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[RP] Vol au vent.

Andrea_
Partie, encore.
Partie, comme toujours.
Quand le destin semble tracé, qu’il n’y a nulle place à l’improvisation, que les remords naissent et deviennent rancoeurs, quand le temps semble suspendu et que l’inactivité guette,
Quand le passé refait surface et embrume un cerveau qui n’en a plus l’habitude, quand l’hiver fige la ville dans une lente agonie, que même les pas ne se marquent pas de vert,
Quand l’angoisse monte et empêche l’air de s’exprimer en volutes harmonieuses, et dessinent au contraire myriades de fantômes,
Elle part.

Sans rien dire, elle part.
En emportant avec elle Georges, le fidèle homme de main, qui sans un bruit s’est emparé du dernier né. Georges, qui dans un hochement de tête a compris que rien ne la retiendrait, et qui, bien plus tard dans la nuit, alors qu’il la verra prendre un peu d’avance, la laissera faire sans s’inquiéter d’entendre de furieux coups de hache malmener un arbre ou deux.
Il connait ses coups de sang, ses coups de cœur, ses coups de tête. Le temps est un allié.


Le temps est un allié alors je pars.
Je cours après des ombres du passé, balaye le présent et fuit un futur qui semble plus incertain que jamais. Je ne réfléchis pas, je ne suis qu’une ombre parmi les ombres, qui crache son venin sur tout ce qui bouge, gardant ma seule tendresse pour le petit bout d’Amour que j’ai porté des mois durant.
Je ne te demande pas de comprendre l’incompréhensible, je ne te demande pas de croire l’incroyable, de pardonner l’irraison.
Dois je me sentir coupable ou te laisser froncer les cils, j’ai décidé d’une fin quand tu ne voyais que le début. J’ai vu que tu étais aveuglé, et j’ai compris que j’avais perdu, non pas un combat Beren, mais bien la guerre. J’ai pris ton âme dans la nuit, c’est peut être fini, mais je ne veux pas qu’on s’arrête là. Tu as touché mon cœur et mon âme, tu as changé ma vie et tous mes objectifs, et l’amour est aveugle, je l’ai su quand tes grands yeux verts m’ont aveuglé. J’ai embrassé tes lèvres et tenu ta main, partagé tes rêves et ton lit, je te connais bien, je connais ton odeurs et ton parfum, je connais tes doutes et tes peurs. Je te connais autant que je t’aime.*

Pourtant je pars.
Pardon mon amour. Pardon et au revoir, tu as été unique, et tu le resteras. Tu as été là pour chasser mes doutes, sécher mes larmes et gonfler mon cœur. Tu m’as rappelé qu’on pouvait aimer, à nouveau, encore plus fort que la fois d’avant. Mais en marquant mon cœur, ce sont mes rêves dont tu t’es emparé. Mes rêves de liberté, d’une vie sans attache et mon Dieu que ça me parait idiot de penser cela alors que ce petit être qui te ressemble tant serre l’alliance que tu as glissé à mon doigt.

Non, je ne te demande pas de comprendre. Pas encore. Pas tant que mon esprit est embué et ta colère sourde.
Je ne te demande pas de comprendre, mais je te dois de savoir.



Ecris pour moi.
Non.
Ecris. Maintenant.
Je refuse Andrea. Je refuse d’être mêlé à ça. Je refuse une nouvelle fois de vous voir gâcher la vie d’un homme, d’un enfant, d’une famille et la vôtre par la même occasion. Je refuse. Vous voulez quelque chose, vous l’assumez.
Dehors.
Vos désirs sont des ordres, je serais chez la nourrice avec Alexandre, comme convenu.



Un enfant et une alliance pour seules attaches.
Une bague ornée d’un caillou prisonnier de fils d’or et un petit ange dont le nom témoigne d’une histoire lourde de sens. Alexandre Kalum De la Fiole Ebréchée de Sparte, petit blond aux yeux d’acier, doux mélange d’un Amour surprenant. Fruit de l’eau et du feu, de la soleil et du vent, d’un B et d’un A entrelacés.





Pardon.
Je ne reconnais plus ma vie et cela me fait peur, je ne suis plus tout à fait moi, avec Toi. Je ne suis plus tout à fait moi, sans Toi. Nous avons vécu dans un monde qui n’existe pas, l’Amour, la famille, la loyauté, je suis un loup Beren. Je suis faite pour vivre en bande mais surtout pas en couple. Les autres ça faisait longtemps qu’ils avaient largués leurs amours, et moi j’étais là, avec le mien et j’ai flippé.
Beren vivre libre, c’est souvent vivre seul**.
Je ne t’imposerai pas une femme qui rêve d’une vie qu’elle ne peut pas t’offrir. Je ne t’imposerai pas la vue d’une femme qui perd ses ailes, la vue d’une femme qui n’est plus celle dont tu es tombé amoureux.
Hier je m’ennuyais et c’est à peine si je trouvais des mots pour te parler du mauvais temps, et maintenant que je suis partie j’ai cent mille choses à te dire.
Je crève de te dire que tout n’est pas perdu, que de ce roman inachevé, on va se faire un conte de fées***, mais je connais le tranchant de tes mots, la profondeur de ma trahison, alors simplement,

Pardon.
Pour ce que j'ai fait et ce qu'il adviendra.
D.


De t’aimer malgré tout.
De t’imposer une situation que tu n’as pas souhaitée.
Du mal que je te fais, et que je te ferais les jours, semaines, et mois à venir, car je sais que quelque soit l’issue, tu ne verras à travers l’acier de mes yeux que la lâcheté dont j’ai fait preuve un soir d’hiver.
Pardon, de vivre sans penser à demain, comme je l’ai fait toute ma vie avant Toi.









*Traduction quasi incertaine et revisitée de James Blunt, « Goodbye my lover »
* Renaud, « Manu »
* Joe Dassin « jen’aijamaisconnuletitreexact »

_________________
Constant.
J'avais l'air d'un con, devant la porte de la chambre de mon ami et maître, à ne pas oser frapper parce que je savais plus que très bien que je serais l'oiseau de mauvais augure qui achèverait de lui fendre le cœur en deux.

J'ai pris tout le temps possible pour retarder l'échéance, au retour de Georges, mon équivalent auprès d'Andrea, l'épouse de celui que je m'apprête à rencarder sur la disparition de cette dernière. Je suis resté aux cuisines le temps de prendre un verre, puis j'ai décidé que le verre n'était pas assez haut, alors j'en ai repris un, puis quelques autres, sans parvenir à me réchauffer. J'ai dégluti, plusieurs fois, ai fait semblant de me demander si je ne couvais pas quelque mal de gorge, peut-être une angine, et ai fait mine de vérifier dans le reflet argenté de ma choppe d'étain. Et puis, mon bras lourd comme la pierre a glissé sur la table comme je quittais le banc de bois où je m'étais installé.

