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[RP] Veto

Evroult

    C’était un jour sans. Sans envie, sans passion, sans soleil. L’hiver avait remonté son lourd manteau gris sur ses épaules, enfonçant sa lame de givre jusqu’aux os des plus habillés, giflant de son souffle sec la moindre parcelle de cuir découverte. Oh, le jeune éphèbe n’avait pas eu l’occasion de vérifier la chose de lui-même tant il avait préféré dormir plutôt que de pointer son minois empreint d’ennui dehors. Seules les joues brûlées d’une clientèle anesthésiée & son attroupement devant l’âtre du bordel en témoignait, ça, & l’épidémie ayant frappée les catins avant l’arrivée d’Evroult.

    Ce malheur avait bien évidemment tourné en sa faveur. La maquerelle, puisqu’il fallait qu’il tombe aussi souvent sur des femmes de tête, n’avait pas hésité l’ombre d’un instant à la demande : gîte & couvert contre une paire de fesses en plus. Il lui fallait du monde, & des hommes surtout, puisque le dernier mâle qui lui restait mouchait plus qu’un môme en plein caprice, quitte à ne pas même chercher à tester la marchandise proposée. Alors il était là, las & vidé de la nuit précédente, trinquant au morne de la saison & à la platitude des conversations qu’il extrayait difficilement des rares filles présentes. C’est qu’en plus de n’être pas bavardes, elles semblaient toutes idiotes.

    L’épaisseur du Prunelard qui tapissait son verre n’arrivait pas plus à le raviver. Les seules femelles présentes préféraient goûter le con, & il avait du le répéter deux fois pour que la matrone l’accepte : il était homme à femmes. C’était non négociable, une évidence à laquelle il n’avait souffert aucun écart. De fait, c’était un jour sans. Sans clientes, sans conversation, sans… vin.

    - Tu me ressers, amour ?
    - Tu vas cramer ta faible paie à nous vider les bouteilles, Chasseur ?
    - Sois pas mauvaise, Jeanne… je m’occupe.


    Un haussement d’épaule lui répondit, bientôt suivi du glougloutement d’une coupe qui se remplit. La blonde Jeanne s’était déjà détournée, laissant Evroult à sa morosité & à son verre de vin qui, il fallait bien l’avouer, lui montait déjà à la tête en colorant ses pommettes. Décidément, c’était un jour sans.

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Edern



    Les jours et les nuit s'inversaient sans laisser la moindre chance de guetter la chaleur des multiples vaisseaux solaires. La lune, charmante, enveloppait n'importe quel promeneur nocturne de son sombre manteau reposant tandis que le soleil se faisait timide pendant les longues journées d'hiver, oubliant même d'irradier la région d'une douce effervescence. Rarement Edern avait regretté les sorties au crépuscule d'une journée oisive. Le froid, pinçant, revigorait l'esprit comme le corps, obligeant les pas à se mesurer au parterre de neige. Les rêves enfin prenaient formes pour aboutir à l'ultime intérêt de la balade obscure. C'était ainsi, qu'en fin d'après-midi, s'étendait l'indolent bourgeois dans le lit qu'il louait pour quelques écus à une auberge au cœur de la ville. Avec toute la lenteur d'une âme engourdie, le Trentenaire se préparait. Notable. Chaque détail était choisi pour complaire: Vêtements, couleurs, parfum, accessoires, bourse. Une satisfaction apparente était l'élément décisif pour quitter la pièce et signalait que la nuit quotidienne débutait, l'envie de consumer dans les poches. L'argent serait gaspillé, la cuite assurée, et le stupre amené à son apogée.

    Malgré ces heureux présages, la flamme des plaisirs jouissifs s'était éteinte au fur et à mesure que les habitudes se prenaient dans le lieu de débauche. Les femmes commençaient à toutes se ressembler, les rares hommes présents s'ils n'étaient pas clients étaient aussi intéressants que les niaises du coin ou trop efféminés à son goût pour une pleine satisfaction. Comble de l'ironie, les femmes s'accouplaient à foison. L'alcool, fidèle ami, était le seul secours à son ennui morbide, rendant ses exigences à la baisse par désespoir de cause. Mais ce soir, même les jolis nibards d'une prostipute sur ses genoux finirent par l'exaspérer. Les marrons arrogants se déposèrent dans un froid sourire sur le visage fallacieux. Edern, affalé au fond d'un fauteuil, caressait du bout du pouce son verre vide qu'il tenait, agacé par la seule présence féminine qu'il jugeait désormais comme envahissante et désagréable.

    Lassé, les mots finirent par s'échapper dans un signe de main désobligeant.


    « Dégage chérie, t'es pas bandande »
    «Tu ne disais pas la même chose hier »
    « J'avais beaucoup plus d'alcool dans le sang.»

    Libéré de tout poids, l'horizon était enfin à sa disposition: Couple, couple, femme, soupir, couple, femme, exaspération. Avoir des potes était nécessaire quand on se résignait de se la mettre derrière l'oreille, faute de cul. Cependant, il n'était pas dans sa nature de faire vœu de chasteté, ni une journée et encore moins une vie. Un dernier coup d'œil vers le néant de son verre le convainquit de traverser la pièce jusqu'au bar. S'il avait réfléchi un instant, il aurait demandé à la catin avant de la congédier. Cependant, contre tout hasard, il n'était pas le seul à se faire chier dans le coin et aucune courbe féminine pour le blaser. Définitif, Edern s'installa à côté d'un homme brun.

