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Nuit du 12 au 13 Janvier 1463, Début de l'apprentissage d'Azylys sous la tutelle d'Eripsoë.

[RP]Première Leçon: comprendre l'usage.

Eripsoe
[Dans la soirée du Lundi 12 au Mardi 13]


Le soir tombait vite en cette saison sur les rues de Saint Brieuc. Et le froid s'insinuait entre les vêtements pour rappeler à quelle période de l'année on se trouvait et qui en était le maître.

Aussi, c'est un homme pressé dont les bottes claquaient sur le pavé de la ville, cherchant à rallier la taverne sans plus attendre et sans geler sur place. Cet homme, c'était notre médecin bien connu, arrivé dés l'aube en compagnie de Vehuel, pour qui le qualificatif semble encore un brin flou, sa petite fille Yana, Myrdinn son ami, Dôn, soeur de l'ami et Gwilherm, mari de la soeur du dit ami. Un fier équipage qui avait fait halte pour deux jours en la cité briochine. Le prétexte étant simple. Eripsoë voulait étudier.

Mais étudier ne signifiant pas rester enfermé dans une tour de pierre avec des vieux bouquins toute la soirée, il avait aussi décidé de picoler. Et puis de faire un coucou à Azylys. Tant qu'à faire. Il la savait ici. Visiblement, elle continuait à compter les coquilles saint-jacques de la baie. Leur présence la ravirait surement.


La porte du lieu claqua derrière lui tandis qu'il s'ébrouait tel un animal qui chercherait à se débarrasser d'une présence invisible sur ses vêtements. Il s'en alla vite s'installer près du feu, commanda à boire et attendit que sa présence en attire d'autres.

Pendant ce temps, il se réchauffait en frottant ses mains gantées devant l'âtre.

Et il réfléchissait. Il repensait à ce qu'il avait dit à une certaine Capitaine des gardes d'Ouessant et à ce que ça impliquait. Ce que ça allait impliquer.

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Azylys
La Capitaine d'Ouessant était effectivement en congés, congés prolongés avec délice tant ils avaient été attendus avec patience et lassitude mêlées. Le petit Tro tant désiré s'était mué en voyage à vitesse d'escargot, laissant tout loisir à la brune aventureuse pour arpenter cette Bretagne qu'on lui avait contée, quand elle était cloisonnée dans les locaux de la prévôté ou perchée au sommet des remparts vannetais. Si s'attarder une semaine dans une ville ou une autre ne l'ennuyait pas, c'est que l'Azylys avait beaucoup à faire, ou du moins beaucoup à chercher.
Ce n'était pas tant les coquilles saint-jacques qu'elle comptait mais les poissons qui s'entassaient dans son panier, pêchés en pensant à la cité vannetaise qui lui semblait presque loin ces derniers jours. Elle avait redécouvert la pêche qu'elle avait tant pratiquée dans son enfance puis à Toulouse, et s'amusait désormais à apprendre par ce biais la patience à un petit bonhomme intenable de deux ans et demi. Et c'est en faisant tout cela qu'elle se libérait l'esprit pour réfléchir quelque peu à son retour prochain, et à ce qu'elle déciderait de faire ensuite.

La jeune femme avait besoin d'apprendre, encore et toujours, affamée qu'elle était de savoirs en tous genres et d'expériences nouvelles. Si sa lointaine carrière de militaire lui avait donné le goût des armes et particulièrement celui des lames et du fer, elle était depuis longtemps archivée, arrimée au passé et à ses heureux souvenirs. Elle considérait sa carrière de maréchale récemment achevée elle aussi, rangée au placard début décembre alors qu'elle se lançait sur les routes de Bretagne.
Dans ces villes croisées pour la première fois, elle avait cherché la Bretagne, celle qui avait arrêté ses pas deux ans auparavant, cette contrée magique narrée mille fois par des expatriés qui, sans doute, en embellissaient le portrait à loisir. Au final, la Capitaine n'y avait pas trouvé grand chose, guidant un petit groupe de jeunes plus qu'elle n'était guidée elle-même. Elle avait fait la connaissance de personnes formidables, rencontrées au hasard d'une soirée en taverne, mais cherchait encore et toujours ce lien à la terre qu'elle voyait dans toutes les pupilles et n'arrivait pas à tisser elle-même.

Faute de s'être trouvé des liens avec la terre bretonne, on lui avait proposé, au détour d'une conversation de taverne entre deux chopes, de troquer son statut de cheftaine contre celui d'apprentie. Bien évidemment, l'idée n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde, et il en avait fallu peu, très peu, à la curiosité piquée au vif pour s'engouffrer dans ce projet à peine esquissé. Retourner sur les bancs et à l'étude ne lui faisait pas peur, pas plus que d'endosser de nouveau le rôle de novice. C'était là chose rare, mais seule la perspective d'apprendre savait chanter pareillement à ses oreilles et parvenait à dompter l'Azylys rebelle. La proposition était donc restée gravée dans son esprit aussi sûrement que la cicatrice gravée à jamais sur son poing, attendant le jour où projet et réalité pourraient rimer ensemble.
En attendant, la brune avait trouvé dans les chopines des soirées en taverne de quoi lutter contre ce long hiver qui gelait tout sans vouloir en finir, jusqu'à une ex-toulousaine pourtant habituée aux longues nuits glacées en haut des remparts. C'est donc emmitouflée dans sa cape la plus chaude que la voyageuse de Breizh poussa la porte de la taverne ce soir là, en quête d'alcool pour réveiller son esprit engourdi par l'attente de la proie qui ne mordait pas si facilement à l'hameçon. Les azurs scrutant les lieux eurent tôt fait de repérer une présence inhabituelle dans le décor, présence qui se faisait de plus en plus familière au fil de son voyage interminable. Un sourire taquin aux lèvres, elle se fraya un chemin jusqu'au fond de la taverne, subtilisant un tabouret au passage pour aller s'installer devant l'âtre mine de rien.


Encore vous ? Décidément, j'ai beau avancer toujours dans le même sens, sans jamais revenir sur mes pas, je finis toujours par vous recroiser. Adeptes des allers-retours ?

