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[RP] Les jours d'Après.

Judas
Le surlendemain.


    Matines-

La vie n'est pas assez dure comme cela, n'est-ce pas, Anaon? La perte de ceux qu'on met au monde, de ceux qui nous ont mis au monde, les épidémies qui nous emportent les enfants. Le temps et sa solitude, les épreuves que dieu nous envoie. Les coups que l'on se donne, l'amour que l'on se retire pour le donner à d'autres. La famine qui nous tenaille l'estomac ou le coeur, si tant est que l'on en soit pourvu. Et le froid. Ce froid infini qui ne nous quitte plus lorsque l'on abandonne.

Regarde la danse des pendus, qui bordent les chemins. Le vent qui les fait se frôler dans leur liberté retrouvée. Regarde ton pied sur la poussière d'une vieille carcasse, une monture morte de soif d'avoir perdu sa servitude.

    Laudes-

Qu'est-ce qui te pousse à partir et à me laisser ton cadavre, là où tu pourrais partir sur les routes en me laissant un mot... La vie n'est donc plus supportable à mes cotés? Est-ce mon absence ou ma présence que tu ne surmonte plus? Ou alors, ma condition et notre vie n'a plus une once d'importance, face aux écueils qui m'ont échappés. Ta vie antérieure. L'autre Toi que je n'ai pas souhaité rencontrer.

    Prime-

J'aurais tellement aimé ta colère. Que tu me jettes quelques objets au visage. Que tu me pointe une lame sous la gorge, lorsque j'aurais voulu t'apaiser. Ma chemise froissée par ta main tremblante de haine, mon col déchiré par un geste de désespoir. J'aurais aimé un cri de colère, un sursaut d'abattement. Une manifestation de détresse quelle qu'elle soit, autre qu'une clef qui se tourne dans une serrure. Autre qu'un pont que tu détruis en partant. Une noyade silencieuse, comme un oiseau discret qui se laisse aller dans la poix.

    Tierce-

Je n'ai pas de quoi exprimer mon effondrement, la peur qui me comprime la poitrine. Tu as laissé derrière ton geste une montagne de questions que je ne sais pas dire à haute voix, et surtout la leçon d'un homme qui pensait pouvoir te soigner avant de se soigner lui même. Que devrais-je faire désormais, sinon prier que tu ne te réveilles que si tu ne compte pas recommencer?

Je te jure que je n'ai plus envie de quitter ce lit qui ressemble à un tombeau. Personne ne pourra m'arracher à mes prières, même si je sens mes genoux saigner de trop les user à ton chevet. Je te promet, personne ne m'attend plus depuis longtemps dehors, c'est ici que je finis ma vie. Et puis je suis comme toi. Je ne pense qu'à moi. A moi et à l'affliction qui me ronge d'attendre que tu choisisse un camps. Que tu décides de partir ou de rester. Ici et maintenant je n'ai plus d'enfant. Je n'ai jamais aimé personne. Je n'ai aucun ami, et ma vie toute entière ne tourne qu'autour de toi, ma Froide statue de sel.

    Sexte-

La bonne est passée. Elle a déposé une lettre sur le coin du lit, et a murmuré que je devais me reposer. Cette bonne est stupide. Elle n'a jamais aimé. Et puis elle m'a touché. De sa fine main sur mon épaule. j'aurais pu la repousser, mais je n'ai pas trouvé en moi la force, réunie toute entière à appuyer ma prière. Peut-être que je me sens comme toi. Occupé à quelque chose que personne ne comprend.

    None-

Parfois je me demande comment aurait été notre vie si mes choix avaient été différents. Si je n'avais pas aimé la Bretonne, et si je n'avais pas cédé à la Rose pour un mariage qui ne m'intéressait pas. Je n'aurais pas eu à faire assassiner Isaure. Je ne t'aurais pas blessée comme je sais que tu l'as été. Mon fils n'aurait pas eu à subir les conséquences de mes actes, et peut-être que je serai plus heureux. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureux que lorsque je t'ai eue. Chasseur béni tenant son graal. Je sais, tu dois sourire intérieurement. Te dire que c'est la situation qui me fait dire des choses telles. La bonne avait peut-être raison. Je sens que j'ai de la fièvre.



