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[RP] Cache ta misère, mon pote

Equemont
Aux abords de l’abbaye de la Chaume, Equemont du Salar contemplait la nature se réveillant des songes nocturnes. Cette résurgence quotidienne était signe d’espoir pour ce monde. Toute mort avait sa résurrection. Cette conviction, le baron était allé la chercher en allant rencontrer le prieur de la Chaume. Une petite centaine de moines y travaillaient la terre avec acharnement, vouant leur vie au Très-Haut dans l’ombre du cloître. Cette vie devait être paisible d’apparence, mais probablement source de grands combats intérieurs. La discussion avait été à l’essentiel. L’homme de Dieu l’avait assuré de sa prière et de son soutien moral. Et en échange, le baron lui avait promis assistance et protection. Ainsi se scellait la première pierre de leur relation.

A peine remonté en selle, Equemont se concentra sur sa prochaine rencontre. Il avait fait demander un Maître tisserand pour refaire les teintures des appartements principaux. On lui avait conseillé, enfin plus précisément quelques voix averties de Tréguier, une certaine Alyx du Nordet. Il avait alors fait écrire à cette femme pour lui mander de venir prestement. Voici donc la teneur de ce message.


      Citation:
      De nous, Equemont du Salar, baron de Machecoul et chevalier du Cerbère
      A vous, Alyx du Nordet, Maître tisserand


      Salutations,

      Depuis Machikoul, j’ai ouï dire votre expertise. Aussi je vous y mande alors que nous sommes en grande campagne de rénovation. Venez et vous serez payée à la hauteur de votre travail. Il vous suffit de dépasser la Loire, de continuer vers le Sud pour entrer dans les terres de Retz.

      Faites-moi savoir par un billet si je puis compter sur vous.

      A galon,

      Equemont du Salar


En y repensant, Equemont aurait dû faire plusieurs appels pour obtenir le meilleur prix. Mais il n’était pas ainsi, préférant fonctionner par relations. Il n’avait aucune idée de celle qui allait se présenter devant lui et ressentit ce petit sentiment d’excitation qui précédait tout nouvelle rencontre. La pensée ainsi concentrée, ses yeux glissèrent avec lenteur et amour sur les terres de ses ancêtres. Assez reculées, ces marches entre le Poitou et la Bretagne, « le col de la marche » indiquaient cette petite hauteur par laquelle on pouvait prévoir l’attaque ennemie. Dans un premier temps, les seigneurs avaient construit un castelet champêtre. Pour des raisons militaires, on avait déplacé l’édifice pour mieux protéger la région. Le dernier épisode récent de la Guerre de Succession de Bretagne avait vu cet édifice être malmené et laissé à l’état de ruines. En recevant cette terres, où jadis ses propres pères régnaient, Equemont devait lui rendre son éclat premier.

Il fallait monter un peu pour passer un pont-levis. Mettant son cheval au pas, il héla le garde pour que ce dernier sache qu’il attendait une visite.


- « Tu la conduiras directement à la tour sans la faire patienter. » précisa-t-il toujours inquiet du manque d’initiative de ses sbires.

Sautant à terre, il remit les rênes à un palefrenier qui passait par là et s’engagea vers la tour principale, lieu des appartements privés. Quelques degrés à gravir et il serait dans ce petit espace agréable quoiqu’encore vide. Les serviteurs, probablement pour l’amadouer dans ses accès de rage, laissaient toujours un pichet de muscadet. S’en servant un verre, Equemont s’installa dans un bon fauteuil et se prit à observer la carte de ses projets. Nombreux étaient encore les travaux pour assainir certaines parties où les vilains mourraient à tour de bras.

Son front se ridant au fur et à mesure de sa pensée, il se l’avoua, il avait fini par les aimer ces gueux au cerveau rabougri. Il voulait les sortir de leur fange.
Il fallait en convenir, lorsqu’il était de bonne humeur, Equemont du Salar avait l’âme grande. C’est à dire une à deux fois par an…

_________________
Alyx
Quand on l’avait fait demander en tant que Maître-tisserande, Alyx du Nordet en avait été fort surprise. D’abord incrédule devant la requête du baron de Marchecoul, s’interrogeant sur les personnes l’ayant recommandées, elle avait fini par saisir cette opportunité et prendre la route vers les terres de Retz. Elle rédigea un court billet à l’intention du baron et le lui envoya au plus tôt.


Citation:


Messire Equemont du Salar, baron de Marchecoul et Chevalier du Cerbère

Demat,

J’ai bien reçu votre mandat de me présenter en votre demeure afin d’y travailler en tant que Maitre-tisserand. J’accepte votre proposition et m’engage à me mettre à la tâche dès mon arrivée en vos terres.

Veuillez accepter mes salutations les plus distinguées.

Alyx du Nordet, Maitre-tisserande






Suite à cette requête, il lui fallait retourner en Bretagne. Il n’y avait rien de tel dans les projets qu’Alyx avait élaborés, la femme voulant plutôt quitter cette région et ces gens. La fuite n’était certainement pas la solution mais elle ne connaissait rien d’autre pour soulager ce sentiment douloureux qui la brûlait. Cette fusion dangereuse de fierté écorchée, de vengeance et d’amour bafoué; sentiments qu’elle se devait de calmer avant d’en être complètement consumé.

Il lui fallait apaiser cette sourde colère avant de poser un geste quelconque qui allait avoir une incidence sur sa vie. N’avait-elle pas tout laissé tomber suite au mécontentement ressenti dans sa précédente vie normande ? N’avait-elle pas troqué une vie confortable et des fonctions prestigieuses pour celle d'une nomade qui ne lui convenait aucunement ? Fallait-il que la rousse soit orgueilleuse…

Elle se rendit donc sur les terres de Retz, suivant les indications du baron. La solitude de la route lui fit du bien, elle eut du temps pour réfléchir et tenta de redevenir pieuse en visitant toutes les églises qu’elle croisa en chemin. Son travail de maître-tisserande l’enthousiasmait et plus la distance s’amoindrissait entre elle et sa destination, plus elle était satisfaite d’avoir accepté de se mettre à l’ouvrage dans la demeure du baron de Marchecoul. Il n’avait rien de mieux que de s’occuper les mains et l’esprit afin de guérir le cœur. Enfin c’est ce qu’Alyx tentait désespérément de croire.

Au bout de quelques jours, elle fut aux portes du domaine. Avant de s’approcher des gardes, la rousse observa l’imposante demeure de pierres et les terres environnantes. Le lieu était majestueux et il tardait déjà à la tisserande de connaître les requêtes exactes du baron. Avait-il besoin de tapisseries pour en draper les murs de son château, de tenues d’apparats pour la Dame de son cœur ou encore de linges de maison ? Qu’importe la besogne, Alyx du Nordet pouvait le contenter car sa dextérité était notoire, sur les terres du Poitou comme en Normandie. Pour ce qui était de la Bretagne, c’était le moment parfait pour faire ses preuves.

