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[RP] Dis-moi Tout....

Anaon
    « Je vous souhaite de trouver le bonheur, Naon »
      - Sabaude -


      *

      Paris expire un air bien étrange ainsi emmitouflée dans ses habits d'hiver. Enchâssée dans son gel qui se sent du bout d'une narine gelée et de doigts ankylosés. La présence prégnante de son froid s'entrecoupe parfois de la chaude odeur de marrons qui s'échappe par l'interstice d'une fenêtre ou du fumet brulé du crachat des cheminées. Les bouches de pierres déploient des rubans tantôt pâles tantôt fuligineux sur l'épaisseur blanche du ciel, semblant parfois gonfler la mer de coton qui surplombe Paris ou l'assombrir de leur salissure. Le céruléen s'est fait lilial. Et la ville entière s'est drapée d'un percale blanc d'où émerge parfois ces quelques impressions de chaleur.

    Elle souffle sur le bout de ses doigts un paquet de buée brulante. L'humide chaleur qui s'y forme est bien éphémère. Les mains se lovent immédiatement dans leurs gants de cuir souple. Cette année l'hiver s'est aiguisé de crocs glacials, forçant même l'amoureuse des grands froids à se couvrir la peau. Dans deux petits jours, la ville se mettra en émoi pour quelque heures de fêtes, et l'Anaon frôle déjà le dépavé sur lequel ils ont choisi de danser. Venue accompagnée, c'est pourtant seule qu'elle se permet un instant d'errance dans la capitale statufiée.

    Paris a toujours revêtu une image singulière à ses yeux. Celle du paradoxe, de la plus haute richesse mangeant à la même table que la misère la plus abjecte. Deux contraires côtoyant la même fange que forme leur royaume. Mais Paris aujourd'hui s'est nimbée de plus étrange encore. Celle de la froidure qui a rogné l'arrêtes de ces antipodes pour les coucher sous le même décor. La Seine a couvert sans discrimination les berges de la Cité et ses rives disparates de son haleine changée en verglas. Notre-Dame a couronné ses statues et ceint ses pinacles d'une corolle de frimas, et Miracles a ornementé ses pignons et ses fissures d'une kyrielle de stalactite. La sicaire trouverait même à la Cour un charme presque élégant. L'hiver se cristallise à tous les coins de rues. Le givre a réussi à couvrir de virginal le brouet infâme de ces coupes-gorges.

    La fine pellicule craque sous ses bottes. Miracle semble calme ainsi pétrifiée, presque désertée, mais la mercenaire, pas naïve, ne la sait que plus dangereuse encore. Le froid creuse la faim dans l'estomac du loup. Et une bête affamée est une bête téméraire. Si la Camarde hiémale a emporté dans sa froidure les plus faibles, elle a rendu les vaillants plus hardis encore. Et pourtant, dans ce tableau d'une langueur spécieuse, la balafrée semble ne pas se troubler. Sous le calme absolu, la prudence coule à même ses veines, mais c'est sous la barrière de son crâne que le flegme s'abîme le plus de pensées agitées.

    Les azurites cheminent sur les masures enclavées dans le froid, leurs lézardes pareilles à des gelures. Dans le défiler de portes et de venelles, il y en a une que les pupilles acérées cherchent en particulier. Repère d'une rumeur. Réputation que l'on murmure à la discrétion de quelques confidences. Un boyau se découpe comme une plaie dans l'alignement des murs. Les pas s'y engouffrent. On dit qu'elle saura lui dire tout ce qu'elle veut savoir. On dit qu'elle saura effacer ses doutes et ébranler ses certitudes. On dit qu'elle ne tient pas que de l'humain et l'Anaon veut bien le croire. Et c'est par ces « on-dit » que la balafrée se retrouve par un jour mordant de décembre à figer ses bottes devant une petite porte qu'on ne trouverait pas si on ne la savait là. Les iris d'un bleu sombres glissent sur les quelques petites marches défoncées qui plongent du niveau de la rue, donnant au battant en contre-bas des allures d'entrée de catacombes. La fine membrane de neige n'a pas bénit les marches, protégées par un petit auvent couvert d'un tissu aux teintes passées. L'Anaon reste silencieuse en analysant l'ensemble, une main enserrant l'autre, dans un réflexe de protection parfaitement inconscient. Chiromancienne, tireuse de cartes, liseuse de runes. On dit de celle qui se trouve-là qu'elle a bien des savoirs qui forgent chez la sicaire un mélange de méfiance et de curiosité.

