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[RP] L'aventure ? C'est juste au coin de la rue.

Actyss


Montpellier
Le 2 Décembre 1463



Il fait froid, mais cela ne me décourage en rien de sortir de l'auberge pour prendre un peu l'air. J'ai passé ma robe la plus chaude, la bleue, et mes épaules sont soigneusement couvertes de mon châle jaune brodé de fleurs. Un panier au creux du coude, j'arpente les rues de la ville à la recherche d'un quelconque achat à faire. J'ai bien envie de trouver un souvenir d'ici, quelque chose qui me rappelle cet endroit. Sauf que je n'ai aucune idée de ce que cela pourrait être. Autour de mes petits pieds chaussés de bottines fourrées gambade mon chien marron, Lucien. Je ne sors jamais sans lui, et j'aime bien le suivre au gré de ses déambulations, même s'il nous égare souvent dans des endroits impossibles.

Je commence à avoir faim, aussi je m'empresse d'aller échanger un sou ou deux contre une petite miche de pain croustillante et encore tiède, que je glisse au fond de mon panier. Je ne fais pas vraiment attention où je mets les pieds, concentrée que je suis à la fois sur mon chien et sur les devantures des échoppes. Aussi, je flâne distraitement, à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait me captiver. Les rubans flottant au vent me font sourire. C'est toujours un joli spectacle, je trouve, le tissu qui vole. J'admire également les toilettes des Dames et celles des Messieurs. Et puis les chevaux dont les sabots claquent sur les pavés mal ajustés me tirent un large sourire enfantin. J'ai toujours bien aimé les chevaux.

Et puis, je me retrouve sans trop savoir comment non loin d'une auberge. Une jeune fille se tient assise devant. Une jeune fille aux cheveux roux, et c'est la couleur de ses cheveux qui immédiatement attire mon regard. Le roux me renvoie aux renards, aux belettes, aux écureuils, que je poursuivais lorsque j'étais enfant et que je vivais encore dans la forêt de Mervent, éloignée du monde et de sa cruauté. Et de sa beauté, aussi.
Elle semble très concentrée. Elle tient dans ses mains quelque chose. Je crois bien qu'elle dessine. Je ne sais pas dessiner pour deux sous, aussi tout de suite, je suis piquée par la curiosité. Je m'approche sur la pointe des pieds, pour ne pas la gêner, Lucien sur les talons.

Je m'assois juste à côté d'elle. Mon panier posé à côté de moi, je me penche légèrement sur le côté pour voir ce qu'elle fabrique. Immédiatement bien sûr, je trouve ça particulièrement merveilleux. Et comme je suis d'une curiosité sans limite, et que je me sens d'humeur bavarde, je ne peux m'empêcher de prendre la parole, au risque de troubler son travail.

« Bonjour ! Vous faites quoi, là ? Vous vendez vos dessins ? »

Et puis, parce que je me sens le devoir d'être particulièrement polie après l'avoir dérangé, j'ajoute :

« Je m'appelle Actyss. Actyss Clairefeuille. »
Agnes.prunier
Un vent frais souffle dans les rues et avenues de Montpellier, aussi Agnès se couvre chaudement d'une cape avant d'attraper son matériel à dessin. Fusains gras, secs et mi secs, encres de différents coloris, plumes et porte plumes, livrets de papier épais, le tout bien calé dans un écritoire à bandoulière qui la suit partout.

Elle part donc à la recherche d'un modèle. Peu importe ce que cela sera. Du vivant, du mort, de l'inattendu, du surprenant ou du banal. Tout est merveilleux à croquer, du moment que l'esquisse soit réalisable en broderie ensuite. Parce qu'Agnès est brodeuse. Elle croque puis peint à l'aiguille sur des morceaux de fins draps de lin ou de cotonnade des oeuvres commandées par les grandes familles ou dans des boutiques à la recherche d'articles uniques.

