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[RP Ouvert] L’Art de voyager dans ses petits souliers.

Panorea
Flashback – début Décembre 1464, aux portes de l’Anjou


Arrimant ses semelles l’une après l’autre dans la maigre couche de poudreuse, dans un élan relativement régulier et toujours renouvelé, une voyageuse cherchait refuge. Apercevant les faîtes multiples d’une autre ville sur sa route laborieuse, Panorea relâcha la tension accumulée sournoisement dans ses muscles endoloris et gelés ; son sac d’errance pleinement garni tomba sur la terre glacée et dure, et finalement, après un soupir, l’aventurière l’imita dans une chute plus ou moins contrôlée. Jetant l’œil à l’entour, l’attention fut retenue par l’herbe scintillante de givre sous les rais d’or matinaux, et la campagne qui s’étendait à l’horizon. Pourtant, les vaux et les monts s’étaient succédé, parfois engloutis sous des mers boisées ou couverts d’une dorure de blés, depuis plusieurs mois. Et depuis, la blondeur des champs avait cédé la place à la fine pellicule d’un blanc irisé propre au mois en vigueur.
Calmant sa respiration saccadée à mesure des secondes, Panorea sourit. C’est sympa une ville : promesse de réserves alimentaires et de nuits au chaud. Qui plus est, le pano-rama était superbe, à défaut d’être inédit. Elle finit par s’apaiser presque de cet énième spectacle du matin en provinces françoises. C’est alors que quelque chose la secoua just like a prunier.
Attendez… un homme ? Un brigand ?!

Une espèce de malotru comme elle en avait souvent croisé la surplombait et, malgré sa maigreur manifeste et sa taille non très haute, se moquait éperdument de savoir qu’elle était réveillée. Ses mains sales firent mine de retourner son sac pour trier ce qui tomberait, puis se ravisèrent : le prendre tout entier semblait être une option plus pratique. Après l’avoir jeté sur son épaule, le brigand famélique se tourna vers la jeune femme. Rapide comme l’éclair, il l’allégea de sa bourse sans autre forme de procès.
La Pano en était tellement séchée qu’elle restait assise là, complètement muette. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes, mais le charme du voyage l’avait engourdie. La fatigue et le froid, certes, un peu aussi. On ne pouvait pas être d’attaque tous les jours. Bah, après tout… elle n’avait rien à protéger sinon sa vie, et sa survie serait plus ou moins assurée dans la cité toute proche. Qu’il prenne son sac ! Elle travaillerait et s’en offrirait un autre.

Mais quelque chose la fit chavirer de son assise. Elle leva de nouveau les yeux, cette fois sans lassitude, et les écarquilla. Le démon la regardait, sans bouger. Elle connaissait cette lueur de bête et, révélant pour la première fois des trésors de vitesse, fit voler sa main en direction de sa ceinture de cuir. Le néant sidéral qu’elle y rencontra lui donna le vertige et elle chancela d’angoisse. Il était armé de ses couteaux, désormais. Son choix reflétait son amateurisme en compétences forgeronnes, mais là n’était pas la question.
Après une brève lutte, la demoiselle se retrouva par terre. Un cry rauque s’éleva dans les airs, comme catapulté.


« Hey, faut pas exagérer, non plus ! »

C’était un peu sorti tout seul. On aurait pu croire en désespoir de cause, mais pas que. Une tornade d’énergie souffla plein tubes dans son être, et le courroux anticipateur écrasa l’angoisse comme une brindille. La voix devint grave, et ses bras recouvrèrent une force nouvelle. Elle avait une raison de se battre, finalement. Elle en était même capable de tuer à mains nues, oui messire. À mains nues. Ce qui tombait à pic, d’ailleurs ; elle n’avait plus ses armes. Étrangement, et elle était trop enfiévrée par la hargne pour le réaliser, l’inconnu perdait du terrain. Était-ce dû à la progressive montée en puissance enragée de la nordique ? Ou la réplique l’avait-elle bousculé ?
Toujours est-il qu’elle eut de la chance dans son malheur. Sûrement désarçonné par l’étonnant revirement de situation, le brigand fut projeté dans un tour de force inespéré, l’ultime dont serait capable Panorea. S’ensuivit une partie de bluff où la voyageuse et l’agresseur gardèrent le silence, immobiles et se jaugeant tels deux félins pour un même territoire. Finalement, l’intrus greffier recula sans la quitter des yeux, pour disparaître plus loin dans un sous-bois. Le duel au coeur du givre s’acheva en la laissant grelottante de froid. Ben oui, il avait aussi volé ses vêtements.

Pano soupira.
Ah oui, la ville.
Ça commençait bien, dans la région…


Retour en janvier 1465
Evroult
    [DÉBUT DÉCEMBRE 1464, AUX PORTES DE SAUMUR]


    - Aaah… Aaaaah… AaaaAAATCHOUUM !

    Le son délicat d’une morve retournant bien au chaud d’un nez rouge de glace & de jeune fièvre fit bien plus trembler les murailles que l’éternuement qui l’avait précédé. Mathilde avait missionné un Evroult déjà fatigué en la franche Saumur, honorant un juteux contrat passé avec une vieille bourgeoise en mal de mâle. La guerre avait fait fuir tout décent courtisan des terres angevines, laissant ceux qui n’avaient pas le loisir de vivre en capitale en pâture aux diverses affections qui contaminaient les coureurs de rempart. Paraissait-il qu’il n’y avait plus moyen de s’offrir une passe sans choper la chaude-pisse, & que divers furoncles apparaissaient aussitôt que les filles ou fils de joie passaient une main sur les bijoux de leurs clients. Sans sauter sur l’occasion d’une passe qui lui rapporterait assurément gros, tant la rombière semblait désespérée, prête jusqu’à secouer la capitale angevine, il s’était laissé convaincre par une maquerelle assurant que voir un peu de pays ne lui ferait que du bien.

    Ainsi, délaissant son maladif besoin de retrouver une Blanche qui devait arriver dans les jours qui suivaient, il avait accepté de ne faire que passer, contentant la mégère aussi rapidement qu’il lui était possible avant de remonter sur Angers. L’idiot, persuadé que le froid des chemins ne devait pas être bien plus difficile que celui des ruelles confinées d’une capitale envahie de soldats, ne prit la peine que d’emporter une cape courte, suffisante pour les quelques minutes qui séparaient le bordel d’une quelconque taverne, totalement incompétente à garder en vie un jeune loup aux bottes enfoncées dans le givre & la neige parcourant les longues heures de route menant jusqu’à Saumur. Voilà comment, remparts à peine franchis, Evroult tomba malade.

    Gravement, malade. Lui qui ne comptait pas faire profiter la franche de sa présence plus d’une courte semaine dû renoncer, & à sa mission, & à l’espoir de revoir sa sœur de lait bientôt. Enflammé & suant d’une fièvre qui l’embrassait trop bien, il vint s’effondrer aux pieds du lupanar saumurois le plus proche, qu’importait sa réputation, soufflant d’une voix éteinte son besoin d’être au chaud. On l’accueillit, bien sûr, lui offrant la grâce d’une catin improvisée médicastre qui fit si bien son travail que le lendemain même, des nausées si violentes le prirent qu’il tapissa les murs rapprochés de sa piaule de vomissures sanglantes. Le troisième jour illustra la bêtise d’une putain aussi nigaude que le fou du village en le pliant de douleurs gastriques & de courbatures en des muscles qui n’existaient même pas. Au quatrième jour, la fièvre fut si forte qu’il en fit un malaise qui dura jusqu’au cinquième, jour béni qui vit l’arrivée d’un paysan fort malin qui connaissait ce mal pour l’avoir vu emporter dans les limbes son goret favori.

    Une bonne semaine de saignées régulières fut nécessaire à rattraper les bévues de Nigaude – elle ne méritait pas qu’on la nomme, vous dirait-il. Une autre, pour retrouver quelques touches de couleur sur le minois du Loupiot, y compris le vert & de le violin de cernes si creusés qu’on aurait cru qu’ils avaient entamé l’os. Une troisième, pour l’autoriser à se lever enfin, & la dernière pour aller prendre Nigaude si vivement qu’on aurait pu penser qu’Evroult se vengeait un peu. Elle ne le remercia pas, & eut sans doute bien raison, égoïste qu’il avait été en ce fugace instant de restauration charnelle, & fut par la suite proprement repoussée à chaque tentative de lui faire ingurgiter une nouvelle mixture de sa concoction.