    La balafrée reste un instant immobile face à cette porte si lourde de sens. Quelques flocons orphelins viennent s'écraser sur le cuir de ses bottes et parsemer le brun de ses cheveux. Puis la résolution définitivement prise, ses pas descendent les quelques marches pour s'ouvrir l'antre de l'Omnisciente.


Musique : "Premier Flocon", d'Ez3kiel
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         © Images : Eve Ventrue & Vincent Munier - Anaon se prononce "Anaonne"
Lousa
      Les Miracles.


    *

    Un infâme râtelier ajouré duquel les âmes défavorisées se font ingurgiter, broyer puis recracher avec indifférence. Les toits bistre mendient l'obole ivoirine en provenance d'un ciel frileux métamorphosant la noirceur en balafre livide. A l'aube, les découvertes macabres se dénombrent par centaines, des victimes de la rudesse brumale ou d'un échange un peu trop brutal. Une mince couche de givre revête les corps inanimés, l'hiver est au choix une gorgone de glace ou un vieillard à la semblance exsangue et l’œil vitreux. Son linceul de cendres enneigées recouvre des sculptures bien sinistres. La rouerie des gens de basse exaction se muselle en des soupirs taiseux, les cris plaintifs se font susurres, les corps malingres se dissimulent dans des forteresses de laine. N'empêchant aucunement les engelures aux orteils gémissants, dans leurs chausses désœuvrées, et les doigts de bleuir malgré les exhalations successives.

    Paris, la ville mère décatie nourrit à ses mamelles pendantes une engeance près de Saint-Denis. Y sévissent des faciès ravagés, aux rosacées purpurines propres aux ivrognes, les genoux cagneux trempent au sein de ce brouet de sang, et de foutre. Les pognes se tendent péniblement au dessus de crânes échelés dans l'espoir de s'attirer les bonnes grâces des bourgeois et nobles de passage. Et de passage, ils le sont tous. D'aucuns graveront leurs prénoms mal orthographiés au tronc d'un chêne tortueux, des signes de ralliement envahissent les fondations des plus austères édifices de cette cité. Autant de preuves, de marques, de reliques de ces existences mornes et sans intérêts. Les défunts bourrent les galeries souterraines en d'innombrables charniers, ces anonymes servent ainsi à en être les supports, les piliers d'une terre viciée. En somme, la mort leur a enfin trouvé une utilité.

    Suite aux allées et venues les pavés difformes s'imbibent de boue traçant, sans le vouloir, un itinéraire menant à une venelle singulière. Un étroit couloir surplombé de masures délabrées. Les murs zébrés à divers endroits se rapprochent au fur et à mesure se jouant d'une rétine flouée par l'effet de perspective. Les pas s'égarent naturellement aux pieds d'une tanière obscure. Où le lichen envahit les marches glissantes et craquelées les affublant d'un aspect verdâtre. Au dessus de la modeste lourde, le dais distendu a fané au fil des années. Il claque parfois lorsque le vent s'engouffre dans les ruelles. Un bruit caractéristique retentit surtout lorsque la porte s'ouvre sur cet autre-monde, la chaleur happe la clientèle au sein de ce cocon feutré. Une couleur dominante lèche les pupilles envoûtées par ce rouge apaisant. La pièce vétuste se surcharge de babioles d’étain ciselé aux motifs exotiques. Seule la réverbération de l'âtre les fait reluire rappelant les contes du génie et de la lampe. L'un guettant l'autre sans jamais s'y frotter.