La question n'en était pas vraiment une en réalité, et l'indignation feinte était teintée d'espièglerie, ton familier chez l'Azylys. Pour autant, elle avait rarement eu l'occasion de croiser le doc tout seul, habituée qu'elle était de le trouver toujours en présence de son comparse Kerdraon. Tendant les mains vers les flammes dansantes, elle reprit, plus sérieuse cette fois même si le sourire taquin n'avait pas quitté ses lèvres.

Comment vas-tu depuis..Rohan ?

Vitesse d'escargot, disait-on ?
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Eripsoe
Que disait l'adage déjà ? Quand on parle du loup il... se mord la queue ? Non, mais ce devait être quelque chose d'approchant.

Eripsoë avait, comme à son habitude, sorti des papiers, un peu de boulot et griffonnait, l'esprit un peu ailleurs. A la vérité il n'avait pas franchement envie de travailler sérieusement. Il voulait voir des gens, discuter, boire un coup et ne pas réfléchir à ces textes à n'en plus finir qui lui procuraient des migraines interminables ces derniers temps. Mais l'avantage de consacrer un peu de son temps libre, fractionné, lui évitait d'immenses sessions de boulot ininterrompues coincé dans un bureau. Il pouvait ainsi voyager, profiter, se baigner nu dans l'océan... La vie rêvée quoi !

Il lisait donc un magnifique rapport du comptable à propos du nombre d'encriers à changer par salle de classe lorsque la porte de la taverne s'ouvrit et que se découpa dans l'encadrement une silhouette depuis peu, connue. Enfin, connue. Reconnue. Bref, il savait qui c'était quoi. Bande d'andouilles, c'est celle du post d'avant ! Suivez merde... Et là normalement vous faites le lien avec l'affirmation humoristique du début. C'est peut-être beaucoup en demander finalement...

Evidemment elle s'approcha. Il avait choisi l'âtre à dessein. On n'évitait guère la cheminée d'une taverne en plein hiver. D'un geste convenu plus tôt avec le tenancier, il claqua de ses doigts gantés et deux verres, ainsi qu'une bouteille de Quincy apparurent comme par magie. Il ne savait pas franchement sur qui il allait tomber, mais dans le doute, un peu de mise en scène n'était jamais nuisible.


Eh oui, c'est moi encore qui viens troubler la quiétude de cette bonne ville briochine et semer le trouble dans le coeur des pucelles. Je n'ai aucune morale, aucune limite et j'ai un poney. Craignez-moi ou trépassez !

Il s'amusait volontairement du ton de la Capitaine. et lui poussa un siège du pied.

Assieds-toi, tu ne paieras pas plus cher. Tu aimes le vin blanc ? Pas le sec du pays de Nantes. Le vrai, avec des arômes ?

Dans le doute, il remplit les deux verres et porta le sien à ses lèvres.

Je vais bien. Je me suis arrêté à Tréguier, pour ma part. Et me revoilà redescendant vers le sud. C'est chouette de te croiser. Comment vas-tu, toi ? Toujours en tro ?
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Azylys
Semer le trouble dans le coeur des pucelles ? Sans morale ni limite ? C'était presque du Myrdinn tout ça ! A croire qu'à force de voyager tous les deux, ils déteignaient un peu l'un sur l'autre. Pourtant à l'évocation du poney, la brune ne put retenir un rire franc, amusée de l'imaginer sur un tout petit poney lancé au galop. Elle nota au passage avec curiosité le cérémonial inattendu, voyant d'un très bon oeil l'arrivée de la bouteille, quoiqu'encore inconnue. Depuis qu'elle était bretonne, on l'avait habituée aux chopines de chouchen, rarement aux verres et aux bouteilles de vin, mais l'Azylys n'était pas bien difficile à contenter. Prenant place, elle scruta avec curiosité cette bouteille d'origine mystérieuse.

Si j'aime le vin blanc ? Je serais bien incapable de te dire si j'en ai déjà goûté. Mais si ça se boit, ça ne peut que me plaire !

Et la brune de rire encore en prenant conscience qu'elle picolait un peu plus chaque année depuis son arrivée en Bretagne. C'était devenu sa version d'avoir le sang breton : distiller dans ses veines un peu de chouchen. Oh pas de quoi en vomir ses tripes à la sortie des tavernes, la Capitaine préférait de loin rester maître de ses gestes et en pleine possession de ses moyens. Et puis...il en fallait tout de même pour faire dérailler une Azylys.
Intriguée, elle regardait la lueur des flammes danser dans les reflets de son vin, avant de se décider à porter le verre à ses lèvres. D'instinct, elle avait deviné que si on prenait la peine de le mettre en bouteille plutôt qu'en tonneaux et de le verser dans un verre, ce n'était pas pour vider celui-ci cul sec. Agréablement surprise par ce qu'elle y trouva, elle prit donc son temps pour se faire un avis sur cette petite trouvaille. Elle acquiesçait aux paroles du doc qu'elle ne connaissait encore que peu mais qui l'intriguait beaucoup. De ce qu'elle en avait pu voir, il savait être sérieux et méticuleux quand il le fallait mais n'était pas en reste non plus quand la plaisanterie était de mise. Heureux hasard pour notre Capitaine qui maîtrisait elle aussi les deux versants.


Je vais bien, toujours, répondit-elle dans un sourire. Et toujours en plein milieu de mon Tro, oui. Je prends mon temps pour savourer ce voyage si longtemps attendu ! Pour une fois que je n'ai pas une date de retour impérative, je vais pas me gêner. Et comme je n'ai strictement aucune idée d'à quoi je vais bien pouvoir m'occuper en rentrant...

La voix devint évanescente alors que les azurs se perdaient dans les reflets du verre. Ce n'était pas la première fois que la jeune femme naviguait à l'aveugle et toujours le hasard avait su guider ses pas au bon endroit. Des bribes de projets, elle en avait toujours quelques-unes, parfois trop, et cette fois ne dérogeait pas à la règle. Azylys était créative et ne manquait pas d'ambition...à sa manière du moins. Tant que de politique il n'était pas question, elle répondait toujours présente. Le temps de cligner des yeux et de sourire de nouveau et la brune revenait sur terre, ancrant son regard dans les prunelles italiano-bretonnes.

Pas que je sois désoeuvrée à ce point, loin de là. Mais si je voyage encore un mois comme ça, je vais plus être capable de tenir en place quand je rentrerai à Vannes !