    [JANVIER 1465, DE SAUMUR À ANGERS]


    Ce fut là, alors qu’il avait fini par satisfaire veuve bourgeoise pour laquelle il avait risqué sa vie en allant la rejoindre, là, alors qu’il savourait quelques courts jours de cuissage bien mérités, & sans aucun doute nécessaires à son total rétablissement, qu’il apprit la mort de Blanche. Sa première pensée, sensée du moins, fut de ne pas remettre un pied, un seul en la capitale angevine. La seconde lui rappela que Maryah ne l’avait pas payé, & que Mathilde serait profondément déçue qu’il parte, & avec l’argent de sa mission saumuroise, & sans même un au revoir. La troisième, que Luigi, lui, serait content. La quatrième, qu’il préférait éviter toute autre sorte de confrontation avec un courtisan, ou avec un mâle, ou avec qui que ce soit. La cinquième, & la dernière qui fut importante avant que son esprit ne retourne dans les limbes de désespoir qui avaient suivi l’annonce de la disparition de la rousse Blanche, qu’il lui fallait savoir ce qui était arrivée à son trésor. Mais passons : si l’évènement fut assez important pour être notifié, il n’eut pas grand-chose à faire avec notre histoire présente. Bref, donc.

    Si Panorea n’avait sans doute pas perdu autant que lui ces jours-ci, elle avait tout de même perdu suffisamment de vêtements pour qu’il s’y attache aussitôt. Comprenez : il se retenait encore d’en faire son quatre-heures. Finalement, la mort de Blanche avait beaucoup de choses à faire ici, puisqu’elle avait réveillé le vice libidinal d’un corps jamais tout à fait repu. Et tout chasseur qu’il était, le jeune loup avait jeté son dévolu sur la solide fausse brune – rien ne lui échappait, évidemment. Sans l’effrayer pour autant, il s’était présenté sous sa naturelle galanterie, en avait profité pour obtenir quelques maïs au prix réduit, & s’était étonné de la facilité avec laquelle elle lui avait proposé de l’accompagner sur Angers, pour le protéger. Le loup était gracieusement invité dans la bergerie.

    De là, il suffisait de peu de choses. Déjà, éviter de la mettre dans ses petits souliers.

    - Eh bien ! Panorea, j’ai failli ne jamais vous trouver. Quel campement… original… Enfin, bref. Je tenais à vous voir car j’ai récupéré quelques vieilles fripes d’une de mes connaissances. Rien de très folichon, mais suffisamment chauds en tout cas pour éviter une mort très désagréable. Mais pas pour éviter les soldats ivres, toutefois…

    Et lui trouver des souliers à sa taille.
    Ou au moins à la taille d’une des courtisanes du Boudoir de Soi.

    - Ça n’a rien d’une armure, mais je craignais trop de vous savoir glacée.

_________________
Panorea
L’hiver avait continué son œuvre sinistre au fil des semaines, depuis son arrivée en Anjou ; la beauté des terres chapées de blanc ne suffisait pas à faire oublier la morsure du vent. La voyageuse avait été contrainte de se sédentariser, histoire de recouvrer une base économique… ou, du moins, de recouvrir ses os. Frigorifiés, ils avaient trouvé retraite dans les taudis de la ville. Le manque de peuple qui y régnait avait surpris Pano, mais elle avait trouvé la réponse au marché : Dame Famine, implacable et dure comme le pain restant, torturait le commerce de Saumur. À la guerre comme à la guerre.
Pourtant, dotée d’une endurance à l’épreuve des ball… de la faim, la jeune femme était habituée à manger peu – très peu – tout en fournissant un travail bien fait. Pour tout dire, sa motivation à la mine décuplait avec l’immatérialité flagrante de miche fraîche. D’ailleurs, elle en était venue à apprécier les objets phasiquement instables : le jeter d’écus invisibles en taverne avait été un déclencheur. On vous promet qu’elle ne boit pas.

Quoi qu’il en soit, après tant de labeur acharné et le retour logique de sonnantes et trébuchantes, Panorea avait fait le choix d’une masure : délabrée, sombre et petite, à l’autre bout des activités citadines… MAIS avec quatre murs de pierre et un toit. L’argument de vente ultime pour qui refuse de mourir de froid.
Et toujours rien sur le poil. Ah, si ! Sa fidèle chemise, victime d’un passif (visible, lui) d’avoir trop foulé la paille.

C’est en étalant sa récolte sur les tréteaux de ce marché appauvri, qu’elle avait senti une once d’instinct protecteur lui enserrer les entrailles. Un peu tard – réputée pour sa lenteur, parfois* – elle avait remarqué celui qui lui avait acheté sa nourriture à grands frais : après avoir noté son apparence juvénile, et l’avoir qualifié de « trop jeune pour souffrir de la faim », il lui avait révélé en réponse qu’il avait surtout souffert de la maladie. La jeune femme avait succombé à divers maux successifs pendant une petite semaine, mais, telle un bûcheron du Pôle Nord, les symptômes s’étaient naturellement écrasés devant sa suprématie génétique. En revanche, elle commençait à s’inquiéter de plus en plus pour le garçon. Et il voyage seul, en plus. Le fou.
Il va à Angers ? Elle aussi ! Quelle coïncidence. De temps en temps, la vie est bien faite.
Adieu la chaleur toute relative de son chez-elle.

Et la voilà, au beau milieu d’un campement magistral d’en tout et pour tout une toise au carré. Composé d’un amas de couvertures en laine sous une petite tente de toile. Et c’était le sien. À la guerre comme à la guerre, donc…
La saison en cours avait le soir sombre, et ce n’était pas en janvier que ça allait s’améliorer. Un feu sommaire dansait sous une légère bise, un tantinet malmené, non loin. On aurait cru les flammes avoir les yeux plus gros que le ventre, à les voir s’attaquer aux bûchettes à leur base sans grand succès. Ce n’était pas suffisant pour réchauffer la zone, mais, en grandissant sous la voûte céleste obscure, ces mêmes flammes redonneraient des couleurs à celle qui leur avait donné la vie. Panorea était assise au sol, tout près, une ultime couverture offerte en tav’ l’enveloppant, et elle observait son foyer sans le voir.

Encore des pas dans l’herbe pour la tirer de ses contemplations ; cette fois-ci, cependant, nullement pour la dépouiller. La belle figure du jeune homme la hèle, puis cherche un qualificatif pour… sa zone. Pas d’autre mot. Elle a le squat dans le sang.
Il a les bras chargés, et elle écarquille les yeux en reconnaissant dans la pénombre des vêtements. Il l’avoue, même. Panorea se lève et se concentre sur l’étoffe pour l’apprécier. Et finalement…
Elle s’amuse fort de la panoplie, retient un rire franc par courtoisie… et se contente de sourire ; quoiqu’amplement. Peut-être son camarade de route aura vu l’étincelle dans son regard. Cette petite lumière mobile et fluide abritant la valse entre l’émotion muette de la reconnaissance, et la satisfaction toute primitive d’avoir une présence amie en terre étrangère. Ce type de lueur marche aussi en soirée au coin du feu, à échanger sur des légendes locales. Pourquoi choisir ? Ni une, ni deux…
Elle ouvre un bras pour inviter le généreux donateur à s’approcher.


« Envie de vous réchauffer ? Si vous restez quelques heures, je parie que le feu va finir par être efficace…
« Par contre… Déesse ! Comment voulez-vous que je fasse peur aux brigands comme ça, vêtue comme une femme ! Sur ma cotte de mailles, en plus. Vous voulez vraiment nous faire attaquer la prochaine fois… »


Nulle armure de plaques ou maillage de fer sur la demoiselle, uniquement sa chemise. Encore des choses invisibles ? Pas d’alcool non plus près du feu, promis.
Après une taquinerie dans les règles, le sourire se fait doux.


