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|RP] Histoire de revenants

Chimera
    [Déviation]


L'épopée Aubépine a subi, de Limoges à Alençon, un petit belliqueux contretemps. Les Angevins, petits frères des bretons -ou grands, peu importe si les susceptibilités il faut ménager, ont récolté fruits trop longtemps semés, et la terre s'abreuve du sang de trop d'hommes. Peu importe où est l'oeuf et où est la poule. Dénéré s'en fout. Peu importe le pavillon, Dénéré s'en fout. Sang répandu n'a plus ni cause à brandir ni allégeance à honorer. Il honore cette Terre dont la justice est bien autre que celle des hommes qui usent le concept jusqu'à l'en priver de toute noblesse. Cette justice là compte les points, et s'abreuve des vies qu'on lui rend. C'est un équilibre aussi, ça. Enseigne unique.

Au milieu de ce chaos elle navigue, sans ancre, avec pour seul objectif d'éviter ces folies pour mieux rejoindre ceux qui comptent encore, qui se comptent sur les doigts d'une main. Aedhan ne sait pas encore, mais Kistin, elle, doit déjà faire les cent pas.
Au fil de l'eau, cependant, flottent quelques surprises.
Spectres.
Ici, le Ponant, en la personne de Datan. Le nom de l'épervier phoenix est au cœur de tous les ragots, lui qui a trouvé à épouser. Un pli, des souhaits de bonheur qu'une Chimère plus jeune aurait forcés, trop jalouse pour être parfaitement sincère. Il avait été l'ami sans ruses d'un Chambellan trop fébrile pour porter les clefs de sa fonction, Alice inconsciente des portes qu'elles ouvraient. Savoure copain. Ce n'est pas démérité.

Et puis là, en le cœur d'une ville tellement maudite.
Son enfer.
Logique.
Elle avait prévu que Saumur serait sa gare d'aiguillage, sachant Angers minée. Quel temps de perdu quand il aurait suffi de passer par le Berry. L'ironie dramatique avait voulu qu'elle s'obstine à faire court, ignorante encore des troubles en cours.
Et puis là... Finalement, contrainte par l'évidence d'un attachement boiteux, elle a fait escale. Elle a fait escale au point d'avoir désormais le ventre vide. Dénéré est obstinée, pas pingre, mais si attachée à ses foutues valeurs qu'elle jeûnera et crèvera plutôt que d'offrir 7 écus pour un pain, et 4 pour un pauvre épi de maïs. Comme les intentions des protecteurs -en date- de la cité sont troubles, elle se tient à distance, et fait vache maigre. Judas, lui, a échoué là. Comme déposé à dessein par une main coquine. Se serait sauvé, peut-être, sans doute, s'il avait pu, pour échapper à cette terre branlante et vide, bien que cruciale et convoitée. Mais non. Le dessein voyou l'a maintenu là.

La voilà, elle, lovée dans le confortable fauteuil d'une des tavernes presque devenues privées de la ville, tant les âmes y sont rares. Elle écrit, à ceux qui la guettent, sûre que s'ils se sont passés d'elle si longtemps, quelques jours -mois ? années?- de plus seront pardonnés. La bulle est encore bien luisante, et flotte. Les mots sont longs à couvrir le vélin, ralentis par des songes en bouchon ressassant les jours passés. Paix avait été rapidement faite, merci aux heurts que chacun avait pris de son côté. Comme quoi. On finit par voir du bon à tout, même au pire. Il est loin, oui, le soir des noces humides, et les liens là tissés mille fois éprouvés. Est-ce une lune de miel à retardement? On s'en fout. Et c'est bien ainsi.

Puis vient le plop. Quand bulle se désagrège -au point de sembler n'avoir jamais été là- à la ferveur d'une nuit pas même avinée. Il ne faut rien d'autre, souvent, un courant d'air filou qui dirige la pauvre assujettie vers... un écueil. Celui là est un caillou mal adressé, bien que joliment coloré. L'humble diamant des chemins semble avoir fait sauter l'essieu du calme insouciant d'un Von Frayner jusque là méconnaissable de sérénité. Il se rappelle à son souvenir, l'inconstant -miroir d'elle?- peintre qui de sa muse fait un meuble -icône vivante faite nature morte.
Les engueulades ont du bon. Rage muselle plus d'un gargouillis. Elle n'ont malheureusement de bon que cela. Déjà ça ?
S'attend-t-il à ce qu'elle vienne panser le rab d'écchymoses gagné ce soir ? Présomptueux amant. Aubépine a le cuir dur. L'orgueil plus encore. Elle a écouté. C'est plus qu'une cavalcade lunaire comme exploit, pour elle. Lui... Lui... Elle ne qualifie pas le désarroi qu'a occasionné la soirée de la veille.

