitude, souillé par la lubricité d’un seul.
Son ventre jusque-là sagement offert aux caresses lancinantes dispensées s’enhardit dans un sursaut que la main nobiliaire en saisit la courbe pour l’approprier à sa paume, le regard sombre délaissant l’amalgame des rancœurs pour se porter sur le tracé de l’ovale mâle dont la bouche offrait de nouvelles vérités, divisant la réalité de l’instant en deux parties qui se disputaient l’attention du fauve avec de plus en plus d’emphase.
Camille, l’épine lovée jusqu’au cœur et dont la pointe aiguillonnait les sens du parasite s’invitait à la conversation, enveloppant les souvenirs frais du chat de sa présence nauséeuse, serrant ses tempes d’une bile tout aussi sombre que celle qu’avait fait naitre le courtisan avant elle, chassée uniquement par le frémissement d’un gémissement à sa gorge né la main chaude d’Adryan à la faveur d’une caresse plus audacieuse qu’une autre, quand bien même les secrets du drame joué quelques heures plus tôt s’offraient enfin à sa contemplation. Un instant le silence s’imposa, voile jeté sur les troubles pour en désigner de nouveaux, opposant les perles grises aux astres noirs dans le halètement discret des phrases qui pour l’un s’étaient bousculées jusqu’à l’expiation et du plaisir dispensé par la torpeur aveugle pour l’autre. Le pouce Castillon s’aventura à la lisière des crocs quand le dernier murmure éventrait la distance résolue entre les deux ennemis, dissolvant au hasard du souffle, les limites sans cesse mouvantes qu’ils s’offraient dans leur lutte.


Tu étais le seul dépositaire de mes vices les plus décadents et faibles. Je t’avais choisi toi et nul autre car je sais que cela t’égratignes tout autant que moi et scelle ton silence. Ils m'ont volé, mais ne me tueront pas ce soir

Ni ce soir, ni demain, souffla le brun s’octroyant enfin la parole, ferrant la senestre entre ses doigts pour basculer Adryan sur le lit, et le surplomber, le bassin lové au sien quand il le surplombait, bras tendus pour distancer les deux visages, observant au fil des secondes encore blêmes, le visage désespéré du parasite.
Je ne t’ai jamais appris la honte, ni la culpabilité… Le coude se plia, et les ventres s’épousèrent dans la lente descente du torse félin, la dextre délogeant celle du nobliau enserrant son membre brulant pour la ramener à hauteur d’épaule. J’ai nourri tes secrets et je les ai gardés pour que tu les apprivoises, qu’importait la façon de faire… Les lèvres d’Alphonse s’approprièrent la ligne de l’épaule, remontant le long du coup quand, lentement, son bassin dépenaillé s’enhardissait d’un mouvement naturel caressant de sa danse le vit dessiné accolé au sien. Je mentirai en te disant que je n’ai jamais joué de tes peurs et de tes craintes, du supplice que tu endures quand ton corps te trahit au détriment de ta raison… Les mains relâchèrent leur prisonnières et s’approprièrent, pour l’une les hanches en une diabolique cajolerie, pour l’autre la nuque quand la bouche venait cueillir celle d’Adryan d’un baiser aussi long qu’appuyé, saveur unique des adversaires qui ne se retrouvent que dans l’explosion des vérités gardées, les reins ondulant plus fermement en cadence du souffle qui s’accélérait aux gorges… mais je n’ai jamais cherché à t’y asservir… Le prix eut été trop élevé, le combat gagné sur une traitrise qui n’est digne, ni de toi, ni de moi… Les membres pressés l’un contre l’autre vibrèrent d’un assaut du corps plus accentué, crispant un instant la mâchoire du faune et interrompant le murmure qu’il dispensait à l’orée du souffle jumeau. Aujourd’hui encore je suis seul dépositaire de tes vices dans leur plus terrible simplicité… Laisse-moi effacer la honte qu’ils ont distillée à tes veines… Laisse-moi t’en libérer sans la moindre peur, effacer la souillure … Laisse toi aller … chuchota-t-il d’une voix fiévreuse, modulée à l’extase menaçant de nacrer leurs ventres unis dans la danse de plus en plus rythmée de leurs corps joints, caresses brulantes d’une valse emportée, partagée, salvatrice, dénuée de tous artifices.
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--Adryan
« Pour dire oui, il faut pouvoir dire non. »
François Mitterrand.