« Merci de votre don ; et merci de vous inquiéter pour moi. On m’a proposé de rallier une auberge en ville, alors si vous avez besoin d’un endroit, je pense qu’ils auront une chambre pour vous aussi. Vous n’avez pas froid, ni faim ? Je ne vous ai jamais demandé ce que vous veniez faire dans les environs, ni si quelqu'un vous avait prévu un endroit pour vivre. »

Tout en parlant, elle lui propose de lui montrer ce qu’il tient, histoire de savoir dans quoi elle se baladera les jours prochains. En attendant sa cotte de mailles visible. Elle avait déjà les bottes fourrées de l'ensemble qu'elle se voyait s'offrir, des souliers parfaits pour le voyage...
Mais, mine de rien, notre Pano est touchée en plein cœur.




* souvent.
Evroult
    - Vous ne m’apprenez rien, mais puisque la route a été calme, je me suis dit que vous aviez bien le droit d’avoir simplement chaud à défaut de pouvoir vous armer.

    Oh, il aurait pu fouiller un peu dans les objets trouvés pour récupérer une ou deux lames que de respectables & ivres fantassins n’osaient plus venir récupérer, mais il doutait que Mathilde laisse accès à ses trésors si facilement. En fait, il la savait suffisamment maligne pour coffrer les oublis en des caisses qu’elle n’ouvrait à personne, & ne les ressortir qu’en cas d’extrême nécessité. Attaque au bordel, client récalcitrant, budget troué. Ça ne se vendait pas, non. Ça se conservait, en l’attente de lendemains plus durs.

    Mais les lendemains, à ce jour, étaient tout aussi calmes qu’on aurait pu l’espérer. D’une dextre délicate, il lia ses doigts aux étoffes pour dévoiler ses dons, comme un couturier présenterait son œuvre, guettant sur les traits agréables une réaction, quelconque. Là, une longue chemise de laine teinte d’un émeraude éteint qui descendait trop aux chevilles, preuve s’il en était que l’originale propriétaire était aussi haute que féminine, ici, une fine ceinture de trois liens de cuir tressés, habilement menée pour pendre à une taille dont elle soulignerait les hanches, & enfin, un grand mantel flottant fermé d’une cordelette, épais comme trois épaisseurs de lainage gris, l’élimé des coutures attestant sans mentir de l’épreuve des voyages.

    Solange s’en était délesté sans le moindre questionnement, visiblement impatiente de le voir s’éloigner de sa couche, où il avait laissé une empreinte profonde & encore chaude. La flamboyante rousse faisait sans aucun doute partie des courtisanes qu’il aimait le plus à visiter une fois son service terminé, & là qu’il avait quelques jours à tuer avant de reprendre son œuvre, il ne se gênait plus pour la rejoindre avant même que les cloches sonnent le début de la nuit. Elle, n’osait le repousser tant elle s’en était pris d’affection, quand bien même l’épuisait-il qu’il lui fallait se faire violence pour ne pas décevoir le premier client. Exigeant & vorace, jeune loup devenait imprudent. Mathilde ne tarderait pas à saisir ses dérives.

    - Et encore… J’ai dû faire un tri considérable !
    Ce serait un plaisir de vous conter tout ça près d’un feu que, ma foi, je saurais attiser.


    De là, le séant installé & les rires de mise, conversation s’étala de badinages en badinages, alors qu’il détournait autant de questions qu’elle éludait les siennes. Rien ne fut tenté, ce soir-là, malgré l’improbable quantité d’allusions indiscrètes. Chasseur tâtait le terrain, se délectant d’une partie de chasse qui s’annonçait aussi longue que délectable.


    [D’UN OU DEUX LENDEMAINS PLUS TARD]


    Ça se passait toujours un peu ainsi, en fait. La nuit s’étirait à outrance, couvrant de son obscure voûte les âmes les plus sages, invitant confessions & joues empourprées. Il fallait un contexte savamment maîtrisé, un âtre aux bûches faibles ne répandant plus qu’une souffreteuse lumière, engageant des rapprochements utiles au maintien d’une chaleur convenable. Il fallait mettre les rougeurs sur le compte d’une tisane de romarin trop abrupte, les secrets sur celui de l’emportement de la jeunesse. Il fallait se retenir de goûter déjà aux lèvres défendues, savourer seulement un cœur qui doucement s’enfiévrait, se faire l’esgourde creuse & sage d’aveux difficiles, se laisser blesser & rassurer, surtout.

    - Je ne vous demande rien, dirait-il souvent. Il se ferait le visage d’une vigueur toute juvénile qui lui seyait si bien, lui, jeune tendron pour quiconque n’avait pas encore conscience du métier qu’il exerçait, & pire ! de combien il y était bon. Il saurait se vexer, tremblant de son aveu & d’un accueil trop rude, se calmer & promettre de ne plus en reparler, promettre d’oublier. Il saurait s’y attacher, malgré elle, malgré lui, & la laisser rejoindre sa couche sans rien tenter de plus, alors qu’il irait se défaire de son imperceptible frustration auprès de Solange qui travaillait encore, auprès de Maryah qui ne l’avait pas payé, auprès de n’importe quelle jouvencelle facile qu’il flècherait proprement.

    Chasseur charmé, charmant chasseur, demain déciderait seulement.
    Et peut-être, avec son accord, deviendrait-elle trophée. Et lui, idiot comblé.
    Jusqu’à la prochaine.

_________________
Panorea
Oubliant toute discrétion, comme face à une proposition de chouquettes, Pano avait presque bondi. À la lumière vacillante autant qu’honnête de son brasier, on lui tendait une ceinture. De cuir, mesdames et messires ! Nul besoin de doux velours, de vair ou de soie empreinte de volupté. Enfin un matériau noble que le derme épais et ferme, apte à être porté en toute occasion de voyage. En cet instant, la lueur dans son regard brillait d’un intérêt peu ordinaire. Si Evroult avait fait un premier tri dans les habits, Pano en fit donc un deuxième :

« Permettez que je prenne… ça ? »

Souriant comme une enfant – et pas trop gênée, une fois n’est pas coutume – malgré sa voix éternellement grave, elle n’avait pas attendu de réponse et avait levé l’objet devant elle, pour mieux l'estimer. Cette ceinture lui rappelait un peu l’ancienne ; celle qui lui avait été dérobée si vite qu’elle n’avait pas eu le temps de le remarquer. Lenteur, on vous avait dit, et on ne vous avait pas menti. Cette sangle-là, qu’on lui présentait, était néanmoins plus complexe et bien plus féminine encore, mais demeurait pratique. L’usée toison cendrée du mantel la tiendrait au chaud pour sa part, et ce n’était pas négligeable en ces temps blancs. Quant à la longue chemise… si ce n’était pas une robe, c’était bien imité. Jusqu’à la teinte. Pano était coincée, elle ne pouvait refuser un cadeau que l’on avait probablement mis de la peine à trouver. Juste pour elle. Qu’en faire ?
Si elle attendait patiemment d’enfin revêtir du métal, travaillant sans relâche et économisant même un lainage, il y avait plusieurs raisons. 1/3 de goût pour la déco martiale, 2/3 pour l’utilité. Si elle se moquait un peu de l’or – outre pour son extraordinaire pouvoir d’achat –, elle n’était pas contre une protection rutilante. Surtout si ce beau plumage la tenait à l’abri des coups. Rien de meilleur que de sentir un poing s’écraser ou une lame dériver sans effet sur son torse. Contre les bras les plus costauds, c’était l’affaire d’une esquive. Or, une robe était un accoutrement tout à fait charmant, témoin des délicatesses et des fragilités de sa propriétaire. Voire des charmes. Qu’en faire…
Après un instant de flottement, ses traits se radoucirent un peu ; le conflit intérieur s’était dissipé. Pano accepta le paquet dans son entièreté. La trop longue chemise couleur de gemme servirait de couverture supplémentaire, mais elle n’en dirait rien. Pour autant, elle ne s’était pas posé de question. Elle aurait pu se demander ce qu’Evroult voyait lorsqu’il posait les yeux sur elle. S’il la considérait comme son garde du corps temporaire (ce qu'elle était, à quelques muscles près), ou plutôt comme une femme. Avec, genre, un corps de femme. Elle aurait la réponse quelque soir plus tard…