J'ai lavé la choppe à grands soins, et l'ai essuyée jusqu'à ce que le torchon crisse de râper sur la surface trop sèche. J'ai voulu la ranger et je me suis dit que les placards étaient peut-être mal organisés, alors j'ai sorti tout ce qu'ils contenaient, ai fourré le tout avec application sur la table et ai inversé plusieurs fois les rangements, jusqu'à revenir à l'ordre initial, qui était quand même plus pratique. C'est vrai, après tout, tout le monde fait comme ça, alors...

Tout le temps que je me suis affairé, Georges n'a pas bougé, et m'a regardé faire, sans mot dire. Il est des instants où les mots sont vains, et je cherchais, mine de rien, à préparer les miens, sans savoir lesquels choisir. Quelle importance avaient-ils, de toutes façons ? Au fond de lui, Beren savait déjà, et peu importeraient les syllabes utilisées ; il n'entendrait pas. A l'instant où il verrait la lettre, il saurait, ça prendrait forme. Il aurait sous les yeux ce que l'absence de sa femme lui permettait de ne pas encore visualiser de réalité, puisque l'esprit sait nouer des explications, même farfelues, pour soulager le cœur. Il faudrait faire face à l'enveloppe que je porterai, alors.

J'ai hésité à savoir si je devais poser le pli sur un plateau, ou le tenir en main, et cela m'a permis de gagner encore un peu de temps. J'ai opté pour la main, mais j'ai calé le plateau sous mon bras, au cas où je change d'avis, et ai gravi lentement les marches menant jusqu'à la chambre de maître, où il devait être assis, peut-être à son bureau, peut-être à son lit, à griffonner des choses incompréhensibles, ou bien à regarder dans le vide, comme je l'ai vu faire déjà trop de fois.

J'avais l'air d'un con devant cette porte que je n'arrivais pas à pousser. Mon poing refusait de se fermer d'abord, et quand il y parvint, j'eus toutes les peines du monde à lever le bras pour frapper. Je tentai d'inspirer mais mes bronches me refusèrent l'air salvateur qui me donnerait du courage. Un instant, j'eus envie de faire demi tour, de cacher cette lettre, et de faire comme si je ne savais rien de la situation. Mais Georges était là et Andrea partie, Beren allait avoir besoin de moi. Encore une fois.

Finalement, à songer que mon ami allait souffrir le martyr, j'ai pu prendre une goulée d'air, et mon bras s'est soulevé à l'instar de mon torse musculeux. J'ai frappé deux coups brefs, pas aussi sonores que mon mouvement le laissait présager, mais suffisamment audibles pour m'annoncer, et je poussai doucement la porte pour entrer. La pénombre de la pièce ne m'empêcha pas de distinguer le Fiole, assis au bord du lit, le bassin du petit Alexandre posé à ses genoux, sa petite tête reposant au creux de la paume masculine, habituée à soutenir avec précaution la tête des nourrissons.

Je le vis se pencher pour effleurer de ses lèvres le velours délicat du front enfantin, et murmurer les paroles douces et aimantes que je lui savais pouvoir formuler. Il ne me remarqua pas, d'abord, du moins c'est ce que j'ai cru, jusqu'à ce qu'il tourne la tête vers moi et me sourie avec tendresse. J'ai vu son regard bifurquer au plateau verticalement calé de mon aisselle à mon coude, et descendre jusqu'à mes doigts refermés sur le pli. A la manière dont sa mâchoire se raidit, je sus qu'il avait compris et, alors que j'ouvrais la bouche, déjà, il m'interrompit :


- Vous avez une lettre, Constant. Voulez-vous bien prendre Alexandre et le porter à la nourrice, pour qu'il prenne son repas ? Laissez la lettre à la commode, s'il-vous-plaît.

Sa voix était artificiellement aimable, et sonnait faux comme elle se voulait charmante. Jamais ne l'avais-je entendu ainsi prétendre auprès de moi, et le geste comme la voix me surprirent suffisamment pour que je ne dise rien. Peut-être était-ce là l'objectif de mon maître et je déposai le pli au meuble désigné, près de la porte, puis m'approchai pour prendre l'enfant dans mes bras. J'y prenais garde, plus habitué à charrier des charges lourdes et son poids et sa taille une nouvelle fois me surprirent et me ravirent. Je risquai un œil au plus soigneusement barbu de mes amis, et ce que je vis d'ombre à son visage confirma ce que j'avais ressenti en parcourant l'endroit.

Cette chambre, je ne m'y attarderais pas. Beren ainsi impénétrable, je ne m'y risquerais pas.


- Beren, si vous avez besoin de quoi que ce soit...
- Le bébé, Constant. Je n'ai besoin de rien, sinon que vous ajoutiez une bûche à la cheminée et que vous me portiez de ce cognac qui me réchauffera les côtes. J'ai soudain très froid.


Après un salut bref, je sortis, glacé d'effroi, et je savais déjà qu'aucun alcool et qu'aucun feu de cheminée ne me réchaufferaient avant de longues heures, moi, un peu comme le cœur de Beren, qui sommeillerait pour de longs mois, quand il se déciderait à guérir. S'il y parvenait enfin, ce dont je doutais, et ce pour la première fois.
Beren
Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !


Victor Hugo, A Villequier, extrait.



Il a compris à la manière dont sa main a rencontré la place vide, dans ce lit trop grand maintenant, à la façon dont le drap était froid, signe qu'il avait été quitté depuis un long moment déjà. Il a d'abord cru à un repas réclamé par le bébé, mais un rapide regard vers le berceau lui a montré le môme endormi. Intrigué, il a tâtonné pour chausser ses bésicles, s'est assis au rebord du lit pour enfiler ses braies et, le regard encore embrumé, a fait le tour de la maison pour la chercher.

En vain. Les lieux, elle les avait quittés. Les placards, non vidés, montraient l'absence de la cape, de la besace, de quelques effets nécessaires aux femmes et qui nous font savoir quand elles sont parties, et pour de bon. Il s'est assis à son bureau d'où il ne gère plus aucune affaire depuis des années, a bourré sa pipe à la lueur d'une bougie et l'a éteinte sitôt le foyer embrasé. Il y a des choses que la nuit doit garder pour elle, certaines pensées, certains songes. La légère incandescence de l'objet pour toute lumière à son visage, il est resté là, le regard vide qui, du reste, n'avait plus rien à contempler, puisqu'Elle était partie.

