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[RP] Les folies minotières

Wallerand
Le Beauharnais était également d’humeur assez morose. Entre l’assassinat découvert quelques jours plus tôt et l’absence de sa maîtresse, il peinait à se maintenir dans son état normal. Ce jour-là, il avait emmené de quoi travailler au moulin, se réfugiant dans un endroit où il y avait eu déjà tant de joie qu’il espérait en collecter des miettes par son seul environnement. Sauf que la colombe n’était pas là… Ce fut donc sans la compagnie du revêche volatile que le Chancelier s’attela à la rédaction des missives et à la préparation des interventions sur lesquelles il avait escompté travailler. Plus tard dans la journée, cependant, le bruit de deux chevaux marchant sur la route à quelque distance se fit entendre. Il y eut comme une pause, puis l’un se rapprocha alors que le second s’éloignait. Se pouvait-il ?... Non, elle devait rentrer plus tard, ça ne pouvait pas être elle. Qui, alors ?

Le regard glissé par la fenêtre lui suffit. C’était elle, c’était bien elle qui attachait sa monture au muret ! Le naturel exubérant du jeune homme revint au galop et il sortit du moulin à longues foulées, laissant en plan, une foi n’étant pas coutume, tout son nécessaire d’écriture sans même prendre la peine de le nettoyer. L'Acrobate paissait près du Midou, et avec un peu de chance le père de Bella ne l'aurait pas remarqué au passage… Et elle non plus. Lancé à pleine vitesse, il refermait les bras sur elle pour l’étouffer de baisers quand un caillou malintentionné ripa sous sa botte, entrainant une chute un petit peu rude sur le côté. Ainsi naquit le placage, repris quelques siècles plus tard dans un sport bien connu. Cependant, de là à dire qu’il faut considérer Wallerand comme un précurseur de cette délicate activité, il y a un pas que le modeste narrateur se refuse à franchir. Bref, le jeune homme retrouvait le sourire en cette blondissime compagnie, et il le lui signifia, allongé dans l’herbe dans la douceur de l’après-midi, en la serrant étroitement contre lui, d’un joyeux :


Oh, pardon, mais ça me fait tellement plaisir de vous revoir !

Seul un petit éclat de rire lui répondit, alors que sa maîtresse se lovait contre lui, et il continua entre deux baisers fiévreux :

Je croyais que vous deviez rester encore un peu ?
Oui...
Qu'importe, je suis heureux de vous voir !


Mais le filet de voix de la jeune fille alerta son amant. A mieux y regarder, le fragile sourire cachait mal une mine défaite, soucieuse. Desserrant légèrement l'étreinte de ses bras, le Beauharnais considéra Bella, retrouvant soudain son sérieux. Se soulevant sur un coude, il tendit la main vers sa joue, alarmé par le voile humide qui noyait son regard de jade.

Quelque chose ne va pas ?

Sans un mot, la jeune fille fouilla dans la besace qu’elle portait pour en tirer deux feuillets, qu’elle tendit au Beauharnais. Les dépliant, il les parcourut et crut que les yeux allaient lui sortir de la tête. Et que son cœur allait se décrocher. Un moment, il resta silencieux, suivant du regard les lignes sans pour autant les relire, machinalement. Ils n'en avaient pas beaucoup parlé, mais Wallerand savait que sa maîtresse avait un temps envisagé de se retirer du monde. Elle en avait parlé à leur première rencontre... Et maintenant ? Etre poussée par le Primat de France à devenir Evêque, c'était l'occasion rêvée d'accomplir pleinement cette vocation... Le jeune homme tentait de garder contenance, et pourtant il y avait une saleté de noeud coulant qui glissait sur sa gorge. S’asseyant en tailleur, il garda un instant encore le silence, passant une main sur son visage comme pour se réveiller d’un cauchemar.

Si c'est ce que vous voulez... Je veux dire, je sais que vous avez à coeur de servir le Très-Haut. Et je sais que je n’ai pas le droit de vous demander d’y renoncer… Mais...

Allez. Lâche-le. C'est le moment, tu ne sais pas quand il sera trop tard pour le faire. Et quand il sera trop tard, tu pourras juste t'en mordre les doigts et le regretter pour une éternité, et en plus tu t'en voudras de l'avoir fermée parce que ça te faisait peur de l'admettre. Ca a beau être l'argument le plus égoïste du monde, c'est tout ce que tu peux opposer à l'Eglise. La voie de Dieu contre la voix du coeur, qui s'exprima dans un murmure.

... Je vous aime.
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Christabella
Soucieuse, la jeune femme ne s'attendait pas à un placage en règle par son pilier de bar préféré - il faudra pardonner à la narratrice ce jeu de mot. Aussitôt, piégée dans ses bras, assaillie par son parfum, par ses caresses et ses baisers, la jeune femme ferma les yeux. Elle se sentait entière, avec lui. Deos, qu'il lui avait manqué... Elle se lova dans ses bras, cherchant le réconfort, voulant se perdre en lui, à tout jamais. Avant que ne sonne le glas de leur folie... Elle ne savait pas comment il réagirait, lorsqu'il comprendrait. S'il tenait à elle comme elle tenait à lui, ou bien si elle n'était pour lui qu'une parmi d'autres.
Le choix était rude pour la jeune femme. Avec lui, elle se sentait vivre, vivre pleinement. Sa voix joyeuse lui arracha un petit sourire, malgré son coeur déchiré. Oui, elle aussi brûlait de le revoir, il lui avait manqué. Le voile de larmes menaçait d'inonder ses yeux, et il le vit.

Elle lui tendit les feuillets, incapable d'émettre le moindre son, tant la boule dans la gorge lui faisait mal. Bella ne voulait pas éclater en larmes devant lui. Bouleversée par le meurtre de l'archevêque, par le situation précaire du diocèse et de l'archevêché tout entier, par la proposition de son ami David... Wallerand lisait les vélins, l'air contrarié. Et il réagit enfin..


Si c'est ce que vous voulez... Je veux dire, je sais que vous avez à coeur de servir le Très-Haut...

Non, ce n'était pas ça qu'elle voulait entendre, non... Sans lui, oui, elle n'aurait pas hésité. Elle aurait demandé son ordination, pour servir pleinement le diocèse, l'animer, lui redonner un second souffle. C'était la deuxième fois qu'on lui proposait de se faire ordonner, afin de briguer un poste d'évêque. Deux fois que le destin lui offrait cette opportunité là ... Mais ... C'était lui qu'elle voulait, elle le savait, elle ne voulait pas le perdre. Malgré tout ce qui les séparait. Ce n'était pas qu'une folie passagère. Et là, elle sentait son coeur battre, elle avait peur qu'il lui annonce de faire ce qu'elle avait à faire, de l'oublier. Comme si elle n'était pour lui qu'une passade, qu'un coup de coeur, qu'une occasion de débauche, de luxure. Pour elle, c'était bien plus que cela. Elle l'aimait, elle le savait à présent.

Et je sais que je n’ai pas le droit de vous demander d’y renoncer… Mais... ... Je vous aime.

Elle expira bruyamment. C'était la première fois qu'on lui disait ces mots. Feu son époux était pudique, s'il l'avait aimée, jamais il ne lui avait dit ces mots, aussi ouvertement. Bella s'aperçut qu'elle s'était arrêtée de respirer, alors qu'il réagissait aux lettres du vicaire d'Auch et du primat de France. Interdite, son coeur était reparti de plus belle, pour une autre raison. Ce n'était plus la peur qui l'habitait, ni l'angoisse, mais un doux sentiment, aussi léger que le frôlement des ailes d'un papillon. Il l'aimait. Les larmes inondèrent ses joues, incapable qu'elle était de les garder en elle, face à autant d'émotions. Il l'aimait, et maintenant elle s'en rendait compte, elle l'aimait.
La main de la jeune femme trouva la joue du Beauharnais, et suivit de son pouce la ligne de sa mâchoire. N'y tenant plus, elle déposa sur ses lèvres un baiser, tendre puis passionné, avant de fondre dans ses bras, comme si elle ne voulait plus se détacher de lui. Dans le creux de son oreille, la comtessa murmura à son tour...


Je ne désire pas renoncer à vous... Mon coeur se briserait si je devais renier ce que je ressens. Je vous aime, Wallerand de Beauharnais. Je vous veux mien, comme j'aimerai être vôtre... Je ne vous force à rien, Wallerand. Je sais que vous avez tant souffert déjà, avec votre ex fiancée. Mais je jure, moi, de vous être fidèle. C'est une promesse.

Oui, elle aurait crevé de renoncer à lui, quelque chose en elle se serait flétri... Elle voulait tant et plus. Qu'il se jurent fidélité... Mais elle ne voulait rien forcer. Il avait tant souffert avec Sashah, son ex-fiancée, qui avait péroré en taverne qu'elle envisageait de prendre amant, excédée par ses absences. Alors qu'il travaillait d'arrache pieds au conseil et à la chancellerie... Bella ne voulait rien lui imposer.
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Un instant, il eut l'impression de retrouver le fragile équilibre de Paris, celui qui précède les basculements irréversibles. L'équilibre qui avait accueilli le premier baiser qu'il avait osé devenait celui du moment où il se livrait enfin. Un équilibre bizarre, parce qu’il sentait arriver la possibilité d’une chute et que, pour autant, il se sentait pris d’un espoir fébrile, déraisonnable et irraisonné. Etait-ce une expiration funeste ou céleste qui s’exhala ? Les yeux baissés du jeune homme n’auraient pu éclairer son ouïe. Et puis il y eut sa main contre sa joue, son pouce le long de sa mâchoire, et son baiser... Un baiser au goût de sel. Océan…

Et elle était là, dans ses bras, à lui murmurer les mots dont il avait rêvé sans oser y croire. Elle était tout contre lui, blottie avec cette fraîcheur qui gardait encore sa candeur dans l’abandon, cette sorte d’innocence et de spontanéité qui le retournait toujours. C’était une femme de caractère, forte, drôle, spirituelle, il le savait, et pourtant, dans ces instants d’intimité, et même à cet instant où elle lui avouait que son vœu le plus profond avait été exaucé, il la voyait emprunte d’une fragilité bouleversante. Et bien après qu’elle eut achevé, ayant en vain cherché à calmer le cœur qui tambourinait comme s’il avait voulu s’extirper de ses côtes pour rejoindre celui qui s’était ainsi offert à lui, Wallerand finit par reprendre, au creux de l’oreille bien-aimée :


Je suis à vous, Christabella Jauzac... Tout entier, sans partage. Avec tous mes défauts et mes quelques qualités… Je vous promets de vous être fidèle et de tout faire pour vous rendre heureuse.