Après une volée de compliments dans lesquels elle avait peine à se reconnaître, il lui avait pris les mains comme un amant. Il avait fait naître un tourbillon si intense et si spectaculaire en une seconde qu’il avait englouti toute volonté dans un abîme. Qui était-elle, déjà ?… Notre combattante en chemise longue avait senti sa forteresse vaciller, alors qu’elle était réputée imprenable. Imprenable, pensez-vous… Mais elle n’avait pas cédé.
C’était un garçon attachant, courtois, et attentionné avec ça. Bien avant de le savoir, Panorea avait été frappée par une image, une apparence première : celle d’un jeune homme en proie aux vestiges d’un mal dont il avait peine à guérir, en piètre état. Un réflexe protecteur s’était déclenché aussi sec, et cet instinct, peut-être était-il finalement maternel. Voilà comment, elle, elle le voyait.
D’ailleurs, Panorea avait d’autres projets. Elle préférait de loin courir les chemins que courir les hommes, et escorter les voyageurs que les langoureux. À vrai dire, Panorea ne se croyait pas capable de sentiments, outre une certaine affection amicale, et l’admiration.
Il ne faudrait pas non plus très longtemps avant que le besoin de se dégourdir les gambettes dans le Royaume ne la chatouille.

Il allait avoir du boulot.
Hehehe.
Evroult
    [MATIN FÉROCE]


    Phébus tendait des bras laiteux sur les fous engagés dans les ruelles d’Angers, bravant là un air que ses rayons faiblards ne pouvaient réchauffer. La douce agitation matinale, à peine émue de l’effervescence du marché qui finissait encore de s’installer, s’expliquait par l’engourdissement des corps & le gel des orteils. On ne pouvait rester en place & profiter d’une léthargie de mise pour qui s’était levé trop tôt : il fallait s’activer au risque de perdre plus de membres qu’en une journée de guerre.

    Le sommeil, lui, n’avait fait que narguer un Evroult frustré & tourmenté. L’éphèbe si prompt à la torpeur avait été saisi, ces dernières semaines, d’insomnies qui expliquaient, presque à elles seules, la douleur & les cauchemars venant hanter ses siestes. Ce matin, les bottines qui s’enfonçaient dans la gadoue givrée d’une neige fondue se faisaient l’annonce d’une soirée qui n’avait pas amené la paix à laquelle il aspirait. Cette nuit, pourtant il avait repris le travail. Cette nuit pourtant, il avait retrouvé la flamboyante Solange pour faire passer la frustration de trop de retenues.
    Cette nuit, pourtant, Solange ne l’avait pas repu.

    La veille lui avait refusé un tête-à-tête précieux avec l’affirmée Panorea, mettant en péril le lien si délicat qu’ils s’étaient créés, laissant un suspens glacial enrober les révélations de la nuit d’avant. S’il l’avait sentie prête à franchir le pas difficile du choix des sentiments, elle doutait beaucoup plus quant à la décence de son âge. Ce problème-là ne s’était encore jamais présenté à lui, & s’il s’amusait désormais presque qu’on le nomme Loupiot, il tiquait beaucoup plus à l’idée de se faire refuser une femme parce qu’on le dirait trop jeune. Et diable ! ça l’avait torturé plus que de raison.

    - Vous me mettrez deux petits pains d’argile blanche, une once de chaux… Ah, vous avez là une bien blanche céruse ! Trois livr… Non, non, un peu moins. Voilà.
    Vous ferez livrer ça chez la Mathilde de la rue Cornet, on vous accueill –

      - era bien. C’était ce qu’il s’apprêtait à dire, d’un clin d’œil entendu, au marchand de poudres & de savons qui lui faisait face jusqu’alors.

    Pourtant, le violent coup de poing reçu en la mâchoire le rappela à l’ordre. Non, Evroult, on ne proposait pas des paiements en nature avant de connaître les gens. Non, Evroult, on ne se baladait pas à des heures aussi fraîches quand on était courtisan. Non, Evroult, on ne se tapait pas l’épouse du forgeron, quand bien même paierait-elle, aussi impunément. Non, Evroult.

      Et tu le savais bien, toi qui n'en étais pas à ton premier coup de poing, tu le savais bien que l'attroupement se ferait autour de vous plus vite qu'un claquement de doigt, que l'annonce d'une baston se répandrait comme la traînée de poudre achetée pour poudrer tes traînées, & que la douleur ne s'arrêterait pas tant que le cocu devant toi n'en aurait pas décidé, n'aurait pas fini de déverser son fiel, non. Et tu le savais bien, toi, qu'il cracherait sur ton rang, qu'il cracherait sur ton corps, mais qu'il tairait, oui, qu'il tairait autant que possible ce qui le poussait à bastonner un jeune éphèbe en pleines courses. Parce qu'être cocu par le bordel, c'est pire, peut-être, que d'être cocu tout court.

    Aïe.

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Panorea
Un mal de tête. C’était un mal de tête ambulant qui errait plus qu’il ne flânait au gré des rues, un peu au hasard. Refermant sur elle un pan de son nouveau mantel épais aux couleurs de l’hiver, le pas plutôt lourd et le visage un peu froissé, Panorea n’était pas vraiment non plus à la fête. Elle n’avait pas pris la peine de beaucoup s’intéresser au jeune homme pendant la soirée précédente, et elle l’avait payé. Avant qu’elle ne s’en rende compte, il avait prétexté une occupation quelconque et s’était enfui dans la nuit. Son soupir se cristallisa dans une vapeur blanche, et à quelque distance, près d’un marché, des bruits semblèrent redoubler. Elle continua sa route, tournant la tête au fur et à mesure pour entrevoir l’origine de l’agitation.

Une foire était donnée, peut-être. Ce qui la marqua fut cette atmosphère électrique et tendue, propre à ce genre de spectacles qu’elle fuyait comme une épidémie. Une meute de loups avides hélant deux hères occupés à s’étriper, ronds comme deux queues de pelles s’abattant l’une sur l’autre sans grâce aucune.
Ça ne la regardait définitivement pas.
La carrure de l’un des guerriers d’un jour lui était familière. Il était d’ailleurs assez frêle pour être dévoré tout cru, ce qui n’allait pas tarder à arriver. Son corps bastonné serait ensuite lâché à la bande galvanisée, rassemblée fort à propos pour l’événement. Se défendait-il, au moins ? Il lui fallut un peu de temps pour réaliser, arrivant enfin à détailler les traits délicats de l’agressé, de loin, qui se faisait salement amocher.
Nom de d’la… Evroult ?!

Une seconde. En cet intervalle, elle eut un premier réflexe : sa main se leva presque, malgré elle, dans un élan de consternation. À deux doigts de se la passer sur le visage. Il n’était pas censé se battre. Il avait promis, diantre. Finalement, le marbre de sa face se durcit un peu, et un superbe froncement de sourcils acheva le tableau.
La pensée que son compagnon de voyage reçoive davantage de coups à la minute ne lui laissa pas plus de choix.

Le pouvoir de sa cotte de mailles invisible allait enfin être révélé. Elle n’était pas anti-rouille. Elle n’était pas étincelante de solidité. Elle n’était même pas décorative. Non, mais son secret résidait dans tout ce qu’elle n’avait pas ; et tout ce qu’elle n’avait pas laissait la place à la plus importante des résistances : l’assurance. Évidemment, Panorea n’y pensait absolument pas en cette heure, ni même à ce manteau gris passé qui lui donnait une autre raison encore d’aller au secours d’Evroult. Sa main qui s’abaissa commença de trembler tout doucement ; la jeune femme s’en aperçut, et l’éventail des possibilités futures la saisit à la gorge. Elle en connaissait un rayon sur les joies de se prendre une rouste ; si encore ça s’arrêtait à la rouste. Et elle n’était même pas armée. Ses couteaux s’étaient fait la malle un mois et demi plus tôt, apprivoisés gaiement par un inconnu qui leur avait promis de les chérir à sa place. Enfin, elle l’espérait. Elle n’avait plus de nouvelles.
Panorea prit sciemment deux secondes supplémentaires pour admirer le paysa-… pour vérifier que quelque chose d’utile puisse, ô miracle évoqué, traîner sur un étal. Sans succès. Était-il possible de manquer de chance toujours pile quand c’était l’urgence ?
L’angoisse pressa si fort ses entrailles qu’elle lui donna la nausée : la brutalité de la situation lui rendait conscience qu’elle restait humaine, féminine, et surtout moins forte.

