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[RP] - Parce que c'est écrit.

Tigist
A million shards of glass
Un million de tessons de verre
That haunt me from my past
Qui me hantent depuis mon passé
As the stars begin to gather
Alors que les étoiles commencent à se rassembler
And the light begins to fade
Et que la lumière commence à diminuer
When all hope begins to shatter
Quand tout espoir commence à voler en éclats
Know that I won't be afraid
Sache que je n'aurai pas peur
Writing's On The Wall - Sam Smith





    [Clarens, Comté d'Armagnac & Comminges - La nuit du 1er Octobre]


    Les coudes sont appuyés sur la pierre depuis assez longtemps pour que le tissu ne préserve plus la chair, chaque aspérité du granit s'est déjà inscrite dans la peau mais elle ne bouge pas. Le regard est porté au loin, vers la direction que le garde lui a indiqué : Le comté de Toulouse.
    Tigist sait qu'il doit y être, elle l'espère tout du moins. Parce que s'il ne l'est pas, c'est qu'il est pendu, et si Gabriele est pendu alors son monde s'écroule. Puisque le monde est toujours debout, c'est bien qu'il est vivant, non ?

    « Tu ne peux pas mourir, Berhan. La Lumière ne meurt pas. »

    Inconsciemment, les doigts de l'éthiopienne viennent frôler la cicatrice sur le poignet.
    Cet homme si fort, qui prenait les décisions pour tous les membres de sa famille, cet homme-là avait besoin certaines fois que l'on prenne les décisions pour lui, qu'on lui montre la voie.
    Il aura fallu Bordeaux pour qu'un choix se pose : Elle ou Lui, l'Ombre ou la Lumière. Le combat de la sagesse et de la passion, deux entités que tout oppose. Qui a dit que le mariage était affaire de tranquillités ? Certainement pas les Corleone.
    Elle y avait perdu l'usage de sa main gauche un temps.
    Et maintenant ? Tigit s'adosse contre le mur d'enceinte et le regard se pose sur le ciel. Qui pourrait savoir ce que les étoiles lui ont révélé pour qu'elle fasse à nouveau un choix, ce choix-là.
    Elle lui a dit à Bordeaux cette nuit-là, le savoir vivant même loin, c'est l'aimer toujours. Elle n'a pas son penchant morbide pour la mort passionnelle, elle ne veut pas mourir l'éthiopienne, elle veut même vivre.

    « Je veux voir Maria embrasser le front de ses enfants, je veux voir Menelik regarder une femme comme tu me regardes. »

    Mais pour cela, ils doivent vivre.
    Il a fallu faire un choix. Et pour que ses enfants vivent, il fallait les éloigner de la folie du brigandage, les éloigner de cette étiquette dangereuse qui colle à la peau des italiens, celle-là même qui a fait accuser Lili alors qu'elle n'était pas responsable. Il a fallu faire un choix et comment lui demander à lui de le faire, comment lui demander de réduire ce nom à néant pour que ses enfants n'aient pas à en porter le fardeau, alors qu'il en est si fier ?

    Sur l'enceinte, on a allumé des braseros, et l'ambre se perd dans les flammes.
    Tu ne te rappelles pas Tigist parce que tu n'étais pas là, tu n'as pas vu le corps de Makeda se transformer en cendres, mais quel effet cela fait à Gabriele de voir le feu qui a emporté sa fille ? Les mains se resserrent sur sa panse farouchement.
    L'ébène l'a juré, celui-ci restera accroché jusqu'au bout, et qu'importe si pour cela, elle doit mettre à feu et à sang le Royaume de France, qu'importe si pour cela, elle doit vouer son époux aux pires souffrances. Si Gabriele et ses fils vivent, alors tout cela n'aura pas été vain.

    Elle n'a aimé aucune de ses grossesses avant celle-ci, mais celle-ci, c'est la rédemption qui lui est offerte après avoir tué sa fille à force de cavales sur les routes. Les mains glissent sur l'arrondi et l'apprivoisent.


    « Il ne sait pas tout ton père, mon amour mais il sait le plus essentiel. Il sait, lui, que les étoiles ne brillent que la nuit. »*

    Berhan, n'est-ce pas que tu le sais qu'il n'y a pas d'Ombre sans Lumière.
    Mais à Foix, y-a-t-il seulement des étoiles ?


    *Dans sa langue natale, obviously.

_________________
Gabriele.
    « Something just flaked in your eyes
    Quelque chose floconne dans tes yeux
    There’s a crack in your gaze
    Il y a une fissure dans ton regard
    Like those broken days
    Comme ces jours brisés
    Am I seeing things...
    Est-ce que je vois des choses... » - Yodelice, Talk to me


Allongé sur le sol miteux d'une taverne d'un bas-quartier quelconque. Des larmes plein la bière, de la bière plein le ventre. Les pupilles dilatées par une substance psychotrope dont le nom importe peu, mais qui offre cette double-vue tant recherchée par les chamans d'un autre temps. L'homme qui se morfond là, n'a rien d'honorable, n'a rien de fier. De l'extérieur ? Un clochard comme un autre, profitant de ce vague toit pour s'offrir le repos du juste. Mais rien ne se repose, là-dedans, pas vrai ? Rien ne sera jamais plus apaisé, puisque l'apaisement personnifié a quitté le navire. Il te faut faire avec, et la dure réalité s'écrase dans ta gueule, comme la vague d'un ras-de-marée qui noie tout ce qu'elle touche.
Terrible vérité. Tu te l'étais pourtant dit : Plus jamais ça. Plus jamais être abandonné par ta raison de vivre. Tu as pourtant tout fait pour que ça n'arrive plus, et c'est arrivé. Où est-ce que ça a merdé ? De Limoges à Bordeaux, tu aurais pourtant juré que cette fois-ci, c'était la bonne ; que la Noire ne serait jamais capable de te laisser, par amour de toi. Par amour de vous. Alors comme tu es un être stupide, Corleone, tu t'es jeté à corps perdu dans l'océan, et tu t'es noyé : pauvre fou.

