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[RP ouvert] Moments de vie

Actyss
RP ouvert à tous, sans forcément de lien entre les posts ni que ceux-ci soient suivis. Il n'y a qu'à préciser le jour, pour plus de clarté !


Le 14 Décembre 1463


« Avec Arnauld le temps file à une allure démentielle. On dirait qu'il a la capacité de sauter des jours. De créer des semaines sans jeudi. Est-ce que c'est ça le bonheur ? Quand il n'y a plus de jeudi ? »



Deux jours plus tôt, nous nous étions donnés pour mission de trouver un châle grenat pour Maman. Arnauld avait décidé de lui en offrir, pour Noël me semble-t-il.
Main dans la main à travers les rues de Narbonne, nous flânons, tâchant d'être concentrés, en passant devant les boutiques des tisserands et autres marchands de dentelle. Je dois avouer que j'ai bien du mal à me concentrer sur notre quête. Ce n'est pas si facile que ça en a l'air. Pas parce qu'il n'y aurait pas de châles ! Mais bien plutôt parce que mon coude ne cesse de heurter celui d'Arnauld, que ma hanche vient frôler la sienne, et que j'ai une folle envie de l'embrasser à en perdre le souffle. Mais en bonne fille, je sais me contenir, et je fais semblant que tout cela ne me donne aucune idée ni envie. Et d'ailleurs, toutes les visions d'un Arnauld fort peu vêtu et d'une moi sans robe ni jupon qui commençaient à s'imposer à moi, s'évaporent brusquement alors que mon regard avise l'objet de notre quête.

« Arnauld ! Ici ! La boutique, là, regarde ! »

Je lui lâche la main et cours vers la devanture d'une échoppe. Là, soigneusement disposé sur un mannequin de paille, un châle d'un grenat profond agrémenté de décors floraux vert mousse, semble n'attendre que nous pour être acquis. Il drape merveilleusement bien une robe d'un jaune bouton d'or absolument magnifique. Sur le devant, des broderies représentant une dizaine de petits soleils ouvragés, d'un ton à peine plus foncé que le tissu de la robe, rehaussent encore la splendeur de la tenue. J'ouvre une bouche grande comme un four, les yeux exorbités. J'ai toujours adoré le jaune, parce qu'il me rappelle la teinte dorée du Soleil.

« Tu as vu ? Comme elle est belle ? » soufflé-je à Arnauld.
« Ah ça, ma p'tite dame, un peu qu'elle est belle ! » lance le tisserand en se plantant devant nous. « De la pure flanelle en laine de haute qualité ! C'est pas d'la feutrine, pour sûr ! » ajoute-t-il en se mettant à rire. « Pour l'prix... C't'une autre paire de manche. Au bas mot... Quatre-cents écus. »

Je ne peux retenir une grimace, tandis que mes épaules s'affaissent. Tout ça ? Mes rêves de robe à soleils disparaissent en fumée.

« On vous prendra juste le châle... » soupiré-je en jetant un dernier coup d'œil à la tenue qui d'évidence, me fait incroyablement envie.

Ce sera, peut-être, pour un autre jour.


Réplique du film « La Délicatesse », adaptée ici pour la circonstance.
Arnauld
14 décembre 1463 - Après-midi


    Arnauld n'avait jamais remarqué, avant de rencontrer Actyss, à quel point les gens avaient la fâcheuse tendance de tomber à tout bout de champ sur des objets quelconques, sceaux, échelles, poulets (anecdote véridique – victime : Marie Boidulin, Belley), ou bien de se causer toutes sortes de maux stupides, brûlures, éraflures, écorchures, griffures, radical-de-votre-choix-ures. D'habitude, ça l'ennuyait beaucoup, Arnauld, et il ne savait plus vraiment quoi faire en attendant fébrilement son retour. Mais pas ce jour-là.

    Ce jour-là, Arnauld avait une mission ; une mission dont il était le seul instigateur, mais une mission capitale tout de même. Acheter cette robe jaune. Coûte que coûte.

    Vêtu de la belle chemise bleue que lui avait offert Actyss quelques jours plus tôt, coiffé presque proprement, la bourse gonflée de quelques cailloux dans le fond et accrochée bien en évidence à sa ceinture, il retourna à la boutique qu'ils avaient visitée un peu plus tôt dans la journée. La robe était toujours là, sur son mannequin de paille, et le tisserand l'accueillit avec un sourire en coin.

      - Ah, j'vous reconnais, jeune homme. Vous venez pour la robe, hein ? La robe qui fait envie à la p'tite dame ? Elle est toute à vous. Ça fera quatre cents écus.

    Arnauld, penché sur le mannequin, examinait le tissu d'un air presque blasé, laissant l'artisan débiter ses paroles sans répondre autrement que par des monosyllabes du type "Mmh", "Hum", "Hm hm". Evidemment, il ne possédait pas une telle somme. Mais il avait préparé sa stratégie.

      - Je vois que vous hésitez, mon p'tit m'sieur. Laissez-moi deviner, c'est trop cher pour vous, hein ?

      - Oh, non, ce n'est pas cela. J'ai largement ce qu'il faut. Tapotement de la bourse trompeusement rebondie. Seulement... Je me demande si c'est cette robe qui a ce qu'il faut.

      - Qu'est-ce qu'vous voulez dire ?

      - Quatre cents écus, c'est un prix clairement abusif pour une telle robe. Oh, elle est jolie, certes, la teinture a manifestement été bien réalisée et la couleur tiendra longtemps. Mais honnêtement, j'ai vu une robe d'une facture à peu près similaire à Béziers, légèrement inférieure peut-être, mais elle n'était qu'à trois cents écus. Prix avant les négociations, bien entendu ; on me la vendra à deux cents.

    Le tisserand, les joues un peu rouges – était-il outré ? - ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose, mais Arnauld ne lui en laissa pas le temps et reprit son petit discours.

      - Oui... Je voulais vérifier, voyez-vous, que cette robe n'avait pas quelque qualité cachée dans le tissu et la finition qui vaudrait la peine que je délaisse la robe biterroise. Décidément, non. Elle est un peu plus belle, certes, mais cette différence de beauté ne vaut pas l'abandon du second présent que je comptais lui faire, avec l'argent que me laissera la dépense des deux cents écus. J'ai repéré une splendide ceinture en métal ouvragé... Elle en oubliera tout à fait cette robe-ci.

    Arnauld hocha gravement la tête, devant un tisserand qui réfléchissait tellement qu'on pouvait deviner de la fumée s'échappant de ses conduits auditifs.