Pano allait quand même houspiller un forgeron, sans armes et sans armure. S’ils n’étaient pas tous des combattants, les maîtres artisans étaient au moins assez forts pour travailler le fer et supporter la chaleur du foyer jour après jour, des années durant, penchés sur leur labeur. Elle ne savait pas sa profession ; en revanche, elle voyait bien sa masse puissante et voûtée, et les battoirs de chair avec lesquels il frappait.
Trop pour ne pas avoir peur. Était-elle devenue folle ? Aussi folle que l’était Evroult de voyager seul, et de provoquer le courroux d’un épais personnage. Il l’entraînait dans la folie. Allait-elle finir détruite ? Elle ne se posa pas la question de savoir si ça tombait ce jour-là, mais elle avait une certitude. Panorea se rapprocha lentement parmi les spectateurs, le cœur battant une chamade douloureuse, et frappa fermement du plat de la main sur l’épaule puissante qui la narguait, histoire de se faire entendre.


« Vous frappez le mauvais garçon. »

Une espèce de coup qu’elle ne sentit presque pas, tant il était violent, plut roide sur elle, comme s’il s’était agit d’une volée entière. La douleur s’imposa un peu plus vite qu’elle ne comprit la scène, et elle était déjà à terre, se rattrapant à sa dignité. Feue, sa dignité. Encore à terre ? En un mois ? Tiens, elle n’avait plus mal à la tête. Apparemment, l’homme avait usé d’un sacré réflexe en se retournant vers elle. Ou alors, il n’avait pas apprécié d’être dérangé.
La téméraire – inconsciente, que dis-je – se frotta la mâchoire. Elle claquait des dents, peut-être de rage, de peur ou de douleur… ou juste de froid. Elle avait ça pour elle qu’elle était d’une neutralité époustouflante. Elle évitait les conflits, se taisait souvent, jouait les statues en taverne et préférait croiser les bras sur les situations lambda. Elle était même capable de se laisser piquer ses affaires, on l’avait vu. Et pourtant, l’intérêt était là. Hel savait pourquoi, il n’était pas question de reculer. Se relevant tant bien que mal, tentant vainement de faire abstraction du groupe autour d’eux, Pano songea qu’elle allait encore avoir des réflexes pour protéger son visage pendant pas mal de temps. Encore une humiliation.
Elle devinait Evroult derrière le colosse, mais pas assez pour savoir comment il allait. Ni s’il la regardait. Elle ne voulait pas qu’il la contemple tombée de sa forteresse, en proie aux émotions les plus humaines. En train de mordre la poussière, surtout.

Elle se répéta. Ses dents claquaient toujours sur un rythme désordonné, comme paniquées à elles seules. Pourtant, son regard luisait noir. De mauvais poil. Un tantinet.


« Vous frappez le mauvais garçon… »
Evroult
      Et tu le savais bien, toi.

    L’écarlate de ses veines qui déforment ses traits se mêle au grenat de pupilles dilatées où brille une lueur qui n’a rien de lubrique, qui n’a rien de sensuel, qui a tout de charnel. Il pue le vice de la rage, la débauche de la haine, la perversion de la trahison, le stupre de la jalousie. Il pue, il pue pire que la honte qui l’étreint, il pue celui qui pleut les coups, il pue celui qui pleut la mort.

    Il hurle sa fureur de s’être fait trompé. Peut-être, une fois ses poings brisés par les mâchoires résistantes, peut-être ira-t-il tuer la femme qui l’humilie, qui lui fait même l’affront de ne pas aimer un autre, de seulement le vouloir en son sein. Il gronde & il matraque, il beugle & il pleut les coups de poings, les coups de pieds, les coups du forgeron.

      Et tu le savais bien, toi.
      Tu savais la lippe éclatée avant qu’elle ne faiblisse, & la main insuffisante à protéger le minois aimé par tant de femmes. Tu savais le risque, les risques d’être toi, mais tu l’as pris quand même, & tu l’as prise quand même, & tu t’es pris quand même. Tu savais, que ce n’était pas ton combat.

      Alors, réprimant tous les sourires qui ne te venaient plus aux lèvres sanguinolentes, baissant les onyx brillants de douleur, de peine, & de résignation, tu t’inclinas. Le corps secoué des coups qui pleuvaient quand même, tu te laissas faire comme on laisse un enfant foutre ses doigts dans ton nez, te tirer les cheveux. Tu t’affaissas, les deux mains dans le gel, les deux mains dans la boue, les deux mains dans la merde de ton sang qui venait rougir la neige. Tu sentis une arcade explosée par la botte de Brutus, le souffle qui se coupa par la grâce d’une main qui écrasait ton cou, par la grâce d’un homme qui te relevait déjà pour que tu lui fasses face, pour que tu le défies.

      Et tu le savais bien, toi.
      Il y avait dans ses yeux l’abîme de l’incompris, qui veut qu’on lui réponde, qui veut qu’on le provoque pour avoir toutes les raisons du monde, aux yeux de la foule qui l’acclame, de rendre la sentence ultime. Il y avait dans tes yeux l’amertume de l’impétueux qui voudrait le combattre, mais qui se croit plus malin parce qu’il sait. Parce que tu le savais bien, toi. Tu savais, que ce n’était pas ton combat, mais celui du brave gars ivre & sale qui s’est vu trompé, qui s’est vu trahi, qui s’est vu faible face à une femme qui avait tout pouvoir de bonheur ou de peine sur sa lourde carcasse.

      Et toi, que pouvais-tu, sinon le laisser faire ?
      Et toi, que pouvais-tu, sinon te taire ?
      Et toi, que pouvais-tu, sinon prier pour que ton corps résiste encore un peu, pour que ton cuir s’endurcisse & se prépare à effacer déjà les traces du délire provoqué par la peine. Car tu le savais bien, toi, qu'ilallait s’arrêter. Qu’il ne te tuerait pas. Qu’on l’arrêterait peut-être. Tu le savais bien, toi, que le peu d’honneur qui lui restait voudrait qu’il ne tue pas le garçon qui ne résistait pas.

      Mais lui, il ne le savait pas encore, peut-être.
      Et il te lâcha, un instant, pour cogner quelqu’un d’autre. Mais toi, tu ne t’enfuis pas. Car tu le savais bien, toi. Qu’être cocu par le bordel, c’est pire que d’être cocu tout court.


    - Vous frappez le mauvais garçon…
    - Panorea... Fuyez.

    Être cocu par le bordel, c’est pire que d’être cocu tout court.
    Mais elle, elle ne le savait pas.

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Maryah
Soirée de M**de !
Nuit de M**de !
Matinée de M**de !

Le ciel est gris, le temps pluvieux, il fait froid, il fait moche ... L'Anjou est rempli de royalistes, c'est moche, très très moche. Et ça ne va pas aller en s'arrangeant. Ce jour, aura lieu, sur la place publique, la Torture infligée à Samsara.
La Torture, le Courtisan ... c'est comme si la vie s'amusait à lui ramener les pièces d'un puzzle trop bien connu : son passé. Son esprit est torturé, les nuits sont courtes, les cauchemars fréquents, Samsara va être martyrisée, Cobra est en prison ... et chaque matin, les grands yeux de son fils qui se posent sur elle, lui rappellent exactement d'où il vient, et les circonstances de sa naissance. Double peine.