Nez en l'air, l'oeil à l'affût, marchant à petit pas pour ne pas trébucher sur les pavés, elle tombe en arrêt comme un toutou de chasse le ferait sur un écu accroché aux sacoches de selles d'un destrier. Destrier gardé par un écuyer...

Du gueules, du sable, de l'azur et du sinople ! Du lion et de la feuille de chêne !
Vite vite... avant que le chevalier possesseur d'une telle beauté ne revienne à sa monture, elle s'assoit sur le banc de pierre devant une auberge, sort ses couleurs, le cahier à esquisses et croque rapidement les armoiries...

Toute concentrée à son ouvrage, elle sent toutefois une âme qui s'approche et prend place à ses côtés. Oh cela ne lui fait rien, habituée par les badauds intéressés qui s'arrêtent. De manière générale, ils parlent entre eux, échangent des commentaires sur son travail et n'est nullement perturbée.
Mais pas cette fois-ci.
Une gentille voix lui fait tourner la tête.
Ses yeux rencontrent les azurs d'une jeune fille blonde d'une quinzaine d'année, au visage souriant.
La plume pleine de sinople en l'air, Agnès lui rend son sourire...


- Et bien... heu... non je ne les vends pas. Ils me servent de figure, de base, pour la peinture à l'aiguille... la broderie si vous préférez... Voyez-vous cet écu là ?

Elle lui montre du menton le bouclier de l'autre côté de la rue...

- Ses teintes, ses meubles et partitions sont du plus bel effet et il rendra magnifiquement bien une fois brodé sur de la baptiste de coton.

Pendant qu'elle parle, elle essuie la plume dont l'encre commence à se dessécher sur un chiffon et poursuit tout en souriant à la jeune fille...

- Vous me voyez enchantée Actyss Clairefeuille. Mon nom est Agnès Prunier. Comme l'arbre... Estes-vous d'ici ?

_________________
Actyss


J'écoute, toute mon attention concentrée sur ce que m'explique la jeune fille. Je lève le nez de son dessin pour mieux regarder l'écu qu'elle me désigne. Et en effet, l'habile reproduction est fidèle à l'originale. La peinture à l'aiguille... Voilà un domaine où je n'y connais strictement rien. Je n'ai de ma vie, jamais brodé. Les seules fois où j'ai eu l'occasion de me servir d'une aiguille, c'était lorsque je devais recoudre des plaies sérieuses. Mis à part cela, je n'ai pas eu l'occasion de broder quoi que ce soit. J'ignore même si Maman sait coudre. Je ne l'ai jamais vu faire, en tout cas.

« Et ensuite ? » demandé-je, de plus en plus curieuse. « Irez-vous le donner au chevalier à l'écu ? Et vous faites toutes sortes de motifs ? Est-ce que vous faites aussi... des paysages ? Ou bien des fleurs ? »

Mon imagination s'emballant aussitôt, je me vois déjà en train d'arborer une superbe broderie aux motifs de ma plante préférée, le millepertuis. Ce serait assurément charmant sur un joli tissu, et pourquoi pas sur le devant d'une robe ? Ou sur la sacoche que je traîne partout avec moi, emplie de toutes sortes de sachets garnis de fleurs et de racines séchées ?
J'observe chacun des gestes de la jeune fille. La plume qu'elle essuie consciencieusement, et la place où atterrit le chiffon. Savoir dessiner de la sorte doit être une grande source de fierté, j'en suis certaine. Tout comme maîtriser l'art de l'écriture. Je n'ai appris à tracer des lettres et à les lire que depuis peu de temps. Je dois avouer qu'à ma grande honte, ma main n'est pas encore si sûre que je le voudrais. J'écris comme un petit cochon. Arnauld m'assure qu'avec la pratique, toutes mes lettres finiront pas être de la même taille, mais cela ne m'empêche pas d'être déçue.

