Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Kierkegaard & Zolen : Scène 47, Acte 15.

Arry
    [A Roche - Le 23 avril 1464]

    Kierkegaard & Zolen, Scène 47 Acte 15. Sans compter les nombreuses scènes défripées que nous ne dévoilerons pas ici afin de préserver la sensibilité d’un public non averti. Alors que nous pensions qu’ils nous avaient déjà cassé les esgourdes à toutes les sauces : les infidélités de Monsieur, les gueulantes de Madame, la demande en mariage, la maladie, la quatrième demande en mariage, les nouvelles tromperies de Monsieur, les énièmes crises de nerfs de Madame, l’emménagement au Château, la quinzième rupture de deux jours et demi, le mouflet… non, ils nous brisent ENCORE les jumelles (bourses ou roploplos, soyons justes). Parce que nos deux protagonistes manquent clairement d’originalité pour pimenter leurs disputes, la dernière en date ne change pas de fondement : un Arry incapable de garder langue, paluches et toute autre partie de son anatomie exclusivement pour sa fiancée. Le (petit) écart dévoilé, le couple comtal n’a pas manqué de mettre en œuvre SA recette de dispute qui fait trembler tous les murs du Limousin : une bonne louche de mensonges, une cuillérée de paroles blessantes et un soupçon de mauvaise foi pour Lui, une tartine de larmes, une couche de reproches et des menaces de départ pour Elle. Le Régnant, certes affreusement insultant et mesquin aurait presque pu remporter la manche si Kierkegaard ne se retrouvait pas pour la énième fois en position de force avec l’avenir du duo (voire du trio, en comptant le lombric) entre ses mimines. Ouaih, en Limousin-Marche, c’était pure vérité : les porteuses de jupons avaient très souvent le dernier mot.

    Si le nombre d’assiettes et verres brisés par la Kierkegaard depuis l’accession des amants terribles au pouvoir ne nous a pas été remonté, nous savons d’ores et déjà que le Zolen aurait, dans un excès de contrariété pour le moins exacerbé, foutu sans dessus dessous l’hôtel rochechouartais dans lequel il logeait tous frais payés par le Comté pas plus tard que cette nuitée. Au moins, on sait pourquoi le Cens va augmenter en mai. Si nous pensions le dégoter ivre mort la pipe bourrée d’opiacées encore au bec et deux blondes à peine majeures avachies dans un plumard à ses côtés, il n’en fut rien. Une avancée dans le scénario ? On croise les doigts. C’est à l’aube et perché sur les toits à jouer les équilibristes que nous avons finalement déniché le Arry. Si le commun des mortels noyait sa peine dans un fut de vinasse, dans les jacasseries d’un cureton et/ou dans une dépense outrancière de ronds pour les plus riches, le brun dopé au lait de chèvre et à la nougatine, pratiquait la flagellation mentale à trente pieds au-dessus du sol. En tapant causette avec son meilleur décédé.

    « Libérééééé, délivréééé… »
    « N'commence pas. »
    « T’es un putinasse de rabat-joie. Des fiançailles pétées, c’est davantage de donzelles à culbuter. Quand on te bourre sous le pif un pochon de nougats, un de dragées, des chouquettes, quatre brioches beurrées et deux pots de confiotes à la mûre, t’as envie de goûter à tout même si t’as une préférence pour les nougats. Avec les donzelles, c’est pareil. Le mieux, c’est d’se faire les crocs sur le tout pour être totalement rassasié. »
    « … »
    « Cause, frangin, on sait tous qu't'es incapable de t'nir le silence. »
    « J’veux pas que quelqu’un d’autre croque dans mon nougat. »
    « Alors bouge-toi la couenne pour l’récupérer avant qu’un fini à la pisse d’chaton te l’chope. »
    « Ça ne marchera pas cette fois. »
    « Hm. C’est une femme. Tu lui dis ce qu’elle a envie d’entendre, tu lui décoches deux sourires et trois compliments et elle va dare-dare retomber dans ta couche. M’semblait que t’étais doué pour ça y’a quelques années. Tu perds la main ? »
    « Kierkegaard n’est pas une vulgaire gourgandine aisément manipulable. »
    « Et alors ? Trop compliqué pour toi ? Ou elle n’vaut juste pas l’coup ? »
    « Va… »
    « Crever, ouaih, c’est fait. D’ailleurs, tu pourrais envoyer du gus nettoyer ma tombe ? Y’a d’la fiente de pigeon d’ssus, c’est putinasse d’crade. »
    « … »
    « T’embobines comme tu respires, p’tit frère. C’que tu veux, tu l’as. La question c’est pas d’savoir si tu pourras la récupérer mais si tu veux la récupérer. »
    « Je le veux mais.. »
    « C’est quoi l’plan ? »
    « Je.. J’attends qu’elle se calme. »
    « Tu peux mieux faire. »
    « Je lui écrirai dans quelques jours quand la colère sera un peu retombée..
    « … et que le manque commencera à se faire sentir. Ensuite ? »
    « Je demanderai à ce qu'on fasse porter les affaires du mouflet dans la bicoque aménagée à Guéret. »
    « La carte du père investi et attentionné, imparable. Fourbe mais imparable. Après ? »
    « Je prétexterai une visite comtale pour me radiner sur Guéret une semaine avant la naissance du marmot. »
    « Continue. »

    Il a continué mais nous, on n’aura pas la suite, du moins, pas aujourd’hui. Tout ce qu’on sait, c’est que le Comte a gribouillé quelques mots au personnel du Château et que le jour même, le foutoir kierkegaardien était achalandé jusqu’à Guéret.


    Citation:
    Norbert, salut,

    Mademoiselle Eldearde compte vivre ses dernières semaines de grossesse à Guéret. Tout doit être prêt quand elle arrivera.

    Le bouquin qu’elle garde sous notre lit au Château, déposez-le en évidence sur sa table de chevet et veillez à ce que le berceau soit placé dans la chambre mitoyenne. Celle qui donne plein sud.

    En ce moment, elle raffole du lapin aux morilles, avec son éternel verre de Chablis. Assurez-vous qu’elle se nourrisse correctement. La cuisinière est déjà sur place, la femme de chambre également. Rajoutez deux gardes. Pas le blondin, il a tendance à lui conter fleurette, c’est agaçant. Et surtout, que le médecin fasse de suite route pour la Marche. Qu’il n’y bouge pas tant que mon fils ne sera pas né.

