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[RP] Limousie, mon amie

Evroult
    La plume tremblait en répandant son encre sur le parchemin vierge, au rythme des frémissements d'une courte bougie gouttant sur la paillasse. Il aurait pu foutre le feu en un claquement de doigt, un mouvement trop brusque, mais quelle espèce d'importance ? Blanche était partie.
    La nouvelle lui était parvenue avec le retour de sa dernière missive. Un petit mot lâché, comme on glisse un pense-bête, comme on oublie une liste de courses. Rien de plus, rien de moins que l'annonce d'un décès. Ni date, ni lieu, ni sceau. Pas même de raison. Un pavé dans la mare, démerdez-vous, bonsoir.

    Citation:
    A vous, Limousie,
    Salut.

    J’ai pris la plume ce jour & ne sais pas encore si c’est une bonne idée. Peut-être ce courrier ne vous parviendra-t-il même pas, parce que je n’aurais pas trouvé de pigeon, que vous ne seriez plus chez vous, ou que je n’aurais plus eu le cœur de l’envoyer. Qu’importe. Je vous l’écris, nous verrons bien, n’est-ce pas ?

    Blanche Aliénor n’est plus, & l’écrire me détruit. Je ne saurais dire même si j’avais eu l’occasion de vous la conter. Nous sommes nés, à quelques mois d’intervalle, du même bordel mais de mères différentes. Je fus des rares garçons à rester en ces murs, parce que sa mère, maquerelle, décida de me prendre sous son aile. Peut-être que sa grossesse avancée, déjà, au moment où j’arrivais, la rendit plus gracieuse. Qu’en sais-je ? Elle m’éleva comme si j’étais son fils, tant la mienne, de mère, vulgaire & indifférente, ne s’enquérait que du gain de ses passes. Blanche n’aimait pas ma mère. Mais j’aimais Blanche, vous savez.
    Je l’aime comme un fou.

    Cela peut vous paraître étrange, d’aimer, quand on est courtisan. Pourtant j’en crève, Eldearde. Je ne sais plus respirer. Le sol se dérobe sous mes pieds, mon cœur semble battre au ralenti, résonnant dans le trou béant que m’a laissé la nouvelle. Je ne la verrais plus. Est-ce possible, vraiment ?

    Dites-moi que vous me répondrez.
    Je n’ai pensé qu’à vous.

    Evroult.


    Il hésita longtemps. Il hésita, en fait, du lever du soleil jusqu'à l'ouverture des portes du bordel de la franche Saumur. Le tintement de la cloche le sortit de sa torpeur, réveillant la douleur de muscles atrophiés d'être restés crispés, & Evroult se leva. Un bras maigrelet fut saisi au vol, la lettre flanquée dans la petite main aux ongles noirs, le destinataire soufflé sans souffrir d'hésitation. Blanche était morte.

    - Madame, je suis vôtre.
    Et il fallait se remettre à l'ouvrage.

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Eldearde
Phébus se lève sur le plat pays limousin qui, ce matin encore, accuse la froideur du gel. Limoges est muette, comme écrasée par le frimas glacial d'un mois de janvier redoutable où la mort semble s'être emparée de toute chose. La missive reçue quelques jours plus tôt s'en voit elle aussi imprégnée : chaque ligne fébrilement tracée est une oraison funèbre, un sanglot venue s'éteindre sur une lèvre. Longtemps, Kierkegaard avait hésité à rédiger réponse, le pli semblant être une fin en soi, un aveu fait au monde par un jeune homme aux abois. Mais l'aurore sépulcrale l'a trouvée assise à son secrétaire, ce dernier subitement rallié comme si le geste lui avait été dicté par la main d'un esprit éploré.

Citation:

    D'une Limousie impuissante à un cœur endeuillé,

      Adonis,

    Je prends la plume ce soir et je ne sais pas plus que vous s'il s'agit d'une bonne idée. Non parce que vous écrire me déplaît : bien au contraire il m'agrée de me figurer l'anguleux de votre trogne en traçant les pattes de mouche que je vous destine, mais bien car je n'ignore point que ce modeste pli échouera à faire votre chagrin moins lourd. La distance me rend infirme, dépourvue des bras qui offrent le réconfort d'une étreinte; notre neuve rencontre me fait étrangère, ignorante des maux de votre âme et des formules magiques qui peut-être, les calme. Adoncques, veuillez pardonner l'inutilité de ce secours, expédié vers vous comme l'on tend une dextre secourable dans l'entière obscurité, priant pour que les doigts fureteurs se referment sur le poignet recherché. Dieu, comme j'aimerais pouvoir affirmer "Je vous tiens !".

    De Blanche Aliénor vous ne m'avez soufflé que la pureté du prénom, précisant dans l'esquisse d'un sourire qu'elle était l'ambition première de vos errements, la cause et le but de vos pérégrinations. Vous deviez la rejoindre, et cette seule intention avivait une lueur au revers de votre cornée, sans que le fond de chardonnay ne puisse s'en voir blâmé. Vos quelques lignes d'enfance volée et si généreusement allouées à mon œil indigne m'émurent de ce qu'elles contenaient d'elle et de vous, comme autant de morceaux d'intimité éparpillés pèle-mêle dans l'espoir qu'un regard s'y arrête. Je m'y suis arrêtée, je me suis écorchée à vos souvenirs, je me suis faites audience absorbée de vos funestes nouvelles.
    Que dire à celui qui souffre tant que toute pensée raisonnée est chose impossible et que la réalité se voit dépouillée de la netteté de ses contours, à l'instar d'un mirage tremblotant, puisque rien n'est plus vrai, plus assurément certain, que la Douleur ? Comment ne pas se faire le relais des lieux communs, éviter l'écueil des vains discours aux accents pathétiques débités par seule crainte du silence que, pourtant, le recueillement indique ?