Allant vers la vigie, elle demanda au garde :


Demat ! J’ai été mandé par le baron. Mon nom est Alyx du Nordet, Maitre-tisserande.

Dans l'attente d'une réponse, elle épousseta ses habits et retint les rênes de son destrier.
Equemont
Pour une fois le garde avait compris l'ordre equemonesque et s'inclina légèrement devant la jeune femme rousse. La lèche auprès des invités du patron pouvait s'avérer gagnant, aussi décida-t-il de faire un peu de zèle et s'approcha du canasson avec une démarche servile. De temps en temps, on se demandait si cette engeance ne se transmettait pas ces mimiques burlesques pour tenter d'apitoyer. Mais là n'est pas notre dissertation.

Tendant une main vers les rênes, il caressait de sa main grasse l'encolure de l'haquenée.


- L'baron vous attend, dame, suivez-moi.

Invitation ridicule si l'on considère que la dame en question n'avait pas la choix. En effet le soldat avait déjà tiré sur les rênes et guidant la bête, il les fit passer le pont-levis. C'est probablement le bruit ternaire du claquement des sabots ferrés sur le bois qui alertèrent le Salar. Enfin un peu d'animation...

Par une fenêtre étroite de la pièce principale où se trouvait le baron, alors qu'une visière en planches empêchait que l'on soit vu, le géant se pencha pour observer la jeune femme. Oui, c'tait la version classe du reluquage de popotin, remasterisée pour noble.

Elle était bigrement rousse celle-ci et en plissant les yeux, il vit après sa descente de cheval qu'elle boitait. Petit détail intéressant qui indiquait soit une malformation de naissance ou alors le fruit d'une lutte. Elle était de constitution agréable et assez bien mise indiquant une éducation certaine. Elle n'était pas maître tisserande pour rien non plus.

Lorsqu'elle disparut à sa vue, il vint se placer devant la cheminée, les bras dans le dos, histoire d'entretenir le stéréotype de celui qui regarde le feu pour y puiser ses idées. Mais il hésita, parce que cette attitude ne donnait pas à penser qu'il était travailleur. Alors il vint se placer dans son fauteuil de travail, derrière un pupitre d'écriture. Il termina sa mise en scène en se passant une main dans ses blonds cheveux, en affectant une mine concentrée.

Pendant ce temps, le faquin continuait sa visite improvisée, faisant ça et là des commentaires sur la bonne conduite des travaux, en s'étendant largement lorsqu'il s'agissait de dire du bien de son maître. Le calcul était stupide, mais qu'attendre d'un homme qui avait déjà du mal à se commander lui-même ? La vanité des hommes prenait en certains endroits une tournure si sordide, que seule la compassion permettait de la supporter.

L'escalier principal était en travaux, ils durent donc passer par un dédale de petits réduits qui auraient perdus Thésée lui-même. Puis ils arrivèrent dans l'antichambre du salon. C'est là que le valet de la maison déboula, comme affolé, en voyant une dame de cette prestance affublée d'un pareil asticot.


- Dégage idiot, retourne dans ta fange ! lança-t-il au pauvre hère qui quoique impressionné ne se démonta pas pour autant.
- Eh ! Calme tes paroles, c'est l'baron qui m'a demandé d'faire ça.
- Sottard !
- Grippeminaud !*
- Coquebert !...**

Préférant ménager vos chastes oreilles, je vous épargne le chapelet d'injures qui suivit. Derrière la porte, Equemont bondit sur ses gambettes. Ouvrant la porte avec fracas, il surprit les deux malandrins au bord de l'écharpement, tout cela sous les azurs de sa visiteuse. Fureur.

- Hors de ma vue.

La voix n'avait pas hurlé, le ton était pourtant d'une dureté qui ne pouvait être ignorée. Les deux se sentirent pris sur le fait et partirent, penauds. D'un regard, Equemont jaugea l'effet que cette scène avait eu sur la rousse. Avec un sourire gêné, il s'inclina très légèrement.

- Veuillez recevoir mes excuses pour cette... entrée en matière. Je suis Equemont du Salar, celui-là même qui va a fait mander. Veuillez donc me suivre à côté.

Tenant la porte de la sinistre, il l'invita par un geste de la dextre à passer devant lui. Un géant qui tient le rôle d'un laquais... Refermant la porte derrière eux, il l'invita à s'asseoir.

- Désirez-vous un rafraichissement ? Avez-vous fait bonne route ?


* Hypocrite
** Nigaud

_________________
Alyx
C’était comme être sur un champ de bataille. Malgré le fait de se savoir en contrôle de ses capacités et de ses armes, d’y être présent sans aucune contrainte et de savoir comment affronter l’adversaire, c’était le moment où le doute s’installait insidieusement dans l’esprit du guerrier. Le moment où toute la préparation du monde n’avait plus aucune importance. L’instant où les prières et les souvenirs les plus anciens remontaient à la mémoire. Le temps où le prénom maternel et l’odeur y étant associés semblaient être la plus belle chose qui existe. La minute où la seule chose qui semblait la plus éclairé était de prendre ses jambes à son cou et de déguerpir.

Voilà comment se sentait Alyx lorsqu’elle débarqua chez le baron de Machecoul. La seule chose qui la retint fut le fait qu’elle semblait être attendue. Fort heureusement pour le baron, car la tisserande n’eut pas le temps de réfléchir et de quitter les lieux. Elle fut rapidement prise en charge par le garde qui semblait avoir des ordres précis concernant l’endroit où il devait conduire la femme. Elle le suivit donc sagement de par les dédales encombrés du château. Décidément, l’endroit était au beau milieu d’une importante réfection si elle se fiait aux échafauds qu’elle apercevait, ici et là, ainsi qu’aux propos que le l’homme lui tenaient dans un langage presqu’intelligible. Celui-ci qui la devançant de par les salles et réduits, ne s’embarrassait pas trop de se tourner vers la rousse et de poser sur elle des regards égrillards.

C’est lorsqu’ils furent aux portes des appartements du maître de lieux que les choses se corsèrent. Un autre domestique, visiblement d’une hiérarchie supérieure au premier, déboula dans un état d’irritation contre le deuxième. L’échange qui s’en suivit laissa la tisserande bouche bée. Non pas qu’elle n’eut jamais entendu ce type de langage (à vrai dire, elle avait entendu bien pire) mais l’étonnement que les serviteurs se vilipendent en sa présence la saisit. Alyx regarda derrière elle, songea à ce moment précis de reprendre la route vers l’endroit le plus dangereux du royaume pour apaiser son agitation.