Comment cela arriva-t-il ? De l’évocation à peine masquée de leurs malheurs sentimentaux, de la promesse si tendre et pure d’une fidélité mutuelle, comment en vinrent-ils à se retrouver des mains, des lèvres, des corps tout entiers ? Lequel osa en premier contourner une barrière de tissu, lequel fit sentir le désir qui le reprenait ? Voilà tout autant de bonnes questions. La seule chose sûre, c’était qu’ils avaient un spectateur captivé (« Et alors ? Le lapin nous a bien regardés, nous… »), qui commentait vigoureusement l’action :

Grou ! T’oserais pas ? Mais tu peux pas karder tes mains pour mes kraines, non ! Et toi aussi d’ailleurs, che te fois !

Un roucoulement était-il de nature à calmer les ardeurs des deux amants ? La suite allait rapidement prouver à la « kolombe foyachieuse » qu’il n’en était rien, car deux êtres partiellement dénudés roulèrent bien vite dans les herbes hautes pour s’adonner au plus doux des corps à corps. Et dans son langage bien à elle, qu’une oreille innocente aurait pu prendre - ô combien à tort ! - pour un romantique accompagnement des transports de l’amour, le volatile agité exprimait son profond désaccord avec le tour que prenait la situation :

Grou ! Te laisse pas faire, maîtresse, il en a après les plumes ! Et après, ce seront tes chefeux qui y passeront, ja, che suis sûre ! Son air ne me refient pas, le laisse pas te toucher, nein ! Surtout pas ! Ach, nein, pas la robe…

Et la colombe vitupéra tant et plus, battant tant et si bien des ailes que le cheval qui avait tranquillement commencé à paître près du muret en releva la tête pour la tordre vers la cage de l’animal, fixée et abandonnée à la selle de la jeune femme, pour contempler d’un air paisible les battements d’ailes frénétiques de la bête. Tant de bruit pour un si petit corps ! Pas mal.

Grou, grou ! Bande de keuchons, fous defriez afoir honte ! Rouler ainsi dans l’herbe, c’est intigne !
Pffffrt, tu sais, z’ont bien raison, l’herbe est délicieuse à cette saison…
Grou, che ne te parle pas à toi, l’balèze ! Mais grou, grou ! Rekarde-moi ça !
Pffrt, t’es trop sensible. Regarde, lui, il veut l’herbe, alors il l’occupe ailleurs. C’est tout.
Tu n’es qu’un rustre ! Grou ! You know nothing, Chefal !
J’comprends pas l’anglais. Tu sais quoi ? J’vais brouter. Tu piapiates trop.
Grou ! Mais y’a de quoi ! Mais rekarde-moi ça ! GROU ! Ach ! Honte sur fous ! Et sur toi qui détournes le rekard ! Kollabo !


Ainsi roucoula-t-elle avec toute l’agressivité d’une colombe qui avait un Beauharnais dans le bec (eh oui, difficile d’avoir quelqu’un dans le pif quand on est un piaf !) tant après les humains que les chevaux, car l’Acrobate avait adressé un hennissement moqueur d’encouragement à l’attention son camarade qui lui valut les foudres de l’oiseau, tandis que l’homme et la jeune fille assouvissaient leur passion. Et, un peu plus tard, alors que Wallerand remontait une pièce de tissu sur Bella, en un réflexe de pudeur assez étrange de la part d’un individu venant tout juste de faire la démonstration la plus intime de son amour, il jeta un regard amusé sur le volatile, comme s’il remarquait tout juste sa présence, et reporta ses yeux sombres dans les jades de Bella et lui souffla, sans cacher son amusement :

Vous savez que votre colombe, si elle n’avait pas eu une chance d’aller vous retrouver, aurait fini en pigeon farci, l’autre jour ?
Grou ! Apruti ! Che ne suis pas un fulgaire pichon !

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Christabella
Le cœur battant, résonnant entre ses tempes, Bella entendit sa réponse, qui allait au-delà de ses espérances. Des mots, des promesses, des caresses... La catharsis. Après tant de doutes, de questionnement, de pertes douloureuses... Il était sien, elle était sienne. Comme une évidence. Elle avait osé dévoiler son cœur, elle avait osé le livrer, nu et fragile, au risque de le voir se briser en miettes. Déraisonnable, insensé ? Mais la réponse du Beauharnais lui donna raison. Comme dans un doux rêves, les mots frôlèrent ses oreilles, feutrés et légers. Il était sien, il voulait la rendre heureuse. Puis, parce que les mots ne suffisaient pas, le tout fut scellé le plus tendrement et passionnément possible, dans un bel écrin de verdure, aussi simplement que pouvait leur offrir le Très Haut, créateur de toute chose. La comtessa aurait pu craindre qu’on les vit, mais elle n’en avait cure. Le vieux moulin était à l’extrémité même de sa propriété, en bordure de Mont de Marsan, entouré par une prairie sauvage, d’une beauté farouche. Un endroit beau et calme, à l’instar de son jardin redevenu à l’état sauvage. Le tout accompagné par les trilles joyeux – tu parles...- de la colombe voyachieuse de la jeune femme.

Sereine, la jeune femme sourit lorsqu’il ramena un pan de jupon pour masquer pudiquement ce qu’il avait dévoilé sans crainte des regards, un peu plus tôt, alors qu’ils ne pensaient qu’à rattraper le temps perdu loin l’un de l’autre. La main d’albâtre se glissa dans la sienne, et elle y mêla les doigts aux siens. La jeune femme, aux anges, portait son regard sur les nuages nacrés, et le ciel couleur myosotis, échafaudant mille et un plans pour multiplier les occasions de voir celui qu’elle aimait. Le présenter à son pay. Annoncer à Alvira... Ce serait plus dur du côté de sa camériste, intransigeante sur l’étiquette. Ils étaient loin du tumulte provoqué par l’assassinat de l’archevêque, loin de la chancellerie, loin des bureaux du diocèse. Mais Bella savait qu’elle resterait oblate, laïque au service de la religion. Après un tendre baiser sur les lèvres de son amant, elle se glissa sur le côté, campée sur un coude, pour mieux l’observer. Il avait glissé une fleur rouge dans ses cheveux pâles, et la jeune femme lui sourit, laissant sa main se perdre dans les boucles brunes, éparses sur le lit d’herbe. Était-il heureux ? Il en l’avait l’air, et le constater la rendait heureuse, elle aussi.
Dans sa cage, la colombe commençait à se calmer, peu à peu. La jeune femme réprima un rire, se demandant ce qui avait bien pu provoquer l’agitation de la bestiole.


Vous savez que votre colombe, si elle n’avait pas eu une chance d’aller vous retrouver, aurait fini en pigeon farci, l’autre jour ?
Grou ! Apruti ! Che ne suis pas un fulgaire pichon !
Oh, la vilaine, que vous a t-elle fait ?
Grou, grou ! Cafteur ! Che te hais !
J’avoue qu’elle peut être assez caractérielle, mais elle est néanmoins bien dressée. J’ai l’impression qu’elle ne vous apprécie guère.
Grouu grou ! Déparasse Doi de Lui ! Raus !


Pensive, la jeune femme, la tête calée au creux de ses bras, l’oreille contre son cœur, parlait doucement, comme pour exorciser ses craintes. Le meurtre de marie Clarence et les racontars affreux sur ses circonstances, sa crainte pour l’avenir de l’archevêché, n’ayant aucune nouvelle de l’archidiaconesse Floralie malgré ses courriers. Rien ne semblait être fait, personne ne semblait à la barre dans le diocèse... Et enfin, la peur qu’il ne l’abandonnât, ou qu’elle ne représente qu’une passade pour lui, citant les cauchemars qu’elle faisait à ce sujet...
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Ce jour-là, le Beauharnais avait été assez tôt sur le pied de guerre. Pas de membre du Guet disponible à Mimizan, avait dit le Prévôt, il serait bon que quelqu'un y aille. Un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche... Devant l'absence assez évidente de volontaires, le Lieutenant de Mont-de-Marsan s'était déclaré. Et le soir même, avant de prendre sa dernière garde montoise de la semaine, il avait préparé son bagage. Rien de bien extraordinaire, juste quelques habits pour la vie quotidienne, de quoi écrire en abondance, et son équipement habituel. La nuit sur les remparts et à patrouiller dans les rues fut longue, et trop courte pourtant. Assez longue pour s'assurer que tout irait bien, trop courte pour y caler le temps d'un détour par le balcon de sa maîtresse. Et malheureusement, le départ dut être rapide. Cependant, au point de l'aube, le jeune homme fit un détour par le manoir montois de Bella après avoir récupéré l'Acrobate à la pâture. Tibedaud s'affairait déjà à l'extérieur, malgré l'heure encore matinale. Une bonne chose... Au moins, il pourrait laisser un message sans trace et sans encombre. Parfait. Mettant pied à terre à droite, comme il avait pris l'habitude de le faire quand sa jambe senestre était trop raide et trop douloureuse pour lui permettre de monter ou descendre de cheval à gauche, il s'approcha du page et, l'ayant salué, lui dit :

Tibedaud ? Bonjour. Je dois partir quelques jours, peux-tu faire savoir à la Comtesse que le Béarn pourrait manquer de farine ? Il serait bon qu'elle se renseigne sur les moulins, au cas où. Et je n'oublie pas que je t'en dois une...

Une fière chandelle, ça, c'était sûr. Et même si les joutes de Fontrailles étaient désormais achevées, le Beauharnais gardait à l'esprit que c'était lui qui avait permis qu'il reprenne pied dans une soirée qu'il avait failli flanquer en l'air. Un sourire au garçon accompagna le message qu'il délivrait, suffisamment peu clair pour que le corbeau, si elle devait l'entendre, ne s'oppose pas à une vadrouille de sa maîtresse. La référence au moulin était pourtant si nette que Bella, elle, devrait la saisir immédiatement. Un détour supplémentaire lui permit de récupérer la fabuleuse colombe voyageuse dressée à retourner au moulin, qui fut fourrée dans un roucoulement de protestation dans un panier ajouré. Quelques graines glissées au volatile accompagnèrent :

Moi non plus, j'en ai pas spécialement envie, si tu veux tout savoir.
Grou ! Che m'en fous ! Tu m'emmènes pas ! Keuchon, fandale ! Che n'ouplie pas ! Tu en feux aux plumes !
Allez zou, en selle, fillette.


Et sans autre cérémonie, le Lieutenant de Mont-de-Marsan sangla le panier au-dessus de son sac, jeté en travers de la croupe de l'Acrobate, avant de prendre la route. De Dax, il ne vit pas grand chose, à part quelques rues où il eut le plaisir de croiser Ysoir et Claude. A vrai dire, il n'y était parvenu que tard dans la journée, et il eut tout juste le temps de se trouver une auberge dotée d'une écurie correcte avant de s'écrouler, moulu. Le lendemain, à l'aube, il remettait ça, direction la côte. Ce ne fut qu'une fois installé dans une nouvelle auberge, ayant prévenu qu'il serait là pour une petite semaine, qu'il prit le temps de s'enfermer pour écrire. Toute la question était... Est-ce que Bella détruirait la lettre au moulin ou est-ce qu'elle prendrait le risque de la ramener ? Dire ce qu'il voulait, ou rester évasif ? Tel était toujours le dilemme, et si le maintien en public était en passe de devenir presque naturel - et apprendre la retenue au Wallerand local tenait quasiment du miracle -, la question de la correspondante restait ouverte. Aussi n'y mit-il pas tout ce qu'il aurait voulu, pariant qu'elle lirait ce qu'il n'écrirait pas, avant d'essayer de dompter de nouveau la kolompe. Et bientôt, elle filait vers Lou Moun, un petit feuillet roulé autour de la patte. Finalement, il avait lamentablement échoué à retenir sa plume.

