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[RP] Mon Royaume pour un bain.

Anaon


      Les azurites resculptent ces pommettes de bronze au fil de leur observation. Elle se laisse disséquer comme elle décortique de ses jugements muets. Exemptée de discrétion. Tout comme elle est dépossédée d'états d'âme face à ces regards qui s'attardent sur ses joues pourfendues. Il en avait fallu du temps pour s'en détacher, de ces œillades qui causent la honte et mettent le doigt sur sa monstruosité. Elle y était parvenue... Aujourd'hui, ce n'est qu'un combat de billes, des perles pareilles à une nuée de corbeaux d'un côté, postées au diapason de deux iris d'un océan bien sombre de l'autre. Échange en chien de faïence, couvert par le regard goguenard du comptable. Il doit rire, le Nonchalant, de voir ces méfiances s'exacerber d'un rien juste sous son nez. Telle la main du chasseur qui se serait amusé à mettre deux chats sauvages dans le même enclos pour observer leurs réactions. Chats dubitatifs, qui préfèrent s'en référer au seul homme de petits glissements de regards pour savoir qu'en penser.

    « Semblerait qu'ça se fasse, en effet. Mais rien n'vous y oblige »

    La sicaire fait mine de réfléchir, inspirant alors en haussant les épaules.

    _ Si rien ne m'y oblige alors... Je prends le risque de le faire de bon cœur.

    Y'en a quelques-uns dans l'assistance qui se seraient grassement gaussés au « bon cœur ». Et pourtant, bien que sous-jacentes, les félicitions sont réellement là. Regard sincère lancé à Alphonse. La sicaire ne fait pas plus de vague sur le sujet, coupant nette la tête des épines qui commencent à poindre à la surface de son esprit. Anaon et les mariages. Une bien longue histoire...
    La remarque suivante de la gitane est comme une pichenette qui a le don de briser l'immobilisme de la sicaire. Un nez critique se pose sur sa propre tenue. Se rhabiller l'aurait effectivement rendu moins antique.... Quant à se fondre dans le décor, là une est chose que ses instincts arachnéens auraient bien aimé faire.

    Répondant pourtant à la voix rocailleuse, la femme s'ébranle de quelques pas précautionneux, se rapprochant du grand bassin. Une main glisse dans ses cheveux humides pour couvrir plus largement l'épaule laissée la plus à nue alors qu'elle arrête ses pas sur les derniers carreaux surplombant l'eau. Fil de quelques enjambées toujours laissé en guise de distance entre eux, l'Anaon n'en imite pas moins la jeune femme après quelques onces d'hésitation. L'aînée se pose, plongeant ses jambes dans l'onde chaude. Puis jugeant qu'il serait de bon ton d'arrêter de jauger la gitane comme une bête curieuse, les prunelles cobalts se posent à nouveau sur le bambin. L'échine ne s'en relâche pas pour autant, peu tranquille de voir cette autre pareillement affûtée et armée. C'est pourtant pour la même raison que cette même autre, que l'Anaon n'hérisse pas plus le poil. Moins légitimement que la jeune femme pourtant, la sicaire se fie à l'attitude paisible du comptable.

    Mais un chien reste un chien.

    _ Quel âge a t-il ?

    Voix qui se nimbe toujours d'une latente douceur quand il s'agit d'enfant.

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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Alphonse_tabouret
Il était des atmosphères qui vous tendaient aux cieux à la coupe de leurs mains, d’autres au contraire qui avaient tôt fait de vous clouer au sol sans le moindre ménagement, et d’une jeune vie pourtant passée, chat patient, à observer les autres, le comptable n’aurait jamais pensé être un jour témoin d’une telle rencontre, fasciné par l'étrange ballet de louves aux corps dessinés femmes qui se jaugeaient à l’ombre de quelques paroles échangées.
Immobile statue dans l’eau chaude du grand bassin, la boucle brune délaissée pour donner à l’enfant un perchoir à saisir, les yeux bruns du félin ne quittaient pas la silhouette d’Antoine quand ses oreilles, aux aguets, scrutaient dans le silence résonnant qui s’était installé, les moindres échos pouvant lui peindre la scène qui se déroulait dans son dos. Il y eut bien le froissement d’un tissu qui lui interpella l’oreille mais il n’eut jamais cru que la Vouivre quitterait les contreforts de son bassin pour s’aventurer à la rencontre de la gitane, charmé, encore une fois , par les manières d’Anaon, tantôt délicates au frondaison de l’oubli, tantôt audacieuses dans l’ourlet des défis quotidiens et étira définitivement un sourire faune à ses lippes, quand la voix perçue ne laissait plus aucun doute quant à son avancée dans l’allée centrale.

L’échange se poursuivit, mâtiné de la rocaille tzigane, les mots secs et sincères d’Axelle fendant les volutes du bain pour s’offrir au bon sens de la mercenaire, amusant irrémédiablement l’animal dont les réflexes avaient été à ce point astreints de la servilité qu’il ne saurait jamais se départir de cette rondeur intuitive toute autant que prudente lorsqu’il s’agissait des autres. La danseuse, elle, ne s’embarrassait de rien, jusqu’à l’invitation, qui en écho aux doigts qu’elle avait glissé dans son cou, acheva d’assoir l’humeur goguenarde du jeune homme jusqu’à enfin lui faire tourner la tête pour croiser le regard clair de la sicaire.

Oserez-vous, Anaon ? Oserez-vous céder à cette tentation ? Oserez-vous nous rejoindre et faire partie de nous quelques instants ?

Et elle osa, sculpture nerveuse dont les muscles souples se cachaient dans l’ombre et le moelleux d’un drap de bain, recouvrant dans une pudeur qui ne lui échappa pas, l’épaule vierge en avançant au bord du bassin, soumettant sa silhouette telle que le comptable n’aurait jamais pensé la voir, esquissant le profil qui s’asseyait d’un œil curieux sans pourtant s’y attarder, conscient que l’effort méritait la discrétion mais homme, avant toute chose, soumis à l’extraordinaire de la situation.
Goupil quand je te raconterai cela…, songea-t-il au fil d’un sourire qui se serait élargi si la question n’avait pas fini d’étendre un pont entre les deux mondes


_ Quel âge a t-il ?

Mère définitivement, trahie par le frimas délicat oscillant jusqu’à l’accent d’une tendresse concernée, et dont le regard posé sur Antoine se nimbait d’un intérêt qui acheva d’étendre aux tempes félines la certitude de la filiation, Anaon, les jambes dans l’eau, couronnait ouvertement sa curiosité d’un point d’interrogation.

Neuf mois, répondit le comptable en tirant l’enfant dont les mains étaient rivées aux siennes pour le déployer sur toute la hauteur de ses soixante-dix centimètres, les pieds potelés prenant appui sur le ventre mâle offert à l’exercice dans un gazouillis joyeux. Si l’apprivoisement en cours n’était pas de son ressort, il trouvait un tel charme à la pièce qui se jouait, qu’il s’offrit en pâture à la réunion, annonçant d’un air particulièrement sérieux qui ne tromperait ni Anaon, ni Axelle dans l'arrogance de l'évidence ennoncée:
Je le trouve plus beau que tous les autres, qu’en pensez-vous ?
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Anaon
  "Tantôt jouant de l'affront, tantôt se pliant aux exigences de son hôte, l'Anaon est conciliante en dent de scie."
      - Judas -

      « Neuf mois »

      Elle recueille précieusement chaque fragment d'information, collectionneuse secrète de ces bribes d'aveux qui les tapit dans les recoins les plus inavoués de son esprit. Elle les compare, elle les assemble, comme on collerait entre eux des morceaux d'images, cherchant par le biais de ce petit bout là à bâtir le souvenir de sa propre progéniture. L'œil avide ne loupe aucun des gestes du comptable, couvrant la scène d'une pudeur attentive. Instant d'une banalité sans nom qui attise pourtant chez la mercenaire une curiosité presque dévote. L'Anaon a connu les enfants. L'Anaon a connu les hommes. Mais l'Anaon n'a jamais connu les pères.

    La scène est étrange. Fantasmée mainte fois au creu des rêves poussiéreux de la caboche résolue. Elle est comme une chimère inespérée se révélant enfin, laissant son soupirant pantois et indécis de la voir enfin apparaître après avoir passé tant de temps à se résoudre à son inexistence. Le miracle se déroule à deux pas d'elle, et pourtant il lui semble terriblement lointain et improbable. Et l'Anaon réalise alors, qu'elle a beau l'avoir imaginé des milliers de fois, l'aspect de la paternité est une chose qui lui est parfaitement inconnue. Elle se demande... si Judas a déjà eu les mêmes gestes.

    Calmes méandres de son âme qui s'agitent mollement. La sicaire contemple le petit corps déployé avant d'étirer un sourire bien large. A la voix du comptable, elle se serait bien lancée dans le duel inutile mais toujours passionné des géniteurs qui veulent savoir qui a vraiment le plus beau bébé.

    _ Chaque parent n'a-t-il pas toujours le plus bel enfant du monde ?