    Ecrivez-moi au moindre pépin,

    Z.


_________________

Eldearde.k
[Murat - Le 7 mai de l'an de grâce 1464]

Le rideau s'ouvre sur une scène bien connue de nos contemporains et spectateurs les plus assidus. Kierkegaard, une main déposée sur l'exorbitance d'un ventre-écrin prêt à dévoiler le joyau en son coeur conservé, est plantée au milieu de la grande route qui, sous son regard éperdu, déroule son fil de poussière dans la direction d'Aurillac, bourgade auvergnate posée quelque part derrière quelques placides collines. Avancer et distendre le lien ténu qui l'attache encore au Limousin, jusqu'à le rompre complètement et ne jamais - ô grand jamais - le renouer ? Rentrer d'un pas aussi coupable qu'hâtif dans un sursaut de résignation volontaire ? Voici le sempiternel dilemme kierkegaardien qui en ce début de mai ne manque d'accabler la future mère, comme il le fit hier et comme il le fera demain, étalant ses déchirants questionnements avec la régularité des engueulades comtales.

La dernière en date fait suite aux perpétuels déboires d'un Zolen visiblement peu enclin à la monogamie et prompt à titiller la glotte des pauvres nénettes en perdition du bout de son illustre langue. A la suite de quelques mensonges purement arryesques, moult bécots innocents se faisant baisers de Judas et diverses fausses promesses susurrées d'une voix suave, Eldearde avait finalement appris que son fiancé, non content de fouler du pied ses voeux d'irréprochabilité en faisant d'une conseillère l'objet de ses avances, s'était adonné à une séance de pelotage en règle avec cette même collègue un brin naïve, un poil impudente. L'engrossée qui, lors de cet écart éhonté, passait tout près de donner la vie de façon prématurée, isolée dans l'un de ces bourgs limousins dont elle se tamponnait le coquillage, avait alors fait ce qu'elle faisait le mieux : piquer une crise ; l'une de celles qui réduisent à néant l'argenterie et le mobilier du Château, la vaisselle de porcelaine ayant déjà trouvé une fin tragique (quoique héroïque) entre les serres d'une Kierkegaard blessée. Mais toute meurtrie qu'elle soit, Eldie n'en reste pas moins très stupidement in love et, malgré les encouragements/avertissements/conseils/sermons des âmes les plus chères à ses yeux, elle avait ENCORE abandonné la voie de la colère -qui lui sied pourtant si bien -, pour celle du généreux pardon et de la délicieuse miséricorde, nonobstant le peu de preuves concluantes de cette méthode de faiblards. Elle s'appliquait donc à faire taire les protestations indociles de son orgueil à l'agonie, aidée dans son entreprise par les délicatesses d'un Arry aux petits soins, plein de projets et d'élans romantiques, lorsque, mise en présence de celle qui avait reçu les faveurs illégitimes de l'aimé et face au comportement soudain dédaigneux et dépréciateur de celui-ci, elle avait vu ses crédules espoirs s'envoler avec la rapidité du Comte vidant un sachet de nougats.

Arrivée à Murat à la suite d'un voyage délicat où la banquette inconfortable avait trouvé bon de lui scier les reins pour accompagner l'incommodité de ses nerfs à vifs, Kierkegaard avait promptement réservé l'étage entier d'une auberge sordide, chanté pouilles à ses gardes dont le seul tort avait été de l'appeler "Comtesse consort", défait puis rangé ses malles surchargées, changé trois fois la configuration de sa piaule...avant de se laisser choir sur le vieux grabas pour pleurer tout son saoul. Chialer, le nouveau job à temps plein de l'ex-future-Zolen.
Et là, sur ce putain de ruban infini qui coule à travers forêts et coteaux, l'haridelle a la trouille : déjà s'impose à son esprit l'image d'une délivrance abjecte sur le bord d'un sentier, le sang souillant la terre assoiffée de ce printemps trop chaud et ses cris n'ayant pour auditoire que le silence sépulcral d'un chemin désert. Narbonne était l'objectif de ce départ que son égo malmené quémandait, mais l'enjeu ultime de son existence entière résidait en la survie de l'enfant qu'elle portait...et que cette vadrouille improvisée mettait indubitablement en péril. Face à ce constat qui s'érige, horrible et impérieux, l'hésitation n'est pas même permise. Aussi Eldearde tourne-t-elle subitement les talons, joignant vitement sa chambrée de quelques jours pour poser séant devant l'écritoire qu'elle avait évidemment réclamé à coups d'ordres tranchants.


Citation:
      Fée des bois,
    Pardonnez ce bref pli qui fait suite à votre longue et précieuse épître que je déchiffrai avec émoi. Me croirez-vous si je vous confie vous écrire de Murat, entourée de ballots et de bagages, jusqu'à peu désireuse de rallier Narbonne et vos bras d'amie sincère ? Vous connaissez mon compagnon et sans doute n'ai-je guère besoin de vous détailler la situation pour que vous compreniez le pourquoi de ce départ soudain...Un départ soudain et sans nul doute irréfléchi, mon Ali : les jours qui me séparent de l'accouchement sont bien courts, et la route jusqu'à vous bien longue. J'ai peur.

    Éternelle girouette pour une fois orientée par la bise salvatrice de la raison, c'est à contre-cœur mais sûre du bien fondé de mon choix que je fais demi-tour pour retrouver la grise Guéret où je me préparerai à enfanter, seule. Puissé-je faire montre du même courage que vous lorsque, isolée dans les dédales de votre manoir normand, vous donnâtes le jour à deux nourrissons en pleine santé.

    Je ne tarderai point à vous gribouiller plus longue missive, à la hauteur, cette fois-ci, de notre amitié.
    Pour l'heure, je pense à vous, et cette lumineuse songerie me donne espoir.

    Scellé le septième jour du mois de mai de l'an de grâce 1464, à Murat.
      Fée des près

Edit pour fautes qui me firent rougir.
_____________________

Arry
    [Limoges – le 4 août]

    Trois mois d’enquillés depuis la dernière crise notable du Zolen/Kierkegaard et Ô miracle suprême le seul à brailler désormais de manière récurrente c’était le marmot. Et contrairement à ce que prétendait la légende, non, les enfants n’héritaient pas forcément du meilleur de chaque parent. La preuve, celui du couple infernal se coltinait le haut débit vocal de sa génitrice et les sautes d’humeurs chroniques du paternel.