Oui ou non.
Avoir le droit de choisir sa réponse en toute conscience.
Tout résidait là.
Toute la différence était là.
Indubitablement.

Alors que les propos du Félin gouttaient mot après mot aux oreilles du Castillon, vibrant confusément de justifications pourtant inutiles tant jamais la suspicion n’avait su gagner sa place au sein de l’hostilité franche, le rapace se voyait magistralement écartelé entre le plaisir que les déhanchements félins lui arrachaient tout autant que par ces mots tonnant d’une vérité assourdissante. Toutefois, s’il n’avait pas besoin de les entendre pour savoir, cette musique rassurante emballait encore le souffle chaotique d’Adryan ricochant sur le torse flamand. Etrange alchimie corrosive d’être si bien au creux de l’ennemi au sortir de la maltraitance de bras amoureux. Il y avait là de quoi perdre la tête, saccager la raison dont la logique s’effilochait à chaque caresse, à chaque syllabe. La médication reçue aurait dû aiguiser et acérer comme des tessons de bouteilles l’animosité et la nausée coutumière qui saccageait quotidiennement les deux hommes, mais rien de cela, juste la reconnaissance flamboyant au gouffre des prunelles grises.

Le Chat était la sensualité incarnée, lascif, nonchalant, bouffi de ce détachement qui hérissait d’ordinaire Adryan et dont il se gorgeait à cet instant sans la moindre honte, prenant simplement ce qu’il lui était offert. La contre partie serait lourde, pourtant, il était évident que de contre partie, Alphonse n’en demanderait aucune. Idiot qu’il était, le Castillon fixerait lui-même le prix de cette trêve salvatrice. Du gout de ce baiser s’attardant à sa langue jusqu’au délice impassable de ce membre brulant venant chercher le sien, tout serait calculé. Mais plus tard. Pour lors, la danse qui aurait dû être bataille ne dégainait comme arme qu’un désir sourd de besoin.


« Laisse-moi effacer la honte qu’ils ont distillée à tes veines… Laisse-moi t’en libérer sans la moindre peur, effacer la souillure … Laisse toi aller … »

Oui, ou non. Avoir le droit de choisir sa réponse. Ainsi était Alphonse, cet homme détesté, dont la présence pourtant grignotait l’espace Castillon jusqu’à en être indispensable. Cet homme méprisé qui pourtant n’imposait jamais mais proposait toujours. Cet homme qu’il fallait mieux détester de toute son âme plutôt que de voir, au risque qu’il n’assène le coup de grâce fatal.


Oui.

Il n’existait à cet instant suspendu au seuil du viol, aucun mot plus lourd et éclatant de sens. Oui. Quel mot ridiculement court pour supporter tant. Au-delà du souffle court et des soupirs arrachés, c’était une confiance rare, pleine et entière que le Castillon déposait aux pieds comptables. Lui si fier, tant engoncé de ses principes que la moindre sollicitation lui arrachait la bouche, remettait sa survie la plus immédiate entre les mains de l’ennemi, sans peur, sans plus que la drogue ne gouverne sa volonté.

Fiévreux non plus d’être malade, à vif sans être déchiré, les mains nobiliaires enveloppèrent le visage comptable, le soutenant religieusement par dessous les oreilles, avec une douceur et une tendresse dont si rarement il était capable, offrant son regard nu, s’emparant de celui d’Alphonse d’un désir de partage plus intransigeant encore que ne l’était le feu réchauffant son ventre. Les lèvres se frôlaient quand elles auraient dû se mordre, se consumaient de souffles enchevêtrés donnés pour être dérobés. Pieuses offrandes qu’une trêve autorisait, sans ruade, mais comblées des pulsions rauques et démasquées du Castillon. Simple et vrai comme il se refusait si souvent d’être. Les pouces nobiliaires dispensait encore cajoleries et caresses aux pommettes comptables, que le souffle se brisa, que le ventre se contracta pour mieux s’épancher d’une nacre précieuse, sans rugissement, sans ostentation mais chavirant d’une véracité s’incrustant jusqu’au regard. Perles offertes comme maigre mais ô combien intime présent. Comme ces cadeaux faits de rien, mais qui valent mille fois tous les joyaux pour qui sait en reconnaître la valeur.

Bien plus qu’une jouissance, aussi suave fut-elle, c’était un premier pas que lui offrait le Comptable. Les suivants promettaient d’être douloureux, chancelant, chaotiques, mais Adryan pourrait se tenir début, et cela n’avait que le prix d’un serment cahotant d’essoufflement qui franchit le seuil des lèvres tremblantes d’extase.