    Quelle créature diplomate elle peut être ! Le galbe des lippes toujours étiré, la tête se penche vaguement sur le côté, yeux plissés, comme si cela pouvait aiguiser au mieux son analyse.

    _ Encore que je vous concède qu'il est toujours plus beau que les autres quand c'est à sa mère qu'il ressemble...

    Boutade au Tabouret, œillade à la gitane. La sicaire note enfin les similitudes. Orgueil des mères que de voir le fruit de leur entaille grandir selon leurs traits, tandis que les pères sont le premiers à prier pour que l'enfant leur ressemble plus à eux qu'à leur voisin... L'Anaon a toujours donné des copies d'elle-même. Et pourtant, elle s'est toujours attendrie de voir ces visages s'épanouir à l'image de l'Aimé perdu.
    L'esprit qui se distrait se raccroche aux crins sombres et concret du poupon. Si on laisse faire le temps, sans doute qu'ils ne manqueront pas de se plonger en cataracte sur ses épaules comme les tortillons sombres de leur mère.

    Oui... A n'en point douter, ce sera un bel enfant.

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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Axelle
La statue s’anima, lente et élégante dans son drapé blanc, déliant sa langue autant que ses membres, jusqu’à s’autoriser un brin de décontraction. La Gitane n’aimait guère se livrer. N’aimait guère la curiosité. N’aimait guère bomber plus ou moins le dos pour faire bonne figure. Mais encore moins n’avait gout à rembarrer un être qui s’appliquait à la réserve et à la pudeur. Risque écarté, la Gitane relâcha l’invitée de ses examens effrontés pour laisser son regard divaguer au grès de l’onde. Souriant distraitement aux plaisanteries échangées entre le Chat et la Diane Chasseresse – aux abords plus biche effarouchée que chasseuse sanguinaire – elle jouait à suivre les reflets bleutés se déformant dans l’eau. Taiseuse à nouveau pour, à son tour, ne pas troubler une entente palpable.

« Encore que je vous concède qu'il est toujours plus beau que les autres quand c'est à sa mère qu'il ressemble... »

« J’espère que ce sera une fille et qu’elle me ressemblera pour que t’en crève à petit feu, tous les jours un peu plus en la regardant grandir »

Le regard noir se troubla sur les reflets fantomatiques de l’eau quand sa propre voix, déterrée des profondeurs de sa mémoire, claquait entre ses tempes. Telle avait été la malédiction jetée. De cette enfant pourtant sienne, la gitane ne savait rien. Ou déjà bien trop. La malédiction en tenant sa promesse bavardait comme une pie funeste. Cette gamine inconnue lui ressemblait trait pour trait et c’était bien ce cynisme qui devait la rendre laide. Du prénom qu’elle n’avait pas choisi, elle l’oubliait quand soupiraient parfois à ses oreilles quelques mots griffonnés par une patte oursonne.


« Ça m'angoisse, son teint jaune. Ça m'effare, son manque d'appétit. Elle mange rien, la gamine. Soit qu'elle aime rien. Soit qu'elle rejette tout, avec les mains. C'est une teigne. Elle ouvre jamais la trogne. Même pas pour chialer. Elle parle qu'avec les yeux. Des jais qui passent leur temps à me dire d'aller me faire voir. Elle aime pas que je la prenne. À peine je la touche, elle regimbe. Ils sortent d'où, ces éclairs dans ses yeux ? ».

Si elle s’était battue pour oublier, la Gitane n’en était pas pour autant un monstre. Cette foutue malédiction, elle aurait donné tant pour pouvoir la ravaler. Ce n’était pas sur une, mais bien sur deux têtes qu’elle s’était abattue. Et l’un de ces crânes était si innocent de tout que la nausée la prit sous l’amertume du gâchis qui refluait à sa gorge. Beau résultat que de jouer l’apprentie sorcière.

Vivement, elle décrocha ses mirettes des méandres de l’eau pour chercher refuge dans le tableau bien présent qui s’offrait à son regard. Antoine poussant sur ses petites jambes potelées pour se mettre debout sous le regard émerveillé de son père. Il n’y avait besoin de rien de plus pour la rendre heureuse et chasser les échecs passés. Les doigts bruns se serrèrent furtivement sur la nuque féline. Alphonse. Magicien, ou un peu sorcier, quand si blessé lui-même, si insaisissable, il avait pourtant été le seul à lui faire oublier le sens du mot abandon. Pour elle, mais aussi pour cette petite bouille au sourire sans cesse joyeux et choyé. Qu’importait ce qui attendait la garde Royale au détour d’une embuscade, son fils, toujours, serait aimé. Cette certitude n’avait simplement pas de prix.


Lentement, alors que les spectres ressuscités d’une parole malheureuse s’effaçaient déjà de son esprit, la Casas répondit, emprisonnant son fils d’un regard débordant de tendresse, Ils ne sont jamais plus beaux que lorsque qu’ils grandissent sous nos yeux…

A qui parlait-elle ? A elle-même, certainement.

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Alphonse_tabouret
Encore que je vous concède qu'il est toujours plus beau que les autres quand c'est à sa mère qu'il ressemble...

Le sourire du chat s’étira sur son museau tendu, accusant, l’œil égayé, le coup de bâton qu’il attendait en retour à son badinage orgueilleux, étonnamment satisfait que la pellicule méfiante recouvrant gestes et regards allant de l’une à l’autre, n’estompe cette saugrenue légèreté qu’Anaon et lui avaient pour l’heure, choisir de s’offrir à chacune de leurs rencontres.

Ils ne sont jamais plus beaux que lorsque qu’ils grandissent sous nos yeux…, répondit en écho la gitane quand ses doigts pressaient doucement sa nuque, ramenant à son timbre le spectre trouble planant perpétuellement au-dessus de la tête d’Axelle, car si Antoine avait pansé bien des plaies, il en rouvrait fatalement d’autres, somme tout simplement, enfant qui, en grandissant, amenaient aux tempes maternelles la furie de questions sans réponses, orphelin de ces sœurs dont il ne saurait certainement jamais rien, portant, dans la candeur d’un regard noir, l’ombre de ses ainées.

Vous n’y connaissez rien, trancha la voix nonchalante du Chat, enroulant chaque syllabe d’une morgue poussée, à la poursuite de ce chemin où l’une offrait la blancheur de son sourire à défaut du factice né de ses cicatrices, tendant à l’autre l’une des nombreuses provocations dont il usait pour l’extirper de ces mélancolies fiévreuses dont il la savait capable, mère amputée, torturée, au deuil constant de son abandon
Ne visait il pas à assouvir cette angoisse sourde qui avait germé au ventre femelle dès lors qu’il avait annoncé son intention prochaine de prendre une épouse pour achever de peindre la façade de la respectabilité qu’il devait à son fils, ce mariage accepté à la faveur d’une averse guyennaise ? Simulacre d’amour quand ces deux-là s’aimaient au-delà des sentiments qu’ils réservaient, animaux boiteux, à ces Autres qui leur empoignaient le cœur et l’âme jusqu’à leur faire perdre le souffle, le pacte de ce mariage révélait un besoin plus concret que tous les autres, et laisserait Antoine grandir avec la mère qui l’avait mis au monde. Il eut bien sûr été sot de croire le faune généreux jusqu’à conclure un contrat duquel il n’aurait retiré aucun bénéfice, et s’il offrait un fils à la danseuse, il ne perdait pas de vue, méthodique créature dont le silence était le sel même de ses actes, l’insensé atout d’une complice à ses amours sélénites.

C’est mon portrait craché, poursuivit il, haussant les sourcils d’un air magistral en contemplant l’enfant qui s’enthousiasma de l’expression et partit d’un grand éclat de rire comme pour le contredire, lui, ce père dont on avait tant de mal à délier la gorge même sous le sceau de la spontanéité. Quoi que, je dois bien avouer qu’il ressemble plus à sa mère lorsqu’il tempête et qu’il râle…, rajouta-t-il en lançant une œillade amusé à la brune gitane avant d’opposer un regard catégorique à Anaon, les lèvres policées d’une teinte amusée.
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Anaon


      A la voix de la gitane, les azurites se relèvent sur son minois tanné. Instant incisif. Le regard s'affûte, se questionne et soupçonne. Alors qu'il sait pourtant qu'il n'en est rien... La sicaire contemple la mère, comme si ses traits pouvaient lui avouer qu'elle a fait preuve là d'une clairvoyance volontaire. Perspicacité mesquine. Les lèvres se rehaussent d'un subtile sourire en coin, comme on sourirait à un adversaire qui vient de vous briser deux dents pour reconnaître avec fairplay la justesse de son crochet. Non, la Bohémienne ne peut en rien savoir. Bien sûr que non... Mais la situation prête tout de même à sourire.

