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Ceux que l'on qualifie de fous ne sont que des incompris, des agneaux à l'âme si douce quand on prend le temps de se pencher sur eux. Ainsi, ils ne sont jamais aussi fous que ce que l'on croit.

[RP] D'âge en âge on ne fait que changer de folie.

Elvire.
Je ne me rappelle plus exactement quand je suis arrivée à Saint-Cyriaque. C'était une période où tous les jours se rassemblaient, aussi sombres les uns que les autres. Je ne sais plus non plus comment je suis arrivée. Je ne crois pas avoir demandé à y aller. Je ne crois pas qu'on m'ait demandé mon avis non plus. Je n'aurais pas été capable de répondre, de toute façon. Je voulais simplement mourir.
J'étais tellement seule.
Je voulais simplement mourir.
C'était peut-être bête. Cela me parait absurde à présent.
Ils ont dit que j'étais souffrante. Ils ont dit que Dieu me guérirait, avec un peu d'aide. C'était très étrange. Je crois qu'ils me prenaient pour une folle. Mais je ne suis pas folle, vous savez ? Je n'ai seulement plus personne à qui parler ...
Quelquefois, je soliloque. Mais je le sais ! Je ne parle pas à d'autres personnes qui n'existent pas. Je ne suis pas folle, vous savez.
Je ne me rappelle plus comment je suis arrivée à Saint-Cyriaque. Mais je me souviens de ce qu'ils m'y ont fait. Ils étaient très attentionnés. Ils voulaient mon bien. Ils voulaient me sauver.

Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.

Avec une délicatesse infinie, la Walburghe repose sa plume pour effleurer son crâne lisse, et doux encore des derniers soins.

Ils m'ont rasé la tête.

Il est difficile pour la femme de pardonner cet acte qui la prive de son habituelle toison d'ébène. Ses cheveux, si noires, si brillants, si beaux, tombés par paquets lors de ses premiers jours à Saint-Cyriaque. C'est une blessure profonde dans son coeur. Son corps de femme est meurtri, son corps de femme, qui a perdu de sa superbe si brusquement. Elle a maigri. Ses os sont presque saillants, son visage s'est terni. La beauté froide et méprisante qui la caractérisait s'éteint lentement. Elle devient ... commune. Oh, son orgueil n'en souffre pas. Ce qui la gêne, c'est la pitié qu'elle sent dans le regard des autres. Ces autres.

Ils m'ont rasé la tête.
Ils y ont appliqué tellement d'huiles, tellement d'onguents, tellement de bénédiction qu'il m'arrivait de ne pas pouvoir m'endormir, tant l'odeur était forte.
J'étais rarement livrée à moi-même. Ils me couvaient. J'étais quelque incarnation d'un martyr et ils tentaient désespérément de me délivrer de ma souffrance. Ils m'enveloppaient dans la religion qui depuis toujours, m'avait bercée et persécutée à la fois. Aurais-je pu leur avouer, mes envies, mes pulsions, mes pêchés ?
Non.

Ils ont eu raison de couper mes cheveux.
Avant d'arriver, je les arrachais par poignée.

Les yeux d'Elvire ne pleurent plus. Ils sont secs, désormais. Elle écrit pour se souvenir. Se souvenir, plus tard, de ce qui l'a amené à Saint-Cyriaque, de ce qui l'a fait partir.

Le Très-Haut m'a sauvée parce qu'il m'a pardonnée. Je n'ai pas besoin de livrer aux hommes les pêchés qui m'abritent.

Un léger soupir s'échappe de la poitrine de la trentenaire. Du soulagement, de la pitié, pour la femme qu'elle était autre fois. La cure, cette renaissance. Une nouvelle Elvire est née, une Elvire chauve, pardonnée, un peu moins torturée, toujours honteuse de ses penchants. Mais une Elvire plus vivante.

Saint-Cyriaque m'a sauvée.

Une Elvire plus pieuse encore qu'auparavant. Une Elvire désireuse de vivre, de revivre, de retrouver le monde des gens normaux.
Sa fille ...


Oh, Esthelle. Comme je m'en veux.

Pour ses chevaux ...

Je me souviens maintenant qu'ils ont tous été vendus aux enchères. Avec la maison. Avec les meubles ...

