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[RP] - « Vous avez gâché un plan bien huilé.

Clio..

    - Ouais et ben puisqu’il est si bien huilé ton plan tu sais ou tu peux te le carrer. »


Limoges à la mi-mars n'a rien de très extraordinaire. Une ville sans grand intérêt, comme à peu près toutes les villes. Il fait beau, ce qui est plutôt agréable. Au lieu de rester enfermée une chope à la main, je préfère me tenir dehors. Adossée à un pilier soutenant l'étage d'une maison, je regarde d'un œil morne les allées et venues des passants. Sourcils froncés, lèvres pincées, comme de coutume. Je n'ai pas l'air très aimable. Pas le genre de filles qu'on aborde pour discuter de la pluie et du beau temps. Ce qui m'arrange. J'impose toujours des distances avec les autres. Même avec ma mère. Je ne me lie que très difficile, au prix de nombreux efforts. De la part des autres, le plus souvent. Je ne fais confiance qu'à moi-même. Question de survie. C'est à la force de mes poignets que j'escalade un mur, pas avec celle des autres.

Le soleil réchauffe mon visage. Je lève légèrement le nez pour en capter les rayons. Mon chien Capi, à peine âgé de quelques mois, est étalé de tout son long à mes pieds. J'avise, du coin de l'œil, une fontaine. Il fait tiède, pas assez chaud pour me faire souhaiter un rafraichissement. Mais ce monument de pierres blanches me rappelle la Sicile. Il y en a aussi là-bas. Plus grandes, plus majestueuses. Je m'y débarbouillais souvent, durant les belles saisons.
Je siffle mon chien, qui se redresse sans hâte. Je déserte le pilier pour m'approcher de la fontaine. Les températures plus clémentes m'ont fait ôter mon gilet sans manche. Je ne porte que ma tunique verte et mes braies. J'ai glissé mon couteau dans l'une de mes bottes. Je n'ai même pas pris mon arc. Il n'y a pas de danger, ici. Ma ceinture marque la finesse de ma taille. Il faut reconnaître que je ne suis pas bien épaisse. Des formes discrètes, mais je ne suis pas non plus très âgée, du haut de mes quinze ans à peine.

Je rejette ma natte en arrière, qui retombe entre mes omoplates. Je me penche, recueille de l'eau entre mes mains en coupe. Capi pose ses pattes avant sur la margelle et boit à même la fontaine. Je me passe l'eau fraiche sur le visage, m'essuyant ensuite le front du revers de la main. Je tourne la tête sans but particulier. Je fronce aussitôt les sourcils. Un garçon me regarde. A peu près le même âge que moi. Peut-être un ou deux ans plus vieux. Je le fixe, immédiatement sur la défensive. Il n'a franchement pas l'air méchant pourtant. Je crois même qu'il sourit, mais je n'ose pas en être sûre. Cela me semble étrange, qu'un garçon puisse me sourire. A moi.
Il doit croire que je l'invite du regard. Parce qu'il s'approche. Pire encore. Il s'arrête juste devant moi. Je ne fais rien pour paraître plus aimable. Il comprendra peut-être le message. Mais non, apparemment. Parce que non seulement il reste, mais en plus il parle.
Je l'interromps brusquement.

« Mais t'es qui toi ? »

Puis je hausse les épaules, pour montrer que je me moque bien de son nom. Pour moi, la conversation est terminée. Pas pour lui. Je retiens difficilement un grognement. Il commence à me baratiner. Une histoire de chevaux, ou je ne sais pas quoi. J'offre un air d'incompréhension agacée. Qu'est-ce qu'il s'imagine ? Que ça m'intéresse, ses histoires de palefreniers, de dressage ou je ne sais pas quoi ?
Une idée germe dans mon esprit. Un fin sourire étire mes lèvres. Je souris franchement, et mon visage change, comme toujours, du tout au tout. L'air grognon ne cache pas la finesse de mes traits et ma beauté certaine. Je ressemble trait pour trait à ma mère, faut dire. Mais quand je souris pour de vrai, comme là, mon minois s'éclaire. Je perds mon air maussade, j'ai l'air moins sauvage. Mais je suis nettement plus jolie. C'est l'un de ces sourires que j'offre à ce garçon. Pas pour lui en particulier. Ni même pour son discours. Mais parce que je viens d'avoir cette fameuse idée, et que j'ai hâte de la mettre en pratique. Après tout, s'il est ce qu'il dit, ça ne devrait pas poser de problèmes.

« J'ai compris. T'es copain avec les ch'vaux. Bah... Ramène m'en un. Ce soir. On se donne rendez-vous à minuit. Toi avec ton cheval. Et j'rapporte un truc à manger. »

Marché équitable d'après moi. Et puis, qu'est-ce qu'une mission si simple pour le roi des équidés ?


Une journée en enfer - Film de 1995
Arnauld
Après avoir refermé derrière lui la porte de la taverne qu’il venait de quitter, Arnauld resta quelques instants sur le seuil, battant des paupières, tandis que ses yeux tentaient de s’accoutumer à la lumière qui régnait au dehors. La légère brise qui vint lui caresser le visage, le parfum presque printanier qu’il respira, sans oublier les deux ou trois bières qu’il venait de boire, le mirent instantanément de bonne humeur. Il lança un regard circulaire autour de lui, avisa un arbre un peu à l’écart du chemin, se soulagea allégrement contre son tronc et se dirigea vers le centre-ville d’un pas léger.

Au bout de quelques minutes de marche, au moment où il arrivait sur une place au centre de laquelle trônait une belle fontaine de pierre blanche, il marqua un arrêt, le regard capté par une vision singulière. Dressée sur deux courtes pattes, une créature brune et poilue lapait avec avidité l’eau de la fontaine. Il fallut quelques secondes à Arnauld, dont l’esprit était ralenti par l’alcool ingurgité peu auparavant, pour identifier un chiot. Et à côté du chiot, il s’agissait, de toute évidence, d’une jeune fille, même si pour l’instant il ne voyait que son dos barré d’une longue natte. Bien. Sa curiosité était piquée.

Il se rendit compte qu’à présent la fille le regardait. Ses sourcils étaient froncés ; elle devait se demander pourquoi il restait planté là à la fixer sans rien dire. Et donc, plutôt sociable – surtout après quelques chopes – il s’avança vers elle en souriant.


- Il est à toi ce chien ? Il doit avoir chaud, avec toute cette fourrure. Faudrait tout de même qu’il laisse de l’eau dans la fontaine, hein, sinon les Limougeauds vont se dessécher.

Tentative d’humour à laquelle la fille n’eut pas l’air d’être réceptive.

- Mais t’es qui toi ?

- Eh bien, euh… Je m’appelle Arnauld. Je suis languedocien. Et toi ?

Haussement d’épaules – tu l’ennuies Arnauld, passe à autre chose.

- Sinon je suis palefrenier, aussi. Avant j’étais tavernier, mais maintenant c’est plus des chopes que je m’occupe mais des chevaux. C’est plus vivant que les chopes, les chevaux – enfin bien sûr y a des gens vivants au bout des chopes, mais tu vois ce que je veux dire…

Voilà, il commençait à raconter n’importe quoi. Il fallait qu’il se rattrape, et vite - la fille allait le prendre pour un imbécile.