Cétait plus simple avant. Tu te souviens ? Lorsque ta jeunesse et ta beauté n'avaient d'égales que ta capacité à séduire, à jouir de ce que tu chassais, pour mieux recommencer le lendemain. Il n'y avait alors pas d'erreurs à commettre, pas de responsabilités à assumer. Tu n'étais ni meneur, ni mari, ni père. Le seul dont tu devais t'occuper, c'était toi, et putain comme cet égoïsme te manque. Tu l'appelles parfois de tes vœux, lorsque le sommeil refuse de t'emporter ; puis une éthiopienne au ventre plein de vie se tourne pour venir poser une main sur ton torse, et là...là, pauvre idiot, tu te souviens que ton univers, c'est elle, et que pour rien au monde tu ne voudrais être ailleurs qu'à cet endroit bien précis.
C'était avant.
Avant que l'histoire ne se répète une fois encore. Tu te souviens pourtant de la douleur que ça a pu te procurer, des poings dans la gueule et de la flèche dans la cuisse. Ca ne t'a pas servi de leçon, pauvre crétin, et tu as remis ça. Cette fois, elle n'a pas fait que briser ton âme, elle a emporté tout le reste avec : Fierté, honneur, égo...Tout a volé en éclat.

Stupide Corleone.


    « Moi je fuyais l'amour parce que j'avais trop peur, oui trop
    peur d'en mourir
    Mais à trop fuir l'amour c'est l'amour qui nous meurt avant
    que de nous fuir »
    - Saez, Je suis perdu


Tu as froid. La chaleur de la vie semble bien t'avoir abandonné, pourtant tu t'obstines à rester immobile. Dis-nous, Corleone, dis-nous les images qui hantent ton esprit drogué. Tu te souviens le jour où, entrant dans cette taverne de mauvais goût, tu y as découvert cette petite chose apeurée et prostrée dans un coin. Tu te souviens le couteau sous la gorge lorsque tu as osé t'approcher d'elle, et le regard que vous vous êtes échangés. Tu te souviens qu'à cet instant précis, tu lui as promis silencieusement de toujours la protéger, de lui offrir le monde si c'était son désir.
Puis, la naissance de ton fils. Le premier regard qu'il t'a offert, plongeant l'émeraude dans leur reflet. La certitude que cet enfant serait plus beau, plus grand et bien plus fort que toi, puisque le sang de sa mère coule dans ses veines, au même titre que le tien.
La mort de Makeda, ensuite. Les cendres qui s'envolaient lorsque, seul face à son bûcher, tu l'observais s'évader au même titre qu'une partie de ton âme. Tu ne l'avoueras jamais, pourtant c'est une image que tu ne pourras jamais oublier, et qui te hante chaque fois que tu fermes les yeux.
Enfin, l'annonce de ce futur possible. Un nouveau Corleone. Encore un, dirons certains, laisse donc les mauvaises langues s'emmêler entre elles. Tu voyais son ventre s'arrondir, semaine après semaine, tu prenais soin de ce petit monde comme un roi le ferait de son trésor le plus précieux. Tu étais prêt à perdre la vie pour lui, pour eux. Tu as failli la perdre plusieurs fois, d'ailleurs, et de ton fait.

Mais tout ceci, aujourd'hui, est bien fini.
Au plafond miteux, aucune étoile ne brille.
Et tu t'étouffes dans tes larmes, pauvre abruti.


    « Something just changed in my world
    Quelque chose a simplement changé dans mon monde
    And it's killing me
    Et ça me tue » - Yodelice, Talk to me

_________________
Tigist
    ♫♪« Nous avons eu ensemble
    Nous avons eu mon ange
    60 enfants des rues
    Une ribambelle de criminels qui tuent. »

    Daphné & Benjamin Biolay - Ballade Criminelle.



    Le garde qui vient de lui proposer une couverture, lui a jeté un regard étrange et pourtant, elle se moque bien l'éthiopienne de ce qu'ils peuvent penser d'elle.
    Elle a arrêté de se préoccuper du regard des autres il y a plus de deux ans déjà, quand plutôt qu'être ombre derrière le Colosse, elle était l'égale du Corleone. Et depuis, la face ébène n'a cessé de s'affirmer, la terreur qui déformait les traits et étirait les lèvres sur les petites dents a cédé sa place à la sérénité et un sourire en demi-teinte.

    « Mais tu ne t'énerves jamais, Tig' ? »

    Si. Bien sûr, des fois, il y avait eu des coups de sang, mais la majorité du temps aux cris de colère du Corleone, elle avait répondu par une logique calme.
    D'une manière générale, l'éthiopienne n'est pas bruyante, et c'est pour cela que le garde s'est souvenu de sa présence en manquant buter contre le corps assis contre le mur, pour cela aussi qu'il s'est penché pour vérifier qu'elle vit toujours. L'ambre s'est relevé, serein.
    Tu vis, Tigist.

    Une couverture donc, qu'elle resserre sur ses épaules et qui fait s'interroger le planton. Pourquoi es-tu si calme la sauvage alors que ta tête vaut de l'or, que ton mari est loin et que tu restes une brigande ?
    Sous les doigts, il y a une réponse. Contre la paume, la mère sent le contact.

    « Tu n'es pas mère, tu ne pourrais pas comprendre. »

    « Sous les étoiles, mon ange
    Une petite mort éternelle
    Nous nous sommes tus mon age
    Dnas la candeur sanglante »

    Daphné & Benjamin Biolay - Ballade Criminelle.



    Sous tes étoiles, il n'y a plus la place pour l'angoisse ou le chagrin. Il y a cette main contre la tienne, à moins que ce ne soit un pied.
    La mère féconde est un monde à elle seule, et garde à qui voudrait crever la bulle de paix.


    « Ton père nous retrouvera. Il ne le sait pas encore, mais cela arrivera. » Tu souris, c'est ton secret, mais tu peux bien le partager avec ton enfant. « Tu le reconnaîtras, il est grand et beau. Ses yeux ont la couleur des sapins qui ne cèdent rien, même à l'hiver, pas comme ceux de Menelik, non. Les yeux de ton père ont plus de force. Tu sauras quand tu le verras. »

    L'éthiopienne s'est habituée à la beauté de son époux, cette beauté qui attirait les femmes autour d'eux. Et elle, est-elle belle ? Allez savoir. Dans son pays, elle aurait sûrement été une vierge très convoitée, mais ici où le noir n'est pas la couleur en vue, ce n'est pas dit.
    Une chose dont elle est sûre toutefois, c'est que leur fils l'est, depuis le premier jour si l'on lui autorise l'aveuglement maternel.


    « Ne viens pas trop tôt, mon amour. Tu auras le temps de le rencontrer. »

    Et ils auront le temps de faire au dessus de sa couche, les mêmes serments que sur le front de l'aîné.
    « Nul plus que toi. »

    Pour qu'il comprenne le garde, l'émotion qui anime les mots qui s'écoulent de la bouche de l'abyssinienne, il faudrait qu'il soit mère, qu'il sache que l'on peut vouer un amour irrationnel à un homme, mais qu'à sa chair, c'est une promesse à même le sang qui se fait à l'instant où la mère rencontre l'enfant.
    Contrairement à l'italien, elle n'a pas tatoué le prénom de l'autre sur sa peau, c'est une lettre, une seule, multiple pourtant pour chacun de ses enfants.