Ce qui fait d'elle au petit matin, un zombie dans les rues d'Angers, qui part en grognant avec son panier sous l'bras, lançant des regards noirs aux gardes royalistes croisés de ci de là. Elle redoute un guet apens, une échauffourée, un appel à la garde, un coup tordu .... Les scènes de violence en temps de cohabitation imposée ne sont pas rares. Et quand elle entrevoit l'attroupement, son cœur manque un battement. Quel salopard de royalos est encore venu foutre la m**de ???!!! Peuvent pas rester dans les beaux quartiers et foutent la paix aux Angevins ?!

Alors elle vérifie la présence de ses lames, et d'un pas assuré, se mêle à la foule qui s'agglutine. Reconnaissant quelques locaux, elle s'entend répondre que c'est Gauvin dict. Brutus qui donne une bonne leçon à un gars !
Haussement de sourcils. Cette armoire à glace de Brutus, le forgeron inégalable, s'adonnerait-il à une leçon de bravoure angevine ? Dommage que sa femme, laMadeleine, ne soit pas là pour voir ça ; elle qui le trouve toujours trop mou, trop conciliant, trop béni oui oui. Et la curiosité la poussa tout naturellement à se faire une place au premier rang ; l'affluence était tout de même moindre qu'à une course de gogos royalos, et donc elle estimait que c'était certainement un trouffion royaliste qui se faisait, s'cusez moi l'expression, démonter la tronche.

Entendit-elle la voix avant de le voir ? Ou l'inverse ? Elle n'aurait su dire, mais ce fut comme si d'un claquement de doigts, elle s'était vidée de son sang. Comme si son teint hâlé s'en était parti courir les montagnes russes et s'aventurer en Laponie !
Lui !
Evroult !
Le courtisan !
Et il ne lui fallut pas plus que quelques secondes pour comprendre dans quelle situation le bellâtre s'était mis ! L'éphèbe ...
Celui là même qu'elle avait quitté en rogne hier. Celui là même qui s'amusait à la faire tourner en bourrique, sous prétexte de ses charmes et de son accessibilité. Celui là même qui abusait d'elle pour obtenir quelques informations, dont il se passait bien évidemment de lui donner le secret. Celui là même qui lui mettait la tête à l'envers, tellement il lui rappelait un passé ... tourmenté.

Evroult. Une contraction d'envie-de-vous, très certainement. Un jeune chasseur dans la fleur de l'âge, au corps si pur que la neige en rougirait, aux paroles sibyllines, aux lèvres si délicieuses, .... Tout un peau-aime !
Sauf que le Parfait était juste en train de se faire massacrer ? ... réduire en bouillie ? ... par Brutus aux doigts d'acier !
L'espace d'un instant, elle hésita. Son cœur bondit, la panthère en elle aussi ; il était sous sa protection, depuis le jour où elle avait demandé à Rose de le faire entrer en Anjou pour rejoindre le Lupanar. Mais elle savait aussi que quand il s'agissait de courtisan, il ne fallait pas y mettre de cœur. Et puis au final, si Brutus lui inculquait la leçon qu'elle n'avait pas réussi à lui faire passer hier, devant son renfermement et sa porte close ? Et si elle profitait de ce moment pour prendre sa revanche ?
... Et c'est là qu'elle LA vit ! Pano ! Au sol également ... Cette étrange femme, si mystérieuse, qu'elle lui donnait envie de gratter encore et encore, sous la couche d'apparences et de bonne figure. C'est certainement Elle qui calma son petit orgueil déplacé de la bridée et la vit finalement surgir au devant de la scène dans une discrétion toute maryesque, et une prudence toute approximative. Quoique mesurée. Car le Brutus, elle l'avait soigné pendant les combats, et l'homme lui en était reconnaissant :


GAUVIN !!!!!
CESSE !
J'crois qu'il a compris là !
...
Allez ...
Rentrez chez vous ... au Château ...
...
Y a plus rien à voir ...
...
V'feriez mieux d'cogner sur les Royalos hein !
Y a un crétin du côté du Poitin Still qui crie à la garde ...
ALLEZ ...


Et de s'agiter dans tous les sens, commençant à être plus qu'habituée aux mouvements de troupe -23 assauts hein- comme les mouvements de foule -X tentatives de prise de mairie- !
Elle vint d'abord aider Pano, lui tendit une main pour l'aider à se relever, marmonnant un discret :

Rien d'cassé ?

Et de revenir à son gibier... gros gibier ... Gauvin le Brutus !
Brutus ... tu t'donnes en spectacle maint'nant ?
Brutus ... t'rappelle de moi hein ? J't'ai soigné ... quoi ... 3 fois ? Pis, on est venues t'acheter des épées avec Rose la dernière fois ... tu m'remets ?

... et il ne s'agissait pas d'lui remettre un pain en pleine tronche ...
les 12 épées ... les 8 haches ... et les 2 seaux ?
... notez l'détail de la commande, super important pour la compréhension de ce texte !
Maryah ... l'intend...
...
moui oui ... la porteuse de matos ... c'ça !
...
Calme toi Brutus ...
T'as vu l'gars ? il est taillé comme un cure dent ! T'as vu la Madeleine ? Elle a pas pu lui monter d'sus, elle l'aurait cassé en deux !
Pis de toi à moi Brutus ... tu sais qu'ta femme est folle de toi ! Combien d'temps qu'vous êtes mariés hein ? 14 ans ? 15 ? Voilà 15 ans d'mariage ! Z'êtes pas comme ces nobliaux du Louvre qui changent d'amant tous les deux jours et d'mari toutes les deux semaines ! Ta femme c'pas une donzelle qu'y accouche en un mois d'un lapin d'trois semaines ? tu m'suis ?
...
Brutus ? Tu t'es vu quand t'as b... comme t'es un beau gars ?
Qu'est c'que tu veux qu'la Madeleine, elle aille voir ailleurs ?!
T'as tout pour toi ! T'es l'forgeron attitré des Buses !!!
...
Avec les thunes que tu te palpes à chaque guerre, t'as la plus belle carrière de tout l'royaume ... et 'tention hein ! Y a plus d'écus dans ta maison qu'y a d'charbon à la mine !
...
Calme mon ami ... raisonne-toi !
Ces royalistes nous foutent les nerfs en p'lote, mais c'est pas la peine de t'en prendre à une fraiche gueule ang'vine. Il pourrait êt'ton fils !
...
Allez ramène toi, j't'invite à défoncer les barricades d'vant les geosles ... ça, ça défoule !
ça t'plait ça hein ?
Pis après j'te paierai une corne de ... non non un godet de liqueur de prunes ...
M'semble bien qu't'aimes bien les prunes, non ? ... hum ...


Et de couler un regard discret vers Evroult qui était bien amoché ! M**de ... son fond de commerce ! Puis faisant signe à Gauvin de la suivre pour une p'tite révolte improvisée, et enfoncer des barricades, elle passa à côté de Pano et murmura :
Emmenez le au cabaret du Clair Obscur, vous trouverez tout l'nécessaire pour panser ses blessures et les vostres ... j'vous y rejoins un peu plus tard ... pensez à la glace, neige ... ça empêche d'enfler ...

Et de reprendre plus fort en s'éloignant, genre "même pas j'm'inquiète", mains dans les poches, et j'suis furieusement passionnée par l'travail de la forge :
Alors l'Ami ... tu sais qu'la Tornade sort ce jour de geosles ? Tu lui f'rais pas une petite lame pour lui souhaiter un bon rétablissement, avec les initiales du CO ? Hein ? hein ouais j'le sens bien ! Pis dis-voir, faut qu'tu m'raconte ton dernier chargement d'la mine de fer qu'on a caché aux royalos ? ... réussir à leur cacher une mine de fer, si c'est pas énorme ça ! Non mais t'sais qu'entre crétin et Crétin, la frontière est très petite mouais ... Vrai qu'pour l'autre on a du leur remettre le plan et ils ont tourné autour pendant 5 jours ! Y voulait absolument qu'ça soit du côté d'Thouars ... tu m'diras hein qui cherche trouve ! Et ils ont bien fini par la t...