      - C'est dommage. Si elle avait eu un prix plus raisonnable et justifié, je vous l'aurais achetée. Mais allons ! Vous finirez bien par la vendre un jour. Encore faut-il que vous trouviez un riche bourgeois un peu aveugle et ignorant en matière de toilettes ; mais ils sont bien rares, ces hommes-là. Le bourgeois a une faiblesse pour la mode.Il se redressa tout à fait, tournant le dos à la robe. Bien, je vous salue, maître, et vous souhaite une bonne journée.

      - Attendez ! Je... Trois cents écus, je peux vous la proposer à trois cents écus.

    Arnauld, qui avait pris la direction de la porte, s'arrêta. C'était le moment de tenter le tout pour le tout.

      - Trois cents ? C'est toujours cent de plus que ce que me coûterait la robe de votre confrère à Béziers, et cinquante de trop si je veux lui offrir la ceinture dont je vous ai parlé.

    Le tisserand fronça les sourcils, en proie à une lutte intérieure évidente. Deux cents cinquante, c'était vraiment donné. Arnauld était prêt à payer plus, mais l'artisan n'avait aucun moyen de le savoir.

      - Deux cents quatre vingt, c'est mon dernier prix.

      - Hm... Je remplacerai la ceinture de métal par une ceinture de cuir. Marché conclu.

    Quelques minutes plus tard, Arnauld, excité comme une puce, courait presque dans les rues, son paquet sous le bras. Il fallait qu'il attende Noël pour offrir la robe à Actyss. Était-ce obligé ? Il voulait tant la lui donner dès maintenant ! Mais un tel cadeau, ça méritait d'être offert à Noël, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Et s'il craquait, ça ferait quoi ? S'il lui donnait le jour-même ? Pourquoi pas ? Non ? Si ? Ô, dilemme !

_________________

    Bannière made in JD Pépin_lavergne.
Actyss
🍂


Le 15 Décembre 1463


Je sors tout juste de la masure où vit une mère de famille et son fils souffrant. J'ai soigné le garçon, du moins ai-je identifié son mal. J'ai ensuite préparé un mélange de plantes que sa mère devra lui faire boire à des heures régulières, ainsi qu'une pommade à lui appliquer sur le torse, pour décongestionner ses bronches. Confiante, j'ai pu assurer sans me tromper que l'enfant s'en sortira rapidement. Et alors que Bénédicte, puisque tel est le nom de la jeune femme, a insisté pour me payer, j'ai vivement refusé qu'elle me donne les quelques pièces qu'elle garde en réserve. Je n'ai pas pu quitter la maison sans qu'elle m'ait fourré dans la main un ravissant ruban jaune, toutefois.

Le jaune me renvoie immédiatement à la robe que j'ai vu la veille. Je cours sur les pavés glissants à la recherche de la boutique où je l'ai repéré. La pluie fine détrempe le tissu de ma robe de laine, et je m'arrête dans une glissade devant l'échoppe. Pour mieux constater que la robe de mes rêves n'est plus en vente. Le marchand m'aperçoit, mais il est occupé avec une Dame. J'ai l'impression qu'il veut me demander quelque chose, mais je m'enfuis à toutes jambes, malheureuse comme les pierres. Je bouscule quelqu'un, mais je ne prends même pas le temps de m'excuser.

Je ne vais pas me mettre à pleurer. Je ne suis pas si capricieuse. Mais je m'étais déjà imaginé dans la magnifique tenue, et je dois avouer que je suis terriblement déçue. J'inspire profondément et m'adosse contre un mur. Tout ceci n'est rien, me reprends-je durement. Il y a des choses plus graves. Ce petit garçon malade et sa mère si pauvre, par exemple. Je dois relativiser. Je ne suis pas ce genre de filles qui hurlent parce qu'elles n'obtiennent pas ce qu'elles veulent. J'en trouverai une autre plus tard. Que dirait Maman si elle me voyait ? J'inspire de nouveau une grande goulée d'air, et expire lentement. Si je suis si déçue, c'est surtout parce que je m'étais représentée le regard plein de fierté et probablement de désir d'Arnauld, lorsqu'il m'aurait vu ainsi parée. Mais il m'aime sans robe jaune à soleils. D'ailleurs j'ai la nette impression qu'il m'aime davantage lorsque je ne porte rien du tout.

Je me redresse, et reprends ma tournée. J'ai encore deux malades à voir, dont un qui a la jambe cassée. En cheminant, c'est moi qui me fait bousculer, et je manque de tomber dans une brouette. Perdue dans mes songeries, je n'ai pas vu le bourgeois qui déambule dans la rue comme s'il s'agissait d'un palais dont il serait le roi. Je hausse une épaule en reprenant mon périple. Celui-ci n'échappera pas au trépas, tout regorgeant de fourrure qu'il soit. Et alors que je toque à la porte de la demeure d'une vieille dame veillée par son petit-fils d'à peu près l'âge d'Arnauld à la mine bien inquiète, mes pensées reprennent leur cours habituel, tout empli de pommades, d'onguents, de décoction et de fleurs séchées. Le tout joliment ponctué d'Arnauld.
Actyss
Le 22 Décembre 1463



À deux jours de Noël, c'est presque un scandale de n'être pas joyeuse. C'est pourtant tristement vrai. L'âme mélancolique, assombrie par les révélations de ma mère, j'ère dans les rues de Narbonne, préférant rester seule. Je poursuis mes tournées, ne soigne pas moins qu'autrefois. Mais le sourire déserte souvent mes lèvres si habituées à s'étirer en une démonstration de joie. Même Arnauld, je l'évite la journée durant. Je m'absorbe dans mes consultations pour éviter de trop penser. Mais pas aujourd'hui. J'ai préféré quitter la ville quelques heures durant.

Perchée au sommet d'une falaise, je reste sans bouger tandis que le vent fait voler mes cheveux tout autour de mon visage. Les mèches blondes claquent mes joues avec violence, et je n'esquisse pas un geste pour les retenir ou les écarter. L'ourlet de ma robe caresse mes chevilles. Le ciel blanc, chargé de neige, me fait plisser légèrement les paupières. En-dessous, à cinq ou six mètres, la mer d'un bleu gris fouette les parois rocheuses. Une odeur de sel emplit mon nez à la pointe rougie. Il fait froid, mais j'y suis indifférente. J'ai la sensation atroce que ma vie ne m'appartient plus. Que je ne sais même pas vraiment qui je suis. Mes convictions ne reposaient que sur la confiance totale que j'avais en Maman. Et cette confiance aujourd'hui brisée me laisse vide. Je déteste les mensonges.