La Walburghe ne s'est pas demandé quoi faire après Saint-Cyriaque. C'est étrange, cette façon de voir « l'Avant » et « l'Après » aussi. On lui a ouvert les portes de l'hospice ce matin. Comme une hirondelle blessée, on l'a lancée dans les airs pour qu'elle reprenne son vol. Hors de question de partir seule. Trop de solitude ont failli tuer son âme. Alors ... Samsa. Une amie ? Une alliée, en tout cas. Depuis ces conversations dans le jardin de l'hospice, depuis cette tendresse envers « la malade », « la folle », « l'aliénée ».





Chère Samsa,

C'est fini. Sœur Eglantine l'a dit ce matin, mon âme s'est suffisamment fortifiée pour quitter Saint-Cyriaque. Je suis libre. Je vais bien ! Mais je ne veux plus être seule.
Tu viens me chercher ?

Elvire.


Le tutoiement s'est installé progressivement, la signature s'est allégée. La nouvelle Elvire est plus simple, également. La religion lui a rappelé l'humilité. La pauvreté lui a appris que son nom ne la nourrirait plus ... Tout est à refaire.

_________________
Samsa
    "J'ai cru t'entendre rire,
    J'ai cru t'entendre chanter;
    Je pense que j'ai cru te voir essayer."*



Si pour Elvire il y avait "avant St-Cyriaque" et "après Saint-Cyriaque", il y avait pour Samsa "avant la mort de Zyg" et "après la mort de Zyg". Il y avait la Samsa heureuse et légère, innocente et insouciante, et celle qui avait totalement perdu les pédales.
De la même manière qu'on pouvait casser un os avec un coup trop brutal, on pouvait briser quelqu'un avec un événement trop difficile à accepter, à encaisser. Parfois, quelque chose mourrait et il était impossible de le faire revivre, un peu comme un arbre qu'on abattait, et c'est ce que Samsa avait expérimenté de très mauvaise grâce. La mort de Zyg avait eu l'effet d'un violent incendie dans sa tête, une explosion dévastatrice qui avait forcé le cerveau à se défendre en se dédoublant pour survivre quand l'autre partie succombait.

Ainsi, Samsa était devenue schizophrène.

Son subconscient était le plus fort, la Prime Secrétaire Royale l'appelait Sub. Il était cynique, souvent défaitiste, grossier, mais parfois il était son salut quand la Bordelaise perdait force et courage. Elle comptait aussi Cerbère, Cerbère la violente, l'extrême tant en possessivité qu'en protection, et puis il y avait ces autres qui gémissaient ou criaient, ces anonymes que Samsa ne nommait pas. Tel Zeus emprisonnant les Titans, le temps avait fait taire ces innombrables voix qui, par leurs échos, agaçaient Samsa et l'entrainaient plus encore sur les chemins avancés de la folie. Elles n'étaient pas parties, elles étaient juste silencieuses et se rappelaient à la Prime Secrétaire Royale quand celle-ci affrontait des séismes dans sa vie ou quand sa colère ne suffisait plus.

Car Samsa était devenue borderline.

Passant du rire aux larmes et de la colère au calme, le tout le plus sincèrement du monde, elle avait plus d'une fois aboyé sur quelqu'un, allant jusqu'à manquer de l'égorger publiquement, avant de finalement le prendre dans ses bras pour une étreinte parfaitement amicale. On avait arrêté de compter, jadis, ses très nombreuses sautes d'humeur et ses lenteurs émotionnelles. De tous les troubles que Samsa avait pu avoir, celui-ci était encore très présent mais elle l'avait tout simplement placé sous le terme de lunatisme ou d'impulsivité très marquée. A l'image de ses tics de langage, de son surnom ou de ses cheveux semi-roux, ce trait particulier de caractère avait fait sa réputation et quand bien même elle ne le faisait guère exprès, elle s'en satisfaisait et ne s'en plaignait pas.

Enfin, Samsa était devenue bipolaire.

La mort, elle la connaissait mieux que n'importe qui. Après l'avoir cherché maintes et maintes fois sans jamais la trouver, elle s'était plu à dire que c'était devenue une sorte de copine, qu'elles jouaient ensemble mais qu'aucune n'avait jamais pris la responsabilité de mettre fin à cette danse macabre. Malgré que Samsa eut réalisé ces pas endiablés plus d'une fois, seule une courte cicatrice à sa tempe droite dont la fin se perdait dans ses cheveux trahissait son échec -ou sa presque victoire-. Si son trouble borderline ne la dérangeait pas, il en était bien autrement avec sa bipolarité qu'elle avait tenté d'arrêter en se scarifiant largement la main gauche, serment fait à Zyg de s'en sortir, et quand bien même elle portait toujours des gantelets de combat, ce n'était en rien pour cacher cette cicatrice. Lutter contre cette bipolarité, c'était un combat régulier, et si Samsa avait érigé des remparts contre elle, celle-ci attaquait parfois et il lui arrivait même de la mettre à terre par surprise.