« Enchantée, Agnès. » fais-je en souriant. « Oh non, je ne suis pas d'ici. En vérité, je viens du Poitou. J'ai... Je sais que cela peut sembler un peu étrange, mais j'ai grandi dans la forêt de Mervent, avec ma mère. Je n'avais jamais mis les pieds hors de la forêt avant le mois d'Août de cette année. »

Peut-être n'aurais-je pas dû dire cela d'emblée. Après, bien souvent, les gens me regardent d'un drôle d'air. Comme si je n'étais qu'une sauvage et qu'il fallait aussitôt me renvoyer dans ma forêt. Bien sûr, tout le monde n'agit pas ainsi. Et j'ose espérer qu'Agnès comptera parmi ceux qui se contentent d'être curieux et intéressés, et non pas distants et méprisants. Surtout que depuis le mois d'Août, j'ai changé. Je fais de moins en moins de choses inappropriées, je me tiens mieux en société, en plus désormais, je sais lire. Je ne suis plus la petite sauvageonne que j'étais en jaillissant des bois. Comme pour le prouver à la jeune fille, je me redresse et me tiens bien droite, et tâche d'avoir l'air le plus normal possible.

« Et vous ? Vous êtes d'ici ? Et, dites, si je vous donne des sous, vous pourriez me faire une de ces peintures à l'aiguille ? »


La dernière question est sortie toute seule, sans que je réfléchisse. Je me sens rougir, sous les petites taches de son qui parsèment mes pommettes et mon nez.

« Ou alors, je peux vous échanger votre travail contre mes remèdes. J'en ai plein la sacoche. Je suis guérisseuse. »

Après tout, à l'approche de l'Hiver, il est toujours utile d'avoir quelques réserves de plantes médicinales, pour soigner tous les petits maux que distribuent la saison froide.
Agnes.prunier
- La donner... ho non. Vous comprenez, j'en vis... et il me faut acheter tout ceci... ainsi que les fils et les toiles...

De la main, elle montre à Actyss les plumes, les encres et pigments, les feuilles de vélin...

- Je pourrais lui vendre la broderie joliment enluminée de fils d'or et d'argent s'il souhaite l'acquérir. D'ailleurs, il me faut m'enquérir auprès de son écuyer pour connaître le nom et le lieu de vie de son Seigneur pour lui montrer mon ouvrage. S'il ne souhaite pas l'acheter, et bien elle me servira d'échantillonnage.

Agnès sourit aux autres questions de la damoiselle et y répond avec plaisir...

- Un peu de tout à vrai dire... mais surtout des fleurs et des animaux... Voyez par exemple...


De son sac de cuir elle en sort un carré de baptiste de lin plié sur lequel figure un martin pêcheur finement ouvragé et l'approche d'Actyss après l'avoir ouvert...


- Celui-ci fut difficile à réaliser. Il m'a fallut passer de longues heures au bord d'un ruisseau pour étudier le modèle. Les oiseaux sont toujours en mouvement au contraire des fleurs. Le travail de la broderie fut très fastidieux pour tenter de retranscrire le mouvement des plumettes de ce martin pêcheur et l'écorce de la branche...


Chose curieuse, Agnès qui parlait pourtant peu et préférait écouter n'avait jamais autant parlé depuis des années... Mais l'entrain et la curiosité de cette jeune fille lui donnaient envie de délier sa langue plus que de coutume.
Elle l'écoute alors qu'elle confie un morceau de sa vie si... et bien si singulier à vrai dire, mais réalise qu'en fait...


- Nous avons eu une vie presque semblable alors... car que ce soit une vie passée dans une forêt ou une maison, à l'écart de tout, revient presque au même. Votre mère est avec vous Actyss ?


Elle se penche un peu en avant pour regarder alentours, et remarque un petit chien marron assis aux pieds de la jeune fille. A son tour elle ose une question...


