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[RP] Copains comme génisses*

Evroult
    L’établissement discret avait tout autant les qualités & les défauts d’un plein cœur de Paris. Accessible & fréquenté, les ruelles autour brassaient une populace multiple & bigarrée dans un brouhaha incessant, ou presque. Garnements & ivrognes se mêlaient aux bourgeois & calèches de luxe, qui eux-mêmes échangeaient tout autant avec les marchands de soieries & les filles de mauvaise vie racolant contre les porches. En somme, c’était un quartier comme un autre rendant la vie en capitale aussi excitante que vicieuse, & le bordel qui s’y lovait s’y fondait comme un poisson dans l’eau. En fait, on ne l’y voyait presque pas, & le porche vieilli écrasait une porte à double battants qui avait fait son temps ; seule la lanterne rouge s’abaissant sur la rue distinguait la bâtisse des autres bâtiments.

    Au téméraire franchissant l’entrée, pourtant, se révélait une grand-salle propre & sans doute récemment rénovée aux nuances d’ambre, de mandarine & de rouge capucine. Quelques alcôves enfoncées sur les deux côtés de la pièce se paraient de ces couleurs chaleureuses & sensuelles, dans des voiles fins invitant aux regards curieux & impudiques. D’intimité, ici, il n’y avait pas, & pourtant les voilages & chandeliers dispersés & frémissant au moindre mouvement promettaient discrétion & délicatesse.

    Promettaient, seulement. À l’abri d’une porte discrète au derrière du comptoir, au creux d’une cuisine petite à l’espace bouffé d’une longue table trop grande, une scène banale pour panser la violence avait lieu. Assise à cheval sur un banc, l’œil vide & rouge d’un sel sans larmes, Alix se laissait pomponner comme une poupée de cire désarticulée, épaules affaissées, insensible aux caresses prodiguées à sa joue. Et Evroult, patron plus jeune que la plupart de ses filles, s’appliquait à masquer de blanc de céruse les marques violines, grossières & gonflées, dans un silence religieux & appliqué. La semaine d’avant, c’était Odile. Et voilà trois jours déjà que Flore ne pouvait travailler.
    D’une dextre lasse, il releva l’épaisse chevelure brune de sa catin pour dévoiler le cou & les stries imprimés sur sa chair.

    - J’embaucherai un chien de garde, dans la semaine.

    Il n’eut pas le temps d’appliquer sur sa gorge la première couche de fard, ni elle de réagir à la promesse, que la porte s’ouvrit sur une rousse à la crinière encore hirsute.

    - Y a une dame qu’est là pour toi, qu’elle a dit. J’la fais rentrer d’dans ?
    - Tu l’as laissé dehors ?
    il fronça les sourcils, dextre immobilisée près du cou d’Alix.
    - Bah… t’as dit qu’t’avais pas l’temps d’y prendre des clientes ! son regard s’attarda sur la gorge nue de la brune, & elle eut comme une mimique satisfaite. La concurrence en ce milieu n’était pas qu’une légende.
    - Ce que tu peux être… il se tût, reprenant le grimage d’une rossée abusive. Fais-la entrer, installe-la confortablement & apporte-lui tout ce qu’elle demandera. J’arrive… j’arrive ! & va te coiffer, saint-foutre !

    La rousse sursauta, le sourcil levé de curiosité pour le soudain affolement du jeune maquereau, quand Alix frissonnait à cause du brusque éclat de voix. Si elles avaient l’habitude d’un Chasseur excité pour un rien, elles semblaient s’étonner d’un Loupiot affolé pour une femme. Une seule.
    Sans prendre garde à ce qui créerait sans doute quelques cailletages plus tard, il prit le temps qu’il fallait pour couvrir les erreurs du client, un sourire enjoué se dessinant profondément jusqu’à l’obscurité des iris.

      Enfin.

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