    Vas-y que je pète les esgourdes de toute la maisonnée pour avoir une triple portion de tétée.

    Vas-y que je lorgne sur les mamelons de la nourrice comme si c’était un rôti tout juste braisé.

    Vas-y que je te casse le séant parce que tu me brises les jumelles miniatures avec ta berceuse foirée.

    M’enfin, du haut de ses deux mois et demi et de sa tripotée de piaillements, il avait au moins eu le mérite de resserrer les liens entre les deux zigotos qui lui servaient de parents. Il était plus efficace qu’une platée d’excuses, une énième promesse de conduite irréprochable ou une myriade de bijoux tombés de la charrette. Ouais, engrosser un tendron, c’était le meilleur moyen de le garder et de lui faire oublier quelques écarts. Parole de fourbe.

    Puis, il fallait reconnaître un autre avantage au détenteur des quatre poils bruns sur le caillou : son dérangé de père en avait fait sa nouvelle lubie, oubliant par la même blondes, opium et tout autre objet de débauche dont il était si friand lorsque l’ennui se faisait sentir ou que le moral tendait à vaciller. Là, alors que Zolen contait une histoire digne du dernier tome des coucheries de la Mère Jacqueline à coup de mimes, voix changeantes et déformations de faciès sous la mirette curieuse de son pourri gâté de rejeton niché dans le creux de ses bras, il transpirait le bonheur à des lieues à la ronde. Son air habituellement à mi-chemin entre nonchalance et raillerie avait clamsé au profit d'une mine sincèrement enjouée aussi vite que feu de Troy transpercé par un sanglier lorsque Nathaniel avait eu l’audace de faire péter du sourire, une lueur de pure malice illuminant ses prunelles bleutées.

    « … Morale de l’histoire : les hommes sont des êtres simplets finis à la pisse de chaton et les donzelles des nigaudes qui retroussent aisément le jupon. »

    Tout au Minuscule à qui il faisait récit, Arry avait réussi à chasser de son esprit de manière momentanée et salvatrice la disparition impromptue du Mioss et l’absence pesante de sa gamine dont l’image ne quittait que pourtant rarement sa rétine. Culpabilité, regrets et idées noires reviendraient plus tard. Pour l’heure, il faisait risette et débitait ânerie sur ânerie. Ce qui n’échappa pas à l’esgourde traînante de la gouvernante campée sur le pas de la porte qui avait toujours le chic pour ramener sa couenne à l’instant opportun. Les paluches ancrées à ses hanches et le regard sévère, celle-ci scrutait père et fils.

    « Sauf ta mère et Madame Francine qui sont… des femmes tout-à-fait respectables. »

    Rame, rame, rame et enfonce-toi. Pas dupe pour un sou, ladite Madame Francine fronça davantage les sourcils devant la tentative vaseuse du Zolen de sauver les meubles.

    « Si vous le tenez éveillé toute la journée, il va encore trouver sommeil tard et se faire entendre au beau milieu de la nuit. »

    Et bla bla bla. Cette bonne femme avait le don pour briser l’ambiance, c’était incroyable. Habitué à ses tirades à deux ronds cinquante dont le Régnant récemment en retraite se cognait comme de sa première pucelle, il haussa nonchalamment les épaules.

    « Vous semblez aussi fraîche que la rosée du matin, vous serez donc en grande forme pour lui tenir compagnie lorsque nuitée sera tombée. »

    Rien de tel pour arranger son cas que de rajouter une dose de provocation. Un grand classique du Zolen. C’est donc sous l’œil furibond de la moralisatrice (évidemment employée par Eldearde) qu’Arry quitta la chambrée de son mouflet avec celui-ci conservé précieusement contre son torse. Il déambula dans les couloirs de la demeure des Kierkegaard qui s’était faite nouveau refuge jusqu’à ce qu’on daigne lui accorder lopin de terre qui lui revenait de droit après quatre mois passés vautré sur le trône comtal à s’empiffrer de chouquettes et à galocher vassaliquement du nobliau. Madame ex-future-re-future-ex Zolen fut dégotée sur la terrasse, un verre de Chablis à portée de main et un bouquin poussiéreux et certainement inaccessible pour le commun des mortels d’ancré à la dextre.

    « Votre fils a le même sourire que vous. Vous savez, celui aussi faussement poli qu’atrocement condescendant qui crie « Va gâcher ta salive ailleurs, sombre pécore. » »

    Paternel et marmaille avaient un sourire d'incrusté sur la face : l'un à tendance gentiment railleuse, l'autre aussi innocent que son créateur de taille réduite. Aujourd’hui était définitivement une putinasse de belle journée pour la petite famille.
Eldearde
    [Limoges - Le 9 août de l'an de grâce 1464]

Une menotte exsangue tendrement posée sur le bidou rosé d'un nourrisson haut comme trois pommes, les quinquets aussi bleus qu'expressifs, un duvet de tifs bruns enrobant le galbe parfait d'une tête assurément bien faite, Eldearde masse avec la dévotion d'une jeune mère émerveillée par sa propre création le ventre neuf de son fils. Car si Nathaniel Zolen était à n'en point douter la perfection sur pattes aux yeux de deux parents gagas, il n'en était pas moins sujet aux petites contrariétés propres aux nouveau-nés : hurlements à en faire vaciller la baraque, appétit d'ogre miniature, sieston le jour et grosse bringue la nuit...sans oublier les divines coliques qui vrillaient la panse juvénile et, conséquemment, les tympans de ceux qui partageaient les premiers mois de vie du mini-Arry. Maman poule/surprotectrice/gardienne autoproclamée malaxait donc l'abdomen de son rejeton comme on manipule un trésor, fondant littéralement de dilection et de joie à chaque sourire édenté esquissé par l'enfant choyé.