Diversion. Devisons. Et c'est pourtant le cœur serré que la Bridée avançait dans le froid. Elle n'aimait pas qu'on touche à Lui, qui se faisait sa place dans un p'tit coin de sa tête dure. Elle n'aimait rien de tout ça : qu'on touche à un ami, à un protégé, à un ... catin. Oui Un. C'est comme une catin, mais c'est un garçon. Et il aurait bien pu vous le démontrer, il vous aurait même soufflé au creux de l'oreille : " sans contrefaçon, je suis un garçon". Et de contre façon, il n'y en avait aucune. Il était bel et bien Unique.
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Panorea
De nouveau campant sur ses deux jambes bien droites, la combattante n’a rien de la forteresse, hors peut-être la détermination. Elle peut bien tomber une dizaine de fois, elle se relèvera. Stress bucco-dentaire ou pas. Alors, comme parfois, le coup de chance arrive quand on ne l’attend plus. Quand l’espoir s’est retiré tel le ressac plein de vie, pour ne laisser à la vue échoués que l’amertume, la déception et la résignation.
Et Miss Fortune, décidant de son gouvernail céleste, s’incarne dans une silhouette de femme qui se presse devant le bourreau. Maryah apparaît, salvatrice et généreuse une fois encore. Reconnaissant son cry d’appel du forgeron à sa voix, puis sa démarche à son pas félin, et enfin sa chevelure de jais, Panorea n’y croit presque pas. Elle reste ainsi devant la scène, comme happée par un songe étrange qui se finirait trop bien, pour une fois. Car Maryah ne semble pas en danger devant l’homme – il a l’air de la connaître, de la respecter, de l’apprécier même.

Les yeux comme des soucoupes, elle entend parler d’une Madeleine, visiblement la douceur quotidienne de l’artisan – tout le monde n’aimait pas les chouquettes. Une Madeleine qui, d’ailleurs, avait la grande classe d’aimer son compagnon comme au premier jour. Semblait-il. Les castagnettes dentaires calmèrent leur danse à mesure que Panorea était saisie, d’abord de surprise… et enfin d’une incompréhension moins violente ; mais qui laissait tout de même rêveur.
Elle passa une main ferme sur sa mâchoire, se voulant massante ; ses réflexions la rendirent cependant maladroite, et elle se cogna brutalement contre l’épais mur de la désillusion. Ce n’était pas parce qu’elle oubliait la souffrance que cette dernière allait la laisser traquille.

Elle était censée le savoir – d’autant plus que la très curieuse Maryah ici présente semblait s’attacher à vouloir le lui rappeler malgré elle. Pano n’aimait pas parler d’elle, et elle n’aimait pas qu’on parle d’elle. (Je risque gros, là.) Mais la tavernière ne l’entendait pas de cette oreille et, qualités d’observation félines obligent, avait senti un os en tentant d’en savoir davantage.
Panorea avait finalement été ‘scandaleusement’ mise sur le grill, elle qui avait la cuisine en horreur, jusqu’à ce qu’aveux s’ensuivent. Après une longue joute entre patience et léger agacement d’un côté, et persévérance hardie de l’autre, une intervention des dieux avait renversé la donne : des gens étaient enfin entrés en taverne, alors que celle-ci vibrait de suspense. Insouciants du drame moral qui s’y jouait, leurs conversations animées avaient été le coup de grâce pour les révélations à venir.
Panorea devait quand même un sacré service – un autre encore – à la douce panthère qui l’avait accueillie chaleureusement et lui avait offert un toit sur la tête. Le campement gelé, c’était fini. Un jour, elle ne pourrait plus se défiler.

L’exotique jeune femme frôla justement son espace avec grâce, emportant avec elle le concert de sensations hurlantes, telles peur et adrénaline, en même temps qu’elle tirait à sa suite la brutass… le Brutus prétendument heureux(se) en ménage. Vraiment ?
Maryah laissa pourtant dans son sillage quelques mots à l’intention de son obligée, flottant dans l’air comme un parfum. Pano se reprit intérieurement, lui soufflant un remerciement en s’essayant à être audible – et discrète tout de même : leur amie ne leur laissait pas le temps de la reconnaissance, qu’elle entraînait déjà l’énergumène.
Panorea s’approcha sans rapidité de leur connaissance commune. Avec mille précautions, elle posa une main empreinte de tendresse sur le bras du jeune homme, alors que la foule rechignait à se disperser. Elle réentendit les termes « neige » et « glace » résonner de la voix féminine, et commença de se poser des questions, cette fois. L’importance du visage d’Evroult devenait étrange : tout le monde l’aimerait encore malgré des traits enflés. Elle la première. Maryah sûrement aussi. Néanmoins, il était certain qu’aucune ne voulait qu’il reste blessé. Son cœur se serra, elle ne voulait pas regarder en face l'étendue des dégâts.
Panorea s’approcha encore un peu et partagea un pan de son manteau avec lui ; elle le hissa ensuite contre elle, histoire de ne pas lui demander trop d’efforts pendant le trajet.


« Dites-moi si je dois ralentir. Et… »

Le visage de la protectrice sauvée à son tour devint de marbre, aussi froid que l’hiver qui les enserrait tous les deux.

« Vous me direz ce que vous avez fait… Vous aviez promis. Maintenant, je suis dans les mêmes galères que vous. »
Panorea
Retour au campement.


Introuvable Pano. La signalisation ne se faisait plus dans les tavernes depuis peu.
Celle qui avait été anoblie quelques jours plus tôt – l’ivresse royaliste avait certes du bon – s’était retirée sur son fief. Les vents persifleurs naguère mortels étaient calmés un peu. Elle n’avait pas vraiment été consciente du changement. Même si, à sa décharge, il restait léger, il faut dire qu’elle n’avait pas beaucoup campé dehors ces derniers temps.

La tête levée, le regard empreint de souci, Panorea fixait la campagne, direction sud-est. Saumur s’élevait sûrement encore à quelque jour de marche, à moins d’une formidable catastrophe qui aurait laissé tout l’Anjou restant dans l’ignorance totale. Rien que de très approximatif. Trop approximatif et trop catastrophique, en vérité, pour ne pas témoigner du mal-être qui enveloppait la penseuse.


« C’est peut-être mieux comme ça. Il n’a jamais eu besoin de toi, ma fille. »

Les yeux sombres cristallisaient la douloureuse situation plus qu'ils ne mitraillaient les alentours, et le constat était amer.
C’était un hiver banal. Givre miroitant, dépouillement végétal et vestimentaire, habituel flou artistique de l’esprit. Un hiver où elle était restée bloquée dans une énième petite ville, pour survivre au froid. Un de ces soirs où la maladie et la famine rôdent, Panorea avait posé les yeux sur un garçon au marché, et quelque chose avait consciencieusement balayé tout ce qui lui restait de simple. Ç’avait été une anonyme, impassible et détachée, qui ne comptait pas faire de vieux os sur l’endroit ; c’était devenu une gardienne oublieuse de toute prudence. Vivre pour elle-même ne lui suffisait d’un coup plus. Cruelle erreur. Quelle était sa raison d’être, désormais retirée à son but ?

Saumur attendrait. Au-delà d’une raison d’être, disparaissait la raison plus prosaïque de s’y acheter une armure. L’invisible était si beau à regarder – si économique, aussi. Surtout que, maintenant, elle s’en moquait comme de sa première neige, de défendre quelqu’un. Et de se faire rétamer la substance, elle s’en était moqué bien avant leur rencontre. Et là, il n'était plus question d'arriver dans ses petits souliers ou de voyager en grande(s) pompe(s), mais de rester droite dans ses bottes.

Finalement, ce n’était dès le départ pas lui qu’il aurait fallu protéger. C’était elle.
Et le pire, c’est qu’elle l’avait toujours su.

Lui restait à s’accrocher à son unique projet encore debout. Un morceau de bois de qualité, sculpté dans un entrelacs de relations humaines simples, cette fois. Quelque chose de lisse et de reposant.
Enfin.
Evroult
    Un gamin édenté, aux ongles sales & aux furoncles suintants, vous remet un petit paquet contenant missive & quelques pâtes de fruit. Sans doute a-t-il commencé à les grignoter, mais il ne les a pas fini. Il tend la main pour avoir une pièce, avant de s'enfuir en courant. Quelqu'un a écrit:
    A vous, Panorea, cœur molesté par des secrets trop lourds,
    De moi,

      Salut.


