Ursula_
Les événements des deux dernières années avaient durement éprouvé lâme et le corps de la navarraise. Arrivée à Alençon amaigrie et affaiblie, létat de santé dUrsula sétait dégradé. On avait dabord soigné lulcère infecté sur son talon gauche causé par le frottement régulier des sabots de bois sur la peau nue dun pied peu habitué aux longues marches. On avait ensuite bandé le poignet foulé à la suite dune chute du haut de Watelse la mule quelque part entre Dieppe et Avranches, puis on sétait attaqué aux parasites qui avaient élu domicile dans la chevelure dorée et poisseuse.
Une fois épouillée, lavée, bandée et rhabillée, la Ozta avait retrouvé léclat de jadis. La peau délicatement parfumée au pouliot avait pâli à nouveau et de nouveaux rubans étaient venus orner les mèches blondes savamment coiffées. En se regardant dans un cadre détain poli, la jeune femme retrouvait la mine hautaine quelle arborait autrefois sans pudeur. Lenfantement avait toutefois laissé des traces sur le corps de loiselle : une poitrine alourdie, des hanches élargies et des stries violettes sur la mamelle et labdomen heureusement invisibles au regard dautrui. Marques indélébiles de sa faute
Si, pendant les premiers jours suivant le retour de lhirondelle à son nid, elle avait largement profité des petits bonheurs quoffraient la vie des gens aux sang bleu; multipliant les orgies alimentaires jusquà en avoir mal au cur, sortant chasser à cheval ou passant ses journées à broder en buvant du vin de Porto. Ses humeurs aux prises avec ces situations devenues inhabituelles sagitèrent tant et si bien que deux semaines après son rapatriement elle tomba malade. Une toux incessante secouait le corps guindé de soie dUrsula. La fièvre avait en outre mis le corps souffrant au supplice, lempêchant de dormir et la forçant à barboter dans des bains glacés.
-Ça y est, avait-elle pensé. Je vais mourir! Aristote me punit encore.
Sans doute inquiétée par létat de décrépitude avancé de sa parente, Elianor avait gentiment suggéré à sa cousine daller se reposer à Lesparre, domaine aquitain de la quintefeuille. Le soleil du Midi, lair pur embaumant la fleur doranger et les gâteaux au fenouil feraient du bien au corps dUrsula. Ainsi fut-elle amenée jusquen terres dOc dans lespoir de guérir. Mais Ursula craignait de trépasser alors quelle nétait pas en règle avec le Très-Haut. Cest vrai que de Le trahir en reniant ses vux ne la mettrait pas exactement sous le bon il divin
Lors, dès quelle sentit la toux diminuer, la fièvre séteindre et quelle put se déplacer sans sévanouir, lhirondelle demanda à ce quon lescorte à Sainte Illinda. Pourquoi Sainte Illinda?
Parce qualors quelle venait à peine de revenir en Alençon, modestement installée dans une auberge bon marché, lUrsula avait reçu une lettre de le prieure . La lettre était adressée à sur Blichilde, son alter-ego au cul béni. La jeune femme avait expédié une réponse, mais un accusé de réception se faisait toujours attendre. Un pli bref fut à nouveau envoyé en direction du saint lieu afin de prévenir sur Ellya de ses intentions.Citation:À sur Ellya, au prieuré de Sainte Illinda
Jai souvenir dun courrier que vous maviez fait parvenir lorsque je séjournais en Alençon. À défaut dêtre rentrée à nouveau dans les ordres, je vous demande asile afin de procéder à une profonde méditation. Je suis en effet quelque peu souffrante, et cest sans doute une épreuve de plus que le Très-Haut ma envoyée.
Jai de quoi payer pension et ne suis pas rebutée par le travail qui purifie les âmes. Compte tenu de mon état de santé, jaimerais commencer ma retraite le plus tôt possible.
Que le Très-Haut vous garde,
Ursula de Ozta, connue de vous sous le nom de sur Blichilde
Si elle était pour y rester, autant que cela se produise dans un lieu saint. Déjà, Aristote serait sûrement plus magnanime. En outre, la jeune femme avait longtemps caressé lidée de consacrer sa vie au service du Seigneur
On peut sortir lUrsula de la religion, mais on ne sortirait pas la religion de lUrsula! Une retraite de quelques semaines, question de tout remettre en ordre dans son corps et son esprit avait lair dêtre la solution toute trouvée pour se soigner.
Cest donc escortée dun page quUrsula sonna dabord la cloche rouillée, debout devant la large porte la séparant du prieuré.
Alfonse
Oui, oui... Ça vient!
Claudiquant, le vieil Alfonse ouvrit la lourde porte, non sans maugréer.
Z'êtes qui? 'Voulez quoi?
Il détestait le rôle de frère portier et comptait bien le faire savoir à tous ceux qui auraient eu la mauvaise idée de vouloir venir au Prieuré.
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Frère Alfonse
Goûteur officiel de la bière du Prieuré
N'a plus toutes ses dents ni toute sa tête
Ursula_
Lorsque le portail souvrit, laissant voir un vieux moine partiellement édenté, Ursula se sentit soudainement peu à son aise. Elle avait en souvenir un couvent presque douillet, occupé principalement par des moniales silencieuses. Sainte Illinda semblait
différent. Les mains lune dans lautre appuyée sous le buste, libère allait se présenter et expliquer la raison de sa venue lorsquune voix désagréablement familière retentit. Se désintéressant immédiatement de son interlocuteur à la mâchoire dé-sertie de son ivoire, Ursula étira le cou pour voir la créature qui se tenait à quelques pieds delle. La pâlotte Ozta devint plus blanche que blanche, presque grise.