    Deux piques qu'elles viennent de se planter dans les reins inconsciemment. Claques involontaires distribuées avec un doigté pourtant indéniable. Des lames dans les mots, léchant malencontreusement les âmes où elles éventrent un lambeau de souvenir. La balafrée ne témoigne pourtant d'aucune mélancolie, d'aucun remord, ni nostalgie, plus fermée à cet instant-là qu'un Krak de Templiers. Il n'y a qu'un regard luisant qui se dérobe, trouvant avec une acuité bien vite voilée les traits du comptable désinvolte.

    Ce sourire qui se fait toujours plus ombre que concret sur ses lèvres s'adoucit. Nouveaux éclats enfantins, qui ont toujours le don de donner vie même aux tombeaux les plus esseulés. La balafrée se penche un peu, plongeant le bout de ses doigts dans la chaleur tendre du bain.

    _ En ce qui concerne son physique, je veux bien croire que ce petit bout-là possède en effet quelques-uns des attributs paternels...

    L'aînée agite ses phalanges, faisant clapoter l'onde, avant d'envoyer avec précaution une petite gerbe dans la direction du bambin, guettant sa réaction.

    _ … Mais ceux-là, je crains bien qu'ils ne se situent pas sur son visage !

    Courbe gaillarde vissée aux lèvres.

    _ Vous avez déjà le beau rôle d'apprendre les bêtises et les quatre cents coups derrière le dos d'une mère qui se rongent les sangs. Alors toute de même, laissez-lui au moins le luxe de la ressemblance ! Un petit peu, hein...

    Tout de même ! Maman se farcit les langes et les crises d'angoisse en tout genre, la hanche qui ferait pâlir de jalousie une génisse en gestation et une poitrine qui ne désenfle pas - encore un ravissement pour papa - alors offrons-lui donc alors un peu de réconfort. Pitié pour ces pauvres âmes !

    Sourire toujours présent quand elle réprimande faussement Alphonse comme elle le ferait avec un Sabaude tout penaud. Être mère a aussi tendance à donner des rides, une chose qui n'est pas spécifiée dans le mode d'emploi. La faute à un visage qui prend bien vite la manie de se froisser continuellement dans des expressions inquiètes ou bien grondeuses. Et ce n'est pas l'Anaon qui prouvera le contraire. Si le temps lui fait la grâce de prendre plus discrètement possession de son visage que ne le fait la fatigue, elle n'en a pas moins une remarquable ride du lion perpétuellement gravée sur sa trombine. Et celle-là, ce ne sont pas ses amants qui lui ont burinée.

    Décidément, être mère, ça ne rajeunit pas !


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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Alphonse_tabouret
Le sourire s’accentua, effilé d’un savoir que la sicaire ne possédait pas sur le couple atypique de parents que la gitane et le comptable formaient, mais irrémédiablement peint de la satisfaction à avoir agité suffisamment le bâton sous le nez d’Anaon pour la voir le saisir et le lui rendre sans aucune hésitation.
Des langes, il cédait volontiers tout le mérite à Pernette, silhouette matrone qui veillait la plus part du temps sur les faits et gestes d’Antoine, mais des journées rythmées au souffle du bambin, il était le garant le plus régulier, en charge du précieux fardeau dès qu’il ouvrait un œil. Le choix avait été fait sans l’ombre d’une hésitation, et si Axelle vibrait d’un amour inconditionnel pour cet enfant, c’était la somme de ses responsabilités engagées auprès de la Garde Royale et la facilité des moyens déployés par l’exigeante maitresse parisienne qui avait amené le Chat à avoir la garde de l’enfant.

Les yeux noirs d’Antoine s’accaparèrent l’onde poussée à lui jusqu’à tendre des bras désireux vers cet orteil magicien qui amenait l’eau à perler dans un clapotement prometteur, esquissant une idée absurde et pourtant froidement logique à l’esprit méticuleux du jeune homme. Devin, pour quelques secondes, transcendé par le savoir et les suspicions, accusant avant même qu’il n’esquisse les moindres gestes, le poids du regard gitan qui ne manquerait pas de lui mordre la nuque avec cette sauvagerie maternelle, le félin choisit de marcher à même la lave du chemin entraperçu. Ce fut d’abord un basculement, perceptible mais léger, amenant l’enfant à se rapprocher de la proie qui le narguait dans un gazouillis enthousiaste, la main potelée réclamant avec cette emphase que seuls les enfants savaient jouer sans qu’on s’en offusque, jusqu’à ce qu’aux bras tendus du père, la distance soir résorbée et l’un des orteils capturé dans un cri aigu de victoire, finissant d’étendre le sourire du comptable.
Malhabile malgré cette force insensée que les bambins manifestaient dès lors qu’ils trouvaient à s’approprier leur proie, Antoine lâcha prise au hasard d’un geste saccadé, remontant un regard épais vers Anaon en babillant avec une volubilité concernée qui acheva de brouiller le calme revenu aux échos de la salle d’eau.
Le pied du faune s’aventura alors sur l’humus aquatique qu’il avait choisi d’honorer, et, le corps pivotant dans l’onde chaude, cessa de contempler l’hériter pour cueillir le visage de l’Ainée.

Voulez-vous bien ? demanda-t-il en relevant l’épice sombre de la malice dans les azurs de la sicaire, privant volontairement la demande du vocable le plus essentiel en lui tendant l’enfant sans même attendre un quelconque acquiescement, pliant de force Axelle à son choix quand il savait pourtant toute la difficulté qu’elle avait à voir son fils confié à des bras qu’elle ne connaissait pas, cruel fiancé qui avait sur le bout de la langue, la certitude que seul Antoine saurait combler l’étrange fossé de ressemblances qu’elles se renvoyaient l’une l’autre.
Sans plus s’attarder à l’ovale de la brune quand il aurait pourtant aimer, avide gourmand de ces fugitives transparences de l’âme et de l’expression, déchiffrer jusqu’à cette ride du Lion qui ceignait son front d’un message soucieux, il se releva, délesté du poids de l’enfant, corps nu ruisselant d’eau sans la moindre once de pudeur pour venir troubler l’attitude nonchalante offerte en pâture au courroux gitan ou à la stupéfaction Anaonne , s’appuyant au rebord du bassin pour s’en extirper et faire quelques pas vers les niches abritant serviettes et draps de bain.
Les secondes suivantes, si elles ne lui appartenaient plus, plongeant en face à face les deux mondes derrière lui, résonnèrent encore du son de sa voix, filigrane offert à l’attention des mères amputées pour ne pas laisser les mondes se disloquer. Au cœur de l’Aphrodite, peu de choses échappaient au comptable, et celles qui ne se soumettaient pas à son horizon étaient, sitôt découvertes, étudiées jusqu’à les décortiquer. D’Anaon il ne savait pas grand-chose si ce n’était les armes aiguisées qu’elle déposait à l’entrée du lupanar à chacune de ses visites dont Hubert lui tenait la liste avec cette rigueur intéressée et enthousiaste des amateurs, l’addiction mesurée qui appartenait à une noirceur dont elle ne se cachait pas mais qu’elle prenait soin de ne pas lui soumettre au fil des respirations avinées des soirées communes, et l’indéniable tendresse que le Vicomte lui portait… Joyau d’ombres aux éclats surprenants, voilà ce qu’était Anaon aux yeux du chat, et s’il ignorait bien des choses, les indices essaimés par l’homme de main quant à l’emploi des lames dont il se portait garant et l’instinct conquis de l’animal, enveloppaient méticuleusement chacune des décisions qu’il lui consacrait au risque de sortir de l’habituel sentier de méfiance qu’il arpentait.

Où travaillez-vous, en ce moment, Anaon ?, demanda-t-il-en prenant le temps de déplier d’un geste le tissu pour le passer en pagne, exécutant un demi-tour sur lui-même pour plonger au regard charbonneux de la gitane quand il parlait pourtant à la sicaire, délayant dans les prunelles noires, l’exactitude du message porté dans le geste.

Vois Ballerina, la confiance que je lui prête.
Regarde ses mouvements, la façon dont elle le tient, la tendresse de ses mains effilées, l’aurore de cette douceur au sourire figé à sa chair…
Chasse ces ténèbres de tes tempes, regarde et demande-toi pourquoi je n’ai pas peur…

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Axelle
Les badinages se poursuivaient, se chamaillant l’esprit le plus cabotin sous couvert de ressemblances et autres prérogatives tour à tour maternelles ou paternelles. Petite lutte enfantine sous le regard joyeux d’un marmot et du sourire effilé d’une gitane oubliant de compter les points quand pourtant il y aurait eu fort à faire tant les deux protagonistes semblaient prendre plaisir à s’envoyer dans les cordes ouatées d’une entente évidente. Elle aurait pu s’en offusquer, la danseuse, de voir le Chat jouer avec une autre pelote dont la laine lui était inconnue, et pourtant, n’arrivait qu’à se réjouir de le voir à ce point serein quand elle connaissait ses tourments. Et si elle semait de ci de là quelques bougonnements en réponse aux coups de patte de velours d’Alphonse, ce n’était au final que pour démontrer combien Antoine pouvait s’enorgueillir d’avoir hérité d’une éloquence ronchonne toute maternelle.

