Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP Flashback] - Nous étions deux.

Flaminia.m.
Venise, 1460.

Etre dans les grâces du neveu de l'évêque d'Urbino permet quelques privilèges, comme avoir une bâtisse dans la province de Padoue, de ces magnifiques villas palladiennes qui font l'orgueil des notables vénitiens. Et le sien tout autant, mais ce qui fait plus encore la fierté de la Marionno, outre sa beauté et son esprit, ce sont bel et bien la beauté et l'esprit d'une toute autre personne.

Les mains sur les yeux, elle compte au milieu des herbes folles du jardin, revêtue d'une simple cotte de lin. C'est jour de congé, elle s'est battue âprement avec sa propre mère pour que certains jours lui soient réservés, les clients peuvent bien attendre, on ne baise pas le jour du Seigneur. Il y a le soleil qui joue dans les mèches blondes, qui lui fait plisser les yeux à travers le filtre de ses doigts, et elle fait mine de ne pas entendre les bruits d'enfants que les oiseaux alentours ne sauraient étouffer.

« Par Dieu, j'ai perdu ma fille ! Où est-elle ? »*

Grâce soit rendue au ciel, sa mère n'est pas là qui trouve ce genre de jeux puérils et indignes de sa profession, sa mère qui n'a jamais jugé bon d'avoir un autre lien avec sa fille que celui de professeur et de maquerelle, sa mère qui voudrait que sa petite-fille suive le chemin de sa mère. Au milieu des herbes, il y a de l'or qui glousse, et les mains s'élancent attrapant la fillette sans pitié pour la faire sauter dans une envolée de jupes.

« Que voilà la plus jolie petite fille de Venise ! »*

Est-ce si paradoxal ? Peut-on être parmi les plus grandes courtisanes de Venise et être une mère aimante ? Peut-on être l'exemple même du péché originel et être malgré tout sensible à la pureté sous sa forme la plus brute ? Bien sûr.

Flaminia est folle de sa fille, comme on l'est d'une petite chose fragile. Elle ne la voit pas assez puisque la fillette est tenue, à sa demande, à l'écart de ses clients et de sa maison sur le canal.


« Veux-tu rentrer Giuliana ? Les lotions ont du bien macérer, nous pourrions aller les sentir. »*

Elle n'est plus si jeune, elle est toujours belle, son corps a changé depuis la naissance de l'enfante, des formes sont venues arrondir le corps de diane, et elle use certaines fois de pommades et de macérats pour avoir la peau aussi claire qu'avant. Cela marche à en croire certains de ses habitués qui reviennent encore et toujours à la Marionno et ses effluves de jasmin.

La main est tendue, avec son cœur dessus, et un sourire en bandoulière.
Nous étions deux et nous étions heureuses alors.


______
*[ En italien évidemment.]
_________________
    J'ai longtemps hésité entre être une sainte ou une putain. J'ai décidé d'être femme et d'être payée pour cela.
    Veux-tu m'aimer ? Je monnaie jusqu'à mes baisers.
Lililith
La petite fille entend le décompte : elle rit, amusée, et plaque ses mains sur ses lèvres pour en faire cesser les sons. Peine perdue ! La joie est plus forte qu’elle et l’emporte. Il faut dire, elle ne passe pas beaucoup de temps avec sa génitrice et son allégresse l’emporte de la savoir à quelques pas, là rien que pour elle. Alors quoi de plus normal que sa mère la trouve en quelques instants à peine ?

« Que voilà la plus jolie petite fille de Venise ! »

Elle rit plus fort encore, ravie de se retrouver dans les bras de cette femme qu’elle adore plus que tout au monde. Elle tente de lâcher, boudeuse, un « tu as triché ! » qui s’évanouit à peine tente-t-il de passer ses lèvres, perdu entre le rire et le baiser qu’elle colle sur la joue si douce de sa mère. Elle rit encore, aimerait lui faire un câlin mais n’ose pas. La grand-mère a beau ne pas être là, elle a bien vu, une fois, le regard noir qu’elle leur lançait à toutes les deux alors que Giuliana serrait sa blonde mère contre elle.