    Au milieu des coussins une jeune femme à la peau chocolatée se délasse, d'une pigmentation similaire, sa chevelure attachée libère de fines mèches indociles. Ses quinquets céruléens ne manquent jamais de dévisager les entrants. Tandis que les figures circulaires ornant sa tenue bleu nuit, teintée de jaune pâle, ont tendance à intriguer. Ainsi vêtue, on pourrait la croire issue d'un milieu aisé mais le lieu prouve tout le contraire. Voici ici toutes ses possessions transmissent de main en main depuis des générations.

    Inquisitrices, les prunelles enquêtent sur les origines de l'étrangère. Les membres endormis se délient nonchalamment jusqu'à s’enorgueillir des plus beaux gestes. Lentement, l'affalée prend une posture roide présentant la table où s'entassent pêle-mêle cartes, aiguilles et encens. Sans davantage de cérémonie, bouclant la bienséance dans un tiroir poussiéreux, la chiromancienne, la faiseuse d'enfants et diseuse de bonne aventure s'apprête à offrir ses services. Les mots ne sortiront de sa bouche qu'après ceux de son interlocutrice. Charlatanisme ou don divinatoire à ne pas courroucer, le pouvoir a des coutumes à respecter au risque de devenir capricieux.



    L'antre de l'Omnisciente.
Anaon
    « Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir. »
      - Alfred de Musset -


      La porte s'entrouvre sur un clinquant résonant dans l'interstice, figeant un instant sous la surprise le geste de la femme. Les prunelles cherchent furtivement dans la rainure ouverte la cause de ce tintement avant de pousser en grand le battant par lequel elle se faufile. D'un élan plus sec, la sicaire coupe court à l'assaut d'Hiver et la dégringolade soudaine de ses troupes glaciales sur le seuil de la porte. Les azurites se fondent un instant dans la minuscule lucarne qui perce le panneau et dont le verre trop épais ne laisse filtrer qu'une faiblesse blanche de la lueur extérieure. Les dernières volutes de froids s'enroulent à ses chevilles avant de se diluer dans l'ouate chaleureuse qui étoupe l'ambiance de la pièce et attire ses prunelles.

    Le regard balaye d'une courbe le sol pour s'arrimer au clair-obscur qui se moire dans la pénombre. Des arrêtes luisantes découpent des formes disparates contre les murs et l'amoncellement insoupçonné de la pièce, tailladant dans le noir des corps et des visages dont les pupilles lisses semblent luire d'un éclat roussâtre. Les statuettes de métal prennent des allures de gardiens fourbes tapis dans les ombres, à l'affût de leurs regards flambants et inquisiteurs, flanqués d'une armada de symboles inconnus brillant sous les pupilles ignorantes par leur mystère absolu. L'œil dévie sur l'âtre mouvant crachant des escarbilles. La gueule nimbée d'or exhale ses lueurs mordorées qui rehausse le sanglant doucereux qui drape ces pénates.

    Le décor pris en compte, l'attention se scelle enfin sur le corps alangui dans un écrin de coussins. Il a la peau de ces ambrés venus d'ailleurs. Et des étoffes aux motifs qu'ici on ne voit pas. Le halo igné repeint avec un certain étonnement des traits bien jeunes, là où les cobalts les imaginaient creusés de sillons et de ravages du temps. Un rappel la lance à la base de son crâne. Stigmate psychologique. L'Anaon se souvient amèrement combien il ne faut pas se fier à l'âge affiché par ces créatures. Il fut un temps bien loin où elle avait donné en aumône une miche de pain à une mendiante racornie par les âges et le froid de l'hiver pesant sur ses épaules. Prise de pitié pour cette silhouette qu'elle croyait si décatie, elle avait cru au visage affaissé et à cette main noueuse. Et elle avait failli en payer chèrement le prix.