    S'adressant directement à Jeanne - s'il avait un quelconque talent pour retenir les noms, il était bien caché.


    « Trésor, la bouteille s'il te plait. »


    Nulle question dans sa requête, il était demandeur, client, et client avec de l'argent qui honorait ses dettes chaque jour peu importe leur montant. Un simple sourire accompagné d'un signe de tête suffit en guise de remerciement. Saisissant l'objet de son intérêt, il se tourna vers son voisin pour prendre le temps de l'observer quelques secondes, remarquant jusqu'aux couleurs qui embellissaient ses pommettes: Edern venait de trouver son nouveau jouet du soir. Miracle. Ainsi, sifflant une gorgée de son vin, il se pencha dans un sourire en coin, vers l'inconnu brun. Posant la main sur l'épaule afin de capter son attention, le seul moyen de s'assurer de le regarder droit dans les yeux avant de dire d'une voix basse, à la limite de l'effronterie. Un sourire espiègle s'affichait pour couronner le tout.

    On s'ennuie, on s'emmerde, faut bien s'occuper.


    « T'as pas l'air de tenir l'alcool, Éphèbe. »


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Evroult
    L’œil fasciné par le lent balancement du fessier de sa collègue mit du temps à saisir l’arrivée de l’engageant client. Il regrettait déjà le peu d'intelligence dont elle était dotée, arguant sans doute, au fin fond de son esprit, qu'il pourrait bien en faire l'impasse pour mieux la passer, elle. Ces blondeurs comme les blés avaient toujours eu sa préférence, & ce jusqu’à l’argenté des deux immaculées qu'il avait pu côtoyer. D'autant qu'après des semaines passées en compagnie de guerrières aux peaux mates & calleuses & aux tignasses brunes, Chasseur se laissait vite à rêver de proies plus à son goût. Quel malheur, alors, qu'il lui fallut se contenter de ce que le bordel lui mettait sous le nez.

    De même, il lui fallut refréner le sourcil interrogatif qui accueillit la main pesant sur son épaule. Ce n’était clairement pas le genre de contact dont il avait l’habitude, lui qui, évoluant dans un milieu typiquement féminin, ne touchait d’homme que d’une paume contre une autre, & encore. Si la pression ne le dérangeait pas outre mesure, elle suffisait néanmoins à attirer son attention.
    De là, une rapide observation lui suffit à cerner le personnage. C’était un homme bien mis, la trentaine apparente & suffisamment riche pour se permettre des excès qui n’avaient pas de prix. Il était habitué, ça ne faisait aucun doute, d’autant que sa blondeur lui était familière malgré sa récente embauche. De délicates effluves montant à ses narines signalaient la présence d’un parfum coûteux, finissant à dresser le portrait d’un mâle affamé & soigné, à l’iris bronze d’une lueur volage &, détail suffisamment singulier pour être notable, à la boucle pinçant le galbe de l’oreille. S’il fallut qu’une chose retint son attention, ce fut ça. Ça, & son visible amour pour la bouteille.

    - Ce n’est visiblement pas le cas de tout le monde. Le vin vous plaît ?

    Les onyx brillants d’une mutinerie naturelle & non feinte vrillèrent le rouge déposé par Jeanne, & une gorgée vint colorer les lippes, plissées en un sourire léger, d’un incarnat prononcé & goûteux. C’est qu’il aimait les vins lourds & profonds, laissant une bouche pleine d’une bouchée de griottes ou de fruits noirs épicés, & qu’il aurait pu s’en rassasier toujours, ou presque, s’il n’avait pas été aussi prompt à l’ivresse. Loin d’être une tare dans son métier, cette singularité le mettait à l’écart de passes incontrôlables & de clientes abusives, & même pis ! Le mettait dans les bonnes grâces des maquerelles qui savouraient ces litres préservés pour leurs hôtes. Les moqueries qu’il essuyait alors n’avaient pas d’importance, & si elles en avaient, on n'aurait su le voir. Car après tout, Evroult était catin, & que celui qui ne sait pas ce dont ils sont capable me lance la première pierre. Il aurait pu suivre quelque troupe de gitans & autres troubadours & en être la vedette, lui, & tous les autres gourgandins tapissant les lupanars. Ils étaient aussi malléables que la pâte des brioches levées, attendant d'être enfournées, aussi friands du changement de costume que l'armée de couturiers royaux.

    - Les filles vous conviennent-elles ? Je crois avoir saisi que l’ennui vous menace. Il suffit parfois de faire quelques associations pour relever la soirée --
    Les pommettes joyeuses s’approchèrent de l’oreille du client, dans une confidence osée.
    - Jeanne & Iseult, par exemple, ont un numéro délicieux pour ceux qui osent leur demander, mais je gage que vous le savez déjà. Toutefois, si vous n’y avez pas encore goûté, je ne peux que vous le conseiller. De même que Flavien, qui à ce qu’il paraît, suffirait à lui seul.

    L’élancé s’était redressé, portant la coupe à ses lèvres en reprenant, comme une statue rendormie, une mine mi ivre, mi morose. Sans rudesse aucune, il était certain d’avoir fait comprendre à l’entreprenant qu’il ne mangeait pas de ce pain là, quand bien même fut-il alléchant, quand bien même n’était-il qu’un catin. Quand bien même s’ennuyait-il assez pour s’abrutir en deux coupes de Prunelard. Quand bien même… Monsieur devait se trouver un autre jouet.