    Vêpres-

L'arabe est revenu. Il a regardé tes plaies sans dire un mot. Tu vois, c'est ce silence que je ne supporte plus. Le tiens, le sien, celui de cette chambrine. Il n'a même pas fait attention à moi, raidi à genoux au pied de ton lit. Mes mains liées sous le menton doivent lui rappeler qu'hier, j'étais exactement dans la même position, et que je suis peut-être mort. Mais je le paye pour un mort à la fois. Du moins, pour garder de la mort un vivant à la fois. Je sais que c'est le meilleur, pour l'avoir eu à mes cotés sur les galères lorsque je vendais des esclaves. Cet homme m'a souvent remis en état des morts-vivants avec lesquels je n'en avais pas terminé. Les médecin du village l'appelleraient sorcier, mais je sais qu'il a juste des idées que les autres n'ont pas encore. J'ai cet espoir fou qui alimente à la place de tout le reste ma vieille carcasse lorsqu'il franchit le seuil de la pièce et qu'il pose ses doigts sur tes sutures. Et lorsqu'il refait tes pansements j'oublie momentanément les crampes de mon corps courbé. J'écoute ce silence que j'interprète. Tant qu'il ne pose pas à son tour sa main sur mon épaule... J'accepte de prier encore. J'ai lu ta lettre. J'ai bien envie de mourir aussi.

    Complies-


Judas a fini par s'endormir. Dans un sommeil peuplé de monstres et de chimères, de souvenirs défigurés par ses obsessions. Sa cape et ses cheveux tombant mollement sur ses épaules et son visage dans ses mains. Agenouillé. Une nouvelle chandelle a remplacé ce qu'il restait de l'ancienne. La bonne a humecté les lèvres de l'Anaon et s'en est allée sans oser toucher le Maitre qui semblait faire pénitence à s'obstiner ainsi à ne pas quitter cette chambre de malheur.

_________________
Anaon

      Une immense toile noire. Des confins sans barrières. Une Éternité. De vagues frémissements. Comme des nébuleuses filants dans un ciel d'encre.
                  Éparses...


    Une immense toile noire. Un néant...
    Et...
      ... quelque chose.


    Un étirement langoureux, fragile, dans cette mer de coton impalpable. Un ondoiement qui fait rouler le velours des ténèbres. Une lente respiration...

    Pulsation.

          Conscience.


    Des choses qui se passent dans le chaos. Le vide qui se meuble. Des apparitions. Des filets lumineux qui s'étirent dans la nuit. Une existence dans le grand Rien. Des pensées...
    La conscience se déploie avec paresse, enrobe l'infini de cet univers. Ça n'a pas de son. Ça n'a pas d'odeur. Ça ne se voit pas. Ce sont des notions ineffables qui ballottent dans le vide. Rien ici n'a de sens. Puis ça se précise. L’immensité semble se rétrécir, se trouver une limite. Confinée dans un espace clos que la conscience envahit pleinement.
    Le néant devient palpable.

    Une latence. La conscience semble alors se parer de nouvelles choses, étranges. Ça la dérange... Des perceptions au-delà des barrières. Ensuquées... Comme si elles venaient d'ailleurs, tout en étant discernables, ici, dans cet écrin confus d'ébauches. Des...

      ...Sensations ?

    Le vide se pare lentement de sons. Pâteux... Comme un étau sourd qui englobe son espace. Un mouvement. Un ressenti désagréable qui arrive en une vague et qui avale tout. Prégnant. C'est déplaisant... Inconfortable.

    La douleur...

    L'Ouïe... le Toucher... Le Goût... Ce sont des sens.

    La conscience semble comprendre. Et une mince déchirure vient crever ses ténèbres. Une lueur. Les paupières s'ouvrent. Empâtées. Difficilement. Un monde flou. Des formes indiscernables. Un... plafond ?

    Elle voit...
      Elle vit...