    Ne semoncez pas la Mort d'avoir arraché votre douce amie à la pseudo-évidence de notre temporalité. Vos plaisirs naissent et vivent de la certitude de leur fin prochaine et le sein d'un immortel ne saurait s'embraser. Ainsi ne l'auriez-vous point tant aimée si la connaissance de l'inévitable perte vous était restée cachée. La mort est la condition de l'amour et, ne pouvant renoncer à l'un, il nous faut accepter l'autre et son oeuvre saluer. C'est vrai, l'Absence moleste l'esprit sans commune mesure, elle déchiquette les entrailles à coups de "plus jamais" et sans doute est-elle la pire épreuve que nous ayons à affronter. Celui qui s'éteint nous laisse seul, affirmons-nous au pire de la torture. Mais, en vérité, ne sommes-nous pas constamment seuls ? Seuls face à nos propres fêlures, face à l'Autre pour qui nous sommes l'Autre, face à notre tout dernier souffle une fois venue la conclusion de l'aventure. Ayez du courage, cher Evroult; c'est, je crois, tout ce dont vous avez besoin.

    Pardonnez ce qui, pour d'autres que vous, pourrait se voir accusé d'exécrable noirceur, de réalisme cru, brutal, tout à fait inapproprié aux émois de votre cœur. J'ignore ce que vous attendez de la réponse que vous appeliez de vos vœux; peut-être (et ce serait heureux) n'escomptez-vous d'ailleurs rien de particulier, si ce n'est de savoir qu'en aucun cas vous ne m'indifférez. Bien qu'on puisse me juger cynique il n'en demeure pas moins chez moi une part d'idéalisme, notamment en ce que je crois chacun capable d'aimer, les courtisans possiblement plus que tout autre. Aussi sais-je que vous, vendeur de charmes, que l'on prétend savoir faire l'amour mais incapable de le connaître vraiment, vous chérirez le souvenir de votre sœur de lait avec plus de ferveur passionnée que tous les entichés de cette Terre.

      Mes pensées vous accompagnent partout, ami courtisan, comme autant de larmes venues se joindre aux vôtres.




Où est-il ? Comment vit-il ? A-t-il froid ? Autant d'interrogations qui ne sont point consignées du bout de sa mine, à l'image du carré de papier réceptionné et qui semble s'être perdu, échappé à son auteur d'un coup de vent ou de malheur. L'important est ailleurs.
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Evroult
    Il avait eu le temps de se remettre, désormais. La fièvre des premiers instants s’était évanouie avec la reprise des passes, lesquelles s’accumulaient plus qu’à l’accoutumée. Tout un mois sans force, sans envie, sans paie devait se rattraper, & le plus vite serait le mieux. Il enchaînait si bien & si résolument que la maquerelle qui l’avait hébergé en Saumur pensait avoir trouvé la poule aux œufs d’or. De fait, il avait eu bien du mal à faire accepter son départ alors que, guéri, il avait trouvé compagnie & ressources pour rejoindre Angers. Et en la capitale, Mathilde l’avait accueilli comme l’enfant prodigue, retrouvant les jalousies de Luigi, les crises de Maryah, les trop nombreuses catins à disposition.

    L’épuisement aurait dû le consumer, pourtant. Lorsque sa nuit était finie, Evroult retrouvait une, deux, trois de ses collègues qui épuisées, elles, peinaient à suivre ses désirs. Si sa faim n’était pas satisfaite, jeune loup retournait à la chasse, arpentant marchés, rues, tavernes afin de pêcher, de pécher ses fugaces Aphrodite. Il ne s’arrêtait, en vérité, qu’après être suffisamment tari pour s’effondrer d’un sommeil sans songes ni cauchemars, usant son corps comme ce mal qui l’avait rongé des jours durant, l’empêchant de quitter cette couche si inconfortable & de reprendre la route pour rejoindre son aimée. Et là était sa faute. Et parce qu’il lui fallait ne plus y penser, Evroult couchait partout où on le désirait, ne trouvant en l’amour qu’une rapide rédemption qui s’évanouissait dès l’acte achevé. Ainsi, il ne s’arrêtait plus.

    Besogne le tint si bien qu’il mit temps à répondre. En fait, il mit temps à décacheter une réponse qu’il ne voulait pas lire. Il savait son contenu comme on sait bien avant l’autre la stérilité de ses condoléances. Il savait la dure réalité des mots gravés sur parchemin, le désarroi facile de sa correspondante, la rudesse d’une lecture qui ne lui apporterait rien, sinon la certitude de la solitude. Il savait… & il n’était pas prêt. Le désespéré de son acte l’avait mis dans une situation qu’il regrettait désormais : on savait son chagrin, & on saurait le lui rappeler.

    Un temps, il lui sembla être bonne idée que de répondre sans lire, quelque chose de l’ordre du « je vais bien, tout va bien » accompagné de pâtes de fruit. Hel lui avait montré combien la douceur de celles-ci font oublier jusqu’au sens même des mots qu’on a écrits. Peut-être, alors, Eldearde oublierait jusqu’à la gravité de sa situation. Peut-être même leur prochain échange contiendrait autant de banalités que de sucre, effaçant du parchemin la rudesse de l’instant. En son esprit éteint se bousculait une myriade d’arnaques à l’amitié, élaborant le plus parfait des crimes pour cacher sa faiblesse.

    Et puis… Et puis il ouvrit.

    Citation:
      Limousie,


    J’ai failli fuir pour ne pas vous répondre. Recevoir votre lettre a été un piquant rappel du narcissisme dont j’avais fait preuve en prenant la plume le premier. Je m’en veux, & vous en demande pardon. Vous entraîner en ma souffrance n’aura pas été la plus belle idée du siècle. Pire, je fais de vous le seul réceptacle à mon malheur, sans vous demander votre avis. Je ne vous donne pas le choix, & ne saurais combien vous remercier de ne pas vous en formaliser.