Je t’en fais le serment Comptable, nul autre que toi ne me donnera le coup de grâce.
Alphonse_tabouret
Oui.

L’unique syllabe se répercuta, onde courte aux remous pourtant innombrables, poussière dans la vaste tempête qu’ils affrontaient sur des fronts différents mais grain de sable dans le rouage si savamment huilé de leur affrontement perpétuel, asservissant définitivement le Rien au Tout, l’intolérable au primordial, le besoin à l’envie, achevant de délayer aux veines félines l’impétuosité des brides relâchées. Aux gestes qui les avaient jusqu’ici unis, animaux, bestiaux, ceints d’une intolérance à la hauteur de leur déviance accordée, ce fut la terrible tendresse, l’impensable communion des sens qui chassa momentanément le feu ardent de la bataille pour la remplacer d’une osmose aussi éphémère qu’intense. Les mains d’Adryan se logèrent à son visage, cueillant dans le morcellement de son souffle, le cou de ses paumes, suivant le mouvement du corps sans ruades ni incartades, délaissant la carapace pour se laisser submerger par le simple plaisir dans son état le plus salvateur.
A cet instant ci, on ne baisait pas dans la chambre comptable, pas plus qu’on y faisait l’amour, mais on scellait un pacte plus précieux que la haine, on se laissait aller à la cadence dansante des reins à la recherche de la communion la plus contre nature de toutes, des corps qui sans être mêlés, s’accordaient à la fusion d’un besoin mutuel dont l’un comme l’autre crevait chacun de son côté. La bouche entrouverte du félin frôlait sans prendre celle du Castillon, non pas par jeux mais par nécessité de garder les prunelles rivées aux siennes, pleines, vraies, dévoilées, soignant l’âme à défaut de pouvoir soigner le corps, s’immisçant dans chacune des failles laissées par Camille, ouvertes par Dacien, dans l’espoir fou de combler celles laissées par l’absence d’Etienne. La cadence soutenue du bassin s’attacha à ne pas devenir furieuse, prenant le temps impensable de vouloir le plaisir jusqu’à la supplication mutuelle, de ne pas jouir pour la délivrance mais par plaisir de l’autre, le moindre grain de peau s’enhardissant de sentir, frotté au sien, le membre de plus en plus dur du Castillon, sexe rongé d’une envie dont ils étaient, pour une fois, maitres tous les deux.
Le corps du faune fut traversé d’un halètement gémissant jusqu’à ce que, incontrôlable, incontrôlé, le ventre ne se contracte d’un sursaut et ne s’assouvisse en chœur du nobiliaire, à leurs peaux moites dans une extase le faisant frissonner, arrachant à son dos une chair de poule qui mourut dans le ralentissement délié de leurs hanches jointes, attentif à ne point rompre le contact avec brutalité, avide de cet instant suspendu où la jouissance était née de l’inspiration du secret qui les liait encore et toujours. Lentement, suavement, les reins s’immobilisèrent, la chair rompue et frileuse d’avoir joui avec une telle ferveur, jusqu’à ce que les bras du chat ne cueillent les épaules du Parasite et que les bouches se fondent voluptueusement pour sceller les quelques mots dispensés dans un chuchotement :


Je t’en fais le serment Comptable, nul autre que toi ne me donnera le coup de grâce.

Oui.
Oui, tout cela se paierait, ces quelques instants dénués d’Amour mais emplis de cette fraternité silencieuse, accordée exceptionnellement dans la paix relative de cette chambre solitaire par l’un comme par l’autre, trêve des sens pour se sentir vivre malgré ces autres insupportables quand c’était eux qui auraient dû se trouver intolérables. Au centuple certainement. Plus même, car il n’y aurait pas de chiffres pour cet accord profanant le silence dans lequel la guerre de ces deux-là les menait sans cesse, mais qu’importait le prix… Adryan était son parasite, son adversaire, et personne, pas même la lubricité sans borne de Dacien, pas même le cœur vipérin de Camille, ne l’achèverait à sa place.
La bouche mâle trouva l’oreille blanche du Castillon, délayant un souffle encore court dans les quelques mots qu’il y adressa :