Samsa avait été folle.
Elle l'était toujours.
Mais différemment.

Ce n'était pas par pitié qu'elle était venue à Saint-Cyriaque, ni par une jubilation quelconque d'avoir toujours pu échapper à ces filets destructeurs. A sa petite mesure, elle tentait d'aider en comprenant, elle prenait avec ces inconstants des bains de folies, de déprime aussi parfois, comme si se mettre la tête sous l'eau avait une vertu pour elle; qui a dit que la folie était toujours douloureuse ? Avec eux, la Cerbère échappait un peu à la réalité, elle retombait dans des travers qui étaient siens et existait ainsi uniquement par elle et non plus par les autres.
Prime Secrétaire Royale, on ne lui posait pas de questions quand elle approchait quelque part; on lui ouvrait les portes et c'était tout. Saint-Cyriaque avait, comme tous les asiles, cette ambiance très éthérée et très lourde en même temps, hanté par des âmes vides ou hystériques mais qui avaient pour point commun leur crâne rasé. Comme si leur folie se trouvait dans ces cheveux à terre ! Personne ne comprenait qu'ils fuyaient simplement, qu'importe ce que ce fut, mais on ne pouvait pas en vouloir au commun des mortels car, souvent, les malades ne savaient pas eux-même ce qu'ils rejetaient dans ce monde. Tant de possibilités...

Et Elvire, que fuyait-elle ?

C'est ce que Samsa avait cherché à savoir lorsqu'elle l'avait rencontré. En bon Cerbère, elle s'était fiée à son instinct et l'avait rejointe dans ces jardins verdoyants d'été. Au milieu des murmures désordonnés et des rires hystériques, la Bordelaise avait apprivoisé celle qui était plus âgée qu'elle. Elle avait écouté ses paroles pieuses et elles avaient pu discuter du Très-Haut car quand Samsa avait tenu pour responsable de la mort de Zyg cette Entité Toute-Puissante, le haïssant ainsi et la menant à des actes tous plus barbares et meurtriers les uns que les autres -qu'elle se gardait bien de révéler-, Elvire le percevait comme un Sauveur. Deux visions s'étaient ainsi opposées entre elles, celle de la destinée humainement incontrôlable et celle des actes humains l'entrainant.
La Prime Secrétaire Royale, qui avait trouvé sa voie dans les armes et que l'on disait sans peur, avait protégé parfois Elvire d'un ordre dur ou pressant pour une onction ou bénédiction quelconque; elle arguait sans sourciller que si Elvire était en retard à ces rituels, c'est que le Très-Haut préférait qu'elle restât à discuter avec elle. Était-ce parce qu'elle était officier royale ou qu'on y croyait vraiment, mais on la laissait alors finir.

Samsa, vagabonde et surtout Cerbère de Secours, avait dû repartir aider d'autres âmes en détresse. Elle assurait toujours que si elle devait avoir un pouvoir, ce serait celui d'ubiquité. En attendant, elle ne l'avait pas et un hurlement de détresse avait capté son attention. Jugeant qu'Elvire pourrait se relever sans elle, Samsa était repartie.
A présent, c'est Elvire qui la rappelait et Cerbère faisait la route en sens inverse, à la différence près cette fois qu'elle était rentrée à Alençon depuis et que la route ne serait guère longue. Elle avait accouru sitôt le mot reçu. Chevauchant Guerroyant, son Cleveland Bay servant de destrier lors des batailles, elle avait attaché à sa croupe une seconde monture, un cheval de Bresse alezan. Tout deux avaient une bricole fleurdelisée afin que nul ennui ne soit causé.
Elle mit pied à terre en apercevant la silhouette rasée d'Elvire et lui sourit en grand. Elles faisaient la même taille mais Samsa était plus ramassée, plus trapue, plus charpentée également, silhouette aussi naturelle que forgée par les combats. Elvire avait les yeux aussi clairs que Samsa les avait sombres et quand les siens renforçaient la pureté de ses traits fins, ceux de la Cerbère accentuaient plutôt leur immobilité martiale qui transpirait à travers, entre autre, une estafilade sombre à la joue gauche et au sourcil du même côté; ceux de l'Alençonnaise soulignaient le caractère involontairement hautain de son visage et ceux de la Bordelaise assuraient de son tempérament réellement fier. A la couleur du léger duvet sur le crâne féminin, la Cerbère devinait qu'Elvire devait avoir les cheveux noirs et elle se disait que le noir et le semi-roux, ça devait rendre très beau. Samsa aimait mélanger les couleurs dans son esprit, trouver quelle harmonie donnait quel ton, quel sentiment.