Elle ne rit pas cette fois, mais ses pupilles le faisaient pour elle, brillant de curiosité et d'amusement mêlés. Azylys, vingt-cinq automnes, mère et pourtant aussi vive et enjouée qu'une enfant.
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Eripsoe
Il arrivait parfois que notre Recteur soit d'humeur à plaisanter. C'était le cas ce jour. Heureux d'être sur les routes en bonne compagnie. Heureux de revoir une rencontre récente qu'il appréciait autant que faire se pouvait (il est difficile d'user du terme "apprécier" dans le sens convenu, s'agissant de deux personnes ne s'étant vues que quelques fois. Mais le narrateur étant un gros fainéant, il a décidé de ne pas se casser la tronche à trouver un synonyme et de dire ça).

Il sirotait son verre de vin. Le même que d'ordinaire. Il précisa, à tout hasard.


C'est un Quincy. Un blanc de Loire. A la fois frais et fruité, minéral et doux. Il n'est pas donné, mais il en vaut la peine. Je trouve.

Le vin, comme le reste, tenait ses sens en éveil. Il était un explorateur des saveurs et des sensations. Son ouverture d'esprit, sa quête permanente de nouveautés ne pouvait que le conduire dans cette voie. L'évidence même.

Profites-en bien. Ce sont des moments dont on oublie vite qu'ils ne sont que fugaces. Les obligations reviennent bien trop vite et le quotidien nous écrase bien trop fort pour dédaigner ces instants de répit offerts.

Badin et philosophe ? Il naviguait toujours entre deux eaux. Jamais vraiment fixé. Jamais vraiment posé. Il reprit:

En parlant d'obligations... N'avons-nous pas conclu un accord ? Es-tu toujours intéressée à l'idée d'apprendre ce que je sais ? Veux-tu maitriser cet art banni de la morale et de la bienséance ?

Son air s'était fait profondément sérieux. Son visage éclairé en partie par le ballet des flammes en devint presque inquiétant.

Je veux que tu répondes à deux questions avec la plus grande honnêteté. J'ai besoin de ces réponses pour savoir quoi faire, comment le faire...

Pourquoi veux-tu ce savoir ? Que comptes-tu en faire ? Jusqu'où es-tu prête à aller pour le posséder ?


Il reposa son verre sur la table, se cala dans le fond de son siège, les bras croisés devant sa poitrine.

Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Il ne doit y avoir que ta franchise.
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Azylys
C'est à peine si la brune sentit venir le changement de ton, qui s'était étrangement glissé entre le vin et les voyages, presque subtilement. La seconde d'avant elle acquiesçait à la petite leçon d'oenologie, la seconde d'après elle restait interdite à la mention d'obligations et de quotidien écrasant. Vraiment ? La Capitaine n'avait plus depuis longtemps cette impression oppressante de traîner un boulet à sa cheville tous les jours. Depuis son arrivée en Bretagne, elle avait appris à relativiser, à troquer sa culpabilité de mère inexpérimentée contre l'assurance de faire quelque chose qu'elle jugeait bon. Si la lassitude l'avait gagnée quelques temps en fin d'année dernière, elle était désormais loin derrière elle. L'Azylys entendait bien ne s'engager que dans des projets qui l'intéresseraient, de manière à ne pas avoir à porter le quotidien comme un poids, justement. Etait-ce là ce que le recteur de l'Université bretonne pensait de son quotidien ? Une oppression permanente entre deux bouffées d'air ?
C'est à cet instant que la jeune femme réalisa que de plaisanterie il n'y avait plus. Tant le ton que la mine s'étaient fait graves, et la conversation entrait dans le vif du sujet. Elle prit le temps de réfléchir aux deux -six?- questions qui lui étaient posées. Elle se doutait bien en effet qu'on attendait d'elle de la franchise et uniquement cela. Et la brune n'aurait pas répondu autrement qu'avec franchise de toute façon. Parce qu'elle était comme ça, un peu brute de décoffrage, un peu grande gueule parfois, mais toujours honnête. Parce qu'elle ne concevait pas de pouvoir établir un lien professeur-apprenti sain sans confiance, donc sans franchise. Commençons donc, par les questions les plus simples.


Nous avons conclu un accord, en effet. Et je compte bien l'honorer, oui. Quant à la morale et la bienséance...

Etait-il réellement nécessaire de s'expliquer là-dessus ? Mère célibataire ayant fauté avant le mariage, pour la bienséance et la morale c'était d'ores et déjà foutu depuis longtemps. Et c'était loin d'être sa seule faute impardonnable... Quitte à aller en enfer, autant savoir pourquoi on y va après tout. Elle n'avait pas peur du qu'en-dira-t-on, du moins pas pour elle-même. Le seul point faible qu'elle avait se nommait Kilian et ne lui arrivait pas encore à la hanche, même sur la pointe des pieds. La Capitaine ne se préoccupait que des éventuelles conséquences de ses choix sur ce petit homme en devenir, et ce depuis trois ans. Elle serait droite avec elle-même et ses valeurs, ses "foutus principes" comme on lui reprochait parfois. L'air grave de son futur professeur ne lui faisait pas peur, elle savait ce qu'elle faisait et la voie dans laquelle elle s'apprêtait à engager ses pas. Le ton posé et étonnamment sérieux, elle lui livra ce qu'il avait besoin de savoir.

J'ai l'audace de penser que c'est un savoir à double tranchant. Que les plantes qui tuent sont aussi celles qui soignent parfois. Qu'on peut en faire une arme de destruction tout autant que des instruments de protection. Question de dosage en somme. Je ne tue pas par plaisir, et quand je le fais c'est parce que je le dois. Il ne s'agit en aucun cas de m'amuser à empoisonner quiconque croise ma route ou me cause des ennuis. Et je ne suis pas non plus du genre à me vendre au plus offrant. C'est un savoir précieux et dangereux, j'en suis consciente. Un savoir que je crois utile de posséder, pour le reconnaître, éviter d'en faire les frais peut-être. Je suis Capitaine d'Ouessant, tu le sais, j'aimerais autant qu'on ne puisse pas me duper sur ce terrain-là et supprimer une famille dans mon dos à mon insu. Et puis...je suppose qu'il vaut mieux s'y connaître et apprendre de ceux qui maîtrisent déjà cet art plutôt que d'essayer un jour en solitaire et de faire des bourdes.