Piètre démonstration de ses talents néanmoins, quand l’ambiance à présent apaisée ne semblait guère vouloir donner sa chance à une démonstration plus argumentée. Mais le Chat, têtu à vouloir le dernier mot, ne semblait, lui, guère enclin à laisser trop de quiétude s’installer. Ni son fils d’ailleurs qui, soudain portrait craché, se pencha vers la statue grecque pour s’amuser d’un bout d’orteil. Ainsi donc, père et fils se liguaient dans une complicité mimétique jusqu’aux mouvements des corps se suivant dans un ballet bien orchestré sous les traits gitans se figeant derechef. Mais bien que marchant dans les pas de son père, le fils avait encore bien à apprendre avant d’égaler l’audace paternelle, et impuissante et médusée, la mère ne put qu’assister au scandaleux échange, se tendant quand les bras se déployaient. Gémissant quand la question purement protocolaire fendit l’air étouffé d’un éclair lumineux d’angoisse.

NON !


L’aurait-elle crié que le Chat n’aurait pas mieux entendu la supplique pourtant coincée au fond de la gorge gitane, Axelle en aurait mit sa main au feu. Et pourtant, affreusement nonchalant, le félin s’étirait dans toute la désinvolture de sa nudité, ne répondant à la conjuration que de quelques gouttes d'eau éclatant sur le carrelage.

Comment oses-tu, fichu Chat ? Faut-il donc que je t’échaude pour que tu méfies de l’eau froide ? La colère révoltée éclata d’un geste brusque alors que la gitane se redressait comme une furie, les yeux noirs empoignant la petite silhouette qui lui était dérobée comme si d’un simple regard, elle pouvait le tirer de ces griffes inconnues. Et dans le sursaut, d’un bras trop preste, renversa la besace, éparpillant sur le sol mouillé fusains, sanguines ébauches de croquis dans la plus grande indifférence bohémienne.

D’une lenteur accablante d’incompréhension et de colère, les prunelles aiguisées remontèrent vers l’agitateur, pleines d’une flopée de reproches que jamais elle n’avait servis à l’insensé fiancé. Je me contrefous de la tendresse de ses mains Alphonse. Je me contrefous de ce que tu as en en tête Tabouret. Je me contrefous de qui elle est. Si je n’avais une telle foi, une telle confiance en toi, je t’arracherai les yeux, et les siens avec, pour ce que tu fais sous les miens. Reprends mon fils, ou je le fais moi-même !

Tremblante, Axelle savait pourtant au plus profond d’elle que jamais, Alphonse, ne grifferait sa fêlure la plus douloureuse et nerveuse par simple plaisir sadique de voir la souris s’agiter inutilement, quand en lui confiant la garde d’Antoine, avait signé sa confiance pleine et entière à l’encre cramoisie. Les sourcils se froissèrent d’incompréhension, adoucissant furtivement les braises noires.

A quoi joues-tu Alphonse ? Et surtout, avec laquelle de nous deux quand tu sais que je ne suis pas prête pour ces jeux là?

Mais sans attendre de réponse, les prunelles de charbon revinrent surveiller le petit corps potelé prisonnier de mains que n’avaient qu’une seule mais écrasante tare: ne pas être les siennes.

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Anaon


      Au cœur des prunelles, s'anime l'expression rare des intérêts trouvés. Toute concentrée à sa contemplation, sans feinte ni fard, elle, qui se barde si souvent de l'indifférence, non par fierté, mais parce que rien n'attise son esprit las et désabusé. Les azurites brillent d'un éclat tout neuf, à l'image de ce simple bambin qui s'amuse. Et alors que la sicaire juge qu'il est temps de laisser la famille à l'intimité qui lui est nécessaire, Alphonse crève la distance d'une manière étonnante. Elle n'a guère le temps de se surprendre que …

    « Voulez-vous bien ? »


    … la question fuse sans attendre de réponse. Plus par réflexe que consentement, les mains empoignent le petit corps sous les bras, le tenant suspendu au-dessus de l'eau. Incrédule. Effrayée. Pensées court-cicuitées tournées sur le comptable qui s'éloigne. Il s'en va ? Les azurites éberluées restent rivées sur les épaules d'Alphonse, le dos ruisselant et... la tête se tourne avec pudeur avant que la nudité complète de l'homme n'apparaisse. Les prunelles se perdent une infime seconde sur les moirages de l'eau, avant que les bras dans une étreinte machinale ne ramène l'enfant sur ses cuisses dans une posture plus confortable. Et le visage poupin soudain si proche appelle à lui les insondables prunelles.

    Affront de curiosités. Les bleus de la mercenaire se mirent dans les orbes ardoises grandes ouvertes, et l'Anaon se fait une nouvelle fois la réflexion que des prunelles d'un jais aussi parfait, on en rencontre bien rarement parmi les regards de la foule. Moue d'une innocence scrutatrice chez le petit, innombrables et innommables pensées qui défilent dans les miroirs de la sicaire. Parce qu'elle sait, elle lève la main à hauteur du visage candide, offrant ses doigts aux réflexes enfantins qui sont toujours de les saisir. Quelques infimes petites secondes d'expectatives, ou la mercenaire se soustrait au prévisible maternel.

    La tête pourtant revient bien vite au visage de la gitane, au fracas étouffé des vélins répandus, et les traits de l'aînée se creusent à nouveau de désarroi. Les prunelles vont de la frustration de la mère à l'alcôve où a disparu Alphonse. D'Alphonse aux courroux de la bohémienne. L'Anaon se sent désemparée, coupable d'un sacrilège qu'elle n'a pas voulu commettre. Immobile, sous le regard-louve de la femme tendue comme la corde d'une arbalète prête à claquer. Elle sait ce sentiment, elle le connait, ce harpon dans l'estomac. L'Angoisse. C'est une morsure sèche. Une giclée froide et gelée. Acide. Elle le sait, parce qu'elle-même ne sait pas, dans quels bras son fils se lovent, ni combien, ni où, ni quand. S'ils sont bons pour lui ou pas. Elle ne sait rien, ou tellement peu. Et la seule chose qu'elle peut faire pour s'apaiser, c'est de se dire qu'il y sera toujours plus en sécurité que dans les siens. Bien plus tard, elle expérimentera elle-même les limites de la confiance, quand un soir en Anjou, elle confiera le petit Amadeus aux soins de Sabaude, qui n'aura pour seule et unique mission que de le coucher. Dix minutes. Elle ne tiendra que dix minutes à peine, angoissée, le nez collé à la fenêtre, avant de céder à son besoin obsessionnel de s'assurer elle-même du bon soin de sa progéniture. Elle a foi en Sabaude... mais il y a des séquelles qui vous empêchent à vie de faire à nouveau confiance, aveuglément.

    Prise entre le marteau et l'enclume, de ne savoir s'il faut s'en référer au consentement pantomime d'Alphonse ou la fureur visible d'une mère, la mercenaire se cloître dans un silence parfait jusqu'à ce que comptable ne la force à ouvrir le bec.

    _ Où je travaille ?


    Les azurites reviennent à l'enfant, qui trouve un intérêt certain à sa main, et le bras dans sa prise sur le petit Antoine se pare de la douceur de l'assurance et des gestes innés.

    _ Je travaille où l'on veut de moi ou de mes lames. Lorsque l'on ne m'emploie pas, je trouve le moyen d'arrondir ma bourse en travaillant dans les écuries souvent... Mais pour le moment... Mes journées sont assez tranquilles.


    Mercenaire. Il n'y a pas besoin de le dire, à sa dégaine le message est claire. Alphonse vend des corps pour le plaisir. Elle vend le sien pour servir d'arme. L'une chair à soupir, l'autre chair à souffrir. Sicaire, c'est cependant un mot qu'elle ne prononce jamais. Il n'y a que les sots qui se vantent d'être assassins. Ces mêmes imbéciles qui finiront plus tôt que tard ballottant au bout d'une corde. Elle laisse aux putains l'art de la petite mort. Celle qu'elle offre sans jamais faillir ne s'affuble d'aucune taille.

    Au contact du bambin, étrangement lénifiant, les traits de la balafrée se détendent. Parlant encore, elle glisse calmement dans le bassin, trempant à moitié le drap qui la recouvre.

    _ J'ai souvent travaillé auprès de nobles jouvencelles. Préceptrice au Louvre. Chaperon. Maitre d'équitation ou d'arme. J'escorte même les culs-bénis sur les routes mal-famées du Royaume. Encore que Paris est la ville qui parvient le mieux à me nourrir.


    Parce que Paris est la ville de tous les crimes.
    Elle s'est avancée dans le bassin, prunelles toujours rivées sur le petit bonhomme tenu contre son sein. Les menottes minuscules ayant trouvé la longue et fine tresse qui lui pend sur l'épaule parfaite pour servir de nouvel objet d'investigation. Et un nouveau sourire, de ceux qui n'auraient jamais dû s'échapper de ses pensées, lui ourle les lèvres. Tendre. Nostalgique. Décidément maternel.