C’est parce qu’on est en voyage, alors on a plein de chevaux. On est allés jusqu’en Normandie, là-bas aussi ils ont plein de chevaux… Mais sinon c’était assez ennuyeux comme endroit. Tout ce que j’avais à faire, c’était bouchonner les chevaux – tu sais, bouchonner ? Tu prends une poignée de foin et tu frottes le cheval avec, ça le nettoie, quoi. Le cheval, il aime bien, et puis au bout d’un moment il finit par t’apprécier – c’est bien quand le cheval t’apprécie, il est plus facile à vivre, à dresser, tout ça… Même s’ils sont déjà dressés, les chevaux du voyage, bien sûr – ils ne font pas n’importe quoi les gens pour qui je travaille. C’est des riches, en plus.

Quel idiot. Pourquoi lui racontait-il tout cela ? Il était évident qu’elle s’en fichait comme d’une guigne, et lui pourtant continuait à s’embourber dans ses histoires absurdes. Sauf que, sans prévenir, la fille lui sourit. Sans son air renfrogné, elle était vraiment jolie. Quelque chose d’indéfinissable était venu éclairer ses prunelles noires, et son visage entier semblait plus lumineux. Le cœur d’Arnauld rata un battement ; c’est aussi à ce moment précis que son cerveau cessa tout à fait de fonctionner.

Quand elle lui parla du rendez-vous, il se contenta de hocher bêtement la tête de bas en haut. Il n’avait aucune idée de comment il parviendrait à faire sortir un des chevaux des écuries en pleine nuit, ni de ce que la fille comptait en faire, mais elle lui avait souri. Et rien qu’à cause de ce sourire, il était prêt à accepter tout ce qu’elle lui demanderait sans réfléchir.
Clio..
Je me suis glissée hors du lit et de la chambre depuis un quart d'heure. Capi est resté à l'auberge. Je lui ai donné un os avant de m'en aller. Il doit être couché devant la cheminée de la salle commune à ronger son fémur de veau.
L'air de la nuit est frais. La ville est calme, endormie. Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis sortie. Ce garçon, Arnauld, m'a eu l'air un peu bizarre. Il y a de fortes chances pour qu'il ne soit même pas là. Auquel cas j'aurais quitté la tiédeur de mon lit pour rien. Et je risque d'être interrogée par ma mère si elle voit que j'ai découché.
Nous nous sommes donnés rendez-vous devant le lieu d'habitation du noble pour qui Arnauld travaille. Il m'a dit comment m'y rendre. Tous les bâtiments se ressemblent dans la nuit. Le plan du garçon est précieux. Je trouve sans problème.

Excès de confiance, je suis sortie de nouveau sans mon arc. Mais quelque chose me dit que je n'en aurais pas eu besoin, avec Arnauld. Pas le genre à violer une fille dans un coin désert. C'est ce que je crois, du moins. Et de toute façon, j'ai mon couteau et ma dague. En cas d'ennuis, je n'aurai pas que mes poings, au moins.
Je me plante devant les appartements de l'avocat, comme le garçon l'a nommé. Je distingue la lueur dispensée par une lanterne, dans ce qui doit êtres les écuries. Je souris franchement, ravie. Il a donc tenu son engagement. Il est bien en train de me prendre un cheval.
Je ne suis pas une grande passionnée de ces animaux, contrairement à l'une de mes cousines. Mais le fond de l'air est agréable, la lune est ronde, et les étoiles brillent par milliers, dessinant dans le velours noir du ciel un langage que je ne connais pas, ou peu. Cela me donne envie de me promener. De goûter aux joies d'une balade nocturne. Et si la bête est agréable, cela enrichirait mes possessions. C'est toujours bien, d'avoir une monture à soi.

Je croise les bras. J'attends. Et je commence à trouver le temps long. Je pousse un léger soupir, faisant voleter devant mon nez une mèche de cheveux brune. Il est long. Trop long. Je me décide à aller voir ce qu'il fabrique.
Je quitte mon coin de mur et me dirige vers les portes. Entrebâillées. C'est bien, cela me facilitera la tâche. Je pousse l'un des battants, qui s'ouvre en grinçant légèrement. Mes pieds foulent bientôt la paille, et me revient en mémoire l'explication d'Arnauld, sur le bouchonnage. Je retiens un rire. Pourquoi diable m'a-t-il parlé d'une telle chose ? Mystère. Je me penche, et m'empare d'un brin de paille. Mon nez commence à s'habituer à l'odeur forte des chevaux et du foin. L'odeur que le garçon dégageait, d'ailleurs.

« Arnauld ? » je lance à mi-voix. « T'es là ? C'est Cléo. La fille de la fontaine. » je précise, ne me rappelant pas de m'être présentée tout à l'heure. Je suppose toutefois qu'il aura reconnu mon accent sicilien.

Je m'avance, jetant un œil dans les box, occupés par les chevaux. Pas de trace d'Arnauld. Où peut-il être ? Je le vois enfin, en train de se démener à dénouer un nœud, dans la partie sans box de l'écurie. Un superbe cheval est attaché là. Une monture magnifique. Je ne sais pas si le garçon m'a entendu. Plus par habitude que par nécessité, je me déplace silencieusement. Je serre le poing gauche. J'hésite. Puis je tends finalement la main, les doigts dépliés, et lui tapote l'épaule. Je n'ai pas l'habitude de toucher les gens. Les garçons moins encore.

« Bah tu y arrives ? J't'attends, moi. »

J'ai repris mon air grognon. Je me force à lui sourire, pour le mettre en confiance, ou je ne sais trop quoi. Je le dépasse pour me planter devant le cheval. Je lève la main, paume ouverte, et caresse son museau doux. Je remonte les doigts jusqu'entre ses yeux, effleure une oreille en me dressant sur la pointe des pieds. Puis je me tourne vers le garçon.

« Alors ? Tu y es ? »

Mes yeux noirs le fixent avec intensité. Vais-je devoir l'aider à voler ?
Arnauld
Il aurait pu rester dans son lit et dormir paisiblement en attendant le lever du soleil. Ou il aurait pu, s’il s’était montré plus dégourdi avec une fille à qui il n’avait pas l’air de déplaire et s’il avait écouté les conseils de Rastignac, l’époux de sa cousine, passer la nuit d’une toute autre manière. Ou même, plus simplement, il aurait pu jeter son dévolu sur un simple roussin tel que ceux qui le regardaient depuis leur box avec un œil morne, tandis qu’il s’escrimait à défaire ce fichu nœud.

Mais non. Arnauld avait voulu impressionner une fille avec un air grognon et un chiot aux allures d’ursidé. Il allait lui montrer un cheval, et pas n’importe quel cheval, mais le plus beau, le plus racé de l’écurie – celui qu’on ne mélangeait pas aux autres mais à qui on laissait de l’espace pour qu’il mâchonne sa ration de foin en toute quiétude. Or celui qui avait attaché la bête avait dû prendre sa longe pour un cordage de marin et avait fait un nœud si compliqué qu’il semblait ne pouvoir être défait que par un coup de couteau.

L’idée de trancher la corde avait beau être très tentante, Arnauld ne pouvait s’y résoudre. Il fallait qu’il ramène le cheval là où il l’avait pris sans que personne ne puisse soupçonner son escapade nocturne, et il aurait été incapable de reproduire un nœud si complexe, sans compter qu’il aurait eu bien du mal à expliquer pourquoi la longe avait mystérieusement raccourci pendant la nuit.