Voilà donc pour les deux premières questions, presque faciles à trancher tant la jeune femme avait eu le temps d'y réfléchir. La dernière était plus complexe, plus tordue aussi. Qu'attendait-il d'elle ? Qu'elle imagine tous les vices plus extrêmes les uns que les autres qu'on pouvait dériver d'une telle science, puis qu'elle fasse le tri entre ceux qu'elle tolèrerait et ceux qu'elle bannirait ? Pouvait-on connaître d'avance les limites à fixer dans un art encore inconnu ? N'était-ce pas à lui, professeur en devenir, de cibler ces limites à la perfection ? Soit, l'Azylys se prêterait au jeu, à tâtons peut-être, cherchant en elle ce à quoi elle tenait et ce qui était négligeable.

Je ne testerai pas mes connaissances nouvelles sur des innocents. Et j'espère ne pas avoir à y laisser ma peau non plus. Mon fils est jeune, trop pour se passer d'une mère, aussi avide de savoir soit-elle. Mais je suis prête à t'accorder ma confiance, pleine et entière. Presque étonnant pour une Azylys si farouche, envers un homme qu'elle connaissait si peu. Prête à te suivre aussi, sur les routes qu'il faudra arpenter, où qu'elles soient. Prête à me plier aux exercices et aux épreuves que tu jugeras bon de me faire passer. Je serai une élève assidue, si tu m'en juges digne, car quand je fais les choses je ne les fais pas à moitié.

Etait-ce là ce qu'il attendait ? C'était là du moins ce qu'elle avait à dire, ce qui lui paraissait le plus évident, outre le respect qu'elle savait déjà présent d'un côté comme de l'autre. L'Azylys éprouvait quelques difficultés avec l'autorité arbitraire mais rien de nouveau en somme. Son dernier apprentissage digne de ce nom remontait à son engagement dans l'armée fuxéenne, plus de quatre ans en arrière, à l'époque où elle n'était encore qu'une jeune fille sans aucune expérience. Et pourtant, il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour devenir la sergente qui menait tous les hommes de la caserne "par le bout du nez", selon les dires du lieutenant de l'époque. Nul ne forçait la brune à faire ce qu'elle refusait. Mais elle savait aussi mettre de l'eau dans son vin et se soumettre à l'autorité d'autrui quand elle en faisait le choix. Ce qui ici était définitivement le cas.
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Eripsoe
Il la regardait tandis qu'il l'écoutait parler avec la plus grande attention. Plus qu'un examen de compétences dont il se fichait un peu, c'était cela qu'il voulait savoir: à qui il proposait cette science. Qu'elle ne sache rien lui importait peu. Il préférait au contraire planter sur une terre vierge et s'éviter le désherbage de mauvaises habitudes ou de croyances erronées. Mais le fond de l'âme, il ne pouvait rien y faire, rien modifier. Azylys resterait Azylys, et c'était cela qu'il sondait.

Il but une gorgée de son verre avant de répondre, restant pensif quelques instants. Il cherchait les bons mots. Et il les trouva. Il les trouvait toujours:


Ce que je fais s'affranchit de toute morale parce qu'on me la refuse. Je n'ai jamais de raisons, je n'ai jamais de devoirs, je transgresse l'ordre établi et les valeurs voulues. Ce que je fais, aux yeux du monde, aux yeux des Hommes, est mal. Si tu veux avancer avec moi, tu dois te convaincre que tu es prête à utiliser une arme qui t'est interdite. Que tu ne pourras jamais t'en justifier et que cela ne te sera jamais pardonné.

La morale et lui avaient une histoire complexe, faite de rédemptions et de plongées vers les abysses. Il se rachetait à chaque minute de celle précédemment écoulée. Il courait après le pardon et la pitié divine tout en maudissant ce créateur qui faisait mine de ne pas comprendre les jeux pervers de ses propres enfants.

Tu as la droiture d'un soldat. D'un bon soldat. Tu t'es blindée de manière à supporter ton oeuvre et de vivre avec. C'est bien. Je vais te demander d'aller au-delà. D'assumer plus encore tes actes et tes choix.

Je ne drogue pas quelqu'un parce que je le dois, parce que c'est pour une bonne cause. Je me fiche de le savoir innocent, coupable, jeune, vieux. Je le fais parce que je sais le faire et que c'est ainsi. C'est tout. Mes actes sont injustes ? Qu'il en soit ainsi. Je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même et celui là haut qui me jugera en temps voulu.


Et pourtant il priait chaque dimanche et certains soirs aussi, avec assiduité. Il ne croyait plus. Mais il priait. La peur ? Le remords ? L'envie ? Lui-même n'y comprenait rien...

A compter de ce jour tu deviens mon élève, mon apprenti. Ce que tu fais dans ce domaine est sous ma responsabilité. Si tu trébuches, je te relèverai, si tu t'égares, je te retrouverai. Si tu me trahis, je t'abandonnerai.

Il ne souriait pas et vida son verre d'une traite.

Nous allons sceller ce pacte dans le sang qui est la seule parole qui soit. Mais étonnant donné que c'est un peu ignoble, on va le diluer dans autre chose.

Il commanda de l'eau très chaude, ainsi que deux bols et fouilla sa besace. Il en tira deux sachets sentant la menthe. Il en fit infuser un dans chaque bol. Puis il tira son poignard de sa ceinture, s'entailla à peine le doigt et laissa tomber une goutte de sang dans le bol de gauche qu'il donna à Azylys.

Fais pareil dans l'autre bol et bois ce que je t'ai donné.

Ses traits s'étaient détendus, il semblait moins concentré et grave que l'instant d'avant. La tension était un peu retombée.

Je peux te paraitre dur, mais je ne le suis pas tant que ça. Je n'abuserai pas de mon autorité sur toi et je te sais assez forte pour te défendre si d'aventure la tournure prise te déplaisait. Je pense même qu'en combat singulier tu me tuerais aisément.

Il sourit pour accompagner le retour à la normale.