    Sa conscience pousse un hurlement d'horreur dans les recoins de son crâne. Une envie de vomir. Un vertige. Les yeux qui se révulsent. Elle replonge dans l'inconscience.


      Sont-ce des secondes, des minutes ou bien des heures qui s'écoulent ? Elle ne sait pas. Ici, le temps n'a pas de mesure. A nouveau la conscience submerge ce magma sombre d'un esprit à la dérive. Ça revient plus vite. Les sensations affluent... les souvenirs aussi. Hachés. Puis se reconstruisent. Elle se souvient, tout simplement. Elle comprend le pourquoi et le comment. Elle prend son temps, puis elle sent à nouveau cette nappe chaude qui vient ceindre son crâne. Comme une brûlure en arrière-plan. Parasite. Trop loin pour qu'on puisse la chasser. Et pourtant tellement omniprésente. Elle bouge. Un infime mouvement des doigts qui amplifie dans une pique cette douleur. Ses avant-bras amorcent une molle crispation de surprise qui déclenche une nouvelle décharge. Elle se plie alors à l'immobile.

    Une inspiration vient gonfler sa poitrine. L'impression d'avoir la gorge en papier de verre. Et alors, elle daigne à nouveau ouvrir les yeux. La chair lui semble tellement lourde, scellée sur ses pupilles. La tête tourne un brin. La vision est brouillée. Son regard chancelant parvient à se fixer sur le plafond. Elle n'y bouge plus, pendant un instant intangible. Elle laisse le monde la pénétrer à nouveau. Se fixer à ses sens... L'air dans ses poumons qu'elle voulait asphyxiés. Le toucher du drap sous ses mains. Le crépitement erratique du bois qui travaille. Une respiration... non... deux respirations. La sienne et une autre, plus étouffée. L'entend-elle vraiment ? Ou est-ce cet étrange instinct qui décerne les présences qui se manifeste à elle... Penauds, les yeux roulent à droite et à gauche puis la tête se laisse entraîner dans un faible mouvement. Un clignement de paupières, qu'elle abrège avec mollesse pour qu'il ne l'entraîne pas à nouveau dans le sommeil.

    Il est là. Présence aux cheveux noirs ramassée contre sa paillasse comme devant la dalle d'un transi. Les yeux bleus le contemplent, comme s'ils le découvraient pour la première fois. Comme s'ils ne le comprenaient pas. Là... Le fragment d'ombre qui perce un trou dans sa mémoire. Jamais ses yeux n'auraient dû revoir.

    Instants immobiles. Indescriptibles.
    La tête qui semble être aussi lourde que le plomb tente de basculer, alors que dans son asthénie, elle essaie de soulever ses mains pour apercevoir ses bras.
    Est-ce donc réel ?


Musique : "Don't let Go", composée par Steven Price, pour "Gravity"
Judas
C'est le bonheur, de continuer à désirer ce que l'on possède. Peut-être que tu ne m'as plus trouvé heureux. Peut-être que je ne l'ai plus été. Mais ta sentence est cruelle, et plus brutale que toutes les colères que mes mains ont posées sur toi. L'art de vivre n'est-il pas un subtil échange entre lâcher prise et tenir bon? As tu cru parfois que l'un l'emportait sur l'autre dans mes gestes? Je ne sais pas comment je prendrai l'idée du tien lorsque tu seras partie ou revenue , ta sanction ultime, à moi l'enfant que personne n'a jamais puni. J'ai le sentiment de toucher du doigt la démence, partagé entre l'hystérie et la sclérose, ne sachant plus de quel bord je suis lorsque tu navigues entre deux eaux. Stupéfié. Stupéfait. Contrefait. Tu as anémié mes journées.

Le plus cynique dans cette histoire, c'est que je ne sais si j'ai encore la force de t'en vouloir de ce que tu as fait à ton être. Même depuis l'irrévérencieuse lettre. La douloureuse. La pénible. Piquante. Lancinante. Poignante. Térébrante. Cuisante. Intolérable. Désagréable. Celle qui à la lecture de ses quelques mots m'a fait me sentir misérable. Celle où je n'existe pas. Et ne semble jamais avoir existé. Celle qui ne m'était pas adressée. La bonne n'est pas si bonne, tout comptes faits... A m'apporter la corde qu'il me manquait.