    M,
    Parce que c'est ce qu'elle fait, dans la nuit et toutes les autres.
    Elle aime.


    « Nous avons eu ensemble
    1000 fois le corps qui tremble
    Des souvenirs à la pelle et une simple oraison

    Nous avons eu ensemble
    Dans la candeur en trans
    Un destin criminel
    Où sonnent glas et moissons »

    Daphné & Benjamin Biolay - Ballade Criminelle.

_________________
Gabriele.
    « Vienne la nuit sonne l'heure
    Les jours s'en vont je demeure »
    *

C'est l'ouragan dans mon esprit. Les bourrasques d'opium font aller et venir mes pensées, jusqu'à s'écraser contre le mur, jusqu'à ce que la vague se meurt contre la jetée dans un fracas assourdissant. Sourd, je le suis, à toutes les stimulations de l'environnement extérieur, trop préoccupé à noyer mon esprit dans un nuage de fumée.

Dans mon cœur, c'est toujours l'incompréhension qui demeure. Mes nuits sont dédiées à y penser, bien que je ne réfléchisse plus. La réflexion a laissé place à ce manège implacable qui tourne sans s'arrêter. J'ai le tourni, j'ai la nausée. J'aimerais tant que tout ceci s'arrête, que la Mort si attirante vienne me rendre visite pour une dernière danse. Tu le sais toi, nous avons si souvent valsé ensemble. Les couples me donnent la gerbe, la nature me fait vomir, toutes les beautés du monde ne sont plus que source de malaise pour moi, tant je la retrouve en chacune, cette femme que j'ai tant aimé. Elle a la beauté du ciel, le regard de la sève lorsque l'aurore vient la caresser au petit matin. Elle a tout ce qu'un homme peut vouloir, et bien plus encore.
Mais elle est mère. Elle me l'a trop souvent dit. Comme si être mère et épouse n'était pas compatible. Et, finalement, c'est peut-être bien cela qui se joue ici. Je ne suis pas mère, je suis incapable d'en mesurer l'impact, les sacrifices que la maternité oblige. Elle a égorgé notre amour sur l'autel de son sang. Je peux presque sentir la morsure de la lame sur ma peau. Achève-moi.


    « L'amour s'en va comme cette eau courante
    L'amour s'en va
    Comme la vie est lente
    Et comme l'Espérance est violente »
    *

L'esprit farfelu cherche déjà un moyen de ne plus souffrir. Cette fois-ci, la drogue ne suffit plus à apaiser ma douleur, car ce n'est pas l'image de la trahison que je cherche à retrouver, mais celle que je veux fuir. L'évasion n'est toujours qu'éphémère, et jamais totale.
Je ne suis pas mère. Mais elle ne comprend pas mieux ce que c'est d'être père. Ni elle, ni Daeneryss ne l'ont compris. Elles ont toutes les deux fait preuve d'un égoïsme hors du commun, alors même qu'elles m'accusaient de la même tare. Je peux être un monstre, je peux être cruel. Mais je n'ai jamais séparé mes enfants de leurs mères, ce qu'elles n'ont pas hésité à faire ni l'une, ni l'autre. Elles m'ont volé mon âme, et n'imaginent pas les ravages qu'elles ont pu causer par leurs actes.
Ne pas savoir. Le plus horrible des poisons, qui fait souffrir sans offrir la libération. Je n'ai aucune idée de l'endroit où ils peuvent se trouver, ni même s'ils sont encore en vie ou si je les reverrais un jour. Il est si difficile de se projeter, de trouver un sens à tout ça...Je tourne en rond, et cela me rend fou.

Un jour après l'autre, toujours plus près de la Mort.


    « Passent les jours et passent les semaines
    Ni temps passé
    Ni les amours reviennent
    Sous le pont Mirabeau coule la Seine »
    *


* Apollinaire, Le Pont Mirabeau
_________________
Tigist
     « T'as pas la notion 
    De la dévotion 
    T'as bien trop à faire 
    Avec tes misères 
    Elles te sifflent des airs 
    Et des milliers de prières 
    Que tu noies dans tes verres. »
    Rose – Pour être deux.

    Citation:
    Tigist, 

    Vous serez trois à faire face à Makeda et moi. 
    Tu contempleras ce que tu as créé. 

    G.C. 


    Cette lettre a trouvé le chemin du relais de poste de Saint-Lizier avant qu'elle n'en parte. Les mots sont retournés une centaine de fois dans la caboche noire, lui laissant un goût amer dans la bouche. Combien de fois l'avait-il menacé de mettre fin à ses jours si elle partait ? Combien de fois était-elle restée pour l'éviter, préférant subir les colères du Corleone et ses états d'âmes que la certitude que sa mort serait un fardeau sur sa conscience autant qu'un vide dans son coeur ?

    Juchée sur la monture, l'éthiopienne grince des dents et rumine.
    Il ne peut pas mourir, car alors cela voudrait dire que tout ce qu'elle a réalisé, tout ce qu'elle entreprend actuellement, était voué dès le début à l'échec. Les mains se resserrent sur les rênes, à l'idée que Corleone a été assez con pour mettre fin à ses jours et l'en accuser.
    Ah le con, qu'il est con ! Si elle l'avait sous la main, Tigist le giflerait à n'en pas douter.

    Mais il n'est pas là, parce que tu l'as trahi et qu'il a du fuir quand tu te protégeais à l'abri des murs de Clarens. Voilà, il va bien falloir se faire une raison. Cent fois, elle a retourné dans sa tête la situation sans arriver à en sortir quoique ce soit de positif maintenant qu'elle se retrouve sur la route, parce qu'elle a été chassée de cet endroit qui avait tout à lui offrir.
    Et ces mots, ces foutus mots qui tourbillonnent.


    « Corleone, si t'es mort quand j'arrive, je t'crève. »

    Contrairement à l'italien, l'éthiopienne est moins excessive, et chaque émotion, chaque sentiment, chaque geste est pesé, soupesé avant que de le présenter à la face du monde. Mais si elle doit traverser les montagnes espagnoles pour arriver à destination et qu'il n'est qu'un cadavre à la mer, toute la retenue du monde ne viendra pas à bout de la décharge émotionnelle qui en découlerait.

    Il ne peut pas mourir. Cela ne se peut, il n'a pas rencontré son fils cadet, et à cette perspective terrible, les talons viennent choquer les flancs de la bête pour la mener bon train.