J'ai confiance en toi. Mère, combattante, dévouée. Tu es prête. Tu es forte. Tu apprendras vite.
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Azylys
Pour l'Azylys, une arme restait une arme, interdite ou pas. Pour se soucier des interdits, encore aurait-il fallu que la brune se soucie de morale en pareils cas. Chacun savait qu'en cas de nécessité, la morale s'effaçait sans autre forme de procès. Et la jeune femme savait assez dire non pour ne pas s'embarquer dans des coups trop foireux à son goût. De justification et de pardon, elle n'avait nul besoin. Elle avait cru, un temps, qu'il était un Dieu bon qui saurait examiner en temps voulu le coeur de ses enfants pour y démêler le bien du mal, les fautes des vertus. Et puis Thot était mort, curé exemplaire fauché par le néant à la sortie de sa propre messe. Avec lui s'étaient dangereusement fissurées la foi et les certitudes. Elle avait pourtant l'impression qu'il y avait quelque chose, quelque chose qui les dépassait tous, qui leur échappait tous, mais elle n'en attendait plus rien de bon. Seul lui importait de pouvoir se regarder en face en se disant avoir fait les bons choix, et surtout que l'Enfant ne pâtisse pas de ces derniers.
Mais Eripsoë avait vu juste, la Capitaine était une ex-militaire blindée par le temps, par les chutes et par sa propre volonté. Là était la clef, la carte la plus importante de son jeu. Elle assumait ses actes et ses choix, car elle avait compris qu'elle en était l'unique initiatrice. De chacune de ses décisions elle restait seule responsable. Ce qu'elle inculquait à Kilian avec fermeté et patience ne tenait qu'en une banale phrase qu'elle se donnait tantôt pour maxime : on a toujours le choix dans la vie. Non pas des évènements, mais de la façon dont on les vit, dont on y réagit, dont on reprend les choses en main. Il lui avait fallu un désastre sentimental et une cicatrice sur son poing pour le réaliser, autant de détours douloureux qu'elle essayait d'éviter à son fils. Elle acquiesça donc, commençant par assumer pleinement le choix qu'elle venait de faire en suivant avec attention le cérémonial qui se jouait sous ses yeux.

Ainsi donc, elle devint élève, retrouvant une fois de plus ces sentiments contradictoires qui l'étreignaient chaque fois qu'elle se plaçait volontairement ou involontairement sous l'aile d'un nouveau mentor. Sensations étranges et confuses qu'elle ne parvenait pas à démêler. Pourtant c'était bien la première fois que le mentor en question se trouvait être si jeune, face à une Azylys qui avait acquis elle-même avec le temps un rôle de tutrice à plusieurs reprises. Elle n'était plus une jeune fille sans expérience mais une femme accomplie qui avait fait ses armes. Et là résidait sa force, ce qui, selon elle, allait rendre ce long apprentissage hors du commun. Les conditions ne pouvaient être plus claires : chute, perds toi, mais respecte l'engagement que tu t'apprêtes à sceller de ton sang.
L'idée lui tira un sourire amusé qu'elle ne dissimula pas. Diluer une goutte de sang ? Ah ça, pour s'être battue contre autrui et contre elle-même, elle avait dû avaler bien plus d'une goutte d'hémoglobine. Et à vrai dire...elle s'était fait à ce léger arrière-goût métallique sans trop de difficulté. Elle avait vu plus ignoble tout de même. Dextre se déroba donc jusqu'au creux des reins pour y saisir la dague menue lovée le long de la ceinture. Le doigt vint s'entailler sur le fil de la lame sans frémir et la goutte carmin se dilua dans le bol d'Eripsoë pour y sceller le pacte. Parole donnée une fois pour toute, l'Azylys venait de sceller également un petit bout de son destin sans possibilité aucune de retour en arrière. La dague retrouva son fourreau et la jeune femme porta son bol à ses lèvres pour goûter ce breuvage pour le moins original.

L'instant suivant, dans une atmosphère dont la tension retombait progressivement, elle se prit à sourire en écoutant son désormais professeur. Il semblait lire juste dans le peu de gestes vus et le peu de mots qu'elle avait livrés. Pas de quoi lire en elle comme dans un livre ouvert, mais suffisamment pour cerner le caractère impétueux de la brune. Avait-elle l'air réellement si forte pour la penser à même d'emporter la partie en combat singulier ? Capitaine avertie, elle optait pour la prudence, préférant surestimer autrui plutôt que de se fourvoyer dans l'autre sens. Il en allait de même avec le doc bien qu'il ne soit pas à considérer au nombre des ennemis potentiels. Redoutable elle le pensait donc, fort de ses savoirs et de ses expériences passées. Pour sûr qu'elle n'avait aucune intention d'en venir au fer avec lui. Reposant le bol sur la table, elle mit fin sans tarder au long silence qui avait été le sien.


Tu n'es pas dur. Tu viens de prendre sous ta responsabilité une apprentie que tu ne connais que peu. Ce n'est en rien un choix anodin et ta confiance m'honore. Car l'ai-je seulement déjà méritée pour l'obtenir par avance ? A vrai dire, je m'attendais à être testée et je ne doute pas que je le serai.

A priori d'une brune presque surprise d'avoir signé un pacte à la suite d'un simple discours. Le souvenir trop tenace peut-être d'un mois de bizutage en règle avant d'être autorisée à rejoindre les rangs officiels de l'armée devait y être pour beaucoup. Mais soit, le serment venait d'abord et les mises à l'épreuve ensuite, maintenant que tout éventuel renoncement avait été banni à jamais. La curiosité initia la question suivante, alors qu'Azylys réalisait ne rien savoir de ce qui l'attendait réellement.

Par quoi commencera-t-on ?

Non pas quand, puisque le pacte qu'ils venaient de sceller de leur sang était le premier pavé du chemin. L'envie l'avait prise de se rendre digne de la confiance accordée et de montrer au mentor qu'il ne s'était pas trompé.
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Eripsoe
La réponse ne tarda pas et le geste rituel fut accompli par la jeune femme avec l'assurance et la précision d'une militaire. La goutte de sang tomba dans le bol et se mêla avec le liquide chaud et parfumé dont s'exhalait cette entêtante odeur de menthe. Eripsoë la regarda se diluer en une volute saumâtre et disparaitre bientôt. Il se saisit de sa tisane et en but une gorgée avec délectation avant d'ajouter:

Le miel adoucit toujours l'amertume des plantes. C'est le meilleur allié des herboristes et des empoisonneurs.

Il reposa son bol et commanda deux bouteilles de vin blanc qu'il paya rubis sur l'ongle. Il ne les ouvrit pas et les échangea avec deux bouteilles vides du même type qui trainaient dans sa besace. La taverne était remplie, bruyante. Ses gestes étaient surs, précis, personne ne vit rien.