    L'Anaon s'arrête au pied de la gitane, sans qu'une œillade ne dérive du visage de l'enfant qui la fascine. Et c'est sans un mot, qu'elle tourne un peu le buste et dégage l'épaule, dans une posture significative.
    Voilà, Mère... Met fin à ton supplice.

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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Alphonse_tabouret
Avait-il jamais caché la froide logique dont il était capable, asservi la gitane à des mots doux pour l’enferrer plus avant dans une quelconque manigance ? Avait-il une seule fois, toléré la compromission dès lors qu’il argumentait à l’ombre opaque de ses certitudes ? S’il se réservait, éduquée et cruelle créature, le loisir de choisir le velours quand on attendait de lui les crocs, Alphonse menait chacune de ses batailles au terme qu’il avait distingué, non point pour le plaisir de la victoire, mais mû par la satiété qu’offraient les preuves indélébiles jalonnant les mondes s’entrechoquant au son de ses procédés.
Le regard noir de la gitane poignarda chaque repli de l’âme boiteuse sans qu’il ne s’autorise le moindre regret, au calme d’une conviction qui ne se dérobait plus tandis que sur le carrelage, vélins et fusains se rependaient en une tache bigarrée, éparpillant les esquisses et les visages volés à l’ombre qui empoignait Axelle depuis un an déjà. Impassible, le comptable n’esquissa pas un geste, et contrôla sans mal l’élan naturel le poussant à apporter son aide au fatras déversé, statue dont l’immobilisme avait tout de la rigueur quand il servait, aux horizons embrumés de la gitane, la conviction qu’Axelle n’avait besoin ni de lui, ni des autres, pour apprivoiser les ténèbres qui l’engloutissaient. Si la Casas avait parfois, essaimé à sa peau, des besoins de tendresses, elle ne gardait pas moins, farouche créature , l’insensée fierté de l’indépendance qui avait façonné son chemin durant ses dernières années et cela, jamais le chat ne se serait permis d’y toucher, fasciné tout autant que séduit par ce caractère rocailleux qui encensait l’air à chaque pas qu’elle faisait, dut il entrainer la chute.
Ce qu’il avait offert à Axelle, au fil des mois partagés, de ces années qui désormais se pavaient sous leurs pieds, se mesurait à l’aube de démonstrations tour à tour volages, violentes, et définitives, et si elles avaient parfois blessé plus que de raison, jamais l’une d’elles ne s’était permis la gratuité ; Axelle valait bien mieux que le joug de ses pensées. Immanquablement, c’était sur un nouveau chemin que le Fauve entrainait la silhouette du Coquelicot, lui désignant les esquifs pour la laisser libre d’y plonger ou d’y fracasser les grammages de sa conscience femme, de s’y opposer ou de s’y fondre, nourrissant l’étincelle sans jamais chercher à la ployer.

Au jeu des ressemblances, Ballerine, voilà à quoi je joue…
Ne vous trouves-tu pas les mêmes affres dans la prunelle ? La même inquiétude qui serpente aux nerfs et fait résonner l’angoisse jusqu’au regard? La même douceur étouffée par vos propres soins, curieuse et pourtant presque de trop dans le face à face ?
Qu’est ce qui te fait mère, Axelle? Lui ou tes craintes ?
Combien te faut-il de certitudes dans ce monde qui ne t’en offre aucune pour te sentir légitime, enfin ?
Il viendra un jour où il marchera, un autre où il courra, et encore un autre où il nous échappera fatalement. Ne l’avons-nous pas expérimenté nous-même, ce chemin-là ? Ne veux-tu pas l’entamer en sa compagnie plutôt que lui attacher ce fil d’amour vicié de peurs à la patte ?


La voix d’Anaon creva le silence épaissi, ramenant le regard du chat sur le corps de l’Ainée, Antoine à l’ovale d’un bras qui savait, qui tenait le corps potelé de l’enfant sans s’embarrasser d’une hésitation quelconque, mère absolument, privée plus qu’elle ne l’aurait souhaité encore plus certainement, et s’il se laissa porter par les traits irrémédiablement adoucis de la mercenaire, l’oreille, elle, restait aux aguets d’une histoire qui se dévoilait enfin , tant dans les mots que dans les gestes.

Où est-elle, ta progéniture, Anaon, quand elle n’est pas lovée au chaud de ton cœur, à l’abri des lames et des cicatrices ?
Est-elle morte, abandonnée, confiée à d’autres, ces insupportables autres qui ont la plus importante des missions sans peut-être même en peser la torture que cela t’inflige ?
Pèse-t-elle plus lourdement par son absence ou par son existence ?
Jusqu’où ressembles-tu à celle qui te fait face ?


L’eau ondula doucement tandis qu’Anaon y posait le pied, imbibant le tissu blanc la recouvrant, l’alourdissant jusqu’à épouser discrètement les courbes jamais dévoilées, l’œil mâle les détaillant avec curiosité sans s’en cacher jusqu’à remarquer la fine tresse emprisonnée par la main d’Antoine et le sourire répondant à l’investigation enfantine qui acheva d’ancrer aux tempes brunes le résultat qu’attendait sa logique quand ses sens avaient œuvré à une toute autre toile.
Anaon avait une raison de vivre et c’était là, toute la question qu’il s’était posé depuis leur première rencontre. Transie d’ombres, défigurée, méfiante, dangereuse et à cet instant ci, bercée par le simple babillement d’un enfant qui n’était pas le sien… Le deuil n’étirait la nostalgie que pour la muer en une douleur vibrante, impossible à étouffer, qu’elle dure une seconde ou une vie, et les maux perçus çà et là, ecchymoses d’âme affleurant à la peau blanche, s’enhardissaient aux courbes d’un enfant vivant. Les morts eux, ne s’embarrassaient pas d’attendrir les plis de la bouche quelle que soit la tendresse avec laquelle ils avaient pu l’embrasser ; ils les figeaient en une grimace muette ou les faisaient trembler jusqu’au baume salvateur du coma, ne desserrant leurs griffes qu’une fois le vertige consommé et délaissé aux méandres des paradis artificiels.

Je voudrais de vous, reprit il au fil d’un sourire presqu’indicible en reprenant la formulation de la sicaire quand elle achevait sa lente course devant la gitane, proposant dans une pudeur ourlée de compréhension, l’enfant aux bras de sa mère. Quelques récents évènements me poussent ces derniers temps à laisser Hubert plus souvent que de coutume en faction à la Maison Basse, et j’aurais possiblement besoin de vos services pour certains trajets d’affaire intra-muros dans Paris… poursuivit il en achevant de nouer le drap de bain à sa taille, retrouvant d’un pas lent, la bordure du bassin.
Depuis l’expérience de la geôle un an plus tôt, Alphonse gardait à vif une plaie que personne n’arrivait à épancher, et s’il avait retrouvé le gout des escapades solitaires au fil d’une assurance délayée par Sabaude lors de leurs entrainements, il n’en demeurait pas moins, lovée en lui, la terreur quasi insurmontable du vide né aux couches les plus ensablées lors de sa séquestration. Il aurait pu embaucher n’importe quel titan, n’importe quel mercenaire aux muscles décorés des rixes qui auraient fait sa réputation, mais ce n’était pas là ce que le comptable cherchait avec cette frénésie appliqué du supplicié… L’animal voulait quelqu’un ayant à cœur le gout de vivre, de revenir, une arme capable de réflexion et d’instincts guerriers tout autant que de survie, quelqu’un qui connaissait le gout de l’anesthésie pour en combattre le gel… Anaon.

Cent écus par excursion et une libre entrée aux bains selon vos envies…, conclut-il en retrouvant le tracé d’un sourire faune sur ses lèvres, se refusant d’abandonner les fragrances espiègles qui embaumaient leurs rencontres, attaché à proposer la légèreté quand il avait serti de plomb chacune d’elle, laissant les prunelles noires rejoindre la silhouette gitane.

Si elle te l’a ramené, elle me ramènera aussi…

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Axelle
Les poings serrés à s’en faire craquer les doigts, elle tenait bon la gitane, malgré la difficulté à retenir ses mots, malgré l’âpreté à contenir ses gestes, par simple respect envers un Chat qui, bien que récitant par cœur ce caractère hérissé d’épines, osait lui présenter un être assez fin pour se faufiler sous la carapace féline. Témoignage de confiance contre un autre, cette dernière ne pouvait fatalement que déborder et dégouliner sur la femme prise entre deux feux.