Le regard habitué au noir, il a regardé de longues minutes les draps froissés, la couverture défaite, le placard ouvert et la chandelle a demie consumée sur la table basse. Il a maudit son sommeil trop lourd ou le pas trop leste de sa femme ; lui facilite les choses à marcher avec une canne, le cliquetis du bois au sol annonçant toujours le pas d'une demie seconde. C'est le problème des pieds des femmes, trop légers, trop souples, trop discrets ; on ne les entend pas entrer dans nos vies, et on ne les entend pas partir. Alors on se retrouve là, tout seul, comme un crétin à fumer dans le noir, un nourrisson dans un berceau et une maison endormie sur une famille sans avenir. C'est idiot, les pieds, pis c'est même pas joli à regarder.

De temps à autres les yeux se voilent, sans qu'aucune larme ne veuille couler ; le ventre se tord sans qu'aucun cri ne consente à s'échapper. La colère teinte la tristesse et la douleur nourrit l'ire, même si la haine ne veut pas déjà remplacer l'amour, cette saloperie d'amour qui vous porte aux nues pour vous traîner à la tombe.

Le coq chante trois fois, comme une trahison biblique, pour signifier que le jour vient trahir la nuit, la déchirer et la percer de ses rayons, aussi sûrement que le cœur est pourfendue de multiples lames. Se pouvait-il avant aujourd'hui que le soleil soit une oxymore à son corps ? Les rayons dardés bientôt s'élèvent, comme l'astre lui-même, et plus les heures passent et plus la nuit s'étend à la l'esprit du Parfumeur. C'est une antithèse tragique, ce rideau opaque s'étendant sur lui tout entier comme le jour, éclatant, reprend ses droits sur la nuit. Ca va pas changer le monde, qu'elle change de maison*, alors pourquoi est-ce que son drapeau à lui est en berne, comme ça, comme un deuil national à son cœur et à son corps ?

Lorsque le petit s'agite, il va s'en occuper, comme si de rien n'était et s'adressant à lui comme on s'adresse aux bébés, avec une sorte de stupidité vocale exagérée qui pourtant a sonné faux, à tel point que ça l'a frappé, cet écho de voix résonnant aux murs creux d'une chambre délaissée. Il a porté le petit à la nourrice pour qu'elle le change et le nourrisse, retournant dans sa chambre, regardant dehors sans rien vraiment distinguer. Il a fait une maigre toilette pendant ce temps, s'est vêtu et a donné instructions pour que les enfants soient promenés et amusés après leur petit déjeuner, qu'on le laisse en paix aujourd'hui. A la vérité, il repoussait déjà l'instant de leur annoncer un nouvel échec, une nouvelle débandade, un sempiternel écueil sentimental, un énième exode féminin.

Il récupéra Alexandre une fois qu'il eut reçu les bons soins de la gamine payée pour cela, et s'en occupa, pensif, jusqu'à ce que Constant frappe à la porte, une à deux heures plus tard, pour une scène inévitable qu'il redoutait pourtant. Une lettre, forcément ; il faut qu'elle soit partie déjà pour écrire « ne me quitte pas », qu'ils n'habitent plus sous le même toit pour qu'[elle] vienne lui dire qu'[elle] s'en va. »** Il fit de son mieux pour paraître digne et de ne pas lui donner l'occasion de lancer une discussion, dans une manière sobre de refuser toute interaction. Il avait une lettre, évidemment ; tout doute était levé, tout espoir proscrit. L'enfant emporté, il lui fallu une certaine dose de courage pour dénouer sa carcasse et traîner la patte jusqu'à la commode où était posée la lettre, la décachetant avec douceur pour ne pas abîmer le papier, qu'il relirait maintes fois, à n'en point douter.

La lecture fut brève, autant que le pli était sommaire. Le premier « pardon » lui fit fermer les yeux pour renflouer une somme de sentiments contradictoires. La suite, il la lut avec intérêt, cherchant à y déceler une explication qu'il connaissait déjà et qu'il appréhendait depuis le début, bien avant même qu'ils se retrouvent dans le sud pour démarrer une histoire à laquelle elle mettait un point final en moins de quinze lignes ; treize, exactement.Treize lignes, en comptant la signature. Treize lignes, comme un pied de nez à la malédiction du Fiole. Treize petites lignes pour une grossesse, un mariage, pour une histoire d'amour. Treize lignes porte malheur à celui qui le croyait enfin derrière.Treize lignes pour un départ nocturne, à pas feutrés de la femme de celui qu'on surnomme Chaton. La vie n'est-elle pas tristement ironique ?

Il alla se rasseoir à son bureau, ralluma la pipe, prit quelques bouffées et saisit sa plume, qui crissa sur le parchemin comme il y couchait l'encre, lentement, en tentant de faire une réponse cohérente. Le début lui posa problème, de façon tout-à-fait pragmatique. Elle n'avait pas adressé son courrier, peut-être pour éviter de l'appeler par son prénom, cette formule impersonnelle ne leur convenant pas. Amis non, ni amants. Etrangers non plus.*** C'était en effet difficile, alors, il commença par ce qui lui semblait le plus évident.





Amour,

J'aurais aimé un au revoir, un dernier baiser, peut-être. J'y songe depuis que je me suis réveillé et que tu n'étais plus là. Je ne me souviens plus de notre dernier baiser, je me souviens simplement qu'ils se faisaient plus rares, comme tes sourires. C'est bête et ça me hante, ça. On pense toujours à soigner le premier baiser, on y voit une espèce de prédiction de la qualité de l'histoire à venir. Je crois que c'est pour cela que les putains n'embrassent pas, parce qu'il n'y a pas d'amour. C'est une question sur laquelle nous aurions pu avoir un débat, et je t'entends presque en parler, mais tu n'es pas là. Il n'y a ni ta voix ni ton doigt levé pour ajouter un argument, et j'aurais l'air d'un imbécile à débattre tout seul.
Je me souviens parfaitement de notre premier baiser, mais j'ai beau lutter, j'ai beau chercher et triturer ma mémoire, le dernier m'échappe.

L'échappée, ça va devenir le mot que je déteste le plus, je crois.

Je t'ai promis des choses, tout au long de notre vie commune ; je t'ai fait des promesses, jusqu'à mes vœux de mariage, que je tiendrai. Tu vois, ce n'est pas moi qui suis parti, tu n'auras pas à me poursuivre pour me tuer, je te l'avais bien dit. J'ai peine à en rire, pourtant, Dieu, que j'ai mal au cœur, putain Andrea, comment je vais faire, sans toi ? Moi j'étais sérieux quand je disais que je ne voulais pas vivre sans toi.