On a déjà commencé Azylys.

Un sourire carnassier vint barrer son visage tandis qu'il reprenait une gorgée de tisane.

On croit, plutôt à tort, qu'il est plus facile de tuer quelqu'un dans l'intimité. A l'abri des regards, pour ne pas se faire prendre. Eh bien c'est absolument faux. Le faire en public, avec méthode et application, est chose bien plus aisée. Et nous allons en faire la démonstration à l'instant.

Il désigna du doigt le bol dans lequel elle venait de boire une gorgée.

Tu bois un mélange de Khât, de pavôt et de belladone bien dosée. Dans peu de temps tu vas perdre tes esprits, te mettre à délirer. Je vais profiter de cela pour t'emmener hors d'ici sans qu'on ne me dise quoi que ce soit.

Je viens de commander deux bouteilles qui se sont vidées comme par magie. On mettra ton comportement sur le compte de l'alcool et tu passeras pour une ivrogne.

J'aurais pu te tuer. Sans difficulté aucune. Et sans être à un seul instant inquiété.

Mais tu ne vas pas mourir ce soir. Tu vas juste passer une bonne nuit.


Il se renfonça dans son siège et termina son bol.

Demain matin, quand tu auras les idées claires, nous parlerons de ce que j'ai fait et de ce que tu en as compris.

Le risque était grand. Il ne la connaissait pas assez pour prédire sa réaction, peut-être violente. Mais le test revêtait à ses yeux une importance particulière.

L'attente ne serait de toute manière pas très longue...

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Azylys
[What if I say I'm not like the others ?
What if I say I'm not just another one of your plays ?
You're the pretender.
What if I say that I'll never surrender ?
]*


Nous allons tenter de décrire ici toute la complexité d'un ascenseur émotionnel, version saut à l'élastique sans parachute. Car c'était tout à fait l'état de la brune à ce moment précis où elle eut l'impression que quelque chose clochait. La remarque sur le miel fut notée consciencieusement dans un recoin de son esprit, comme un savoir en plus toujours utile à posséder. Le manège des bouteilles qui se déroulait devant ses yeux ne la fit pas plus tiquer que celui du vin à son arrivée, persuadée, le plus innocemment du monde, qu'il y avait là une bonne raison d'agir ainsi. Le premier indice qui la troubla fut le sourire un peu trop large, un peu trop suspect à son goût. Taisant ses doutes, Azylys écouta attentivement la remarque suivante, se raccrochant inconsciemment à un aveuglement presque choisi. Non, il n'avait pas pu... Mais en voyant l'index pointer fatalement son bol, la brune pâlit considérablement. Alors qu'elle déglutissait péniblement et qu'une goutte de sueur glacée se frayait un chemin au creux de ses reins, ses oreilles bourdonnèrent un court instant, ne laissant filtrer que quelques mots qui l'indignèrent au plus haut point. Elle n'allait pas mourir "ce soir" ? Parce que c'était réservé pour un autre soir peut-être ?!

On apprend toujours à ses dépends, dit-on. Soit, c'était entièrement le cas de la brune qui, pour se calmer un tantinet, se repassait méthodiquement le cours de la soirée, tentant de dénicher l'indice qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille et qu'elle avait manifestement loupé. Elle était pourtant certaine de ne pas avoir quitté Eripsoë des yeux une seule seconde. Ou du moins avait-elle écarquillé les yeux, mais écarquiller n'est pas voir. Et la jeune femme avait tout observé avec attention sans rien distinguer. Une petite ampoule s'alluma dans l'esprit affolé, réalisant après coup que oui, il y avait eu deux sachets de plantes distincts et donc que non, ils n'avaient pas bu la même chose.

Leçon n°1 : Apprendre à voir, car la confiance aveugle tue.

Remontant mentalement plus loin encore, elle exorcisait le choc et la panique première, forgeant plus ou moins consciemment un petit vent de tempête qu'elle érigerait comme ultime barrière en temps voulu.
"J'aimerais autant qu'on ne puisse pas me duper sur ce terrain-là et supprimer une famille dans mon dos à mon insu". Ridicule que tu es, tu viens de te faire duper sous ton regard émerveillé, dupée comme la bleue que tu es. Ne t'attendais-tu pas à être testée après tout ? Pour autant, la découverte faisait mal, bien plus que ne pouvait l'imaginer le sournois professeur. Car si l'Azylys s'était construit des remparts épais pour protéger l'esprit de ce qui pouvait assaillir le corps, Eripsoë venait de passer outre pour la dynamiter de l'intérieur, purement et simplement. Il avait suffit d'une bête gorgée pour anéantir l'empire que l'esprit avait fondé en pliant le corps à sa volonté, et pour une Capitaine qui ne supportait pas de perdre le contrôle, c'était la pire attaque possible.

Leçon n°2 : Il n'y a nulle autre arme ultime que les plantes, et c'est une arme bien déloyale.

Enfin, bien plus de ce qu'il y avait de déloyal dans ce que la brune percevait à l'instant davantage comme une dangereuse attaque que comme un enseignement, ce qui acheva de mettre le feu aux poudres fut le révoltant constat que son professeur venait de souiller ce pacte si important quelques secondes auparavant. L'instant solennel aurait dû poser les bases d'un engagement des plus sérieux, d'une confiance mutuelle, et à la place de ça il venait juste de la...droguer. Comment alors prendre ce pacte au sérieux si ce n'était qu'un simulacre, qu'une première machination pour la duper ? L'Azylys se sentait flouée et menacée là où elle n'aurait pas dû l'être, pulsant d'une colère sourde qui n'aurait pas le temps d'éclater à cause de l'effet de la drogue qui se mêlait à son sang.
Eripsoë subirait donc les foudres de son élève plus tard, n'ayant à contempler à cette heure que la froideur d'un regard perçant tandis que la brune tentait vainement de reprendre le contrôle d'elle-même quelques secondes avant de perdre pied. Elle se drapait dans une maîtrise qu'elle n'avait pas, jouant la dure une fois de plus. Une seconde gorgée fut lentement prélevée dans le traitre bol sans que les prunelles glaciales ne cessent de dévisager le doc. L'instant suivant, la Capitaine tirait un poignard de sa botte pour le planter d'un geste vif dans le bois de la table avant de se lever et de faire volte-face, quittant la taverne sans un mot de plus. Parfois les gestes étaient plus parlants que les mots, et cette lame fichée dans le bois n'était rien moins qu'un avertissement. Profite donc ce soir, mais n'escompte pas jouer à ce petit jeu avec moi une fois de plus.