Il redressa la tête en entendant un grincement et se retourna, à l’affût. Quelqu’un venait-il d’entrer ? Et si on le surprenait alors qu’il n’avait pas l’air de faire autre chose que de voler un cheval ? Non, il n’entendait plus rien – s’il y avait eu une personne dans l’écurie, elle aurait fait plus de bruit.

Il se remit à son ouvrage, tendu. Il craignait que la fille ne lui ait donné ce rendez-vous que pour se débarrasser de lui et des âneries qu’il débitait. Elle aller sûrement lui faire faux bond, et il se donnait tout ce mal pour rien…

C’est alors qu’il l’entendit l’appeler à voix basse. Ah, c’était Cléo, son nom ? Plutôt joli, ça lui allait bien. Il ne répondit pas, essayant de gagner quelques minutes pour parvenir à défaire ce satané nœud. Il n’avait pas envie qu’elle le surprenne en train de se donner autant de peine pour détacher un cheval d’un simple pieu – il avait eu l’air déjà assez idiot devant la fontaine. Cependant elle l’avait retrouvé, puisqu’elle venait de lui tapoter l’épaule. Il la regarda, un peu confus, tandis qu’elle lui demandait ce qu’il fichait. Puis elle s’était remise à sourire, et le danger le guettait à nouveau de perdre toute capacité de réflexion. Non, Arnauld, secoue-toi, prends une initiative !

- Attends, j’ai une idée.

Il lui tourna le dos pour aller chercher le filet du cheval, rangé un peu plus loin. Une corde, ça a deux bouts ; si le premier pose problème, on n’a qu’à se débarrasser du second. Il enleva donc le licol que portait le cheval et le laissa tomber au sol, toujours relié à la longe qui le maintenait attaché au pieu. En quelques gestes rapides – il commençait à avoir l’habitude – il lui plaça le mors dans la bouche et noua les quelques lanières de cuir qui constituaient le filet, puis passa les rennes par-dessus la tête du cheval pour pouvoir le conduire comme au bout d’une longe. Satisfait, il regarda Cléo, les lèvres étirées par un grand sourire, et lui fit signe de le suivre tandis qu’il menait l’animal hors de l’écurie.

La journée avait été belle, mais la nuit l’était encore plus. Le ciel dégagé laissait briller ses étoiles et, avec le clair de lune, on pouvait y voir sans s’encombrer d’une lanterne. Son appréhension avait laissé place à une certaine excitation. Il passa sa main libre dans ses cheveux déjà ébouriffés et se retourna vers la jeune fille, un brin de malice dans le regard.


- Et voilà donc un cheval, comme promis. Qu’est-ce que tu veux en faire, maintenant ? Je te préviens, on n’a pas plus de quelques heures, faut que je le rentre avant l’aube – après, on quitte la ville.
Clio..
Attends, me dit-il. Je croise les bras, levant les yeux au plafond. Ma capacité à me montrer patiente étant plutôt faible, je ne tarde pas à soupirer. Je suis franchement tentée de sortir mon couteau et de régler la situation rapidement. Mais Arnauld parvient finalement à détacher le cheval. Je souris brièvement, satisfaite. Je le suis alors qu'il mène l'animal hors des écuries.
Les étoiles semblent me faire de l'œil. La lune éclaire parfaitement les environs. La route principale aux pavés mal ajustés parait m'inviter à la suivre.
Avant de retrouver ma mère, et de suivre toute la famille jusqu'ici, je n'étais jamais montée à cheval. Les premiers jours avaient été douloureux. Mais maintenant, je peux monter sans douleur, les muscles de mes cuisses parfaitement rôdés. Et c'est ce que je fais.

J'arrache les rennes des mains d'Arnauld. M'agrippant à la crinière du cheval, je me propulse jusque sur son dos. Il n'y a pas de selle, mais je n'en ai cure. Cela ne doit pas être bien compliqué à manier sans étriers. D'une légère pression de mes talons sur ses flans, je fais avancer le cheval de quelques pas. Je sens l'impatience bouillir dans mes veines. J'inspire profondément l'air de la nuit. Je suis parfaitement réveillée, toute trace de fatigue envolée. Les collines qui se dessinent à l'horizon me donnent des envie de cavalcades effrénées.
Je baisse les yeux vers Arnauld. Je suis bien tentée de le remercier et de le planter là. Qu'il s'attire des ennuis ne m'émeut pas particulièrement. C'est entièrement sa faute, après tout. Quelle idée que de donner un cheval à une parfaite inconnue ? Je suis cependant prise d'une sorte de pitié. J'imagine son regard surpris, blessé peut-être, lorsque je tournerai les talons avec sa précieuse monture. De plus, rien ne l'empêcherait d'aller prévenir son avocat. Et je n'ai pas envie que ma promenade soit gâchée par une course poursuite. Mieux vaut avoir le seul témoin de l'affaire avec moi.

« Allez, grimpe. On va faire un tour. »

Je lui tends la main, charitable. Je le tire à moi, pour faciliter sa montée. Une fois assurée qu'il est bien assis derrière moi, je secoue les rennes pour faire avancer le cheval. Les portes de la ville sont fermées, mais comme nous ne représentons aucun danger, et qu'au demeurant nous sortons de la ville au lieu de vouloir y entrer, on nous entrouvre un battant. Sitôt hors de Limoges, je talonne le cheval, qui s'élance au trot tout d'abord. Inutile de fatiguer la bête. La course sera pour un peu plus tard. Rien ne presse. Rien, si ce n'est que la route pavée fait place à un sentier de terre battue. Et le paysage qui s'offre à nous. L'horizon pour seule barrière, je me tourne vers Arnauld.

« Accroche-toi ! » Et au cas ou cette idée lui donne des idées, je précise : « Un geste de travers et tu finis dans le fossé. La tête en moins. »

Sans lui préciser ce que je considérerai comme geste malvenu, j'enfonce les talons dans les flancs du cheval. Les sabots de l'animal heurtent violemment le chemin de terre. Le vent nous fouette le visage, faisant voler les mèches de cheveux qui retombent d'ordinaire sur mon front. La vitesse est grisante. Nous dépassons bientôt la lisière de la forêt, sans quitter le sentier.
On grimpe la colline. La ville se dessine bientôt en contrebas, bien que plongée dans l'ombre. Je fais ralentir le cheval. Plongeant la main dans ma sacoche, j'en tire une gourde au goulot de laquelle je porte mes lèvres. Avalant une gorgée de vin de paille, je tends l'outre à Arnauld.

« T'as soif ? Faim ? »

Je tire sur les rennes, faisant stopper la monture. Sautant à terre, je m'étire avant de me laisser tomber en tailleur sur le sol. Le sommet de la colline est plutôt dégagé. On voit bien autour de nous. Cela me rappelle ma ville. Palerme. Je ne sais pas trop pourquoi d'ailleurs. La mer me manque, soudain. De même que la chaleur. Je sors de ma besace une demi-miche de pain et un saucisson sec. Je commence à découper des tranches, avant de les poser sur le rabat de ma sacoche.

« T'as dit que tu partais ? Pour où ? »

J'avale un morceau de saucisson. Faut bien faire la conversation, puisqu'on est là ensemble.