    Et malgré toutes ces évidences d’égoïsme, vous répondez.

    Vos mots sont des baisers pressés sur le front d’un enfant brûlé vif. Inutiles, je ne vous mentirais pas ; mais réconfortants, je crois J’aimerai vous dire que je n’attends rien de vous. Et pourtant, je vous réponds, je vous écris, encore. Je vous lis, & relis, votre lettre à portée d’une main que je reconnais à peine comme étant la mienne.
    Je crois que vous m’ancrez. Ou du moins, je crois que je l’espère.

    Le sol ne m’a jamais paru aussi vague que ces jours. Pourtant, vous me savez peu adepte aux beuveries, & rapide à l’ivresse. Les jours ne sont plus à compter, les nuits s’enchaînent & se ressemblent toutes. Rien n’a changé, & pourtant, je me sens comme un étranger en mon propre corps. Son nom ne peut franchir mes lèvres sans me brûler la gorge & m’arracher des larmes qui ne se tarissent pas. À vous lire, tout ceci est normal : peut-être me rassurez-vous un peu, ici.

    J’ai entrepris de travailler plus afin d’épaissir un peu la bourse vidée de mes voyages et de ma maladie. Car c’est cela qui m’a retenu en la franche Saumur, que je ne devais qu’à peine visiter d’un ou deux jours pour une mission que l’on m’avait confié. Elle est arrivée à Angers pendant mon escapade, & un mal m’a saisi avant même que je n’ose remonter. Et voilà. Il n’y a rien d’autre à dire de la honte qui m’étreint, de la colère qui me ronge en sachant qu’il m’aurait suffi de refuser de quitter Angers pour la revoir, encore, ne serait-ce qu’une fois. Elle, & son ventre rond, car elle était grosse de peu & complètement désœuvrée. J’étouffe de ma faillite.

    La raison pour laquelle je vous écris tout ça m’est encore bien obscure. Je crois que vos mots ont soulagé mes maux, ou au moins ont donné l’illusion d’un cataplasme sur une plaie béante. J’ai entrepris de travailler plus, vous disais-je, & si la chose ne me soulage en aucun cas, j’apprécie ces heures de silence au sein de mon esprit. La peine semble moins lourde, mieux, elle s’efface un peu plus à mesure que l’épuisement se fait sentir, & j’arrive à dormir quelques heures sans que ma honte ne me réveille. Pour ça, je vous remercie.

    J’ai recommandé une de mes amies à vos bons conseils, en Limoges. Elle se nomme Hel, & malgré sa froide parure est aussi chère en mon cœur que je sais réchauffer le sien. Je vous demanderais, encore, s’il n’est pas trop tard, de ne pas dire un mot de mes malheurs : je ne crains rien d’autre que l’inquiéter de ces choses-là. J’aurais tout l’heur de lui dire, je crois, lorsqu’elle viendra plus près de moi. Peut-être redescendrais-je. L’idée de vos bras m’étreignant n’est pas des plus désagréables, tout badinage mis à part.

    De tout le reste de mon âme,

    Evroult.


    Gribouillages & hésitations s’entassèrent sans une relecture, engoncés d’un pliage grossier. La lectrice ne pourrait que relever la faiblesse & le décousu d’une conversation qui, même pour lui, n’avait plus aucun sens.

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Evroult
      Je vais bien, tout va bien.

    Litanie filant entre ses veines vidées de leur essence, sa guérison ne tenait qu’en de fins fils de l’amour naissant. Celui-ci l’étreignait si bien & si résolument qu’il appréciait tout juste les saveurs d’un sommeil qui, s’il était peu profond, se trouvait au moins réparateur. Ainsi, il ne s’émut que peu du silence limousin, jouissant de sentiments nouveaux qui prenaient tout son temps, même celui de ses passes. La Mathilde avait grogné, beaucoup, & plus encore alors qu’il annonçait son départ imminent sans avoir rattrapé les nuits d’absence, les fuites répétées, les clientes délaissées. Blanche Aliénor hantait ses rêves, Hel illuminait ses pensées, & Eldearde, ma foi… Eldearde avait été oublié.

      Je vais bien, tout va bien.

    Il se laissait croire que deuil était passé, que trouver les mots rassurants de l’amie n’avait plus d’importance maintenant que sa favorite ramassait les débris de son cœur. Il se croyait sorti d’affaire, & le départ d’Anjou ne sembla pas lui faire plus peur que ça. Elle l’avait convaincu qu’il fallait pousser jusqu’en Bretagne, retrouver l’empreinte de ce prince breton qui détenait sans aucun doute le fin mot de l’histoire. S’il se refusait encore à croire à son décès, il avait convenu que rester à se perdre dans les vices angevins ne lui serait pas profitable, & qu’il fallait chercher ailleurs. Soit.

      Je vais bien, tout va bien.

    Pourtant, à quelques heures seulement du départ, une angoisse le prit si violemment qu’il s’en trouva plié. Nivéenne était sortie préparer les chevaux, & tout à l’empaquetage de leurs maigres affaires, il était retombé sur une lettre de la main de Blanche Aliénor. Fébrile & affligé, il se mit à chercher les derniers mots limousins, dans l’espoir de retrouver la paix toute relative qu’elle lui avait apporté. Il n’y avait là qu’un vélin froissé d’avoir été trop lu, & le souvenir seulement d’une réponse restée lettre morte.

      Je vais bien, tout va bien.

    Citation:
    À vous, silencieuse Limousie,

      Salut.


    Vous me trouverez osé de ne m’inquiéter qu’aujourd’hui de votre discrétion à ma dernière missive. Je ne sais quels mots ont pu vous rendre réticente à saisir votre plume, pire, je ne me les remets pas. Peut-être ai-je été trop charmeur… il m’arrive trop souvent de dépasser les limites qu’on a posé pour moi, & pour cela, je vous présente des excuses sincères. Je sais votre pureté, & la loyauté que vous dévouez à votre époux volage. Je sais, & loin de moi l’idée de vous causer un embarras quelconque.