Dans la fraîcheur de cette nuit hivernale, la jeune femme fut bien vite rattrapée par les drogues absorbées. Un hululement de chouette lui vrilla les tympans, résonnant dans son esprit comme si l'emplumée logeait dans son oreille et la brune se retourna soudainement, croyant percevoir dans le lointain le crissement de la neige foulée au pas, étrangement distant mais si distinct à la fois.


Tu as entendu ?

Mais son visage se décomposa dès qu'elle reconnut celui de son interlocuteur, fantôme du passé qu'elle croyait enterré depuis des lustres. Allons bon, allait-il falloir se battre en pleine nuit contre de vieux ennemis dans une ville qu'elle ne connaissait pas ? Dextre se crispa instantanément sur la garde de l'épée, prête à dégainer pour tailler l'intrus en morceaux.

Dégage de mon chemin..

Les dents serrées, Azylys affrontait des adversaires invisibles, là où les rares passants ne voyaient qu'une écervelée luttant contre l'air ambiant, comme d'autres chevaliers avaient pu lutter contre des moulins à vent. Et ce n'était que le début d'une très longue nuit pour notre Capitaine...


Parce que je l'ai eue dans la tête toute la journée, et qu'elle tournait en boucle quand j'écrivais ce pavé...
*[Et si je dis que je ne suis pas comme tous les autres?
Et si je dis que je ne suis pas juste un autre de tes jeux ?
Tu es celui qui prétend.
Et si je dis que je ne me soumettrai jamais?]

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Eripsoe
Il n'est pas toujours nécessaire de parler pour se comprendre. Les mots ne sont parfois qu'un rajout superflu, là pour confirmer ce que les yeux et la gestuelle d'un corps viennent de dire. Et il n'est de dialogue plus intense que celui qui se veut infiniment silencieux.

Et dans cet échange qui avait duré un moment, il n'avait rien dit. Pas un mot. Pas un son. Ses traits étaient restés figés, son air grave, dur presque, sur de lui et de sa méthode, de ce qu'il venait d'accomplir et de lui faire subir. Le Recteur s'était longuement demandé quelles conséquences cela entrainerait, il entrevoyait alors une forme de réponse dans les iris de la Capitaine d'Ouessant. La colère, le mépris peut-être un peu ? La déception, certainement. Tout cela nourrissait la tempête qui s'abattrait surement sur lui. Et il ne pourrait qu'encaisser. Il ne pourrait qu'assumer.

Et la lame vint conclure cette sourde colère. Le métal froid frappa le bois avec défi et arrogance. Geste désespéré d'une condamnée, déjà vaincue, qui préparait l'après-agonie. Un fin sourire illumina le visage du professeur. Prévoyante, anticipant les prochains coups, elle réagissait de la meilleure des manières.

Il se leva alors avec lenteur, rassurant de faibles hochements de tête les clients qui s'inquiétaient de voir s'éloigner seule cette femme, visiblement pas dans son état normal. Il récupéra le poignard d'un geste à la fois assuré et rapide et le glissa à sa ceinture, passant sa besace et refermant son mantel pour lui emboiter le pas dans la nuit froide qui s'était abattue sur la ville.

Il ne tarda pas à la trouver dans la ruelle, délirant déjà. La belladone et son effet hallucinatoire couplée à l'effet du pavot et du khât était d'une puissance rare. Son arme à la main, elle semblait lutter contre quelque vieux démon.

Il s'approcha, doucement et se glissa derrière elle au risque de prendre un coup. Et c'est d'une voix chaude et rassurante qu'il s'adressa à elle. Formant ainsi, dans cette rue, dans cette ville, un instant peu banal par un couple peu commun:


Tu es ton esprit Azylys. Bats-toi avec le poison, domine-le, refuse le mirage et la peur. Efface-les car ils n'existent que parce que tu le permets. Range ton arme et lutte avec ta tête, ton coeur.

La méthode porterait-elle ses fruits ? Rien n'était moins sur... Lui avait réussi... mais à quel prix ? La dose avait peut-être été un peu exagérée d'ailleurs et la mandragore n'avait rien arrangé. Il s'était d'ailleurs évité cet ennemi qui décuplait les forces et rendait presque fou.

Le risque principal était qu'elle se retourne contre lui dans son délire. Mais si la droguer était hautement condamnable, l'abandonner là eut été parfaitement criminel et impossible à ses yeux. Même si ce soir il devait prendre des coups.

Pas sur, finalement, que sa revanche attendrait bien longtemps à la Capitaine.

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Azylys
    [I'm not sick but i'm not well
    And i'm so hot cause i'm in hell]
    *
    Je ne suis pas malade mais je ne vais pas bien,
    Et j'ai si chaud car je suis en enfer


Même très concentrée sur les démons invisibles qui lui faisaient face, elle ne rata pas un son, pas un geste du lent déplacement du Doc' qui finit par sortir de son champ de vision. Danger classé secondaire peut-être ? Elle même ne savait plus très bien ce qu'elle faisait ni pourquoi elle le faisait, à mesure que son esprit s'embrumait insidieusement en lui volant le contrôle de ses actes. Les paroles du maître sournois résonnèrent un peu trop à ses oreilles, se délitant en bribes confuses auxquelles sa tête perturbée refusait de réfléchir. La remarque sur son arme eut toutefois le bénéfice de voir le poing crispé desserrer son étau sur la garde, une sécurité de plus pour Eripsoë qui jouait un peu avec le feu en droguant une dingue bardée de lames. Le corps savait fort bien les manier seul quand l'esprit déraillait, et un vieux réflexe de militaire aurait sans nul doute pu leur coûter la vie à tous deux. A ne pas reproduire chez vous donc, laissez les jeux dangereux aux tarés dans leur genre, vous sauverez des vies.
La brune fut malgré tout bonne élève, ou du moins essaya de l'être, tentant de lutter contre le poison sans savoir si elle le faisait parce qu'on le lui demandait ou parce que son instinct de survie lui disait que quelque chose clochait décidément. Ultime tentative pour reprendre le contrôle sur ses sens, la jeune femme ferma les yeux, se coupant du monde évanescent qui l'entourait. Peine perdue pour notre apprentie qui ne put se soustraire aux couleurs en pagailles qui continuaient à danser sur ses paupières. La drogue était trop forte pour qu'elle puisse la contrôler, d'autant plus qu'elle n'en était qu'à son premier -dernier ?- essai et que la deuxième gorgée avalée sans trop savoir pourquoi n'arrangeait pas les choses. Si tu savais ma pauvre Azylys le don que tu as pour te mettre dans des situations périlleuses...