Je t'ai vue t'étioler, c'est vrai. Je m'en suis inquiété, je m'en suis ouvert à toi, et toi, tu ne m'as rien dit. Il y a quelques jours encore, tu maudissais Sianne et les autres femmes qui ont partagé ma vie et m'ont tourmenté. Je ne comprends pas. Moi je suis resté le même, celui qui croyais que tu l'aimais*, et j'en suis à me demander si tu m'as embrassé une dernière fois, avant de trouver qu'au fond de mes bras, il y faisait trop froid.****

Tu parles de liberté, mais moi je me sens prisonnier. Pour une raison étrange, tout ce que je possède porte ton odeur, et il me semble que tu es toujours sur le point d'entrer, quand je regarde la porte que tu as refermée.

Tu veux reprendre le cours de ta vie, et j'en prends un méchant coup à l'ego. J'aurais voulu que nous soyons assez pour que tu n'aies pas besoin de chercher ailleurs ce que tu voulais être, j'aurais tellement voulu faire plus, au moins t'expliquer mais tu ne m'en as pas laissé le temps. Je m'étais mis à brigander, tu sais, j'aurais pu faire plus. J'aurais pu fermer, oublier toutes ces portes, tout quitter sur un simple geste mais tu ne l'as pas fait. ******

Je crois que tu ne croyais pas vraiment en moi, ou alors que tu as su lire que je ne serais au final, pas différent de celui que dépeignaient tes amis quand tu leur as parlé de nous. Je suis sûr que certains rigolent déjà... Je m'en fous, je les aimais pas. On avait l'air trop bien, y en a qui supportent pas. J'imagine que certains ont tenu des paris pour savoir combien de temps la Belle resterait avec la Bête ; combien de mois Quasimodo profiterait d'Esmeralda ; je pense que ça ne surprendra personne que ce soit toi qui aies mis les voiles.

On aurait quand même pu se dire tout ça ailleurs qu'en échange de parchemins, non ? Que t'allais peut-être partir et peut-être même pas revenir*****. Je crois qu'on méritait quand même autre chose qu'une fin comme celle là. Que tu aurais pu au moins me concéder une explication de vive voix, un au revoir, un dernier baiser peut-être. Et au moins formuler clairement, pour une fois, tes intentions, parce que ce monde qui n'existe pas, selon toi, moi j'évolue dedans et, c'est peut-être idiot, mais j'ai la bêtise d'y croire encore. Il en faut au moins un.

J'imagine que tu as des projets sur le feu. Maintenant que je ne suis plus là à te retenir et à te freiner dans tes actions, je te souhaite sincèrement d'y trouver pleine et entière satisfaction, et beaucoup de succès. Manquerait plus que ça ne marche pas, et que tout ça soit gâché pour rien.

Je te concède que le roman est inachevé, mais j'aurais quand même aimé avoir un peu voix au chapitre.

Prends soin de toi et, puisque tu pars, dans ton exil, essaie d'apprendre à revenir.

Mais pas trop tard.******

Beren.



*Joe Dassin, Ca va pas changer le monde
** Zazie, Sur toi.
***Jean-Jacques Goldman, Quand tu danses
**** Saez, Toi tu dis que t'es bien sans moi
***** Patrick Bruel, J'te l'dis quand même, allusion
****** Jean-Jacques Goldman, Puisque tu pars.

_________________
Andrea_
Un départ, un renouveau, qui n’a pas la saveur espérée. Qu’espérait-elle ?
Qu’aurait-elle fait, la Andrea d’avant ? Après avoir balayé d’un revers de main Mari et enfants, les avoir regardé dormir, elle faisait quoi ?
Est-ce que c’était aussi difficile dans sa tête, est ce qu’elle rêvait de faire marche arrière à peine la première enclenchée ? Est-ce que sa tête, les autres fois, était aussi un repère aux démons et à la luxure une fois l’abandon engagé ?

Plus grands sont les regrets, plus violent est le retour à la liberté. Elle use et abuse d’un corps qu’elle détache complètement de son esprit.
Elle se raccroche à quelques branches et en coupe d’autres. Elle envoie des pigeons, par dizaine. Elle trouve une proie et fait de sa vie un enfer. Elle s’inflige l’enfer d’un autre qu’elle exècre avec gourmandise. Elle refuse les promesses et les avances pour devancer sa victime. Elle goûte, savoure, se sert sans vergogne d’un corps qu’elle n’étreindra jamais de la même manière que celui qu’elle vient d’abandonner. Elle refuse d’embrasser, elle refuse de donner et se contente de prendre. Elle cherche ses limites, ne les trouvant qu’au seuil de l’inconscience, quand la nuit reprend ses droits sur un corps fourbu. Mesurant entre deux songes l’écart de ce qu’elle est, ce qu’elle voudrait être et ce qu’elle ressent. Les songes. Tout ce qui lui reste pour retrouver la chaleur du lit conjugal, de ses mains dans la tignasse blonde, d’une peau rougie d’avoir trop étreint. Les songes pour ressasser un été trop vite terminé, des soupirs alanguis… Des songes. Des songes que le jour avorte sans préliminaires.

Je suis ce prédateur blessé posé en pâture.
Je suis ce flocon attiré par le feu.
Je suis ce mouton dans la cage du loup.
Je suis cette dernière feuille dansant sur une branche qui pense résister à l’automne.
Mais il se fera manger ce prédateur, il va fondre ce flocon, et ce mouton, qui comme cette feuille redeviendra poussière.
Laisse moi croire que de la poussière ils sont nés. Laisse moi croire que rien n’est perdu, que j’ai le droit de me tromper, souviens toi, Beren, que je t’ai toujours dit que cela arriverait et que chaque fois tu as serré ma main plus fort en me disant que tu serais là. Quoiqu’il arrive. Quoiqu’il advienne.


Et ce corps que le froid envahi s’enroule dans les draps pour trouver le repos que son esprit ne daigne lui accorder. Une fois. Deux. Trois. Vingt. Cinquante. Jusqu’à ce que du fin fond de son goitre s’étouffe dans un coussin un cri qui ne soulage en rien la douleur qui l’a initié. Après la clameur viennent les larmes que rien ne vient apaiser. Ni les plumes qui s’échappent d’un traversin malmené, ni les spasmes qui agitent son ventre, vrillant un estomac qui refuse de se nourrir, compatissant d’un coeur qui ne veut pas se fermer, encore moins l’absence de réponse au « pourquoi ? » qui sort de ses lèvres de moins en moins fort.

Ce qu’elle faisait avant ?
Avant d’aimer vraiment, comme les grands ?
Pour le savoir il aurait fallu l’avoir vécu.

