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[RP] Femme, tu seras mère dans le chagrin.

Arsene
    « Dans les caveaux d'insondable tristesse
    Où le Destin m'a déjà relégué ;
    Où jamais n'entre un rayon rose et gai ;
    Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse. »


    Charles BaudelaireLes Ténèbres.


      Anjou – Juillet 1462.


    Sous l'auspice d'une humidité bienfaitrice l'ombre d'une journée s'achève. Quelques gouttelettes de pluie distillent au sein des bas quartiers une froideur nécessaire. Elles s'écroulent avec langueur sur la chaussée poussiéreuse emportant dans leurs sillons étroits l'écume du stupre et du vermeil du dépôt odorant d'une société implacable. Irrémédiablement attirées, elles butent contre la rigole, gorgeant celle-ci d'un amoncellement de tourbe et emportent les impiétés des parias et des déshérités, pénétrant le giron d'un caniveau les menant à la pénitence en guise d'expiation. Sous les bienfaits d'une fraîcheur et d'une noirceur retrouvées, la jeune femme s'est fondue dans la bruine enveloppante et s'est mêlée aux quidams. Frêle silhouette aux galbes discrets et à la prestance menaçante, elle avance et profite de l'obscurité feutrée pour rafraîchir ses membres fourbus. Le jour harassant s'était avéré interminable, corrompu par la brûlure aigre d'un astre solaire déchaîné et par une affliction diffuse qui embrase son bas-ventre enflé depuis peu. Le bruissement de ses pas discret au creux de la petite ruelle ricoche et résonne sur les parois des bâtiments confinés et étriqués. L'air humidifié exhale des relents de charogne, le carmin séché s'introduisant jusqu'à ses narines, et pourtant, Corleone se complaît dans cet amas de chair au regard torve et à la cuisse palpitante. Des volutes de vent s'engouffrent entre les tissus lestes et caressent de leurs griffes glacées le derme blanchâtre et contracté par une douleur grandissante. Elle se distille entre ses maigres chairs et rejoint le parcours de ses veines pour irradier l'ensemble de son organisme. Et déjà le visage hautain se crispe vulgairement, les lèvres trahissant un premier gémissement de détresse. Laissant sur les lippes plaisantes un arrière-goût encore peu connu de faiblesse.

    A l'abri, dans le confort réduit d'une chambre d'auberge miteuse, le corps endolori se recroqueville sous un amas de couvertures fripées et odorantes. L'esgourde se tend, cherchant à percevoir les pas rustauds de l'époux qui ose se faire désirer et absent, dans l'escalier étroit et délabré. Elle attend avec une once d'accablement que sa présence vienne rompre le mal qui couve au plus profond de son sein sournois. Mais un silence pesant s'impose dans la pièce chargée d'émotions en guise de réponse. Le crâne, surplombé de mèches rougeoyantes et bouclées, s'enfonce nerveusement contre l'édredon alors qu'entre ses jambes étroites s'écoule douloureusement le fiel d'une vie brusquement éteinte. Les bras ceignent sa chair traître alors que d'un regard affligé, la jeune femme prend conscience de la situation. Les sinoples atterrées se ferment, les paupières se crispant pour effacer la vision d'un avenir à peine connu mais déjà trop lointain pour que les doigts fins puissent le frôler et les lèvres incontrôlables laissent fuir une longue complainte en guise de manifestation de son agonie. Et Corleone, sous son masque de fierté habituelle, laisse choir des larmes, l'amertume se mêlant au chagrin pour tracer des sillons brûlants sur son visage où la façade de froideur se craquelle en une myriade de morceaux à la moindre faiblesse dévoilée. Avec une douceur insoupçonnée, la mère déshéritée serre contre son cœur affolé ce qui ne sera jamais.



      Savoie – Au début de l'année 1463.


    Des bourrasques entraînent sous leurs flux puissants un tourbillon de flocons aux fragiles dessins. La poudreuse retombe et s'écoule avec lenteur jusqu'à alourdir les toitures environnantes, distillant dans son sillage hautain des traînées opalines. La froideur étire ses serres et sa morsure sur les âmes errantes, aspirant avec avidité l'étincelle de chaleur au sein des corps frigorifiés. Le gracieux ballet aérien s'échine à attirer et captiver l'attention d'une paire de prunelles lasses et fatiguées. Les digitales nerveuses s'acharnent sur le tissus d'une chemise, voilant tout juste le buste aux formes encore timides. Elle froissent le tissus trop grossier pour être de bonne qualité et dévoilent le haut de ses cuisses délicates et nues. La jeune femme inspire, recherchant à rassembler la bravoure si caractéristique de son caractère mais qui semble quitter peu à peu l'esprit vigoureux qui cherche pourtant ses mots. Un soupir rageur enfle sur ses lèvres et d'un revers de main implacable et hargneux, elle renverse encriers et parchemins siégeant fièrement sur le pupitre. La silhouette s'écroule, l'encre sombre rampant inlassablement entre les rainures d'un parquet usé pour atteindre les jambes blanchâtres et les marquer avec possessivité. Le dos s'arc-boute et les boucles trouvent refuge contre le sol poussiéreux.

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