Citation:


A Christabella Jauzac, Comtesse de Fontrailles,
De Wallerand de Beauharnais,

Ma Dame, j'ai dû partir à Mimizan, un peu en catastrophe, dès ma dernière garde achevée. Il n'y avait personne pour la semaine, qui sera longue loin de la capitale (pourrez-vous m'en adresser des nouvelles ? Avec ces révoltes incessantes, je crains que le marché et la sécurité ne finissent par en souffrir, et même s'il n'y a plus rien à piller... Vous comprenez). Je suis arrivé ce matin, sans encombre... Et sans vous, sans même avoir prix le temps de vous prévenir. J'en suis vraiment désolé, et vous en présente mes sincères et plates excuses. Suivre ces routes sans vous n'a pas le même goût. Même l'Océan n'est pas aussi apaisant. J'espère rentrer dès le début de la semaine prochaine, pour vous retrouver... Pour vous embrasser d'autre manière qu'au travers de l'encre. Simplement pour être avec vous.

A Mimizan, le 10 juin 1463.
Vôtre,
W.

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Christabella
Les joutes et les festivités étaient terminées, la joyeuse effervescence était retombée. Voir ses terres, qui avaient accueilli un campement conséquent, vide et triste, jonché de restes de feux, de piquets de tentes abandonnés, l'herbe piétinée, dans un état de presque abandon l'avaient plongée dans une sorte de morosité. Wallerand était déjà rentré à Lou Moun pour assurer ses gardes, elle était restée un peu pour superviser le nettoyage. La fête était finie, les paysans recrutés pour l'occasion étaient retournés dans leurs étables et leurs champs, préparant les récoltes et les moissons de cet été dignement fêté.
Toujours habillée de sa fameuse tenue de chevauchée noire et rouge, elle avait monté une de ses juments les plus rapides, une cartujano gris très clair à la crinière couleur anthracite pour rejoindre Mont de Marsan le plus vite possible. Malheureusement, les retrouvailles avec le Beauharnais furent écourtées par le souci du traître Atelskan, maire félon et voleur de Lou Moun.
Ce matin là, Bella se réveilla un peu morose, en se disant qu'elle essayerait de semer le corbeau pour se réfugier dans les bras de Wallerand, enfin! Le temps était au beau fixe, et c'était souriante qu'elle était descendu dans le salon... Une visite au diocèse, un baptême à préparer et la soirée en tête à tête avec Wallerand, ça, il n'y couperait pas! Ils n'avaient pu se voir seul à seule depuis les joutes, et elle avait besoin de réconfort.
Alors qu'elle se préparait à aller à son bureau du diocèse, sous l’œil attentif du corbeau, Tibedaud entra et toussota à son intention.


Votre Blondeur, j'ai un message pour vous du chancelier. Il est parti assurer des gardes, et le Béarn risque de manquer de farine. Comme c'est votre province, il compte sur vous pour vous renseigner sur les moulins, au cas où ils solliciteraient un échange.

Le sourire glissa se son visage, redevenu morose. Parti. En lui laissant du boulot en plus... Puis, elle comprit l'allusion à la farine, et un faible sourire se dessina sur les carmines. Un coup d'oeil vers Marie Clarence, toujours soupçonneuse...

Merci, Tibedaud. Je m'assurerai que nos meuniers disposent de réserves de blé, au cas où.

Les deux jours suivants furent longs, lents, comme un dimanche d'automne pluvieux. la comtesse n'avait le goût de rien, elle se plongeait dans le travail pour ne pas y penser. Puis, sous prétexte d'aller rendre visite aux meuniers Montois, elle se dirigea vers le Moulin. Une fois ouvert, elle sourit en voyant la fameuse kolompe voyachieuse qui l'attendait avec une lettre de Wallerand. Une poignée de kraines plus tard, elle s'installa sur la table pour dérouler le message. Puis, sans attendre, elle s'attela à la réponse.

Citation:





    De Nous, Christabella comtessa de Fontrailles, dona du Brouilh et de Castèra-Lectourois,
    A
    Wallerand de Beauharnais


    Ma déception fut grande de n'avoir eu le temps de vous voir, avant que le devoir ne vous rappelle... Les instants en votre compagnie sont trop courts, je rêve de ce moment où nous ne seront plus obliger de ruser pour les vivre pleinement, de ne plus nous dissimuler. De pouvoir me réveiller à vos côtés, sans avoir peur d'éveiller les soupçons. Lou Moun va bien. Nous avons pu sans difficultés reprendre les rennes de la consolerie, malheureusement, les caisses ont bel et bien été vidées. Voir le rapport de Dame Tiki m'a révoltée... Tant d'efforts pour redresser cette consolerie déjà bien éprouvée par plusieurs pillages, ou maires absents... J'ai présenté ma candidature pour devenir le nouveau consol. Je ne pourrai donc pas vous rejoindre, d'autant plus que je suis assez étroitement surveillée. Vous me manquez... J'espère que vous rentrerez très vite...

    Vôtre,




Elle attacha le message à la colombe, qui semblait vouloir faire la grève. Bella dut lui faire les gros yeux, l'amadouer avec ses graines préférées.

Grou! Grou! Che feux pas y retourner! Che suis fatiguée! Et il feux m'arracher les blumes! Oh des Kraines! Kroc, Kroc... Bon Ch'y fais, mais c'est la ternière vois!
De toutes façons, si tu refuses de convoyer les lettres, tu finiras dans une marmite de petits pois. Zou!
Bas les Betits Bois, Che suis Allerchique! Grou, grou!

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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Après une nuit de garde, le Beauharnais était rentré à l'auberge où il avait pris ses quartiers pour la semaine - en espérant que ce ne soit pas pour plus longtemps - avec la ferme intention de s'écrouler sur sa paillasse pour dormir quelques heures, avant de s'occuper de ses autres tâches et de repartir pour la nuit suivante. Certes, le travail d'un membre du Guet de Gascogne était généreusement payé, mais il entrainait une fatigue non négligeable, même si ses effets s'atténuaient avec l'habitude. Peut-être était-ce à cause de ces décalages incessants qu'il ne parvenait pas à entendre sa maîtresse se lever au matin, quand ils pouvaient partager une nuit ? Ses méninges en passe de s'endormir n'étaient de toute façon plus en état de se pencher sur ce problème quand l'aubergiste l'arrêta pour l'informer qu'une colombe porteuse d'un message pour lui avait été amenée du pigeonnier de la ville. Un sourire ravi éclaira pourtant les traits tirés du jeune homme - qui supposa qu'il ne pouvait émaner que d'une seule personne -, et il récupéra le volatile et le message encore scellé, ne laissant paraître que le nom de l'expéditrice et le sien. Gagné ! Voilà une bonne manière de commencer la journée. Ou de la finir ? Allez savoir, la notion était tellement fluctuante quand on vivait pour partie le jour et en majorité la nuit...

Il attendit pourtant, après avoir remercié l'aubergiste, d'avoir regagné sa chambre pour décacheter le courrier. Les mots qu'il y découvrit fixèrent un sourire indélébile aux lèvres du jeune homme, et il se saisit sans attendre d'une plume et d'un feuillet... Avant de rester bêtement devant. S'il avait des réponses par douzaines à l'esprit, il se trouvait bien en peine de les hiérarchiser, de les ordonner. Envoyer valser le monde, il savait faire. Gérer des effectifs et l'organisation d'une défense, il savait faire. Se débrouiller de textes législatifs, ça passait, quoi qu'on en pense. Dessiner, c'était aussi dans ses cordes et c'était même, souvent, une échappatoire quand même le travail ne suffisait plus à ordonner ses pensées, ou quand il lui fallait absolument occuper ses mains. Mais mettre de l'ordre sous son crâne quand il s'agissait de Bella, c'était une autre paire de manches ! Une discipline à acquérir. Et c'est dans cette confusion, à laquelle la fatigue de la nuit de garde n'arrangeait rien, qu'il se trouva à lancer à une colombe grognonne :


Crois-moi, tu avais intérêt à ne pas manger le message...
Grou ! C'est pas pour toi que che le fais ! Foleur de plumes !


Ignorant les protestations de la colombe, il l'enfourna de nouveau dans le panier ajouré avec une poignée de graines. Ca la calmerait sans doute un peu, mais qu'importaient les réticences de l'oiseau quand il apportait un tel message ! Si seulement ils avaient été ensemble, il l'aurait étouffée de baisers, noyée de caresses pour la moitié de ses mots. Certes, Lou Moun n'allait pas bien, certes, ils étaient séparés, mais ils partageaient cette aspiration à ne plus se cacher. Bien sûr, certains étaient au courant, de manière plus ou moins officielle, et leur complicité ne passait sans doute pas inaperçu lorsqu'ils arrivaient à se retrouver dans une taverne ici ou ailleurs... Mais comme ce serait différent quand il pourrait officiellement la courtiser ! La tête du Beauharnais s'inclina vers le feuillet, et la plume courut.

Citation:


A Christabella Jauzac, Comtesse de Fontrailles,
De Wallerand de Beauharnais.

Nous partageons ces regrets... Je n'aimerais rien tant qu'être auprès de vous, si ce n'est pouvoir officialiser ce qui nous lie. Je reviendrai le plus tôt possible, et ce jour-là, je serai tout à vous. J'ai la chance d'avoir, au sein du Guet, des hommes de valeur et de dévouement, qui accepteront sans doute de me relayer rapidement. Les gardes tourneront.
Je suis heureux que vous souhaitiez reprendre la mairie. Lou Moun serait en de bonnes mains... Enfin ! Deux pillages en si peu de temps... C'est aussi révoltant que désolant. Tant de travail ruiné par l'avidité de deux hommes...
Vous me manquez, je vous espère à chaque instant. Pour tromper l'éloignement, je me suis permis un essai. Vous souvenez-vous de m'avoir parlé de la salamandre que vous auriez appréciée pour tenant de vos armes ? Une copie réduite du dessin est jointe, si la colombe ne la perd pas... J'espère qu'elle vous plaira.

Vôtre,
W.