Alors doucement, alors que l’ombre semble plus claire que jamais, la plume se nourrit d’encre et glisse sur le vélin.





Mon Seul,

S’il y avait eu un baiser il n’aurait été le dernier. Je pourrais me soumettre, je pourrais prier. Je pourrais croire, m’agenouiller, traverser le royaume. Je pourrais creuser la terre de mes mains, mais je te promets que mes lippes seront les dernières que les tiennes effleureront.
Il sera mémorable. Il te prendra aux tripes, il te rendra éternel, il te rappellera chaque seconde les vœux que nous avons prononcés le jour de notre union. Ces mots que rien, jamais, n’effacera. Il aura la saveur des regrets, des trahisons, des retrouvailles, il aura le goût de l’Amour et d’une vie loin de celle que nous avions imaginée. Tu sauras alors toute la saveur que représentait notre vie à mes yeux. Le premier pour prédire, le dernier pour achever.
Alors si le dernier t’échappe Beren, c’est simplement parce qu’il n’était pas le dernier.

Je me suis étiolée, je n’ai rien dit. Pour ne pas blesser, quelle horrible ironie. J’ai cru refouler les ricochets du passé, les avoir envoyé valser si loin qu’ils ne reviendraient pas. Mais tu le sais toi, que le passé est tenace. Tu le sais toi, que le passé se répète de façon déloyale. Tu le sais, toi, qu’on ne peut pas toujours lutter.

Elle me manque cette vie d’errances et d’inconscience. Ces virées loin de tout, et de tous, ces soirées au coin du feu à penser à ce que l’on a laissé, à ceux que l’on a laissé. A parler d’un mari, d’un fils, d’une fille, à les rendre beaux jusqu’à les mystifier. Ils me manquent ces retours au milieu de miens, à conter les aventures vécues, à combler le manque, à humer le parfum d’un corps que l’on n’a pas étreint depuis longtemps. Ils me manquent, ces départs la boule au ventre, à se demander quand on se retrouvera, en emportant myriades de souvenirs et cette attente des retrouvailles. Il me manque, ce manque.

Et je ne te demande pas de comprendre.
Et je ne te demande pas de m’attendre.
Juste de continuer à m’aimer comme tu l’as toujours fait,
Aussi fort que je t’aime.
Andrea.

_________________
Beren




Andrea,


Si j'ai mis longtemps à te répondre, c'est que je ne savais pas quoi dire. Cela dit, les mots sont vains puisque tu n'en as pas voulus avant ton départ, alors j'imagine que l'absence de lettre n'a pas eu grande importance pour toi. Tu dois avoir mille projets en tête, mille histoires où je n'apparais pas, et c'est bien ainsi, je crois. C'est mieux pour toi.

Je ne pouvais rester à Limoges, la ville où j'avais rencontré Margareth, la ville où tu m'as quitté sans un mot, sans une lettre. J'ai rejoint le Béarn, où Thétys m'offre le gîte. Elle est d'une grande assistance pour moi ; je me réjouis qu'elle puisse nourrir Alexandre, qui trouve en son sein de quoi faire bon repas. Elle m'est d'un grand secours pour maintes choses, et je ne regrette pas d'avoir pris le pli de la rejoindre. Nous resterons ici quelques semaines, sans doute, je ne sais pas encore où mes pas me mèneront. Ca non plus, tu ne devrais pas en faire grand cas.

J'ai mis longtemps à te répondre, parce que les seuls mots qui me venaient étaient « où es-tu, et en quelle compagnie ? », mais j'ai déjà écrit ces mots-là tant de fois que cette fois, je m'en abstiendrai. Je n'y ai jamais obtenu réponse, d'ailleurs, pourquoi cela changerait cette fois-ci, qui ressemble à tant d'autres ?

Tu parles de départs en attente de retrouvailles. Retrouverai-je la femme que j'ai épousée en te revoyant ? Reverrai-je la femme qui m'a promis des efforts, qui regardait d'un œil sombre l'éventualité que je prenne un jour amante, qui me parlait de champs de lavande et de maison à Bordeaux ? Hier encore, Andrea, on était comme deux aimants, nos cœurs vibraient de concert ; je comprends toujours pas vraiment que t'aies voulu prendre un peu l'air. Tu m'as dit que tu la voyais plus comme ça ta vie, que t'étouffais et qu'il te fallait voir du pays. Faut-il brûler ce qu'on aime pour aimer ce qu'on a brûlé ?*

Je t'ai dit des dizaines de fois que je ne voulais pas toujours regarder par dessus mon épaule pour vérifier si tu étais encore là, et tu es tout de même partie. En toute connaissance de cause, donc ; je ne comprends pas ce que tu attends de moi, si je ne dois ni comprendre, ni attendre. Quant à t'aimer, ces choses-là ne se décident pas. Mais il est des choix qui nous appartiennent, et je me demande lesquels tu as bien pu avoir fait. Quinze jours que tu t'es fait la belle et moi je me fais des idées. Tu fais peut-être les quatre cents coups pour rattraper le temps ; moi du coup je fais les cent pas dans l'appartement*.

J'attendrai que tu reviennes et quand tu seras lassée de lancer des anathèmes sur nos printemps casaniers*, j'espère que nous nous reverrons pour que face à face et yeux à yeux, tu m'expliques ce qu'il s'est passé, que tu aies à ce moment là le courage qui t'a manqué quand tu es partie comme une voleuse, à la nuit tombée.

Je n'ai qu'une question pour savoir ce que je dois attendre de toi : t'es-tu blottie dans d'autres bras, t'es-tu glissée dans d'autres draps que ceux de notre couche conjugale, auprès d'un homme qui n'est pas ton mari ? A cette réponse-là, j'aurais celle à toutes les questions que je me peux bien me poser.

J'ai longuement hésité quant à la manière de terminer cette lettre mais au final, la formule de politesse est toute trouvée.

Bien tendrement,


B.H. de la F. E.


Bearn, 16ème de février 1465,
Marché des amandiers.

PS : Tu as commencé ta lettre par « Mon seul ». Ton seul ? Ton seul quoi ?


*Archimède, Au marché des amandiers.

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Andrea_


Beren,
Mon seul Amour, qui répondra à ton Ps,

J’ai bien reçu ton courrier, que j’ai lu et relu. Je commence cette missive sans savoir où mes maux mèneront mes mots, tant de sentiments me traversent à la lecture que déjà ma main tremble de devoir y donner une suite logique, s’il en est.
Il est en effet plusieurs projets, à plus ou moins longue échéance, dont tu feras partie, sinon avec moi au moins dans mon esprit.