Edit pour grosses fautes toutes moches.
Arnauld
Autant vous le confesser dès à présent, les compétences d’Arnauld en matière d’équitation étaient quasi nulles. Curer des sabots, panser des flancs, nettoyer des crottins, ça oui, il savait le faire ; mais monter lui-même à cheval, c’était une autre histoire. Et, s’il avait bien eu quelques occasions d’essayer, il n’avait jamais poussé sa monture à une autre allure que le pas.

Il aurait dû s’en douter. Il avait, naïvement, pensé que la fille se contenterait d’admirer le cheval en poussant des « Oh » et des « Ah » éblouis. Ils auraient fait quelques détours dans la ville endormie, ils auraient mangé un morceau, elle l’aurait trouvé incroyablement séduisant, et il aurait pu aller se recoucher satisfait. Tout cela aurait été très simple.

Trop simple. Non, au lieu de cela, il se retrouvait lancé, à cru, sur un cheval au galop, sans rien d’autre pour s’accrocher que la taille menue de la fille qui, soit dit en passant, avait l’air de maîtriser la situation bien mieux que lui. Tétanisé, il ne pensa à rien d’autre qu’à une éventuelle chute durant plusieurs minutes. Peu à peu, cependant, cette crainte recula pour laisser place à de l’exaltation. Il y avait véritablement quelque chose d’enivrant dans cette course – le vent, le galop du cheval, et aussi le corps de la fille contre le sien. Il inspira profondément, essayant tant bien que mal de chasser les pensées peu aristotéliciennes qui commençaient à lui envahir l’esprit. Même si l’évocation de sa décapitation était sûrement un trait d’humour – n’est-ce pas ?... – elle s’était montrée on ne peut plus claire. Il n’empêche que la situation était loin d’être désagréable.

Le cheval était repassé au pas. Il se résigna à lâcher la taille de Cléo et accepta l’outre qu’elle lui tendait. Il en but une longue gorgée et, quand il eut fini, il se rendit compte qu’il était à présent seul sur le dos du cheval. Il la regarda s’étirer comme un chat avant de se décider à mettre également pied à terre. Un petit arbre ayant eu la bonne idée de se trouver non loin, il noua la bride du cheval à une de ses branches avant d’aller s’asseoir à côté de la jeune fille. Il se servit généreusement en saucisson et prit le temps de mâcher avant de répondre à sa question.

- Le Languedoc.

C’était laconique. Il ajouta :

- On rentre chez nous. Ça doit faire deux mois qu’on est sur les routes.

Nouvelle tranche de saucisson.

- Je te dirais bien que je suis pressé de rentrer, mais ce n’est pas tellement vrai. J’ai peur de m’ennuyer un peu, une fois là-bas… C’est pas que ce soit morne, comme endroit, pas du tout – y a le soleil, la mer avec tous ses ports, et puis c’est très peuplé – mais une fois qu’on a goûté au voyage, on a du mal à se dire qu’on restera toujours au même endroit. Enfin je trouve.

Morceau de pain.

- Tu dois savoir de quoi je parle, non ? A ton accent, je devine que t’es pas d’ici. T’as beaucoup voyagé ?

Il détacha son regard de l’horizon pour l’observer plus attentivement. Il avait beau avoir posé la question avec une certaine nonchalance, il était réellement intrigué par cette fille. Et puisqu’elle semblée disposée à discuter...
Clio..

    « Whispers under the moonlight »



Je retiens un grognement de justesse. Il semble bavard. Sa première réponse aurait été amplement suffisante. Pourquoi s'imagine-t-il que le reste m'intéresse ? Mystère. Je n'ai rien contre les bavardages, ceci dit. Tant qu'on ne me force pas à répondre. L'ennui, c'est qu'il commence à me poser des questions. En plus, il s'empiffre de saucisson. Depuis quand n'a-t-il pas mangé ? Je prends moi-même quelques tranches, histoire d'avoir ma part avant qu'il engloutisse tout.
Un Languedocien en voyage, donc. Je mâchonne un morceau de viande, songeuse. Ce qu'il dit sur la perspective de rester toujours au même endroit me fait vaguement acquiescer. Et quand il parle de la mer, une ombre de sourire passe furtivement sur mon visage. Je me sens un peu obligée de répondre.

« Je suis Sicilienne. Je viens de Palerme. »

Je soupire en réalisant que maintenant, il va probablement vouloir savoir ce que je fiche ici, si loin de ma patrie. Je me laisse tomber sur le dos, dans l'herbe fraiche. Je lui jette un coup d'œil curieux. Arnauld le Languedocien. Amateur de voyage. Et de chevaux, semble-t-il. Je me souviens de ses mains posées sur ma taille. Je fais un mouvement involontaire, me tortillant sur place. En temps normal, je l'aurais jeté au bas de la monture à l'instant même où il m'aurait touché. Mais j'avais senti qu'il s'accrochait plus par peur que parce qu'il avait des idées. Et j'avais eu... pitié. Pauvre garçon. Je lui volais déjà son cheval, je n'allais pas en plus lui casser la tête. J'avais veillé cependant. Le moindre geste déplacé et ma pitié se serait envolée. Je n'aime pas les contacts. Au même titre que je n'aime pas les questions. Et Arnauld parvient à lui seul à combiner les deux.

« J'aime la mer. C'est ce qui me manque ici. Je vivais sur le port. J'aimais bien. »

Je tourne la tête vers lui. Je ne sais pourquoi j'ai lâché ça. C'est un détail, pas vraiment intéressant. Du moins à mes yeux, je ne vois pas comment cela pour l'intéresser, lui. Je n'ai pas l'impression qu'il ait forcé la confession. Je me redresse, m'asseyant en tailleur. Je ne sais plus quoi dire, et pas quoi faire. Le silence me va bien. Ma mère, je crois, est parfois agacée que je ne décroche pas un moment pendant dix minutes. Elle me trouve sauvage. Je devais donc m'améliorer, essayer d'être plus bavarde. Pourquoi ne pas tenter l'expérience avec lui, après tout ? Cela ne portera pas à conséquence. Ne s'en allait-il pas le matin même ?

« Palerme c'est pareil. Soleil, mer, bateaux. J'étais jamais partie avant l'été dernier. Je découvre le monde. » Je me tais une seconde, puis ajoute. « Avec ma famille. »

Ce n'est sans doute pas le bon moment pour l'informer que la famille en question est également un groupe de mercenaires, pilleurs de mairie. Cela jetterait un froid sur nos rapports. J'avale une tranche de saucisson, méditative. Que peut-on dire après cela ? Puisque j'ai parlé de moi, c'est à son tour de dire quelque chose. Je réfléchis activement, avant de l'inciter d'une question à prendre la parole.