Une grosse goutte de cire vint sceller le pli. Sa couverture de Chancelier était foutue, de toute façon, il ne servirait plus à rien de compter sur son cachet pour passer le barrage de la camériste... Il faudrait qu'il lui mette les points sur les I, à celle-là, d'ailleurs... Comme à cette fichue colombe, qui roucoulait bêtement à longueur de temps. Heureusement qu'elle était bien dressée... Elle avait au moins un argument en sa faveur. Alors que le volatile, qui s'était laissé attacher à la patte le premier feuillet sans rechigner, regimbait quand Wallerand voulut ajouter le second, un dialogue similaire à celui que le Gascon avait "partagé" avec un certain lapin à Fontrailles s'engagea. La tentative d'intimidation était en marche...

Grou ! Tu dékonnes ?
Qu'est-ce-qui t'arrive, encore ?
Deux feuilles ? T'as pensé à mes paufres ailes, au moins ?
Ecoute-moi bien. Si ce message n'arrive pas, je te farcis aux olives.
Esbèce de krand malade !
Et aux foies de volaille.
Tortionnaire ! Grou !
Et je te préviens, je cuisine atrocement mal. Tu serais sûrement imbouffable même après ça.
Ach ! T'es pas bien cuit, che me tire !


Et joignant le geste au roucoulement, la colombe se débattit jusqu'à recouvrer sa liberté avant de filer par l'encadrement de la fenêtre et laisser le Beauharnais s'écrouler sur sa couche, accompagnée d'un funeste :

C'est ça. Et pas de coup fourré, ou je te retrouve et j'applique.

Très crédible, de la part d'un homme qui dormait pesamment deux minutes plus tard...
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Christabella
C'est une colombe voyachieuse épuisée et de mauvaise plume – et pas de mauvais poil – qui arriva, alourdie par deux vélins enroulés. Bella, qui passait chaque jour au moulin, sourit avant d'attraper le volatile qui se laissait faire de mauvaise grâce. Pauvre petite chose... Elle lui mis quelques graines pour le réconfort, tandis qu'elle sembla gruger, en boule, une aile sur la tête.
Le lapin, intrigué, approcha de la cage et renifla, puis essaya de grignoter l'osier avant de se sauver sous le lit pour éviter un claquement de bec courroucé.
Laissant le volatile à sa bouderie, Bella déplia le premier rouleau et fut récompensé par un dessin d'une grande beauté. Une salamandre ! Elle sourit, attendrie. Récemment, elle lui avait parlé de faire redessiner son blason, avec des supports. La salamandre, l'animal légendaire qui vivait dans le feu, avait le pouvoir de l'éteindre, à qui on prêtait aussi le pouvoir de traverser un brasier ou d'être jetée dans les flammes sans subir aucun dommage. La métaphore de l'enfer qu'elle avait traversé après la mort de son époux. Les murmures, les critiques, les moqueries, supporter le deuil de son époux et meilleur ami, celui qu'elle avait soutenu, même dans les moments de découragements, celui qu'elle avait poussé à briguer la tête de liste... et qui avait réussi. L'enfer d'être seule, au moment où ils auraient dû profiter, se poser enfin, fonder la famille dont ils avaient rêvé. Et demeurer seule, attaquée de toute part. Seule, elle ne l'était plus. La flamme ténue avait repris de la vigueur, depuis sa rencontre avec le Beauharnais. Son rire avait de nouveau résonné, et elle reprenait goût à la vie.
Caressant du regard le dessin, elle sourit doucement, contemplant attendrie l'oeuvre de celui qu'elle aimait, comme si il était à ses côtés, regardant par dessus son épaule, embrassant le creux de son cou. Qu'il lui manquait... encore quelques jours de guet...

Elle déroula la missive, souriant comme jamais. C'était lui, elle était impatiente de le lire. Elle frissonna à ses mots. Tout à elle... Elle se mit à rêver à ce moment futur, quelques instants, le regard perdu sur la vue du soleil couchant... Avant de secouer la tête. Et de reprendre la plume. Le grattement sembla irriter la colombe, qui imita l'oiseau mort dans sa cage. Bella comprit qu'elle avait affaire à une grève postale, et qu'aucune sorte de graine, même les plus grosses, ne pourrait faire changer d'avis de la Kolompe voyachieuse.... Elle termina d'abord sa missive, avant de se relire.


Citation:





    De Christabella
    A Wallerand

    Vous me manquez également, cruellement. Mais le devoir avant tout, d'autant plus qu'au yeux du monde, nous ne sommes rien de plus que de bon amis et collègues. J'ai hâte que nous puissions nous révéler aux yeux de tous... Votre dessin est admirable, votre talent me fascine... je ne savais pas que vous dessiniez ! Il m'arrive moi même de peindre, de temps à autre, lorsque je ne joue pas de musique... Peut être vous montrerai-je, à l'occasion.
    Je ne devrai pas, mais je m'inquiète terriblement pour, vous, au guet, alors que la Pègre revient dans le sud. Je n'en reviens pas que ce pauvre fou d'Andom ait pu trahir … de nouveau... Cela me mets en rage !
    Enfin... Nous ne pouvons pas trop parler, au conseil, même s'il m'en coûte. Comme vous le savez, je me suis portée volontaire pour la défense de Lou Moun. D'ici quelques jours, je revêtirai de nouveau mon armure, avec fierté pour hisser le pavillon. Si tout va bien … La défense de Lou Moun me tient à cœur, et ayant déjà combattu la Pègre, je sais qu'ils sont aussi dingues qu'ils en ont l'air, tout en faisant montre d'une monstrueuse intelligence. Celle des psychopathes. J'ai hâte que vous me reveniez, que vous soyez mien.

    Vôtre,
    B


    PS : je vous offre ce pigeon bien dressé pour le courrier. Je crains que ma colombe ne soit épuisée, la pauvre... ainsi, nous la ménagerons.






Bella scella la lettre de cire rouge, avant d'y apposer son sceau, un cygne, qui était pour elle le comble de l'élégance, un autre symbole de sa renaissance. Un coup d'oeil vers la colombe roulée en boule, les ailes sur la tête, puis vers l'autre cage. Elle avait tout prévu, la comtessa. Elle dévoila la deuxième cage, qui cachait un énorme pigeon ramier, qui se redressa avec fierté. Aussitôt, la Kolompe écarta deux plumes pour observer le pigeon, qui lissait ses plumes, l'air avantageux. La parfaite pose du bodybuilder. Avec des plumes et un bec.

Grrrrrou, grrrrou, ola, ma beauté, mi corazon... *
Grou grou ! Che m'appelle Gretchen, pas coratruc.
Yé souis Banderas, ma jolie.
Grou ! Poseur ! Tu n'es qu'un fulgaire bigeon !
Grrrou, me gusta ce fort caractère... Il paraît qu'on est fatiguée, mi corazon ?
Grrrou ! Ch'aimerai t'y voir, ch'arrete pas et on me fole mes plumes !

Bella s'approcha des cages. Tandis que la colombe se mettait sur le dos, parfait imitation du piaf mort, le pigeon se redressa fier comme un coq, prêt pour son travail. Elle attrapa le pigeon gris, et lui attacha le vélin sur la patte, avant de le faire s'envoler, direction Mimizan. Elle se demandait comment réagirai Wallerand en apprenant qu'elle avait décidé de s'impliquer à ce point dans la défense de Lou Moun... Candide, elle se disait qu'il serait fier d'elle.
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Mais elle est sérieuse, en plus. Elle va vraiment le faire !
Ma, yé né sais pas, moâ, yé né souis que lé messayer.
Une armée, bon sang, rien que ça ! Et maintenant, en plus !
Les femmes, hé ? On n'y peut rien, hombre... Né té prends pas la tête, c'est oune fémelle !


Sans prêter attention aux roucoulements du pigeon - un vrai, un mâle, tout ce qu'il fallait là où il fallait ! -, Wallerand l'avait enfourné dans le panier, une poignée de graines un peu plus grosse que pour la kolompe en guise de ravitaillement. Pourtant, il n'écrivit pas tout de suite. Il essayait de se remettre les idées en place, et pour ça, rien ne valait une bonne déambulation. Sa chambre se trouva donc bientôt théâtre des allées et venues du Beauharnais, qui s'arrêtait par intermittences, soupirait, grommelait, bref, qui ordonnait son dilemme, réfrénait l'angoisse qui l'avait pris à la lecture de la lettre tant espérée. Le dessin, la musique, les mots tendres, tout avait été occulté par un seul. Une armée... Et si elle était blessée, ou pire ? Et si elle avait un accident quelconque ? Si La Pègre lui tombait dessus, ou une quelconque autre armée ? Lui qui n'était habituellement pas spécialement anxieux ou nerveux se trouvait, pour l'heure, coincé dans un état d'hébétude fiévreuse qui lui déplaisait presque autant que les raisons pour lesquelles il s'y trouvait plongé. Il finit par se rasseoir, se passa la main sur les yeux et saisit une plume, qui resta suspendue au-dessus du feuillet avant d'y jeter quelques mots à peine, d'une écriture hachée. Le sable qui les sécha fut écarté d'un geste brusque, la plume sommairement nettoyée. Et bientôt, le volatile messager repartait, porteur de mots aussi laconiques que Wallerand était en perdition.

Citation:


Ma Dame, nous devons parler au plus tôt... Soyez à Dax demain jeudi. Il y a une taverne à l'entrée Nord de la ville. Je vous y attendrai à la mi-journée.
W.


Le pigeon Banderas fut renvoyé sans autre forme de procès, et le lendemain, peu après la fin de sa garde, le Beauharnais se lançait, aux longues foulées de l'Acrobate, sur la route de Dax. Il avait pris soin d'essayer de se reposer plus que de coutume la veille, mais s'était trouvé dans un tel état qu'il n'avait pu que tourner en rond, comme un fauve en cage, avant de s'écrouler littéralement sur lui-même de sommeil. Rompu des courbatures d'une mauvaise position, il avait promené, à la nuit tombée, une mine sinistre et revêche dans les rues de Mimizan. Ce jour-là était clairement un mauvais jour... Tellement mauvais qu'il en tenait sur des nerfs à vif, sans plus sentir la fatigue qui, pourtant, finirait bien par s'abattre sur lui. Le plus tard possible... Qu'importaient des traits tirés quand il avait tellement besoin de la voir, de lui dire tout ce qu'il avait contre son idée !