Richard.
Nétait pas.
Mort.
Létait-il? La jeune femme songea pendant un instant que le fantôme du soldat venait la tourmenter. De son vivant, nuire à Ursula avait été lun des loisirs préférés de Richard Watelse. Pourquoi cela serait-il différent une fois trépassé? Mais non. Linfâme, le trupide, le fangeux était bien encore de chair et dos. Pour peu, elle laurait palpé pour sen assurer, mais lidée même de toucher celui qui avait fait de sa vie un enfer lui donnait la nausée
Ursula renifla elle avait effectivement le nez qui coulait- et sapprocha de Watelse, lentement. Comme dhabitude, il lui disait des mots peu courtois. Sil avait vieilli, il navait pas changé en caractère! Lorsquelle ne fut plus séparée de lindésirable que par la distance dun bras, elle planta un regard incertain dans celui méprisant, lui parut-il- de Richard.
En une fraction de seconde, tous les souvenirs douloureux lui revinrent en tête en même temps : la ruelle bordelaise, le sang séché sur sa cuisse, les regards lourds sur son ventre illégitimement rond, Alençon, les cris stridents de son fils quon emmenait au loin
Et Richard qui se tenait devant elle, comme sil navait fait que lui marcher sur le pied. Puisant cette énergie dune source inconnue, Ursula poussa un cri aussi puissant que surprenant au nez du squalide avant dabattre avec violence son poing sur le visage de Richard Watelse.
Un craquement retentit. Le nez du Watelse ou la main de la blonde?
Haletante, lhirondelle se tenait la main droite, légèrement éraflée aux jointures. Elle nen était plus à un péché près! Aristote lui pardonnera bien cette nouvelle incartade. Tu las bien méritée, celle-là, maudit Watelse!
Ursula de Ozta, ou comment pénétrer de manière remarquée dans un lieu de prière.
Ursula_
Et vlan! Si lair ahuri du Watelse devant la violence soudainement déployée aurait suffi à Ursula, le saignement nasal et la douleur certaine il se massait le cartilage, tout de même!- doublait son sentiment malsain davoir pris une douce revanche sur le soldat. Ce nétait que le début, pensait-elle. Loiselle afficha un petit sourire suffisant, essayant doublier sa main qui lélançait. Comme si rien ne sétait passé, elle entra et passa à côté de Richard lorsquil lui céda le passage. Le nez en lair et la démarche mesurée, on se serait presque retrouvé bien des années auparavant à Bordeaux, lorsque la pucelle quelle était alors cherchait imperceptiblement à attirer lattention du guerrier.
Elle sarrêta lorsque le Watelse linterpella à nouveau et tourna la tête pour le regarder par-dessus son épaule. Ursula croisa à nouveau les mains sous son buste. Cela laidait à se tenir droite. Cette joute verbale promettait dêtre édifiante.
-Membrasser? En tout bien tout honneur? Allons, Richard.
Elle pointa de lindex le sang qui coagulait sous le nez de lhomme. Elle se tourna à nouveau vers le prieuré et fit mine de continuer sa marche.
-Vous me saliriez quoique vous layez déjà fait, nest-ce pas?-. De toute manière, très cher, le dégoût est réciproque.
Libère avait dit cela sans établir un nouveau contact visuel, car si le ton était affirmé et dur, le visage laissait transparaitre un certain trouble. Et elle ne lui donnerait certainement pas la satisfaction de la voir troublée par sa présence. Oh, ce nétait pas un trouble de jouvencelle amoureuse, plutôt un sentiment confus. Après tout, elle lavait aimé, attendu, elle avait porté son enfant
Elle lavait haï, aussi. Et la haine, encore plus que lamour, laissait des traces indélébiles. Il fallait aussi mentionner le fait quUrsula ne sattendait vraiment pas à revoir Richard Watelse de sitôt. Afin de faire le deuil dune partie de sa vie, la Navarraise avait déterminé que Richard était mort. Loin, loin des terres françaises. Richard Watelse et lieu de prière étaient antinomiques dans lesprit de la jeune femme. Il était un démon, une goule, un démiurge! Pas un homme pieux, impossible.
Ursula allait reprendre sa marche, mais comme elle ignorait où aller, elle préféra se retourner vers le Watelse. Il était là, elle le détestait. Elle allait le lui faire savoir. Que pouvait-il lui arriver de pire avec lui, de toute manière?
-Votre présence ici me surprend. Je vous croyais enterré dans des sables chypriotes depuis belle lurette. Visiblement, passer de vie à trépas ne fait pas partie de vos qualités.
Loiselle sortit un mouchoir de son corsage pour sessuyer le nez. Elle le plaça ensuite dans l'escarcelle qui ceignait ses hanches.
-Seriez-vous devenu eunuque, par le plus grand des hasards? Éclopé, peut-être? Oh non
Pleutre que vous êtes, vous avez préféré demander asile plutôt que daffronter je ne sais trop quel ennemi? Je ne vous aurais jamais imaginé déambulant dans les corridors silencieux ou allant chanter aux messes, Richard.
Elle ricana, fière de sa pique. Sentant toutefois son flegme se fissurer, car affronter son bourreau était tout sauf plaisant, Ursula inspira bruyamment et expira de même manière. La jeune femme fit une pause. Pour ravaler un indésirable sanglot, peut-être?
-Pourquoi ne mavez-vous jamais, jamais écrit?