Le bambin récemment débarqué n'avait pas seulement transformé la psychorigide Kierkegaard en une espèce de guimauve extatique suintant l'amour maternel par tous les pores de la peau : la puissance de cette nouvelle vie balbutiante agitant petons et poings minuscules avait resserré sans commune mesure les liens unissant ses deux barrés de géniteurs qui, pour la première fois depuis Mathusalem, avaient laissé querelles au placard et porcelaine au vaisselier. Un traité de paix conjugale avait implicitement été signé lorsque le petit gars cramoisi avait poussé son premier cri, associant père et mère dans le plus grand projet d'une existence entière : faire de cette crevette braillarde l'homme vif, digne et droit (selon les vœux de sa môman) qu'il était appelé à devenir, au sein de l'atmosphère apaisée d'un ménage solide.

Solides, Arry et Eldearde l'étaient, et ce malgré pléthore de péripéties matrimoniales qui n'avaient pas manqué de les ébranler - voire briser, piétiner, broyer, pulvériser, atomiser. Mais que pouvait-il advenir maintenant, alors que sous la paume de la brunette et l'épiderme aussi fin que du papier de soie battait un coeur modèle réduit à la vigueur sans pareille, conçu dans l'union de deux autres palpitants qui nonobstant quelques discordances bringuebalaient le plus souvent à l'unisson ? Leur amour ne craignait plus rien puisque désormais personnifié, matérialisé sous les traits parfois flegmatiques mais souvent malicieux d'un héritier Zolen qui pour l'heure ne savait que téter, pieuter et bouser, parfois même de façon simultanée.
L'ex-Comte, à la définition de l'éducation toute personnelle, mettait autant d'entrain à bercer son benjamin à coups de berceuses grivoises qu'à vider son bol de lait miellé, se révélant plus présent encore qu'Eldie n'aurait pu l'espérer, collé au berceau de sa progéniture comme il l'était autrefois à l'arrière-train de toutes les blondines de la contrée. La jeune femme n'ignorait rien des tourments et autres chagrins créchant vilement dans les pensées de l'aimé et que l’œil polisson de Nath savait brièvement atténuer. Mais pour une fois, Kierkegaard avait choisi de laisser close un grande jappe devenue célèbre pour ses capacités vocales, préférant passer sous silence ce qui ne saurait être exorcisé de quelques mots vides de sens, et dont seuls les longs mois doucement égrenés pouvaient venir à bout.


Pardonne moi mon amour, je dois t'abandonner pour écrire à l'autre homme de ma vie, sinon nous risquons la terrible bouderie arryesque et la mise à sac du placard à sucreries à son retour, confie la jouvencelle à son lardon tout occupé à tenter de choper une mèche brune échappée de la coiffe maternelle de ses petits doigts boudinés. Délicatement, l'enfançon est déposé dans l'écrin des bras de Francine et l'écritoire massif est rallié de trois pas rapides. Rémige favorite à la dextre, l'épître à l'amant est soigneusement tracée avec, pour fond sonore, les adorables gazouillements du détonnant mélange Zolen/Kierkegaard.

Citation:
      Éternel fiancé, salut,
    Si vous n'êtes pas encore cané, ce dont je vous saurais gré, veuillez recevoir le pli promis par votre dévouée ̶e̶t̶ ̶d̶o̶u̶c̶e̶ future épousée. Nul besoin de me perdre en discours larmoyants pour vous confier à quel point vous pouvez me manquer : ça, vous le savez déjà, et c'est préserver votre monumental égo que de ne point trop le répéter. Donc, oui, je me languis déjà de vous et de votre trogne d'adorable abruti. Voilà, c'est dit.
    J'ose espérer que vos collègues d'infortune, reconnaissant votre incontestable supériorité, vous auront laissé le meilleur grabat, et que la boustifaille dont on remplit vos auges se révèle plus goûtue que la mienne, sinon vous allez encore nous revenir de sale humeur. Et Deos sait qu'il vaut mieux se taper suante, peste et morpions qu'un Zolen grognon.

    Si votre fils pouvait vous réclamer, nul doute qu'il le ferait : il semblerait que les histoires de la Reyne Guenièvre chevauchant le Roy Arthur ou de "Gigolo et greluchon s'en vont en chasse" soient nécessaires à son équilibre, du moins intestinal. Car oui, depuis votre départ et pour notre plus grand déplaisir, Nath s'est remis à chier mou, ce qui, vous le devinez, importune nos esgourdes mais aussi et surtout notre nez. Soyez donc miséricordieux et revenez-moi au plus vite, avant le décès total et irrémédiable de mon odorat. Le fair-play et le respect de l'adversaire n'existant point dans domaine impitoyable de la rivalité parentale, sachez que je profite activement de votre absence pour balancer à notre rejeton du "maman" à longueur de journée et que "putinasse" ne sera JAMAIS le premier mot issu de cette merveilleuse petite bouche innocente.

    Enfin et parce qu'il faut bien conclure par quelques recommandations soporifiques de circonstance : sachez, Zolen d'mon cœur, que si vous quittez la Canéda des mirettes ne serait-ce qu'un millième de seconde, je le saurai, et qu'à votre retour le supplice de Tantale sera bien peu de chose face à ce que je vous ferai subir. Prenez aussi soin de vous, accessoirement. Et lisez Platon pour vous guérir des couillonnades de la soldatesque, il en va du salut de votre âme.

    Je vous aime. Nathaniel vous aime (quand il n'est pas trop occupé à manger ses orteils).

      Kierkechou

_________________
Eldearde
- Ces gens vous ennuient-ils autant que moi?

- Je ne suis pas venu pour la fête... Je suis venu pour vous.
Je vous observe depuis des jours, vous êtes la femme dont nous rêvons tous.
Il ne s'agit pas que de votre visage ou votre... votre allure, votre voix.
Ce sont vos yeux. Tout ce que je vois en eux.

- Et que voyez-vous dans mes yeux?

- Je vois un calme profond et trouble, et cette fuite vous fatigue.