« Pourquoi choisir d'être palefrenier ? »





Whispers Under The Moonlight - ALB
Murmures sous le clair de lune
Arnauld
La Sicile ? Il n’en avait qu’une idée très vague – c’était une île, c’était au Sud, c’était loin – mais, ayant lui aussi grandi près d’un port, il avait plusieurs fois entendu les marins en parler. Un sourire se dessina lentement sur son visage à l’idée que, sans le savoir, il avait pu assister à l’appareillage d’un navire qu’elle-même avait vu arriver dans le port de Palerme. Il fut tenté de s’allonger sur l’herbe lui aussi, les mains croisées derrière la nuque, mais il n’osa pas. Etendus côte à côte sous un ciel étoilé, ils auraient eu l’air trop intimes, et cette pensée le mettait mal à l’aise. Il se contenta donc de l’observer tandis qu’elle lui parlait de la mer, hochant légèrement la tête. Ça lui manquait aussi, la mer, même si cela faisait moins longtemps qu’elle qu’il ne l’avait pas vue. Elle se redressa, mentionna sa famille. Elle ne voyageait donc pas seule. A la regarder, pourtant, on aurait pu croire que c’était le cas – elle se promenait accompagnée seulement d’un chien, elle sortait au beau milieu de la nuit, et elle avait l’air de n’agir que selon son bon vouloir. Il avait envie de lui poser des questions, d’en savoir plus sur elle, mais il avait le sentiment qu’elle n’était pas du genre à s’ouvrir si facilement. Il n’en appréciait que plus ce début d’échange.

A sa question, il fit un petit geste évasif de la main.

- Oh, je n’ai pas vraiment choisi. Enfin, disons plutôt que ce n’était pas prémédité. J’étais dans la taverne où je travaillais, et des gens avec qui je m’entendais bien – tiens, le propriétaire du cheval justement – m’ont dit qu’ils partaient en voyage. Si je voulais les accompagner, il y avait de la place pour un palefrenier supplémentaire. Alors j’ai saisi l’occasion.

Il haussa les épaules, se mit à sourire.

- Je réfléchis rarement avant de prendre des décisions. J’ai pas hésité. J’en suis content, depuis le temps que je voulais voyager... Les occasions, faut toujours les saisir quand elles se présentent.

Le cheval, non loin, renâcla doucement. Une chouette hulula. Que pouvait-il ajouter ? Il ne voulait surtout pas lui paraître ennuyeux. Il avait peur qu’elle se relève, le remercie, et s’en aille sans autre cérémonie, le laissant seul sur cette colline avec le cheval et la lune pour seule compagnie. Or l’instant était trop agréable pour prendre fin aussi brusquement.

- Tu trouves ça idiot, de faire les choses sur un coup de tête ? Vu comment tu m’as défié de ramener ce cheval, tout à l’heure près de la fontaine, j’ai l’impression qu’il n’y a pas que moi qui agis comme ça. Ça t’arrive souvent de lancer des défis aux inconnus ? Ou c’est juste que t’as une passion dévorante pour les chevaux ?

Il lui souriait franchement à présent. Il ne pouvait pas le nier, cette fille lui plaisait, avec ses yeux sombres, ses cheveux nattés, son air farouche et son accent sicilien. Si, pour la pousser à sortir de son mutisme, il avait besoin de la piquer un peu, il n’allait pas s’en priver. Il faudrait plus qu’une paire de sourcils froncés pour l’intimider.
Clio..
Je l'écoute parler. Curieusement, je me rends compte que cela ne me dérange pas tant que ça. D'ordinaire, les bavards me lassent très vite. J'ai plutôt tendance à assommer ceux qui pérorent trop longtemps à mon goût. Et à ma plus grande stupéfaction, je n'ai aucune envie d'estourbir Arnauld. Ce doit être sa voix. Elle n'est pas désagréablement nasillarde, ni insupportablement aigüe, ni soporifiquement grave. Et son accent chantant du Languedoc ajoute un petit quelque chose en plus. Il me renvoie à mon propre accent sicilien. Nous avons quelque chose en commun. Et puisque je ne me vois pas m'auto-assommer, je ne peux pas concevoir de m'en prendre à lui non plus. C'est une question de logique, je crois. Ma logique, à tout le moins.

Je tourne la tête vers lui. Je dégage d'un geste de la main une mèche me barrant la vue. Il ne peut pas deviner que j'ai quasiment fait des défis une règle de vie. Je ne compte plus ceux que je me suis lancée. Les fois, où, voulant me surpasser moi-même, j'ai failli y rester. Je lève les yeux vers les branchages, au-dessus de nos têtes, prenant mon temps pour répondre. Là où d'habitude, je voyais de maigres doigts de sorcières tentant de m'attirer dans leurs filets, je vois cette nuit comme une voûte arachnéenne. Un tissage de fées et d'elfes. Une protection.
Je n'ai jamais trouvé d'endroits vraiment sûrs. A Palerme, je changeais souvent de « nid ». Je ne m'endormais véritablement qu'en forêt, à l'abris de la folie des hommes. En ville, je ne sommeillais que d'un œil, toujours sur le qui-vive. Mais jamais encore je ne me suis sentie véritablement bien quelque part, persuadée que rien de mal ne pourrait m'arriver. Ce soir, si. Ce soir, ici, sous le regard de la lune, je suis intimement convaincue que je suis hors d'atteinte de quelque attaque que ce soit. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Et je ne me pose pas la question. J'accepte. Tout simplement.

« Je passe mon temps à lancer des défis. » finis-je par répondre en baissant le nez vers Arnauld. Je le regarde, dans les yeux, franchement. Même mes sourcils ne sont plus froncés. C'est probablement le regard le plus franc que j'ai jamais lancé à quelqu'un. « Principalement à moi-même d'ailleurs. Aller au-delà de mes limites, pour sans cesse les repousser. Je vis seule depuis mes cinq ans. Fallait bien s'occuper. »

Je me revois, à Palerme. Plonger dans la mer, et tenir le plus longtemps. Jusqu'à avoir des étoiles noires devant les yeux et les poumons en feu. Et tenir, pourtant, encore plus longtemps. Frôlant la noyade. Ne devant la vie qu'à l'instinct de survie, plus fort encore que ma volonté, qui m'avait fait remonter à la surface. Et cette fois où j'étais restée dans un tonneau d'eau glacée, en plein hiver, sous l'eau. Là-dedans, immobile, plusieurs minutes. Lorsque j'en étais sortie, frigorifiée, je grelottais si fort que je m'étais effondrée, incapable de me relever, durant un bon quart d'heure. Et les entailles, à l'intérieur de mon bras gauche, témoignaient de ma volonté de dépasser même la notion de douleur. Les jours sans manger, ceux sans boire... J'avais tout fait, ou quasiment. Quelle blessure ne m'étais-je pas encore infligée ?

« T'as relevé le défi, et plutôt bien. »

Je lui décoche un sourire. Un vrai sourire, large, de ceux qui me rendent jolie. J'avale une tranche de saucisson et mastique un morceau de pain. Je porte la gourde à mes lèvres, avant de la lui passer. Avisant la distance qui nous sépare, je me rapproche d'un coup latéral de hanches. Je le pousse gentiment du coude avant de lui mettre d'office l'outre entre les mains.

« Je réfléchis pas non plus, je dois dire. J'suis partie de Palerme sur un coup de tête. Je voulais retrouver ma mère. Et je l'ai fait. J'ai réussi. C'était mon plus grand défi. Et tu sais, c'est bizarre. Qu'est-ce qu'on peut bien faire, une fois qu'on a accompli la plus grande mission de sa vie ? »

J'ai lâché ça comme ça, sans y penser. Je n'avais pas idée que ces mots puissent franchir mes lèvres. Je ne faisais que les penser. J'en ai bien trop dit sur moi. Arnauld, sans le savoir peut-être, a le don de faire parler les gens. Ou n'est-ce que moi ? Je le regarde, une ombre de sourire planant sur mon visage. Et ce n'est pas un coup d'œil furieux que je lui lance. C'est un coup d'œil curieux.
Qui est ce garçon qui me fait plus parler à lui seul qu'une famille d'Italiens toute entière ?
Arnauld
Il fallait absolument qu’elle arrête de le regarder comme ça. Tout de suite.