    Peut-être ai-je été trop copieux en histoires frivoles, & vous ai-je outré d’être trop cru là où vous savez si bien mesurer vos expressions. On ne m’a pas appris à peser mes paroles, tout juste à les couler dans un savant mélange de charme & de douceurs. Ah ! peut-être est-ce là que je vous ai agacé. On me dit trop plein de suffisance & d’orgueil, & ma foi, sans doute est-ce vrai. Si c’est de cela qu’il s’agit, je m’en excuse aussi.

    Et si ce n’est rien cela, peut-être est-ce ce fardeau de me savoir affligé & lugubre, & de ne savoir quels mots employés pour apaiser mon âme. Gracieuse Limousie, j’ai honte encore de vous avoir fait réceptacle à mes peines. Ne m’en veuillez pas, je vous en prie seulement. Votre amitié m’est plus précieuse que je ne vous l’avoue même, & vous savoir fâchée de mon audace & du tourment que j’offre en seul bagage me serait affreux.

    Parlons de tout ce qu’il vous plaira bien. Excusez mes faiblesses & mes impolitesses, permettez que nous nous écrivions encore un peu. J’ai trop besoin de vous, je crois, & des mots de votre main qui panse si bien mes plaies. Je vais mieux, savez-vous ? Je ne vous assènerai plus de ma douleur.

    Dites-moi que vous ne m’en voulez pas.
    Dites-moi que vous vous portez bien.
    Dites-moi que vous me répondrez.

      Encore, dans ma détresse, je ne pense qu’à vous.
      De toute ma maladroite amitié,


    Evroult.

    PS : je fais route vers la Bretagne, & vos mots, s'ils sont adressés à Angers, ne me parviendront plus. Faites passer à Rennes, en la municipale, comme l'on fait dans ces cas-là. Je n'y suis pas encore, mais j'y resterai quelques jours. Vous répondrez, n'est-ce pas ?

      Je vais bien, tout va bien.

_________________

Evroult
    Citation:
      Limousie,

    Il ne faut pas que vous pensiez que je tente de vous harceler. Vous avez bien le droit de ne pas me répondre, & moi, je n’en ai aucun pour forcer votre main. Mais voyez, je ne peux m’empêcher de coucher encore quelques pensées pour vous, & imaginer seulement que vous me lirez un peu m’est tout à fait réconfortant. Diable… vous me penserez sans aucun doute ridicule. Qu’importe ! j’assume, je crois, j’espère, les mots que je vous destine.

    Sachez que je me rapproche de vous. Hel & moi, puisque sa compagnie ne me quitte désormais plus – je vous raconterai tout ça bientôt – faisions route pour le Béarn en revenant de Bretagne quand je me suis pris à l’envie d’un détour en vos terres. Non pas que la grasse, fertile & bovine Limousie me manque tant – quoi que j’en garde un souvenir douillet –, mais quelques jours de plus ne sont pas beaucoup de choses pour m’assurer que vous êtes en pleine forme. Je vous l’avoue sans fard : je me suis inquiété. Un mauvais rêve m’aura laissé croire à quelques malheurs qui auraient pu vous arriver, & je me suis réveillé avec la certitude qu’il fallait que je vous vois encor. Ce pourrait être l’occasion de converser un peu, vous me raconterez un peu de votre vie que je ne connais pas, & moi, je vous épargnerai de vous conter la mienne, que vous connaissez trop. Ce sera agréable, n’est-ce pas ?

    Et si vous m’en voulez encore, de ces paroles mauvaises dont je ne me souviens guère, permettez que j’arrive jusqu’à vous pour m’en faire pardonner. Sinon, j’irai retracer les pas de cette douce promenade sur les bords de la Vienne, me souvenir de vous, des commérages bovins & du cul de Marguerite – car c’était bien ainsi que s’appelait la génisse ? – en espérant saisir au vol votre anguleuse silhouette. Je me surprendrais même à rêver d’une jolie part de tarte aux noix qui aurait survécu à vos indécentes galipettes dans la bouse – voyez comme je ne vous ménage pas. Même pis ! j’irai chercher Bonnard & vous en serez fière. Vous serez obligée de m’offrir à nouveau ce fabuleux festin. Il me tarde, Kierkegaard.

    J’arrive ainsi bientôt. Tenez-vous prête, ma belle, quelques jours nous séparent.
    Je pense souvent à vous,

    Evroult.

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Heloise
LES MORTS PARLENT LE LANGAGE DU SOUVENIR.


La lecture d'une correspondance qui n'est pas la notre est sans doute ce qu'il existe de plus intrusif et de plus irrévérencieux en ce bas monde où l'intimité est un bien rare et précieux. C'est pourtant l'activité à laquelle se livre la jeune Bonnetain malgré toute sa grande probité : bien qu'y répugnant, elle survole d'un oeil que la honte rend hâtif les quelques lettres qui n'ont point atteint leur destinataire et ses doigts maladifs, s’amoncelant au parquet d'une maison vidée de ses principaux habitants. Les domestiques les lui avaient remises afin qu'elle puisse les porter au chevet celle qui agonise, mais Bourguignonne, après de longs débats intérieurs et autres conflits entre la tête et le coeur, s'est pourtant décidée à les décacheter, à l'affût d'une trace du mari volatilisé.

Deux d'entre elles se font maîtresses de son attention, et plus particulièrement la dernière arrivée, portée la veille par un coursier essoufflé. Non point qu'elles contiennent quelconque information relative au mari en perdition, mais bien parce que se révélant porteuses des angoisses d'un ami qui visiblement n'avait pas eu vent des déboires de la belle enfant. Il serait même à Limoges sous peu, écrivait-il, afin de s'assurer que la grande perche se portait au mieux, et à cela Héloïse ne pouvait raisonnablement rester mutique puisque demeurant également en ces lieux.