    Sorcières.

    Il ne faut point croire de ce qu'elles montrent, et c'est dans une crainte révérencieuse que la sicaire étouffe ses jugements quant à l'apparence de la sibylle.

    La main restée ancrée sur la courbure de la serrure se détache enfin quand le corps cède au mouvement. Les pas précautionneux pénètrent un peu plus le cœur de la divinatrice. Les petits yeux vibrants des gardes d'étain semblent la suivre, nouant dans la nuque mercenaire un embryon de crispation. La balafrée ploie avec lenteur devant la table basse, faisant grincer mollement le cuir de ses bottes et les pans de son manteau s'affaissant sous son poids. L'abysse sombre de ses pupilles ne quittent pas le visage sibyllin qui lui est maintenant tout proche, pensées écornées par une inquiétude muette. Celle que l'on a patinée dehors de l'aura de ceux qui ne craignent rien ne fait ici figure d'aucune provocation face à ces forces qui la surpassent. Une effluve capiteuse se calfeutre dans ses narines. Les azurites frôlent un instant la table de leur intérêt, sillonnant sur le défilé d'aiguille et remontant la tige grisâtre d'un bâton à encens. Une main calme, animant de gestes ce corps qui se refuse d'ouvrir la bouche, dégrafe son col de fourrure dont elle a soigneusement voilée la fibule taillée à l'effigie de l'aigle bicéphale. Elle défait lentement les fermetures de son manteau pour extraire de ses profondeurs une petite bourse découpée dans un tissu grossier. L'objet est abandonné sur la table, laissant paraître l'entrechoc feutré du métal qui claque dans ses entrailles. La sicaire se plie aux règles implicites dans une docilité guidée par la méfiance absolue.

    Nouvelle latence. L'Anaon contemple le visage de l'Augure, laissant les questions et les suspicions craintives s'agglutiner entre ses tempes. Une main commence à dépouiller l'autre de son gant. La dénudée recueille le cuir pour déposséder sa jumelle à son tour. Puis elles restent en suspend, au-dessus de la table, ne sachant de quels arcanes la divinatrice aura décidé de jouer. Et à la voix basse de la sicaire de percer l'ambiance insondable du lieu.

    _ Dis-moi... Si cette fois je garderai mon homme pour moi. Et pour moi seule...


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         © Images : Eve Ventrue & Vincent Munier - Anaon se prononce "Anaonne"
Lousa
    Les brimborions tapissent l'atmosphère d'une étonnante convivialité, une bulle cotonneuse cajolant ses hôtes d'une extrême délicatesse. Le flamboiement n'éblouit aucunement, il ravit autant l'esprit qu'il s'en empare. La pièce est une chrysalide onirique distrayant les pensées pernicieuses avec les jouets d'un avenir radieux. Malgré cela le velours d'une voix se déchire en oripeaux au moment où le verbe revendique ses droits. Sans raison particulière, les émotions de l'Omnisciente gravissent des monts, bivouaquent à flanc de cœur puis conquièrent la gorge nouée avant de faire jaillir mille larmes des sources oculaires. Ses yeux d'un bleu glacier fondent en un torrent incontrôlable, une sensation désagréable l'étreint. Comme si là, sur le seuil, se tenait l'annonce redoutée, celle d'un mauvais présage. Cette étonnante cliente, au sourire agrafé jusqu'aux oreilles, n'a émis qu'une parole et en voici la conséquence immédiate. La chiromancienne s'échine à en trouver une explication, sa boite crânienne bout d'une myriade de réflexions désordonnées.