    « Tu fais jamais assez de place 
    Pour mes douleurs en face 
    Tu les laisses s'emmêler 
    Sans même t'en mêler. 
    T'as pas trouvé mieux 
    Pour me dire adieu »

_________________























Gabriele.
    « Anéanti
    Par une putain de bas étage
    Par une blonde aux cheveux noirs
    Qui m'a sourit »
    *

Dans une bulle aux relents d'opium, je n'ai pas conscience de l'effervescence autour de moi. Le branle-bas de combat qui est lancé semble monter crescendo quand mon état général, lui, s'effondre a contrario.
Je ne sais plus depuis combien de temps je n'ai pas mangé, et ne m'en préoccupe pas. Que dire de l'hydratation. A part de l'alcool fort, rien n'a franchi mes lèvres. La superbe qu'elle m'a offert est bien loin derrière. Les traits sont tirés, le teint d'ordinaire halé est terni. J'ai visiblement déjà maigri, et le soin que j'ai pu apporter à mon apparence est aujourd'hui oublié, une barbe de plusieurs jours venant manger mes joues blafardes.
Finalement, je n'aurais peut-être pas à prendre cette fiole qui m'attend, bien cachée dans mes affaires. La nature est bien faite : elle se débarasse des faibles. La rage est partie, remplacée par sa cousine, la lassitude. Et toute l'énergie qu'a pu me donner l'envie de vengeance s'est évaporée dans la nature.
Résignation.


    « J'voudrais mourir
    Là comme un con
    Petit garçon sur le trottoir
    Hurler ton nom au désespoir »
    *

N'importe qui d'un regard extérieur me dirait de me reprendre, de ne pas me mettre dans cet état pour une femme. Une femme qui m'a trahi. Aucun d'eux ne peut comprendre. Ils ne savent pas. Que c'est déjà arrivé, que cette traîtresse m'a sauvé la vie un nombre incalculable de fois, ne serait-ce que le jour de notre rencontre et que, depuis, je ne vis qu'à travers elle. Ils ne savent pas combien elle a galéré pour que je réussisse à faire un pas devant l'autre, à mettre de côté ma vie passée pour me concentrer sur celle à venir. Ils ne savent pas qu'elle a été à la fois béquille et oxygène pendant deux ans.
Ils ne savent pas. L'état de détresse apparent n'est que la face visible de l'iceberg : un océan de tristesse et de douleur qui s'entremêlent pour former un ensemble inextricable. Tous les courriers qui s'accumulent n'y changeront rien. C'est à peine si je les lis, et ceux que je réussis à déchiffrer sont soit mis de côté, soit renvoyés accompagnés de quelques mots à peine en réponse.
Je n'ai plus la force d'avancer.


    « Anéanti
    Par un agneau aux dents de loup
    Par une reine sans dessous
    Une éclaircie
    Qui cachait tellement bien l'orage
    Qui avait promis le grand voyage
    Puis qu'est partie là dans la nuit »
    *

Encore une fois. Une fois de trop. Je ne sais pas gérer cet afflux d'émotions, j'ai envie de me déchirer la poitrine à force de la griffer. J'aimerais m'arracher le cœur pour ne plus en sentir le vide et l'absolue inutilité. Tout ceci n'a aucun sens, et plus je le cherche, plus il me fuit. Le temps va et m'enveloppe, je n'en ai plus la notion et pourtant il continue de s'écouler, invariablement. Les secondes succèdent aux secondes, les jours aux jours. Va le temps, va. Emporte-moi dans ta folle course vers les limbes.
Allongé à même le sol d'une chambre qui n'est plus commune, j'attends qu'elle m'emmène aux enfers, cette Mort que j'ai tant désiré. Les mots que j'ai transmis ne sont pas tout à fait exacts : s'il est certain que notre fille est aujourd'hui au paradis, c'est dans l'obscur d'un enfer de solitude que je vais me précipiter. Que dis-je : J'y suis déjà.
J'ai rendu les armes, Faucheuse. Il est temps pour toi à présent de venir, et de m'emmener loin de tout cela.

J'irais bien voir la mer...


    « J'suis comme un con
    Sans horizon sur un trottoir
    Petit garçon au désespoir
    Putain c'est triste
    De finir en tigre qui pleure
    De finir en aigle sans aile »
    *


* Damien Saez - Anéanti
_________________
Tigist


    « Tu n'as pas compris. Je ne dors pas la nuit. »

    Non, tu souffres.
    Le froid et le vent l'ont obligé à s'arrêter sur la route, et à s'abriter. Et puisque cela fait plusieurs jours qu'elle chevauche pour rallier sa destination, l'éthiopienne n'en peut tout simplement plus. Le corps n'est plus que courbatures, le repos pris à Clarens lui semble être déjà bien loin, et dans son bas-ventre, il y a cette douleur qu'elle connaît et qu'elle redoute.
    Ca tire, ça lance, et toi, tu te retrouves misérable à plaquer tes mains dessus comme si cela pouvait suffire à la faire taire, à la faire disparaître, mais Tigist, tu sais très bien que cela ne fonctionne pas comme cela, que c'est bien plus compliqué.

    Vous aviez promis, vous l'aviez même menacé cet enfant, alors pourquoi s'obstine-t-il à vouloir vous démentir ?
    L'aîné, à côté, ne comprend pas, comment le pourrait-il, ce n'est plus vraiment un bébé, mais pas plus un petit garçon. Mais la mère s'inquiète, la mère s'est arrêtée de marcher, alors cela justifie d'angoisser. Et quand un enfant angoisse, il pleure, alors Menelik de se mettre à pleurer doucement mais sûrement.

    « Ssssht, petit roi. »*

    A travers le prisme de la douleur, l'inquiétude prend un tour différent. Et les bras se resserrent sur la progéniture qu'elle hisse contre son sein.

    « Nous allons voir Maria et Papà, ils seront heureux de nous revoir. Ils nous aiment, sais-tu ? Comme ton père t'aime, Menelik .. Il pourrait mourir pour toi. » Et pour toi aussi, Tigist. « Il a promis un jour de nous ramener en Ethiopie, c'est pour cela que nous marchons, pour le rejoindre et y aller. »*

    C'est ce que font les mères, elles souffrent mais se taisent pour faire taire la souffrance dans les yeux de leur enfant. Trouvent des réponses aux questions dont elles n'ont pas les réponses, promettent que tout ira bien alors qu'elles se rongent, mentent un peu pour qu'ils s'endorment mieux.
    Et dans ses bras, alors que la mère raconte à son fils les merveilles de son pays natal, qu'elle lui dépeint les keberos des steppes, les geladas des montagnes, celui-ci s'endort sans avoir sans doute compris que ce que sa mère fait le mieux après aimer, c'est bel et bien de raconter des histoires.