Pourtant, elle ne fit rien, car le garde avait réussi à la perdre complètement dans ce castel labyrinthique. Elle regarda derrière elle et se rendit compte qu’elle ne savait plus de quel côté était le Nord. Elle se tournant vers les gueulards ayant pour seule pensée de les faire taire. Son souhait fut exaucé à la seconde près lorsque la porte devant laquelle ils se trouvaient s’ouvrit avec fracas. Un homme à la carrure imposante n’eut qu’à prononcer une parole :
- Hors de ma vue.

C’était le baron en personne et Alyx retint son souffle. Non pas que la rousse fut impressionnée de rencontrer une personne titrée, elle avait eu son lot de rencontre lorsqu’elle était en Normandie, mais la prestance du baron était imposante. L’homme l’invita à entrer dans la pièce d’un geste élégant et la rousse fut en mesure de mieux voir son visage lorsqu’elle passa près de lui.

Le baron de Machecoul était grand, dépassant la tisserande d’un moins une tête. Comme dit précédemment, son port était remarquable, imposé par sa grande taille. Il avait les cheveux blonds et les yeux d’une couleur encore indéfinie, la tisserande n’ayant pas encore osé glisser un regard vers ceux-ci. Légèrement intimidée, elle répondit à sa présentation par un signe de tête et une légère révérence, puis elle se décida à prononcer quelques mots.


Je suis ravie de faire votre rencontre, Messire le Baron. Comme vous le savez, je me nomme Alyx du Nordet, Maître-tisserande. La rousse releva la tête et fit un petit sourire à l’homme avant de poursuivre : J’ai fait un excellent voyage, la saison est parfaite pour les déplacements. Je vous remercie de vous en enquérir et ainsi que de votre accueil.

Alyx resta debout devant l'homme sans s'en laissé imposer par sa grandeur, son titre ou l'importance de sa personne. Pourtant, elle se sentait comme une petite souris devant un chat. Elle n'en montra rien, forte et fière, elle attendit la réponse de l'homme.
Equemont
Dans le doute, le Salar lui servit un petit muscadet frais, vin local qui pouvait être âpre aux entournures. Le flacon fut délicatement ouvert et le nectar versé dans une timbale bronzée. En remettant le bouchon, il se retourna pour jeter un coup d'œil à la femme. De dos, ses cheveux flottaient légèrement. Il n'avait jamais réellement apprécié les rousses, mais sa présence en Bretagne l'avait amené à revoir son jugement. Surtout depuis qu'il avait eu ce pauvre petit écuyer Tegonnec, qui malgré sa chevelure de feu, montrait une certaine intelligence. Il en était mort, le bougre. Saisissant les deux verres servis, il revint devant elle et lui tendit la boisson tout en l'écoutant. La fixant de ses azurs profonds, il entreprit de reculer pour se glisser dans son fauteuil et croisa les jambes.

- Et bien voilà, vous avez remarqué certainement que le château est en restauration. En effet, lorsque le Prince de Retz m'a confié ces terres qui ont appartenu à feu son père le Grand Duc Elfyn de Montfort, il a voulu que je reprenne les bâtiments en main. Voyez le désastre de ces pierres abandonnées.

Tout en expliquant son affaire, Equemont se leva pour mieux se situer dans l'espace, et faisant des aller-retours, il allait de la cheminée à la porte.

- Si je vous ai fait venir, vous vous en doutez, ce n'est pas pour rien. Tout est à faire. Les teintures, les draperies, enfin tout ça... Je n'y connais pas grand chose, et je n'ai plus de femme pour s'occuper de cela. Voilà ma proposition. Vous passez quelques jours ici et refaites les teintures de cette salle aux armes de Machecoul. Si votre travail me sied, je vous en demanderai plus. Cela vous convient-il ?

Les yeux du Salar se posèrent sur sa manche de mantel. Il était bien connu que sans femme, l'homme se laissait aller, et voilà que depuis quelques temps, il était seul. Un trou dans le tissu qui lui couvrait le bras finit par lui brûler l'œil. Aurait-il le courage de lui demander ce bas service ? S'humilier jusque là ?

Rapidement il plongea son index dans la béance et fronça les sourcils pour décrypter la Rousse. Ne fallait-il pas vérifier les petites choses avant de se lancer dans de grands travaux ? Il se laissa convaincre lui-même par cet argument.


- Hum. J'ai... disons un autre petit service à vous demander avant. Quelle misère quand même ! Savez-vous rapiécer ?

Et voilà qu'Equemont montre la disparition de son index dans la fente. C'est un baron miteux !
Alyx
En regardant les cheveux du baron, Alyx se surprit à se demander pourquoi elle s’obstinait à dire qu’elle n’aimait pas les blonds. C’était jolie cette teinte de blé mûr, nacrée de soleil ! La femme avait d’ailleurs eu deux blonds comme prétendants... Bon, ces relations avaient été des échecs percutants mais ce n’était pas une raison pour mettre tous les blonds dans le même panier. Affaire classée, elle aimait désormais les blonds.

Outre ces pensées capillaires, une partie de son cerveau écouta avec attention les paroles du baron de Machecoul. Il y aurait du boulot pour un sacré moment si elle prouvait à l’homme qu’elle pouvait relever le défi. Faire des tentures et des draperies étaient très différents que la fine couture d’une robe d’apparat mais la tisserande savait exécuter cette tâche. D’ailleurs, elle se souvint d’avoir aidé son maître à draper un manoir seigneurial aux abords de La Rochelle alors qu’elle était encore une apprentie. Elle saurait.

Pendant que son hôte arpentait la pièce de long en large, elle se surprit à observer sa démarche et ses gestes. Il semblait sûr de lui comme la plupart des nobles qu’elle avait croisés dans son existence. Physiquement bien développé, il devait avoir la musculature proportionnelle aux exercices équestres et d’escrime auxquels il devait s’adonner comme la majorité des magnanimes personnages des royaumes.

Elle but une petite gorgée de vin frais, se retenant de ne point vider sa timbale cul-sec, le voyage l’avait assoiffée mais ce n’était pas le moment de boire plus que raison. Le liquide était délicieux et son ignorance en matière de vin l’empêcha d’en identifier la provenance. Elle laissa le vin couler dans sa gorge, savourant la fraîcheur et les arômes qui firent mieux aimer la situation dans laquelle elle s’était mise.

Puis, le baron lui indiqua un trou dans la manche de son mantel, lui demandant si elle savait ravauder. Elle faillit s’étouffer, toussota légèrement et se leva pour voir l’état du dit trou. C’était un accroc infime qui laissa supposer à la rousse que le blond baron portait une attention particulière aux petits détails.