Mindpleasure & Friends - Où es-tu mon amour



Ils avaient tenu six mois : une vingtaine de semaines sans s'en foutre plein la trogne, sans voir de porcelaine voler à travers le petit salon pour venir finir sa vie contre le mur - à trois centimètre de l'esgourde arryesque -, sans écrabouillage gorissime de petit palpitant amoureux, sans langue malencontreusement égarée de la part de monsieur, sans valises bouclée dans la chambrée de madame etc. Le Limousin entier s'était vu privé de l'une de ses distractions favorites, à savoir les prises de bec devenues célèbres du duo d'irrécupérables énergumènes dont la violence des décibels faisait jadis jaser leurs contemporains des frontières berrichonnes à celles du bourbonnais. Et, comme le résumait avec sagesse le vieux Bernard, entre une lampée de spiritueux et un rot aussi tonitruant qu'odorant : "Sûr, c'moins drôle, mais faidédi* c'qu'même vach'ment plus calme".
La plus grande réussite du tandem pittoresque, c'est à dire la réunion de toutes leurs plus belles imperfections dans le corps minusculement parfait d'un chiard en couche-culotte, était à n'en point douter la raison première de cette nette réduction du volume sonore chez les glorieux Zolen : si les deux olibrius s'avéraient être de piètres conjoints, leur volonté de se faire parents exemplaires leur avait fait tirer un trait sur leurs gueulantes de compétition; pour le bien-être du marmot, bien sûr, mais aussi parce que leur nouveau-né à peine débarqué dans le game les battait déjà à plates coutures à "Qui braille le plus fort ?".

En bref, Eldearde et Arry avaient tout pour être heureux, de la descendance replète faite à leur image aux amis courageux capables d'endurer leur terrible présence, en passant par quelques boucs-émissaires désignés pour assouvir leur fâcheuse tendance à la mauvaiseté. Sauf que, pas de veine, il se révélaient autant doués pour le bonheur que Kierkegaard pour la cuisine ou Zolen pour l'abstinence : en d'autres termes, ils avaient à peu près aussi peu d’aptitude à la sérénité extatique qu'un poivrot dépressif et endeuillé de sa famille entière. Chez le specimen masculin, cela prenait la forme d'une lassitude mélancolique sur fond de colère latente que l'intéressé traînait de taverne en tripot afin que chacun puisse dignement profiter de ses grognements mécontents. Pour l'individu femelle, il s'agissait davantage d'une sorte de léthargie apathique dont même ses bouquins ne parvenaient à l'extraire et qu'elle se convainquait être un genre de béatitude tout particulier, persuadée qu'elle était de sa propre volupté. Bien entendu, le tout était agrémenté de querelles nouvelle génération, moins explosives mais plus vicieuses que leurs versions précédentes et dont les capacités de destruction se révélaient somme toute assez similaires à celles du modèle antérieur de LA dispute du couple infernal. A l'instar de la coulante, ces esclandres 2.0 pouvaient survenir n'importe où, n'importe quand, à la simple prononciation d'un des prénoms tabous/interdits/sacrés, à la moindre anomalie d'un regard ou d'un geste, à la seule évocation d'un événement passé et lié, de près ou -souvent- de loin, aux souffrances endurées. Parfois, l'échange de coups expirait avec la survenance de coups d'une autre nature, accompagnés non plus de remarques tranchantes mais de râles transportés. Plus régulièrement, Eldearde ralliait seule leur humble bicoque où sommeillait tranquillement le fruit de leur amour chaotique et se glissait seule dans la froideur d'un lit qu'Arry ne viendrait point réchauffer.

Toujours est-il que, lors de l'un de ces instants fastes où les ex-probables-futurs-époux transsudaient l'amour-passion dont leurs cœurs versatiles savaient occasionnellement faire démonstration, ces derniers s'étaient accordés pour une brève excursion jusqu'aux plages océanes, sorte de parenthèse dédiée à tout ce qu'ils étaient de beau et d'ardent, à tout ce qu'ils avaient le désir de conserver intact, inaltéré.
Eldearde, qui n'espérait plus cette expédition longtemps souhaitée, s'était mise en tête d'exprimer de façon toute kierkegaardienne son contentement frôlant la jubilation hystérique, et avait, dans ce but précis, mis les petits plats dans les grands -rien à voir avec une quelconque tentative culinaire, que le palais de Zolen se rassure. A ce gaillard là, cet enfant dans un corps d'homme, ce père à la fois poule et paon, cet esprit aussi brillant que le crâne lustré d'un cureton, cette âme changeante à la manière d'une journée d'automne, cet être miroir au travers duquel elle s'observait grandir, elle désirait donner l'assurance de l'entièreté de son engagement, de l'absolu de ses promesses, chose pour laquelle les mots et grandes déclarations atteignaient fort vite leur principale limite : celle de leur insondable viduité.


***

Le quatorze novembre au soir, les malles étaient finalement bouclées et patientaient tranquillement de se voir hissées sur le coche auquel les chevaux n'avaient point encore été harnachés. L'agitation fourmillante qui précède toujours aux départs venait de retomber subitement, comme un soufflet sorti du four, et la quiétude reprenait peu à peu ses droits au sein de la maisonnée et de ses domestiques jusqu'alors affairés à mille et une tâches.

Fait étonnant, pour ne pas dire inquiétant : Kierkegaard s'était faite belle.
Genre vraiment belle.
Durant l'après-midi entière, elle s'était frictionnée chaque centimètre carré de l'épiderme au savon d'Alep, veillant à ce qu'aucun recoin de son anatomie ne soit épargné par la morsure du lessivage; elle avait usé d'un onguent précieux -et hors de prix- à base de graisse de chevreuil et d'infusion de saponaire pour faire de sa crinière indisciplinée une cascade fuligineuse et chatoyante venue mourir à la cambrure de ses reins; elle avait orné les deux orbes lactescentes de son décolleté et le creux joliet que dessinait l'espace entre ses clavicules de quelques gouttes d'essence fleurie. La frêle carcasse méticuleusement soignée et parfumée s'était ensuite glissée dans le fourreau d'une robe à la mode italienne dont la coupe seyait idéalement à la morphologie fuselée de ce corps magnifié par son éclatante jeunesse : habilement corsetée, la taille gracile était mise à l'honneur, à l'instar de la poitrine menue que l'étroit de la gaine faisait délicieusement saillir. Le soyeux du tissu vermillon dévalait la pente d'une paire de guibolles qui n'en finissait pas, l'épaule dénudée appelait les baisers de l'ivoire de sa courbe et l'enveloppe juvénile ainsi délicatement parée ne s'encombrait que d'un bracelet d'argent cerclant le délié du poignet droit. Les particularités attachantes du minois taillé à coups de serpe avaient été exquisément soulignées par l'entremise de quelques artifices tout féminins : une poudre rosée accentuait légèrement la rudesse des pommettes, l'angle aiguë de l’œil avait été ponctué d'un unique trait de noir et la finesse de la lippe se voyait ourlée d'un rouge discret.
En un mot comme en cent, le tendron d'écarlate vêtu et planté au milieu de ce salon faiblement éclairé présentait les touchants attraits de l'amante sublimée dans l'espoir de recevoir une oeillade envieuse issue de l'être vénéré. Ce dernier, d'ailleurs, était à n'en point douter sur le chemin le menant à la douceur -relative- de son foyer.