Qui a gagné, d'ailleurs ?
Assise sur le quai du port vide et plein d'algues, elle rumine. Vache maigre, jusqu'au bout...
Serait-elle montée dans l'un de ces navires s'il en eu été un à se présenter?
Elle se rappelle à ses propres mots.
Je resterai avec toi.
Croix de bois, Croix de fer, si j'mens, j'vais en enfer.
J'y suis déjà.
Je ne sais plus.

Tout est sens dessus dessous. Alors elle s'allonge sur le ponton, la tête dans le vide entre un monde et l'autre, des fois que le changement de perspective apporterait quelque réponse.


- Tout va bien? M'dame? Un marin, sans doute.
- Dégage.

Les pas grommelants indiquent que l'éconduit trop prévenant obtempère.
Une moue.
C'est bien le monde à l'envers. Judas se fera-t-il diplomate, si elle est rustre?
Ca se tente.

_________________
Judas
    [Dérivation]


Hélas non. Judas ne reste que Judas, malgré la houle qui a emporté au large des côtes Bretonnes voilà quelques années son impulsivité sans justesse, et l'a ramenée comme flottée, brute et friable, s'échouer dans les rades d'Anjou. Là bas, il avait laissé ses Chimères, auxquelles avait regretté son abandon, retiré sa confiance, profondément brulé d'avoir pour si peu cédé à l'accorder.
Lui qui se pensait éteint, usé, a choyé l'étincelle qui a suffit à l'embraser, réchauffe d'une nuit, une seule à tromper l'ennui. Et qu'importe les conséquences, dirait-on... Qu'importe les pertes. Il ne faudrait pas s'attarder à compter les naufragés ... Comme un compte à rebours funeste.

Seigneur s'est jeté à l'eau, il est trop tard il faut nager.

Il l'observe rêver, à qui sait-on, à de meilleurs jours où Saumur ne sera plus Saumur, et aux tourments qu'absence a causés. Et absence a bon dos pour écrire une histoire où Cholet n'est plus Cholet, et où Judas la tient en respect. Décimant ce qui aurait pu être, sans entailler ce qui a été. La vie est une suite de choix de chemins qui s'écartent les uns des autres, sans chance de ne jamais se rencontrer.

Au mieux la boucle se boucle, Chimera est revenue.
Un soir sans crier gare.

Chimera : est-ce que nous sommes damnés?

Judas : Dit le diable ...

S'il avait bien réussi à lutter, à se persuader que le coeur pouvait en toute épreuve s'anesthésier, c'était sans compter la chute de la ville et ses tavernes connues comme agitées devenues brutalement esseulées. L'on aurait vidé la mer cela aurait été plus crédible. L'absence d'une Anaon à peine remise, qui s'en reviendrait bientôt. Mais pas ce soir. Judas accusait le coup, d'avoir trouvé terrain favorable à pactiser. De n'avoir pas pour compagnie quelques connards attablés pour tuer toute intimité.

Elle est belle Cholet, quand elle se prend à rêver.
Puis quand elle s'emporte, et quand elle sait aimer.
Faite belle pour le tirailler. Pour le faire parjure.
Au milieu de ce chaos elle navigue, selon la perspective de Judas, spectre parmi les spectres, tel son propre démiurge.
Il la regarde jeter les filets de ses cheveux roux sur le quai, après deux jours à l'éviter.
Sirène dysfonctionnelle. Repense à ses mots. Son langage secret.

- Est-ce que je jette l'ancre?
- Cela dépend où, Chimera.
- Le port est vide...

Et il connait le prix de sa faiblesse, pour flamme rousse qui vacille au moindre instant où il ne la regarde pas.
Que lui dirait-elle celle qui cent fois, patiente ou aussi tourmentée qu'il ne l'est aujourd'hui, a attendu qu'il se décide...
A rentrer. A mieux l'aimer. A la ménager. A la regarder. A n'aimer qu'elle...
Fleur de Lys face à Phoebus.