Citation:

    Sieur Evroult,

    Pardonnez cette maladroite écriture de n'être point celle de votre amie qui, sans être la mienne, est également chère à mon coeur. Je ne doute pas un instant que celle-ci aurait taillé calame et débouché encrier pour vous rédiger promptement réponse si, de cela, elle avait été capable. J'ai bien longtemps hésité à oser vous écrire après lecture de ces deux plis qui ne m'étaient pas adressés et c'est sans doute juste punition que celle de le devoir pourtant car en bonne aristocélienne que je suis je ne peux laisser votre âme en proie au doute et au tourment.

    Peut-être votre rêve vous fut-il inspiré par quelques desseins divins destinés à vous mettre tant sur la route d'une réalité cruelle que sur celle menant à Limoges où je me trouve présentement. En la capitale limousine vous ne trouverez pas, toutefois, d'Eldearde Kierkegaard, car cette dernier gît actuellement au sein des béarnaises contrées que vous joignez (et que je m'apprête à retrouver également), point morte mais fort affaiblit cependant.
    Néanmoins je ne peux décemment m'étendre plus longuement à ce sujet sur un vélin usé quand vous créchez possiblement dans la même cité que celle qui m'abrite à l'heure où je gribouille cette maigre épître. Retrouvez moi dans l'une des tavernes limougeaudes une fois le borgnon venu et je tâcherai de répondre au mieux aux questions qui, sûrement, rident votre front d'ami soucieux.

    Je suis fort rousse et fort bouclée, le parler assurément empreint d'un accent bourguignon qu'il vous faudra excuser. Je me nomme Héloïse et je vous guetterai, qu'on se le dise.



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Eldearde
Machinalement, Kierkegaard cherche du bout des doigts les boucles qu'elle n'a plus. Six mois d'un carré court et maladroit ne seront pas venus à bout de cette incurable manie qui consiste à se trifouiller les tifs pour à peu près tout et n'importe quoi. Sur le noueux de ses genoux, les inestimables lettres d'un ami courtisan, datées d'un autre temps, et auxquelles Limousie n'avait jamais rédigé réponse, faute de vie, faute d'envie.
Pourtant, après avoir tenté des semaines durant d'échapper au Réel entre les murs glacés du microcosme monacal, Eldearde entrevoit la dure nécessité de se heurter à la matérialité du monde, à son quotidien implacable, tout comme au regard quémandeur d'une progéniture délaissée dont la prunelle crie "Coupable !". Evroult, ses manières de jeune loup lâché dans le poulailler, sa palette de charme savamment étudiée, son allure de psylle longiligne dont l'humour se faisait aussi gracieux que le pas, appartenait à l'Avant, à cette ère révolue qu'elle savait à jamais perdue. Inaccessible.
Et malgré tout, il fallait tisser des ponts.

Citation:

      D'une amie indigne au charmeur de bovins,

    Adonis,

    Après une éternité de silence, permettez-moi de vous l'écrire enfin :
      Je ne vous en veux pas.
      Je me porte mieux.
      Je vous réponds et vous répondrai encore.

    A votre tour, désormais, de rassurer une âme qui s'inquiète de votre sort. Apaisez l'esprit tourmenté qui se perd à vous imaginer souffrant, malheureux, errant ou miséreux. Et si vous ne pouvez me pardonner, ce que je ne saurais semoncer, accordez-moi cependant un mot, un seul, qui me dise toute votre bonne santé, toute votre indubitable félicité.

    Ne vous blâmez de rien, accusez moi de tout.
    Les plis dont vous me fîtes l'honneur ne contenaient rien dont vous ayez à rougir et mon incapacité temporaire à saisir le calame se révèle seule coupable de cette interruption malvenue dans nos échanges aimables. Si l'on vous a entretenu de mon état ou des péripéties qui furent les miennes, je vous prierai de bien vouloir oublier chaque détail que l'on vous donna : il me contrarie que mon souvenir puisse être entaché, à votre pensée subtile, de ces images là. A votre guise de me gracier ou de me fustiger mais, de ces semaines maudites, nous ne parlerons pas. Je sais qu'il est une forme de pudeur que vous comprenez et que, si vous décidez légitimement de me haïr, vous aurez néanmoins la décence de ne point me questionner.

    Ainsi donc aurez-vous revu la fertile et grasse Limousie avant que je ne m'en revienne moi-même au pays. Il m'est doux de me figurer que, au sein de ce plateau de morne verdure, la vie suit son cours comme coule la Vienne flegmatique, Marguerite égrenant les secondes du crotté de sa queue, tandis que vous consolez Bonnard de sa perte tragique à la faveur de quelques fourrés licencieux. Il m'aurait été plaisant de goûter à la paix de ce tableau champêtre en votre auguste compagnie et j'ose espérer que vous en profitâtes pour deux en baladant un peu de ma mémoire à votre bras, l'ami.

    C'est une supplique : répondez-moi.
    Je vous dédie tout ce que mon être conserve de bon et de tendre.


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Evroult
    Entre ses doigts tremblants, fébriles & moites, Loupiot tenait deux missives. La première, ode à la niaiserie & aux amours faibles des premières fois, délicate attention d’une Jeanne qui n’en était pas une, honteux subterfuge destiné à obtenir son attention, apportait la touche de joie & de légèreté qui manquait à la seconde. Cette dernière était l’image même d’un paradoxe, du genre « recevoir un coup de poignard salvateur », qui lui sautait aux yeux dès qu’il reposait l’onyx sur les rondeurs & les piques d’une encre sombre & désincarnée. Réincarnée. Survenues peu après le décès de Blanche Aliénor, les mésaventures d’Eldearde avaient laissé un goût âcre de tragédie grecque au fond de sa gorge. Il s’était vu acculé contre un mur froid & repoussant, alors qu’au chevet de Limousie ne se dressait rien de moins que Lucie, hydre sans cœur qu’il tenait personnellement pour responsable de la destruction de son enfance. Rien de moins.