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Edern


    Monsieur était persévérant
    Monsieur était riche
    Monsieur était un con.


    Ces dernières semaines avaient été plus que plaisantes dans cet établissement de débauches. Seulement, les visages, les formes, comme les sourires prenaient une apparence trop commune pour entretenir l'illusion de l'ardeur. La folie s'étouffait sous les effluves de la came, achetée parfois même à d'autres clients. Rangée pour l'occasion, elle ne serait sortie qu'en cas d'extrêmes nécessités. Cependant, il fallait croire que son geste avait porté ses fruits car l'attention du jeune homme se sépara du balancement du fessier de sa collègue pour s'échouer sur sa personne. Le premier regard équivaut au premier jugement. Les secondes cruciales qui précèdent le moment où la balance entre l'intérêt et le rejet annonce son verdict.

    Le couperet s'abat sur des banalités auxquelles il répond par d'autres platitudes

    « Suffisant pour distraire néanmoins austère »

    Le vin était un intérêt limité. Il était facile de s'en procurer du meilleur dans des caves spécialisées, directement au producteur plutôt que de s'en éprendre dans une maison close. Le lieu ne se prêtait pas à ce type de penchant. Une compagnie bien meilleure était l'attraction principale des lieux clos. Qui plus est, Edern avait une connaissance limitée en bordeux, champagne, mousseux ou hypocras. Les types et genres étaient plus nombreux que les femmes. Son savoir se limitait aux noms et en de rares occasions un léger apprentissage auprès de réels connaisseurs lui avait été octroyé. Assez pour le marquer, il n'avait jamais souhaité approfondir ce domaine. Le sujet changea pour se diriger vers un centre d'intérêt beaucoup dans l'ambiance et, malgré lui, il ne put retenir un pâle sourire. Sans interrompre le catin, Edern recueillit la pseudo-confidence dans un bref éclat de rire.

    Railleur, il se resservit son propre verre dans une expression malicieuse.

    « Ne vérifiez-vous jamais vos allégations ? »

    A lui maintenant de répondre confidence pour confidence, d'un ton plus adéquat.

    « Je dois admettre que le duo fut plus que distrayant mais le divertissement devient rapidement redondant dans l'excès. Quand au second, votre imaginaire doit être particulièrement fertile pour lui octroyer de telles qualités »

    L'esquive avait été amenée subtilement. Admirable, la feinte était plus que remarquable pour un jeune âge. Le refus d'une indécente proposition n'était pas assez considérable pour blesser dans l'arrogance le Trentenaire. Au contraire, il éprouvait un plaisir comblé dans ces petits jeux de refus. Il n'était pas dupe, son interlocuteur non plus. La confirmation arriva dès que le catin se redressa. Renforçant l'envie de passer son temps auprès de l'inaccessible ou ce qui s'en ressemblait le plus.

    Un sourire carnassier aux lèvres, il reprit d'un ton flegmatique avec un doigt de présomption

    « Ainsi, vous optez pour le boniment , n'est-ce pas péjoratif dans votre profession? »

    Mépris à son apogée, simuler ouvertement une quelconque attention pour le simple plaisir d'essayer de faire tiquer l'autre était ce qu'il y avait eu de plus délassant. Edern aurait pu le faire bien à d'autres personnes mais ces dernières n'avaient de visible pas la combativité pour lui rétorquer. La passivité coupait toute envie et le faisait débander sans sommation. Joueur, la jeunesse du personnage pourrait faire la différence. Edern misait sur cette caractéristique pour le faire sortir de sa suffisance. Il sentait cette pointe de fierté, inflammable et explosive quand elle était malmenée. C'était un coup de poker.

    Continuant avec dédain officiel, les marrons sur le contenu de son verre.
    Il prit une gorgée, avant de prolonger dans un délicieux sourire


    « C'est vrai que lorsqu'on est déjà au fond du panier, on peut se permettre de brasser du vent »

      Monsieur jouait avec le feu et les emmerdes


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Evroult
    L’esprit trouble d’éthyliques vapeurs s’était déjà enfuit en des terres plus fécondes. L’hypnotisant balancier de la croupe de Jeanne avait repris, alors qu’elle s’agitait à répondre aux demandes imposantes des clients & des filles qui passaient. Là, un peu de vin, d’eau-de-vie & de bière, ici, quartiers d’orange & panières de poires, déjà, gueuletons de volaille & brouet bien épais. L’hiver s’annonçait rude & la maquerelle s’attachait à fournir à ses ouailles des denrées consistantes. Ici, nulle déprime n’osait pointer le nez, si ce n’est l’ennui morose qui collait le jeune homme.

    C’est qu’une maison close qui en voulait le nom devait tenir un siège. On ne sustentait pas des clients affamés en affamant ses têtes, tout comme on ne retenait pas ses employés en les traitant comme des bêtes. Oh ! certains y arrivaient toujours bien. En Limoges, Evroult avait pu découvrir la rudesse d’une vie d’esclavage inavouée, & de catins fugueurs. Il n’y avait là rien d’amusant, & sans avoir eu l’occasion de couler un œil sur les comptes, il aurait pu jurer que ce lupanar-là ne faisait pas autant d’écus qu’il aurait pu en faire, & ce, malgré son enivrante & inaccessible slave.