Pendant ce temps là, à Mont de Marsan... Bella reçut la missive, très courte, très sèche, écrite d'un simple W en guise de paraphe. Aussi courte qu'un gazouillis d'oiseau... L'urgence semblait avoir guidé la main de son amant, autant dans le ton que dans l'écriture, tremblée, et de la plume qui semblait avoir griffé le vélin pour inscrire ces quelques mots. Elle avait envie de le voir, tellement envie, qu'elle ne réfléchit pas plus d'une seconde, et, malgré la fatigue accumulée par le cumul de la mairie, de sa charge au diocèse et du conseil, sans compter la défense de Lou Moun, elle se précipita aux écuries pour faire préparer son coursier le plus rapide, un cartujano, du nom de Bucéphale. Précisément l'étalon qui avait causé le décès de son époux. Le cheval qui n'avait pas été mis à mort, mais relégué dans un box à part, pestiféré, celui dont Alvira s'était entiché à Fontrailles et avait commencé à s'occuper. L'étalon semblait heureux qu'on lui pose enfin une selle, enfin. Le palefrenier tenta en vain de faire renoncer à la comtesse de monter le palefroi, mais elle ne pouvait pas refuser le rendez-vous. Elle déglutit difficilement en lisant une dernière fois le vélin. Si roide, si sec... Comme si aucun sentiment n'animait le Beauharnais. Au galop sur les chemin, l'étalon, grisé, semblait voler sur la route, donnant tout ce qu'il pouvait, clairement heureux de ne plus être au ban de l'écurie, malgré la cavalière, préoccupée et troublée à la fois de monter un étalon jugé dangereux...

Enroulé dans une cape sombre, le jeune homme fit enfin son entrée dans Dax. En avance, en retard, il n'en savait rien, occupé qu'il était à ressasser tout ce qui se cognait sous son crâne comme pour s'en échapper. Le capuchon rabattu sur son visage faisait écho à la nécessaire discrétion de l'entrevue. S'étant enquis de la disponibilité d'une place à l'écurie de la taverne dite et ayant demandé, en précisant qu'il reviendrait plus tard, qu'on garde deux portions de nourriture, Wallerand y mena sa monture sans désemparer, d'un pas nerveux. Bientôt, le cheval était installé tranquillement, insouciant, tandis que son propriétaire faisait le tour des stalles pour vérifier s'il reconnaissait un de leurs occupants. Raté. S'étant juché sur une mangeoire, flattant par intermittence la bonne bouille de l'Acrobate qui faisait paisiblement honneur à sa pitance et baillant une ou deux fois à s'en décrocher la mâchoire, en un juste contrecoup de près d'une journée complète sans dormir, il n'eut pas longtemps à attendre avant qu'une silhouette, également encapuchonnée, ne pénètre dans l'écurie pour y installer une monture fort reconnaissable, provoquant, d'une voix enrouée :


Bella...

C'était un appel plus qu'une question. Il n'avait vraiment aucun doute sur la personne qui venait d'entrer. La jeune femme, qui avait mené Bucéphale, épuisé par la course, l'installa dans une des stalles, lorsque l'appel résonna dans l'écurie. Wallerand, enfin... Elle s'approcha, le cœur au bord de l'implosion, mâchoire serrée par l'angoisse à l'idée qu'il la quitte. A la voir, le Gascon avait senti son coeur tenter un saut périlleux (mais les veines et artères étant ce qu'elles sont, c'était physiologiquement impossible) puis s'était avancé vers elle. Ses deux mains encadrèrent le visage jusqu'alors dérobé à sa vue et il y imprima un baiser où il mit tant de passion, tout à la joie de la retrouver, qu'il faillit en oublier pourquoi il l'avait fait venir si impérieusement. La jeune femme répondit à ce baiser avec autant de passion, presque de la fureur, celle de vivre et d'aimer, soulagée par ce baiser. Mais, bientôt, trop tôt il s'écarta de son visage, de ses lèvres. Et, s'écartant d'elle, il la saisit aux épaules, rappelé à la réalité, à cette peur viscérale qui lui déchirait le ventre depuis l'arrivée de sa lettre, et, y imprimant une secousse plus brutale qu'il ne l'aurait pensé, se lança dans un sourd :

Mais qu'est-ce qui vous a pris de vous porter volontaire, vous êtes cinglée ou quoi ? Je n'ai peur que de vous perdre, et vous, vous ne demandez qu'à aller taper sur... Sur des brigands de la pire espèce ? Prendre la tête d'une armée et défendre le château ! Et si vous portiez un enfant, hein ?

C'était qu'il s'était fait à merveille à cette idée. Qu'il l'aurait presque espéré, même, au-delà des complications que cela aurait fatalement entrainé... Tout à son angoisse, il avait ponctué ses mots de nouvelles secousses, moins brutales. La jeune femme, secouée par les épaules, fut estomaquée par la vue de son amant au comble de l'angoisse, à la limite de la violence. Si différent de ce qu'elle avait connu. Les sentiments se bousculaient, en elle, la joie de le revoir en tête à tête, l'amour qu'elle lui portait, la peur... Elle avait l'habitude des joutes verbales, des mots durs, des insultes... Des combats aussi, elle qui avait dirigé une armée défensive. Mais dans les mots et les gestes de celui qu'elle aimait ? Les jades brillantes, elle se contenta de lui rendre son regard, l'air grave. Il la reprenait comme on reprenait une enfant... Et le regard de Bella le ramena finalement à lui, trop tard sans doute. Qu'est-ce qu'il fichait ? Il se comportait comme le dernier des sagouins, alors justement qu'il voulait lui faire comprendre ses réticences à ce projet d'armée... Lui dire ce qu'il n'avait pas pu lui dire au sein du Conseil ducal. Posant un baiser sur son front, Wallerand la relâcha et recula d'un pas. S'il était capable de gestes inconsidérés, alors il fallait éviter que ça se reproduise. Et il continua, la mine défaite :

Pardon, Bella... J'aime la cinglée que vous êtes, mais... Vous ne sortirez pas seule à la tête de cette armée, c'est hors de question. Je viens avec vous.

Un léger sourire anima les carmines. L'angoisse, la fatigue... elle lui pardonnait évidemment. Mais elle même avait ses propres angoisses.

Roooh ! Mais je ne vais pas sortir, m'enfin !... Et vous... Vous...Vous risquez votre vie chaque soir au Guet ! Je m'inquiète ! Et si... Et si...
Si rien du tout ! Voyons, la Gascogne a été purgée des boulets façon Anthy, la seule chose qui pourrait m'arriver serait que vous ou Alvira me tombiez dessus...
Hum.
Je pourrais vous faire passer le goût des armes...
Oh, pour ça, il faudra me passer sur le corps !


Que n'avait-elle pas dit là ! Plus fort que leur toute première dispute, un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Wallerand, qui attrapa une main de la jeune fille et reprit sur un ton faussement innocent :

Hmm... Ça, ça peut se faire !

Le changement avait été radical, dans le ton comme l'attitude. La main attrapée fut prétexte pour l'attirer à lui, contre lui, pour la serrer aussi fort que possible, l'embrasser aussi fiévreusement qu'il le voulait pour oublier leurs angoisses respectives. Avant de la forcer à reculer dans l'ombre de l'écurie, de la faire basculer sur le tas de foin et de procéder à diverses preuves de leur amour l'un envers l'autre. Autant dire que le foin eut à endurer des chahuts inhabituels, et que quelques chevaux manifestèrent leur étonnement par divers reniflements.
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Christabella
Quelques instants plus tard, deux silhouettes encapuchonnées sortirent de l'écurie, l'air de rien, non sans avoir vérifié que les chevaux soient bien installés, avec de quoi se restaurer et boire. Un léger sourire flottait sur les carmines, réminiscence de l'étreinte précédente, tandis qu'elle glissait un léger coup d'oeil vers Wallerand, se demandant s'il était dans le même état qu'elle. Epuisée par la route, par l'angoisse, un peu perdue, un peu secouée par la dispute... Cependant, une sorte de consensus semblait avoir été conclu entre les deux amants, même si la discussion avait tourné court. Ils avaient encore quelques heures devant eux pour en parler... La jeune femme héla un palefrenier, lui confia quelques écus.

Tenez, veillez à ce que ces deux chevaux - désignant l'acrobate et Bucéphale - soient correctement bouchonnés et soignés, et double ration de foin. Euh … Celui du tas de gauche. Il m'a l'air plus... euh... frais.

Elle n'allait pas expliquer pourquoi en réalité le tas de gauche et pas le tas de droite, hein... Puis, se tournant vers le Beauharnais...

Vous avez une mine à faire peur... Allons nous restaurer, il vous faut reprendre des forces.

Il ne se fit pas prier. Une mine à faire peur, c’était le mot. Comme si la chair avait voulu se coller aux os de son visage à force d’être tiraillée par la fatigue. Galamment, il laissa passer la jeune femme devant lui, posant chastement une main dans le bas de son dos. Bella s'installa dans un coin discret, où ils pourraient reprendre leur discussion posément, tout en se restaurant. Très vite, on leur servit une portion de ragoût sur un tranchoir, et un petit broc de vin de pays. Il n’en fallut pas plus pour qu’un Wallerand ensauvagé par une longue nuit suivie d’une chevauchée rapide se jette sur la nourriture. Attendrie, elle l'observa manger un instant, avant de s'attaquer à son tranchoir. Elle même était affamée... Le silence s'allongeait un peu, le calme après la tempête, avant qu'elle ne reprenne, après une gorgée de vin.

Plus jamais. Plus jamais vous ne me parlerez ainsi. Plus jamais.

Elle leva vers lui un regard brillant, levant le menton. Fière et inflexible. Car de telles paroles dans sa bouche, de tels gestes, venant de lui, c'était blessant. Mais... Elle sourit néanmoins, prenant sa main, mêlant ses doigts aux siens...

Bella… Jamais je ne vous toucherai comme je l’ai fait. Ca, je peux vous l’assurer. Par contre... J’ai compris qu’il ne sert à rien de faire semblant que tout aille bien quand ce n’est pas le cas. Je préfère encore dire les choses rudement que les envelopper d’un vernis qui laisserait croire que c’est sans importance.

Ses doigts s’étaient resserrés à mesure qu’il lui parlait. Pourtant, malgré le sérieux du discours, celui-ci avait été précédé d’un éclair d’amusement au fond des prunelles sombres. Première démonstration d’autorité de la jeune fille. Première affirmation de lui de son amant. Balle au centre… Avec deux caractères aussi entiers, pas de doute, ça pourrait faire des étincelles.

Et votre décision a de l’importance… Elle vous expose, elle vous met en danger.

Je n'ai pas pris cette décision sans avoir mûrement réfléchi. J'ai déjà été commandante, j'ai déjà combattu et vaincu la Pègre. Vous prenez autant de risque avec le Guet.

Je ne risque rien avec le Guet... Moins que vous, en tout cas.

Je ne risque rien non plus.

Un brin quand même, ma Dame... Une armée, ce n’est jamais anodin, alors que les guetteurs et maréchaux sont en général épargnés. Admettez-le.

Admettons. Un petit brin. Tout petit.

Ma Dame...

Un sourire amusé anima les carmines, symétrique de celui, entendu, de Wallerand. Oui, elle faisait preuve d'un gros brin de mauvaise foi, la comtessa. Elle le savait en plus... Ils le savaient tous les deux, comme le Prévôt savait que le Guet n’était en réalité pas si anodin que ça. Il aurait pu y laisser une jambe, il aurait pu en rester boiteux… S’il n’avait pas été de solide constitution. Et il savait qu’elle le savait aussi. En somme, ils exorcisaient leurs peurs respectives, se rassuraient l’un l’autre. N’étaient-ils pas là pour ça, après tout ? Approchant sa main, elle lui caressa doucement la joue, tendrement, laissant le Beauharnais y poser un baiser au creux de la paume. Puis elle s'esclaffa, provoquant le rire du Gascon.