La raison la plus évidente, c’est qu’étant donné qu’il avait arrêté de respirer au moment où elle avait commencé à lui sourire, il ne lui restait plus que quelques secondes avant de mourir asphyxié. Ensuite, parce qu’il devait avoir l’air particulièrement idiot avec la gourde qu’il tenait dans ses mains comme si la fonction de l’objet lui échappait complètement. Et enfin parce que son cerveau désoxygéné avait de plus en plus de mal à retenir la furieuse envie qu’il avait de se jeter sur elle pour sentir au plus près le goût du sourire qu’elle continuait d’arborer.

L’instinct de survie le rattrapa et il reprit sa respiration. Pour se donner une contenance, il prit une longue gorgée de vin – si longue d’ailleurs qu’elle le laissa presque plus essoufflé qu’il l’était avant de boire. Il devait dire quelque chose, elle avait posé une question importante. Que faire une fois qu’on a accompli la plus grande mission de sa vie ? Arnauld, à vrai dire, n’en avait aucune idée. Le sens de la vie, sa vacuité ou le rôle qu’on a à y jouer étaient autant de questions pour lesquelles il était à peu près aussi qualifié qu’une mouette. Peut-être que la réponse qui s’imposait était quelque chose comme « Il faut se trouver une autre mission, encore plus grande », mais même cela il était incapable de le formuler. Arnauld, dans toute sa splendeur : il suffisait qu’une jolie fille le regarde en souriant et son éloquence rejoignait un niveau proche de moins un. A sa décharge, la fille en question était plus que jolie. Il y avait même fort à parier qu’elle faisait cet effet-là à tout le monde.

Il bafouilla quelque chose qu’une oreille avisée pouvait comprendre comme « Je ne sais pas, il reste du saucisson ? » et, sans savoir pourquoi, il se retrouva debout. Elle venait de se rapprocher de lui, il avait même eu droit à un petit coup de coude, et il s’était relevé comme s’il venait de comprendre qu’il était en réalité assis sur une fourmilière. Il se serait volontiers donné un coup de poing, pour la peine. Il avait un véritable talent pour gâcher toutes les situations dont il pourrait profiter. Et à présent, il devait trouver quelque chose pour s’expliquer, car pour l’instant il se contentait de rester planté à la regarder la bouche ouverte. Que pouvait-il bien dire ?
- Oh, le cheval m’a appelé, peut-être que sa selle le serre trop ? Impossible, elle était restée à l’écurie.
- Je m’écarte parce que sinon je risque de t’embrasser et toi de me décapiter avec le couteau qui t’a servi à trancher ce pauvre saucisson ? Non, trop dangereux.
- Je suis un dégonflé ? Honnête mais peu efficace.
- Excuse-moi, je me lève parce qu’il faut que j’aille pisser ? Non, définitivement non.

- Ça se rafraîchit drôlement, hein. Faudrait peut-être qu’on y aille ?

Quel idiot, mais quel idiot. C’était la dernière chose qu’il avait envie de dire. Maintenant ils allaient rentrer, elle allait partir, il n’aurait plus qu’à se morfondre tout seul dans un coin de son écurie. Il fallait qu’il se rattrape, qu’il trouve quelque chose pour gagner du temps. Il regarda autour de lui, désemparé. Une idée, vite, une idée…

- Enfin, je veux dire, qu’on bouge, quoi. Pour se réchauffer. Faire un tour. On a encore un peu de temps avant l’aube. Et on a un cheval. Mmh ? T’en penses quoi ?

C’était pas trop mal, se dit-il. Avec un peu de chance elle voudrait remonter sur le cheval et il pourrait à nouveau s’accrocher à sa taille sans trop risquer de se prendre une baffe. Et puis c’était vrai, quitte à avoir une si belle monture à disposition, autant en profiter. Qu’est-ce qu’il avait dit, l’avocat, qu’elle valait plus d’un an de son salaire, c’était ça ? Et encore, il était sûrement bien en-dessous de la réalité. Il reposa les yeux sur Cléo, tenta un sourire. Derrière lui, le cheval s’ébrouait, sûrement parce qu’il avait vu le garçon se relever. L’idée qu’il puisse se détacher et s’enfuir traversa fugacement l’esprit d’Arnauld, mais il la rejeta aussitôt. Imaginer le pire porte souvent malheur, c’est bien connu. Au lieu de s’inquiéter pour rien, il ferait mieux de se réjouir de la situation présente : un beau paysage, un estomac rempli, aucun travail à abattre, et surtout la compagnie de cette fille, que pouvait-il demander de plus ? S’il réussissait à tenir sa langue pour s’empêcher de débiter de nouvelles âneries, il n’y avait aucune raison que tout ne se passe pas pour le mieux.
Clio..

    « Let me down easy
    Let me down easy
    Ooh
    Before you go »



Je n'aime pas les garçons. Ce qui ne veut pas dire que je préfère les filles. Mais je me méfie des hommes plus encore que de la peste. Ils sont vils, violents, prennent sans donner, égoïstes et cruels. A mes yeux, ils se valent tous. Chacun représente une menace à mes yeux. Ils sont tous susceptibles, un jour ou l'autre, d'attraper une fille pour aller la violer dans un coin.
Sans affirmer qu'Arnauld est différent des autres, je crois qu'il n'est pas le genre à essayer de me faire du mal. Il dégage une sorte de… naïveté. De franchise. S'il lui venait des idées, je suis persuadée que je le sentirai bien à l'avance. Et puis, il n'a pas d'arme. Et même s'il est plus robuste que moi – il n'a pas beaucoup de mal – il ne semble pas adepte des combats. Quels qu'ils soient.

Le voilà qui se relève brusquement. J'arque un sourcil, étonnée. Qu'est-ce qui lui prend ? Il est déjà resté figé sans rien dire quand je lui ai fourré l'outre entre les mains. Et maintenant, il bondit sur ses pieds. Je tords la bouche, méditative. Il est peut-être comme moi. Peut-être qu'il n'aime pas non plus les contacts.
Il me sort une excuse bizarre. Il a froid ? Il est vrai qu'au mois de Mars, la nuit, il ne fait pas particulièrement chaud. Il est peut-être vêtu trop légèrement. Il émet le souhait de s'en aller. Avant de préciser que ce n'est pas à Limoges qu'il veut aller, mais simplement poursuivre la balade. Je me redresse à mon tour en souplesse. Je m'étire comme un chat, avant de ramasser ma sacoche, le reste du saucisson et le croûton de pain. Je lance celui-ci à travers bois. Fut un temps, j'aurais gardé ce reliquat précieusement. Mais désormais, j'ai de quoi manger, et ce, chaque jour.