Tu poses des questions dont tu crains la réponse, tu dis n’en avoir jamais obtenu, tu compares notre histoire à toutes les autres, quand nous nous sommes évertués à en faire l’unique. Je te dois des réponses, je me suis trop longtemps fourvoyée à ne pas t’en donner. Je suis en Guyenne, avec Ansoald.

Tu te demandes si tu retrouveras la femme que tu as épousé ? Non. La femme qui t’a promis des efforts et tant d’autres choses est morte. Elle n’est pas morte en franchissant la porte qu’elle partageait avec son époux, elle est morte bien avant cela. Elle est morte quand dans ses yeux ne luisaient que le reflet d’un mur que tu t’évertuais à construire autour d’elle. Elle est morte à petit feu, lorsqu’elle voyait ses amis quitter un à un son univers. Elle se mourrait davantage encore lorsqu’elle recevait des nouvelles d’eux, lorsqu’ils contaient leurs épopées, qu’ils comptaient leur butin.
Elle n’est pas morte en passant la porte Beren, elle a pris un souffle de vie ce soir là, elle ne savait pas alors, que c’est une autre partie d’elle-même qui se tuerait doucement. Elle ne sera plus jamais la même, et probablement pas le genre de femme que tu pourrais aimer.

Tu me demandes si mes mains ont frôlées d’autres peaux, si mon corps s’est abandonné contre un autre ? Oui. Si je me suis glissée dans d’autres draps, si je me suis blottie dans d’autres bras. Oui.
Je me suis égarée Beren, et même si cette partie de moi que j’ai laissé chez nous me fait souffrir, même si j’arrêtais de me fourvoyer, même si tu me pardonnais un jour cet affront, je me suis égarée. Et j’ai aimé cela.

Et j’aime d’autant plus cela qu’en te lisant, tu n’as fait qu’attiser ma colère.
Alexandre avait une nourrice, une nourrice qu’il ne verrait jamais comme sa mère, une nourrice dont il ne partagerait que le sein et pas le quotidien. Pourtant c’est au sein de Thétys que tu l’as accroché. C’est sa main qu’il tient en se nourrissant, son regard qu’il croise alors qu’il se repait. Je pourrais l’accepter sans broncher, te dire que j’assume, après tout n’est ce pas moi qui suis partie ?
Qu’attendais-tu de moi Beren en me confiant cela entre deux phrases de louanges à son égard ? Qu’attendais-tu alors que j’ai tant de fois suspecté une idylle entre vous ?
Grand bien te fasse de la voir nourrir notre fils, grand bien te fasse de l’avoir rejoint. Grand bien te fasse de me balancer que MON fils, ourle ses lèvres autour d’un sein que tu ne tarderas pas à embrasser à ton tour.

Rien que pour cela nous nous reverrons.
Parce qu’il est aussi mon Fils. Que dans ses veines coulent nos deux sangs réunis et que je ne peux me résoudre à vivre trop longtemps loin de Lui.
Et parce que je t’ai promis de faire de la vie de tes maitresses un enfer sans nom. J’ai toute la vie pour cela, je suis muée d’une force nouvelle, d’une soif de vivre et de vaincre, la liberté Beren, souviens toi ce que tu m’as dit alors que tu prenais la route pour me rejoindre quelques jours après notre rencontre : je prends la route, libre, et c’est grisant.

Tu avais raison.
Rien n’est plus grisant que la liberté.

Avec tout mon Amour,
Que nulle colère ne pourra altérer.
D.

P.S. : Et toi Beren, comment occupes-tu tes nuits d’errances ?
Beren





Andrea,


Suis-je un dragon ? A te lire, je le crois presque. Je serais donc le grand vilain homme qui t'empêchait de respirer, qui t'empêchait de voir tes amis, qui t'empêchait de vivre tes projets, oh le vil que je suis. C'est presque drôle quand dans mon esprit résonnent encore tes mots lorsque tu disais que j'étais ton souffle, lorsque toi même tu concédais que tes amis étaient des pourritures, lorsque nous faisions des projets communs. C'est presque risible quand dans ma mémoire, je t'ai toujours suivie, encouragée, quand bien même j'émettais des réserves quand les groupes qu'on te proposait étaient liés à celui de se vautrer dans une couche. Qu'aurais-je dû faire quand d'aucuns t'appelaient leur princesse, te laisser aller ? C'est un peu facile d'accabler l'époux-prison, tu ne crois pas? Surtout quand tu lui as menti d'un bout à l'autre. Chacun ses tares.

Tu n'as pas eu besoin de moi pour rejoindre ceux-là, à pas feutrés, comme une voleuse. Tu as cambriolé mon cœur, ce coffre là où je ne fais pas rentrer grand monde parce que j'ai des amours et des amitiés sincères, entières, que je ne travestis pas à la volupté d'autres mots doux. Mais y a-t-il gloire à faire mordre la poussière à un type comme moi ? Tu dis t'être égarée, et avoir aimé cela. Ce n'est pas l'égarement, le pire, c'est le fait de t'en gargariser, de t'en vanter, de venir me planter le cœur par courrier quand tu n'as même pas su me dire au revoir en face. Quelle gloire, ah, vraiment ! Tu espères conquérir mais tu balaies tout, mais tu détruis tout. Alors finalement tu auras réussi, dans ton petit jeu avec Enolia. Félicitations, Andrea, tu as remporté un pari contre une gamine de 10 ans. C'était quoi, déjà ? Me séduire ou me tuer ? Je ne sais plus, mais tu parviens à réaliser les deux, coup sur coup. J'espère que ça en valait la chandelle, pour que tu en tires un enfant, pour que tu ruines le peu de considération que j'avais encore pour les gens. Quand je pense que je suis sorti de retraite prolongée pour ça, je suis dépité. J'ai toujours été con mais là, je me suis surpassé.

Tu es en colère, ma chérie ? Tu vrombis de rage parce qu'une autre femme que toi donne le sein à notre fils ? Oui, c'est NOTRE fils, ni le mien, ni le tien, mais le NOTRE. En cela, je ne pourrai pas empêcher que tu le vois, ça ne m'a même pas traversé l'esprit. Tu te souviens ce que tu disais à propos de Sianne ? Qu'un enfant devrait grandir avec ses deux parents ? Il n'est pas question qu'Alexandre soit privé de son père ou de sa mère et c'est pour cela que je t'ai dit où je me trouvais. Je n'ai jamais eu l'espoir que tu me rejoignes pour moi ; tu aurais hésité à partir, autrement, et tu ne m'aurais pas trahi avec un autre sitôt éloignée. Ou des autres. Ou toute proche, je ne sais même plus quoi croire. Je sais toutefois que j'ai du mal à concevoir que ton cœur m'appartienne si ton cul est offert à une autre vue ou à une autre main. Je suis tellement en colère que tu piétines ce qu'on a été, tellement en rage, je t'en veux comme je n'en ai jamais voulu à personne.