Sur la table, une carte de l'itinéraire gribouillée par une brunette créative et, à l'endroit du point sombre indiquant "La Rochelle", un petit sachet de soie cousu de fils dorés dont le contenu n'attendait que d'être découvert.




* "Nom de Dieu" en patois limousin.

_________________
Arry
    On a pourtant voulu croire qu'Arry s'était assagi, qu'il s'était délesté de ses mauvaises manies et avait endossé avec brio son rôle de père et presque mari. Mais nan. Que dalle. Nada. S'il a su se montrer à minima convaincant durant plusieurs semaines d'affilée - ce qui est déjà monumental pour sa trogne de goujat -, ces temps derniers le naturel revient au triple galop, et puisque le zozio ne fait jamais dans la demi-mesure, il n'a pas manqué de renouer avec la majeure partie de ses fâcheuses habitudes : de la langue insolente qui s'égare, à l'alcool qui coule à foison, sans passer outre ses terribles excès d'humeur. A une autre époque, il aurait sûrement été plus aisé de dégoter excuse(s) à son comportement foireux. On aurait flanqué la tromperie sur le compte de la fougue de la jeunesse, son instabilité chronique se serait justifiée par un ciboulot bouffé par les drogues et sa trouille marquante de s'engager aurait été expliquée par un ou deux événements dont on aurait bien forcé l'aspect tragique pour faire chouiner dans les chaumières. Là, c'est cuité. Le gus s'est quand même doté de la "formule 100% bien-être" : Kierkegaard qu'il aime de manière irraisonnée et qui le chouchoute comme un pacha depuis bientôt deux piges, sa fierté de mouflet qui pète la santé, suffisamment de ronds pour le reste de son existence et une vie menée dans sa province d'adoption au milieu des siens. M'enfin, visiblement, Arry et le Bonheur, c'est pas le pied ultime. La tranquillité, l'apaisement, les plaisirs simples, il rejette en bloc, consciemment ou non, égoïstement toujours.

    Résultats des énièmes égarements du Zolen : sa femme s'est tirée à Ventadour à quelques jours d'un mariage depuis longtemps attendu, son cervelet flotte fréquemment dans une mare de piquette et, en prime, il s'est, sans trop vouloir le réaliser de suite, embourbé dans une relation des plus tendancieuses avec un brin de dimzelle à la frimousse bien trop familière. Nul doute que les problèmes auraient été moindres s'il s'était borné comme toute raclure de compagnon/fiancé/mari à trousser la première greluche croisée pour la jeter aussi vite que jupons auraient été soulevés. Mais puisque l'ex-Régnant ne s'aligne pas sur les classiques, il trempe dans des histoires tordues qui défient les lois de la morale, versent dans le malsain et aboutissent en règle générale à un chaos sans nom. Cette fois ne ferait certainement pas exception à la règle, les conséquences vont tomber dru et les remords se faire durement ressentir.

    Alors qu'il a donné congé à tous les domestiques de la maisonnée pour la journée et qu'il repose sur le plumard marital, une lettre de Kierkegaard reçue récemment attachée à la mimine et son bout de chou gigoteur qui le scrute de ses mirettes éveillées, sa culpabilité lui revient pleine face. Il n'est guère rare qu'il se comporte comme le pire des enfoirés (et ne s'en cache absolument pas) mais éloigner la Mère et le Fils, même momentanément, c'est plutôt merdique. Mais bon. Vu ce qu'il cumule, le titre de pire promis de l'année doit être à portée de main désormais.

    Mon tout petit, mon premier né,
    Sans doute te demandes-tu où est passée la berceuse du soir, les comptines de l'Aurore, et la voix parfois un tantinet suraiguë qui faisait de la maison un véritable caquetoire.
    commence le Zolen d'une voix feutrée alors qu'il fait part au Minuscule des mots que sa mère a couchés à son intention. Les jeunes garçons idéalisent bien souvent, et ce jusque fort tard, la tendre figure maternelle, paradigme de la douceur et de l'amour inconditionnel, mais je tiens à ce que tu saches, à l'aube de tes premiers jours, que la Mère n'est qu'une femme quelconque, fautive en tout, infaillible en rien. Pardonne moi de ne pas même avoir orné ton front d'un long baiser d'adieu mais je ne méritais pas, ce jour là, d'effleurer de ma bouche l'épiderme fragile de ta jolie trombine. Il y a une part de Démon en chacun de nous, petit homme, et la maternité ne nous en délivre malheureusement pas.

    Si du haut de ses six mois, le gamin ne risque pas de piper quoi que ce que soit à ce que son paternel lui chante, le plus âgé, lui, imagine sans mal sa fiancée à trente lieues d'ici se faire du bile pour la chair de sa chair et les mots résonnent douloureusement en lui.

    Sache, cependant, que cela m'arrache le coeur de ne pouvoir te serrer contre lui et que tout en moi se meurt quand la vue de ton sourire ne met pas fin à mes nuits. Je compte et recompte toutes les heures qui me séparent de toi et les méprise intensément de se dresser ainsi sans vergogne entre mes mains et mon Fils. Mon Fils.
    Arrache à ton Père quelques petits rires joyeux car j'y échoue moi-même et ne récolte pour l'heure qu'une colère justifiée. J'ignore ce qu'il reste de nous deux si ce n'est ta frimousse, Merveille parmi les merveilles, unique preuve que nous fûmes un jour heureux.


    Le palpitant vrille sur la fin et sa voix d'habitude si nonchalante et assurée subit les aléas de ses émotions et se transforme en un faible murmure lorsque les derniers mots sont prononcés.