-Je suis là pardi. Je ne te laisserai pas té.

Sa voix était un peu un peu plus grave que la moyenne des voix féminines à cause de son ton un peu plus bas. Un léger accent bordelais la faisait chanter par instant et deux tics de langage la caractérisaient, le premier à l'origine inconnue et le second en provenance du toulousain où Samsa, éponge, l'avait attrapé comme on attrape un virus contagieux. Remarquable d'adaptation pour quelqu'un aussi rigide en ses principes et valeurs qu'elle, la Cerbère s'était adaptée sans mal au tutoiement venant de la lettre. Elle lui tendit les rênes du cheval de Bresse et ses yeux, petits et abrités sous des arcades sourcilières marquées, trahirent une sollicitude sincère.

-Enfin, on peut y aller à pieds si tu préfères té. Ce n'est pas si loin pardi.


* = paroles traduites de R.E.M - Loosing my religion

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Elvire.
Beaucoup de repos.
Beaucoup de soleil.
Des promenades régulières, des activités.
Tisane à la menthe et à la cannelle : trois fois par jour.
Peu de viande, beaucoup de poisson et de vin clair.

Cette dernière recommandation plait beaucoup à Elvire.

Les religieuses n'ont rien dit de plus. Elles me sourient. Je peux répondre à leurs visages à présent. Je pars, j'attendrai Samsa devant l'hospice.
Bye bye Saint-Cyriaque.

Elvire sourit en refermant son carnet. C'est même avec une joie toute enfantine qu'elle se lève et s'apprête. Elle a eu beaucoup de temps libre, à Saint-Cyriaque, alors elle a reprisé ses robes. Les toilettes riches et travaillées ont été allégées : moins d'épaisseur, moins de ruban, moins de prétention. Moins de "Elvire d'avant". Avec les chutes de tissu, elle a confectionné des voiles pour cacher son crâne chauve. Ces artifices sont, à l'inverse des robes, finement décorés : brodés par la délicate main de la Walburghe, ils arborent pour la plupart des motifs floraux très raffinés. On veut cacher la misère : la femme attire l'oeil sur le voile pour qu'on ne cherche pas à regarder en dessous. Ce n'est peut-être pas le plus logique, enfin, c'est la stratégie qu'Elvire a adopté. Dans quelques semaines, elle pourra s'en passer, avec un peu de chance. D'un geste machinal, elle passe une main sur son court duvet, avant de rassembler ses dernières affaires dans quelques besaces habituées aux voyages de la noble. Les mains fines et maigres s'activent, rangent, nettoient. Elles laissent une cellule absolument impeccable. Elles empoignent les sacs, ouvrent la porte, et poussent Elvire jusqu'à sa nouvelle vie.

La Walburghe croise sur sa route quelques religieuses, elle les salue d'un hochement de la tête et d'un sourire. Les soeurs ne s'attardent pas ; il faut laisser la patiente s'en aller, elles s'y sont attachées, le départ est émouvant. Les femmes s'éloignent après un dernier regard, Elvire accélère le pas quand elle sent son coeur s'alourdir. Etrange sensation. Un mélange de nostalgie et d'excitation. Dur hiver. Pour se donner du courage, elle pense à Samsa et à sa fille. Trois pas, et deux inspirations, c'est ce qu'il faut pour calmer le palpitant.
Rien ne m'empêche de revenir, va.

Le jardin, asséché par l'hiver, lui fait un peu pitié. Elvire referme la lourde porte du couvent derrière elle, marche encore dix pas, et s'assied. Elle attend. C'est ce qu'elle a fait de mieux ces derniers mois.