M'avoir fait croire, durant quinze années, que mon père se moquait de mon existence alors qu'il m'écrivait une lettre par an, dans l'espoir fou de recevoir une réponse... Je ne peux cesser de penser à cet homme qui jour après jour espérait une lettre. Une lettre de moi. Je l'imaginais en train de lire les mots que je lui aurais écrit, souriant ou grimaçant à la lecture de mon prénom, selon s'il l'aurait aimé ou non. Mieux encore, je me voyais, moi, petite fille, me rendre en son château Breton, et déambuler dans les couloirs en compagnie de mon frère et de ma sœur, reconnue et légitime. Maman aurait vécu avec nous, évidemment. Nous aurions eu nos quartiers, et s'ils l'avaient voulu, ils ne se seraient pas beaucoup croisés. Et du haut de mes quinze ans, j'aurais été l'un des joyaux de la fête de Noël. Aimée et choyée par ses parents, toute parée d'une robe dorée, mes cheveux blonds ruisselants sur mes épaules, les tempes ceintes d'un diadème finement ouvragé... J'aurais su lire, bien sûr. Et Maman de son côté, m'aurait transmis son savoir de guérisseuse.

Au lieu de cela... Qu'avais-je eu ? Une grotte pour maison, une solitude interminable que je me dissimulais à moi-même en conversant avec les arbres et les animaux. Des conversations à sens uniques, pour me donner l'illusion de n'être pas tout à fait seule au monde. Une mère surprotectrice, qui m'avait gavé autant de racines et de baies que de secrets d'herboriste. Et une rencontre unique au détour d'un sentier boueux avec un homme dont les traits m'échappent totalement.
Cependant, ce n'est pas d'avoir vécu dans les bois que je reproche à Maman. C'est d'avoir continué à me mentir dès lors qu'elle avait su la vérité sur mon père. Six années durant elle s'était crue abandonnée et trahie, trompée et moquée. Mais ce n'était pas vrai. Et elle avait continué à me faire croire que mon père ne pensait jamais à moi.

Un coup de vent plus violent que les autres me fait chanceler. Il faut que je fasse quelque chose, tout de suite. Quelque chose de dangereux, de stupide, d'inconscient. Simplement pour me prouver que je suis bien en vie. Et qu'il n'est pas trop tard pour réunir mon père et ma mère. Quelque chose pour me faire accepter à défaut de comprendre, que parfois on fait des choses idiotes. Par amour des siens. Ou par volonté de ressentir la vie. Je m'éloigne du bord de la falaise. Arnauld sera furieux. Je m'arrête dix mètres plus loin. Je suis sûre qu'il comprendra, Arnauld comprend toujours tout. Je me tourne lentement vers l'endroit que je viens de quitter. Tout se passera bien. J'ai confiance.

Alors je me mets à courir. Le bord se rapproche mais je ne ralentis pas. Mes pieds battent soudain l'air et un hurlement s'échappe de ma gorge. Mon souffle se bloque et le cri meurt avec lui. Je joins les jambes et tends la pointe de mes pieds nus. L'impact est bien plus long que je ne l'aurais cru. Lorsqu'enfin j'entre dans l'eau, le froid me paralyse tout à fait durant quelques secondes. Je coule au milieu d'une myriade de bulles. La vision est superbe, malgré le sel qui me brûle les yeux. Je donne un violent coup de pied et cherche la surface, que je trouve sans difficulté. Le tissu de ma robe colle à mes jambes, m'empêchant de me mouvoir à ma guise. Je force avec les bras, et m'échoue bientôt sur une plage. Etalée sur le dos, la respiration haletante, les paupières closes, je reste un instant parfaitement silencieuse. Et puis soudain, je me mets à rire. Et à chaque nouvel éclat, je sens quelque chose s'évaporer. Le poids sur mes épaules a disparu. Je crois qu'il s'est envolé pendant la chute. Tout n'est pas encore rose, mais plus rien n'est noir, déjà.
Actyss
👻

Le 28 Décembre 1463


Maman est partie depuis quelques heures à peine. J'ai passé cette dernière nuit blottie dans ses bras. Mais le matin trop vite arrivé me l'a ravi. Et si au départ j'ai rejoint Arnauld dans le lit, dès qu'il s'est levé, j'en ai fait autant. Ma sacoche sur l'épaule, je suis partie pour visiter mes malades. Du moins, c'est ce que je lui ai dit. C'est aussi ce que je comptais faire, avant de mettre le nez dehors. Mais sitôt à l'air libre, mes pas ne me conduisent pas vers les chaumières et masures où m'attendent mes patients, mais bien plutôt vers l'extérieur de la ville, après un tour aux écuries. Je suis le chemin de terre battue jusqu'à la ville. J'entre dans la première taverne venue, ayant soudain eu une idée lumineuse. Je fouille dans ma sacoche, en tire un bout de parchemin froissé et une plume abîmée, et trace à l'encre brune quelques lettres. J'interpelle le commis, un jeune garçon d'une douzaine d'années, et en échange d'une pièce, je lui demande un petit service.

« Il y a une auberge, qui s'appelle le Brocélianguedoc. Pas très loin, il y a un atelier de menuiserie. Peux-tu apporter ceci au jeune homme nommé Arnauld Cassenac, s'il te plait ? »

Il s'empresse d'accepter, et je prends le temps de relire mon mot, clair et concis, parfaitement explicite à mes yeux, avant de le remettre au garçon.

Citation:

    Arnauld,

    Je dois partir immédiatement. Je m'en vais avec Amanda seulement. Prends soin de mes bêtes pour moi. A bientôt.

    Actyss



L'enfant disparaît avec mon pli, et moi, je reprends ma route.
Je franchis les portes à grands pas. D'aucun pourrait songer que je m'enfuis, au train où je marche. Je tiens fermement les rênes d'Amanda, ma ponette blanche. C'est que je suis particulièrement pressée. Ce n'est pas un départ à proprement parlé, même si je m'en vais bel et bien. J'espère d'ailleurs qu'Arnauld ne me voit pas en ce moment. Il pourrait penser que je lui ai menti. Il ne s'agit pas d'un mensonge, en réalité. Je n'ai pris ma décision qu'après être sortie. Une fois suffisamment éloignée de la ville, je fais stopper Amanda. Je relève ma robe jusqu'aux genoux, et monte sur son dos neigeux. Et d'une pression des talons, je la fais avancer. Notre progression laisse sur la fine couche de flocons des empreintes de sabots.