L'apaisement heureux ne l'est-il que par le choix de l'une ou de l'autre, sacrifiant forcément l'équilibre, et jetant des années de sa vie aux tréfonds de l'oubli?

C'est début de la chute. Et nul ne sait encore ce qu'elle entraine.

_________________
Chimera
    [Dérive ? Action ?]

Judas: Tu devrais y retourner.

Oh, non, elle ne l'envisage pas, sa Bretagne.
Oh si.
Shh, assez.
Un mot de lui et l'idée fait chemin. Qu'attend-t-il ? Est-il question de replanter le décor, en bon écologiste sadique, pour mieux rejouer le drame ? La tête en bas, conseils sont vicieux, et douces affirmations potentielles machinations. Elle a toujours fui ce côté de lui, qui dit un en pensant dix. Chimera est une femme de l'hic et nunc, peut-être simple, mais ne fera pas autrement.

Chacun se tient là, fièrement campé dans ses retranchements, personnalités bâties au fil du temps, remparts hérissés de piques souvent éprouvés. Porc-épic aux roux traits se redresse, aux pas silencieux, elle sait qu'il n'est pas là question de marin. Azurs s'arriment aux jais, dans une paix -Ô joie- que seul le clapotis de vagues timides vient taquiner.


- Tu devrais pas rester là, ça finit souvent mal, nous, les pontons. L'un, l'autre, l'un et l'autre ou l'un est l'autre. Au choix.
Va t-'en.
A conseil, conseil et demi, et au final, il n'est pas dit que ceux de l'Aubépine sont moins obscurs que ceux de son démon. Consciente du fait autant qu'il doit l'être, elle s'agenouille face à l'eau. Mieux vaut renvoyer le sang au cœur plutôt qu'à la tête, c'est moins plein de circonvolutions.


- Tu as vu ? Certains trouvent leur bonheur dans ce magma verdâtre.
Viens là.
Du coq, à l'âne, ou sous les pavés, la plage.
En effet, la surface opaque est troublée par des remous ne devant rien aux courants. Électrons libres et gourmands. Faute de pêcheurs nombreux, Nature reprend du terrain. Quand Chimère fuit, elle court. Là, elle ne le peut, promesse oblige, tout autant que désir irrépressible de sauter au cou de son seigneur-saigneur, pour l'embrasser, ou l'étrangler. D'ici à ce que décision se prenne, il faut donner le temps au temps, et l'occasion de...

- Pourquoi y'a plus personne ici ? Le fond de la Loire est-il donc peuplé d'épaves ? Elle contemple encore le frétillement, et sourit. Regarde.
Si on découvrait la surface, on trouverait sans doute bien des espèces cohabitant, non ?
Chacun sa place et il y en a pour tout le monde. Chimera. Allons. Mais toi, implacable pragmatique, mentionne le fait que certains sont sans doute là pour bouffer les autres et je t'y noie, pour voir qui là-dessous voudra de toi.

Sous les poissons, l'angoisse, lancinante, qu'un plus gros la dévore si elle se laisse, papillon trop oublieux, prendre au piège de cette rencontre inopinée en le no-man's-land angevin. Sont-ils déjà morts? Voilà qui simplifierait l'affaire.

_________________
Judas
    [Désirs, action]


L'insidieux détail, c'est que c'est mot pour mot ce que Judas aurait répondu, s'il avait répondu. Conscient des tenants et des aboutissants. De qui mangera qui, et de qui se laissera manger par qui.

- Le port est vide parce que les hommes ont perdu la foi.

    Comme toi, et tes écueils bretons.


Le conseil en était un, égoïste, là où le Von Frayner se retrouve face à une situation inattendue et dérangeante. Chimera & lui sont deux déracinés, fâchés avec le monde entier, et leur inconstance mutuelle au lieu de les séparer a fini par les rapprocher, comme pour mieux se regarder dans le reflet de l'autre.
Ils ont vieilli, surtout dans l'âme.
Ils s'aiment encore.
Ils sèment encore.
Des petits bouts de regrets, des non dits qui disent tout.