Elle aimerait bien savoir parler plus, mais elle ne sait pas vraiment comment parler, et puis la seule à qui elle pourrait se confier, c’est cette femme qu’elle a devant elle et qui la repose maintenant sur le sol. Sauf qu’elles ne font que se croiser quelques jours, trop peu pour que la fillette accepte de se laisser aller à des confidences. Elle comprend que sa mère est très occupée, et que cela risque de l’embêter de se trouver avec cette petite fille – ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la Minusculissime ! -.


« Veux-tu rentrer Giuliana ? Les lotions ont du bien macérer, nous pourrions aller les sentir. »

Giuliana. Elle ne sait pas trop si elle aime ce nom ou pas, mais l’entendre prononcer par cette blonde si douce, c’est comme s’il prenait une autre dimension. Comme s’il devenait le paradis sur terre.
Ravie, la petite glisse sa main dans celle maternelle et la suit, un large sourire sur ses lèvres. De toutes manières, elle la suivrait n’importe où, jusqu'en enfer même pour ne pas la perdre.

Elles rentrent, et l'enfant ferme ses yeux, laissant les odeurs l'envahir. Elle adore cela, elle adore laisser son nez la guider. Elle commence déjà à reconnaître certains effluves ; mais son préféré reste le jasmin parce que c'est celui que sa mère porte en toutes circonstances.

_________________

Image originale : © Rubens - Portrait de Clara Serena Rubens.
Flaminia.m.
It's .. Oh so quiet.

Elles ne savent ni l'une ni l'autre comment se comporter entre elles, et pourtant, l'amour déborde par tous les pores de leur peau. Elles s'aiment à n'en pas douter, elles se ressemblent, même si des fois, elle a des doutes tant l'enfant paraît calme et délicate à côté d'elle. Et la paternité est encore plus difficile à déceler, ils ont été nombreux à vouloir la revendiquer pour s'attacher la mère, mais même le géniteur de l'enfant ne pourrait y trouver une trace de lui, s'il n'y avait ce nez droit et ce petit profil déterminé.
L'or de sa mère, le brun du regard ou du moins de la moitié du regard maternel, Giuliana est sa fille. Sa merveilleuse petite fille chérie, son privilège inestimable.

Et pour cela, leurs dimanche sont précieux, parce que le dimanche, les serviteurs peuvent aller partager la messe avec leur famille, et reste à Flaminia et sa fille, la simplicité de la vie à deux. Ces dimanche sont une bonne excuse pour tenter de cuisiner quelque chose d'à peu près mangeable pour sa fille, de s'éviter les fards et les incarnats. Le dimanche, on a le droit d'être simple et d'être mère. On peut aussi refaire ses provisions d'onguents et de pommades, profiter de la campagne et de ses plantes pour cela. Vivre sans se soucier de plaire, lui être toute dévouée.

Alors, elles gagnent la loggia où sont installés les petits pots d'apothicaires et quelques jarres où macèrent des fleurs et des rhizomes. La fillette est posée sur un coffre, tandis que les couvercles sont ôtés d'une main sûre et qu'elle en renifle chaque contenu.
Point de sorcellerie, rien que les femmes n'usent couramment, rien que des pâtes pour avoir la peau blanche, le cheveu soyeux ou la lippe attirante. A Venise, le commerce des femmes est connu et celui des lotions l'est tout autant depuis que Trotula les a posés par écrit, pourtant, on est si vite accusée à tort par une rivale qu'il vaut mieux se garder de partager ses recettes ou se montrer entrain de faire ses préparations.


« Sens, ce sont des bulbes de lis, cela sent si bon et c'est si doux pour la peau. Et là, regarde les pigments ont bien tenu. »

Une pâte d'incarnat est lissée du doigt avant d'atterrir sur le nez de la fillette sans préambule. C'est gâché ? Non. C'est une marque d'attention. Elle voudrait la serrer dans ses bras, mais à peur de la brusquer, cette enfant qui ne dit jamais rien à sa mère. Cercle vicieux que le manque de visite ne facilite pas. Alors, elle rit à la voir parée de rouge.

« FLAMINIA ! PUTAIN ! SORCIERE ! OU ES-TU ?! »

Une ombre au tableau, un cri d'homme aviné.
Giacomo Ghisi.. Ne s'en défera-t-elle jamais ? Le calcul est rapidement fait, outre le vieil intendant Marco, aucun serviteur n'est là. Cette demeure était son refuge inaltérable, sa cachette, et lui vient la souiller.