« On va voir ce qu'il y a à voir en chemin, et pis on rentre. Ça te va ? »

Je balance la sacoche en travers de mon buste, et après avoir détaché le cheval, je saute sur son dos, m'aidant d'une souche. J'écarte une mèche de cheveux de devant mes yeux, avant de tendre la main à Arnauld. J'attends qu'il soit confortablement installé. Lorsque ses mains se posent sur ma taille, je pince les lèvres mais n'émets pas le moindre son de protestation. Je guette. Il ne fait pas mine d'abuser de ce contact, cependant. Hochant la tête, satisfaite, je fais aller notre monture d'une pression de talons. Guidant l'animal, au pas, à travers les arbres, je suis silencieuse. Je réfléchis.

Arnauld a été assez naïf pour faire sortir des écuries de son maître un cheval hors de prix. Et le jeune homme n'est pas plus empressé que ça de retourner chez lui. Reprendre une vie simple et tranquille l'enthousiasme au moins autant que moi. Un léger sourire étire mes lèvres. Mes yeux pétillent, animés par l'idée qui me vient. Voilà qui devrait bousculer quelque peu le quotidien du palefrenier. Je ne dis rien toutefois, et ne laisse rien paraître. J'incite le cheval à accélérer. Nous sortons bientôt des bois pour regagner la plaine. Que peut-il y avoir d'intéressant à faire ? J'avise du regard un large ruban qui serpente entre les herbes. La rivière. Pourquoi ne pas prendre un bain nocturne, après tout ? L'eau risque bien d'être gelée, mais quelle importance ? Je tire sur la bride, et lance le cheval au galop.

Nous longeons bientôt la berge humide. Je fais aller l'animal dans la rivière, ses quatre pattes graciles évoluant bientôt sur les galets glissants qui tapissent le fond du cours d'eau. Je force l'allure. Nous sommes bientôt éclaboussés de toutes parts. Pour un peu, j'aurais presque envie de rire. Mais je n'ai pas le rire facile. Il est assez rare que ce genre d'éclats franchisse mes lèvres. Je me contente de sourire, et avant d'être totalement trempée, je fais regagner la terre ferme au cheval.
Il n'y a plus grand-chose à faire désormais, et mouillés comme nous sommes, on risque d'attraper un rhume. Ou pire. Je nous fais rentrer en ville sans plus tarder. L'aube ne se lèvera pas avant une bonne heure, après tout. On a peut-être le temps de boire un verre avant de nous séparer.

Les portes s'ouvrent. Visiblement, le soldat nous a reconnu. A croire qu'il nous attendait.
Je regagne la fontaine, puis, avisant une lanterne éclairer une taverne, je nous fais aller jusque-là. Je saute lestement à terre, et attends qu'il en fasse autant avant de reprendre la parole.

« J'te paie un coup ? Pour s'dire au revoir. »

J'attache le cheval à un piquet, et ouvre la porte, l'invitant du regard à me suivre. Quelque chose me dit qu'il ne refusera pas. Je m'approche du comptoir, ne sachant pas trop quoi commander. Je demande finalement un pichet de vin aux épices, coupé d'eau. La salle est déserte. Cela tombe bien, je n'apprécie pas particulièrement la foule.
Je me laisse tomber sur un banc. Ma natte repose sur mon épaule, et une ombre de sourire plane sur mon visage. Le feu, dans l'âtre, dispense une chaleur agréable après la fraîcheur, à l'extérieur. La proximité des flammes colorent doucement mes joues de rose, et ravive l'éclat de mes yeux. Les coudes sur la table, je n'ai pas le maintien parfait d'une damoiselle digne de ce nom, mais c'est bien le cadet de mes soucis.
Le vin est apporté, ainsi que les deux gobelets d'étain. J'emplis généreusement le sien, me contentant d'une bonne moitié pour ma part.

« C'est un bon cheval. Tu dois être un bon palefrenier pour t'occuper de ce genre de bête. »

Je feins d'être impressionnée. Après tout, le flatter, ça fait partie du plan.


Let Me Down Easy - Sheppard
Laisse-moi simplement tomber
Avant de partir
Arnauld
Lui, un bon palefrenier ? La remarque lui fit plutôt plaisir. Peut-être qu’elle ne le trouvait pas si idiot que ça, finalement. La vérité, c’était que ça ne faisait même pas deux mois qu’il avait commencé à apprendre ce métier, et qu’il le voyait surtout comme un moyen de justifier sa participation au voyage. Il avait la sympathie des nobles qui l’avaient organisé, et de ce fait il avait l’impression de bénéficier d’une sorte de traitement de faveur par rapport aux autres. S’il voulait lambiner, par exemple, il pouvait passer du temps dans les tavernes sans recevoir de véritable reproche. C’était surtout les autres palefreniers, plus âgés, qui faisaient le gros du travail. Arnauld était cependant quelqu’un de consciencieux ; il était rare qu’il profite de cette situation. Sauf quand une jolie fille avec un accent sicilien le lui demandait, évidemment… La réflexion lui arracha un sourire.

- Je serai surtout un bon palefrenier si je réussis à donner à ce cheval l’air d’avoir passé la nuit tranquillement dans son écurie…

Avec leur petit détour par la rivière, la robe du cheval en avait en effet pris un sacré coup. Quand il avait compris où Cléo l’emmenait, il avait écarquillé les yeux, espérant jusqu’au dernier moment qu’elle s’arrêterait sur la berge. Mais non. Il avait fermé les yeux, serré les dents, à peu près aussi heureux qu’un chat qu’on aurait plongé dans un baquet d’eau froide. Pourquoi avait-il demandé à quitter le haut de la colline, où tout était si parfait ? Il était à présent certain de ne pas avoir le temps de dormir, ne serait-ce que quelques minutes, avant le départ ; il lui faudrait sécher le cheval, enlever la boue qui maculait ses membres, l’étriller, le bouchonner, le brosser… Les soupçons seraient inévitables.

Il poussa un léger soupir, prit une gorgée de vin. Finalement, le jeu en valait bien la chandelle. Ils avaient beau être trempés – il n’avait d’ailleurs pu s’empêcher de couler quelques regards discrets aux vêtements humides de Cléo que l’eau avait un moment plaqué contre son corps –, il passait une des meilleures soirées de sa vie, et avec la chaleur de la taverne ils seraient bientôt tout à fait secs. En y entrant, il avait craint de rencontrer quelqu’un qu’il connaissait – un membre du voyage qui aurait reconnu le cheval, sa cousine à qui il aurait eu du mal à expliquer ce qu’il faisait là à cette heure si tardive, ou même la fille qui lui avait fait les yeux doux, Eliza, à qui il avait dit au revoir en promettant de lui écrire. Heureusement, ils étaient les seuls clients. Il reposa les yeux sur Cléo. Peut-être n’était-ce dû qu’à la lumière tamisée de la taverne, mais elle lui parut encore plus jolie que sur la colline.

-Enfin, ça ne sera sûrement pas si difficile ! Quand un bon palefrenier s’occupe d’un bon cheval, le résultat est parfois surprenant.

Il lui sourit. Certes, il était en train de se vanter, mais où était le mal ? On ne pouvait pas lui en vouloir d’essayer d’impressionner une fille comme celle qui se trouvait en face de lui. Elle était véritablement fascinante. Sa désinvolture lui plaisait, elle contrastait avec l’attitude des femmes qui voyageaient avec lui, ces femmes nobles tout en retenue, en grâce, en bonnes manières. Il songea que même si elle parlait peu, il devait être rare de s’ennuyer avec elle. Elle n’était pas superficielle comme le sont parfois les filles de son âge ; il lui semblait que des années entières ne suffiraient pas à la cerner complètement. Une fois de plus, il se prit à regretter de devoir quitter la ville si rapidement.