Ces derniers mois.
Chapitre noir, et clos. Jamais plus elle ne parlera de la solitude, du chagrin, du mal qui s'est emparé de son âme jusqu'à la rompre. Jamais elle ne parlera de ces conversations dont elle était la seule locutrice, la seule auditrice. Mais elles sont dures à oublier. Elle ne se rappelle plus des réponses qu'elle s'inventait. Ou plutôt, elle ne se rappelle plus les avoir inventées. Était-elle véritablement seule ? Elle n'est plus sûre. Elle aura beau chercher, ces souvenirs seront toujours troubles.
Ces derniers mois.
Comme s'ils avaient disparus, à jamais. On ne les regrettera pas. On ne regrettera pas l'enfermement. Pas l'enfermement au couvent, non. L'enfermement d'Elvire dans Elvire. Il n'y avait pas d'espoir, pas d'issue, pas de vie, pas de rien. Rien. Le vide.
On va se remplir. On va se remplir le ventre, on va se remplir la tête, on va se remplir l'âme.


-Je suis là pardi. Je ne te laisserai pas té.


Le sourire étire les lèvres de l'ancienne noiraude avant même que l'élan pousse ses jambes à se relever. Si elle n'avait pas autant de retenue, si elle n'avait pas autant de pudeur, elle la serrerait dans ses bras. Samsa ! Elvire pétille en observant les rênes qu'on lui tend. Des yeux, elle suit la longe pour arriver à l'animal. Ah ...


-Enfin, on peut y aller à pieds si tu préfères té. Ce n'est pas si loin pardi.

« Non non ! »


La réponse fuse, trop rapide pour être désintéressée, presque. Le sourire s'accentue, et la noble lui arracherait presque la bride des mains. Quelle impatience dans ses gestes, quelle tendresse dans son regard ! Voilà longtemps qu'elle n'avait pas approché un équidé de se près. Elle n'attend pas la semi-rouquine, trop excitée. En quelques secondes, elle est à cheval. L'habitude perdure, les réflexes reviennent, le corps de la Walburghe se souvient pour elle.

« Je ne sais pas où on va, mais je suis prête à y aller. Alors, on va par où ? »

L'enthousiasme est un peu forcé, mais il faut bien commencer quelque part. Elle a envie d'avoir envie, et c'est ce qui compte. Pas vrai ? Un peu plus tard, sa joie sera toute entière franche, elle a confiance.
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Samsa
    "Et quand on se parle,
    L'histoire est écrite.
    Ne me remercie pas,
    T'inquiètes on est quitte."
    (Youssoupha - On se connaît)


Samsa sourit en tendant les rênes à Elvire. Fille d'un éleveur de chevaux bordelais, elle n'a pu que remarquer cet empressement, cet intérêt réel dans la voix et l'oeil de son amie. Des soupçons qui se confirment quand l'Alençonnaise se met en selle sans hésitations, avec l'habitude des gestes qui ne s'oublient pas malgré un possible affaiblissement physique. A son tour, Samsa remonte, bien plus lourde et sans grâce que sa congénère. Guerroyant ne bronche pas, habitué sinon semblable à sa cavalière.

-Demi-tour gauche pardi ! Je t'emmène chez moi pardi. Ce n'est pas un domaine pardi, il y a juste quelques stalles pour les chevaux, ma forge et mon habitat à l'étage pardi. Rien d'impressionnant té, j'espère que ça t'ira pardi.

Samsa n'ignorait pas la noblesse d'Elvire tandis ce qu'elle, elle n'était que détentrice d'une petite seigneurie issue de mérite en Béarn, Lansaq. Sa vie, Cerbère la gagnait à la force de ses bras et c'était tout, la rente de ses terres étant bien faible. Plus encore, Samsa venant d'un milieu modeste, elle n'avait pas ce naturel luxueux et raffiné que tant de nobles recherchaient à travers des tentures, des bibelots, des habits... Et c'est pourquoi il lui fallait toujours se justifier de son milieu de vie, de sa façon d'être.
Passant devant, Cerbère se retourne sur son cheval, posant une main sur la large croupe en appui.


-Ah et... J'espère que les enfants ne te gênent pas pardi. J'ai deux filles de quatre ans té. Ne t'inquiète pas, elles ne t'embêteront pas pardi.