Je ne laisserai personne d’autre le faire, dussé-je me battre pour cela. Un instant qui dura un temps infini, il s’attarda de sur cette peau moelleuse, désormais réchauffée, respirant de concert avec lui avant de laisser choir sur le côté, passant un coup de drap machinal sur son ventre pour le débarrasser de la poisse blanche l’ensemençant avant de s’assoir sur le bord du lit, doucement hagard, mais déterminé.
Cette nuit, tu dormiras ici, fit-il à Adryan d’une voix nette mais adoucie, derniers fragments du pacte qui serait bientôt tu pour mieux les laisser vivre, inclinant la tête pour lui jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Personne ne viendra t’y déranger, pas même moi, le rassura-t-il. Demain matin, un coche te ramènera chez toi et demain soir il t’aura ramené ici pour l’ouverture des portes. J’ai besoin de toi pour t’occuper des comptes pendant que je serai sorti. Loin du patron intransigeant qu’il semblait être, c’était en guerrier que le faune dictait les règles au Castillon, refusant à quiconque le loisir des gorges chaudes, refusant à Dacien et à l’herboriste le loisir de s’attribuer un quelconque malaise… L’Aphrodite serait le théâtre d’un jeu de dupes jusqu’à la fin des temps.
As-tu besoin de quelque chose ?, demanda-t-il enfin, dernier pont tendu, dernière douceur avant que ne reprennent les hostilités salvatrices, les onyx s’attachant aux perles dans l'éclat encore tiède de leur connivence.

_________________
--Adryan
Les amis scellent leur serment par le sang, les ennemis d’un baiser.
Telles étaient les règles occultes à l’ombre de ce duo délinquant, capable de frémir tant de jouissance que de hargne. L’un des deux se serait-il hasardé à en changer quelques menus principes qu’il se serait heurté avec barbarie à la volonté de l’autre. La prière était faite, ainsi soit-il.


« Je ne laisserai personne d’autre le faire, dussé-je me battre pour cela. »


Nul coup de griffe alors que le corps flamand s’attardait au torse castillon, les respirations hérétiques s’octroyant encore le droit de s’entrelacer avant que le gris ne suive chaque mouvement de repli du félin. Au diable le prix exorbitant qu’il faudrait payer quand le poids insoutenable des lianes s’allégeait aux limites du supportable. Quelle belle ironie, qu’en cette seule présence là, refusée et sabotée, barbote le réconfort de ne pas être seul.


« Cette nuit, tu dormiras ici. Personne ne viendra t’y déranger, pas même moi. Demain matin, un coche te ramènera chez toi et demain soir il t’aura ramené ici pour l’ouverture des portes. J’ai besoin de toi pour t’occuper des comptes pendant que je serai sorti. »


Défaillant, occupé à découper le profil félin de la blancheur du mur, la seule réponse perceptible fut le froissement de oreiller sous l’acquiescement du crane convalescent. Sale jusque dans l’âme, Adryan, n’avait pourtant qu’envie de se frotter la peau jusqu’à l’égratignure pour effacer l’odeur verte trainant sous le parfum du comptable. N’éprouvait que le besoin viscéral de rentrer chez lui, pour s’y enfermer sans plus vouloir en sortir. Mais pas un instant l’idée ne lui vint de contester les ordres. Par épuisement. Par simple logique. Qu’importait les raisons qui poussaient Alphonse à décider impérieusement, au dessus de tout, l’évidence planait tel un oiseau de proie, surveillant farouchement son aire, fardé des traits magnifiques d’une déesse. Aphrodite.

Tous, autant qu’ils étaient, se débattaient dans le poisseux de leurs émotions, de leurs sentiments, de leurs peines, de leurs vexations. Naïfs qu’ils étaient. Tous. Toutes. Que tout ceci était trompeur. L’Amante, la Maitresse flamboyante et implacable, n’était autre que l’Aphrodite. Souveraine sous son visage magnifique, elle était arachnide vigilante, suçant la moelle de chacun de ses amants avec une perversité monstrueuse d’artifices, les entortillant de ses plus beaux fils de soie pour piéger leurs craintes sous les caresses de ses dentelles savamment tissées. Experte, elle souriait parfois de faux airs de mansuétude, et laissait croire le possible d’une fuite. Alors, elle autorisait l’un ou l’autre des monstres qu’elle engendrait à s’éloigner quelques temps des ses longues pattes, se moquant déjà quand elle savait qu’ils reviendraient se pendre à sa toile d’or. On ne s’échappait pas de l’Aphrodite, on y expirait à petit feu, pour la seule lubie céleste de rassasier un ventre, avant que la Créature infernale ne hurle encore le gouffre de sa faim éternelle.