C'est en Bretagne qu'elle reprendrait le fil, et lui ici, reprendrait sa vie. Loin des yeux, loin du corps. Le coeur ne pouvant pas se remonter comme une horloge, figé, sans plus souffrir des rouages en entrainant d'autres dans la mécanique grinçante des secrets de polichinelles.

Mémorable moment où elle l'a jeté dans le port de Vannes. Mémorables disputes. Les cris, les coups de sang, les corps qui se déchirent, et qui se détestent de s'aimer sans leur consentement. Et quoi? Dans la quiétude mortuaire de Saumur, l'histoire se répétait, tranchant dans le vif la quiétude inquiétante de l'histoire Anao-Judéenne. Le calme anesthésié de celui que l'on qualifiait hier encore de sybarite... Voilà deux jours qu'elle était là, et il mettait déjà à feu et à sang des rangs ennemis presque imaginaires.

Le vent défait les cheveux noirs et gris dans sa danse, et le gant passe sur les stigmates de sa rixe de la veille. Il ne le raterai pas la prochaine fois, ce fils de rien. Senestre finit sa course dans la main de Cholet, saisie par évidence, taisant craintes réciproques. Voilà deux jours qu'elle était là, et elle avait sans difficulté aucune renversé le pouvoir. Comme le mauvais présage qu'elle représentait toujours aux yeux de qui la redoutait.

- Ce soir, je veux dormir avec toi.

Ses désirs étaient simples, compliquant tout. Pouvoir de femme.

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Chimera
    [Désarticulation(s)]

- Tu es moins maternelle.

Ô Judas! Judas! pourquoi es-tu Judas? Renie ta vie et abdique ton âme; ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus Chimera.
Il le ferait.
Le ferait-il ?
Le ferait-elle ?
Elle le ferait.
Les deux sont funambules, et c'est ça qui les pousse, toujours, à danser sur la même corde. L'exercice, là les a poussés près, encore, d'une chute dont on se remet rarement sans bobos. Ca laisse des traces, et quand même, ça donne de quoi causer. Là, comme après, si le stigmate est profond. Deux vieux troncs, ents desséchés et pourtant non sans sève, chaque échange porte l'insouciance presque juvénile du carpe diem, tout en étant cousu des échos de leurs aventures, communes ou non. Ca résonne. Faute de raisonner bien clair. La faute à l'hubris.

- Perdue ? Ils l'ont détruite eux-mêmes, à force de la laisser s'éroder, par trop de tolérances mal placées. Inutile d'espérer quoique ce soit, après ça. Combien de ports sont vides, aujourd'hui ? Hein?

Revoilà l'ardente. Sitôt qu'on évoque les hommes et leur sottise, les joues rosissent, le ton se presse, trop, et la clairvoyance, aille.
A leur retour dans le repaire de chasse, on peinerait à distinguer le chasseur de sa proie. L'un semble perclus des douleurs du combat au gallodrome, l'autre se fait canne -l'objet du même nom pourtant offert ayant été vigoureusement et avec raison repoussé. Et pourtant...


- Moi au moins, elle s'occupera de moi.

Il avait pourtant du dormir sur ses bleus, ce soir là. Dénéré avait découché, fâchée, opposant l’indifférence à l'indifférence. Un prêté pour un rendu. Les amants sont combatifs. Et puis les efforts entêtés à démontrer une position ne l'étant pas moins avaient eu raison de sa désaffection. Bouillon s'était fait compréhension, puis finalement compassion sans qu'en soit fait l'aveu.

Elle le pousse légèrement jusqu'à sa couche. Chaque pas fait grincer le plancher. Mari, couche toi là.
- J'enverrai quelqu'un chercher un baume demain, auprès d'Adenora. Les doigts, trop doux presque, parcourent sans le découvrir les points qu'elle sait sensibles, pour délasser au mieux les membres et muscles endoloris. Elle grimace, ici, là, anticipant les élancements, et apaise, par la promesse renouvelée. Elle sait y faire.

- Tu as faim ? N'oublie pas, tu fournis les ingrédients, je concocte la potion qui nous sustentera.