Tu aurais pu choisir plus noble qu'un adieu à un tavernier. A un de ceux qui ne t'ont jamais cherchée, puisque tu t'en allais le retrouver. Quand ta Paris te prenais. Un de ceux qui ne se sont jamais étranglé de jalousie pour toi, même pour des prétextes qui n'existaient pas. Un qui n'a jamais eu à t'écouter crier la douleur d'une nuit ou tu donnais la vie. Un qui n'a jamais connu ton regard et ses questions muettes, ton rire et sa rareté parfaite. Tes cicatrices. Une lettre à Eldrick. Où tu t'excuses du spectacle, comme on s'excuse d'avance pour la boutade. Où tu t'inquiète de son pardon, pondérée, avant remerciements. Le plus indigeste vient après le "Du reste..." , où toute ma vie semble avoir été reléguée. " Faites-en ce que vous voulez. Cela n'a plus d'importance. Je pars avec le sourire." Ainsi tu es devenue juge, juré et bourreau.

Et j'ai perdu le mien- de sourire- et puis le fil du temps à trop penser, à trop prier, le jour et la nuit se sont mêlés dans ma tête semant une confusion opaque dans mes conclusions. Je sais que tu es là. C'est tout ce qui m'importe. Je ne sais plus à quoi je me raccroche, je ne sais plus ce que je te reproche. Je fais un syndrome post tr'homme.

Mes réveils entrecoupés de somnolence sont des terreurs diurnes. Plus je te regarde, et plus je perds mes certitudes. Tu es belle ce matin, ou ce soir. Ton visage alimente mes silences les plus prolixes. Je t'observe sans te voir, je suis recru de converser à un reflet. Je vois tes bleus qui me fixent. Ce bleu immense de gris qui semble envelopper ma vie. Je ne réalise que tard ce qu'il dissipe. Lorsque ma pupille devient aussi mince qu'une griffure, et que mes noirs se reconnectent enfin à l'Azur, comme si le voile ténu d'une longue et profonde nuit venait de se lever. Et alors mes lèvres asséchées s'entrouvrent. Et je sens comme la crue, le sang me pulser dans la tête, abreuvant les synapses qui refusaient s'animer. La ronde des sens. Mes yeux se mouillent, ma gorge se dénoue de retrouver son air. Ma poitrine expulse un dernier renâclement.

Dieu que tu as du prendre des détours ... Avant de choisir ta route pour me re... Pour revenir.

_________________
Anaon
      La douleur. Quel concept étrange. Parfois cuisante et souveraine. Dévoreuse de tous les sens, prédatrice de la raison, despote qui annihile toutes pensées et ne fait entendre qu'elle, dévastatrice, jusqu'à l'hystérie. Et parfois plus pernicieuse, étrangement douce. Comme une étreinte enveloppant tout le corps, diffuse, insaisissable. Une conscience derrière la conscience. Assez supportable pour que l'on s'y résigne. Insupportable d'être toujours présente, sans que la fièvre ou le délire ne puisse l'en détourner. Une lente torture. Dépérissement.

    Sibyllin flottement.

    Douleur... Toujours preuve de réalité. Sa réalité. Comme à l'instant, où du bout d'une prunelle troublée, elle parvient à apercevoir les bandages qui recouvrent ses bras. Cette simple vision semble accentuer un instant cette langueur dolente dans laquelle elle est plongée. La vue, quel cruel catalyseur. Un soupir vient percer la barrière de ses nacres. Un souffle moribond, abandonné.

    Réalité.