    Ainsi, en plus de se voir dépossédé de l’exclusivité de la douleur, on lui avait arraché les derniers filaments d’espoir pour la Kierkegaard en lui refusant la visite, ce qui n’avait rien d’étonnant au vu de son métier, mais qui avait fini de le rendre exécrable. C’était un peu comme si lui refuser ce lien équivalait à lui arracher un petit bout de lui-même. Un petit bout de sentiment gracieusement offert un soir d’une simplicité sans nom, à cet instable charme émanant de noiraude, étrange morceau de femme à l’irrégulier des traits aussi fascinant que la clarté de ses iris.
    De la pulpe du pouce il caressa le sceau, finissant de rejeter la joviale amourette pour se concentrer l’amie abîmée. Parfois, il arrivait au jeune courtisan d’avoir le sens des priorités. Parfois.

    Citation:
      Limousie,

    Insultez-moi, semoncez-moi, blâmez-moi, accusez-moi, violentez-moi, fustigez-moi, haïssez-moi, battez-moi, détestez-moi, offensez-moi, attaquez-moi, engueulez-moi, corrigez-moi, faites de moi tout ce que bon vous semble, je n’en ai rien à faire.

    Vous êtes en vie.

    Et moi, en recevant votre pli, en m’écorchant à votre sceau, en parcourant vos lettres, j’ai cru que je pouvais mourir en paix.
    Que pourrait-il alors m’arriver de mauvais ? cette journée est refaite, ma semaine sera parfaite, le mois productif & l’année, mémorable. Vous allez mieux. Savez-vous ce que cela signifie ? vous auriez pu être la pire des truies que je vous pardonnerais tout.
    Du reste, je n’ai rien à vous pardonner, & vous êtes la plus délicieuse des limousines qu’il m’ait été donné de rencontrer.

    Ah ! voilà qu’aujourd’hui je n’ai plus qu’une idée en tête, vous retrouver entre une part de tarte aux noix & un blanc trop sucré. Rien ne vous étonnera, si je vous dis que Limousie fut bien fade sans vous & que Bonnard elle-même ne sut adoucir mon agitation. Peut-être ai-je un peu malmené son cœur, son corps aussi d’ailleurs bien qu’elle ne m’en veuille pas pour ce dernier, je crois. Je me ferai pardonner à ma prochaine visite, si je ne suis pas trop occupé à profiter de vos délicieuses maladresses, de vos mots toujours sages, & des pis lourds & roses d’une généreuse Marguerite.

      Ne me suppliez pas, je suis votre obligé.
      Je me dédie à vous.

        Evroult.

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Eldearde
Il lui avait répondu, du même style mêlant malice et élégance, de la même calligraphie volatile qui semblait danser sur la surface du papier, en proie à une délicate transe. Il ne reniait rien de la Vienne, de la tarte aux noix, du verbiage amène, et ce malgré le silence infinie que l'amie éhontée lui avait opposé. Émotive Kierkegaard en aurait chialé, là, plantée au beau milieu de la cour que le traditionnel sieston de la digestion faisait déserte, délaissée par les quelques domestiques alertes.
Tout n'était pas mort.


Citation:

      Tendre ami,

    Ah, vous me faites le coeur joyeux, captieux incube.
    Quelques mots griffonnés de la longueur toute féminine de vos doigts se montrent bien plus propices à accrocher un rire à ma bouche que le cabalistique mélange d'herbes et de teintures censé giboyer, de la rudesse de ses effluves, la mauvaise Insomnie et sa soeur Mélancolie. Adoncques, écrivez-moi souvent, je vous en prie, que je me perde en sourires au tracé de vos lignes qui sont comme des traits de soleil au milieu de mes nuits. Dîtes-moi la vie que vous menez et dont vous ne dévoilez rien : depuis quand la pudeur est-elle de vos attributs, audacieux diablotin ?

    Je gage qu'insipide Limousie ne sera pas le lieu béni de nos retrouvailles, celles-ci commandant théâtre plus coloré que l'infini de ces prairies monochromes. Les jachères y sont peuplées de fantômes, exhibant éhontément leur adhésion à des temps révolus, baladant le douloureux de leur souvenir de rue en rue. Quant aux vivants, ils sont à l'image du calcaire de leur sol : ils s'accumulent et se pressent dans le noir des tavernes humides; ils s'agglomèrent et se collent. Mais l'apparente fusion s'anéantie à la moindre petite pluie.
    Je ne l'aime plus.
    J'aimerais ne jamais devoir y revenir; laisser s'estomper les contours des formes que ma mémoire conserve bêtement, comme l'averse dilue les couleurs d'une toile que l'on a omis de vernir. Mais nonobstant toute ma profonde aversion, je devine imminent le retour en sainte terre bovine, puisque le mariage me fait m'asseoir sur toutes mes plus sages convictions.

    Avez-vous déjà sillonné les béarnaises contrées, très cher Evroult ? Parfois, le ciel avale les montagnes et, nappés d'une transparence bleutée, les fiers sommets se distinguent à peine à travers la membrane cérulée du firmament. Parfois, les massifs déploient l'armada de leurs crêtes pour déclarer la guerre à la voûte céleste qui bat alors en retraite sous l'assaut des cimes belliqueuses. La campagne se plie, se tord, se gondole; elle aguiche de ses courbes les quinquets désabusés que les plats paysages ont éteint au fil de leur végétation monotone. Il ne manque pourtant pas de verdure à cette fresque montueuse : mais il s'agit d'un vert courageux, vaillant, qui monte et qui descend, qui s'enfonce dans une vallée et ses dédales pour ensuite varapper jusqu'aux alpages et embellir l'univers pastoral.