Doucement, c'est presque trop près de l'évocation d'un chaudron. Décision est prise. Elle restituerait le caillou diamant. Demain, dès l'aube. Épine.
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Judas
Le corps aux muscles fins et secs se délie avec difficulté, là sous les interrogations Chimeriennes, sous ses passions ardentes, ses causes perdues, et ses desideratas muets. La rousse est la figure de proue d'un navire en détresse, apatride blessée, qui ne peut s'en détacher.

- Pourquoi m'aimes-tu?

La folle question. Pourquoi aime-t-on? Au point de tout perdre, au point de mentir à s'en damner la raison? Il l'aime sans doute parce qu'elle ne lui a jamais été destinée. Parce qu'il n'y a pas droit. Et dans sa quête d'inaccessible, dans ses voyages secrets, il est un chemin qui l'a toujours obsédé, breton, et insoumis, tortueux et douloureux, le plus cahoteux qui soit, et sur lequel il a toujours marché fier et droit comme un I. Le carpe diem a cela d'arrangeant qu'il ne tend pas à se soucier de l'après. Après, ce sera bien après.

- Je t'ai évitée. Souvent.
    Je t'ai fait suivre , aussi.


Voilà toute la contradiction contenue de Judas.

L'aveu vaut son poids. Il a voulu la tuer pour cet enfant maudit, qu'il aurait sans hésitation aucune ébouillanté comme on efface une rature, dans ce chaudron. Il aurait aimé la lier plus officiellement, de ce filin rouge qu'elle regrette de lui avoir accordé. Et toutes ces rencontres protocolaires, lui au bras d'autres, elles à d'autres bras. Deux pays en mésentente. Mais l'heure n'est plus aux turpitudes de leur passé. Les amants qui se retrouvent semblent toujours sur une autre échelle de temps. Rien ne s'oublie, tout s'apprivoise. Pas de hasards, que des rendez-vous. Et des secrets. Beaucoup de secrets.

Il tend la main vers un précieux paquet, enveloppé d'un linge, et ceint d'un ruban qui ne doit rien au hasard. Ce ruban, il l'a cueilli lui même dans ses cheveux bien des années auparavant, lors d'une autre occupation angevine. Les guerres ont semble-t-il plus rapproché que décimé.

Ici, son lieu de paix. Sans enjeux, quelques objets qu'il n'a pas à cacher à la vue du visiteur, lettres, gants, dagues et clefs. Baraque-chaumine , repère de chasse, à laquelle il a troqué le lit des femmes depuis qu'il est parti. Judas passe le plus clair de son temps à traquer le gibier, fuyard des soirées monotones au coin du feu, et n'a jamais daigné convier quiconque. Pas même la Roide, malgré son insistance. Un seul endroit pour ses moments de solitude où il invoque des souvenirs parfois, lorsque la chasse est mauvaise, et que fourbu il vient s'y coucher.

A demi allongé, il choisit au hasard un vélin conservé parmi ses frères et fait une lecture appliquée de sa voix cassée, faciès presque sérieux.

    " J'accuse à trente cinq printemps le mal des célibataires endurcis que le tout France se veut marier. Je ne suis pas prêt. D'ailleurs, l'ai-je été, le serais-je un jour? Les seules femmes qui ont causé mon émoi ne m'ont jamais été destinées, preuve en est sur votre vélin... Après dix jours de repos, je fut rappelé en Bourgogne pour traiter d'affaires qui n'attendent pas. Me revoilà seul avec mon sénéchal, l'esprit tourné vers ce bout de Bretagne qui assurément, a toujours causé mon tourment. Ah Chimera... Egoïste oui je le suis plus que vous, pis en est: je ne cherche pas à changer. "


Il abandonne le pli, non sans laisser la trainée charbonneuse de ses yeux croiser l'ovate. Facétieux, perdure.

    "Je sens votre aiguillon taquin, Judas, en m’abstenant d’en considérer les ténébreux accents. Je ne justifierai point mots et pensées, ce serait avouer avoir fauté. Mon sénéchal a gagné une part de moi qu’aucun duc, roi ou courtois ne saura lui ravir. Pour avoir côtoyé les aigles en quête de raffinement, je sais qu’on perd dans ces envolées effrénées des vérités terrestres essentielles qui jamais ne devraient être abandonnées. Aujourd’hui plume et pétales expriment sans rougir leurs affections, attachés sans chaines à ces vérités que vous jugerez peut-être futiles et restrictives. J’ai été longuement égarée, comme vous un peu, peut-être, tant vous sembliez incongru et inadapté, et tout à la fois terriblement là, en notre bonne ville de Vannes. Je vous y revois, et écris avec la conviction que vos amies bretonnes sont nombreuses, plurielles tout du moins bien que vostre délicatesse se soit toujours bornée à accorder, malgré vous peut-être, une exclusivité ravageuse à chacune d’entre elles. Taisez cette révélation, car l’exception bretonne est chère au cœur de celles et ceux qui s’en réclament !"