    C'est un conte que l'éthiopienne a servi là, un doux conte. La réalité sera sans doute toute autre.
    Déjà, il faut repartir, et cette douleur qui va, qui vient, c'est un rappel de cette réalité, au ciel, un regard perplexe.

    Pourquoi m'as-tu abandonné ?


    * En amharique, obviously.

_________________
Gabriele.
Limoges. Cette ville de souvenirs, cette ville de rencontres. A présent, les enfants sont à l'abri et je n'ai plus à me soucier d'eux : je les sais entre de bonnes mains. Franchissant le seuil de cette taverne qui porte le nom de l'Amour, je m'appuie contre la porte jusqu'à me retrouver assis par terre à quelques pas de là, hagard. Mon frère a pris mon opium, je n'ai même plus ça pour me libérer d'une partie de la douleur qui m'étreint tout entier. J'ai mal. D'aucun dirait qu'il faut que je me reprenne, qu'elle n'en vaut pas la peine puisqu'elle a trahi. C'est justement parce qu'elle en vaut la peine, parce que sa trahison m'a planté un poignard en plein cœur, que je n'arrive plus à me relever. Le projet est simple.
Dans ma main, une fiole d'un poison confectionné le matin même, pour en finir là où les choses ont vraiment commencé. Personne ne peut comprendre, cette douleur qui est la mienne. Elle est tellement intrusive et envahissante, la mettre de côté pour se « reprendre » est impossible. En finir pour de bon, par contre...C'est à ma portée. Observant les lieux, tous ces endroits que j'ai investi pour et avec la Noire, je sens ma gorge se serrer un peu plus. Vivre dans un monde où l'épouse m'a abandonné me semble vraiment futile. Après tout, n'ai-je pas continué à vivre après la Nordique précisément pour elle ?


« - CORLEONE ! »

Trois violents coups contre la porte. Je lève un regard indifférent sur le bois qui vibre des assauts répétés. A nouveau, trois coups, plus forts encore. La porte tremble devant les hommes qui s'impatientent. Puisque je m'évertue à ne pas bouger, me contentant de ramener mon regard sur la fiole bénie, le dernier avertissement fait s'ouvrir la porte, qui fait place à quatre hommes lourdement armés, et visiblement pas de très bonne humeur. Qu'importe, je débouche le flacon. Dans quelques secondes, ce serait terminé.

« - Tu vas venir avec nous bien sagement, et pas d'entourloupe ! »

Evidemment, les soldats m'ont reconnu. Avec mon tatouage autour de l'oeil, ils sont nombreux à savoir qui je suis sans même que j'ai à me présenter. C'est parfois plus une malediction que son contraire. Mais qu'importe, je porte la fiole à mes lèvres pour la vider de son contenu, quand un violent coup de pied dans ma main me la fait lâcher, jusqu'au sol où elle explose, répendant son contenu au sol.

« - PAS d'entourloupe, j'ai dit ! »

Avant que je n'ai le temps de râler de n'avoir pu me suicider en paix, un autre coup de pied m'a coupé la parole, venant s'écraser contre ma mâchoire et m'envoyer à terre, suivi de bien d'autres. Les gardes font sans doute du zèle, mais depuis le temps qu'ils doivent rêver de coincer un Corleone, on ne va pas les blâmer. Fatalement, j'ai fini par perdre connaissance sous les coups.
A mon réveil, c'est une cellule miteuse qui m'entoure. Je suis pieds et mains liés, enchaîné comme un vulgaire animal. Comme si j'allais m'amuser à m'évader d'une cellule fermée à double tour dans mon état. Rapidement, l'esprit embrûmé fait le calcul : a priori une épaule luxée, des hématomes à peu près partout, et une ou deux côtes félées. Nous voilà bien.
Dire que je voulais crever sans souffrir plus, c'est loupé.
A défaut de mieux, je prends le parti de me laisser crever de faim. Je ne sais pas pour combien de temps je vais être ici, peut-être assez longtemps pour en finir avec ces pensées qui me rendent fou. Je hais ces gardes qui m'ont fait retarder l'heure de la délivrance. Je les déteste de m'emprisonner avec l'image de cette femme qui me poignarde le cœur.

Dans quelques jours, ce serait de l'histoire ancienne.

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Roman.
Limoges.

Roman avait trouvé vide la taverne où il avait vu son frère se rendre une heure plus tôt... Il avait appelé, exploré l'étage, mais en vain. Et comme l'établissement était vide, seul le silence avait répondu. Le silence, et le craquement de verre de la fiole sur laquelle il venait de marcher... L'Italien leva sa botte et s'agenouilla : les débris qui jonchaient le sol sur une petite surface n'étaient pas de taille à correspondre à ceux d'un verre. Et cela ne sentait pas la bière ni le vin. Il se pencha un peu, renifla avec précaution... le sol sentait la terre, la pisse, la paille moisie, la bière et les relents de vomi, mais aussi le poison.

Roman ne perdit pas de temps à jurer, ni à écraser d'un coup de pied théâtral le reste de la petite fiole de verre. Il sortit en coup de vent et se rendit au Hanap Couronné, où il pouvait trouver, avec un peu de chance, son vieux père. Celui-ci n'y était cependant pas, mais Fanette était assise là, seule, et l'informa que le vieux Corleone venait tout juste de partir à la recherche de Gabriele, jeté en prison par les gardes. Ces foutus connards...

Roman repartit en direction des geôles, mais on ne le laissa pas entrer, au prétexte qu'on avait déjà accepté que le vieux fasse passer un message, et qu'il ne fallait pas abuser non plus. Roman jura ses grands dieux qu'il venait en tant que médecin et que le prisonnier nécessitait des soins...


- Laissez-moi entrer, il va mourir si je ne le soigne pas ! Il va même essayer de se tuer tout seul !

Au début, les gardes lui rirent au nez, mais quand Roman avança l'argument qu'ils pourraient être rendus responsables de la mort d'un prisonnier qu'on n'avait pourtant pas condamné à mort, et donc convaincus d'avoir outrepassés leurs attributions etc; ils finirent par palabrer quelques instants entre eux et l'un des deux accepta de laisser entrer Roman, mais accompagné.

Quand il fut mené devant la porte de la cellule de son frère, il appela :


- Fratello, sono venuto per aiutarti!

*Frère, je suis venu te porter secours.
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Fallone
    Limoges.


- Il est ou Gabriele ?