    C'est ici, entre un morceau d'Ossau et un Jurançon un peu sec, que j'aurais aimé vous retrouver. Tout aurait été différent et familier, coutumier et étranger. Je vous serais apparue changée, certes, mais moins impitoyablement qu'en me révélant à vous dans le commun d'un décors trop bien connu et mille fois parcouru. Ici, vous auriez pu m'aimer encore.

    De toute la force d'une amitié que le temps passé ne saurait altérer,
    Un baiser à votre front.



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Evroult
Citation:
    Impatiente Limousie,

Moi qui comptais savourer quelques temps encore le sucré de vos retrouvailles, voilà que vous tentez déjà de m’extirper les croustillants racontars de ma lubrique existence. Baste ! si vous y tenez, qui serais-je pour m’y opposer ? d’autant, je n’ai jamais su tenir ma langue bien longtemps – c’est qu’elle est aventureuse.

Limousie, je deviens intendant. Oh ! je vous vois déjà froncer vos petits sourcils mignons en un point d’interrogation improbable, plisser une ride du lion qui, je vous l’assure, ne vous fait pas paraître plus vieille, ou étouffer un gloussement que je ne prendrai pas mal – au moins vous aurais-je fait rire. Mais attendez de lire combien l’affaire est bien sérieuse.
Je disais donc qu’il est venu à l’esprit d’une baronne de me faire intendant d’un de ses domaines les plus précieux : son bordel. À vrai dire, je crois n’avoir pas vraiment eu le choix ; les femmes ont de ces arguments qu’un homme sain d’esprit ne doit pas refuser – de plus je tiens à mon outil de travail plus qu’à la prunelle de mes yeux. Sans doute cette opportunité m’offrira-t-elle les intimités nécessaires au faste de la carrière à laquelle j’aspire ? j’ose y croire.

Ainsi, me voilà redevenu parisien pour un temps. Je vous avoue hésiter encore à mes sentiments quant à la capitale. S’il doit exister un lieu physique recueillant & réalisant nos fumeux rêves, Paris doit être la première à y prétendre. Cependant, je ne peux jamais m’empêcher de la voir comme une vieille catin qui n’aurait su se recycler. Voyez comme elle paraît fringante et comme elle agite sa quincaille à tout œil un peu pie ; elle sent les brioches généreuses des cuisines de notre enfance tout en nous régalant d’eaux-de-vie venues de l’autre bout du monde ; & comme elle a l’expérience et la sagesse qui assurent à quiconque la choisit de devenir un coup inoubliable. Et puis, rapprochez-vous un peu, osez ôter quelques couches inutiles & gratter la peau fripée qui s’offre à vos doigts affamés ; il n’y a plus là que vieillesse & rhumatisme & les mains qui tiennent vos bourses tremblent tant qu’elles en laissent glisser la moitié de vos sous ; l’odeur qui vous envoûtait plus tôt semble partout sentir les Miracles & toute boisson s’avère piquette car les meilleurs carafons jamais ne sortent des caves ; & tout en craignant de briser tous ses os, vous jouissez mollement, sans plaisir, à peine satisfait & retournez chez vous recouvert de toutes les maladies qu’une mégère telle qu’elle a pu accumuler durant sa triste vie.

Croyez-le ou non, je suis encore tout excité. Intendant, à mon âge, croyez-vous ?! l’opportunité est trop belle, & loin de moi l’idée de la gâcher. Je suis un employé passionné ; j’ai recruté quelques filles parmi les meilleures essayées, rempli la cave avec tout ce que Paris m’offrait de buvable, assuré par quelques contrats soignés la discrétion de l’établissement &, ma foi, je crois que ce sera luxueux dès lors que le bouche-à-oreille aura fait son effet.

Adonc, vous êtes la bienvenue. Ne croyez pas là que je vous invite à profiter des charmes de mes filles, ni des miens ; par ailleurs, la gestion d’un lupanar demande bien trop d’attention pour que j’arrive encore à me déshabiller pour des clientes. C’est sans doute la seule ombre au tableau : on ne peut être catin et maquereau à la fois.
Je vous vois venir, rassurez-vous ! je n’en reste pas moins Chasseur & Loup.

J’aimerai vous voir à Paris. C’est plus qu’une invitation, & vous ne pourrez la refuser bien longtemps si vous aimez me voir & n’aimez plus Limousie ; moi, où & qui que vous soyez, je vous aime toujours. Je veux bien être des campagnes colorées, des massifs orgueilleux & même un Jurançon pour que vous vous sentiez un peu plus chez vous. Je ne suis pas trop mauvais aux jeux de rôle, & être Limousie ou Béarn ne me fait pas grand peur ; je serai ce que vous voudrez retrouver, & ce que vous voudrez découvrir. Voyez un peu comme je me plie, comme je me tords, comme je me gondole pour vos jolis quinquets.

Assez parlé, pour moi. Vous vouliez voir ma vie s’étaler sous la plume, je vous en dis un peu ; maintenant, faites de même pour la vôtre. Évitez bien les mots qui vous dérangent, oubliez sans craindre ma curiosité les sujets qui vous blessent. Contez-vous à moi, comme à un vieil ami qui ne s’effarouche de rien & qui serait bien incapable de juger. Contez-vous comme vous aimeriez être, ou comme vous êtes vraiment.
À vrai dire, je n’en ai rien faire. Vos mots seuls importent, & mon amour pour vous peut bien fermer les yeux sur ce que vous ne dites pas, si vous dites quelque chose.
Et si l’autorité à laquelle je me risque vous fait hausser le sourcil, permettez que j’écrive combien vous me manquez.

Beaucoup.

    Sentez bien mes baisers partout où vous l’autorisez.