    Vous noterez que je ne signe pas, espérant que sans reconnaître mon écriture, vous ne brûlerez pas cette lettre avant d'en avoir lu quelques mots. Pardon.

    J'hésitais longtemps avant de vous écrire encor. J'ai laissé quelques jours faire couler une eau trouble sous les ponts arides de votre mécontentement, espérant que vous reviendriez pointer le bout de votre nez mignon pour me laisser ramper à vos pieds comme j'aurai dû le faire, aussitôt, pour m'excuser de mes bévues. Pardon.

    Si je vous écris ce soir, c'est que je prends la décision de partir, bientôt. D'ici la fin de semaine, sans doute, aurais-je pris la route, & je crains ne plus apercevoir votre envoûtante silhouette d'ici-là. Vous me fuyez. Je vous comprends. Pardon.

    Ainsi, je sais qu'imaginer que votre armure invisible vienne protéger mes pommettes faiblardes est un espoir bien chimérique, & que sans doute vous ne vous dresserez plus jamais pour me tendre votre main si douce & chaleureuse. Pardon. Pardon. Pardon.

    J'implore votre pardon. Pardonnez-moi, Panorea, d'être un lâche doublé d'un pleutre saisi à la sauce de couardise. Pardon, d'avoir si volontairement omis la vérité, si longtemps, trop longtemps, au point que vous vous sentiez flouée, non pas d'apprendre ça, mais de ne pas l'avoir su plus tôt. Je ne vous trompais pas, Panorea. Je ne le voulais pas. Pardon. Pardon. Pardon.

    Sans doute y a-t-il quelques lignes déjà que vous avez jeté mon gribouillis au feu. J'accepte la brûlure tout en gardant l'espoir que vous m'épargnerez les flammes. Vous n'avez pas cessé de m'être indispensable. Pardon, Pardon, Pardon.

      Faites-moi un signe, un seul. Dites-moi que vous allez.
      Dites-moi où vous allez.
      Pardon. Pardon. Pardon.


    E.

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Panorea
Pano, Dame de Signalisation. Mine de rien, on sent déjà qu’il y a de l’avenir pour ce titre. Comme un parfum ostensible de renommée future ; le type de célébrité qui s’impose comme un étendard sur chaque ville des Royaumes, un beau jour. Cet étendard ondoie (ou demeure inébranlable) au gré des vents, absolument partout ; et cette omniprésence finit d’avaler les résistants, dans une guerre d’usure.

Mais Panorea n’a de célébrité que… rien. Elle n’est pas visible. Elle a fini comme son armure ; là, quelque part, elle existe, de très rares personnes en parlent. Et on ne la voit plus. Comment parler d’omniprésence s’il n’y a de présence. Une flamme éphémère – un feu de paille – l’a rendue à sa part de femme l’espace de quelques secondes. Et s’est éteinte.

Mais Panorea n’a de dame que… que rien. Le genre féminin, à la rigueur. Le prénom. « Plus belle et plus grande que tout. » Son père broussailleux à la méditerranéenne aurait préféré un petit gars, mais quitte à avoir une fille, autant la faire dans les règles. Classe. Il n’avait pas prévu qu’elle finirait moins intéressée par les robes que par les haches. Comme lui, en somme. Pourtant, dans les premières années de sa vie, Pano n’était pas encore un sac à boxer.

Mais Panorea n’a de noblesse que… bah, que rien. Elle ne se voit pas autrement qu’une paire de bras, de jambes, d’yeux, parmi la foule. Surtout pas au-dessus du lot ; et d’ailleurs, elle n’y est pas. Une lignée anonyme – des villageois, des bûcherons, des pêcheurs et des guerriers parmi d’autres.

Et puis un jour, un drôle de cry a retenti en taverne. D’autres se sont élevés par la suite, au fil des jours, de la même voix enthousiaste.


« PANNEAU !!! »

Des souvenirs de taverne se rappellent à elle.
Elle entendrait presque les conseils avisés de sa déesse pâle. Ce n’est pourtant pas la mort qui parle ; c’est la vie, qui lui recommande de continuer sur un chemin honorable.
Elle sentirait même presque les bras d’une tavernière royaliste la tirer de son marécage fumant, dans lequel elle s’est déjà embourbée trop longtemps.
Elle se verrait presque incapable de se relever de sa tourbière, pourtant…

Les yeux s’ouvrent brusquement sur la nuit, et un regard de naufragé dilate ses pupilles. Panorea récupère une aspiration plus qu’une inspiration entre ses lèvres bleuies, comme tout juste sortie de la vase. Elle prend un temps pour reconsidérer sa situation. Son cœur bat sur un rythme effréné, l’alertant d’une menace sournoise : elle a du mal à bouger son corps, du mal à ressentir ses extrémités. Il fallait qu’elle s’en doute. L’engourdissement du froid la retient. Après un effort surhumain – qui la convainc tout à fait qu’elle a envie de vivre –, Pano se réchauffe comme elle peut avec le reste de ses couvertures.
Elle s’enferme dans son mantel, dernier rempart du souvenir, et se lève. Il allait falloir qu’elle foule de nouveau les tavernes pour faire honneur à son titre. Nom de d’la.
Et ne pas mourir de froid. Aussi. Mais c’était un détail, bien sûr.

Panorea reste un long moment à fixer la pénombre, cherchant à matérialiser devant elle le danger muet de l’hiver. Un soupir lent s'échappe en sifflant, la voyageuse perdue dans l'étendue d'un univers qu'elle ne comprend pas encore.
Mais elle comprend qu'on vient, en revanche. Des pas légers amortis par l'herbe humide se font entendre, et elle attend.
Un enfant par ce temps, dehors ? Un messager, alors. Il n'a pas la dégaine d'un aristo, de surcroît. Sale, un peu maladif. Presque furtif, il tend un reste de friandises et une missive, et s'enfuit loin du campement. Pano sourit, c'est le genre de gosses qu'elle préfère. Ses doigts gelés disposent les pâtes de fruit sur sa couverture ; elle n'aime pas les sucreries – les chouquettes, ou l'exception d'un amour passionné –, mais elle fera avec. Surtout si le sucre fait remonter sa température générale.

Et la lettre ? Les mêmes phalanges aux marbrures violettes la déroulent, et…
Oh. Par Hel ! Pano se laisse soudain tomber en arrière sur son amas de couvertures, résignée comme pas possible. Elle ne s'y attendait pas, elle aurait d'ailleurs préféré qu'on l'oublie. Mais vraiment très fort.
Au terme d'une délibération qui invoqua un lancinant souvenir, la demoiselle se redresse dans un mouvement à lui arracher le cœur. Ce n'est pas tant le geste que ce qu'il implique… et elle se met à lire. Ses yeux s'embuent, mais elle tient bon. De toute façon, si larmes il y a, elle va finir aveugle avec ce gel. Et pas d'essuie-glace possible. A-t-elle un charbon quelque part ? Elle va le tailler un peu, histoire d'avoir quelque chose d'assez fin pour écrire.

Elle retourne la missive et colle derrière sa propre vision des choses. Elle ne gardera pas ce parchemin dans son campement. Bim, retour à l'envoyeur.
Et elle se lève. Et elle part à la recherche du garçon un peu trop gourmand de tout à l'heure.




Le bon soir. Si j'arrive à retrouver cet enfant que vous m'avez envoyé, à l'image très certainement de l'opinion que vous avez de moi.

Ne vous tracassez pas outre mesure, nul besoin de signature. J'ai reconnu votre verbe enflammé par trop pour être honnête, flatteur par trop également. Vos supplications de pardon sont un changement, mais ma foy… personne n'est parfait. Comme pour tout le reste… je suppose que ça ne m'est pas destiné. Je ferai avec.

Je suis donc bien vivante, comme vous le voyez. Je suis solide. Je vais même retourner visiter des visages amicaux, d'ici peu. Il se pourrait que je vous voie. Il se pourrait que vous ayez réellement envie de me parler. Je ne m'y opposerai pas, il y a des choses que je vous dirai.
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