    La tête retrouve la profondeur de l'oreiller, vaguement dépitée. Elle ferme son regard durant une brève seconde, s'octroyant un répit pour se remettre de cet effort, minime pour l'humain, mais presque insurmontable pour le cadavre. Les paupières se soulèvent, cherchant à nouveau une prise pour son âme qui tangue. Et elle revient se poser sur le visage voilé qui veille contre son lit. Elle s'y fige. L'esprit est lent à se mouvoir. A s'emplir des questions qui devraient l'emplir. Ressentir, ce qu'il devrait ressentir. Ce corps perdu contemple, attend... sans trop savoir quoi. Jusqu'à ce que l'anthracite revienne à sa rencontre. Et de s'y raccrocher.

    La statue de marbre enfin s'ébranle et gorge ses nervures d'un soupçon de vie. Le roc de ses pupilles s'embue quand les siennes demeurent résolument sèches et fixes. Lentement, des bribes de ressentis s'exhalent, du confin de son esprit, et viennent auréoler ce visage qui quitte l'apanage du quidam. Sentiments sans image. Des souvenirs qui n'ont laissé que l'empreinte diffuse de leurs émotions. Un nom qui doucement revient. Ce qu'il est qui se rappelle à elle. Quelque chose dans sa poitrine. Comme une poigne. Les grands bleus soudain se troublent... Sa respiration s'emballe, dans une cadence misérable, des sursauts faiblards, qui dans sa poitrine affaiblie lui semble être une véritable cavalcade. Son regard fuit sur la pièce, entamant d'incessants allers et retours sur les yeux noirs et sur les murs. Les questions affluent, enfin, dans leur manteau d'angoisse. Son crâne se remplit brutalement d'incompréhension. Elle cherche dans le vide, dans le plafond, dans le regard. La pièce, le baquet, le reste. Est-ce le même lieu ? Y-a-t-il de son sang ? Où sont les témoignages de son geste que pourtant ses bras trahissent ? Pourquoi... Comment... Son cœur se serre d'une douloureuse angoisse. Sous ses œillades paniquées sa bouche moule des lettres fragiles qui ne sortent pas.

    Le trou noir. Ce vide de souvenirs soudainement effrayant. Et cette faiblesse qui l'empêche de pleinement réfléchir et qui veut la happer à chaque clignement de ses paupières.

    Elle est pareille à un petit animal craintif, qui s'épuise sans même bouger, pris dans le propre piège de son anémie. Le visage brisé d'une peur muette, elle fige à nouveau son attention sur Judas, lui envoyant, comme un appel à l'aide, un regard noyé de détresse.
Judas
Ce qui anime l'incapacité d'anaon, s'apparentera dans un futur lointain aux porte d'un hôpital pour camés, ceinturé par une barrière faune et sauvage, dangereuse, de trafiquants tentateurs. Passer les grilles, c'est passer la mort. Vaincre ses démons. Faut-il avoir la force de le faire. De se hisser loin des griffes mortuaires, pousser un cri , avaler une immense bouffée d'air. Se lever contre son propre enfermement immerger, dans la mare de son propre cauchemar. Parle-moi. Dis moi que j'existe. Dis moi que je t'aurais manqué. Je te déteste.

Bien sûr que je suis là. Cela fait des jours que je regarde . Et ton inertie m'a maintenu presque vivant, patient, je t'ai attendue. Ta toile noire, je l'ai éclaboussée du blanc de mes nuits. Car la cuisante et souveraine, la dévoreuse de tous les sens, la prédatrice de la raison, despote qui annihile toutes pensées et ne fait entendre qu'elle, dévastatrice, jusqu'à l'hystérie... C'est toi et ta perte. Ta peine et ta fuite. Ta désertion quasi indifférente. Et tu vois, je suis là. Je suis resté peut-être trop tard, lorsque tu as décidé de ne plus m'attendre. Je suis resté pour que tu restes. Et puis tu es revenue, mon apothéose. Egrenner des chapelets n'a pas de sens au pied d'une vierge névrosée. J'ai sorti le nez de mon mutisme, un ouvrage que j'ai trouvé bien trop long. J'ai tenté d'interchanger mes élans de haine, et cette violence qui m'a toujours consumé. Je t'aime.