Les cris fusent dans la cour de la villa, et la Marionno a perdu de sa superbe tandis qu'elle réfléchit. Le visage chéri est pris en coupe dans les mains et des baisers sont déposés à la volée comme pour étouffer les insanités hurlées.


« Maman t'aime si fort Giuliana, et nous allons jouer encore. Il faut que tu te caches si bien que je ne pourrai pas te trouver, ni moi, ni Marco. Mais pas dans la maison, sinon nous te trouverons, entrecoupés de baisers, les mots volent. Il y a l'urgence de savoir le client éconduit en bas qui a déjà juré de se servir de la fillette pour l'avoir dans sa couche. Comme lorsque nous avions volé la broche de Fiammetta, cache-toi. »

Comme lorsqu'elles s'étaient cachées pour rire et pour éviter l'ire de la grand-mère, mais c'était un jeu alors. Dans la main, elle glisse les petits pains blancs qu'elles escomptaient manger pour le déjeuner et qu'elle a acheté le matin même sur la piazza San Marco. Et le reste d'incarnat sur son doigt vient s'étaler sur ses propres lèvres avec fatalisme, quand les lèvres se rencontrent pour étaler la pâte carmin, elle frissonne à l'idée de ce qu'elle va trouver, de ce qu'elle va dire à cet homme qui la hait autant qu'il la désire et qu'elle méprise autant qu'il lui inspire de dégoût.

Mais la femme qui descend les marches et laisse sa fille à son propre sort, n'est pas qu'une courtisane.
Elle est mère et sa fille qui est l'engeance d'un lion et d'une lonce, vaut bien mille combats.

_________________
    J'ai longtemps hésité entre être une sainte ou une putain. J'ai décidé d'être femme et d'être payée pour cela.
    Veux-tu m'aimer ? Je monnaie jusqu'à mes baisers.
Lililith
    Celles qui n’échangent pas leurs plaisirs
    Pour ce qu’on pense ou c’qu’on va dire
    Qui disent ok pour les enfers
    Contre un peu d’paradis sur terre
    Des p’tits moments piqués en fraude
    Comme un automne aux pays chauds
    Plein du goût des baisers volés
    Toujours un p’tit peu plus sucrés

    J-J. Goldman, Filles faciles.

Giuliana adore le dimanche. Elle adore ce moment où sa mère est là, rien que pour elle. Elle est contente de voir que, comme d’habitude, rien ni personne ne vient briser la quiétude de leurs instants à deux. Personne n’est là pour leur dire quoi faire, leur dicter leurs manières de se comporter, même par la simple présence.

L’enfant se retrouve posée sur un coffre et elle y prend ses aises, se sentant comme une princesse sur son trône, comme dans les histoires qu’on lui a parfois lu. Elle observe attentivement les faits et gestes de sa mère, trouvant qu’elle fait de la magie et qu’elle a de l’or dans les doigts ; mais elle ne sait pas encore que cet or attire les jaloux et les envieux.

L’adulte revient vers la petite qui bat des mains, déjà ravie qu’elle se tourne vers elle, elle ferme les yeux pour mieux sentir et sent qu’on lui écrase quelque chose sur le nez. Loin de se vexer, elle se tortille un peu et a un grand, grand éclat de rire, vit détruit par un cri qu’elle ne comprend pas. Elle sait juste que sa mère a été appelée. Et aux bruits qu’elle entend, ce n’est pas pour un client. La peur s’empare de la fillette qui se fige et observe sa mère se décomposer. Elle apprécie le contact et encore plus les baisers. Elle voudrait geindre qu’elle ne veut plus jouer, plus maintenant, parce que maintenant c’est l’heure des pommades et de sentir tout ce qui lui passe sous le nez, mais elle ne peut pas, alors elle se tait. Elle descend de son coffre et prend les pains sans songer que sa mère n’en aura pas à manger. Elle ouvre de grands yeux étonnés de voir que sa mère ne veut pas jouer avec elle. Elle va pour s’éloigner, mais la regarde partir et la rappelle une dernière fois :


- Mamma ! Ti amo.
[Maman ! Je t’aime.]