    Je t'embrasse, Nathaniel, avec toute la ferveur d'une Mère en exil.

    Maman.


    Avouons-le, sur le coup, Arry n'en mène pas large. Il en a les prunelles qui picotent et la gorge en vrac. Pour sa défense, faut dire que sa gonzesse a la plume plutôt efficace et qu'il est déjà sentimentalement éprouvé. Quelle petite nature, ts.


Citation:
Eldearde,

Notre fils ne devrait être nulle part ailleurs qu'avec vous. Il se languit de votre présence. Vous aurez tôt fait de le retrouver, je vous le promets.

Vous n'avez commis aucun impair, ni avec lui, ni avec moi. Vous êtes la meilleure Mère que Nathaniel aurait pu se targuer d'avoir. Je n'en doute pas, ne le faîtes pas non plus.

Gardez également en tête que s'il y a une chose qu'il est certain que notre mouflet et moi ayons en commun, c'est vous et l'amour que nous vous portons. Comme pour lui, vous êtes la personne qui compte le plus à mes yeux, celle pour laquelle mon palpitant bat le plus fort.

Prenez soin de vous,

Arry.



Hrp : Même si ça va de soi, je préfère préciser et rendre à César ce qui est à César : je ne me suis pas découvert les talents de poète de JD Kierkegaard : l'extrait de lettre lu par mon gus a été envoyé IG par Eldie.
_________________
Eldearde
[XMAS SCENE]


    [Guéret - 25 décembre 1464 au soir]
La pièce n'est éclairée que par la lueur du brasier qui gambille dans l'âtre, léchant parfois d'un trait de lumière le pan d'un mur ou le glabre d'un visage, à la faveur de la sinuosité d'une flamme, d'une braise incandescente. Les effluves d'un repas copieux flottent encore dans l'air, laissant aux narines un doux fumet de sauce au vin mêlé à la forte odeur du suif bovin, distillée par les quelques dix chandelles allumées durant toute la durée du souper. La table massive est désormais désertée par ses occupants repus et n'expose plus que les cadavres des assiettes vides, des mets entamés et des plateaux nus : là, un rôti de chevreuil qui ne conserve que ses morceaux les plus ingrats; ici, trois pauvres châtaignes cuites au feu de bois et ayant survécu au massacre de leurs congénères; non loin, les miettes d'un assortiment de chouquettes dont il ne reste que le plat...Avec cela, une demi-douzaine de coupes ciselées reposent également sur la nappe brodée, certaines bues jusqu'à la lie, d'autres encore ornées d'un fond de cidre doux ou de vin chaud qui ne l'est plus tant que ça.

Loin des restes de la débâcle culinaire, dans le giron chaleureux d'une cheminée ronflante, deux caquetoires et une table basse tiennent la pause, tous trois singulièrement encombrés. La console est recouverte des présents tout juste déballés dans le plus pur respect d'une tradition pourtant souvent moquée par les occupants des lieux et, malgré le fatras bariolé et la pénombre rampante, les contours de quelques uns de ces précieux bibelots se dessinent à l’œil curieux.
D'une mère à son fils, un mobile suspendu qui, une fois arrimé au plafond, fait lentement tournoyer quelques silhouettes volatiles de mésanges et de hérons, seule espèce animale qui n'inspire point de babillements apeuré à la bouche de l'enfançon. La daronne zélée qui, bien que ne sachant rien faire de ses deux mains, avait tenu à tout réaliser à la sueur de son front, jusqu'à la découpe des formes ailées dans ces foutues billettes, y avait pratiquement laissé une phalange et, il faut bien l'avouer, avait baptisé son ouvrage d'une ou deux larmichettes.
Pour l'amant et objet de tous ses tourments, l'épouse a porté dévolu sur une pipe en bois de noyer et au brûlot intaillé de tout un assemblage de toitures que l'on devine parisiennes grâce aux illustres lignes des tours de Notre-Dame, accompagnée d'une cassette boisée contenant des sachets d'herbes diverses destinées à disparaître en ronds de fumée : brins de lavandes séchés, plante réputée pour sa fumerolle parfumée et sa capacité à couper soif et faim en une poignée de bouffées; queues de lion aux épis orangés dont les effets puissamment relaxants ne manquent pas de faire jaser; houblon émietté pour chasser d'une large inspiration angoisse et anxiété; laitues vireuses à l'action prétendument similaire aux produits thébaïques tout en demeurant bien plus tempérée; feuilles de cassis pour l'haleine fruitée. A la bouffarde ornementée et à l'herbier des tranquillisants façon Mère Nature, l'Amoureuse avait adjoint un fermail d'or fin commandé des mois auparavant au meilleur orfèvre de la Province et dont elle avait longuement peaufiné chaque détail, chaque ornement, en compagnie de l'artisan blasé qui l'écoutait discourir sur la profonde symbolique des deux paluches liées.

Dans le premier fauteuil aux tapisseries usées, une jeune donzelle qui, sans doute, n'a pas atteint la vingtaine malgré un minois à la fraîcheur fanée par l'entremêlement de ridules soucieuses, repose sa carcasse rassasiée. Le renflement tout juste perceptible pointant sous la maigre opulence de ses seins, et qu'une paume laiteuse flatte machinalement, indique l'attente de ce que l'on espère un heureux événement. L'iris, aussi clair que le cheveu est sombre, ne semble avoir que faire des largesses amoncelées ou du ballet des flammèches en robes d'étincelles, tout entier absorbé par la contemplation de ce qui se trouve dans le siège jumeau. L'homme avachi pique un roupillon, digestion de onze livres de sucreries oblige, le cabochon dodelinant au moelleux du dossier rembourré et les pieds nus sur la natte de jonc. L'une de ses menottes pend mollement par dessus l'accoudoir quand la seconde enveloppe avec soin l'échine du bambin qui sommeille, étalé à même la panse paternelle, en bavouillant allègrement sur la liquette vermeille.