    - Ne vérifiez-vous jamais vos allégations ?
    La première pique arracha les onyx troublés à sa contemplation, encore, comme si tout tableau, aujourd’hui, se refusait à lui.
    - […] Quand au second, votre imaginaire doit être particulièrement fertile pour lui octroyer de telles qualités

    La seconde ébaucha un sourire à la commissure d’une lippe empourprée de sa consommation, confirmant, sinon que le message était passé, qu’il passerait bientôt. Au sourire de réponse, sans doute, Chasseur sentit le piège qui se tissait lentement par les doigts habiles du trentenaire. S’il évitait ce genre de caractères, il en voyait suffisamment passer auprès des filles pour s’en méfier dès le premier coup d’œil.
    De toute évidence, l’attention d’Evroult s’était dissipée à mesure que l’alcool assouplissait son regard.

    - Si vous saviez !

    Un rictus amusé accompagna l’exclamation qui, si elle avait fusé, laissait sentir combien toute la suite était bien retenue. Tout ça, ce n’était pas à dire à un client. On ne pouvait être que mauvais catin si l’on ne le maniait pas. Le boniment, c’était le cœur de métier de sa profession, & si une chose, une seule se devait d’être péjorative ici, c’était bien son statut, rien de plus, rien de moins. Après tout, n’étaient-ils pas là pour faire conversation ? Pour rassurer quelques narcissiques bonnes femmes que seules elles importaient, & que les découches de leurs époux méritaient bien qu'elles viennent coucher quelques écus ici ? Pour flatter quelques soldats décrépits & leur assurer que non, cette vieille blessure à l'aine n'aura jamais entaché leurs capacités à faire hurler de plaisir la plus jolie des jeunes vierges ? Mais en dehors des passes même, n'étaient-ils pas tous là pour se faire l'oreille creuse des pensées les plus enfouies de chacun de leurs clients ? Se faire le recueil de leurs maux, de leurs vices, de leur pourriture ? Pour cela, manier le boniment n'était-il pas la plus habile des manières des les satisfaire ? Tout ça, ce n’était pas à dire à un client.

    Mais le client ne se gênait pas, lui, pour dire ce qu’il ne fallait pas.

    - Excusez-moi ?

    Il sembla qu’une ride du lion apparaissait alors qu’il fronçait les sourcils, alors que le jeune loup comptait bien sur la sagesse que ce pli inspirait pour calmer l’importun. C’est que rappelez-vous : à quinze hivers & quelques, Evroult était aussi jeune que les vierges qu’on livrait aux enchères. S’il avait embrassé, comme une évidence, le métier par lequel il était né, il n’en restait pas moins immature, impétueux, & malheureusement pour lui, ambitieux. S’il était capable de s’adapter à n’importe quelle proie lui passant sous le museau, il avait la même faiblesse que tout jeune garçon normalement constitué : il avait l’orgueil mal placé.

    - Je vais vous retourner le compliment. Pauv’ type. Il n’est pas dans mes habitudes de chasser un client, mais je vais vous conseiller de consommer ce qu’il vous plaira, ou d’aller déverser votre fiel au tripot d’en face, réputé pour ses combats de coqs en rut.
    Les phalanges qui blanchissaient autour de sa coupe, autant que le trémolo discret mais inratable au creux de sa gorge rauque, trahissaient la finesse du fil sur lequel il marchait. Loupiot n’était pas bagarreur…
    Mais l’attaque directe, diable ! ça faisait mal à son orgueil.

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Edern_





    Aimer la gent féminine était un luxe autant qu'un fardeau. Les bras d'une femme étaient sans nul doute l'étreinte la plus chaleureuse qu'il eut été donné à quiconque de profiter. Cependant, chaque cadeau a un prix, souvent lourd et rarement à la hauteur de l'offrande. Les demoiselles étaient des êtres délicieux mais fragiles où le moindre souffle faisait tressaillir tout feuillage jusqu'au déracinement ultime. Bien trop rapide, ces refoulements amenaient des frustrations qu'Edern avait appris à contenir pour mieux déverser auprès de femmes plus expérimentées. Pas toujours payées, il trouvait ses jubilations auprès de conquises comme de libertines qui contrairement aux putains, ne réclamaient pas un dû. L'attention, l'affection, le besoin d'être aimée étaient des traits de caractère devenus inconnus mais qu'il simulait de temps en temps quelques heures pour revêtir les traits d'un être tendre Le leurre avait le mérite de plaire. Comme tout spectacle, une représentation ne dure pas tout une vie, le rideau tombant toujours trop tôt.

    Ainsi, à l'aube d'une nouvelle escale de sa vie, l'animosité avait primé, le rendant plus amer dans les ébats amoureux qu'il livrait systématiquement comme une bataille. Honorant la violence, il en jubilait, laissant des marques sur les corps qu'il côtoyait. Toutefois, par une courtoisie mutilée, il s'adonnait à ses jeux de force qu'avec des gens égaux dans sa robustesse, rangeant les armes sur les plus délicats. Jamais n'avait-il planté des crocs dans une femme au point d'y graver son empreinte, du moins, pas pour d'éphémères plaisirs. Par conséquence, l'explosion était rare, ce qui en faisait une denrée extrêmement chère qu'il avait compris ne pas pouvoir satisfaire dans les bordels du coin. La moralité dans l'immoralité, la contradiction dans toute sa splendeur. Lui qui se moquait des femmes dans leur propre désaccord semblait en souffrir par moment, au plus grand damne de sa faible misogynie.