Voila deux heures que Fallone soulé toute la ville avec sa question qu'elle posait en boucle. Entre autre parmi les réponse obtenue elle avait eut le droit a un "dans ton cul", classique, un "en Anjou", me demandait pas pourquoi, un " Derriere le taudis", ça c'était le Roux pervers, et quelques "Ta gueule la folle". Rien de bien original quoi.
Fallone était monté en boucle cette soirée. Elle répétait la question, insistait, mais personne ne voulait lui répondre.
Sauf Roman.
Roman lui expliqua il avait été pris par les gardes.
Pris ? Fallone prenait tout au pied de la lettre elle imagina les gardes prendre Gabriele comme elle pouvait prendre son lapin. Civet 9. Offert ce jour même par son paternelle. Lapin à qui elle avait offert tout son amour en moins d’une minute. C’était Civet 9. Des mois et des mois qu’elle le cherchait.
Mais son esprit s’égare.
Gabriele.
Son frère préférait. Elle ne le trouvait pas.
Roman lui expliqua que prendre voulait dire qu’on l’avait mis en prison. En prison. Fallone voulait y aller. On lui dit qu’elle ne pouvait pas. Elle avait voulu tuer quelqu’un. On lui dit qu’on la pendrait. Heureusement que Roman arrive a suivre la logique de sa sœur. Alors elle voulut jeter des cailloux aux gardes. Comme elle le faisait avec les oiseaux. Mais ce n’était pas une bonne idée. Le premier rebondi sur l’amure sans que le garde ne bronche. Un échec quoi.
Heureusement pour elle la solution se présenta d'elle même sous la forme de son frère. Roman passa devant elle et d’entretenue avec les gardes. Celui-ci le laissèrent passer.
Oh il suffisait juste de demander alors ?
Sure d’elle la petite Corleone tira sur la laisse de son lapin et se présenta devant les gardes, le regard fixé sur le sol. Elle compta six pieds. Ce qui voulait dire qu'ils étaient trois. Sauf si il y avait deux unijambiste. Dans ce cas il aurait était quatre. Sauf si ils étaient tous unijambiste, alors ils auraient était six ! Fallone se dit que la prochaine fois elle comptera les têtes ça serait plus simple.
Bien sur les Gardes lui barrèrent l'entrée, ce qui entraina le dialogue irréaliste qui suis :


- Halte la jeune fille, que fait tu la ? Tu joues les filles de l’air ?
- Non mon papa c’est Amalio Corleone et ma maman elle m’a oublié dans un couvent mais ce n’est pas de l’air.
- Hein ? Euh, non, non. je voulais juste savoir pourquoi tu es la, tu comptes faire quoi ?
- Je viens voir Gabriele.
- Non mais vous croyez que c’est journée porte ouverte les ritales ou quoi ?
- Oh la porte elle est ouverte ? D’accord merci.
- Non mais elle se paie ma tronche la blonde là où je rêve ?


Fallone regarde sa bourse et l’homme.

- Pourquoi elle est à combien ta tronche ? C’est une tronche de quoi ? Moi j’aime bien le cochon, c’est rose, c’est beau. J’ai 3 écus avec moi tu les veux ?
- T’essaie de me corrompre avec 3 écus ?
- Mais non c’est pour le cochon. T’es bête ou quoi ?
- C'est moi ou elle est complètement con ?
- Je suis pas con, je suis Fallone, Fallone Corleone et mon lapin c’est Civet 9, c’est mon Papa qui vient de me l’offrir parce que Civet 8 il est partit et que le frère de mon frère il devait aller m’en chercher un mais qu’il est pas revenue de la foret, alors y’a le roux qui m’a promis de m’en donner un dans le taudis mais quand je suis allé fouiller y’avait que un rat mort dedans,il m’a mentit, mais Papa il en avait attraper un et il me la donner pour moi. Tu me le tiens pendant que je vois Gabriele ? Il va avoir peur sinon dedans. C'est pas courageux les Lapins, en plus c'est une femelle parce qu'elle a des seins comme moi.


Liant le geste à la parole, Fallone tira sur la laisse de son lapin étranglant à moitié la pauvre bête et la posa entre les mains du garde interloqué. Puis elle avança et tira sur la lourde porte puisque c’était porte ouverte il a dit le garde.

- Mais mais. Mais elle me fait quoi la ? Arrêtez-la ! Je peux pas moi j’ai un lapin dans les mains !

C’est à ce moment-là que les choses se compliquèrent légèrement. Un garde saisit la petite blonde par l’épaule. Et son cri déchira la nuit. Surprenant le garde lui même qui leva les mains sans comprendre.

- AAAAAAAAAAAAAAAAAHHHH ! Non toccarmi ! È proibito ! Gabriele ! Lasciami entrare !
* Ne me touche pas ! C'est interdit ! Gabriele ! Laissez-moi entrer !

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Roman.
Malgré les appels de son frère, Gabriele restait obstinément silencieux, et derrière la porte close qui l'empêchait de voir son aîné, Roman tempêtait et tambourinait du poing sur les lourds panneaux de bois bardés de fer.

- Gabriele Corleone ! Réponds-moi !

Derrière le jeune homme, le soldat commençait à sembler mal à l'aise. Si l'Italien avait crevé dans un coin de la cellule, ça pourrait lui retomber sur la tronche, à lui. Il jeta des regards autour de lui en hésitant à appeler un collègue en renfort tandis que Roman insistait, s'égosillant presque dans le vain espoir d'être entendu de son frère :

- GABRIELE ! GABRIEEEELE !

L'agacement commençait à le disputer à l'inquiétude. Roman se tourna vers le garde :

- Qu'attendez-vous pour ouvrir cette putain de porte ?! S'il est mort, je vous promets que je voue égorge moi-même !

Mais au moment où le soldat, indécis, ouvrait la bouche pour exprimer l'absence d'ordres officiels à ce sujet, un cri perçant, résolument féminin, leur parvint de la cour extérieure. La voix de Fallone, montée dans les aïgus, traversait l'air de ses notes italiennes. Si Gabriele était mort, il serait toujours mort dans cinq minutes, mais Fallone était bien en vie et il lui arrivait quelque chose. Roman bouscula le garde avec un juron que nous ne traduirons pas ici puis remonta quatre à quatre les marches de l'escalier crasseux. Il déboula dans la cour, à quelques pas des gardes et de sa soeur :

- Lâchez-la ! Lâchez-la tout de suite !!

En deux enjambées, il fut sur le malheureux qui avait osé toucher sa soeur, et sans se soucier de porter atteinte à l'intégrité d'un fonctionnaire de l'état, le poussa si brutalement qu'il parvint à le faire tomber.

- Ne touchez pas à ma soeur ! Jamais !