Je puis réparer cela de suite…si vous permettez.

Elle posa sa timbale sur un guéridon et fouilla dans la besace qu’elle portait encore en bandoulière. Elle en retira un petit étui de cuir, pas plus gros qu’un poing d’homme, qu’elle déroula sur le bureau. C’était une trousse de couture contenant quelques aiguilles, des épingles, du fils et des brins de laine de différentes teintes, une corde de mesure, un minuscule ciseau et deux ou trois petites pièces de tissus pouvant être utilisées en rapiéçage. Rapidement, Alyx prit une longueur de fil assortis à l’étoffe foncé du mantel et enfila une aiguille. Elle s’approcha du baron retourna le bord de sa manche et reprisa l’accroc avec dextérité. En retourna le bord de la manche, elle frotta l’endroit avec ses doigts; il n’y paraissait rien.

Voilà...

Alyx leva les yeux vers le visage du baron et lui sourit.

Pour ce qui est de cette pièce…j’imagine bien une tapisserie courte au-dessus de la cheminée comportant vos armoiries. Pour les tentures et draperies, il est mieux de les installer sur les murs du nord et près des ouvertures que vous désirez fermer… Je puis terminer cette pièce en quelques jours si vous me permettez de voir un drapier pour les tissus… J’aurais besoin de vos armoiries pour les broder… Quelles sont les teintes que vous désirez utiliser dans cette pièce ? Du bleu serai joli...

Elle entreprit de fermer sa trousse de couture et de la reposer dans sa besace. Lorsque ce fut fait, elle glissa une main sur les tapisseries recouvrant les fauteuils et ajouta en regardant le baron :

Je vous suggère le bleu car c'est assorti aux tapisseries de ces fauteuils. Il serait dommage de ne pas les garder, elles sont encore très belles...

Elle avait assez parlé. Alyx reprit sa timbale de vin, en but une gorgée et attendit le verdict du baron.
Equemont
La bergère sur laquelle Equemont posait son séant émit un léger craquement, résonance de la gêne qui s'installait à la mesure que la rousse chevelure s'approchait de sa manche. Jamais il n'avait envisagé cette possibilité qu'elle vinsse aussi prêt de lui. Pourquoi sa gorge se noua-t-elle alors qu'elle était à moins d'une coudée de son visage. Il essaya de sentir son odeur pour profiter de cet instant alors qu'elle avait les yeux rivés sur son mantel. Délicatement les doigts féminins passèrent entre le vêtement et sa chemise. Ils étaient tièdes et doux, si bien que la chair de poule prit le Blond. Rapidement il devait couper court à cette attirance pour ne pas se trahir. Parler. Hum. Que dire ? Rien ne lui vint à l'esprit immédiatement. Surtout ne pas la flatter, simplement revenir à l'essence même de sa présence. Ne pas parler ni de ses formes, ni de sa délicatesse. Dans ces moments, il était dur d'être un homme lorsque depuis quelques années, on n'avait touché une femme. Equemont haïssait ses basses pulsions qui lui rappelaient vaguement l'étalon avant la saillie. La grandeur de l'homme était de se maîtriser et de... respirer un grand coup pour attendre que cela passe !

- Et bien je vois que vous faites cela avec précision. Voyez, il n'est pas évident de devoir soi-même s'occuper de ces détails lorsque l'on passe ses journées à faire travailler des bras cassés. La dentelle n'est pas mon quotidien. Cela fait tellement de bien de voir une personne de... goût.

Tout en parlant, le Salar se pencha vers le tissu et effleura la chevelure. Un fin sourire s'étendit sur ses lippes pour la remercier de son labeur. Puis la jeune femme partit dans une explication de son travail à venir. Il l'écoute d'une oreille, sachant par avance qu'il dirait oui à ce qu'elle proposerait. Mais il aimait voir ses interlocuteurs réfléchir et proposer des choses. Il se représentait le parcours sinueux qui se passait en l'esprit de l'autre et cherchait à en décortiquer les tenants et aboutissants. Oui le bleu, sa femme lui avait dit qu'il fallait qu'il revête cette couleur pour l'assortir à ses yeux. Ce genre de fioritures étaient entrées et sorties avec cette épouse perdue.

A l'évocation des tapisseries de ses fauteuils, il les remarqua pour la première fois. C'est vrai que ce n'était pas horrible parmi tout ce qu'il avait trouvé dans les décombres du château. Elle semblait avoir des idées. Tant mieux.


- Votre proposition me sied. Je dirai à mon valet d'aller quérir le drapier du bourg et vous lui prendrez ce que bon vous semblera, sans discuter du prix. Alors pour ce qui est de mes armes, le mieux reste mon écu. Je pourrais vous sortir de la paperasse. Ou alors préférez-vous mon oriflamme ?

Le baron se leva et l'invita à faire de même.

- Venez avec moi, je vais vous faire voire vos appartements pour ces quelques jours. Je vous ai laissé Brunehaut comme servante. Elle vous y attend.

Le baron commença à ouvrir la porte d'entrée et s'engouffra dans le couloir pour reprendre le dédale de marches conduisant à un étage supérieur. On parvint à une chambre assez spacieuse mais crasseuse. Tout était donc à refaire dans ce château ?
_________________
Alyx
Ce n’était pas si douloureux que d’avoir une audience chez le baron de Machecoul. Alyx avait su s’exprimer et donner ses idées sans se faire mettre au cachot, ou pire, couper la tête. Bien que l’homme n’ai en rien un air typiquement sanguinaire, le château offrait au visiteur une allure si délabrée que l’on pouvait croire qu’il y avait des geôles cachées dans tous les coins de la demeures.

Elle avait tout de même gagné son pari et le baron lui proposa de rester quelques jours pour refaire la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Il avait même acquiescé à sa requête de quérir un drapier, car la tisserande n’avait pas le temps de se mettre à son métier, ni d’attendre la pousse de la laine sur le dos des moutons. Elle songeait déjà à un bleu profond où les armes se découperaient avec beauté.


Pour votre blason, Messire, il m’importe le modèle, tant que je puis y voir correctement vos couleurs…

À ce mot, Alyx leva les yeux sur le visage de l’homme. Bleus, ses yeux étaient bleus. Comment n’avait-elle pas encore remarqué cela ? Sa respiration s’arrêta quelques secondes ainsi que le flux sanguin irrigant son cerveau, ce qui causa un silence de plusieurs secondes. Elle secoua la tête, s’interrogeant sur ce trouble et poursuivit :

…je pourrai faire une liste pour cette servante…afin qu’elle me procure les matières et les outillages dont j’aurai besoin pour m’exécuter…

Il l’invita à le suivre. Comment refuser cette ordonnance quand c’est pour l’amener à ces appartements ? Elle n’en croyait pas ses oreilles ! Alyx souleva l’ourlet de ses jupes afin de dégager ses pieds et fouler le sol plus prestement. Ai-je mentionné que le baron était grand ? Il avait un coup de pied large, proportionnel à la longueur de ses jambes et la rousse trottinait en boitillant derrière lui.