    Pour l'heure, Edern appréciait la retenue avec laquelle le catin réprimait son envie de l'envoyer chier. Poli, agréable, il prenait son métier avec suffisamment d'intérêt pour modérer ses propos. Enfin, ce n'était que le début. Patient, Edern avait tiré ses flèches une à une pour garder la meilleure pour la fin. L'avantage des jeunes hommes se trouvait dans leur caractère plus que leurs capacités sexuelles. Qui plus est, il n'avait jamais eu besoin d'autres pour caresser son ego, ou bien même le rassurer. Au contraire, l'agacement était à son paroxysme face à l'hypocrisie. Possédant un esprit rationnel au-delà du nécessaire, il savait pertinemment qu'il payait donc s'octroyait l'usage d'un service. Pas de sentiment, pas de modalité mièvre et tout le monde était heureux, surtout lui.

    « Tu m'avais l'air doté de discernement »

    L'expression du jeune homme se modifia. Il était temps. Edern aurait presque cru un instant s'être mépris de cible ! De ce fait, cette réaction n'avait aucun effet pour le calmer, au contraire, c'était l'instant qu'attendait le plus le trentenaire pour enfin profiter de ce qu'il était venu chercher. Forcer plus qu'inviter son interlocuteur à sortir du chemin de la retenue était un grand privilège parce que malheureusement, il lui arrivait d'échouer, autant dans sa quête de baise que d'empoisonneur de morale. Mais la jeunesse était un beau présent, s'accompagnant souvent de défauts tout aussi louables. Son dévolu ne s'était pas porté sur Éphèbe par le doux hasard. La vanité autant que l'orgueil étaient des péchés propres aux hommes en devenir. Avec le temps, la rumeur courrait qu'ils s'estompaient.

    Edern, lui, attendait toujours.

    Découvrant ses canines dans un harmonieux sourire, il prit le temps de resservir son verre qu'il venait de vider. Habitué aux fougues féminines quand il commençait à jouer sur leurs nerfs, il éprouvait une exaltation à découvrir l'effet qu'il reconnaitrait parmi tant d'autres sur un jeune homme. C'était imprévu, c'était magnifique. Ravalant son sourire pour afficher une expression d'un grand sérieux, il poursuivit sur un ton complaisant.


    « Alors, je te laisse quelques secondes pour réaliser à quel point tes propos sont déplacés et entre-nous, surtout très stupides »

    Edern aurait pu être vexé, énervé par les propos d'un putain mais il fallait croire qu'être un bâtard forgeait un caractère plus à même de supporter les insultes, surtout quand on les provoquait. Et en cela, il avait été un expert dans sa jeunesse. Aujourd'hui, il jubilait de voir les autres sortir de leurs gonds. L'orgueil était un péché mais aussi une protection dans ces moments. C'est pourquoi il garda encore pour l'instant un flegme bien visible.

    « Cependant, excuse-moi de t'avoir pris pour un homme et non un enfant »


    Gratuit, la dernière pique était gratuite.

    Re-prenant une gorgée de son verre, il consommait déjà ce qu'il lui plaisait dans tous les sens du terme. Ce qui ne semblait pas avoir percuté la réflexion du jeune homme. Tout comme les femmes, Edern n'éprouvait pas le besoin de passer par la case sex pour prendre son pieds. Aussi expérimenté que pouvait croire être l'Ephèbe, l'alcool ne devait pas être un bon ami pour garder des raisonnements cohérents. Lui, par contre, n'avait nullement envie de garder des idées claires. Certains avaient l'alcool méchant, la drogue méchante ou encore bien le mariage méchant. Edern ne possédait pas le chromosome « méchanceté» dans ses vices.



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Evroult
    Oh non ! Evroult était à des lieues de ces considérations-là. Sans croire naïvement à la bonté humaine, il n’allait pas jusqu’à croire que les clients arpentant les tortueux couloirs des bordels où il officiait pouvaient le mener à la baguette. Bien au contraire. En vérité, le jeune prodige s’était vu persuader de la supériorité, & de son sexe, & de son métier. Naître homme l’avait fait immanquablement solide, stable, malin, & soigneusement dépourvu de toutes ces humeurs qui rendaient les femmes si faibles & hystériques. Sexe fort convaincu, il avait donc en plus la satisfaction d’exercer une profession qui, si elle pouvait être mal vue pour les femmes trop légères, rendait l’homme plus séduisant encore. Il devenait amant, confident, frère, ami constant, emplissait ses esgourdes de la misère humaine, & s’élevait ainsi au-dessus de ces pauvres âmes qu’il apaisait un peu.

    Un peu seulement. C’était tout un art que de combler la péronnelle tout en s’assurant que le manque l’étranglerait dès la porte franchie. S’assurer qu’elles reviendraient n’était pas une mince affaire, & demandait un investissement constant & sérieux. Lettres & rencontres fortuites, Chasseur maîtrisait l’art de la cour aussi bien qu’on l’aurait espéré, & aimait à se dire qu’il avait rendu ses lettres de noblesse au racolage, qui devenait entre ses doigts habiles une appréciée galanterie. De la gueuse bigote à la noble nymphomane, il s’appliquait à rendre chacune unique, singulière, exclusive, quand il venait se féliciter auprès de ses collègues de la régularité de l’invariable modèle féminin.