« As-tu besoin de quelque chose ? »

Si l’idée effleura l’esprit englué du Castillon que dans cette chambre ne s’agitaient que deux pantins captifs d’une même Sentinelle, elle fut trop clandestine pour s’épingler. Le regard gris chuta sur l’épaule nue pour s’échouer sur la main comptable posée sur le drap où le dardait, d’un rire sardonique, le rouge d’un œil cyclopéen. Trouver une logique là ou certainement il n’y en avait aucune, était une issue qui n’avait que le mérite d’exister. Un rubis, un simple rubis monté sur une chevalière frappée des armes de la famille de saint Flavien. La logique était branlante, mais dans les méandres de la cervelle nobiliaire, suffisante pour s’y raccrocher.
Suite à une sempiternelle dette paternelle le Castillon avait cédé le bijou au flasque créancier. Le hasard avait voulu sa part du gâteau et Tabouret l’avait racheté par calcul, ou par refus qu’un tel bijou n’échoue au doigt boudiné de celui qui avait espéré la chute Castillone jusqu’à croire en renifler l’odeur aux pieds du gibet de Montfaucon. Tout aurait pu s’arrêter là, si pétri de ses principes et de sa fierté, Adryan n’avait imposé au comptable de le porter. Et cette intransigeance n’avait fait attiser la curiosité de Dacien jusqu’à l’obsession, jusqu’à la folie. Jusqu’au viol. L’offense première était là, dans cette interdiction de choisir. Et c’était lui-même qui en était coupable. Effet papillon, l'arbitraire avait gonflé à l’ombre de sa chrysalide silencieuse pour mieux éclater et se retourner contre lui, dans un fracas assourdissant qui ébranlerait toute la maison. La bouche entrouverte, hypnotisé par l’éclat parfait du joyau, le Castillon se réfugiait derrière cette certitude qui brillait de pouvoir être maitrisée quand tout lui échappait. Espoir dérisoire et imbécile qu’en gommant cette première faute tout le reste s’évapore en diapason, telle une ardoise qu’on efface.

Sans brutalité, mais suintant d’une volonté indéniable, la dextre noble saisit la main comptable, et sans hésitation, débarrassa l’index fin de la chevalière dans une réplique parfaitement opposée aux gestes qu’il avait osés bien des mois auparavant. Si le bijou lui brulait le bout des doigts, rien n’en parut quand il posa l’emblème familial au creux de la paume comptable. Alphonse comprendrait-il ce geste ? Ce besoin de laisser le choix quand lui-même en avait été privé de la plus injurieuse et brutale des façons? Peut-être même une demande de pardon silencieuse. Le Castillon n’en savait rien, mais augurait néanmoins que le Comptable le connaisse assez bien pour savoir que tant que le joyau ne pourrait pas être remboursé à sa juste valeur, le récupérer serait une honte qu’il refuserait avec l’acharnement qui était sien. Exténué, la tête brune roula sur oreiller pour se perdre au vide du mur opposé, les paupières lourdes comme du plomb, bataillant l’acier du regard.


Je serai là demain.