      Evroult.

PS : j’ai posé pied en Béarn, une fois. Mais de ces terres gourmandes que vous m’écrivez bien, je n’en sais rien encore.
J’ose rêver même qu’un jour vous m’offrirez de ces balades dont vous avez le secret pour combler de quelques roulés-boulés mes lacunes touristiques.

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Eldearde
Citation:

    Saint-Aignan, Berry,
    Le 28e jour du mois de septembre 1465,


    Adonis,

    Ne vous en déplaise, mes sourcils restèrent, à votre lecture, aussi plats que mon corsage, aucun pli malvenu ne vint encore enlaidir mon visage et nul rire ne sut salir de ses notes les lignes de votre message. Vous auriez pu me confier, cher ami, avoir été élu à la tête de je ne sais quel Comté ou avoir écrit de vos mains un ouvrage entier que je n'aurais pas fait montre de plus de surprise : je connais toutes vos capacités démentielles et je ne m'étonne guère qu'une autre que moi ait décelé en vous l'impressionnant potentiel.

    Ainsi donc vous voici, d'un même élan, parisien et intendant. Ces deux qualificatifs, il serait injuste de ne point le reconnaître, vous vont comme un gant et semblent, ma foi, taillés pour vos épaules de serpent. Je dois également vous avouer me réjouir de la cessation temporaire de votre activité de courtisan car, si je ne doute pas un instant de votre talent tant pour cette profession que pour en éviter les écueils, je crains que la chose n'en revienne tout de même à jouer avec les vis de votre cercueil. Or il est bien vain d'avoir de l'ambition si un éternel voyage entre quatre planches enterre - avec vous - toutes possibles réalisations. Sans parler, bien sûr, de la peine dont vous m'affligeriez si vous deviez ce monde déserter. Voyez comme je me fais, à votre endroit, bavarde moralisatrice et mère tourmentée à la fois : c'est là le prix de ma plus sincère affection, je crois.

    Je connais la sordide Paris pour y avoir, il y a de cela quelques années, trop longtemps demeuré. Je sais sa myriade de portraits, je sais son double jeu; je la sais adroite à tendre ses filets, à montrer profil le plus avantageux pour ensuite dévoiler ses bas fangeux et assommer de son haleine à faire le papier-peint décollé. La voilà néanmoins, en votre auguste présence, dotée d'un atout de poids et, si ce n'était pour jouir de vos complaisances, je ne m'engagerais point sur les routes qui mènent à ses murs froids. Parce que valdinguant pour les terres de la fée Morgane et de son beau Merlin, nous ferons halte tranquille en la capitale, mon mari, moi-même et notre braillard de bambin, l'accord ayant été à l'époux arraché par votre humble servante désireuse de vous y rencontrer.

    Adoncques pardonnez-moi de ne point ici conter les péripéties de ces derniers mois et de faire ce pli indécemment bref à l'aune de votre dernier envoi : c'est que l'encre est bien fade, veillez le croire, comparée aux timbres trop aigus de ma voix, celle-ci même qui, entre Jurançon et pâté, orneront bientôt votre esgourde de secrets.

      Guettez-moi.








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Evroult
    - Haha !
    Une tête blonde aux yeux de boue releva le nez, l’interrogeant du regard.
    - Non, non. Rien. Pas pour toi. Continue.
    Pli déplié entre les doigts, Loupiot profitait & des charmes d’une de ses propres catins, & des bonnes nouvelles glanées entre les lignes.

    Limousie venait à Paris. Pour lui.
    Rien que pour lui.

    Il gonfla le buste, sourire béat & souffle de joie, onyx brillants levés au plafond décrépi. Il y avait des matins, comme ça, où le monde tout entier semblait plier pour lui.

    - Ha… ah… HA !
    Cette fois, l’adorable tête blonde resta penchée sur son ouvrage, appliquée. Lettre portée à son buste comme pour mieux s’imprégner de ses douceurs, jeune loup repu pour l’heure exhalait un parfum de victoire & d’euphorie espiègle.

    Limousie venait à lui. À Paris.
    Rien que pour lui.

    - Mhm.
    Redressé, un baiser langoureux vint goûter les lèvres pleines de ses propres effluves, friand qu’il était de reconnaître sa marque chez toute femme sienne. Posséder, jouer de ce contrat d’appartenance qui liait la catin à son maquereau, voilà bien la seule chose qu’il louait sans restriction lorsqu’il pensait à son nouveau statut.

    - Laisse-moi faire réponse, & ce sera ton tour.
    Accompagné du gloussement coquin d’une catin déjà alanguie sur la couche qu’il avait délaissée & armée d’une penne grossière & d’une encre baveuse, il fit griffon rapide & impatient pour accueillir l’amie précieuse.

    Citation:
      Limousie,

    Vous flattez fort & savez faire oublier le moindre des reproches qu’il nous serait donné de vous faire. Rassurez-vous tout de même : aucune sorte d’accusation n’a osé agiter mon esprit. Du reste, vous venez. Que pourrais-je demander de plus ? vous êtes pardonnée de tout. Plus encore, s’il le faut.

    Vous m’en voudrez peut-être de faire plus court encore, mais le plaisir que j’ai de vous recevoir bientôt me rend tout agité. J’entends déjà vos accents délicieux bercer mes esgourdes échaudées de vin, & les réminiscences d’une tarte aux noix manquer de m’éclater une dent, à défaut de me faire rouler dans vos bras.

    Venez donc me retrouver au bordel du …, pas loin de la Cour de …. Ce n’est pas bien difficile à trouver, il suffit de tourner à droite une fois le pont de … derrière vous. Surtout, gardez-vous bien de laisser votre bourse balancer ; quelques gamins venus des bas-quartiers hantent le coin ces derniers jours.

      Je vous guette, pour bientôt vous baiser de toute mon amitié.

        Evroult.

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