Faut-il que je lance la première pierre? Le premier mot? Alors que c'est toi qui me doit des explications... Je t'en veux tellement. Je t'aurais frappée il y a quelques années en arrière, de ta folle audace, de ton affront éhonté. Je t'aurais peut-être allongée dans la paille, essoufflé et fourbu, blessé dans mon orgueil, je t'aurais embrassé sur tes marines tuméfiées, les baisant d'un amour aliéné. Mon désir déraisonnable. Ma Muse délirante. Es tu là? Je vois tes cobalts de Bretagne sur ma pauvre carcasse, mais es tu vraiment là? J'ai vu par delà les mers du sud, des gens revenir sans jamais rapatrier leur conscience. Leurs prunelles vidées de toute vie " physique", habitées par une humanité qui s'en est allée. Comme une jarre creuse qui ne verse plus son huile, toujours belle quoique vide. Des fins absurdes que l'on aurait pas même su décrire. Des adieux incoercibles. Fais moi un signe! Livre moi ton aveu. Je ne t'aiderais pas.

Parles, moi je ne sais plus que dire. A toi l'inconnue que j'ai toujours aimé.

_________________
Anaon

      Des questions pour seule réponse. Les Bleus et les Noirs pleurent chacun leurs interrogations pour ponctuer tout ce qu'ils ne peuvent se dire. Chacun cherchant le mot-secours qui leur permettra de rejoindre la rive, le mot qui ne se prononce pas, et qui garde les têtes suffocantes sous une surface noire d'incompréhension. Les doigts de l'Anaon remuent dans une piètre pantomime qui ne sait quoi dire. Qui ne sait ce qu'elle désire, ceindre une main pour le réconfort, ou fondre sur une gorge pour le malheur. Ce Malheur, qui soudain s'impose, empoissant sa prunelle d'une compréhension brutale.

    Elle a voulu fuir... fuir pour ne plus souffrir, et pour espérer. Fuir et se noyer pour enfin respirer sans ce cœur tuméfié par mille et un deuil qu'elle ne voulait accuser. Libérée. Il ne lui a pas été accordé la grâce de s'échapper. Et elle comprend alors ce que vivre signifie... Elle comprend, qu'il lui faudra affronter la perte de ses enfants. Qu'il lui faudra confronter la mort, ses erreurs, ses regrets et ses remords. Souffrir le martyre moral. Cette ineffable sensation d'absence... Et qu'il lui faudra, désormais, dans une ironie fatale, assumer son dernier geste et ses conséquences auprès de ceux qu'elle a voulu abandonner.
    Ce flot inépuisable de meurtrissures qu'elle ne voulait plus subir...

    L'esprit perclus est incapable d'offrir à Judas la réaction qu'il attend. Ni de le rassurer. Ni de lui expliquer. Ni de lui dire tout ce qu'elle aurait aimé. La douleur éparse lui grimpe soudainement au crâne pour irradier ses tempes. Une petite nuée d'araignées discrètes qui lui plantent désormais des crochets douloureux dans le cerveau. Les paupières se ferment à nouveau, le visage se tourne, se crispant sous le mal et les maux qui lui empoignent l'âme.

    Cruauté du monde.

    Ses doigts tremblent encore un peu, seule vibration venant secouer le silence. Le coma est un amant dont il est bien difficile de quitter les bras. Les pensées bien vite se brouillent. Sa poitrine se secoue, comme prise de maigres sanglots muets avant de s'affaiblir à nouveau, dans une léthargie monotone. Puis, effondrée par le désespoir de la réalité, elle se laisse sombrer dans un nouveau sommeil, erratique et tourmenté.


    ***


    ↬ A l'aube suivante. ↫

      Je marche dans un paysage de cendre. Là où tout est sans bruit et sans couleur. Sans vie et sans douleur.
    Le temps a retrouvé sa mesure. Indéfinissable. S'écoulant pourtant, au rythme indolent des escarbilles qui s'immolent dans une chute lancinante. Ce sont les lambeaux d'un monde qui n'intrigue plus personne. Abandonné des Dieux et des Hommes. Un silence, mortifère, comme le calme d'un champ de bataille qu'aucun soldat ne hante plus, qu'aucun sanglot n'agite plus, aucun râle de supplice, aucun cri de rébellion.