- Et vous... Vous faites-vous à la vie citadine ? N'est-ce pas trop ardu de découvrir tant d'échoppes, tant de gens, et de bruit ? Et...
regardant les pavés tout le long de la rue... de souillures ?

Agnès remarque qu'Actyss se redresse, comme une damoiselle de bonne famille se doit de se tenir en toute circonstances mais elle évite de sourire et répond à sa question sur son origine...

- Non, pas d'ici... Je suis née dans l'arrière pays de Béziers.

A ses autres questions elle répond tout aussi spontanément, faisant fi de sa rougeur pour ne pas l'embarrasser...

- Et bien, des remèdes, pourquoi pas, mais il faudrait me dire quels maux ils peuvent guérir. Je ne voudrais pas me soigner contre une fièvre avec un purgatif... ne peut-elle s'empêcher de laisser échapper, rougissant à son tour tout en riant...

- Qu'aimeriez-vous que je vous brode ? lui demande t-elle dans un gentil sourire...

Ensuite, elle se penche à nouveau, très intéressée par le petit chien...

- Est-il à vous ? Il est bien sage...

Toute à admirer la petite bête, elle en oublie sa peinture ainsi que l'écuyer, mais ce n'est pas grave, heureuse de converser avec une personne aussi aimable...


_________________
Arnauld
    Les tavernes, c'est très bien, mais c'est encore mieux quand on a une petite blonde au visage piqué de taches de son sur les genoux. Surtout quand on n'a pas vu la blonde en question depuis une heure entière, autant dire une éternité pour un jeune homme amoureux.

    Arnauld vida donc le fond de sa chope, quitta sa chaise, salua d'un petit signe de tête les quelques inconnus qui occupaient les tables voisines et gagna la rue. Objectif 1 : trouver Actyss ; objectif 2 : rattraper l'heure perdue en l'étouffant de baisers ; objectif 3 : l'entraîner dans un coin tranquille pour faire des choses qui ne regardent personne d'autre qu'eux. Remplir l'objectif 1 suffirait à le rendre heureux, mais pourquoi devrait-il s'arrêter en si bon chemin ?

    Il se dirigea d'abord vers le marché, songeant qu'elle se serait sans doute acheté quelque chose à manger, ou bien qu'elle aurait simplement voulu flâner entre les étals – elle aimait bien cela, Actyss, flâner entre les étals. A sa grande déception, il ne l'aperçut pas ; il n'eut pas plus de succès sur le port, alors qu'il pensait qu'elle serait peut-être allée admirer les bateaux, ni près des lices où le tournoi d'archerie battait encore son plein. Un peu à court d'idées, il déambula au hasard, songeant qu'il finirait bien par tomber sur elle. Mais Montpellier était une grande ville, et après presque une demie heure à errer ainsi, il n'avait pas vu ne serait-ce que la moitié d'une extrémité de natte blonde.

    Au bout d'un moment, son regard fut arrêté par un magnifique cheval, gardé par un écuyer devant l'une des dizaines d'auberges que comptait la ville. Quand on a été palefrenier pendant des mois, on ne peut pas être insensible à la vue d'un tel animal. Il s'approcha donc, curieux, mais s'arrêta à mi-chemin, ayant reconnu une autre bête : Lucien, le chien d'Actyss. Lucien adoré, Lucien détesté, Lucien adorable, Lucien envahissant, mais surtout, dans le cas présent, Lucien accompagné. Car sa maîtresse était juste à côté de lui. Arnauld pouvait presque entendre des anges chanter en chœur « Alléluia » à l'intérieur de sa tête.

    Il s'approcha donc à grands pas, tout sourire, une main déjà tendue en direction de la jeune blonde, dans le but manifeste de la prendre dans ses bras. Il accorda un bref regard à la personne à côté de qui elle était assise, réflexe inconscient d'amant jaloux, et, alors qu'il n'y avait plus que quelques centimètres entre ses doigts et l'épaule d'Actyss, il stoppa net, ébahi.