Nous parvenons à une rivière, que nous traversons. L'eau m'éclabousse les chevilles. Elle est glacée, comme on peut s'y attendre en cette saison. Je la fais avancer plus vite, jusqu'à un trot allègre. Le vent siffle à mes oreilles. Mes cheveux agités par le vent volent derrière moi comme une bannière. Mes joues rougissent, de même que le bout de mon nez. Mes mains gèlent autour des rênes. Je force encore l'allure. Nous parvenons aux bois, et j'emprunte au galop le sentier de terre froide. Ma pauvre Amanda tient le rythme aussi longtemps qu'elle le peut. Je la fais ralentir, et s'arrêter. Nous avons besoin d'une pause, et il est quasiment midi. Je commence à paniquer. Nous avons cheminé longuement, et toujours aucune trace de ce qui m'a poussé à battre la campagne. Sitôt mon déjeuner avalé, je remonte sur le dos de ma ponette, et reprends ma course folle.

Enfin, je la vois, tache rouge dans ce décor marron. Je l'appelle à grands cris. Elle se retourne, très étonnée, et je saute du dos d'Amanda pour courir vers elle et me jeter dans ses bras. Je serre Maman contre moi de toutes mes forces. Je sanglote sans pouvoir m'en empêcher, et elle s'efforce de me calmer.

« Actyss, ma fleur... Respire, tranquillise-toi ma fille chérie. Qu'est-ce que tu fais là ? »

J'explique en pleurnichant que l'idée de la savoir loin de moi me brise le cœur. Je lui demande pardon aussi, pour m'être montrée si froide à son égard. Je la supplie de revenir avec moi à la ville. Elle m'embrasse sur les deux joues, sur le front, partout sur mon visage humide et froid.

« Je dois rentrer à la maison mon ange, tu le sais. Mervent me manque. Et... » Elle semble hésiter, puis inspire un grand coup et se lance : « J'aimerais t'accompagner lorsque tu iras voir ton père. Pas pour ta première rencontre bien sûr, mais j'aimerais néanmoins faire la paix avec lui, et j'ai besoin de temps, et d'une certaine préparation. C'est comme lorsque j'allais en ville, quand tu étais petite. Je ne peux faire des choses et voir des gens que toute seule. Retourne à Narbonne, mon cœur, Arnauld va s'inquiéter, et la nuit tombe vite en cette saison. Je t'écrirai tous les jours. »

Nous restons encore un peu ensemble, puis elle me soulève et m'installe sur le dos d'Amanda. J'intime à ma monture d'avancer de nouveau, et tout en me retournant tous les deux pas pour saluer Maman, je retourne vers Narbonne. Et je réalise non sans une certaine angoisse, que je n'y serai probablement pas avant la tombée du jour. Arnauld, comme vient de me le faire si judicieusement remarquer ma mère, doit sans doute se demander ce que je fabrique et ce qui me prend tant de temps. Il ne me vient même pas à l'idée une seule seconde que les quelques mots que je lui ai écrit peuvent sonner comme un adieu. J'apprendrai, quoi que plus tard, que les lettres de ce genre nécessitent une plus grande précision, pour ne pas que le destinataire s'affole. Mais pour l'heure, je suis à des lieues de songer à tout cela. Mes pensées sont entièrement dirigées vers la femme que je viens de quitter.
Actyss
Le 2 Janvier 1464


Nous partons ce soir pour Fribourg. Si je veux être parfaitement honnête avec moi-même, je ne peux que reconnaître que rien ne m'attire là-bas. À part, peut-être, la perspective de patauger dans la neige. Quant à assister aux combats dans la boue et la poussière d'hommes qui n'ont rien trouvé de plus intelligent à faire que de se taper dessus... Le concept en lui-même m'est totalement étranger. Je crois que cela a un peu peiné Arnauld, lorsque j'ai dit que je ne pensais pas assister à son combat. Si d'aventure il souhaitait participer. Pourquoi irais-je voir un tel spectacle ? Je ne vais certainement pas encourager et soutenir un homme pour qu'il frappe plus fort son adversaire, pour arracher à mon regard des étincelles de fierté. De quoi serais-je fière ? De voir qu'il a assommé un autre sous ses coups ? Ridicule. Je ne prends pas part à toutes ces sottises. Qu'ils se battent tous s'ils le veulent. Je préfère nettement m'exiler quelques heures dans les bois.

Je me laisse tomber sur le derrière dans la paille de l'écurie. Je sors d'un petit sac de toile divers rubans colorés. J'opte pour un bleu, un rouge, un jaune, et un vert prairie. Je m'empare d'une grosse brosse, me relève, et commence à brosser la crinière de ma ponette. Tout en démêlant ses crins, je laisse mes pensées vagabonder.
Arnauld veut m'accompagner partout. Partout dans la montagne, partout dans mes promenades. Je sais bien que je ne devrais rien trouver à y redire, mais ces temps derniers, j'ai besoin d'être seule. Pour réfléchir. Pour me concentrer. Pour répéter inlassablement la scène que je meurs d'envie de vivre. La rencontre avec mon père. J'ai besoin d'être seule, aussi, pour faire le vide. Ecouter le silence. N'entendre que la neige crisser sous mes chaussures. Je ne sais pas trop comment le lui dire sans le vexer. Je crois que sur place, je ne dirai rien. J'irai, tout simplement. Ce n'est pas que je le fuis. J'ai besoin de lui tout autant qu'avant. C'est juste que j'ai trop de choses en tête ces derniers temps, et qu'être seule me permet d'évacuer tout cela. Parce que je ne suis pas obligée de parler. De penser à ce qu'il voudrait qu'on fasse. Juste être en tête à tête avec moi-même, pour éviter l'explosion.

Je repose la brosse dans la paille, et entreprends d'agrémenter la crinière blanche de quelques nattes. J'y ajoute les rubans. Ainsi parée, Amanda est ravissante. J'ai acheté le nécessaire pour elle. Une bonne couverture, un harnais rouge, des chaussettes pour protéger ses mollets, mais aucune selle ni rien de ce genre. Je monte à cru, je préfère largement. Ma ponette est prête pour le voyage. Une toute petite carriole sera attachée derrière elle. Je ne pourrai pas m'y asseoir, même si je le voulais. Y tient juste les paquetages, dans un gros sac de toile. Benoît le loutron et Henri le chaton seront installés dessus, ni l'un ni l'autre ne supportant les longues marches. Lucien mon petit chien, quant à lui, y grimpera dès qu'il en aura assez de courir en tous sens. Quant aux autres, ils sont davantage endurants.