          Ces lieux sont morts.

    Des arbres noirs, aux feuillages qui s'effritent comme des ruines de sable. Décapités, parfois, de leur cime éphémère. Les pieux de ma mémoire, érigés, comme des pierres tombales élevées en épitaphe déchiquetés et calcinés. Ces lieux sont morts...
    Aucun souvenir ne les hante. Aucune image ne les anime. Rien d'autre que le spectre de ma conscience errant dans les cendres de ses propres fondations. Rien d'autre qu'elle, et cette statue de sel aux teintes passés ressortant à peine de la grisaille...

    Et quand j'ouvre les yeux, je vois le même paysage.
      Ces lieux sont morts.

    Tout est de cendre et d'indifférence. Les murs n'ont plus de matière. L'air a l'odeur des esquilles qui volèrent au-delà des langues d'un bûcher. La lumière émanant de la fenêtre est tuméfiée, celle d'un soleil blanc et mourant. Monde monochrome... Sans odeur, sans saveur. Sans sensation. Même l'eau que j'avale laisse un goût de poussière qui me tapisse la gorge.
    Il n'y a que moi, le spectre de ma conscience errant par les rares mouvements de mes yeux. Et toi. Statue de marbre, plus colorée que le reste et pourtant à l'apparence tout aussi effondrée.

    _ Judas...

    Les yeux se sont fixés sur le vide. La fatigue en cercle vicieux a taillé des cernes sous les yeux bleus. La consomption appelle la consomption, teintant sous le brunâtre de la fatigue le lilial en cire hyaline. Comme une bougie qui a commencé à fondre, les traits se sont tirés, émaciant les courbes que l'inanition, déjà, s'était évertuée à dévorer.

    _ Pourquoi... es-tu venu... ici ?

    Depuis quand... Comment... Je veux comprendre...
    La voix est atone. La gorge qui libère ses premières paroles : épuisée. Relais d'une âme qui voudrait savoir ce qu'il s'est passé durant cet instant noir. Pourquoi est-elle toujours en vie...

    Elle ne l'a prévenu de rien. Elle l'a abandonné quand son ventre s'est vidé. Il avait été rond, promesse féconde. Plusieurs mois de vie, avant qu'il ne s'éventre un beau matin dans une marre de sang et de l'ébauche-humain. Fausse-couche tardive... Effroyable épreuve. Une, qu'elle n'avait pourtant jamais voulu provoquer. Mère, elle avait accueilli le choc avec la fragilité d'une vitre de verre sous le poids d'une enclume. Supporter sa douleur... Combat insurmontable. Mais plus encore, incapable elle était d'assumer et de faire face à la douleur de Judas dont elle avait perdu l'enfant. Se confronter à ses rancœurs peut-être. Ou à ses reproches dont le hasard la rendait responsable. Alors, au lieu de surmonter le drame, l'endeuillée s'était enfuie, dans sa Paris. Sans un mot. Sans une explication. Sans un aurevoir. Comme le chien qui s'isole pour crever dans un coin.

    Et elle aurait dû, crever, après l'échec de son ultime combat... Comme le cabot qui s'abandonne, fatiguée de sa dévotion et de sa fidélité, et qui enfin, et pour une fois, ne veut penser qu'à lui...


Musique : "Aurora Borealis - Extended", composée par Steven Price, pour "Gravity"
Judas
Son visage est aussi blanc que la neige qui l'entourait lorsqu'il a voulu la posséder la première fois. Il a toujours aimé ses yeux, les Cobalts des plages bretonnes. Ses cicatrices. Dont elle s'est parée avec le temps comme d'un collier. L'ourlet de ses lèvres, interrompu avec barbarie. La pointe de ses seins... Piquante et abrupte. Anaon est une beauté brute loin des musardines de salon, toutes fardées... Toutes fanées.

Mais voilà. On ne possède pas l'Anaon. Elle se possède toute seule. De réminiscences sombres en sombres besognes. Anaon ne se sort pas d'un carcan dont Judas finalement ne fait que serrer les liens, en feignant de les ignorer.