Ta colère contre Thétys est infondée. Elle offre son sein ambré à notre fils par affection pour moi. Alexandre n'a plus de nourrice, elle n'a pas fait l'affaire. Elle n'avait ni la résistance ni la force d'esprit qu'un tel poste requiert, et je l'ai démise, irrévocablement. Thétys a, encore une fois, été d'un grand secours et si tu ne voulais pas qu'il presse l'un de ses orbes veloutés ou son doigt diaphane tout en ourlant ses lèvres à son mamelon, peut-être n'aurais-tu pas dû tous nous abandonner.

En ce qui concerne celles que tu appelles mes maîtresses, je crois que tu te fourvoies à nouveau. Davantage encore si tu t'imagines que je vais te raconter mes nuits d'errances, comme tu les nommes. J'ai cessé de devoir te rendre des comptes au moment où tu as passé la porte de notre chez nous sans un regard pour moi. Je te dirai simplement... Pose-toi juste la question, Andrea... Qu'est-ce que tu crois, que je suis en bois, que ces pisseuses aguicheuses me laissent froid ? Ben tu vois, même moi, j'ai craqué, j'ai glissé quelques fois. Même moi, qu'est-ce que tu crois, que je suis un ange, que ça me démange pas un peu ? Déteste-moi mon Amour, j'aimerai ça, pas toujours mais un peu.* Comme j'ai aimé en serrer d'autres après toi ; c'était ton choix de m'abandonner à leurs bras.

Je te souhaite bonne réussite dans tes projets, et, si tu prends la peine de me prévenir lorsque tu ne seras pas loin, je te dirai bien vite où me rejoindre pour que tu puisses voir et embrasser nos enfants. Je profite de ce pli pour t'assurer de la bonne santé de Victoire, qui semble s'être fait bonne place parmi ses frères et sœurs, ainsi que de Georges, qui, s'il semble inquiet à ton propos, n'est pas malade. Fais-moi savoir si tu veux que je te renvoie ton ami et homme de main, ou si tu veux que j'organise une visite de ta fille.

J'aurais voulu écrire « cordialement », mais ce serait incorrect. Comme je n'ai nulle envie de t'adresser une tendresse que tu as foulée aux pieds...


B.H. de la F.E.



* Renaud, Me jette pas.

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Andrea_


Beren,


Crois-tu que j’ai perdu la raison au point de ne pas lire entre les lignes de tes missives ? Crois-tu que je me sois égarée au point d’oublier tout ce que nous nous sommes confiés Beren ? Là c’est toi qui te fourvoies.
Tu vois des attaques et de la vantardise lorsqu’il n’y a que des confidences. Tu crois que je t’accable quand je t’explique mes tourments. Peut être ton égoïsme a-t-il quelques relans d’égocentrisme, ou que la douleur a pris tellement de place que tu ne penses définitivement que mon but est de te faire du mal. Peut être suis-je devenue « un démon de plus » à tes yeux. Peut être Beren. Peut être que ma fierté m’empêche de te prouver le contraire.

Je ne retire aucune gloire d’être partie, quand bien même je l’ai fait comme une voleuse, et que mon regard, tout de même, s’est attardé sur toi, de longues nuits, avant que je ne prenne la route. Je ne suis pas fière de te balancer une paire de cornes à travers une missive, quand j’aurais préféré te l’avouer les yeux dans les yeux, peut être alors aurais-je pris la mesure de ma trahison. Tu y vois sûrement de la lâcheté, je n’y vois que l’opacité d’une vérité que je ne veux te cacher.

Je ne sais si l’on peut parler de tromperie, quand les deux partis d’une union sont allés s’offrir à des soupirs étrangers. Bien sûr je t’ai abandonné, bien sûr je savais alors qu’il te serait plus simple de céder à quelques passades, bien sûr j’ai redouté que tu cèdes. Bien sûr c’est une éventualité qui m’avait écorchée l’esprit. Bien sûr que de voir qu’elle est devenue réalité me fiche en l’air. Serait-ce avilissant d’espérer que plus jamais ton cœur ne battra plus jamais la même mesure ?
Serait-ce mon égoïsme qui prend le dessus sur le tien, en priant pour que ton cœur reste de marbre quand tes yeux se poseront sur une paire de fesses, quand ta bouche se nourrira d’autres lèvres ?


Je n’ai aucune colère contre Thétys. Aucune. J’ai suffisamment d’orgueil pour savoir qu’elle ne m’arrive pas à la cheville. Qu’elle te rendra au centuple la tristesse que tu ressens aujourd’hui. Je sais qu’elle n’a jamais su garder son cul dans ses robes et ce n’est pas parce que tu souffles à ses oreilles de belles paroles que les choses changeront. J’aimerais te dire de te protéger, de vivre loin d’elle, mais tu verrais de la jalousie. Me trompe-je Beren ? Je t’aime assez pour te dire de continuer à lui vriller les reins, de te jeter corps et âme en son sein, fais toi du bien Beren. Montre lui à chacun de tes coups de hanches combien tu es perdu et qu’elle n’est qu’une amarre où tu t’accroches le temps d’oublier que tout passe.
Baises là Beren. Et fais le bien. Assez bien comprendre qu’elle n’aura jamais ton cœur. Assez pour comprendre qu’en brigande que je suis, j’ai volé le tien et que je ne l’abandonnerai quelque soit l’endroit où se posent mes fesses.


Oh je ne voulais pas te tuer, si j’avais voulu le faire je ne serais pas à user ma plume sur ce vélin de mauvaise qualité. Ecrire, c’est se retourner un peu. C’est se souvenir qu’il y a eu une vie avant celle que l’on construit à nouveau. Nos corps Beren, nos corps ne sont qu’une enveloppe, nos idées ne sont qu’un idéal que l’on tente d’atteindre en oubliant le reste.
Alors je t’en prie, si jamais tu en avais besoin pour soulager, tu as ma bénédiction. Oublie notre Amour dans les bras d’autres. Sois furieux et impétueux, comme je ne me lasse pas de l’être. Tiens tête, piétine ce que tu penses être les morceaux de nous mais garde en tête, que tant que tu seras en colère Beren, tant que tu nourriras des sentiments violents à mon égard, tu continueras de m’appartenir. Malgré toi. Malgré ce que tu crois. S’il n’y a que ça tu peux m’offrir je m’en contenterai, cela vaut mieux que l’indifférence.