Une fois sortie des écuries, je remonte dans la chambre, et achève de réunir mes affaires. Mes vêtements sont soigneusement pliés, et disposés dans un coffre en osier, récemment acquis. J'ai opté pour ma solide et chaude robe bleue, à peine trop grande aux épaules. J'ai resserré au possible le col, atténuant de ce fait le bâillement de l'encolure. Avec une tunique de corps en dessous ainsi que deux jupons, je n'aurais pas froid en chemin. Mes jambes sont également couvertes de ma solide paire de bas de laine, et mes pieds chaussés de bottines en cuir épais. Pour me faciliter la vie, j'ai noué un foulard blanc dans mes cheveux, qui fait deux fois le tour de ma tête. Le visage ainsi dégagé, je serai sans doute moins gênée par les assauts du vent.

Après la fin des préparatifs, je ressors une nouvelle fois, enveloppée dans mon châle jaune. Je parcours une dernière fois les rues de la ville, en solitaire. Enfin presque seule, puisque Lulu m'accompagne. Je me rends chez chacun de mes patients. Je les salue tous, et tous ou presque m'offrent quelque chose. Un ruban, un biscuit, une pièce, un mouchoir... Je range mes trésors précautionneusement, tout en prenant le chemin de la plage. Je me trouve une crique à l'écart, isolée. Derrière de gros rochers bruns, je suis parfaitement invisible. J'étale sur le sable mon châle, et m'installe dessus. À l'abri du vent autant que des hommes, je reste là à contempler la mer.
Chouquette
12 janvier 1464

une nouvelle année .. une nouvelle page a ecrire ... un pas aprés l'autre .. la menant loin de chez elle ... parfois les cheveux fouettent son visage rageusement ...elle les repousse patiement d'un revers de main .. le nez rougit par le froid hivernal .. les bottes font craquer la neige ... bientot elle sera loin de montelimar .. mais son coeur lui .. est resté la bas ..pres de ce matoulion .. prés de greg .. elle s'efforce par tous les moyens d'estomper les sentiments profond qui la lient a lui.. chaque pas lui fait croire qu'elle y arrive mais le bout de la terre traversée jamais ne pourra lui faire oublier


narbonne .. premiére etape a son periple .. la suite elle ne la connait pas encore .. aujourd'hui elle doit retrouver des amis .. et sa famille .. sa vraie famille celle qu'elle doit apprendre a connaitre paradoxalement .. puisque la famille qu'elle connait est sa famille adoptive ..

deux familles , deux monde , deux cultures deux chocs .. trouver sa place .. se faire une place .. c'est malgré tout le coeur vaillant et l'esprit vif qu'elle arrive a narbonne , prete a tout conquerir prete enfin a se construire .. sur d'elle pour une fois .. c'est toute heureuse qu'elle fait son arrivée en criant surpriseeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee ....

la surprise au final c'est elle qui l'aura .. se retrouve au centre d'une famille eclatée , torturée .. entre un pére et un frére que faire ....une soeur disparue et pour couronner le tout un conflit malvenu avec son ami...


le soir venu .. la lune est deja haute .. les bras croisés sur elle pour se proteger du froid marche seule dans les rues desertes .. elle devrait se mefier elle n'est pas dans son village abandonné .. ici c'est la ville pour elle .. une ville animée ... l'oreille est aux aguets ... et les pensées fugitives ... elle a su parler a tous .. et apaiser les tourments .. neanmoins ce soir lecoeur est lourd ... les choix chou elle aime pas ça ...et pourtant pour la premiére fois sont choix est fait .. elle suivra le frére .. ame tourmentée .. qu'elle ne veut pas quitter ... sentiment de culpabilité vis a vis du pére aussi tourmenté que le fils ... mais son pére est fort .. et vaillant comme il est peut se passer d'elle ...et puis ses amis .. qu'elle regardera partir .. le coeur se dechire .. un bruit de pas derriére elle s'intensifie .. le coeur s'accelére .. elle presse le pas .. finit les tourments .. il est temps de rentrer vite ...

_________________
Marie_adele
13 Janvier 1464



Installée au milieu de la pièce entourée de notre ménagerie, la taupe, la limace, la couleuvre etc..je me servis encore un peu de Calva et je regardais la pluie tomber par la fenêtre, deux escargots grimpaient sur les carreaux, exhibaient leurs ventres visqueux, brillants et un peu obscènes..mais j'adorais cela, j'éprouvais pour toutes ces bestioles une obscure tendresse, j'avais trouvé en ce sens le compagnon idéal à mes lubies.

Les animaux et bestioles non domestiqués, le feu sous toutes ses formes, c'était mon truc hormis picoler du calva et autre substances alcooliques.

J'attendais patiemment le retour de mon fiancé de la mine, et je me demandais quelle connerie il allait encore inventer pour me faire rire

Après les escargots, ce fût au tour d'un pigeon d’atterrir sur le rebord de la fenêtre, eux par contre je les avais en horreur, et le voilà qui roucoulait en fixant les alentours de ses petits yeux hostiles, brrrrr, j'eus un geste paresseux vers mon arc, puis laissa retomber mon bras mollement le long de mon corps, non décidément, j'usais d'une crise aiguë de fainéantise , bon en vérité c'était un peu mon crédo..moins je travaillais mieux je me portais.

J'essayais de me concentrer sur la porte en vain, elle ne s'ouvrait pas et ma tempête n’apparaissait toujours pas, normal il n'était pas l'heure....l'impatience un jour finirait par me perdre.

Je souris amusée et portais de nouveau ma corne en bouche.

Mon esprit vagabonda quelques instants sur ma partie de pêche quotidienne, un sourire malicieux cette fois se dessina sur mes lèvres et je penchais la tête comme une petite gamine à qui on montrait un sucre d'orge.

Pendant que j'étais là à rêvasser, mon esprit se mit à bouillir et je pris une décision avec une détermination déconcertante. Tout à coup je sus exactement ce que je voulais, ce qui me fit me lever d'un bond et Bernadette (la Taupe) ainsi que Gildas (la limace) eurent un soubresaut effrayé, tandis que Strombinou (la couleuvre) restait tranquillement à végéter et digérer son dernier repas, il se fichait bien de ce que je pouvais faire, il était habitué à mes folies journalières, c'était évident!

Bref, ma décision était prise, et j'attendais le moment où la porte allait s'ouvrir, faisant place à ma folle tempête pour lui en parler, je savourais déjà sa réaction, je savais exactement comment il réagirait. Avec Frag c'était comme si on s'était toujours connus, nous étions complémentaires et parfois je voyais ma mère avec une envie sérieuse de s'arracher les cheveux, en nous écoutant blablater sur des sujets "hors-normes" alors que mon père nous regardait d'un air blasé, j'adorais cela, au moins avec nous ils ne s'ennuyaient pas!