Aurait-elle eu la tête aux analogies, qu’Axelle aurait souri de contempler une autre qu’elle même assise entre deux chaises. Mais ce recul nécessaire à la clairvoyance, la Casas épinglée à une voyelle tatouée au creux de sa main n’avait pas la sagesse de l’atteindre. Tout ce qu’elle guettait était cette silhouette, glissant sur l’onde, son fils niché entre les bras. Et s’il y eu un miracle ce jour, ce fut qu’elle ne se jette pas à l’eau alors qu’Antoine planait, inconscient des enjeux qui se tramaient autour de la seule petite tête brune, au dessus d’une onde si dangereuse pour un petit être si fragile. Le cœur en sursis, à la femme qui la libérait de ses chaines insensées, aucun regard noir ne s’offrit. Médiocre peintre, incapable encore de lire la claudication sur ce visage couturé, tant la sienne, si jumelle, l’aveuglait. Elle n’abandonna que le murmure d’un soupir soulagé qui rongeait l’air en reprenant l’offrande sienne. Au diable l’encre des croquis se diffusant sur l’humidité du carrelage pour ne laisser sur les vélins que des contours diffus. Au diable le pigment des sanguines se délayant en petites flaques ocrées. Au diable tout quand enfin, à pleins poumons, elle respirait le parfum de la peau enfantine, le nez enfoui dans le petit cou potelé, les yeux fermés malgré le minuscule corps se trémoussant sous la chatouille involontaire. Droguée en manque, la Casas prenait sa dose lénifiante, l’enroulant de ses bras bruns sans plus la moindre empreinte de pudeur. Malade peut-être, convalescente sans aucun doute, grâce accordée par un père et un fils. Le Très Haut et tous ses saints pouvaient bien aller se rhabiller. A chacun son Credo. Amen.

Dans un sourire d’une tendresse effarante en caressant la joue adorée du revers d’une main rêveuse, les mirettes noires, enfin rassasiées d’une soif qui ne serait étanchée que pour quelques heures, se relevèrent vers l’audacieux Chat.

Il est encore trop tôt Alphonse. Trop tôt pour moi. Trop tôt pour cela. Trop tôt pour elle. Laisse-moi juste te poser une question, une seule. Saurais-tu, toi qui m’as tant appris, tant sauvée, saurais-tu vivre plus habilement que moi si tu étais privé de lui ?

Mais la tête brune bascula, couvant d’un regard attendri tout autant que songeur le visage poupon qui, assagi, se posait aussi léger qu’une plume duveteuse sur son sein en jouant d’un petit index tendu avec une boucle noire. Si la gitane étouffait une peur, le Chat en ressuscitait une autre. Profonde et noire, dont il gardait les stigmates aux creux des poignets. Les prunelles de charbon se refermèrent, autorisant furtivement la vision du visage émacié et brulant de fièvre d’Alphonse à louvoyer sous les paupières fines, nauséeuse au souvenir de ces marques cruelles et vicieuses essaimées à sa peau. Lui, pourtant, avait eu le courage de se redresser et d’arpenter à nouveau les rues parisiennes. Des séquelles invisibles, la Casas demeurait incapable d’en mesurer l’ampleur, n’offrant, à tort ou à raison, que la pudeur d’un silence en guise de baume.

Pudeur et discrétion sans faille, épinglées par les minutes qui défilaient comme une gourde qui goutte, la contraignirent à se relever, à se priver de cette chaleur resplendissante lovée à son flanc pour la déposer entre les mains de son père. Peut-être finalement, que d’angoisse, il n’y en avait qu’une. Celle de répéter, encore et encore, la valse des abandons, même pour quelques heures, façonnée qu’elle était par cette certitude lancinante d’être incapable d’être de ces mères dévouées à la seule respiration de leur enfant. Comme sa mère avant elle l’avait été en la laissant aux mains noires du géniteur Casas contre une poignée de pièces de cuivre et un couteau. Atavisme implacable.

D’ici quelques minutes, l’appel du départ retentirait dans la cour du Louvre, et juchée sur cette jument improbable, la Garde Royale vendrait sa concentration et son bras à un autre visage. De gestes curieusement posés et indifférents, les vélins regagnèrent l’ombre de la besace et les boucles des bottes cliquetèrent sous les doigts appliqués. Anaon dirait oui à la proposition, Axelle en aurait mis sa main au feu. Qui pouvait répondre non Alphonse ? Personne. La Gitane était fort bien placée pour le savoir. Alors autant les laisser à cette discussion où elle se sentait intruse à son tour quand Alphonse gagnerait sa sécurité.


J’dois filer glissa-t-elle furtivement, attentive à ne pas briser la proposition. Une main posée sur le torse nu, les lèvres carmines dérobèrent le souffle félin avant de se poser délicatement sur le front couvé. Et sans se retourner, s’éloigna lançant un volubile Lacho Drom*. Pourtant les pas qui s’appliquaient à l’aisance ralentirent. Certainement plus sonnée par cet interlude qu’elle ne voulait bien l’admettre, la Casas, une main posée sur un pilier finement carrelé, rompit la dérobade. La tête pivota, lentement, offrant aux baigneurs un profil aux paupières basses.

Anaon, si ça vous chante d’venir au mariage, m’est d’avis qu’Antoine aimerait jouer avec vot’natte.


Nulle réponse ne fut attendue, car nulle réponse n’était à donner. Et redressant le menton, comme l’exigeait l’uniforme volontaire de lui rappeler ses obligations, ou simplement comme le dictait le sang fougueux et fier glissant dans ses veines, la gitane disparut dans les vapeurs parfumées de l’étuve.

Alors qu'elle vous ramène tous les deux. Toujours.

* expression romanie signifiant « bonne route ».

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Anaon


      Ses bras se sont allégés du petit poids ôté. Transfert ouaté, où les prunelles ont veillé jusqu'à ce que l'étreinte de la mère se soit assuré autour du fragile petit être. L'attention a brièvement glissé sur les feuillets déversés sur l'humide des carreaux. Des courbes et des ombres diluées, images d'une réminiscence qui sonne étrange dans l’esprit de la mercenaire. Durant quelques secondes, l’œil connaisseur se perd sur les visages volés à la réalité, se délitant dans l'eau comme des souvenirs aux creux des tempes. Ils lui rappellent qu'elle-même n'a plus touché un fusain pour croquer depuis bien longtemps. Sa plume ou sa mine ont gratté de nombreuses fois, mais pour emprisonner dans les fibres les arcanes de l'Humain, au grès des nuits secrètes où elle faisait livrer aux corps les secrets de leur entrailles, à la manière d'un Vésale ou d'un Vinci qui révolutionnera le monde. Ébaucher le froid et le trépassé. Mais le vivant... Il n'a plus intéressé ses sanguines depuis trop longtemps.

    La sicaire s'arrache mollement à cette contemplation, qui lui rend la gitane plus intrigante encore, osant une œillade vague à la madone et l'enfant. Avant de reculer, sans plus les observer. Éviter le sacrilège de violer leur moment. Comme si à en flétrir la pudeur d'un regard, elle en gâterait jusqu'à l'essence même. Il est des intimités qu'il ne faut pas écailler... L'oreille est vouée aux paroles d'Alphonse, surprise de la tournure de la discussion. Pourtant, elle ne se retourne pas, continuant ses pas pour les arrêter à l'endroit même où elle a pénétré l'onde, offrant seulement là, son profil et son regard intrigué.

    Professionnelle méticuleuse, la balafrée se laisse aller aux considérations réflexes. Le calcul des avantages, de tout ce que cela incombe. Jouer de badinage quand on parle de travail lui est une chose impensable, tant cela est capitale pour elle, au-delà même de ce que tous imaginent. Chez l'Anaon, une pensée en voile forcément une autre. La spontanéité est rare. Tout est bien souvent intérêts cachés. Au montant énoncé, les prunelles se targuent d’étonnement et d'une aiguille de cupidité. Tabouret serait-il à ce point généreux ? Ou homme suffisamment fin pour savoir parler le bon langage de l'argent ? Et alors que les lèvres couturées inspirent pour livrer les mots, elles se referment au mouvement de la gitane. La comprenant sur le départ, la mercenaire n'écorne ses derniers instants d'aucune parole, suivant respectueusement ses gestes de ses yeux bleus.

    Elle ne saurait donner de mot sur cette rencontre... Pavée d'étrange sans doute, et qui fera sens, elle le sait, si elle vient à recroiser un jour la mère. Les événements font résonner leur ampleur quand ils se font souvenirs, dans un après coup inévitable, quand réflexion se laisse aller à son analyse finale. Comme un marquage au fer rouge. Sur le coup on ne ressent bien que la douleur. Ce n'est qu'une fois calmer que l'on peut contempler pleinement l'empreinte laissée et le sens des déliés. L'Anaon sait, que ces moments vaporeux, suspendus d'intrigues et de tendresses étranges, ne manqueront pas de titiller sa conscience.

    "Anaon, si ça vous chante d’venir au mariage, m’est d’avis qu’Antoine aimerait jouer avec vot’natte"

    Les sourcils se redressent vaguement à l'encontre de la silhouette éloignée. Inattendu. Déroutant. A cette époque, le mot « mariage » est encore pour l'Anaon comme un écarteur entre ses côtes. Un vandale de blessure. Sadique lui plongeant les deux mains dans les béances sanglantes qu'elle cherche à refermer. Ainsi, la balafrée pince légèrement les lèvres, sans répondre, sans saisir non plus l'intention latente de cette invitation. Silence demeure. Axelle s'échappe. Et l'Anaon demeure figée.