J’ai des nouvelles de Georges et de nos enfants, je ne vous oublie pas, je m’abandonne. Et je sais que les enfants sont heureux à vos côtés.
Je ne suis pas prête à me montrer, je ne suis pas prête à abandonner cette liberté tout juste retrouvée. Tu n’aimerais pas me voir ainsi, je n’aimerais pas que tu me vois ainsi.


D.

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Beren




Andrea,


A te lire, je crois que tu as raison.

Je refuse de me laisser dire que je t'ai emmurée, que je t'ai emprisonnée, et que la vie sans moi est une libération, quand je ne t'ai jamais enchaînée. Je t'ai portée aux nues, je prends la mesure de mon erreur, et reconnais que, peut-être, je t'ai mise sur un piédestal qui ne correspondait ni à ce que tu es, ni à ce que nous étions. Je ne crache pas sur ce qui a été, et qui est révolu ; j'aimerais que tu en fasses autant et que dans ta mémoire, tu intègres que je n'ai jamais été ces menottes à tes poignets ou cette cage dorée où, du reste, tu as choisi d'entrer de ton propre chef. C'est toi qui est venue me chercher, toi qui criais partout que personne sinon toi, ne me méritait. Toi qui est venue, toi qui a pris, toi qui as reposé et remisé les jolis bibelots avec lesquels tu t'es plu un temps à décorer ta vie.

Je refuse d'être cet homme piégé, cocu, qui passe pour un con aux yeux du monde entier, à ceux de celui qui pose les yeux, les mains et le reste, sur celle qui as été mon épouse et m'a fait croire au ciel avant de me montrer par elle-même que la jolie toile vierge qu'elle m'avait offerte ne méritait que d'être déchirée. Je refuse de passer pour un imbécile aux yeux de tes amis qui doivent se moquer de nous depuis qu'ils savent que nos chemins sont séparés. Je refuse de passer pour l'homme faible qui attend sa femme adultère et éteint sa rage dans d'autres corps. Andrea, j'en ai connu des dizaines comme toi. Cent fois je suis tombé, cent une fois je me suis relevé.

Je crois que ces courriers ne riment à rien. On s'envoie nos conquêtes à la figure et au cœur ; nos pensées vont vers l'autre sauf au moment d'étreindre. Je n'ai pas envie de lire tes confidences, je n'ai pas envie que ton corps sur le mien à l'un de tes retours d'errance, tu me confies, la joue à mon torse que quand tu fais l'amour avec moi, tu penses à lui ; que quand tu fais l'amour avec lui, tu ne penses plus à moi*. Je crois que je ne suis pas fondamentalement un homme mauvais, je crois aussi que je ne mérite pas d'être traité comme ça. Peu importe le nombre de corps qui passeront dedans le tien, peu importe le nombre de celles que je mettrai sans dessus dessous, au final, on s'est trahis, on s'est trompés. Peut-être bien qu'on s'est justement trompés de croire qu'on pouvait avoir l'orgueil ordinaire du « nous deux, c'est différent »**, peut-être qu'on a bêtement cru que le Parfumeur et la Brigande, ce serait autre chose qu'un conte pour enfants. Ce sont d'autres peaux que mon nez caresse et effleure, ce sont d'autres corps et d'autres cœurs que tu prends d'assaut et que tu cambrioles.

Je n'ai pas besoin de ta bénédiction, je n'en ai jamais eu besoin à vrai dire. Je me suis laissé aller quelques fois à des égarements sans importance, je n'ai pour autant pas dans l'espoir que leurs baisers sur ma peau effacent ceux que tu y as posés. Tu te charges de faire ça toute seule, et chaque jour que tu as passé loin de moi a contribué à effacer ta marque sur cet épiderme qui n'aurait été qu'à toi, si tu l'avais aimé.

Je crois que j'ai passé l'âge de jouer les adolescents morveux qui jouent à ne pas savoir ce qu'ils veulent. Ce n'est pas un jeu et je ne sais pas ce que je veux, sinon ne pas entretenir moi-même la plaie de ce couteau planté dans le dos. Je vais panser la blessure, mettre un mouchoir dessus, car il me reste ma fierté. J'ai déjà aimé des infidèles, j'ai déjà été vrillé de rage, de douleur et de ressentiment. C'est passé, avec le temps. On verra si ma peine est une passante, mais ce n'est pas pour autant que je vais m'étaler sur ce qu'elle pèse sur mon âme dans des courriers que tu liras dans le même lit que celui où tu te vautres avec un autre. Tu as choisi ce qu'il adviendrait de nous.

Je ne me battrai pas contre des moulins à vent, pas plus que je ne te donnerai la satisfaction de lire dans mes plis que je meurs de toi. Je passe déjà pour un crétin cocu, je vais éviter d'avoir en plus l'air pitoyable. Il me reste assez d'ego pour ça, et pour affirmer qu'et ton départ, et ta souffrance, ne sont que nés de toi. Je ne te rassurerai pas en confirmant que j'étais une ordure t'enfermant autour de quatre pans de murs, parce que ce n'est pas vrai. Aies le courage d'assumer que ce n'est que la résultante de tes propres choix, dont je ne suis pas responsable. Tu as d'autres aspirations, soit. C'était un joli moment, pour lequel je te remercie, mais je ne participerai pas à en faire ces mois de souffrance et de cloisonnement dont tu voudrais user pour justifier ta soif de liberté.

Si la liberté, c'est de jouir de la vie sans attaches, alors profite d'avoir recouvré cet état de fait. Tu ne m'as jamais appartenu, pas plus que je ne t'appartiens, moi. Profite de ces instants loin de tout.

Puissent-ils t'apporter pleine et entière satisfaction. Tu voulais mon pardon d'être partie à la sauvette, je ne suis pas prêt à te l'accorder, ni à défaire cette union que nos alliances symbolisent. Mais peut-être qu'avec le temps, j'apprendrai de mes erreurs et pourrai te renvoyer et ta fille, et ton ami, et cet anneau que je porte à mon doigt. Si ce n'est pas encore le moment, je considère toutefois que nos échanges sont pour l'heure inutilement douloureux pour toi comme pour moi.

Comme je te l'ai indiqué dans mon pli précédent, fais-moi parvenir par retour de courrier la date à laquelle tu souhaites te présenter pour voir les enfants. Alexandre et Victoire seront ravis, sans nul doute, de revoir leur mère.

Rédigé pour servir et valoir ce que de droit.
Béarn, le 17ème de février 1465.


Beren Hartasn de la Fiole Ebréchée de Sparte.



* Cali, Elle m'a dit, remanié.
** Jean-Jacques Goldman, Je voudrais vous revoir

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