Sourire pointe, piquant, amusé sans doute plus encore. Le temps a passé, depuis cette jeunesse perdue où ils se contentaient d'un fallacieux désir courtois et sous entendu. Un autre pli se révèle.

    " La vie se joue de nous, lorsque je quitte l'Anjou aux mamelles de laquelle j'ai bu jusqu'à plus soif l'illustre vin pour la pourfendre avec mes frères. Le sort est sarcasme lorsque j'ai trainé ses tripots, l'exaltant gout du jeu au ventre, et que je lui disputerai une ultime partie souhaitant triompher de sa dernière carte. Je ne parlerai pas même de mes arcanes de vie, c'est un sujet que vous me connaissez désormais. J'ai vendu mon bien Andégave sans remords, hier j'étais ami, aujourd'hui compte ma réflexion, demain je serai amant... De l'Anjou. Je lui dois bien quelque chose, à cette scandaleuse culottée, une mort aussi présomptueuse que grande pour m'avoir fait don d'une poignée de nuits auprès de vous. On achève un grand ennemi aussi fort qu'il nous a séduit. Car s'il est bien un fait avéré, c'est que toute part d'amour comporte sa part de haine, sans doute n'y êtes-vous pas étrangère... "


Pas de hasards. Que des rendez-vous.
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Chimera
    [Secrets d’alcôves]

Parlant souvenirs et fétiches...
- Adenora me manque.
- Tu en parles de plus en plus souvent. Je sais que l'envie de me filer entre les pates pour aller la rejoindre te tenaille. Je sais que tu m'attends. Et que cela te pèse.
- Je te porte?
- Tu porteras les lièvres, toi.
- Elle est sans doute le seul être au monde qui m'attend, ou presque. C'est juste ça.

Dans leurs jeux de bulles, chasseurs sans proies ou presque -bienheureux papillons- il avait soufflé:

- Il va falloir que je retourne un peu à Brissac, tu sais. Cela fait plusieurs jours que je "chasse". Dénéré avait pincé les lèvres, et soufflé qu'elle attendrait en la loge. Je ferai un aller-retour. Serai revenu avant la nuit. Veux-tu que je lui glisse un mot de ta part?
Calyce mentionnée, cette archi-tout qui lui renvoyait tout ses riens à la figure, elle s'était fait dure.
- Jamais. Elle s'en cogne, et moi aussi. Un souffle, hésitant. J'ai tort?
- Fais signe. C'est toi l'ainée, la plus sage.
- Je suis fatiguée d'être sage, Judas. Ca m'a couté ma vie, déjà.
- Tu es décue déjà. Qu'as-tu à perdre?

Les illusions ont du bon, dans leur absence de définitif. Mais Von Frayner, usant du droit qu'elle lui avait confié, avait tranché. Il avait commandé un pli, pour le lendemain. Cependant, au fil d'une histoire commune qui faisait de lui bien plus d'un frère pour Calyce qu'elle n'était elle-même sa soeur, il avait rejeté la supplique aubépine.

- Je n'écrirai pas à ta place. Je respecte trop cette petite écervelée pour jouer d'une imposture.
- Tu respectes quoi chez elle?

Elle avait reçu les mots, et la qualité première de Calyce était, aux yeux de Judas, d'avoir soutenu sans jamais demander. Elle, au lieu de cela, était là à le harceler de questions. La haïrait-il pour ça?

- C'est peut-être ma faute.
- Laisse ton orgueil de côté. Juste pour un pli. Et puis ce n'est pas ta faute.
- J'ai plus que ça tu sais. C'est triste à dire.
Je ne connais pas ma soeur. Elle n'est que celle qui a accompli ce que je n'ai pas su accomplir, avec des moyens contraires à mes valeurs.
Mais je lui suis reconnaissante. Pour toi.