Elle ne lui a jamais dit mais elle pressent l’urgence, la regarde une dernière fois dans les yeux, et déguerpit, cherchant où elle pourra se cacher. Elle court, elle passe par la porte arrière et débouche sur une petite cour. Elle ne fait pas attention à qui est là et la regarde passer avec étonnement, et elle part, parce que sa mère lui a donné une mission : elle qui est si douée pour la trouver ne doit pas en être capable cette fois.

Elle ne s’arrête pas et tente de réfléchir à travers ses larmes qui se mettent à couler sans trop qu’elle ne sache pourquoi. Elle passe en revue les différentes cachettes, toutes connues par sa mère, et puis trouve soudain. La maison de la Angelina, la vieille qui est toujours gentille avec elle. Mais au lieu de frapper à la porte, elle contourne la petite demeure et se glisse dans le sous-sol dont une fenêtre est toujours ouverte. Sa petite taille lui est utile à cela, et elle se terre au fond, tout au fond, et s’y blottit, réalisant tout à coup que si sa mère lui a demandé de se cacher sans qu’elle ne puisse la trouver, cela veut dire qu’elle devra sortir elle-même, mais elle ne sait pas quand. Instinctivement, Giuliana met ses doigts devant ses yeux pour ne plus rien voir, et aussi pour qu’on ne la voie plus.

Là, la longue attente commença.

_________________

Image originale : © Rubens - Portrait de Clara Serena Rubens.
Flaminia.m.
- Mamma ! Ti amo.

C'est le sortilège le plus puissant dont une femme puisse user, et il faut énormément de forces à la Marionno pour ne pas se retourner pour courir serrer son enfant dans ses bras.
Galvanisée par les mots de sa fille, ces mots qu'elle attendait d'elle-seule, elle rejoint la cour. A ce stade de sa vie, elle a eu son lot de compliments, et quand elle apparaît sur le seuil de la maison, elle a l'assurance de ces femmes riches qui ont l'habitude d'être écoutées et d'être admirées.
Que voit-il lui aigri par la frustration et bouffi par la haine ?

La courtisane le toise du haut des quelques marches qui les séparent, resplendissante de cet amour que sa fille lui a offert en quelques mots. Elle n'a pas réellement changé depuis cette unique nuit qu'il a passé avec elle, ses seins plus forts peut-être tendent la robe simple, et le soleil fait jouer l'or de sa chevelure qui s'agite doucement. Ce qui n'a jamais changé en revanche chez Flaminia Marionno, cette chose qui a toujours irrité le Ghisi, c'est le mépris évident qu'il peut lire dans les yeux vairons. Les mains se tendent en la direction de la courtisane, et elle recule d'un pas, les traits figés dans une expression de dédain.
Venise et sa profession lui ont appris à mentir, à tricher, et pourtant, elle n'a jamais réussi à accepter cet homme qu'elle exècre au point que sa présence même lui fasse couler un courant d'air glacial le long de l'échine.


« Je suis là Giacomo. Et tu es sur la propriété du signor Foscari, s'il l'apprend, ton père ne pourra pas te protéger cette fois, lance-t-elle, froidement.
- J'ai de quoi payer, j'ai toujours eu de quoi payer. Tu acceptes l'or de mon père et pas le mien ? Quelle mauvaise putain tu fais !
- Je ne suis pas une putain, je suis une courtisane. C'est cela qui me donne le droit de choisir les pièces qui me plaisent le plus. Je te le redis, pars d'ici et je ne dirai rien à personne.
- Tu choisis tes pièces ? Comme celles du père de ta bâtarde ? T'a-t-il au moins payé celui-ci ?, la haine déforme les traits de l'homme tandis qu'il franchit la distance qui les sépare pour se saisir du bras de la blonde. Tu me refuses ce que tu offres à tant d'hommes, tu le feras aujourd'hui. J'ai cessé d'être humilié. »

Les mots plus que les gestes la blessent, et pourtant, l'orgueil l'empêche de lui laisser la main mise sur sa personne. L'haleine avinée s'écrase sur sa face quand il s'essaie à l'embrasser et qu'elle le repousse, derrière eux, elle voit Marco qui quitte la villa pour aller appeler aux alentours quelques paysans. Il suffirait de le laisser faire son office en attendant qu'ils arrivent, et quand sa volonté faiblit, quand les injures et la poigne de l'ivrogne commencent à avoir gain de cause sur sa détermination, alors elle revoit sa fille sourire sur son petit coffre, et les mots prononcés lors de sa fuite.