Ma mère, une obsédée des houppes de toutes les couleurs mais principalement des roses, évidemment la couleur que je déteste le plus au monde!! Elle collectionnait un tas d'objets insolites mais à priori nécessaires...d'après elle. Elle confectionnait également de la soupe à base de Lavande...si..si!!! En attendant, elle me rendait heureuse et pour rien au monde je n'aurais voulu une autre mère qu'elle! Elle était tout ce que j'avais toujours espéré. Elle avait tellement de qualités que je ne pouvais pas m'octroyer et c'est aussi en cela que j’éprouvais un respect infini pour elle.

Mon père, un faux blasé au caractère ..ou au cratère d"un volcan....mon grand-père l'avait par ailleurs, appelé Stromboli..étrangement.

D'un point de vue caractériel et finalement même sans être de son sang, je lui ressemblais beaucoup, impulsive mais droite dans mes bottes à son image, chassant l'injustice dans les moindres recoins, il a le cœur posé sur la main, ou la main posée sur le cœur, je ne suis pas fortiche avec les proverbes et autres trucs du genre!

Cependant, une seule "crasse", une trahison et c'en était fini définitivement la plupart du temps, en cela je n'étais pas aussi rancunière, n'empêches que ben mon père je l'aimais tel qu'il était, et souvent je disais en me marrant : "mon père ce Héros!!" en vérité, j'étais pas si loin de le penser!

Je me redressais brusquement....la porte venait tout juste de s'ouvrir à la volée!

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Lynette..
                  “L'homme n'a point de port, le temps n'a pas de rive ; Il coule et nous passons !”*




La neige était encore bien tombée cette nuit, et de sa fenêtre Lynette regardait les rues devenue blanche, quelques traces de pas marquaient les pavés Narbonnais. Le soleil ne perçait pas encore les nuages bas et le silence était roi. Un silence qui ressourçait la rousse.
Inspirant longuement elle ouvrit en grand sa fenêtre pour laisser le froid mordre ses joues. Elle manquait d'air depuis quelques temps, son coeur subissait beaucoup de changement et elle ne savait plus vraiment où elle en était.
Entre ses filles qui n'étaient pas un cadeau et son frère qui boudait dans son grand château. Non en effet rien n'était simple pour elle et elle avait besoin de se ressourcer. Asselya avait reprit sa place en elle alors qu'elle n'aspirait a n'être que Lynette. Comment pouvait elle redevenir la Liceroise d'il n'y a pas si longtemps ?
S'accoudant a sa fenêtre, elle poussa un long soupir et en se disant qu'elle ne pouvait pas rester ainsi plus longtemps.

Refermant d'un mouvement sec sa fenêtre, la Liceroise prit son manteau de fourrure qu'elle glissa sur son dos d'un geste rapide puis prenant son col qu'elle posa au tour de son cou et un bonnet chaud qu'elle vissa sur sa tête elle quitta son appartement d'un pas rapide. L'océan. Oui il fallait qu'elle aille se perdre devant l'océan. Traversant les ruelles d'un pas chuintant, elle serra ses mains l'une contre l'autre tandis que son souffle formait un nuage de vapeur a chaque souffle. Ses joues rougissaient sous le froid et la vu de l'océan apaisa d'un coup son coeur. Souriant doucement, elle glissa ses pieds dans le sable et même si celui-ci était couvert de neige et gelé, elle ressentit sa chaleur. Une chaleur imaginaire bien entendu mais elle aimait sentir le soleil sur sa peau, sentir l'odeur des embruns et surtout de voir les vagues déferler sur la plage.
Le souvenir de Bayonne restait en elle. Chaque instant de sa découverte de l'étendu de l'eau et surtout sa peur devant le dauphin.

Ses pas l'avaient guidé vers le port et de là, elle observait les bateaux. Ceux qui étaient amarré se laissé ballotter par le faible courant. Ils étaient couvert de neige et leurs ponts semblaient givrés. Elle porta son regard sur les bateaux au loin et elle ne put qu'admirer les pécheurs qui osaient braver ce froid sur l'eau et d'être sur l'eau. Jamais elle n'avait vogué et elle ne s'en sentait pas capable. Juste l'idée de monter sur l'un de ses bateaux la terrifiait. S'approchant d'une bite d’amarrage, Lynette regarda l'eau d'un air songeur. Le bateau qui y était attaché était immense. Plus de deux fois sa taille et elle se sentit bien petite a son côté. Se reculant elle reprit sa route pour rejoindre la plage et continuer a avancer.



Alphonse de Lamartine

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Chrodthrude
Diantre qu'il fait froid...
Chrodthrude qui découvre Narbonne trouve que cette ville a l'air charmante, mais ne peut pas en profiter autant qu'elle le voudrait ; plus que la neige qui recouvre toutes choses de son blanc manteau, le vent qui souffle a fait drastiquement chuter la température, et Chrodthrude grelotte...
"brrr, entrons dans cette taverne, avant de finir en glaçon !"
Alicina.
      - Le 9 Mai 1464 -


    Il faisait beau et chaud, ce lundi, et je décidai d'embarquer Luna en promenade. Ses petites sœurs étant endormies - c'était l'heure de la sieste - nous nous retrouvions toutes les deux. Sa petite main dans la mienne, nous avancions à son rythme vers l'extérieur de la ville. Nous nous étions décidées pour un pré en bordure de forêt, pour profiter du Soleil et cueillir des fleurs sauvages. Luna avait insisté pour porter sa robe blanche à rayures vertes, verticales. Un petit chapeau de paille lui protégeait la tête et ses deux petites nattes lui battaient les oreilles.

    Nous arrivâmes enfin à destination. Je lâchai sa main et elle s'élança aussitôt à travers champ. Elle riait en levant les bras en l'air, courant dans tous les sens sous mon regard attendri. Elle était adorable. Bientôt, elle se mit en tête d'attraper un papillon, et bondit au-dessus des herbes folles en riant de plus belle, tendant ses petites mains vers l'insecte ailé. Elle s'arrêta soudain, oubliant le papillon, et m'appela à grands cris. Son minuscule index pointé vers une feuille, elle avait l'air surexcité.

    – Regar' Maman ! Une couinelle !

    J'acquiesçai comme il se doit, la félicitant d'avoir repéré une coccinelle dans toute cette verdure environnante. Une minute plus tard, elle s'extasiait devant un escargot, puis poussa un cri de répulsion et de fascination mêlées en contemplant la lente procession d'un ver de terre.