Sa voix fracturée refusait d’en dire davantage quand déjà tant était dit ou fait. Demain, ou après demain, dans une semaine ou dans un mois, incapables ou farouchement attachés à bannir l’égalité, les ennemis, même courbaturés par d’autres, reprendraient leur combat, infatigables, jusqu’à ce que le serment soit exaucé. Mais pas ce soir.
Alphonse_tabouret
La main prise fut soumise au regard silencieux du comptable, et le doigt allégé du fardeau qu’Adryan avait posé sur lui quelques mois plus tôt ne provoqua non plus, pas la moindre parole, basculant un instant le couple d’adversaires dans la chaleur moite d’un été qui semblait lointain quand il n’était pourtant vieux que d’une seule année… Combien de guerres attendues avaient-ils eu le temps de se livrer depuis que le contrat avait été passé entre eux à la faveur de cette soirée estivale et combien de paix improbables avaient ils célébré pour se donner la force de panser leurs plaies ?...
Le velours des iris s’attarda sur le bijou rougeoyant déposé à sa paume, au fil des souvenirs partagés où se mêlaient la haine et le besoin de la présence nobiliaire, la colère et l’écœurante complicité dont ils étaient capables, avant de la refermer pour engloutir le reflet délicat dispensé à l’opalescence nocturne. Il détestait cette connivence implicite les liant l’un l’autre jusqu’à les absoudre de devoir passer par les mots pour saisir les volontés de l’autre, vivier de rancœurs qui ne faisait qu’agiter un peu plus le spectre d’un possible qu’ils n’osaient jamais envisager et sur lequel ils semblaient incapables de se retrouver… S’il s’était attendu un jour à être délesté du poids de cet anneau que le Castillon lui avait passé au doigt, il n’aurait pas pensé le devoir à d’autres circonstances que leur volonté propre, mais cela était-il si ahurissant quand, aux vents déployés, aux bourrasques les engloutissant à leurs bouches avides, ils n’étaient qu’insectes luttant pour rester sur place à défaut de pouvoir avancer ? L‘amertume se distilla en bouche à hauteur du soulagement immédiat de ne plus être porteur de ce poids carmin qui leur avait valu la jalousie maladive et la trahison, poids pesant désormais si lourdement à leurs épaules liées dans le secret de leur pacte et qui, même symboliquement ôté, continuait de tournoyer insolemment autour d’eux. Tout avait commencé avec ce bijou et rien ne finissait avec…
Adryan avait depuis bien longtemps payé la dette qu’il s’était infligé, parasite pétri d’orgueil incapable d’accepter l’indifférence en guise de cadeau, que cela se compte en écus nourrissant la déesse affamée ou par sa détermination à la couver malgré ses coups bas et ses caprices incessants. Le comptable ne comptait plus les voyages orchestrés par le nobliau pour aller sans cesse trouver les meilleurs vins auprès des fournisseurs, les meilleurs malts ou bien encore les sirupeux les plus exotiques pour égayer le comptoir marbré de la Maison Haute, pas plus qu’il ne comptait les heures consumées à la bougie devant le livre de comptes attenant au bar dans le jeu de silence qu’imposaient leurs présences respectives, ni celles délayées à la faveur de sa recherche quelques mois plus tôt…

Que te faut-il de plus parasite ? Combien pour cette bague qui te revenait de droit? N’y-a-t-il donc que moi que tu estimes à la hauteur de cette boite de Pandore ? Regarde-moi, je suis tout ce que tu hais, tout ce que tu méprises, tout ce qui t’écorches et tu persistes à me faire gardien de ton rêve brisé…
Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus affligeant… Toi de m’en confier le soin, ou bien moi de l’accepter… Toi d’espérer que je l’accepte ou moi, qui le comprends…


Je serai là demain.

Je sais, répondit-il simplement dans une intransigeante douceur, loin de la certitude du Maitre de maison mais dictée par la lutte qu’ils s’étaient jurés un soir de juillet et qui prouvait aujourd’hui sa valeur en ne se soumettant plus à la vision des autres… Au fond, n’y avait-il pas plus beau serment que de se jurer la haine sans que le moindre signe ostentatoire de leur liaison ennemie ne prenne forme ailleurs que dans les tréfonds de leurs âmes viciées ?
Plus tard, aux premières heures de la matinée qui pointait sur les toits de Paris, il déposerait la chevalière dans l’un des tiroirs de son bureau, lovée dans le coffret renfermant les contrats passés avec chaque membre du bordel, mais pour l’heure, son dessin dans sa main le troublait d’une émotion étonnamment simple de savoir que c’était peut-être la dernière fois qu’il la contemplait sans propriétaire, même transitoire, pourtant déterminé pour lui et le Castillon à ce qu’elle ne soit plus le jeu perceptible de leur affrontement et redevienne ce qu’elle était uniquement : un gage qui attendait un remboursement que seul Adryan pouvait désormais chiffrer.

La silhouette du chat se déplia sans ajouter un mot, quittant le bord du lit où leurs odeurs mêlées à celle du foutre embaumaient encore les draps, sacrilège de paix consommée sur la gréve instable de leurs besoins niés, de leur inimité viscérale, de leurs besoins de savoir au fil des étoiles se dispersant aux premières lueurs qu'ils étaient là, toujours, éternellement quand le reste du monde basculait sous leurs pieds fatigués. Ramassant chemise et bottes éparpillées, et se dirigeant vers la porte sans le moindre bruit, monarque de ce royaume silencieux, il ne se retourna pas tandis qu’il en franchissait le seuil pour laisser au nobliau le repos à portée du sommeil.
La trêve était finie.

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