Le blond ouvrit la porte des dits appartements et Alyx découvrit de grandes pièces sales aux meubles tout aussi malpropres. La Brunehaut aurait du boulot à rendre le tout convenable. À chacun ses batailles, parait-il… Avec l’air de celle qui n’avait rien vu de la crasse, Alyx se tourna vers le baron et déclara :


L'endroit est...grand...
Est-ce possible de me faire apporter les sacoches qui sont sur la selle de mon destrier, je vous prie ? Elles contiennent mes affaires personnelles
Equemont
Ainsi donc, ils entraient dans cette volumineuse antichambre d'apparat. Un vague sentiment de honte étreignit le baron en constatant l'était des lieux. On pouvait être noble et pourtant habiter ce qui aurait pu ressembler à une bergerie. En tant que soldat, les conditions précaires lui avaient toujours convenu, mais lorsqu'une femme arrivait dans ces lieux, il fallait absolument qu'elle puisse trouver le minimum de confort requis. Hésitant un instant, Equemont finit par se décider à faire l'impensable. Que l'on ne dise pas qu'il était un mauvais hôte !

- Je n'avais pas mesuré les dégâts. Hum. Il est inconvenant de vous faire dormir icilyeuc. Suivez-moi.

Mais c'est qu'il va creuver notre boiteuse ! Et rebelote, on reprend les escaliers et on retourne au point initial. Quelques portes de plus poussées, et c'est dans un salon confortable que l'on arrive. L'ambiance y est chaleureuse, du moins comparativement. Equemont ne dira pas qu'il s'agit de ses propres appartements. Seuls quelques détails peuvent le laisser penser. Un portrait de lui, mais aussi un portrait d'une femme aux cheveux presque roux, avec une cicatrice sur la joue. Le blond ne peut pas s'empêcher de lancer un regard à cette dernière œuvre. Ne m'abandonne pas, je t'en prie. La prière jaculatoire monte du cœur et vient embrumer légèrement le regard azuré. Qu'il retourne à ses moutons, enfin à son lin, enfin bref à son hôte.

- Voilà vous serez mieux entre ces murs. Au moins, vous ne vous prendrez pas au bout du corde avant votre départ ! Le grand Equemont est de sortie, c'est un grand jour, profitez ! Je demanderai à ce que l'on monte vos... sacoches dans la chambrine. Faites comme chez vous.

Equemont fait volte face et va activer son monde. Il s'agit de passer quelques savons, de remettre les choses au clair. L'évidence lui apparut aux yeux. Il ne pouvait pas vivre sans femme. Ses enfants étaient à Bordeaux en nourrice, ne voulant leur infliger pour leur jeune âge ce voyage long et ces travaux sans fin. Ils lui manquaient. Le portrait lui manquait terriblement aussi. Un sentiment de rage le percuta en pleines tripes, ça allait garder !

Petit coup de clochette pour appeler la meute sur pont supérieur. Ils sont trois, le valet, la mère Brunehaut et Erwan l'économe à la mode bretonne, autrement dit, le radin de service.

Acte I : Balayette au valet


    - Écoute moi bien, parce que je ne compte pas répéter. La scène que j'ai vue avec l'autre pignouf de ton espèce va te couter cher. Tu es pire qu'un palefrenier d'une écurie de maison close ! Eux au moins savent recevoir ! Alors tu vas nettoyer tout cette fange avec ta bande de débiles de sous-fifres si tu ne veux pas que je botte le fondement jusqu'à ce que tu ne puisse plus déféquer ! Prends cette balayette tiens !

    Et le Salar d'attraper un manche à balai et de le lancer en direction du malfrat. L'homme n'est pas idiot au point de rester et s'échappe en rasant le mur avec une ou deux courbettes serviles.


Acte II : Tu dérapes ma vieille

    Si Equemont n'avait pas été respectueux d'une personne âgée, il est fort probable qu'elle eut passé un sacré mauvais moment. Mais il y avait fort à parier qu'elle était presque aveugle.

    - Brunehaut ! Tu as servi mon père et par compassion pour ta vieille carne je t'ai fait venir icilyeuc. C'est certain, tu ne te fais pas au climat ! Pourtant je t'ai donné des femmes sous tes ordres afin que ne te tue pas à la tâche. Tu ne veux pas renoncer, alors fais ton travail, mordiou ! L'appartement de la damizela était sordide, je n'y ai pu la laisser sans l'insulter ! Alors je l'ai mise chez moi et j'irai dans ce dernier. Tu vas me faire le plaisir de le rendre acceptable ! Et tu vas servir cette dame comme si c'était euh...Eusébia* !
    - Mais Mech'ire Ekmon ! Je n'y peux r'in ! Toutes des z'incapables vos donzelles. De toute façon, z'avez totjorn préféré les belles montures à leur qualité.
    - Tais-toi vieille peau. Je vais te faire rôtir à petit feu si tu continues à m'insulter. Et maintenant au travail. D'ailleurs tu passeras voir la Damizela, elle a une liste de courses à te transmettre !

    Tout en continuant à ruminer la vieille dame prend la direction de la chambrine pour y trouver Alyx. Une voix de fausset pour se montrer douce et un sourire de circonstance.

    - Comment m'dame trouve-t-elle son couchage, a-t-elle tout ce qui lui faut ? Tu m'étonnes, il t'a mise dans sa chambre. Tu vois pas son manège ! Il est bien comme son père tient. Il les touchait toutes, sauf moi. Tiens, elle est rousse. Curieux. Avez-vous c'te liste de course que j'm'en arrange ?


Acte III : Biiiip biiip, biiip, ça vous fera 30 000 écus s'il vous plaît...

    Pendant ce temps, Erwan tente de faire la morale au baron sur l'aspect qu'il juge dispendieux de ces réparations. Qui plus est voilà que le blond baron s'était mis en tête de mettre des tentures. N'y avait-il rien de plus urgent ? Le Salar, dans sa rage, ne prit même pas la peine de l'écouter et lui posa la main sur l'épaule. Quand un géant vous pose sa paluche sur votre frêle épaule de scribe, vous sentez généralement que ce n'est pas un geste anodin, et il est probable que votre voix finisse par s'éteindre toute seule au fond de votre gorge. C'est ce qui arriva et le grippe-sous comprit qu'il devrait plier sans broncher.


Sur ces entrefaites, Equemont retourna se servir un verre de muscadet et finalement alla frapper à la porte d'Alyx.