    J'adorais la regarder s'émerveiller du monde. Elle découvrait tout pour la première fois, s'inventait de véritables petites aventures et vivait mille petites choses incroyables. Elle n'avait que deux ans et demi, et avait tout à apprendre. Luna me fascinait au moins autant que la Nature la fascinait, elle. J'apprenais à son contact, et je réapprenais à m'émouvoir du vol d'un insecte. C'était merveilleux, d'avoir deux ans. Tout était possible à cet âge-là.
    Pendant que je l'admirais, Luna continuait de découvrir. Ici une grosse marguerite, là un pissenlit. J'en cueilli un et lui fit souffler sur les petites étamines blanches qui s'envolèrent, poussés par la brise vers d'autres horizons. Luna s'élança après, sous mon œil ému. Il y avait de la magie, dans l'enfance. Une magie qui ne s'offrait qu'à cet âge.

    Plus tard, il fut temps de rentrer. Je la pris dans mes bras, ses mains serrant très fort un énorme bouquet de fleurs que nous mettrions dans l'eau. Elle babillait sans cesse et je m'efforçai de répondre à toutes ses questions du mieux que je le pouvais. En rentrant, nous trouvâmes les jumelles bien réveillées, et toutes les quatre prîmes alors un goûter composé de compote de fraises. Mes filles étaient heureuses, alors je l'étais forcément.

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Alicina.
      - Le 11 Mai 1464 -


    Aujourd'hui, j'étais censée travailler dans mon champ. Ce qui signifiait donc que j'allais devoir trancher moi-même des épis de blé pour les mettre dans des sacs. C'était quand même pas un programme très enthousiasmant, même pour moi. Armée de ma faucille et de mon courage, j'abandonnai donc ma petite famille pour me planter au milieu des blés. J'avais mis ma tenue de travail, autrement dit une robe brune et un tablier bleu, ainsi qu'à ma plus grande douleur, une paire de gros sabots franchement inconfortables. Les cheveux ramenés en chignon, j'inspirai profondément et commençai mon labeur. Et j'avais raison : ce n'était vraiment pas enthousiasmant. Il n'y avait strictement rien d'agréable dans ce travail.

    Le dos courbé, je tranchais, tranchais, tranchais. À chaque allée terminée, je revenais sur mes pas pour faire des ballots, et puis je recommençais. Encore et encore. Probablement jusqu'à ce que mort s'ensuive. Mais je ne flanchais pas, c'était hors de question. Je coupais les épis, encore et toujours, même si mes mains étaient brûlées en pleines de cloques à cause du manche de la faucille, même si mon dos hurlait de douleur, même j'étais épuisée, exténuée, anéantie, souffrante, mourante, à l'article du décès, un pied et demi dans la tombe.
    Lorsque mon sabot se coinça pour la trente-deuxième fois - j'avais compté - dans une motte de terre, je craquai. Je l'ôtai de mon pied et le projetai loin, très loin, tellement loin en fait qu'il arriva presque à l'autre bout du champ et qu'il assomma net le paysan voisin venu m'apporter un peu de son eau. Je me sentis stupide en le trouvant inanimé - j'avais couru jusqu'à la source du « Aaaah ! » terrifiant qui avait retenti après le vol du sabot - et une fois de nouveau chaussée, je l'avais réveillé en lui disant que le Soleil cognait fort, aujourd'hui, dîtes donc.

    C'était presque le soir mais je n'avais pas terminé. Munie d'un grand van, je secouai les grains pour en ôter les impuretés. Une fois débarrasser du surplus, je transvasais le blé doré dans de gros sacs en toile de jute et cousu grossièrement le tout avec de la cordelette en chanvre. Puis je fis transporter tout cela dans mes réserves, en soupirant d'aise. J'étais en sueur, j'avais mal partout, et ce fut pieds nus que je rentrai chez moi pour prendre un bain et me changer. Et la prochaine fois, j'embauchais !





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Pepin_lavergne
    [Le 26 mai 1464]


Pépin était attablé, en taverne, les yeux dans le vague. Il écoutait d'une oreille distraite le vieil Écossais tirer une plainte déchirante en soufflant dans sa cornemuse. C'était d'une tristesse insondable, et l'Auvergnat se surprit à pousser un profond soupir mélancolique. Tout cela faisait remonter en lui les pires souvenirs de sa vie. Et autant dire que ça n'avait rien de bien folichon. Il avala une large lampée du vin qu'il avait commandé, espérant vaguement se noyer pour oublier toutes les sinistres images qui s'imposaient à lui.

Il fut brusquement tiré de ses songes lorsqu'un homme au visage cramoisi pénétra dans l'auberge en envoyant claquer la porte contre le mur. L'Auvergnat, surpris malgré lui, regarda s'avancer le lourdaud d'un pas mal assuré. Visiblement, il avait nettement abusé de l'alcool local, et il manqua se vautrer en s'accoudant au comptoir.


- Une bière siouplaît, éructa-t-il sans grâce aucune, ses grosses mains agrippées au bois pour se maintenir à peu près droit.

Il tourna la tête lentement, dans la direction de Pépin, qui l'observait, sourcils haussés et cheveux plus en bataille que jamais. L'individu devait avoir un verrat pour père tant il avait l'air d'un cochon en cet instant précis. Des petits yeux porcins, un nez semblable à un groin, des bajoues gonflées et frémissantes, un ventre rond et une odeur assez particulière.

- Qu'est-ce t'as, toi là-bas ?
- Rien, répondit Pépin en toute sincérité, pour une fois.
- Ouais, eh, c'est ça ! grogna l'autre en s'avançant. Tu m'prends pour un...

Mais Pépin ne sut jamais pour quoi l'autre pensait qu'il le prenait. Il était si ivre qu'il trébucha tout seul, et son front heurta le sol dans un craquement sinistre. Pépin se releva à demi, pour constater non sans surprise, que le bonhomme était tout à fait estourbi. Haussant une épaule, le jeune homme reprit sa place, le musicien recommença à jouer un air qui semblait être la définition de l'hilarité, et le temps repris son cours normal.


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Arnauld
    Il y a des moments dans la vie d'un homme où il faut savoir aller de l'avant. Tourner la page. Faire table rase du passé. Prendre un nouveau départ. Et accepter de vendre les vieux vêtements auxquels on est si irrationnellement attaché.

    La mort dans l'âme mais avec le sentiment de faire ce qui est juste, Arnauld se dirigeait donc vers le marché, tenant dans les bras sa vieille chemise déchirée au niveau du col, trouée sous l'aisselle gauche, irrémédiablement tachée de noir sur le flanc droit depuis le jour où il avait bêtement lâché sa plume à peine trempée dans l'encrier, et surnommée avec amour - parce que oui, les chemises PEUVENT avoir des surnoms - Kiki.