La main fuse sans prévenir et les ongles prennent leur tribut de chair humaine sur la joue du Ghisi, elle se débat, hystérique, et s'échappe de l'emprise de son agresseur pour rejoindre la loggia en espérant s'y calfeutrer. La porte se referme sur le bras du monstre, les bruits se mêlent et elle ne sait plus si c'est son cri de peur ou son cri de douleur à lui qui lui vrille les tympans, et quand il entre dans la pièce, elle remercie le ciel d'en avoir fait sortir Giuliana. Dans la mêlée, les pots sont renversés dans un fracas qui ajoute au cahot une senteur hors de propos, les huiles se répandent, et la chandelle de suif destinée à chauffer quelques préparations tombe sur les feuillets.

Âcre, l'odeur des vélins qui se consument. Amer, le goût de la défaite dans sa gorge quand les mains de l'homme se resserrent sur elle. Et les yeux papillonnent de ne plus vraiment rien voir hormis les flammèches derrière Giacomo et les pointes de lumière qui dansent et s'agitent devant la rétine à mesure qu'il resserre sa poigne. Dans la cour, on entend des hommes qui arrivent et son agresseur lâche sa victime avant de partir sans demander son reste. Les flammes ont commencé à se répandre dans la pièce aux riches tapisseries et aux présentoirs en bois, quand Marco et quelques serfs des environs viennent la tirer dans la pièce à la limite de l'asphyxie.

Marco qui la ramène à Venise, sans tarir de lamentations sur la bonne amie de son maître qui a failli perdre la vie. Mais sa vie n'est pas perdue, sa vie est cachée quelque part sur le domaine, et c'est pour cela qu'elle s'est battue. Son enfant vaut bien un incendie. Elle vaut le plus grand brasier que les environs aient connu, celui de la haine et de la folie d'un homme.

La courtisane aux mèches brûlées d'appeler dans ses délires, de réclamer, mais personne n'entend pour la bonne raison qu'elle a perdu à moitié connaissance.
Rendez-lui sa fille puisqu'elle l'aime.

_________________
    J'ai longtemps hésité entre être une sainte ou une putain. J'ai décidé d'être femme et d'être payée pour cela.
    Veux-tu m'aimer ? Je monnaie jusqu'à mes baisers.
Lililith
Combien de temps reste-t-elle là ? Deux minutes, une heure, deux ? Plus longtemps ? La Minusculissime n'ose pas bouger, ni écarter ses mains de ses yeux de peur de voir surgir un visage effrayant, ou celui mécontent de sa mère, parce qu'elle l'aurait tout de même trouvé. Elle est figée ainsi, et elle patiente, se prenant au jeu de compter le temps qui la sépare de la lumière. Elle compte comme sa mère le ferait si elle devait la chercher. Elle reste, puis, lassée, finit par se rouler en boule sur le tas informe non identifié, et s'y endort après s'être frottée les yeux.

Elle n’a pas un sommeil sans rêve, elle entend le cri lancé à sa mère, et voit le visage déformé de l’homme qu’elle a entr’aperçu par une fenêtre alors qu’elle fuyait. Elle serre les poings et voudrait la rejoindre pour la défendre et l’écarter de lui parce qu’elle a beau n’avoir que cinq ans, elle sent bien le danger qui en émane ainsi que toute l’agressivité. Giuliana entend sa mère hurler, et elle a beau ruer pour vouloir s’approcher plus de sa mère, c’est peine perdue : elle reste comme engluée dans le sol sans espoir de contact.

Au matin, quand elle s’éveille, c’est avec le bruit de la vie qui reprend. La petite s’étire, bâille, et se frotte les yeux. Première constatation : elle est toujours toute seule dans cette cave ; c’est que sa cachette était bonne. Elle se promet de la retenir pour quand Maman voudra encore jouer avec elle de la sorte. En espérant qu’Angelina laisse le soupirail libre d’accès… Deuxième constatation : sa mère ne l’a pas trouvée. Vu le temps qui a passé, Giuliana se dit qu’elle peut sortir de là et considérer qu’elle a gagné. Un sourire ravi se tisse sur ses lèvres tandis qu’elle réalise ce que cela veut dire. Des fois, quand Maman ne la trouve pas, et qu’elle doit se montrer d’elle-même, elle a droit à du dessert. Une fois, la toute première fois qu’elle ne s’est pas montrée, elle a senti l’inquiétude dans la voix de sa mère qui l’a un peu punie. Alors la Minusculissime s’est promis de ne plus refaire ça, ou plutôt, de ne plus tant tarder à se montrer. Peut-être que Maman est dans le même état maintenant que cette fois-là ? L’enfant frémit de l’imaginer comme elle était alors, ce n’est pas un bon souvenir pour elle.
Troisième constatation : elle n’a pas faim. Elle n’a pas mangé depuis qu’elle a quitté la maison, mais étrangement, son ventre ne gargouille pas… Elle récupère tout de même les petits pains qu’elle a posés, et s’extirpe de sa planque.