J'admets le risque, Wallerand...
Et si vous portiez … mon enfant ?
Si je devais porter notre enfant, je démissionnerai du commandement. Je suis téméraire, pas irresponsable... Je ne tiens pas à rester à la tête d'une armée, je l'ai déjà été durant une année. Et c'est long. Trop long. Wallerand ? Wallerand? Ehoooh…


Le Beauharnais dodelinait de la tête, épuisé. Le contrecoup de l’angoisse qui l’avait tenu éveillé quand il aurait dû dormir la veille, de la nuit à patrouiller, de la matinée à chevaucher, aidé par le fatal coup de barre qui suivait la bonne chère, tentait de le faire piquer du nez et y réussissait plutôt bien. Bella s'installa à côté de lui et l'embrassa longuement, tendrement, avant de l'aider à se lever. En passant, elle parla à l'aubergiste, afin qu'on leur attribue une chambre. Il avait besoin de se reposer. Bella lui murmura :

Venez, allons à l'étage nous reposer... Vous avez besoin de dormir.

Elle le guida, ivre de fatigue, jusqu'à la couche, après s'être débarrassés de leurs capes, de leurs pourpoints, de leurs bottes. Adossée au mur, elle l'attira contre elle, pour l'installer confortablement tout contre elle, lui caressant doucement les cheveux. Elle chantonna doucement...
Je ne trouve pas les mots pour te parler,
Et ils arrivent trop tard,
J'ai traversé la moitié du globe pour te le dire,
Je t'appartiens


De longues inspirations, preuves que son amant était tombé dans un profond sommeil lui tirèrent un sourire attendri. Il s'inquiétait, et elle s'inquiétait... Bella resta songeuse, le regard dans le vague. Des deux, c'était lui qui avait le plus souffert dans sa chair. Pour preuve, les cicatrices qui ornaient son corps. Elle, elle avait eu une sacrée chance jusque là. Même s'ils s'en était fallu de peu. Heureusement qu'elle maniait très bien son épée! Elle soupira, fermant les yeux à son tour. Un léger soubresaut agita le Beauharnais profondément endormi. Et ce fut bien la première fois que Wallerand tomba comme une masse sans plus d’un baiser pour sa maîtresse. Au réveil, cependant, ce fut une autre histoire !
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Wallerand se réveilla dans un sursaut. Le soleil était encore haut dans le ciel, comme le lui indiqua la courte tache de lumière sur le sol de la chambre. Il aurait tout le loisir, en poussant un peu l'Acrobate, de retourner en temps et en heure là où le devoir le rappelait... Pour le moment, il voulait juste profiter de la présence contre lui, de la chaleur qu'elle irradiait doucement à son côté, de l'air paisible de son visage encore si jeune... Quand il la voyait ainsi, il prenait la mesure de leur différence d'âge. Et même s'il ne lui semblait pas aberrant d'épouser une jeune femme de six ou sept ans sa cadette, parfois cet écart lui sautait aux yeux. Comme au matin de leur première nuit, au lendemain d'un jour de liesse et de libération. Sauf que cette fois, il resterait pour la voir s'éveiller... La main du Gascon se tendit vers la joue de Bella, en suivit la courbe jusqu'au coin des lèvres, glissa dans son cou, plus bas, plus bas encore alors qu'il l'attirait à lui pour murmurer :

Réveille-toi, mon amour...

De baiser au creux de la nuque en embrassade fiévreuse, il ne fallut pas bien longtemps pour que Bella émerge à son tour… Un sourire se dessina sur les carmines, tandis qu’elle ouvrait les paupières sur ses jades encore ensommeillés. Pour la première fois, ils pouvaient profiter du réveil ensemble, avant que le devoir ou le qu'en-dira-t-on ne les rattrape. Épuisée également, elle s’était plongée dans un profond sommeil à ses côtés... Oubliant que le soir même, elle devait revenir à Mont-de-Marsan. Pensant qu’ils reviendrait ensemble sur la capitale. Elle profitait du plus doux des réveils, alors qu’à moitié réveillée, elle lui murmura, entre deux baisers...

Je t’aime...

Il ne fallut guère plus de temps pour que, frontières de tissu abolies, ils se laissent aller à certain doux transport. Et... Et ! Et ayant repoussé le moment de parler du départ autant qu'il le put, Wallerand finit par se résigner. La simple idée qu'ils ne feraient pas la route ensemble sapa pour partie son sourire, ce qui n’échappa pas à la comtessa, et le Gascon demeura appuyé sur un coude, à regarder sa maîtresse, avant de finir par lâcher, d'un ton ne masquant pas son regret :

Je dois repartir. Il y a eu un imprévu à Mimizan, je reprends la garde cette nuit.
Oh ! Encore ?

Isabelle me remplacera à partir de demain.
Donc, dimanche ?...
Oui. Au moulin ? Si vous avez une bonne raison de passer la nuit dehors...
Je trouverai. Rien ne m’en empêchera.


Et sur l'assurance qu'ils se manqueraient, chacun reprit sa route, l'une vers la capitale, l'autre vers la ville côtière. La nuit, malgré le repos de l'après-midi, fut dure et longue, presque froide malgré l'été qui pointait. Entre la fatigue et une impatience certaine, Wallerand arpenta les rues à longs pas après avoir laissé les consignes nécessaires pour pouvoir récupérer l'Acrobate tôt le matin. Plus tôt il serait à Dax, plus tôt il rentrerait et plus tôt il pourrait se caler de nouveau sur des horaires à peu près normaux. Et plus tôt il la retrouverait, elle... Autant dire qu'il ne traîna pas plus que nécessaire pour jeter le sac de ses affaires et le panier vide à l'arrière de sa selle avant de prendre la route. Évitant la ville, le jeune homme dormit dans une auberge au large de Dax, avant de reprendre la route vers Lou Moun. Quand enfin il parvint aux confins de la capitale, près du moulin, remonté par l'espoir de retrouver sa maîtresse, il sentit son enthousiasme fondre comme neige au Soleil quand il l'aperçut un peu plus loin, à cheval, en...

En armure ? Ainsi, l'armée était déjà montée ? Elle n'était pas censée sortir sous cet étendard avant que... Mince, il avait pourtant bien pensé être clair ! Pas de patrouille sans lui ! Autant dire que le sang du Beauharnais ne fit qu'un tour : piquant des deux, il lança l'Acrobate au galop pour couper la route de Bella et se jeter sur elle. S'il arrivait à lui faire prendre conscience qu'ainsi seule elle était vulnérable, il serait sûr qu'elle se montrerait prudente... Wallerand dut cependant se rendre à l'évidence une fois la manoeuvre engagée : si Bella était une jeune fille assez légère, quand elle était en armure, c'était tout autre chose ! Bien qu'il se soit propulsé sur elle en profitant de la vitesse de l'Acrobate, il crut un instant que sa maîtresse se contenterait de vaciller sur sa selle avant qu'ils ne basculent ensemble au sol. Le choc fut rude quand ils y tombèrent, coupant un instant le souffle au jeune homme, et quand ils roulèrent dans l'herbe, quelques gestes suffirent à la commandante déchaînée pour tordre un bras à son amant et dégainer sa lame, dont le fil vint s'appuyer sur le second bras, replié sur sa gorge, de Wallerand. La comtessa, avec un étrange accent teuton, déchargeait sa colère.


Ach Scheißkerl*, du m’attaques bar derrière ! J’vais t’apprendre, moi ! Bouge pas ou je t’égorge !

Et il lâcha juste, dans un demi sourire :

Vous ne deviez pas sortir...
… Wallerand ? C’est vous ?


[* Sale con.]
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Christabella
La comtessa, à califourchon sur lui, surplombant le Beauharnais dans le plus pur style de l’amazone guerrière impitoyable, venait enfin de le reconnaître. Quittant son air farouche, un grand sourire fendit les carmines tandis qu’elle se penchait sur lui pour l’embrasser prestement, position très inconfortable à cause de la cotte de maille. Que celui qui n’a jamais été câliné par quelqu’un en haubert me jette la première pierre - Aoutch ! Bande de brutes ! Et c’est avec un sourire entre l’amusé et le tendre que Wallerand rendit son baiser à Bella, avant d’exercer une légère pression de l’avant-bras sur l’épée toujours menaçante :

S’il vous plait, ma Dame... Vous pourriez retirer ceci, avant qu’elle n’entame ma peau ? J’aimerais rester vivant…
Oh pardonnez moi !


Elle avait gardé la lame contre son cou sans le voir, lame uniquement retenue par le bras libre du Beauharnais. Puis, elle le relâcha et de glissa à ses côtés. Il lui avait fait peur à sauter sur elle comme cela ! Elle en avait encore le cœur battant et le souffle court. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Elle aurait pu le blesser, ou pire encore... Rien que cette idée la révulsait, et elle oscillait entre la joie de le revoir, et la colère d'avoir failli se faire embrocher à cause d'une idée stupide. Se redressant, frottant le bras tordu par une savante clef de bras dont elle avait le secret depuis sa folle période d’amnésie, Wallerand espérait bien lui demander des comptes. Faire des rondes en solitaire, voilà que ça la reprenait… Mais pourquoi semblait-elle courir au-devant du danger ? Aussi gronda-t-il, un sourire démentant le ton de la voix, relançant les hostilités en l’attirant de nouveau à lui :

Vous m'avez tordu le bras!
Bah... Ce n'était pas malin d’attaquer ainsi dans le dos, môssieur le Prévôt.
Vous n'étiez pas censée patrouiller, mâââdame le Juge!
Ah oui, j’ai dit ça ?


L’air innocente, elle lui souriait néanmoins, heureuse de le revoir enfin. Ils se remirent debout, rattrapant la bride des chevaux, qui s’étaient éloignés de la source de tout ce boucan, pour les attacher à l’arbre le plus proche. Elle l’approcha de ses lèvres pour l’embrasser de nouveau. Mais Wallerand semblait ne pas vouloir lâcher le morceau et, au contraire, obtenir une explication car, sans la relâcher pour autant, il reprenait, on ne pouvait plus sérieusement :

Vous me l'aviez dit... Vous ne deviez pas sortir...
En quel honneur, hmm? Je n'ai pas juré, ni promis.


Un soupir ponctua la répartie de sa maîtresse. Et quand lui, il lui disait quelque chose, est-ce qu’il s’empressait de faire l’inverse ? Quand il lui disait aller à Mimizan, se retrouvait-il à Bayonne ? Lâchant le ton amusé et débonnaire, elle fixa ses jades sur le regard sombre du Beauharnais, et reprit sur un ton plus sérieux, en cela suivi par son amant.