    Elle se rue littéralement sur la table s'agrippant, presque avec rage, à ses outils divinatoires. Soupesant les osselets usés, instaurant le chaos au sein du royaume réglé des aiguilles, souillant ses doigts dans un poudrin farineux en quête d'une réponse. Son souffle ahanant se contient bon gré, mal gré afin de ne pas causer davantage d'effroi à sa convive. La révélation se dévoile à l'allure d'un cortège, les mains dégantées aboutissent entre celles de la devineresse. Ainsi l'index poursuit les lignes qui s'entrecroisent, se coupent la route et s'épousent. L'épiderme y ressent une frénésie assimilable à l'éruption d'une fourmilière. En outre de prédire, selon les individus, l'action produite procure parfois quelques frissons. Attentif, le regard pendule en va-et-vient tout en étant dupé par la lumière tamisée qui le berce lentement. Alors que la salive, transie de suspens, écume auprès de gencives grinçantes. Le nerf médian s'irrite légèrement à cause des agaceries qu'il subit depuis de courtes minutes tout en vibrant au rythme d'un palpitant lambin. Du moins on le suppose. Peut être que la pompe à lymphe s'excite, la nuée de cogitations bourdonne à l'intérieur de sa ruche neuronale et la hantise s'y installe.

    La source des mots se tarie. Voici une responsabilité écrasante que celle d'annoncer à une femme éprise, que l'existence est une rivière en crue. Le courant harcèle le soubassement des rives les entraînant toujours plus en avant. Vers une chute. Les méandres s'engorgent, envahissent leurs congénères et un destin que l'on croyait scellé se fait engloutir sous les eaux. L'Augure en a des mauvaises, elle préférerait se taire. Enfouir l'écrin perfide de la vérité sous le sable de son pays natal et en avaler la clé.

    Seulement, on la convoquait pour ouïr les promesses de Demain, alors son devoir était de les dépeindre en toute sincérité. Les couples se hasardent sur les berges ensoleillées puis se lézardent en querelles au premier orage avant de constater amèrement que leur relation s'écroule tel un glissement de terrain. La promptitude s'attarde, pour rétorquer les précautions sont d'usage. Elle extirpe donc d'un bout de tissu gris des cartes cornées qui, en ce moment précis, deviennent nécessité. Un avis différent, un argument supplémentaire à apporter. Une à une, elles sont posées contre le bois verni. Leurs illustrations grêlées personnifient la Mort, l'Amour, l'Amitié, des échecs, des réussites à venir. Puis d'un ton sec.


    Non.

    Négation cinglante, une gifle magistrale sur les joues gravées de cicatrices. Une réponse semblable à un coup dans le plexus, elle n'y peut rien. Un mensonge serait un bien plus grand mal. Les méthodes s'amoncellent. De nouveaux angles d'approche éclairent la diseuse de bonne aventure. Une quasi-prophétie résonne alors.

    D'une nuit passionnée à une aube claire,
    L'homme meurtri ira aux bras d'une inconnue
    S'abreuver des tentations de la chair,
    Jusqu'à ce qu'il en soit repu

Anaon
    "L’incertitude est le pire de tous les maux jusqu’au moment où la réalité vient nous faire regretter l’incertitude."
      -Alphonse Karr-


      Les pupilles s'arrondissent de stupeur face aux improbables tableaux qui se peignent sur le visage de cette inconnue. Une dégringolade d'émotions inexplicables qui laisse la sicaire dans une expectative fébrile. Qu'est-ce que cela... Les sourcils se froncent, mais aucun autre muscle ne bouge. L'Anaon se statufie, ne gardant de vivant que ses prunelles d'un bleu tranchant vibrant de troubles et de questionnements. La sibylle soudain se brise de gestes extatiques, brassant sous les prunelles attentives les entrailles d'un pouvoir que la sicaire ne connaît point. Les mouvements défilent et se saccadent, s'enchaînent avec une nervosité communicative. L'Anaon se fait spectatrice attentive, resserrant ses traits au fur et à mesure que la pression insidieuse qui s'est invitée lui pince la nuque. Ballet fiévreux de l'Augure. Là sont des choses que la balafrée devrait connaître... Ou du moins reconnaître bien moins vaguement qu'elle ne le fait maintenant. Cette femme de rien a plus d'histoire dans les gènes qu'on oserait le croire. A chaque pulsation, son cœur envoie dans ses veines un sang noble mêlé au brouet infâme et maculé de la cour des Miracles. L'esprit désinvolte se plaît bien souvent à oublier qu'une partie de son arbre généalogique a planté ses racines à même le bourbier de ces coupes-gorges. Lointain héritage de putains, de sorcières, de Roy de la vermine auto-proclamé... Combien de choses l'Anaon a-t-elle rejetées ?