Il porta à nouveau le gobelet à ses lèvres, l’allégea un peu.

- Et toi, à part lancer des défis et monter à cheval comme un homme, t’as des compétences particulières ?
Clio..
Je retiens un rire. S'il savait ! Je ne compte pas lui laisser le temps de s'occuper de son cheval. Je ne sais pas trop pourquoi je suis animée du désir de lui voler la bête. L'animal est beau, gracieux. Cela ne fait aucun doute. Mais je ne me suis jamais vraiment intéressée aux chevaux. Contrairement à ma cousine, Esmée. Alors pourquoi projeter de le voler ?
Je coule un regard curieux vers Arnauld. Je porte le gobelet d'étain à mes lèvres, et avale une gorgée de vin. Je ne suis pas très calée non plus sur la question de la beauté. Je ne passe pas mon temps à me demander si je suis jolie ou non. A vrai dire, jusqu'au jour où j'ai retrouvé ma mère, je me pensais assez banale. Quand mes yeux sétaient posés la première fois sur elle, en sachant qui elle était vis-à-vis de moi, j'avais dû revoir ma copie. Enjoy Corleone est vraiment belle. Et lorsqu'ensuite, je m'étais observée dans le reflet d'une vitre, force m'avait été de constater que je promettais de devenir son exact portrait. Il suffirait que je m'étoffe un peu plus. Que je grossisse. Que je gagne en superbe. Que j'arrive à donner à mon visage cette expression qu'elle impose à ses traits.
Et Arnauld, comment le trouvé-je ? Avec ses cheveux bruns ébouriffés. Ses yeux marrons. Ses longs cils. Son sourire, qui lui vient assez facilement semble-t-il. Si je veux être honnête, je dois avouer qu'il est ce que j'appellerais, un beau garçon.

Je détourne les yeux, le feu aux joues. Je suis loin d'être timide. Et je n'éprouve que rarement de la gêne. J'ai toujours plus ou moins fait ce que je voulais. C'est sans doute ce qu'il y a de plus agréable, quand on vit seule. Nul besoin de demander la permission. De craindre les reproches d'un père ou d'une mère. Ce qui me vaut d'être indépendante, têtue, sauvage, et hermétique à toutes formes d'autorité.
Pourtant, je sens que mon examen de sa personne peut difficilement passer inaperçue, par le principal concerné. Je n'ai pas envie de me rendre ridicule. Ni qu'il voit là une invitation pour tenter je ne sais quel rapprochement.
Je contemple sans la voir la rue, que l'on aperçoit à travers les fenêtres. Il fait encore sombre, mais plus pour longtemps. Nous avons entamés une bonne partie de la nuit. Et ce n'est pas fini, pour moi. J'ai encore un cheval à voler à son palefrenier.

Sa dernière remarque m'arrache un sourire. Je vois là une invitation. Et une belle ! J'avale une large gorgée de vin, ne pouvant tout à fait dissimuler la lueur qui fait briller mes yeux. Je repose le gobelet, et me penche en avant, bras croisés sur la table.

« T'as pas idée. »

Je me redresse, les mains posées à plat sur la surface de bois. Courbée en avant, le regard pétillant de malice et un sourire aux lèvres, je me tiens là, mon nez à une trentaine de centimètres du sien. Je me gausse intérieurement de ce qui va se passer ensuite. S'il pouvait lire dans mes pensées, il prendrait aussitôt la fuite pour tenter de protéger son cheval.

« Viens que je te montre. »

Je me redresse, et atteins bientôt la porte. J'ouvre le battant et me glisse au dehors. L'air frais de cette fin de nuit court agréablement sur ma peau, chauffée par le feu de cheminée. Les maisons aux vitres noires semblent endormies. Comme leurs propriétaires, au demeurant. La lune sombre déjà, emportant avec elle son cortège de courtisanes étincelantes. Il ne reste plus beaucoup de temps avant le chant du coq.
Je pose la main sur l'encolure du cheval. Le poil est brillant, doux sous mes doigts. Je me tourne vers Arnauld. Peut-être imagine-t-il que je vais lui proposer de s'enfuir avec moi ? Ou de faire le tour de la ville au galop ? Ou Dieu sait quoi d'autre. Mais peut-il penser que je vais me montrer malhonnête ? Peut-être commence-t-il juste à comprendre. Ou à avoir des doutes. Je n'arrive pas tout à fait à déchiffrer son expression.

« Je sais faire des tas d'trucs. Par exemple, je tire très bien à l'arc. »

Tout en parlant, je commence à détacher la bête. Peut-être croit-il que je vais l'aider à s'occuper de ce cheval. A le rendre propre. Je ne peux m'empêcher de sourire en le regardant. C'est idiot, mais lui jouer cette farce m'amuse au plus haut point.

« Et pis, je suis habile, également... quand il s'agit de voler. »

Je tiens désormais fermement la bride de notre monture. Arnauld ne me fait pas l'effet d'être un crétin. Maintenant, je pense qu'il commence sérieusement à comprendre ce que je suis en train de faire.

« Faut dire que c'est de famille. Nous, les Corleone, on a un peu tendance à piquer des trucs plutôt qu'à les acheter. »

Je prends appui sur la rambarde qui entoure la taverne. Je me hisse souplement sur le dos du cheval. Je lui caresse la crinière, sourire aux lèvres. Puis, je regarde Arnauld. Il existe sans doute des moyens plus simples pour être assurée de le revoir un jour. Mais c'est le seul qui me vient. Je veux qu'il se souvienne de moi. Et quoi de mieux qu'un coup d'éclat pour hanter ses pensées ?

« Alors, Arnauld, je te lance un défi, à l'aube de cette journée qui commence. Retrouve-moi. N'importe où que je sois dans ce vaste royaume. Retrouve-moi, et je te rendrai ton cheval. Sinon, je le garde, jusqu'à ma mort... ou la sienne. Et tu dois me retrouver tout seul. Si ton avocat débarque, je me lance dans la terrine de canasson. »

Je tire sur la bride pour que l'animal pivote lentement. Je jette un dernier regard à Arnauld, avant de conclure.

« Oublie pas. Cléo Corleone. J't'attends déjà ! »

Et sans plus attendre, je talonne ma monture, et file droit vers les portes. Elles sont désormais ouvertes à tous venants. On distingue déjà les silhouettes des voyageurs, des marchands ambulants et des paysans venus vendre leurs produits, plus loin, sur le chemin. Je fais aller le cheval aussi vite qu'il le peut. Nous réempruntons la même route qu'un peu plus tôt. Ce n'est que lorsque nous parvenons à la petite clairière où Arnauld et moi nous tenions deux ou trois heures auparavant que je fais ralentir, et arrêter, le cheval. Comme le garçon, je l'attache à un arbre. Et alors que le soleil amorce sa lente et majestueuse montée des cieux, je grignote le reste du saucisson, large sourire aux lèvres. La ville, en contrebas, s'étale, s'animant doucement. Et au cœur de toutes ces maisons, j'imagine sans peine un jeune homme à peine plus vieux que moi, encore en proie à la surprise.
Je me laisse tomber sur le dos, et m'endors bientôt. Sereine.
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