- Êtes-vous prête pour visiter mes terres ? Vous ne croyez pas tout de même que j'allais vous lâcher la grappe de sitôt ?

A y regarder de plus près, la solitude l'avait-il rendu complètement foldingo ?

* Sœur jumelle d'Equemont, disparue

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Alyx
La misère des châtelains résidait-elle chez l’incompétence des gueux à leur service ? C’était la conclusion qu’Alyx fit en voyant l’éclair de rage passer dans l’œil bleu du baron. Il sembla furieux en constatant l’état des appartements qu’il avait compté mettre à la disposition de la tisserande. Ce fut donc illico un retour de par les escaliers, les antichambres et les réduits. Elle suivi l’homme avec adresse malgré sa claudication qui se faisait de moins en moins présente grâce aux bons soins des nonnes du Trégor. Prières et emplâtre sur la cuisse de la femme faisaient parfois des miracles ! Du moins, elle l'espérait.

C’est dans un salon d’agréable dimension que le baron Machecoul la laissa, le temps de régler quelques détails qui semblaient d’une importance extrême; engueuler le personnel. Les éclats de la voix de l’homme parvinrent aux oreilles de la tisserande sans qu’elle ne puisse en entendre les propos, aussi elle n’osa pas approcher de trop près, peu intéressée (ou effrayée) qu’elle était d’entendre tout ce qui se disait.

Alyx arpenta plutôt le salon où régnait en maître le portrait du baron, accroché bien en vue au-dessus de l’imposante cheminée. Il dominait la pièce de son regard pénétrant, la pose belle et altière lui donnait un certain panache. Sur le mur à sa droite, un autre portrait plus petit représentait une belle femme au teint clair dont la tisserande identifia comme étant possiblement l’épouse d’Equemont de Salar. Qui d'autre ? Une de ses maîtresses ? Des portraits d’une telles factures avaient l’habitude d’être exposés dans les pièces importantes d’une résidence afin d’en apprécier la vue le plus souvent possible. Se trouvait-elle dans le salon particulier du baron ? L’idée la surprit qu’à moitié car malgré la superficie du château, sa réfection semblait si importante que peu de pièces pouvaient être habitables pour le moment.

Toujours sous la douce musique de la voix mécontente du baron, Alyx retira sa cape et se délesta de sa besace qui commençait à peser sur son épaule. Elle posa ses effets sur un fauteuil et dans l’attente, décida de rédiger la liste promise pour la dénommée Brunehaut. Elle se pencha sur le secrétaire disposé près d’une fenêtre, prit une plume, un morceau de vélin et inventoria les articles nécessaire à la confection des draperies et tentures sur une colonne, et dressa les articles dont elle désirait voir les échantillons du drapier sur une autre colonne. Le pli dans la main droite, elle souffla sur l’encre pour la faire sécher tandis que ses pensées s’envolèrent dans le paysage verdoyant déployé sous ses yeux de par l’ouverture de la lucarne.

Les gonds de la porte grincèrent légèrement et une vieillarde au sourire édenté s’approcha d’Alyx en demandant :


- Comment m'dame trouve-t-elle son couchage, a-t-elle tout ce qui lui faut ?

Le…couchage ? La rousse de jeter un œil sur la porte entrouverte, juste à côté, qui dévoile un imposant lit à colonne. Le sourire de la vieille est sans équivoque, de celle qui est complice de maintes galantes visites pour son blond maître. Comment être surprise de ce genre d'activités pour un bel homme comme lui ? Pourtant, il y avait méprise de la part de la vieille, il faudrait que l’homme lui passe sur le corps pour qu’elle accepte de partager sa couche…enfin, manière de parler. Alyx n'était pas ce genre de femme, trop vieille pour ces frivolités. Fanée. Triste. Fichue à jamais.

Elle répondit tout de même à la vieillarde avec un air qu’elle voulait au-dessus des commérages.


Je n’ai point visité la chambre encore… Je suis persuadé que tout sera à ma convenance.

-Avez-vous c'te liste de course que j'm'en arrange ?

Un sourire à la vieille et de lui tendre le vélin recouvert de son écriture fine et mouvante en lui disant :

Remettez cette liste à Brunehaut, c’est elle que le baron a désigné pour m'aider pour le travail…

La vieille ricana et quitta prestement la chambre. Probablement que la mémère alla retrouver les autres domestiques pour bavasser à propos de la physiologie de la damoiselle que Machecoul s’était trouvé. La tisserande savait comment une réputation se fait et se défait, elle en avait cure mais ne pu s’empêcher de regarder l’image que lui refléta un petit miroir rond, placé près de la cheminée. Comment un homme comme Equemont de Salar pu s’attendrir devant une image si banale que la sienne quand il pouvait avoir dans son lit toutes les nobles jouvencelles de Bretagne ? La rousse observa son reflet, recoiffa quelques mèches folles du bout des doigts et agrafa plus sobrement son corsage qui en laissait trop voir. Décidément, le Salar n’est pas homme à se laissé attendrir, ni par femmes ou domestiques…

Pourtant, c’est ce même baron qui eut la délicatesse de toquer à la porte de ses propres appartements afin d'inviter la tisserande à visiter ses terres. Ces jours devraient être instructifs, sinon divertissants, songea notre rouquine en acquiesçant d’un sourire au baron.


Je serai ravie de visiter vos terres… d’autant que je n’ai pas encore ce qu’il me faut pour me mettre à l’œuvre… J’espère que votre domestique saura trouver tous les effets que j’ai indiqués sur la liste. Un petit silence et réflexion que l'homme n'aimait peut-être pas bavarder plus qu'il n'en faut, un haussement d'épaules discret avant d’ajouter : Je ne peux que vous remerciez pour vos…pour ces appartements…
Equemont
Quelques jours plus tard, dans les appartements du baron de Machecoul

Equemont s'était levé de bon heure ce matin-là pour aller humer l'air embrumé et pour aller observer l'évolution des travaux avant que les ouvriers ne se remettent à la tâche. Il avait ouï dire de rumeurs à son encontre au hasard d'une rue, laissant à penser que "L'baron ne crachait pas sur'lrousses". De lassitude, il avait laissé dire et toujours déçu par cet âme humaine si étroite, il s'en était allé à la tour principale. L'escalier était terminé et il eut la joie de l'emprunter pour monter directement à ses appartements. Il fit appeler par son valet la Brunehaut afin de savoir si la tisserande était en état de le recevoir. Il ne l'avait pas recroisée depuis cette balade équestre où ils avaient parcouru plusieurs lieues pour montrer les points clés de ces terres qu'il aimait.