    [Le lendemain.]


Au matin, elle a quitté la couche plus tôt que Lug. Pour pratiquer l'absence, peut-être. Sentiment nouveau. Il faudra laisser partir, et non provoquer fuite, ce jour. C'est une toute autre affaire, ce lâcher prise. Il l'a rejointe, et supervise.
Elle, souffle:


-Tu sais... si... je serais venue avec toi... lui laissant le soin de combler l'ellipse. L'elle, cette Anaon si peu croisée et pourtant si familière, ce plein laissant si peu de vides.
- C'est une bonne chose.
- Mais en l'etat actuel des choses...toi même tu preferes etre seul, sans doute. Elle s'y trouve. Dénéré n'ira ni parader, ni se faire peut-être bien justement rabrouer. Question de point de vue. Questions de points de vue.
- Ta soeur vit à Brissac. Tu as le droit de t'y rendre.
- Je ne jouerai pas les ingénues. Le hasard fait assez de dégâts comme ça quand il n'est pas feint.
- Personne ne pourra te blâmer d'aller la voir, après tout. Alors allons ensemble.
Elle avait souri, touchée par sa démarche, pour finalement trancher, à son tour.
- Je dois rester ici. Par respect pour.... tout ça. Pour tout toi. Pour cet abri qui jamais n'avait failli aux deux hôtes malmenés. Par l'un, par l'autre, par d'autres. Le dos contre le dossier de sa chaise, les bras croisés, les yeux dans le vague, il capitule.

- Ecris
- J'ai qu'un truc à dire, tu sais.

Elle avait saisit la plume, alors, pour tracer le fameux truc.

Citation:
Saumur, le premier jour de mai.
Un signe.


Insigne.
Elle rature. L'heure n'est pas aux piques. Point de "Chère Calyce,", La polysémie coûte.
Elle contemple un instant le vélin. Et le froisse.
Un autre.


Citation:
Saumur, le premier jour de mai,

J'espère que tu n'es pas blessée.

C.


La main s'apprête à reprendre. "Je serais venue, mais le respect d'un fait fait que je resterai à Saumur. Il parait que tu sais." Les doigts brûlent, mais demeurent silencieux. Ils n'ajoutent qu'une signature brève et sans artifices. Le facteur suffira à lever tout doute possible sur l'auteure.
Un rajout. Au souvenir des mots amants.

- Des rumeurs disent qu'elle a donné naissance.

Citation:
Ni toi. Ni lui. Ou elle.

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Judas
La main du seigneur attire celle du roitelet. Les crins noirs de son père. Les yeux bleus de sa mère. Il était venu immédiatement à la rencontre du Maitre des lieux, comme pour démontrer qu'en son absence ... Il était là. Le geste chassant la vieille nourrice, appelant à le laisser accueillir le visiteur comme l'aurait fait un vrai châtelain. Fier de démontrer à l'Absent, tout ce qu'il avait appris en mimétisme.

- Viens mon fils.
- Dis, où tu étais ?
- Je suis parti chasser.
- Tu as chassé un ours?
- Non, je chassais l'ennui.
- L'ennui? Qu'est-ce?
- Tu comprendras, un jour. Regarde ce que j'ai là.

Les yeux de l'enfant brillent un peu. L'ennui est inconnu aux enfants. Ils sont comme des marins. Partout où leurs yeux se posent, c'est l'immense.

- Des lièvres!
- Oui, des lièvres. Va les porter à Anaon.

L'enfant s'enfuit en courant, exhibant fièrement de tout leur long deux grands lièvres, bras en croix. Il est beau ... Il est Libre. Les yeux de Judas le suivent jusqu'à le voir disparaître. Il aurait pu dire Maman. Mais à quel âge un enfant est-il capable de comprendre les erreurs des adultes? Roide avait toujours été plus subtile. Roide avait toujours eu les meilleurs mots. Jusqu'à sa chute, lorsqu'elle les perdit. Et qu'il se perdit.

La senestre saisit le pli dans la chemise. Il tendit à l'écuyer qui les avait observés, silencieux, alerte aux demandes que le seigneur peu bavard aurait sollicitées.

- Pour Brissac.

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