Mon devoir m'appelait, comme vous faites le vôtre. Avec le guet...
Grmbl... Z'auriez pu prévenir...
Vous saviez que ça ne pouvait être que moi. Et ainsi… J'étais en première ligne pour voir votre arrivée, pour vous accueillir comme il se doit.
Mais vous allez arrêter de vous exposer?
Rooh, ça va, est ce que je vous parle de vous, hein, môssieur-j'ai-failli-perdre-ma-jambe-pendant-ma-ronde?
Justement, je sais de quoi je parle! C'était un cas très particulier! Bon, puisque c'est comme ça, je reste avec vous et il ne sert à rien de protester ! Non mais ! Les femmes, j'vous jure !


La comtesse éclata de rire, rien ne pouvait lui faire plus plaisir. Ainsi, ils passeraient du temps ensemble, sous couvert de leur devoir. C’était parfait ! Et son rire ramena le sourire sur le visage de Wallerand. Glissant un doigt sur sa joue, suivant la ligne de sa mâchoire, mutine, elle ajouta :

Soit, restez... Si vous ne faites pas autant de bruit. Je vous ai entendu arriver à plusieurs lieues à la ronde.

Elle lui sourit, moqueuse, oubliant qu'avec sa quincaillerie sur le dos, elle ne devait pas être discrète. Était-ce une ombre de sourire qu’elle voyait danser sur son visage ? Ou lui en voulait-il encore ? C’était bien un sourire, et Wallerand lui répliqua aussitôt, un tantinet faraud :

Bruit ou pas, ça ne vous a pas maintenue en selle !
Pouah! C’était une vile attaque. Il n'empêche que je vous ai maîtrisé, mon cher.
Le poids de votre quincaillerie jouait pour vous ! Sans parler de l'épée, parce que mine de rien, la mienne est toujours au fourreau...


Tandis que le Beauharnais souriait innocemment, malgré un geste vers l’arme (de métal, la vraie) qui pendait à son côté, elle rit, amusée du sous-entendu... Avant de le considérer, la mine grave.

Je sais que vous craignez pour ma vie, comme je crains pour la vôtre. Chaque fois que vous faites le guet, je tremble. Je sais me défendre... Ne me faites-vous donc pas confiance ?
Ce n’est pas une question de confiance... Juste de prudence.
J’aurai pu vous tuer si vous vous étiez débattu sous ma lame. Lorsque j’ai peur, je réagis d’instinct.


Tremblante à cette idée, elle le serra étroitement contre elle. Son instinct lui avait permis de garder la vie sauve maintes fois. Sans compter le pucelage intact, un vrai miracle. Un genre de sauvagerie qui lui faisait peur...

Je ne veux pas vous perdre. Mon amour... J’en ai assez de faire semblant aux yeux du monde... De trembler pour vous sans le montrer, jouer l’indifférente alors que je ne le suis pas...
Dès que je croiserai votre père, je lui demanderai votre main. Alvira a envoyé une lettre au Héraut, ça sera loin d’être immédiat, et plus elle fera traîner plus elle en sera contente, je pense, mais… Ça ne pourra pas durer éternellement. Il faudra bien que… Enfin, il n’y aura sans doute pas de veto pour un homme qui n’a eu aucun démêlé judiciaire.
Pourquoi ferait-elle traîner si tout est prêt, qu'aurait-elle à y gagner? Au lieu justement de ne pas faire traîner inutilement ... Il y a des choses qui m'échappent...


Renonçant à comprendre l'incompréhensible, elle l'attira à elle, posant son front contre le sien. L'intention était déclarée... Le temps n'y changerait rien.
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Rien... J'espère me tromper. C'est juste que... Lorsqu'elle a reçu la demande d'Alvira, elle a... Je ne sais pas ce qui lui a pris.

La jeune femme serra plus fort Wallerand dans ses bras. Elle le connaissait si sûr de lui, si posé... Bella l'encouragea d'une pression sur la main. Et en quelques mots, Wallerand relata à sa maîtresse les remarques acerbes d'Ulyne à la seule réception d'une lettre normale pour telle demande, ses doutes - nés depuis longtemps, presque depuis le début, depuis cette sorte de crise qui s'était ensuite répétée dans laquelle le Héraut avait cru qu'il voulait sa place - quant à sa place dans la marche de Gascogne, en gentille roue de secours qui faisait souvent plus que sa part, le dossier auquel il s'était raccroché en espérant que, peut-être, il recevrait une réponse positive même si, après coup, il s'était rendu compte d'erreurs tellement énormes qu'un débutant les aurait à peine commises... Bref, il s'épancha enfin sur cette partie de sa vie dont il ne parlait pratiquement jamais, à personne, le conservant comme une sorte de jardin secret gardé d'un cerbère hostile, n'en montrant à l'occasion que quelques réalisations achevées.

Elle écouta religieusement, découvrant là une part de l'âme de son chewallier qui lui était inconnue jusque là. Elle pouvait comprendre son désarroi, alors qu'on doutait de son intégrité au sein même d'une activité qui le passionnait, simplement. Elle voyait mal Wallerand évincer quelqu'un, sciemment. Une jalousie ? Peut-être. Elle-même s'était toujours demandé ce que la Dampierre avait contre elle, alors qu'elles ne se côtoyaient même pas à l'époque. Il avait arrêté de parler, s'arrachant à ces histoires, qui pour l'heure avaient bien moins d'importance qu'une défense efficace en Gascogne. Le Beauharnais finit cependant par secouer la tête et par conclure :


Cela dit, pour l'heure, nous avons d'autres soucis... Je n'ai pas vos talents de spadassin. Des bases, tout au plus. Est-ce que vous pourriez ?...
Vous aider ? Bien sûr ! Si vous pensez que je peux vous apprendre quelques chose d'utile. Je n'ai pas votre force, ni votre vigueur. Mais je compense par de la souplesse, de l'instinct, et de la technique. Si c'est cela qui vous intéresse, je vous aiderai.
Très bien, alors... Quand est-ce qu'on commence ?
Maintenant ?


Un sourire angélique ou presque s'était peint sur les traits du Beauharnais, qui hocha la tête en guise de confirmation. Le sourire était communicatif, et la gaieté transfigurait le minois de la comtessa. Une soirée qui n'appartiendrait qu'à eux se profilait. Comme promis, il était tout à elle à son retour, même si ce n'était pas totalement de la manière envisagée. Mais après tout, se prit-il à songer avec tendresse, ça participait aussi des attraits de leur relation. Un nouveau baiser se posa sur les lèvres de Bella avant qu'il ne s'en éloigne, lâchant simplement :

Epées au fourreau ?

Le hochement de tête de Bella confirma. Le jeune homme, se retournant alors vers l'Acrobate, détacha le sac et, ayant écarté une paire de braies, en tira sa brigandine. Recouvertes de cuir à l'extérieur et de laine à l'intérieur, les plaques de métal s'entrechoquaient joyeusement jusqu'à être calées contre leur propriétaire, qui avait appris à en apprécier la souplesse et à en nouer les lacets sans même y prêter attention. S'il avait eu rien que cette protection-là quand il s'était trouvé face à l'autre fou furieux, cette nuit charnière entre janvier et février, à coup sûr, il s'en serait mieux tiré. Beaucoup mieux... Mais il ne servait à rien de ressasser ça, de toute façon. Et si l'ensemble avait été à refaire, il l'aurait refait, sans l'ombre d'une hésitation. Nouant sur la brigandine sa ceinture, il en délaça le fourreau de son arme avant de ficeler l'un à l'autre grâce aux lanières de cuir qui en pendaient désormais. Ainsi, pas de risque de fer découvert, pas de blessure. Un sourire espiègle plus tard, il lançait avec un enjouement non feint et un remords sincère à la pensée de leurs retrouvailles dacquoises :

Profitez-en pour vous venger...
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Christabella
Elle l'avait observé se préparer, subjuguée malgré elle par ses gestes déliés, ses épaules larges... Avant de secouer la tête. Concentration! Boudiou! Où en était-elle? Sa propre armure était légère, elle avait préféré un modèle léger qui n'entravait pas trop ses mouvements. Cependant, observant la brigandine de Wallerand, elle se débarrassa de quelques éléments de la cuirasse, les brassards, les cubitières et épaulières. Son pourpoint suffirait pour un entrainement, car ils ne porteraient – du moins elle l'espérait – pas les coups de toutes leurs forces. C'était juste un entrainement technique... Elle fit la même chose que lui avec son épée bâtarde, pour ne pas qu'ils se blessent. Un bon point, il portait le même genre d'épée, que l'on pouvait utiliser d'une main avec un bouclier, ou à deux mains. Cependant, elle laissa l'épée au sol, lui faisant un signe de faire de même.

Pour l'instant, je vais vous montrer des techniques de parades lors de corps à corps.

Inspirant longuement, elle lui sourit, suscitant un sourire en retour, se demandant par où commencer. Elle ne connaissait pas l'étendue de son savoir en termes de bataille. Il était fort, ça ne faisait aucun doute, et savait manier l'épée. Mais en la chargeant inconsidérément, il s'était fait immobiliser et aurait pu être égorgé.

Un adversaire... Ayez à l'esprit qu'il ne se battra pas à la loyale. Pas forcément. Oubliez les codes chevaleresques, surtout lorsque l'on a en face de soi un brigand.

Un hochement de tête marqua la compréhension de l’apprenti. S'approchant de lui, se plaçant dans le dos, elle l'enlaça doucement. Elle reposa doucement sa tête contre son dos... Hummm... Non, ce n'était pas une technique de combat, ça! Ca n'allait pas être de la tarte cet entraînement... Long soupir. Concentre-toi.

Ce que je vous ai fait tout à l’heure... Joignant le geste à la parole, elle lui ramena le bras dans le dos, doucement, presque dans la position dans laquelle elle l'avait tordu. … provoque une douleur insoutenable. L'adversaire peut être contraint ainsi à l'abandon, à se soumettre. Cela implique bien plus que la force de l'un contre la force de l'autre... Car on empêche un mouvement par ce geste. C'est la subtilité du geste qui fait sa force. Si on tire plus fort, on disloque l'articulation. Puis, relâchant le bras, elle se mit face à lui, pour lui prendre doucement la main. Caressant doucement les doigts, des mains douées ça, qu'elle adorait sentir sur elle... Arf, voilà que ça recommence! Bon sang! Secouant la tête, elle fit un sourire. On peut tordre une main aussi, une main menaçante. Ainsi. Joignant le geste à la parole, sans lui faire de mal, elle positionna la main du Beauharnais dans un angle particulier, lui faisant hausser les sourcils. A vrai dire, il n’y aurait sans doute pas songé spontanément. Cela peut suffire à désarmer, et à contrôler quelqu'un. Lui faire lâcher son arme. Et cela, sans blessure apparente... Il suffit de réussir à positionner le bras ou la main dans l'angle voulu.