_________________
Eldearde


    - Des pétales de roses, sérieusement ?
    - Oui, Madame.
    - Vous vous payez ma tronche, Francine ?
    - Non, Madame.
Deux minutes plus tard, Kierkegaard dépouillait donc par poignées le bouquet de roses écarlates acquis pour l'occasion et bazardait les pétales orphelins sur la courtepointe du plumard nuptial, le front grignoté de deux sourcils arqués et profondément dubitatifs, jouvencelle s'interrogeant sur la finalité d'une pratique aussi écologiquement immorale. Peut-être était-elle censée évoquer la pureté originelle que le premier partage d'un lit sacrifiait, sur l'autel du sacro-saint mariage, d'une tâche vermeille échouée à l'écru des draps, la fleur symbolisant à la fois l'hymen déchiré et la féminité exaltée....mais, nonobstant tous ses efforts intellectuels de théorisation, l'haridelle ne parvint point à saisir l'aspect romantique de ce massacre fleuri étalé sur l'édredon.
Car ce fameux "romantisme" à la nébuleuse définition était le fil rouge qui guidait le réaménagement complet de la chambrée du jeune couple, et ce pour les exigences d'un stupide défi lancé par un Arry inspiré qui, lorsqu'il s'agit d'énumérer des idées farfelues, jamais ne se la boucle. Oui, quand le duo Zolen se sentait prisonnier des frontières d'un Comté fatigué et des axiomes indiscutables d'un avenir à deux, ils se distrayaient de quelques gentilles bravades supposées titiller les points faibles de l'amoureux, tout cela encadré par les règles bienveillantes d'un petit jeu : chacun des protagonistes de ce tandem infernal avait confié trois missions à son très cher rival et victoire reviendrait à celui qui se ferait fort de leur réalisation intégrale. Or le fourbe mari avait frappé un grand coup avec l'une de ces démonstrations d'affection publiques qui l'agaçaient prodigieusement et qu'Eldearde avait réclamé d'un sourire provocant, rajoutant la condition d'un baiser au sein d'un Castel comtal en proie à son constant fourmillement.

Réplique était donc soigneusement échafaudée avec la réalisation du challenge le plus vil d'un chevrier qui tapait toujours dans le mille : "Organiser une soirée romantique pour l'époux idyllique". Sauf que que Kierkegaard, grosse tête de première, ses centaines de bouquins et ses modestes expériences ayant su la garder terre-à-terre, s'était dépouillée de ses penchants "fleur bleue sentimentale" depuis belle lurette et que, chez elle, les longues déclarations vibrantes se voyaient souvent détrônées par divers jurons déclamés à tue-tête. Aussi s'était-elle résignée à faire appel aux bons conseils de sa popotière dodue qui, malgré ses (au bas mot) millions d'années, était restée une princesse romanesque aux aspirations ingénues. Cette dernière s'était fort impliquée dans l'élaboration du projet et se posait désormais en conseillère matrimoniale & organisatrice de soirées "ravivage de flamme", talonnant sa maîtresse en déversant sur sa caboche une foule de recommandations expresses : "Chaude mais pas trop tiède l'eau du bain, Madame", "Laissez votre fils à la nourrice et n'en parlez point trop ce soir, Madame", "Vindieu ! Pas de lampe à huile, des chandelles Madame, des chandelles", "Une robe noire Madame ? Et pourquoi pas un voile mortuaire pendant que vous y êtes !".

Finalement, une fois passée l'étape délicate de la préparation qui vit la jeune donzelle voguer de perplexité en consternation, l'incurable sceptique dût admettre que le rendu final se paraît des attraits d'une belle invitation. En franchissant le seuil de la piaule, le visiteur, que l'on espérait crédule, tombait sur une table ronde et blottie dans le creux de l'alcôve, couverte d'une nappe blanche et dressée, pour deux, avec les couverts du dimanche. Entre les coupes de cristal, un Chambertin grand cru (ou l'une des meilleures bouteilles du siècle) trônait avec panache alors que des cuisines montaient les fragrances sucrées d'un repas à base de pâtisseries et d'onctueuse ganache. Aux poutres serpentait une guirlande de lampions qui dessinaient à la pierraille des murs de larges cercles de lumière dorée, comme autant de petits soleils allumés à la surface du plafonnier, et dont la lueur faisait renfort aux cierges embrasés à l'entour du baquet. Le cuvier en question, au fond et rebords habillés de la douceur d'un grand drap clair, était saturé d'une onde délicatement fumante à la surface ornementée de fleurs de saponaire, dont les fraîches senteurs ne connaissaient point encore d'égales. Et pour l'ambiance florissante comptaient également les pigments rubiconds de ces dizaines de pétales qui garnissaient le matelas d'une sorte de duvet lustral.

Elle avait gagné.




Il est tard lorsque Kierkegaard retrouve son foyer, claquant le battant de la lourde derrière elle avec toute la fureur qu'un corps peut exprimer. Les couloirs sont arpentés à grandes enjambées qu'entravent les tissures trop lourdes d'une robe qu'elle voudrait mettre en pièces, les dalles semblant se dérober une à une sous ses semelles épaisses quand ses gambettes, par elle ne sait quel miracle, demeurent fermes et assurées malgré un palpitant qui tempête. Avec force fracas, demoiselle fait irruption dans la pièce des mille attentions et s'empresse de souffler chacune des bougies dont l'étincelle ne s'est pas encore noyée dans sa propre cire avant d'arracher, d'un geste plein de désespoir, le chapelet de lumignons dont la simple vue suffit à la faire souffrir. Du noir, plus de noir, du noir à en mourir. Ordre sec est donné aux quelques domestiques ameutés par le barouf de distribuer aux miséreux des ruelles limougeaudes l'intégralité de la bouffe tandis que, d'une paluche fébrile, elle chasse de son pieu toutes ces horribles larmes grenat et débiles.
Arry, elle l'avait trouvé en taverne, dans un fauteuil avachi, alors qu'elle le cherchait d'une démarche bondissante pour exposer avec fierté la toute beauté de son défi réussi. Malheureusement, ils s'étaient laissés aller à faire ce à quoi ils ne devaient ô grand jamais s'adonner : parler. Pis encore, parler de Canéda et de son prochain retour dans son Limousin si terriblement gelé et si horriblement plat. Puis il l'avait dit, sans froncer, sans ciller, sans bégayer : entre sa jeune épouse et cette nana là, il ne choisira pas, malgré l'ultimatum posé par celle qui porte son nom et qui, de son fils, accoucha.
Or choisir de ne pas choisir, c'est déjà un choix.
Le bain est froid.
La rage s'est tue.

Elle a perdu.

_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)