    Silencieuse, la sicaire se perd un instant dans ces vagues pensées, constatant que les gestes nébuleux que l'Omniscence agitent sous yeux sont des choses qu'elle aurait sans doute pu apprendre. La réflexion se coupe quand ses mains échouent dans le joug de la divinatrice sans autre forme de procès. Le contact lui arrache un sursaut bref et étouffé. Les azurites couvrent un instant le visage ambré, avant de sillonner à son tour les lacis multiples qui gravent ses paumes. Peux-tu vraiment me répondre, sorcière, seulement en regardant mes mains ?

    La peau inconnue l'abandonne et dans l'attente, la mercenaire continue de décortiquer la logorrhée pantomime de la divinatrice. Des cartes s'alanguissent sous ses rétines perspicaces. Le Tarot. Là est une chose où la mercenaire a des notions. Et alors qu'elle cherche pudiquement elle-même à traduire la concordance étalée sur la table, la réponse tombe comme un couperet qui lui scie la nuque.

    Le myocarde loupe un douloureux battement.
    Les azurites se plantent dans leur homologues céruléens.

    Latence.

    Le regard glisse sur les cartes. L'oracle s'égraine. Un sang-froid colossal résorbe cette boule qui lui monte soudainement à la gorge. Attente. Immobilisme... qui lentement se délite. Un coude vient prendre appuie sur son genou replié, et les doigts maintiennent son menton et s'appliquent sur sa bouche. Les sourcils se serrent. Non... Elle n'a soudain plus envie de la croire. Ça ne souffre d'aucun doute. D'aucune échappatoire. D'aucun espoir. Elle se rappelle pourquoi elle n'a jamais fait appel à des cartomanciennes ou autres engeances de cette espèce... Parce qu'elle refuse l'idée de croire que tout est déjà écriset révolu. L'index frotte calmement sa joue. Et lentement, la sicaire s'hérisse d'une rébellion.

    Les prunelles se soulèvent des cartes pour se poser avec froideur sur la détentrice des fils de sa vie.

    _ Toi qui vois tout... Dis-moi, à quoi ressemble cet homme ?

    Le regard ne cille pas, ni la voix ne tremble. Dans cette provocation latente, l'Anaon en oublie ses craintes primaires quant aux pouvoirs de la sorcière. Oui, Sibylle, je mets en doute ta prescience... Jette-moi un sort pour me punir si cela te chante. Si ce que tu dis est vrai, tu accables déjà mon esprit d'une tumeur bien noire.

    _ Et ensuite.... tu me diras comment contrecarrer tes prédictions.

    Le Destin n'est pas un livre déjà écrit. Je ne me soumettrai pas à cette fatalité. Le destin nous échoie dès le premier jour de notre naissance. Mais il change. Il permute à chaque geste que nous faisons. C'est une myriade de possibilités, un amoncellement d'hypothèses qui se figent... Jusqu'à ce qu'elles soient chassées par d'autres vérités et éventualités. Magma permanent dans l'écheveau des Moires. Révéler l'avenir... C'est déjà l'altérer. Le connaître... c'est l'avoir en main.

    Je refuse de condamner mes pages. Je les écrirai de ma volonté. Mais parle, sorcière ! Dis-moi de quelle encre je vais devoir user.

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         © Images : Eve Ventrue & Vincent Munier - Anaon se prononce "Anaonne"
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