    C’était sans doute les seules conversations où il se faisait – parfois seulement – apprécier de ses comparses masculins. Ce déballage de virilités & d’autosatisfaction leur rappelait qu’ils étaient finalement tous embarqués sur la même voie. L’assurance & la vanité du loupiot réussissaient bien vite à déranger les autres mâles, & l’ambiance tournait inévitablement au combat de coqs, où l’alpha ne se démarquait que lorsqu’Evroult, enfin, reprenait sa route. Inadapté au masculin, c’était sans doute une des raisons qui l’avait poussé, dès ses premières prises de fonction, à catégoriquement refuser l’homme dans sa couche & son corps. Déjà bien en peine de gérer maris jaloux & collègues compétitifs, s’imaginer maîtriser les ardeurs masculines lui filait une migraine instantanée.

    Jeunesse, dans ces cas-là, ne le sublimait pas. Il avait bien senti la prise de pouvoir, la perte de contrôle, l’écrasante autorité du Trentenaire qui le narguait sans fard, & il ne fallait pas être bien malin pour comprendre combien son inexpérience flagrante rendait toute tentative de révolte inutile. La sagesse de l’âge aurait voulu qu’il se lève, tourne le dos &, se drapant de dignité, s’éloigne de l’infection de testostérone en reconnaissant le combat vain. Éventuellement, il aurait pu décocher un de ses si célèbres sourires mutins, prendre un dernier verre & laisser Sa Blondeur déverser son amusement ailleurs sans plus lui répondre. S’il en avait eu l’humilité, peut-être aurait-il fait sonner le portier en priant pour le grand gaillard prenne la défense du courtisan, & non pas du client habitué.

    - Répète un peu pour voir ?

    Souffle contre souffle, il sembla avoir choisi une quatrième option, loin de la réserve & de la retenue qu’il offrait ordinairement à tous, sans exception. Aussi prévisible qu’Edern avait pu l’espérer, jeune loup piaffait soudainement de l’impatience du montre-moi-qui-a-la-plus-grosse, délaissant la rudesse du tabouret pour mieux se heurter à l’âpreté de son client. Qu’il paye pour ça ? Non, évidemment, ça ne lui vint pas à l’idée. Le bordel était un lieu de théâtre sans improvisation, & l’on ne payait que pour s’octroyer des scenarii maintes fois répétés.
      Sauf en cet instant, peut-être.

    Pacifiste malgré lui, il ne se disait pas bagarreur. On exigeait de lui qu’il préserve le corps pour lequel on le payait si bien, & sans toujours mettre le précieux de sa chair en avant, il s’en servait aisément pour éviter le conflit. La jambe longue laissait croire, de plus, à un coureur de talent, bien entraîné par les cornards auxquels il se frottait parfois. Et lorsqu’il était trop tard pour y échapper, il s’était aperçu que renoncer à sa défense lui sauvait la mise plus souvent que l’inverse. Enfin, à force de tout prendre comme un jeu permanent, il travaillait sa répartie sans jamais s’offusquer.
      Sauf en cet instant, sans doute.

    Il était évident pour l’esprit embrumé par le peu d’alcool ingurgité, à peine tiré de rêveries mornes & mélancoliques, que ce client-ci attendait encore après son fessier réservé, & qu’il supportait mal le refus. Oh ! ça n’était pas une raison pour l’insulte voilée, mais suffisait néanmoins à étouffer d’improbables soupçons de manipulation dans l’œuf. On n’usait pas d’un courtisan sans qu’il vous manie lui-même plus profondément.
      Sauf en cet instant, évidemment.

    - Tu veux que je te rappelle combien il peut te la mettre profond, l’enfant ? Dégage de là, vieillard, ou…

    Et le poing laiteux d’être trop serré d’appuyer sur le pectoral ennemi en guise de menace.
    Pour l’agressivité du Loup, on y est. Pour sa réelle férocité, on repassera dans quelques années.

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Edern_



    Piquer était tout un art où la plus belle parade était l'attaque frontale. Sans retenue, l'imagination prenait le pas sur la bien-aisance pour venir chatouiller l'ego. Là où la caresse était incertaine, maladroite et malhabile, aucune réaction, pas même un éternuement, venait réconforter l'heureux taquin. Cependant, quand la créativité arrivait à son paroxysme au point que nul ne puisse résister, plongeant à bras ouverts dans le mépris, alors, la réaction était fulgurante et même au-delà de toutes attentes qu'elle ne pouvait que combler de joie son exécutant. Et pourtant, il en fallait peu pour écarter une personne de son chemin ou modifier un destin tout tracé. Un simple oubli pouvait sauver une vie, un mot quelconque une explosion. Éphèbe avait choisi sa direction, de loin la plus judicieuse pour la sauvegarde de sa personne ni même la plus aisé pour sortir les pieds de la boue.

    Edern, lui, sourit. Son but venait d'être atteint.

    Il n'y avait aucune pitié pour les adversaires relevant le gant n'effleurait son esprit. Le câtin avait délaissé son tabouret pour prendre de la hauteur comme s'il était nécessaire de se grandir dans pareilles circonstances. Le trentenaire ne réagit pas de suite, au contraire, il laissait la place au jeune homme pour s'étendre, s'expliquer dans ses réactions. Plus ces dernières étaient nombreuses, plus il prendrait plaisir à les décortiquer pour les retourner contre leur auteur et par la même occasion, découvrir à qui il avait à faire. Les hommes étaient semblables mais certains parvenaient à se distinguer par leurs interactions, bonnes ou mauvaises. De la même façon, l'adolescent par son assurance bien que suicidaire se différenciait des soumis ennuyeux. Rien n'était acquis, beaucoup d'objets restait inaccessible comme les personnes. Une réponse négative n'était pas synonyme d'échec mais simplement qu'il fallait redoubler d'huile de coude ou emprunter une route détournée.