Puis, elle sourit, se prêta au jeu pour le laisser essayer et comprendre le geste. Wallerand esquissa un sourire quand il comprit que son tour était venu et, le plus « délicatement » (allez tordre un bras délicatement, vous !) possible, répéta les mouvements, lentement, sans forcer plus que nécessaire. Il ne s’agissait pas de la massacrer, tout de même, ni simplement de la blesser.

Voyez, ainsi, je suis immobilisée. Si je force, je peux me faire très mal. Vous pourriez me contraindre à faire ce que vous désirez. Un sourire mutin aux lèvres, elle se libéra d'un geste sec. Le verbe avait été choisi avec soin, évidemment, et provoqua un début de rire chez Wallerand. Même en pleine leçon sur l’art et la manière de mener un combat non loyal – le loyal étant également une nouveauté pour lui, car jusqu’alors, s’il avait eu à se battre, des mains nues suffisaient amplement –, ils trouvaient le moyen d’en revenir à un joyeux badinage. Elle se morigéna. Pas moyen de rester sérieuse sans penser à leurs joyeux corps à corps. L'important est de ne jamais se laisser contraindre par un tel geste. Si on s'aperçoit que quelqu'un tente ce genre de chose, il faut réagir très vite pour ne pas se laisser coincer.
Il y a une technique particulière pour ça ? Ou on avise une fois que ça a commencé ?

Elle réfléchit à la question... Elle, elle faisait cela d'instinct. Comment avait-elle fait, lorsqu'elle avait vécu dangereusement? Lorsqu'elle ne vivait que dans la crainte, et qu'elle ne dormait que d'un oeil, nuit après nuit, crispée sur sa hache?
En fait, quand je m'aperçois qu'on essaye de m'immobiliser ainsi, j'essaye de me dégager. Avant que ce ne soit trop tard.

Elle sourit, s'éloignant de lui pour ramasser son épée. Une deuxième leçon se profilait... Bella s'approcha de nouveau de Wallerand, qui en avait profité pour reprendre sa propre arme.

Au combat, il y a des coups à connaître... Ne m'en voulez pas…
Jamais… C’est moi qui vous l’ai demandé.


D'un coup sec mais pas douloureux, elle frappa derrière le genou, au niveau des ligaments croisés. Aussitôt, réflexe oblige, le jeune homme vacilla sur lui-même, manquant de se trouver à genoux, ou par terre, les quatre fers en l'air. Un grondement de surprise lui échappa.

Je suis désolée... Un coup à connaître...
Pas de mal… Mieux vaut que ce soit vous qu’un coupe-jarrets.
Il existe ainsi des endroits fragiles. Les chevilles, les poignets, derrière les genoux, lorsqu'ils sont à découvert. Cela peut vous sauver la vie. Tout le monde ne porte pas d'armure... Vous ne serez pas surpris. Et puis aussi là, si votre adversaire ne porte pas de haubert.


Passant une main sous la brigandine, Bella désigna un endroit bien particulier juste sous les côtes. Elle sourit, se mordit légèrement la lèvre en s'imaginant enlever tout ceci et passer à une toute autre leçon. Grumpff.

Si vous frappez ici d'un coup sec, cela peut surprendre votre adversaire, lui couper le souffle.

Elle l'embrassa pour s'excuser, elle détestait lui faire du mal, mais elle devait lui montrer ce qu'elle savait. Et l’amant se retint à grand peine de la maintenir contre lui, se contentant d’un sourire et d’un baiser tendres. Après ces préliminaires, la leçon d'escrime allait commencer !
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En deuil ( signature en cours de modification)
Wallerand
Il aurait dû s'y attendre. Comme lors de leur entretien à la Chancellerie, il aurait dû se douter qu'il ne pourrait pas rester de marbre face à elle, à son regard, à son contact, à sa présence contre son dos... Mais voilà, il lui avait demandé de l'instruire avant d'y songer. Et, un coup après l'autre, alors qu'elle lui enseignait les rudiments des combats, des vrais combats, de ceux qui vous ôtent la vie en trois coups de lame, il se sentait fondre. La main glissée sous la brigandine - pas assez serrée, se morigéna-t-il sans conviction - aurait été le coup de grâce porté à sa détermination, accompagné de ce baiser... Si Bella n'avait pas ôté une pièce supplémentaire d'armure, dévoilant, à l'encolure de la maille, le tissu d'un chainse et la naissance de sa gorge. Un sourire mutin, presque d'invite se dessina sur les carmines. Wallerand, cédant à cette inclination si naturelle et qui avait mis tant de temps à ne se fixer que sur une seule (pensez, un quart de siècle...), laissait son regard errer sur sa maîtresse, sans prendre garde à sa main qui se resserrait sur la poignée de son épée, à son bras qui se levait... Et se trouva bientôt avec le plat de la lame sur le cou. Un sourire un brin moqueur ornait le visage de la jeune fille quand elle lui lança, à rien de ses lèvres :

Vous êtes mort... Voilà ce que donne un garde qui ne prend pas garde !
On recommence ? Je crois que... Hum, je rêvais.
Il va falloir que vous appreniez à vous protéger la gorge.


Lui volant un baiser furtif, il s'écarta, prenant deux pas de large. Bientôt, Bella poursuivait, lui montrant différentes gardes, à une main si l'on portait un bouclier, à deux mains qui permettaient d'y employer plus de force, différentes manières de porter des coups, corrigeant sa position, lui expliquant forces et faiblesses de chacune. Tout ce qu'elle avait appris de son père, combattant hors pair, et mis en pratique dès ses quatorze ans, contre Thoros et l'Alea Furor IV. Ce n'étaient encore que les balbutiements de l'art, le Gascon le sentait vaguement, empêtré qu'il se trouvait de gestes encore inconnus, répétés en un apprentissage qu'un gamin de douze ans, s'il était un écuyer correctement entrainé par les soins de son seigneur, aurait mieux su pratiquer que lui... Mais pour autant, en joyeux opiniâtre, Wallerand s'obstinait. Un coup appris en précédait toujours un autre, jusqu'à ce que la maître d'armes décide qu'il était temps de passer à quelque chose de plus concret. Si l'apprentissage des coups, gardes et parades était chose d'importance, rien ne valait la mise en situation.

Allez. On va mettre en pratique tout ça. En garde !

C'était l'heure d'apprendre, de vraiment percevoir une nouvelle sorte de danse, une danse qui se ferait un jour danse macabre... Wallerand avait à peine eu le temps de se mettre à peu près en garde qu'une tornade lui tombait sur le dos. Du moins en eut-il l'impression, vite démentie au premier choc sourd des épées s'entrechoquant au travers des fourreaux. Le coup avait été retenu. Se modérant à son tour, il enchaina, et bientôt eut lieu le premier véritable échange d'attaques, de parades, de ripostes et d'esquives, qui s'acheva sur un coup inattendu et un "Vous êtes mort !". Ils continuèrent, encore et encore, bridant de moins en moins leur force à mesure que les passes s'enchainaient. Ils s'approchaient progressivement de ce que pouvait être un vrai combat. Ce devait être en bonne part dû à Wallerand, à cette stupide vanité de vouloir s'améliorer, vite, pour n'avoir pas à faire rougir sa maîtresse de son peu de maîtrise... Et à la propre vanité de Bella, ne voulant pas se montrer piètre professeur, trop vite dominée par un élève consciencieux.

Et les coups succédèrent aux parades, les passes aux affrontements. Un à un, il expérimenta les coups que Bella lui avait enseignés, souvent à ses dépens, parfois ratés de sa part. Comme une obsession revenait l'idée de ne pas lui faire mal, de ne surtout rien répéter qui pourrait lui rappeler Dax... L'entrainement portait ses fruits cependant, après avoir acculé la jeune femme par des coups bien portés, il laissa Bella prendre de l'élan pour frapper. Wallerand esquiva et réussit à toucher sur le ventre. Un coup pareil, c'était la mort assurée ! Ce qui ne le rassura pas. La comtesse lui fit un sourire d'approbation, avec un brin de fierté dans les jades lorsqu'elle l'entendit annoncer la sentence. Rapidement, entre deux passes d'armes ou d'un mouvement à l'autre, il se prit à essayer de décortiquer la manière de faire de Bella. Elle était plus rapide, plus légère. Avait tendance à esquiver quand il parait. Leçon number one : une femme, ça se contre à la force, ça ne s'attaque que par feintes pour tromper la vigilance et l'esquive, et il faut les acculer pour porter le coup définitif. A tous les coups, c'était ça, le truc. En fait d'esquive, pour cette fois, se penchant pour éviter un coup de taille, sa maîtresse sembla un instant mettre la main à terre mais se redressa vivement, lui lançant aux yeux la poignée de poussière qu'elle venait d'arracher au sol. Détournant la tête, sentant déjà l'arme neutralisée tailler dans son côté et le déséquilibrer, il grommela, se libérant les yeux de sa main libre :


Oh, la vache...
Vous êtes blessé.
Encore ?


Le cri venait du coeur. Encore mort sans doute, même, si le coup avait été réel, ou vraiment mal en point. Droit dans le flanc, au point faible sous les côtes. Pour une bêtise pareille... Une poignée de terre... Ne manquait plus que le coup de genou adroitement placé dans certaine partie de son anatomie - il espéra d'ailleurs sincèrement qu'il n'aurait pas droit à ce traitement-là, ni ce jour ni jamais - et ils auraient fait le tour des coups en traître. Il adressait un sourire piteux à sa maîtresse quand celle-ci eut le malheur de prononcer, en se remettant en garde :

Lâchez-vous.

Oui, il fallait ne plus prendre de gants, qu'elle puisse lui montrer ce qu'elle valait en combat véritable, même si sa fierté à lui devait en souffrir, tant pis. Car elle était persuadée de le dominer, encore, même en lui ayant appris ses techniques. Elle n'eut hélas pas besoin de le dire deux fois. A la passe suivante, le Beauharnais n'attendit pas l'attaque et s'y lança sans prendre plus garde de retenir les coups. La jeune fille n'eut d'autre choix que de céder du terrain. Elle fronça les sourcils, ne s'attendant pas à des coups d'une telle force. C'était inégal, la force et la vigueur d'un coté, la technique et l'esquive de l'autre. C'était approximatif, c'était bancal, mais à la force seule ça pouvait presque suffire. Presque seulement, car une esquive permit à Bella un coup de pied bien placé, dosé juste ce qu'il fallait à l'arrière du genou, pour forcer son amant à le remettre en terre. Mais celui-ci, avisant un bras qui passait à sa portée, se saisit du poignet pour ramener le bras dans le dos de la jeune fille alors qu'il se relevait, avantagé par sa taille, sans se rendre compte du déséquilibre qui s'était créé quand le pied de Bella avait ripé sur une pierre. Emportés tous deux, ils churent durement au sol. Et un cri déchirant perça le calme - relatif - du lieu.
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