Discrètement il s'était retiré et avait passé ses journées à houspiller les hommes pour qu'ils travaillent, à inspecter, à ordonner. Et une fois par jour, il se prenait à aller au caveau familial, pour remuer le passé. Ce rituel quasi religieux lui apportait une certaine paix à l'âme, et vaguement en sortant de ce souterrain ombragé, il percevait l'espoir d'une vie nouvelle. Aller chez les morts pour trouver un regain de vie. La vie n'était qu'un paradoxe en somme.

Le voilà donc à être introduit auprès de cette rousse aux doigts fins. La saluant d'une légère inclination de tête, il l'observa un court instant afin de juger dans quel état d'esprit elle se trouvait. Un sourire s'étendit sur ses lèvres alors qu'il commença à parler.


- Demat, j'espère que vous passer un séjour confortable. Je me permets de m'enquérir de vos nouvelles et de vous demander où vous en êtes. Puis-je vous importuner quelques instants ?

Ne vous y trompez pas, il n'est pas dans la nature du Salar d'être obséquieux. Il veut juste marquer qu'ils sont entre personnes d'éducation. Parce qu'il est souvent épuisé de devoir se mettre au niveau des gueux pour communiquer avec ses serviteurs. Alors pour une fois qu'une personne -normale- débarque à Machecoul, il en profite.

- Montrez-moi donc votre œuvre, afin que j'observe cela de plus près.
Alyx
Il lui avait fallu trois jours pour exécuter la requête du baron. Il ne lui restait qu’à terminer quelques détails et ourler le dernier rideau. La tisserande avait beaucoup travaillé et bien peu dormi, tant l’ouvrage avait occupé ses mains et ses soucis son esprit. Au soir, quand ses yeux étaient trop fatigués et que ses doigts n’obéissaient plus aux points de broderie, elle se chargeait de sa correspondance. Pendant son séjour chez le baron de Machecoul, Alyx du Nordet avait appris sa nomination comme vice-chancelier de Norvège, un royaume du Nord dont le peuplement ne cessait de s’accroitre.

Alyx avait peur. Elle ne savait plus où résidait son avenir et bien que sa raison lui dictait de tout laissé tomber encore une fois et de faire le long voyage vers le Nord, son cœur lui disait le contraire. Pourquoi chercher les chimères aussi loin ? Il lui faudrait le courage d’abandonner ses charges prestigieuses et de retourner dans sa modeste maison du Trégor. Elle se remettrait au tissage, à la couture et gagnerait sa vie au mieux. Lorsque le deuil de Marcus sera finalement terminé, elle pourrait peut-être songer à d’autres émois; de ceux qu'elle se refusait. Pour le moment, la rousse usait ses mains et était satisfaite du travail accomplit ici-lieu, chez le baron.

Lorsque celui-ci débarqua justement pour s’en enquérir, Alyx l’accueillit avec un sourire, lui montrant fièrement son œuvre.


-Vous ne m’importunez pas du tout…Bien au contraire, cela me fait plaisir de vous revoir, Messire !

D’un geste ample, elle lui montra les tentures d’un bleu profond qui pendaient aux fenêtres de la pièce retenues par des cordelles dorées.

-Voyez, les tentures sont presque terminées, il ne me reste qu’à ourler le dernier pan… Ce matin, un ouvrier a suspendu la tapisserie comportant vos armes… Espérant qu’elle vous plaise.

Elle désigna le dessus de la cheminée où pendait une belle tenture de même teinte que les draperies ou la femme avait cousu les armoiries du baron, brodant en ton sur ton les garnitures, terminant la finition d’une jolie frange dorée. C’était sans soute le morceau qui lui avait pris le plus de son temps et le rendu était admirable.

Alyx fit quelques pas vers le fauteuil posé derrière le bureau principal, posant ses mains sur le dossier afin de mieux voir le visage qu’Equemont de Salar, pour juger d’elle-même sa réaction.


-Le seul fauteuil dont les tapisseries étaient irrécupérables était celui de votre bureau… Elle lissa l’étoffe neuve qui recouvrait désormais les coussins du fauteuil et ajouta : J'ai remédié à la chose en recouvrant les sièges de ce joli tissu azur tissé de blanc et d’or… Le drapier avait des merveilles. Que pensez-vous de mon travail ?
Equemont
Les mains croisées dans le dos, Equemont prit sa tête d'inspecteur des travaux finis, concentré sur l'œuvre et les paroles de la femme. Puis ces yeux parcoururent la pièce et remarquèrent les changements opérés. C'était bleu, comme le ciel que l'on pouvait voir à Salar par beau temps. Et puis au dessus de la cheminée trônait ses armes, gagnées à la pointe de son fer, lorsque deux herlos* voulurent surquérir** son suzerain. En plein sommeil, les membres encore engourdis, il avait transpercé l'un et réduit à néant l'autre, sauvant ainsi le Prince. Cette brave estocade lui avait valu d'être armé chevalier et de reprendre les terres de ses ancêtres. Un Pégaze trônait au milieu des trois chevrons rouges pointant vers les cieux. L'ouvrage s'avérait de bonne facture donnant une vivacité aux couleurs que seul l'air breton saurait altérer.

Puis le fauteuil du baron, qui portait désormais lui aussi les armes d'Equemont. Le tout formait un ensemble de goût, presque disproportionné pour le reste des lieux.


- Vous avez parfaitement compris ce que je vous demandais. Mestre Erwan vous donnera ce jour même le fruit, sonnant et trébuchant, de votre travail. Maintenant vous êtes libre de rester pour continuer votre labeur, bien que je dois reconnaître que je ne vous offre pas une compagnie agréable. Les seules femmes de cette bourgade sont des matrones ou des puterelles, je ne puis vous infliger leur présence. Ou bien de partir pour accomplir d'autres tâches. Auquel cas, je vous ferai donner escorte afin de ne pas être inquiétée par les marauds qui voudraient s'en prendre à une femme de votre qualité.

Comment Equemont aurait-il pu avouer qu'il n'attendait qu'une seule chose, c'est que cette rousse veuille bien rester pour continuer à adoucir les mœurs bretonnes. Dans quelques mois, avant l'hiver, les travaux seraient terminés et le château aménageables pour de bon. Il y ferait enfin venir Aur et Ermelne. Il les voyait déjà courir par les chemins creux de leurs terres. Un jour Machecoul reprendrait la splendeur passée et serait un carrefour par lequel les grands passeraient. Ainsi s'écrivait la gloire de Machecoul, à n'en pas douter.

Se tournant à nouveau vers Alyx, le baron la gratifia d'un sourire serein et attendit sa réponse.