    La première imprécation sonna à ses oreilles comme le glas de la victoire. Il n'y avait rien de meilleur que la constatation de la perte de contrôle d'un homme. Cette dernière était le synonyme même que l'impulsivité guidait les pas vers sa chute prochaine. Toutefois, mettre la charrue avant les bœufs était une erreur trop courante pour qu'Edern se laisse posséder par cette apparente réussite. Délaissant son verre désormais vide sur le comptoir, son regard se releva pour venir se planter avec une arrogance bien marquée dans ceux du putain. Puisqu'enfin, l'homme de joie daignait jouer, jouons.


    « Ou ...? »

    A son tour, il délaissa le tabouret pour s'élever face au menaçant. Sans perdre le contact visuel, il répéta encore une fois d'un ton plus bas « Ou ...? » comme si cette menace avait tout d'une farce. Le protagoniste de cette comédie aurait été pris un peu plus au sérieux s'il avait été ne fut-ce un peu plus âgé, ou dans une meilleure situation sociale ou bien encore accompagné d'une arme. Mais ici, ils étaient dans un bordel où Edern ne se risquerait pas à frapper le premier, du moins, physiquement. Commettre un tel geste pourrait le mettre dans les mauvaises dispositions face au propriétaire des lieux ou encore aux protecteurs. Alors, il préférait se feindre d'un sourire, bouillonnant à l'intérieur d'une adrénaline nouvelle qui augmentait dans ses veines. Ses pupilles se dilataient, et il se sentait vivant sous chaque battement de son cœur. Et putain, il adorait cette sensation.

    « Tu n'es qu'un sale morveux bien trop arrogant pour sa condition, incapable de satisfaire autre que des pucelles mal dans leur peau. »

    Autant alimenter le feu qui brûle chez son interlocuteur au cas où calme pourrait revenir à son esprit et raison lui faire tourner talons. En véritable pyromane, Edern avait joué méthodiquement, pénétrant dans un premier temps dans le cercle de confort de sa victime pour barricader portes et fenêtres afin que se réduise à un tête à tête leur conversation dans les étonnantes flammes de la rancune. En cette tamisée ambiance, yeux dans les yeux, il sentit le poing venir s'échouer contre son torse sans qu'il ne puisse juger de la contrariété maximale que laissait présager la menotte fermée. L'envie de réagir par la violence commençait à vouloir s'imposer dans son attitude au damne de sa raison qui peinait à le garder dans sa flegme. De ce combat intérieur, le trentenaire savait que s'il laissait libre court à ses pulsions, il en sortirait perdant.

    Se reprenant en main, il accorda un clin d'oeil mutin.


    « Et tu penses vraiment m'intimider, Éphèbe ? »

    Mais l'envie était trop forte pour qu'elle garde le silence et Edern vient saisir le poignet de la main fermée sans prévenir. Oser le menacer de son poing était un acte regrettable qu'il prenait malin plaisir à faire payer si ce n'est aujourd'hui, alors demain. Cependant, il choisit d'éviter l'éclat de sa voix à travers la pièce pour garder le plaisir de l'intimité de cet échange belliqueux. Serrant ses doigts autour de l'articulation prisonnière, la blancheur vient à son tour frapper le bout des ongles.

    Visage contre visage


    « Ne m'tente pas de te faire ravaler ta fierté tu risquerais de repartir en boitant »

    Conseil d'ami.


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Evroult
    La menace s’était perdue dans les fils nombreux & embrouillés d’un esprit malhabile à la colère. Aucun son ne vint terminer la pique qu’il aurait voulu redoutable, & comme seule réponse la ride du lion se marqua un peu plus. Quand bien même, elle manquait d’expérience.

    Malaise sournois s’insinuant dans ses veines échauffées n’eut toutefois le temps que de rougir ses pommettes trop hautes. Le trentenaire ne laissait rien passer. Nul besoin de ses poings pour faire bleuir les chairs, il excellait dans l’art de la violence verbale soufflée au creux d’une oreille orgueilleuse. Les piques s’enfonçaient dans l’immaculée de la peau, brûlant le derme & hérissant les poils, & se perdant dans le sang volcanique d’un courtisan trop jeune parvenaient jusqu’au cœur pour lui ôter la raison.
    Aurait-il était taureau qu’il en aurait sans doute moins fumé des naseaux qu’à cet instant précis. Il ne fallait pas être devin pour saisir tout le ridicule de la scène alors qu’il se dressait, lui, jeune adonis, impérieux pour ces dames & bien en peine de tenir tête à ce mâle-ci. D’intimidation & de menace, il n’en connaissait que les noms, quand il se faisait habile au charme & à la manipulation. Pour ces dames, seulement. Évidemment.

    Senestre libre n’attendit pas plus que les doigts agressifs n’écrasent son poing fermé pour saisir le col de la chemise d’Edern. Corps tendu jusqu’à l’os, l’avant-bras repoussait ainsi le provoquant client contre le comptoir rude, dans un élan qui n’avait pas grand-chose de force, mais tout d’adrénaline. Fureur sifflait à ses oreilles toutes les raisons de frapper, agrémentant la suggestion d’étouffés battements d’un cœur emballé, intimant la cadence. Frapper. L’onyx luisait de l’intention, déjà, imprimant sur ses traits le rouge de l’alcool & de la rage, bandant le muscle sec & prompt à la détente dans un excès qui n’avait plus rien de lascif.