      Nébuleuse...

    Là. Ce sera le mot de cette rencontre. Et le portrait de la gitane gravée à sa mémoire.

    Secondes s'emperlent sur le fil qui s'étire et retient la sicaire immobile. Les azurites se détournent enfin de la porte refermée pour effleurer l'onde dont elle songe à sortir. Un sourire soudain lui tire mollement un coin de bouche dans une auto-dérision pragmatique. Voilà qu'elle s'est immergée jusqu'à mi-corps. Dans un drap blanc. Ainsi alourdi d'une parfaite transparence. Voilà qui est bien con ma fille... Au pire, on ne verra tout de même rien de son dos. Pour le reste... on dira que Tabouret est un chanceux. L'aînée inspire, étirant pour mieux ranger ensuite son sourire et se hisse sur le bord du bassin.

    _ Vous savez parler aux femmes Alphonse.


    Elle retrouve sa hauteur sur ses deux pieds, face à l'eau. Ses doigts décollent le linge ruisselant qui lui colle aux jambes, rassemblant un pan qu'elle remonte un brin pour le tordre dans ses mains. Les azurites contemplent les clapotis qui dérangent la surface lisse du bain.

    _ Vous êtes tellement convaincant que vous me coupez tout envie de négocier. Vous êtes en ce domaine mon Exception.

    Les prunelles remontent alors pour se river dans les orbes perçantes du comptable.

    Tu vois bien Alphonse. Tu vois loin. Tu aimes à dépecer le feuillet des âmes et à en creuser les secrets. Mais tu ne vois bien que la cime de mes icebergs. Cette progéniture que tu devines, imagines, analyses de part mes gestes, n'est qu'un coup de plus dans cette chair déjà entaillée jusqu'à la moelle. Une blessure n'en est pas moins dure d'être la centième du lot. On arrive juste à se féliciter de se rendre compte qu'elle est moins pire que la précédente.

    J'ai abandonné mes envies de mères pour Lui. J'ai renoncé pour qu'Il vive, qu'Il grandisse, même si c'est par l'amour d'une autre et sous la sécurité d'un autre. Je me suis sacrifiée. Je veux bien n'être rien. Étrangère, Inconnue, Monstre et Infâme. Qu'importe l’Anathème dont on peut couvrir mes choix et mes gestes. Mes enfants sont mes seuls juges, et l'on fait tout pour qu'ils vivent heureux.

    Mais du reste que crois-tu voir, savoir ? De ce Pire. De ce Tout. Il te faudrait ouvrir des tombes que je ne te laisserai pas profaner. Ou il te faudra être plus qu'un esprit agile et un œil perspicace. A tes risques et périls. Coupe-moi trois doigts sur l'une de mes mains. Il m'en restera encore largement assez pour compter ceux qui connaissent mes pires fragments.

    Azurites se détachent. Les doigts pressent encore, du mieux qu'ils peuvent, libérant un mince filet d'eau. L'Anaon a pitié pour ces petites mains qui viendront éponger ses flaques. Puis elle se retourne, pinçant un instant le drap pour le décoller de ses hanches, le laissant les épouser à nouveau au premier de ses pas. Puis c'est à l'entrée de l'alcôve où elle s'est prélassée qu'elle s'arrête à nouveau, regardant Alphonse.

    _ Je serai votre femme. Du moins pour ce travail...

    Et de disparaître derrière son paravent.

    Je te ramènerai. Je ne perds bien que ceux que j'Aime.

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Alphonse_tabouret
La porte se referma derrière la gitane, ramenant à son chiffre premier l’étrange réunion qui se déroulait dans la salle d’eau, Antoine gardant le regard vers sa mère disparue quand son père ramenait le sien sur la mercenaire dont la translucide silhouette s’était immobilisée au bord du bassin. L’œil mâle contempla, dans un réflexe instinctif, l’érotique pudeur née des contradictions sans la moindre arrière-pensée, amateur éclairé des belles choses sans pour autant en ressentir le besoin de la possession, remarquant, tandis qu’elle finissait de se hisser sur le rebord, la fleur d’une cicatrice sur l’un de ses mollets.

_ Vous savez parler aux femmes Alphonse. Le bruit du filet d’eau tressé attira l’attention de l’enfant qui tourna la tête vers Anaon concentrant désormais les prunelles jumelées du chat et de sa portée sur elle. Vous êtes tellement convaincant que vous me coupez tout envie de négocier. Vous êtes en ce domaine mon Exception.

Pour en être un utilisateur précautionneux, Alphonse ne croyait pas en la loyauté spontanée, et s’il s’attachait à rendre les conditions de vie des uns et des autres aussi larges que possibles dans le ventre clos de la déesse, il savait qu’il n’en restait pas moins un supérieur, entité obscure qui marquait à elle seule le fossé creusé entre les tranches de la population évoluant dans les coulisses du lupanar. L'unique façon d’assoir avec certitude que chacun était acquis aux secrets ronronnant de l’Aphrodite était de s’assurer qu’il y aurait trop à perdre pour l’envisager sérieusement ; l’argent achevait de sceller ce que les bons traitements avaient fait germer. Si les catins gardaient l’intégralité de leurs recettes, les membres du personnel, eux, touchaient une somme replète chaque semaine, investissement qui, une fois qu’il portait ses fruits, n’avait plus de prix et cimentait autour du bordel, l’épaisseur de ses murs.
Tous les trajets qu’Anaon ferait à ses côtés ne vaudraient pas la centaine d’écus dépensés, la plus part même, ne mériterait qu’une attention prudente, mais tous vaudraient le prix du silence, et les fragrances de la loyauté à l’employeur méritant, car si les affinités reliant l’Ainée et le Cadet se dessinaient au fil des rencontres, le pacte proposé ne vivait qu’aux lois du professionnalisme. De leurs moments passés ensembles, Anaon disposait du verbe qu’elle souhaitait à l’oreille qu’elle jugeait digne de l’entendre, mais dès lors qu’il s’agirait de payer le temps commun, la discrétion et les mots étendus à la faveur de réunions nocturnes scelleraient un pacte neuf tintant au bruit confortable d’une centaine d’écus.
De quelques pas, la mercenaire rejoignit père et fils, achevant de clore par les mots, la réponse espérée au fil d’un regard bleu, grave, précédant la sentence:

_ Je serai votre femme. Du moins pour ce travail...

L’enfant s’agita brièvement en voyant Anaon rejoindre l’intimité de l’alcôve, quand l’œil du Chat saisissait avec l’étincelle d’une fascination déplacée, l’ombre d’un stigmate entraperçu au travers des cheveux bruns, entrelacs qu’il ne sut reconnaitre mais qui accapara ses tempes assez longtemps pour que son immobilisme n’agace Antoine qui le ramena à l’ordre des priorités d’un éternuement.
Machinalement, il déposa l’enfant sur l’un des vastes rebords au-dessus desquels étaient installés les draps de bain, en déployant un pour y envelopper son bâtard, les gestes au fil des automatismes liés à ces heures qu’ils partageaient fréquemment tous les deux, l’esprit soumis aux griffes minutieuses d’une introspective visant à déterminer ce qui avait pu laisser telle trace sur l’épaule femelle, regrettant au fil d’une hypnose morbide, de n’avoir pu plonger au dessin tout entier pour en décrypter le sens. Bredouille, conscient du temps qui s’étirait dans un silence inhabituel pour leurs involontaires rendes vous, l’animal pencha la tête vers le paravent les séparant, reprenant dans ses bras son fils tout en renouant les mots :

Auriez-vous quelques instants pour passer à mon bureau ? Pour un employé appliqué tout autant qu’ordonné, mettre une signature en bas de page d’un contrat semblait tout indiqué pour clore la discussion entamée. Nous serons seuls…, rajouta-t-il au fil d’un sourire adressé au poupon qui observait avec une gravité toute paternelle, la pose à laquelle on l’avait soumis dans le drap de bain sans esquisser le moindre mouvement. Je crains qu’Antoine n'ait d'autres projets en tête, conclut il en regardant les paupières de héritier battre avec une lenteur assoupie avant de bailler un faible babillement
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Anaon


      Le drap mouillé choit et les mains en saisissent un sec posé dans l'une des niches. Dans le silence qui les enveloppe alors, la sicaire prend le temps de sécher sa peau trempée, pensées vagues qui se remettent calmement des surprises de ces bains imprévus. L'étoffe détrempée est à nouveau serrée au-dessus du petit bassin, puis consciencieusement, la balafrée plie les draps qu'elle dépose sur le rebord à la vue des petites gens invisibles qui se feront fées du logis. Un regard parcoure la dentelle de flasques et de jarres qu'elle s'est tissée autour de son bain. Maniaque alors, elle les range précieusement à leur place initiale. Respect, politesse et surtout réflexe professionnel de ne pas vouloir abandonner de traces, quand elle aurait pu se payer le luxe de laisser les autres passer derrière elle. Couvrant sa tâche méticuleuse, la voix d'Alphonse plane à nouveau.