Elle regarde autour d’elle, protégeant son regard, éblouie par le soleil qui brille. Timidement, elle reprend le chemin de la maison, le connaissant par cœur, et s’imagine déjà voir sa mère sur le pas de la porte, les mains sur les hanches, mi-sérieuse mi-amusée, tentant de la disputer sans y parvenir vraiment, et finissant par ne pas résister à son minois. Après tout, elle l’a bien dit que Giuliana était la plus jolie petite fille de Venise !

Elle ne se doute pas cependant de ce qu’elle va trouver.

Ses yeux s’agrandissent d’effroi alors qu’elle a une étrange scène sous les yeux. Elle ne comprend pas d’où vient cette odeur qui habituellement ne lui pique pas tant le nez et ne la fait pas pleurer, ni pourquoi elle semble tout à coup plus âcre. Elle ne comprend pas non plus pourquoi tout s’offre à elle de la sorte, calciné. Elle titube sans réaliser ce qui s’offre à elle, elle s’avance parmi les décombres.


- Ma… Mamma ?
[Ma… Maman ?]

Comme si sa mère pouvait surgir devant elle, toute souriante, et la prendre dans ses bras. C’est ce qu’elle aimerait, pourtant. Dans sa main, le pain est écrasé sans qu’elle n’en ait conscience, et elle se met à pleurer sans s’en apercevoir, sinon par sa vision brouillée. Et puis, comme elle est arrivée par derrière, elle finit par arriver de l’autre côté, à l’entrée principale, et tombe sur quelqu’un qui lui empoigne le bras. D’un geste, elle se débat à l’instar de sa mère avant elle, et a un mouvement de recul.

- Giuliana ! Que fais-tu là ?

Fiammetta la houspille. Elle, tout ce qu’elle demande, c’est de savoir où est sa mère. Alors elle pose la question, une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à la hurler pour se faire entendre. Et puis le mot tombe, et la fillette se fige. Elle fait « non » de la tête pour le chasser, comme si elle pouvait encore l’ignorer. Son regard se fait creux et elle le refuse mais doit se rendre à l’évidence. « Morta ». Sa mère est morte dans cet incendie. Giuliana s’effondre sur le sol et sa grand-mère n’esquisse même pas un geste, ni pour la retenir, ni pour la relever. Alors, elle reste prostrée ainsi, jusqu’à ce que la vieille la ramène à elle pour lui ordonner de rentrer avec elle. Alors qu’elle se relève, elle prend conscience de ce que sera sa vie avec cette femme qu’elle exècre déjà, sans savoir pourtant jusqu’à quel point cela peut aller. Dans sa main, elle serre le pain que sa mère lui a donné, son ultime cadeau.

Elles ont ce face-à-face, de deux générations qui ne se comprennent pas, et l’enfant réalise ce que cela signifie. Alors elle fait volte-face, et commence la plus longue course de toute sa vie. Si sa mère n’est plus là, elle n’a pas à suivre cette presque inconnue qui, elle le sent au fond d’elle-même, ne sera pas tendre avec elle bien qu’elle ne soit qu’une enfant. Alors, elle se décide à aller vers le Nord, vers cette France dont elle ne baragouine que quelques mots dans un français affreux, décidée à ne s’arrêter que quand elle jugera avoir mis assez de distance entre elle et Venise.

C’est ainsi que bien plus tard, elle débarquera avec son air de sauvageonne à Blois, et se laissera convaincre par beaucoup d’y rester.
Elle n’arrêtera jamais vraiment de courir depuis lors.

_________________

Image originale : © Rubens - Portrait de Clara Serena Rubens.
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)