    « Agnès ! »

    Et aussitôt, même si cela faisait des mois qu'il ne l'avait pas vue, qu'ils n'avaient jamais été très intimes, n'ayant eu que peu d'occasions de se fréquenter dans leur enfance car les parents de la rousse préféraient la garder à la maison plutôt que de la laisser jouer avec les gamins du quartier, Arnauld, sous l'influence de « l'effet Actyss » (bonne humeur exacerbée, affection décuplée), serra de toutes ses forces sa cousine dans ses bras.
Actyss


J'écoute avec attention les explications d'Agnès. Inutile de préciser que je suis captivée, et un peu étonnée aussi. J'ignorais jusque-là que la broderie pouvait être un métier. Comme cela doit être merveilleux de pouvoir vivre de ses œuvres, songé-je avec excitation. Ce doit être aussi très gratifiant, de voir que le don que l'on entretient est trouvé si beau que les gens sont prêts à payer pour l'acquérir. Avec les plantes, ce n'est pas la même chose. Nul ne vient voir un guérisseur par plaisir. C'est toujours lorsque la maladie fait son apparition, que la maladresse ou un accident oblige une plaie à être soignée, ou simplement parce que le sommeil tarde à venir, que l'angoisse s'installe, ou Dieu sait quoi d'autres. Qui irait voir un médecin sans y être obligé d'une façon ou d'une autre ? C'est certes glorifiant de se dire que l'on est capable de soigner quelqu'un, mais ça n'a rien à voir avec le côté artistique de la broderie.

Lorsque le martin-pêcheur parait devant moi, je ne peux m'empêcher de tendre le doigt pour le toucher. Sous ma peau, les fils tendus se meuvent très légèrement. Je sens les fibres douces qui composent le plumage de l'oiseau. J'ai presque l'impression de toucher un véritable animal. Le réalisme est proprement stupéfiant. Je n'ai pas beaucoup à me concentrer pour être persuadée qu'il va bientôt s'envoler de sa souche pour plonger dans les eaux de la rivière la plus proche, pour ramener un petit poisson argenté.

« Il est vraiment magnifique... Vraiment très beau. »

Je ne peux m'empêcher d'être rassurée lorsqu'elle me parle de nos existences semblables. Ainsi donc elle n'est pas de celles à me tourner le dos en me traitant de sauvage si d'aventure je faisais quelque chose qui ne conviendrait pas. Je retiens de justesse un soupir soulagé. Et lorsqu'Agnès me parle de Maman, je m'empresse de répondre.

« Oh non, du tout. Maman est encore à Mervent. Bien qu'elle m'ait promis de sortir pour se rendre à Narbonne, pour Noël. C'est là que je vais. A Narbonne, pour les fêtes. »


Ses autres questions m'arrachent une grimace. Je n'ose jamais vraiment en parler. Et encore moins à Arnauld. J'ai l'impression que si je lui confie mon désamour des villes, il aura peur que je m'enfuis un beau matin. Ou qu'il ne suffise pas tout à fait à mon bonheur. Mais je ne peux m'empêcher tout le temps de me réfugier quelques heures dans la forêt, à l'abri. C'est comme si, au cœur d'une ville, je me trouvais sur un lac gelé qui menaçait sans cesse de se briser sous mes pas. Je fais sans cesse attention, je retiens mon souffle, sans pouvoir m'empêcher d'admirer ce qui m'entoure. Mais bloquée, toujours, incapable de me laisser parfaitement aller. Les gens sont si prompts à juger... Alors la forêt reste toujours mon refuge, et je m'y échappe dès que je vois flotter au loin les contours incertains d'une lisière tant espérée.