* marauds
** attaquer

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Alyx
Il y a de ses propositions qui tombent au bon moment. Celle que Machecoul lui fit était une de celles-là, une main tendue au-dessus du précipice dans lequel la femme allait se jeter tête première. La spirale de l’abîme devenait trop attirante et travailler à la réfection de ce château était la parenthèse idéale permettant à Alyx de remettre son esprit et son cœur en état et d’en rapiécer les accrocs. Il y a de ses déchirures plus difficile à repriser que d’autres…même pour une tisserande.

Les mains toujours posées sur le dossier du fauteuil principal, elle jouait avec le dé à coudre recouvrant son index; cadeau précieux que son Maître lui avait offert à la fin de sa formation. Le temps s’était écoulé rapidement depuis son départ des ateliers de La Rochelle. Depuis, il semblait à Alyx d’être au prise d’une étrange sentence voulant que tout ce qu’elle entreprenait, autre que les faits du métier, soient vouées à de flagrants échecs. Maintenant, elle saisissait son droit et son privilège de changer et renverser ce cruel verdict. C’était le moment opportun.

Le baron n’avait pas été des plus expressifs en découvrant son travail. Il avait toutefois exprimé son contentement et son souhait qu’elle poursuive ses activités dans les autres pièces du château était une preuve de satisfaction.

La tisserande sourit à Equemont de Salar en songeant qu’il n’avait jamais osé l’appeler par son nom, ni par sa désignation de « Maître », c’était à se demander s’il s’en souvenait ou s’il se sentait mal à l’aise d’avoir retenu les services d’une femme pour exécuter ces travaux. Elle espérait se tromper, après tout, l’homme semblait peu démonstratif.

Contournant l’imposant bureau, elle se déplaça vers le baron afin de donner suite à son offre. Les étoffes de ses jupes frissonnèrent sous le mouvement dans un chuintement délicat. Décidément, la tisserande avait meilleure allure que le jour de son arrivée, ayant troqué son habit de voyage pour une robe plus légère. Le feu de sa chevelure avait été dompté dans un chignon ce qui lui donnait un air plus soignée.


-Heureuse que vous soyez satisfait de mon travail. Aussi, j’accepte de le poursuivre dans les autres pièces du château. Pour le faire, j’aurai besoin de connaître vos attentes pour chaque pièce et me donner vos idées et les couleurs que vous désiriez y avoir… Cependant, j’ai une requête à faire avant de m’exécuter…

D’un regard assuré, elle leva le menton vers le visage du baron et poursuivit :

Je préfèrerai que vous repreniez l’usage de vos appartements…Ceux de l’étage me siéent très bien, la première salle serai convertie en atelier de couture, la lumière y est parfaite. Je saurai fort bien m’en contenter… Pour ce qui est de la compagnie… ne vous tourmentez pas pour moi. Je saurai très bien vivre seule… J’ai l’habitude. De toute façon, j’aurai du boulot !

Les commères, les rois, les putasses ou les nonnes; aucunes des étiquettes posées sur les êtres n’affectaient le jugement d’Alyx. Elle avait vu tant de nobles personnes êtres les pires criminels et les plus sots des gueux s’avérer d’une générosité émouvante. L’humain était ainsi fait, se croyant le devoir de construire des castes pour y ranger les âmes, y classer les esprits. C’était ainsi beaucoup plus facile que de s’approcher de l’autre et d’avoir le mérite de l’échange; le gain de la connaissance de l’étranger.

Parfois, il valait mieux rester seul dans la chambre d’un château en réfection que d’aller vers l’autre. Non pas par crainte ou par manque d’esprit de découverte mais simplement retenue par la peur de soi-même.
Equemont
Intrigué, Equemont regarda la rousse s'approcher de son périmètre de sécurité avec assurance, autrement dit, passer l'autre côté du bureau. Un soupçon d'irritation passa dans ses yeux, et il ne put réprimer un très léger sursaut de recul. Oh certes, il n'était ni prolixe en compliment, ni même joyeux compagnon, mais il lut dans ce geste l'inverse de ce que la parole exprimât par la suite. Elle voulait s'approcher de lui, lui mander avis sur tout ce qui lui importait le moins du monde. Il ne lui en voulait pas, y trouvant une douceur dont il manquait tant.

Au fond de lui naquit un désir qu'il n'avait pas anticipé. Profond, viril, voire sauvage. Pouvait-il deviner son appétence ? Il ne l'espérait pas, n'étant pas ce genre d'homme à s'attacher à quelque jouvencelle ou putain conquise par la force, l'argent ou la soumission. Sa dernière soubrette remontait à l'époque où damoiseau chez son père, il courrait la pucelle sans même réfléchir aux conséquences de ses actes. Sa défunte jumelle lui reprochait d'ailleurs souvent, alliant moquerie et vilénie pour le confondre.

La dame, si proche de lui l'embauma de son parfum, et ce qui avait été d'abord crainte intuitive s'était ainsi transformé en attirance quasi irrésistible. La robe lui seyait à merveille, sans être trop vulgairement proche de la peau, elle laissait planer ce petit soupçon d'inconnu, que le Salar ne pouvait plus ignorer. Elle parlait, ses lèvres bougeaient, mais il n'entendait plus vraiment sa voix. Ses appartements ? Soit. Les autres avaient été arrangés, elle y trouverait son bonheur.

Ce désir charnel devait mourir en lui aussi rapidement qu'il était né. En homme d'honneur, il ne pouvait en être autrement. Alors que son esprit formait cette pensée, son corps semblait lui en exprimer une autre il ne retint un regard vers la gorge finement dessinée.

S'écarter, reculer pour ne pas succomber. Le Salar, dans un acte de courage, qui le confondit lui-même s'approcha de la fenêtre, et s'ébaudissant devant son renoncement, il se tourna.


- Alyx, vous êtes ici chez vous, désormais, et trouverez toujours asile en mes murs. Prenez vos appartements, peu m'en chaut. Par contre, ayant vu vos œuvres. Ce que je vous demande n'est pas de voir avec moi chaque détail. Je n'y connais rien et n'y entend rien. Faites ce qu'il vous semble bon, beau et bien. Et lorsque mes hôtes visiteront, je leur dirai : voyez ! Ici est la conception de Maestra Alyx du Nordet, requérez ses services, car elle est bien bonne !

Le baron se sentait apaisé par les paroles prononcées, comme rassuré par sa propre nature. Il devait recevoir ce soir même une visite d'un seigneur voisin, alors s'appuyait sur la corniche d'une fenêtre, il l'observa.

- Des miens compaings seront mes hôtes ce soir. Aurais-je l'honneur de vous voir paraître à mes côtés ? Faîtes belle toilette, afin que l'on puisse chanter les merveilles vues en mes terres !

Machecoul s'inclina légèrement pour appuyer son compliment et ses yeux bleus plantés sur cette femme, il en gueta la réaction.
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