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Gabriele.
Ca s'agite au dehors. Des mouvements, des suppliques, des cris. Ca s'agite en dedans. Des mouvements, des suppliques, des cris. Tellement omniprésents que ceux de l'extérieur, ceux de la réalité, me semblent tellement lointain qu'ils me sont presque inexistants. L'envie que tout se termine, enfin. Le mot du père est resté lettre morte : les blessures accélereraient le processus. Et s'il fallait souffrir pour y parvenir, je le ferai. Après tout, ne dit-on pas que les souffrances de l'âme sont bien plus implacables que celles de la chair ? Celles-ci, personne ne pourrait les soigner, même avec la meilleure volonté du monde.
Les cris redoublent à l'extérieur, la porte tremble sous les coups assénés, ça en devient une manie. Pour autant, je ne réponds pas aux multiples appels de mon frère, et pour cause : j'ai à nouveau perdu connaissance. Dans les limbes, la vie est plus douce. Dans cet ailleurs que l'on ne peut nommer, je ne souffre plus, et les femmes que j'aime ne m'ont pas quitté. Elles sont restés près de moi, et c'est une vie de lumière et de sang que nous avons menés. La vie idéale : amour et mort. Cette dualité qui coule dans mes veines, paradoxe qui rend le personnage complexe et prompt à l'auto-mutilation.

La passion. Elle me ronge totalement. Elle rend fou, de douleur et de manque.
Et au dehors, les gardes s'agacent.
Trop de menaces, trop de cris, trop de bordel pendant leur tour de garde. Ils s'énervent, et repoussent violemment l'italien cadet qui leur cherche des poux. De nouveaux cris cette fois, mais autrement plus agressifs.


« - HEY OH. C'est pas un bordel ici, on n'est pas une putain : ON Y ENTRE PAS COMME ON VEUT. Dégagez de là et en vitesse, avant que je vous envoie la garde AU CUL ! J'vous préviens, ils ont pas touché leur solde encore, ils feront pas dans la douceur, je vous le dis ! DEGAGEZ ! »


Et à la menace d'être égorgé s'il m'arrivait malheur, le garde finit par tenir ses bijoux de famille (de façon imagée, bien sûr), pour rire à la face du Corleone.

« - C'est un prisonnier mon gars, des morts en geôle, ce serait pas le premier ! On le donnera à bouffer aux porcs au pire, hein. Maintenant, CASSE-TOI et emmène ta folle avec ! »


Ca, c'est fait. Trois gardes ont escorté les Corleone en dehors de la prison, et se sont assurés qu'ils ne puissent pas revenir. Ils ont ensuite repris leur petite routine, et un garde a été placé en faction devant ma cellule, comme si je risquais de m'évader dans mon état.
Les jours ont passé, horriblement semblables. Au début, ils m'ont donné un repas que je n'ai pas touché. Puis, ils ont fini par me gaver de force, désireux tout de même de ne pas me voir mourir de faim. Juste assez pour survivre. J'ai perdu le compte de l'attente. La faucheuse ne s'est toujours pas décidée à pointer le bout de son nez, et le sevrage est violent. Des jours que je n'ai pas pu toucher à une drogue, et mon organisme me le fait bien sentir. Pour un peu, on pourrait croire à une manigance de mon père pour m'empêcher de m'empoisonner. Des vagues de frissons, puis d'autres d'une chaleur intense, se succèdent et me laissent épuisé par les assauts. Des délires me font parfois hurler, comme si j'étais devenu fou (sans doute le suis-je vraiment devenu), et parfois je semble plonger dans un sommeil si profond qu'on pourrait croire à la mort.

Mais elle s'est toujours refusée à moi. Dix jours plus tard, les gardes m'ont jeté dehors, ombre de moi-même, sans me porter un regard de plus. Je suis en vie, et c'est bien tout ce qui compte pour eux, même si je suis plus mort que vif. D'un pas incertain, j'ai rejoint la taverne la plus proche, pour continuer d'attendre qu'enfin la faucheuse daigne me rendre visite.

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Tigist

    Une lettre brève, quelques mots, et un coup de poker à jouer, quelques jours plus tôt.

    Citation:
    Boussenac, la veille de la Saint Noël, au matin.
    Cherche les ombres.


    « Le vieux y s'ra pas du tout d'accord, m'dame.
    - Sûrement. Mais il n'a qu'à obéir s'il veut son or. »


    Les mains gantées se frottent l'une contre l'autre et l'expiration qui suit, les recouvre d'un volute de vapeur. A l'orée du hameau de Boussenac, sous la frondaison des arbres, deux silhouettes se devinent pour qui y fait attention. L'une recouverte d'une épaisse cape qui dissimule de pied en cap sa propriétaire et à ses côtés, un mômes des rues d'une dizaine d'années qui danse d'un pied sur l'autre pour chasser le froid.


    « P'tête qu'y viendra pas vot' bonhomme. Et les p'tits y vont crever par c'froid. Moi aussi..
    - Il viendra. Je le sais. »


    N'est-ce pas Berhan que tu viendras ? Nous l'avions promis. Qu'importe la distance, toujours l'Ombre et la Lumière se rejoignent.
    Tant de promesses, de serments ont été trahis pourtant..

    Il n'est pas serein le môme aux côtés de l'Ethiopienne, parce que ses enfants sont avec elle, et que ce ne sont pas les autres mômes de Mycelio et lui qui pourront empêcher des assassins de faire leur office, en dépit des petits couteaux dont ils sont évidemment armés. Et avec agitation, il dévisage la femme à ses côtés, hésitant entre l'admirer ou la traiter de folle depuis qu'elle est venue ce matin à Saint Lizier avec un courrier pour Mycelio, faisant fi des recommandations du vieux cèpe. Qu'avait-elle dit ?


    « Si je ne reviens pas, Mycelio, vous savez ce qu'il faudra faire. »

    Alors comment fait-elle ? Le môme trépigne, angoissé à la voir si stoïque, elle lui fait presque aussi peur que la situation.

    L'abyssinienne est calme. Figée dans la neige, elle tranche avec la pureté des lieux.
    Tigist, la patience, ta vie est une partie d'échecs, mais tu ne te contentes pas d'un adversaire à la fois, non. Il y a plusieurs plateaux et tu jongles de l'un à l'autre, avançant tes pions lentement mais sûrement.

    Peut-être que si Gabriele et elle avaient joué aux échecs, alors il aurait compris depuis le départ, que ce n'est pas au roi de préserver la reine, mais l'inverse.
    Plus loin dans la neige, il y a deux petits va-nu pieds qui amusent un autre môme d'un peu plus de dix-huit mois qui titube dans la neige en riant.

    Et Tigist, elle attend. Fixant le chemin qui mène de Boussenac à la forêt.
    Viendra, viendra pas ?