    [You kill my mind
    Paranoia paranoia
    Everybody's coming to get me]
    *
    Tu tues mon esprit,
    Paranoïa paranoïa,
    Tout le monde vient pour m'attraper.


Pour l'occasion, elle n'était pas la seule à posséder ce don, et son professeur ne put que le constater quand la Capitaine fit volte-face presque brutalement, dévisageant la silhouette -pourtant familière quelques minutes plus tôt- du danger véritable de cette soirée. Dans les souvenirs décousus de la brune, il y avait ce blond qui venait de la droguer en profitant de sa confiance naïve, et le sentiment de trahison qui lui vrillait encore les tripes suffit pour déclarer le professeur menace publique n°1. Le visage brouillé qui lui faisait face avait largement de quoi décupler l'insécurité qu'elle ressentait. Elle gronda donc d'une voix sourde, largement tintée d'agressivité :

Ne m'approche pas...

L'avertissement stipulait assez qu'un pas de plus lui aurait valu d'être taillé en pièces sur le champ, mais ne suffit visiblement pas à notre droguée qui jugea bon de tenter d'éloigner son agresseur par la force. A ce stade là, elle ne contrôlait plus rien et était parfaitement incapable de savoir ce qu'elle faisait elle-même. Venait-elle de le pousser violemment ? Ou l'avait-elle frappé ? Avait-elle plus de force qu'elle ne l'aurait cru ? L'esprit embrumé n'avait aucune idée de ce qu'elle venait de faire alors qu'elle prenait de nouveau le large dans les ruelles, noyée dans les couleurs et les formes changeantes qui dynamitaient son paysage. Folle et perdue, dans tous les sens du terme. On finirait sans doute par la ramasser quand le froid de l'hiver aurait eu raison des forces qui lui restaient et que ses jambes cesseraient de la porter dans sa cavale.

    [Just say you never met me
    I'm going underground with the moles
    Hear the voices in my head
    I swear to god it sounds like they're snoring]
    *
    Dit juste que tu ne m'as jamais rencontré,
    Je vais sous terre avec les taupes,
    Ecouter les voix dans ma tête,
    Je jure devant Dieu que ça sonne comme si elles ronflaient.


*Harvey Danger - Flagpole Sitta [1997] - I'm Not Sick But I'm Not Well!

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Eripsoe
Aucune méthode n'est jamais infaillible. Rien ne peut assurer d'une réussite absolue sans aucun risque, sans aucune chance de dérapage, sans une infime probabilité que tout échoue, que rien ne fonctionne, que l'échec soit la finalité.

Le coup qu'il venait de recevoir, s'il en était besoin, en constituait une nouvelle preuve ne souffrant pas de contradiction.

Elle frappait fort la bougresse et, bien que sur ses gardes, il s'en trouva déséquilibré et projeté au sol avec une telle facilité qu'il regretta un peu la composition de son mélange. Un léger sédatif n'aurait peut-être pas été du luxe. Mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même de cette situation inconfortable. Lui-même avait joué avec le feu en s'attaquant à l'esprit et au corps d'une femme, soldat, qu'il connaissait à peine. Ce qu'elle avait en elle lui sautait aux yeux, certes. Mais la violence qu'elle pouvait déployer... Cela il venait maintenant de la comprendre. Et il allait devoir composer avec.

Il se releva tandis qu'elle s'éloignait. Un peu sonné mais pas vaincu, encore. Sa jambe n'avait rien eu et sa mobilité restait la même. Seuls son dos et ses côtes lui rappelaient, de manière lancinante, qu'il était faire de chair et d'os. Il n'en avait cure, il ne devait pas la lâcher.

Autant il avait peu de chances face à elle en combat singulier, autant pour ce qui était de lui courir après dans des ruelles sombres et étroites, on touchait là à une spécialité dans laquelle il était dur de le battre. Il s'élança avec souplesse et recomposa les directions qu'il l'avait vue prendre, les sons entendus. L'itinéraire s'écrivait seul et avec facilité. Bientôt, il l'aurait retrouvée.

Il allait lui falloir trouver une solution. L'endormir, l'assommer ? La soigner peut-être ?

Il espérait, en réalité, que la faiblesse du mélange qu'il lui avait fait boire ne trouve bientôt son aboutissement et ne la laisse inconsciente à terre, avec une bonne migraine et des souvenirs un peu flou. Cela, ce serait la facilité. Parce que sinon... il allait surement devoir prendre encore des coups. L'épuiser, oui... Elle était là la solution.

Et elle aussi, elle était là, titubant sur le pavé, ivre de folie et de souvenirs macabres, l'esprit perdu entre deux mondes dont la collision emplissait son esprit d'images, de couleurs, de son. Instant unique d'une étincelle. Comme si le Savoir Absolu se révélait face à nous et que notre compréhension nous faisait soudain défaut. Frustration. Colère. Peur. Il cria:


Tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça Capitaine ! Il va falloir être plus convaincante ! Veux-tu me frapper encore pour me faire payer le prix de ta naïveté ? Alors frappe ! Et ne retiens pas tes coups ! Je suis immortel !

Le commentaire final était d'un goût tout particulier parce qu'au fond, il n'en menait pas si large que ça. Il ne sortit ni sa dague, ni ses poignards. Il ne voulait pas la blesser, pas la frapper. Il voulait qu'elle s'écroule. Alors il allait danser. Comme il ne l'avait plus fait depuis bien longtemps. Saurait-il encore enchainer les pas sur la pierre glissante du sol breton ? Saurait-il louvoyer, esquiver, éviter ? L'instant était fatidique.

Et son mantel glissa au sol...

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