Un sourire de la Bordelaise vient ponctuer la fin de la phrase. Nolwenn, la première née, ne posera certainement aucun problème, effectivement. Taciturne, renfermée, elle ne manque pourtant pas de curiosité, mais en fait preuve avec silence et discrétion. Gwenn, en revanche, est bien plus guillerette et bavarde, pot de colle et aventureuse. Le monde est pour elle un terrain de jeu, de la pâte à modeler, et tout ce qui est nouveau ne peut être que gentil et merveilleux. Une attitude inquiétante pour la Cerbère qui sait très bien que c'est plutôt l'inverse.
Samsa prend le trot, suivie d'Elvire, et c'est bientôt un petit galop rassemblé qui est adopté quand Samsa constate qu'effectivement, sa comparse est bonne cavalière et prend plaisir à monter. Cela fait plaisir à voir. Ce regain de vie, cette sorte de renaissance, si réelle et visible contrairement à celle de Samsa qui fut lente, qui continue encore parfois, non comme une explosion mais comme une fleur qui s'ouvre et frémit par instant. A l'entrée dans la capitale, Samsa se dirige dans les rues au petit trot, s'engageant dans le quartier souvent bruyant mais chaleureux des forgerons. Devant une large mais sobre devanture, constituée de deux simples grandes portes de bois, la Prime Secrétaire Royale pose pied à terre et déverrouille les chaines qui les maintiennent fermées. Elle pousse les portes, faisant pénétrer la lumière dans une forge emplie d'armes en tout genre, surtout des épées, quelques fers à cheval et clous.


-J'aime beaucoup les armes pardi. Mon côté guerrier té.
Viens c'est par là pardi.


Cerbère la mène avec Guerroyant dans une grande pièce à l'écart où trois stalles sont visibles mais seules deux sont faites, visiblement occupées. Samsa mène Guerroyant à la sienne, laissant la voisine à Elvire. Avec des gestes rapides et habitués, très martiaux mais pas que, elle retire selle, bricole et bride avant de bouchonner avec une poignée de paille et de vérifier les sabots, prenant volontairement son temps pour le laisser à Elvire, l'observant parfois discrètement de ses petits yeux sombres. Appuyée sur le dos robuste du Cleveland Bay, Samsa demande :

-Tu as l'air de savoir y faire pardi. Tu dois bien aimer monter té. Lui, c'est Caporal pardi. C'est un roncin de Bresse pardi. Et le mien c'est Guerroyant té, un Cleveland Bay pardi. On vit toutes nos batailles ensemble pardi. Mon père élevait des coursiers té. Moi je préfère les demi-sang comme eux pardi, à la fois forts et rapides pardi, calmes mais réactifs té. C'est parfois salvateur té; je préfère ça à un quelconque "honneur" d'avoir des chevaux pur-sangs pardi.

Samsa lui sourit et va verser de l'avoine dans les mangeoires, laissant les équidés à leur déjeuner. Faisant signe à Elvire, la Cerbère la fait sortir des stalles, du bruit familier de la paille qui crisse, les crins qui bougent, des renâclements et des respirations des chevaux. Une porte discrète est poussée, menant à des escaliers qui sont grimpés. En haut, une seconde porte qui s'ouvre cette fois sur la maison de la Prime Secrétaire Royale. Sur quelques murs apparaissent des oriflammes, royales et de Lansaq. La seule tapisserie visible se trouve au-dessus de la cheminée, représentant une scène de bataille, fantassins contre cavaliers avec victoire pour ces derniers.* Tout en retirant sa cape, Cerbère explique.

-C'est une reproduction d'une vieille bataille normande contre les anglais té. Elle m'inspire et me détend pardi. Même si ça peut sembler bizarre té.
Tu as faim pardi ?


Surtout, SURTOUT, ne jamais dire le mot "manger" dans une phrase avec Gwenn dans les parages, dans une pièce quelconque pas encore ouverte. La petite fille n'avait rien de pataude, si on excluait bien sûr sa carrure lourde, héritage de ses parents, mais elle avait bon appétit et surtout bonne gourmandise. C'est pourquoi Samsa profitait de poser la question de façon légèrement détournée afin que la jeune rousse aux yeux sombres ne débarque pas trop vite, suivie d'une écuyère désolée de son incapacité à la tenir, puis de la soeur jumelle aînée qui poserait sur tous son regard impassible, presque déjà désabusé.

* = allusion à la scène 51 de la tapisserie de Bayeux

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