Je voulais m'assurer de quelque chose ...



Il secoua la tête. Ses yeux noirs de jais étaient incrédules, ses traits étaient tirés mais sereins comme si après tout ce temps de lutte physique, la résignation était venue .

Et je suis désormais assuré.


A défaut d'être rassuré. De ce que tu as fait. De ce que je vais faire. L'évidence est venue, après des nuits d'angoisses et d'envies de me couper les jambes. J'avais envie de m'enterrer sous ce plancher. Je crois que je me suis enterré sous ce plancher, en te veillant. Tout entier, jusqu'à en connaitre ses moindres grains de poussière et d'oubli.


Je suis resté pour voir si tu avais envie de commencer à être heureuse.
_________________
Anaon


      Je suis resté pour voir si tu avais envie de commencer à être heureuse.

      La moribonde sur son lit semble réagir. Sa poitrine se soulève d'une inspiration moins faible que les autres. Les paupières expriment un soubresaut avant de s'ouvrir un peu plus, sur une évidence que l'on a oubliée, aujourd'hui surannée, ne laissant dans son passage que le sillage de la nostalgie et du regret.

    _ Heureuse...

    N'est-ce pas ce après quoi j'ai toujours couru ? Qui donc n'a-t-il jamais souhaité devenir heureux.
    Moi je ne voulais bien que le bonheur des simples. Je n'aspirais ni au trésor des Roy, ni aux terres des Duc et des Comtes. Je ne demandais ni l'élévation sociale, ni l'aventure, ni l'exaltation des passions d'amants, ni l'émancipation. Je ne voulais que la vie tranquille que beaucoup renient, comme des loups avides de courir la lune sans les barrières d'une maison à quatre murs. Je serais restée le chien, heureux de son panier. Une chaumière à maintenir, un homme pas trop mauvais pour faire un bon mari, des enfants à élever. Je ne demandais rien de plus que le banal qui m'aurait comblée.

    L'Anaon soupire, comme un râle d'épuisement. La vie que personne ne voulait, elle s'en serait contentée. A croire que cela était déjà trop demander.

    _ Comment...


    La voix fluette se parerait presque d'une ironie tragique. Jamais jusque là elle ne s'était permise une telle idée. Jamais elle n'avait voulu s'autoriser une telle faveur. Être heureuse quand ceux que l'on aime sont peut-être en souffrance quelque part... quelle éventualité insupportable. Culpabilité. Chaque instant d'accalmie grappillés auprès de Judas ou ailleurs creusait dans sa poitrine un lit de remords qui ont fini par faire sa tombe. Auto-flagellation. L'implacable syndrome du survivant.
    Maintenant que tout s'est effondré, au plus profond du gouffre, rien ne paraît possible, rien n'est envisageable. Le deuil annihile tout jusqu'à emporter la moindre parcelle de volonté.

    Les yeux bleus se ferment sur Judas qu'elle voit sans voir. L'anémie est un cocon pernicieux. Dans l'image du sommeil, le visage de la balafrée se crispe brièvement pour se tourner à nouveau vers le plafond. Elle se remémore, chaque seconde des retrouvailles sanglantes avec son enfant.

    _ Mon propre fils... a voulu me tuer...

    Les azurites se sont ré-ouvertes. Vides sur le vide. Inexpressives devant le pragmatisme lourd de sens de cette constatation. Elle demeure un instant les yeux immobiles, semblant voir ce que Judas ne peut pas voir. Que dire après cela. Après un tel effroi. L'esprit de l'Anaon s'est fendu là, sur cette ironie macabre, cette odieuse fatalité. Ce dénouement qui scie les jambes. Voilà où ont mené les années de traque et d'espoir. Le dernière flèche de Parthe d'un destin trop sardonique.

    Des sacrifices vains. Des espoirs infondés.
    Une vie inutile.

    Les yeux de l'Anaon se referment dans un soupire comprimé, sous cette vérité intransigeante.

    L'asthénie à nouveau la dévore, plongeant ses pensées entre deux eaux troublées.
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