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Gabriele.
Quelques jours avant la Saint-Noël. Une fête que je ne fêterai pas. Une fête que je veux maudire, pour ce qu'elle m'interdit. Cette ambiance festive me donne envie de vomir, quand mon seul désir est de ne plus rien voir.

Le monde autour a continué de tourner, quand le mien s'est arrêté. Bien sûr, j'ai fait bonne figure, j'ai bien fait semblant. Vivre ? Quelle drôle d'idée. Une belle connerie, quand on constate ce que ça implique. La survie, tout au plus, pour tenir mes promesses : ne pas laisser ceux qui affirment avoir besoin de moi. Et au fond, je les ai déjà laissé. Les souvenirs capillaires reçus quelques jours plus tôt ont constitué une nouvelle carapace, un nouveau renfermement loin du monde, loin de tout mais proche d'eux. Aussi proche qu'il m'est possible: au creux des mains.
Les blessures physiques semblent s'être estompées, les marques laissées par le Maître du Bâtard ne sont plus que des vestiges se rappelant à moi par de brusques vagues de douleur qui se retirent comme elles sont venues. Le vague à l'âme, lui, se creuse chaque jour un peu plus, et les marées ne m'accordent que bien peu de répit, me laissant au bord du malaise, regard perdu sur les falaises.

Quand quelques lignes viennent bousculer le monotone. Deux lignes pour l'espoir de retrouver ne serait-ce que mes enfants, et tant d'autres lignes entre celles-ci que je suis le seul à pouvoir entrevoir. Comment expliquer l'afflux d'émotions qui m'a traversé alors. Trop pour ce cœur en lambeaux. Le déplacement est inéluctable. Parmi mille et unes lettres contées, j'ai su reconnaître son trait particulier. Je sais que ma femme est au bout de la plume, je sais que j'ai besoin de la voir. Pour tout ce qu'elle m'a pris, tout ce qu'elle m'a promis, pour tout ce que je suis épris...
Cette femme qui m'a poignardé dans le dos. Alors pourquoi cette alchimie qui me pousse à prendre la route dans la minute, au détriment des recommandations des médecins Corleone ? Peut-être l'étincelle qui n'a pas tout à fait réussi à s'éteindre. Peut-être le souvenir d'une trajectoire à honorer. Peut-être les promesses qui résonnent à l'âme.

Les lieues sont avalées pour permettre au rendez-vous d'être honoré. Aveugle aux beautés de l'hiver, je serre les dents à chaque secousse provoquée par la monture aussi distraite que son cavalier. L'horizon comme seul objectif, je ne mets le pied à terre que pour préserver la monture.
J'y parviens, finalement, après plusieurs jours de chevauchée. Triste ironie du sort, je la retrouve pratiquement à l'endroit où elle m'a laissé, à quelques villes près. Elle m'aura bien fait marcher, elle m'aurait envoyé à l'autre bout du Royaume pour ne serait-ce que m'éloigner d'elle.
Le temps est pris. L'auberge la plus proche est investie pour faire une toilette méritée, pour me raser et enfiler une tenue propre. Qu'elle me voit tel que j'ai toujours été, qu'elle ne puisse pas distinguer les ravages qu'elle aura causé sur mon corps, encore que je ne puisse cacher ceux qu'elle m'a fait à l'âme, reflétée par un regard aujourd'hui vide de sens.

Les pas me guident mécaniquement, caractérisé par un léger boitillement. Pas stable. Et à l'orée de la forêt, je distingue cette silhouette caractéristique. Elle dénote, dans ce blanc qui éblouit. Elle offre ce repos de l’œil, quand c'est la tempête qui naît dans l'esprit. Là, je fais une pause et prend le temps de l'observer, plus par besoin de laisser passer la douleur du corps, que pour théâtraliser l'instant. On se croirait dans l'un de ces contes qui peuplaient nos nuits, pas vrai, Tigist ? Sauf que ce n'est pas un conte. C'est la douleur du souvenir.
La distance qui nous sépare est finalement avalée, en même temps que les larmes qui menacent de s'évader. Il ne reste plus qu'un pas à faire, qui de nous deux le franchira ?


« - Je suis venu. »

Tu n'en doutais pas. Et moi non plus.

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Tigist

    Les gamins du cèpe sont habitués à entendre tout ce qui se passe autour d'eux, alors le môme relève la tête au moment où le pas irrégulier de l'italien foule le chemin et il tourne la tête vers la femme à ses côtés.
    La main gantée a rabaissé la capuche sur son visage à l'instant même où elle l'a aperçu. Pourquoi se cacher ? De nuit, de dos et au milieu d'une foule, Tigist pourrait reconnaître le Corleone, à sa démarche, à ses gestes. Pourquoi cela serait-il différent pour lui ?

    Le coeur se réveille, dans sa poitrine chargée, il tape.
    Un tambour. Non. La caisse de résonance d'un krar.
    Ca tape fort. Pas plus vite, plus fort. Le palpitant martèle chacun des mots que Gabriele prononce pour qu'ils s'imprègnent au plus profond.
    Dis quelque chose Tigist. Ton époux est là, il est blessé, tu le sais, tu le vois, parce que tu le connais et que tu reconnais que ses gestes sont empreints de douleur.
    Dis quelque chose.


    « Ababaaa ! »

    L'enfant qui avait été avec le clan Corleone si silencieux, a découvert sa voix et l'utilise à bon escient. Catastrophés les gamins le voient leur échapper pour rejoindre l'italien et se cramponner à ses genoux, tout sourire.
    Emama n'a pas menti. Ababa est là pour la Noel. Quelle autre raison de sourire pour l'enfant ? Aucune.

    L'éthiopienne s'est transformée en statue de glace dans l'air frais, incapable d'empêcher l'enfant de rejoindre son père, incapable de faire ce pas qui les sépare. Parce que dans cet espace si petit que Menelik a traversé sans souci, il y a toutes les erreurs des adultes, et Tigist craint de marcher dessus et de s'enliser.

    La bouche s'entrouvre et dans une expiration, c'est une mélopée qui s'échappe.
    Le môme, à ses côtés, relève la tête surpris, mais l'abyssinienne continue dans le silence des montagnes où même les murmures ressemblent à des cris.
    L'ambre fixe l'émeraude, alors que l'enfant-roi tire de plus belle, ravi.

    C'est tout ce que tu as à raconter Tigist ? Voici tes excuses ?
    La chanson que tu chantes chaque soir à ton fils depuis sa naissance ?
    Oui.
    A ton insu, les larmes s'écoulent, parce que quand Passion et Sagesse s'affrontent, au jeu des sentiments, tu sais que tu ne gagneras pas.

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