    L’instant dura une éternité. Enfermé dans une bulle qu’il pensait increvable, il n’imaginait rien de moins que le frapper enfin pour vomir sa colère sur les traits trentenaires au sourire trop mutin. Les doigts resserraient l’emprise autour du col, le poing résistait à la pogne du blond, sans que jamais le coup ne retentisse. Peut-être en était-il tout bonnement incapable, peut-être des restes de conscience soufflait à son esgourde nerveuse le danger de l’esclandre & du client blessé.

    Qu’importe. Derrière eux, la salle s’était agitée, rivant lentement leurs yeux affamés de scandale sur les deux coqs tendus. Un « sortez d’ici ! » outré parvint, étouffé, à l’oreille rendue sourde par la pulsation emportée, alors que la maquerelle avait été prévenue d’une tension qui n’avait, finalement, échappée à personne. Déjà, l’épais portier à la face bourrue se préparait à agir.
    Mais Evroult, lui, n’avait plus d’yeux que pour son blond salaud.

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Edern




    Le silence

    Ami de l'animosité, il se revendiquait prédicat de la tempête. Les veines, alors, se noircissaient de colère jusqu'à l'ébullition, laissant le claquement du sang dans les tempes à leur summum afin d'engloutir l'immensité du vacarme ambiant dans un étrange mutisme. Les autres n'existaient plus: ils n'étaient que des spectres aux murmures si lointains que ces derniers n'effleuraient guère plus les tympans des deux challengers: Toi et moi contre le monde entier prenait une tournure de plus inhabituelle, loin des multiples expériences immorales.

    Aucun son n'était suffisant pour représenter la colère qui se lisait sur le visage du putain, le sillon se marquait un peu plus dans ses traits comme si les mots avaient été délaissés dans l'abime de la contrariété au profit d'une nouvelle violence qui peinait à éclore malgré l'aide du client. Edern le sentait, prêt à frapper et lorsqu'il vient saisir son col pour le repousser contre le comptoir, le trentenaire se laissa porter par l'adrénaline de son concurrent. Jamais, le blond n'octroyait le premier coup significatif dans un lieu de débauches. Assumer le poids d'apparence culpabilité n'était pas ce qu'il appréciait le plus dans le monde nocturne.

    Et pourtant, la résistance du catin contre son poing ne faisait qu'accroitre l'envie de boxon, la main encore sur son col suscitait le besoin impérial de retourner une droite. Œil pour œil, dent pour dent ordonnait la loi du talion. L'oubli du monde qui les entourait aidait à l'avènement de sa rage: La floraison allait être somptueuse, peu importe les conséquences. Ainsi, tout sourire et expressions de facétie éclipsèrent sans bruit. L'orage éclata. Le dos d'Edern se sépara du comptoir contre lequel il avait été poussé, quitte à bousculer l'auteur de cet acte au passage. Exit ces menottes posées de-ci et de-là sur lui, l'attaque est la meilleure défense. Sa main libre se ferma pour venir frapper dans le ventre de l'Éphèbe.

    Jamais on abime la marchandise d'autrui.
    Règle number one.

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Evroult
    Un cri secoua l’assemblée de vautours avant même qu’Evroult ne sente le coup tomber. S’il l’avait vu venir, il n’en paru rien, faible qu’il fut, l'œil écarquillé de choc & de surprise. On n’aurait pas pu dire qu’il savait encaisser, mais au moins, ça n’était pas vraiment une nouveauté. Sans être de ces gamins édentés à qui il glissait trop souvent quelques pièces en échange de services, il était tout de même fils de grasse catin, élevé en bordel & nourri en leur sein. Il savait les bas-fonds comme l’on connait trop bien un bon terrain de jeu, & quoi que bien protégé par sa marraine, mère de prostitution – c’était le cas de le dire –, il avait pris des coups comme tout enfant heureux. Et mauvais bagarreur, il n’avait pas souvent su rendre la pareille.

    Ainsi, il plia. L’onyx humide de retenir la douleur s’accrocha plus au poing qu’au visage du trentenaire, trop surpris pour réagir d’abord. C’est ensuite seulement que, plus fou de rage encore qu’il ne pensait pouvoir l’être, il redressa le buste, repoussa le portier qui tenta sans aucun doute d’intervenir sous les ordres d’une maquerelle irritée & fâchée, & balança ses poings en grognant, animal, pour mieux s’encourager.

    Il allait le détruire.
    Non. Il allait le tuer.
    Non. Il lui creuserait la tombe pour l’y faire étouffer.
    Non... Il allait juste le tuer.

      Et tu frappes comme un fou, déchiré par ta rage. Tu ne sais d’où elle vient, tu ne sais plus pourquoi, mais tu sais qu’elle est là & qu’elle le détruira. Tu le veux, tu l’espères, & tu frappes en bramant comme pour mieux t’en convaincre. On t’agrippe & t’enlace, & toi, tu te débats. Tu vois rouge. Rouge sang. Sang qui coule. Coulée de lave. Tu vois rouge & tu frappes, qu’on vous sépare seulement & tu frapperas plus fort pour qu’on te laisse à lui. Il n’y a que lui qui compte. Oui, c’est toi & moi contre le monde entier. Ici-même ou ailleurs, tant qu’il n’en reste qu’un.
      Tu es fou. C’est lui qui a gagné.

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