    Il n'en tirerait sûrement pas beaucoup d'argent, mais quand on a une femme enceinte, avec une maison à construire et un adorable futur rejeton à nourrir, chaque écu gagné est une petite fortune en soi. Alors il n'y avait pas à tergiverser, il fallait prendre ses responsabilités, même si cela exigeait des sacrifices.

    Prenant une grande inspiration et combattant bravement quelques larmes, Arnauld se campa devant l'étal d'un tisserand choisi au hasard sur le marché.

    - Monsieur, bonjour à vous. C'est une bien belle journée. Et voici... voici... (courage, Arnauld, courage) une bien... une bien... (tu peux le faire !) une bien belle chemise !

    Le tisserand le regarda avec étonnement, certain d'avoir affaire à un bègue un peu simplet. Surtout qu'Arnauld, au lieu de brandir le vêtement qu'il lui annonçait, gardait Kiki bien serrée contre lui comme un doudou en tissu.

    - De quoi tu parles, mon gars ?


    - Je vous vends ma chemise !

    Il avait presque crié, ce qui n'arrangeait sûrement pas l'opinion que se faisait de lui le tisserand. Celui-ci le dévisagea après avoir jeté un regard autour de lui pour localiser le milicien le plus proche à faire intervenir en cas de problème - il faut dire aussi que la coiffure qu'arborait Arnauld depuis qu'Actyss lui avait coupé les cheveux n'était pas exactement celle qu'on attendait sur le chef d'un homme sain d'esprit.

    - Ah, hum, je vends plutôt des vêtements neufs, tu sais...

    Mais Arnauld avait enfin réussi à trouver la force de déplier Kiki devant le marchand, et l'agitait, la gorge serrée, devant le regard médusé du pauvre homme.

    - Comb... Combien vous me la prenez ?

    - ...

    Comme à l'instant de la mort, tous les souvenirs de Kiki vinrent assaillir son propriétaire. Si le col était déchiré, c'était parce qu'une fois, Actyss s'était jetée sur lui avec une telle ardeur qu'elle n'avait pas pris la peine d'en défaire les lacets avant de lui arracher sa chemise. La tache d'encre datait du jour où il avait écrit à Pépin qu'Actyss était enceinte. Le trou sous l'aisselle, c'était quand il avait escaladé l'arbre sur une branche duquel Henri, qui était encore chaton à l'époque, s'était retrouvé coincé. Et puis il y avait aussi le bas de la chemise qui était un tout petit peu brûlé, depuis la fois où Actyss l'avait mise à sécher au-dessus de la cheminée et que, très occupés tous les deux dans des étreintes qu'on ne décrira pas dans un récit tout public, ils ne s'étaient pas tout de suite rendu compte qu'elle était beaucoup trop près des flammes. Et la petite tache qu'il n'avait pas remarquée, là, sur le torse, c'était quand son Actyss avait pleuré dans ses bras et avait considéré que la chemise de son mari pouvait généreusement lui servir de mouchoir. Et puis...

    - Gueuh... Ga... Ga...

    Et soudain, Arnauld prit les jambes à son cou, Kiki serrée contre lui, sans même se rendre compte que le marchand était en train de l'envoyer promener et qu'il refusait tout net de "lui acheter ce torchon à manches, espèce de pouilleux". Jamais, jamais on ne lui prendrait sa chemise qui avait vécu tant de choses avec lui ! Il trouverait bien un autre moyen de gagner dix pauvres écus, ce n'était pas si difficile. Allez donc vous faire voir, bande de rapiats voleurs de souvenirs !


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Arnauld
    Situation délicate que celle d’Arnauld ce jour-là. Son épouse bien-aimée, en effet, après une triche des plus déloyales – mais la triche consistant à déconcentrer l’adversaire par des baisers de plus en plus enivrants, le Languedocien était bien volontaire pour en être victime à chaque fois qu’ils jouaient -, lui avait mis la pâtée au jeu « Reconnais, les yeux fermés, quel fruit confit je te fais goûter ». Or qui dit « perdant », dit « gage ». Actyss, ne manquant pas d’inspiration, lui avait donc demandé d’écrire à Cassandre, sa mère, à quel point son pâté de sardines rances était immangeable. Sauf qu’il s’agissait de Cassandre. La femme qui connaissait toutes les plantes, pour guérir et pour empoisonner. La femme qui était capable de l’émasculer à la petite cuillère s’il faisait un pet de travers. La femme à qui dire « ton pâté est dégueu, belle-maman », revenait à dire « je meurs d’envie d’ingurgiter un cocktail d’arsenic, de belladone et de cyanure ! » – et qui n’était pas du genre à laisser cette envie insatisfaite très longtemps.

    Il fallait donc qu’il réfléchisse à une stratégie de survie.

    Après quelques heures à penser, extrémités des doigts jointes, yeux fermés, à une manière de s’en sortir, Arnauld pensa avoir trouvé la solution qui lui permettrait de conserver et sa vie, et sa masculinité. Il n’avait plus qu’à espérer qu’elle déchiffrerait le message codé qu’il glisserait dans sa lettre.

Citation:
    Le 18 juin 1464
    De : Arnauld Cassenac, Narbonne, Languedoc

    A : Cassandre Clairefeuille Koadour, forêt de Mervent, Poitou

    Belle-maman,

    Nageant dans le bonheur le plus complet depuis la naissance, il y a trois jours, de votre petite-fille Morgane, je prends aujourd’hui la plume pour vous entretenir de sujets délicats, qui ne concernent toutefois en rien, heureusement, la santé de notre petite fleur tout juste éclose. Morgane est en effet en pleine forme et j’ai passé les derniers jours à la regarder, pour ne pas avoir perdu une miette du spectacle de ma fille qui découvre le monde, auréolée de l’amour de ses parents, et qui lui sourit comme s’il s’agissait d’un grand jeu auquel elle a été conviée. J’en suis fou et je pourrais passer des jours entiers à la contempler, elle, et sa mère qui la berce doucement en mangeant des fruits confits. Je les aime tant, elle et Actyss ; je ne remercierai jamais assez le Très-Haut qui m’a donné pour la vie l’immense bonheur d’être le mari de l’une, le père de l’autre, notre petite Morgane, le gage de notre amour.

    Mais ce n’est, comme je vous le disais au début de cette lettre, pas pour ça que j’ai voulu vous écrire. Il faut que je vous dise cela, Cassandre :

    Votre pâté de sardines rances est infect.

    C’est ainsi, j’en suis désolé. Ne me mettez pas en doute, et n’en faites pas d’autre, même si vous aimez cuisiner quand vous tuez le temps. Il ne faut pas reprendre cette recette.

    Je vous embrasse très affectueusement,

    Votre gendre,
    Arnauld


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