    _ Je ne suis pas femme pressée.

    Assentiment. La balafrée se détourne des percées à nouveau pleines de leurs trésors, pour s'arrêter devant le miroir et contempler quelques instants sa silhouette drapée du seul voile parfumé des huiles éthérées. Le nez goûte à l'odeur de la peau sur son poignet. Une mine satisfaite. Ravie. Elle a beau être sicaire, elle est avant tout femme, et elle se laisse aller au ravissement simple de se savoir choyée et bien sur elle. Coquetteries banales qui ont l'art de mettre du baume à l'âme. Nul homme dans son lit ce soir pour profiter du satin d'un teint et de la volupté d'un parfum. Mais qu'importe. Il est des délices que l'on savoure bien égoïste.

    Ses doigts s'enroulent autour de ses affaires, et lentement l'effeuillée se referme à nouveau de sa corolle de cuir.

    _ Quant aux « seuls »... sachez que la présence... d'Antoine n'a en rien été dérangeante. Bien au contraire. Tout comme celle de vôtre... enflammée fiancée.

    Enflammée. Il est prétention d'insinuer connaître en quelques instants. Et pourtant, si elle a vu bien peu d'Axelle, la mercenaire l'imagine assurément caractérielle. Parce que pour elle, la hargne et l'insoumission sont le propre des gitans. Et parce que là est ce qu'elle a cru voir affleurer au rythme des échanges et des silences maternels. « L'habit ne fait pas le moine » dit-on. Ce diction est tellement imparfait et inexacte. On apprend bien souvent plus à observer qu'à demander.

    Les bottes sont jetées sur ses épaules dans le soin de ne pas salir le dallage comme à son arrivée. La balafrée s'extirpe alors de son alcôve quand ses doigts referment une à une les attaches de son gilet. Plantée devant le père et le fils, ses cheveux frisant doucement d'être encore mouillés, un vague sourire paraît au coin des lèvres à voir l'enfant enroulé dans son drap comme une petite chenille. Les azurites parcoure de haut en bas la stature de l'adonis. Et les mains se tendent doucement vers l'enfant, dans une proposition.

    _ Vous n'êtes absolument pas laid à regarder, Alphonse... Mais peut-être aimeriez-vous vêtir ?

    Un sourcil amusé se rehausse. Après tout, ils sont dans un lupanar. Elle ne serait pas tant choquée de voir le comptable se trimbaler à demi nu dans les couloirs. Si n'est plus qu'à demi...

    _ Et voilà deux fois que j'ai l'heur de vous contempler quasiment dévêtu. Dois-je craindre pour le salut de mon âme la fois prochaine et commencer à me confesser ?

    Reprenons un instant le badinage. Le sérieux reviendra bien vite sous l'estampille d'une signature.

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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Alphonse_tabouret
Les mots montaient par-delà le paravent, déroulant la suite d’une conversation qui semblait presque ne connaitre nulle interruption malgré les mois passants, étirant sur les lèvres mâles, l’aube d’un sourire amusé à l’évocation embrasée de la gitane, poussée à bout par un fiancé à ce point certain de ses choix qu’il délivrait les chemins sans la cohorte d’explication méthodiques qu’un meilleur pédagogue aurait certainement égrené. Axelle lui en voudrait peut-être, mais s’il attendait une répartie de la danseuse, il savait aussi qu’elle prendrait le temps, aux contreforts d’une solitude qu’elle armait fébrilement depuis longtemps, de penser à chaque geste, chaque regard et chaque ressenti, poussant les voiles les plus évidents pour discerner enfin l’improbable route qu’avait indiqué le geste insupportable qui avait quelques instants, lié l’Ainée et le chaton.

Anaon réapparut enfin, trop vêtue au goût de l’animal dont la légèreté des draps et la transparence de l’eau gagnaient bien plus les faveurs que le matelassé sobre du gilet et l’ourlet impeccable des braies noires cerclant de nouveau le fuselage des jambes mercenaires, attardant un regard sur le père et le fils sans que l’un et l‘autre n’esquisse le moindre geste, parfaites statues aux yeux noirs et à la peau laiteuse, trônant dans l’allée dallée du bassin principal à la manière de sphinx nonchalants, jusqu’à cette coupole de main tendue vers eux.

_ Vous n'êtes absolument pas laid à regarder, Alphonse... Mais peut-être aimeriez-vous vêtir ?
Et voilà deux fois que j'ai l'heur de vous contempler quasiment dévêtu. Dois-je craindre pour le salut de mon âme la fois prochaine et commencer à me confesser ?


Voilà le genre de propos que j’aime à prendre comme autant d’invitations à la récidive qu’à la surenchère, Anaon, lui confia-t-il dans un sourire désinvolte, charmeur certainement mais plus encore espiègle en posant aux bras proposés, l’enfant dont les traits s’ourlaient d’un sommeil à venir . Je vous emmènerai moi-même à confesse si cela ne tient qu’à ça, ponctua-t-il en quittant le visage poupon des yeux pour s’arrimer brièvement aux céruléens de la sicaire quand un index s’attardait encore sur la joue enfantine.
A côté de l’onde assagie, ne trônaient que les braies abandonnées, Chat ayant quitté le lit pour cueillir son bâtard à même les bras d’une soubrette et rejoint la Salle des Bains sans songer à s’habiller plus chaudement, animal dont la pudeur ne s’embarrassait jamais de la chair, lovée bien plus loin, à l’ombre flétrie du monstre sommeillant en lui. Quelques pas suffirent à le rapprocher de l’étoffe, qu’il attrapa pour la passer sans pour autant dénouer la serviette autour de ses hanches, conscient que la provocation ne valait que dans la subtilité de ses laisser-aller pour ne point dénaturer son effet jusqu’à l’outrance nauséeuse des plus emportés. S’il écornait volontiers les frontières offertes en guise de lisières à son propre monde pour en sonder la perceptibilité, Alphonse n’en demeurait pas moins attentif aux signes, même silencieux, que semaient les autres ; la tête tournée d’Anaon lorsqu’il avait quitté l’onde ne lui avait pas échappé et s’il aurait taquiné n’importe quelle donzelle à cette occasion, il éprouvait l’envie d’apprivoiser l’Ainée au-delà de celle de lui plaire, remisant les crocs pour d’autres occasions. Anaon était une belle femme, il eut été imbécile tout autant que ridicule de l’ignorer sous prétexte qu’elle choisissait de ne pas en jouer comme d’autres.

La porte de la salle bailla discrètement, laissant apparaitre le visage d’Hubert dont le soulagement à ne rien déranger se lut avec une facilité déconcertante sur les traits secs, car s’il avait pris soin de poser l’oreille au panneau de bois pour être certain de n’interrompre aucun ébat, la Maison Haute était trop colorée pour ses appétits simples. Il lui avait fallu quelques temps pour se faire à cet étrange Patron venu du jour au lendemain reprendre cette affaire à la mort de son précédent propriétaire et s’il avait fini par s’attacher au jeune homme malgré ses manières trop propres, sa façon courtoise de vouvoyer le personnel et son gout des amours sélénites, il n’en demeurait pas moins d’une bigoterie somme toute admirable pour quiconque travaillait au sein même d’un bordel ; chaque fois qu’il passait le pas de la petite maison nichée dans les ruelles parisiennes en bord de Seine qu’il habitait, Hubert embrassait sa femme, ses enfants, et touchait la tête de la petite figurine de Christos qu’il avait ramené d’un voyage en Bourgogne.

Votre livraison est arrivée, expliqua-t-il sommairement en risquant un œil sur la silhouette femelle ayant la garde d’Antoine. Ils veulent une signature, conclut-il quand le comptable hochait simplement la tête en guise d’assentiment, renvoyant le messager sans un mot supplémentaire.

Voulez-vous bien être mes mains quelques instants encore ?, demanda-t-il à la mercenaire en l’invitant à suivre ses pas jusqu’à la Maison Basse, délaissant le drap humide dans l’un des paniers déposés à l’entrée, et achevant de relacer ses braies en descendant la première marche des escaliers, un frisson remontant le long de son échine au choc de le peau rafraichie par la sortie du bain et d' un courant d’air frais serpentant des portes ouvertes de l’entrée.
Je n’en aurai pas pour longtemps, lui assura-t-il en achevant sa descente, lui indiquant au bout d’un petit boyau, l’unique porte visible dont les entrelacs discrets du bois nervuraient des quelques arabesques la couleur claire d’un chêne. Prenez vos aises, je vous rejoins dans quelques minutes, conclut-il au fil d’un sourire avant de disparaitre à l’angle du couloir, ignorant encore que c’était justement dans son bureau qu’avait été entreposée la marchandise attendue, quatre robes rouges de riche facture, chacune posée sur un valet de nuit pour en apprécier convenablement le drapé ou l’étalage de broderies complexes et voyantes, variant les cols hauts, courts, l’une d’elle ayant même l’audace d’un décolleté plongeant particulièrement audacieux.
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