« Je dois dire que c'est bien moins joli que les bois. Il y a mille choses à voir, c'est vrai. Mais j'ai l'impression... J'ai l'impression que dans les villes, chacun à son rôle à jouer, sa place à occuper. Et moi, je n'ai ni rôle ni place. Comme si... Comme si j'étais la spectatrice d'une pièce de théâtre à ciel ouvert. Vous voyez ? »

Agnès évoque Béziers, je m'apprête à lui parler d'Arnauld, mais elle enchaîne sur les plantes et je décide de remettre à plus tard le sujet Biterrois. Je me trémousse sur mon banc, un sourire heureux aux lèvres. C'est toujours l'effet que me procure l'idée de parler de mon métier. C'est le seul sujet que je maîtrise parfaitement. Et j'ai la sensation dans ces instants-là, d'avoir l'air autre chose que nigaude et inadaptée.

« Le mieux c'est encore que je vous fournisse tout un tas de petits sachets contre à peu près tous les maux hivernaux. Bien sûr le mieux serait encore que je sois auprès de vous, comme une guérisseuse de poche. » Je pouffe, amusée par mes propres propos. « J'aimerais bien une fleur jaune. Ou tout simplement une fleur, mais une fleur qui vous évoquerait le soleil, parce que je suis née en Été. »


Et dès que la question sur mon chien est lancé, je m'agite plus encore.

« Oui ! Il est à moi. Il s'appelle Lucien, mais je l'appelle Lulu. Il est très gentil. Vous pouvez le caresser si vous voulez. Et puis vous savez, tout à l'heure, vous parliez de Béziers. Je connais quelqu'un qui vient de là, un jeune homme, il s'appelle... »


Je suis brusquement interrompue par le sujet même de la conversation. Si l'espace d'une minuscule seconde je suis heureuse de le voir, cela ne dure pas plus longtemps qu'un battement de cœur. Parce que ce n'est pas mon nom qu'il lâche dans une exclamation ravie, mais celui de la jeune fille à côté de moi. Et ce n'est pas moi qu'il serre contre lui, mais elle.
Je tourne la tête vers eux, comme si soudainement une vitre se dressait entre nous. Comme si je les regardais en spectatrice, encore une fois. Comme une passante conquise peut admirer la toile d'un maître-peintre. Pour Agnès, je n'éprouve pas la plus petite étincelle de colère ni de jalousie. Je ne lui en veux pas. Parce qu'elle dégage quelque chose d'incroyablement doux et honnête. Une simplicité légère et très jolie à admirer.


Pour Arnauld en revanche... Je peux encore l'entendre crier le nom de la jolie brodeuse, avec tant de surprise, de ravissement et de chaleur... « Agnès ! » J'en ai les oreilles qui tintent comme des carillons. C'est comme si j'ai enfin devant les yeux ce que j'attends depuis des semaines. Qu'Arnauld croise le chemin de cette jeune fille qui ne m'était apparue que floue et sans visage. Cette jeune fille qui d'un coup unique, ravirait le cœur du jeune homme, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage.
Je déglutis avec peine, une expression douloureuse apparaissant sur mon visage devenu un peu plus pâle. Je n'aurais pas pu me sentir plus éloignée d'eux que si je m'étais trouvée à des centaines de lieues. Et au-delà du coup de poignard en plein cœur que je ressens, qui bloque ma respiration et fait bourdonner mes oreilles, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la colère. Parce qu'il m'a dit m'aimer, et qu'à l'instar de mon père, il n'hésitera pas à s'enfuir avec une autre en me laissant là.

« Bonjour, Arnauld. » fais-je d'une voix si glaciale qu'elle en charrie des glaçons. « Je vois que je n'ai pas du tout besoin de te présenter Agnès Prunier. »


Et à chaque mot énoncé, mon ton devient de plus en plus froid. Et le regard que je lui lance ne recèle pas la moindre trace d'affection, et encore moins d'amour. Juste la douleur d'être convaincue que j'ai si bien su le soigner qu'il s'en va désormais reprendre sa vie loin de la « faiseuse de baumes », souvenir trop parlant d'un passé qu'il souhaite oublier.
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