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[RP] Fuis-les, je te suis

Evroult
[MI-NOVEMBRE 1465. CHEMIN DE TRAVERS]
Beaucoup, beaucoup de travers.


    Un pas. Deux pas. Trois pas. Voilà, recommencer. Un pas. Deux pas. Trois pas. Lever la tête. Était-elle si lourde, cette tête, pour dodeliner de la sorte ? il en rit. Jamais, sans doute, elle n’avait su rappeler aussi bien son poids réel. Jamais en fait, Loupiot, prudent d'alcool tant il avait d’autres travers, n’avait osé boire tant & si vite. Il en était rendu au point, fréquent pour d’autres, nouveau pour lui, où le déroulé de la soirée repassait en son crâne comme on déroule un parchemin trop vieux. Souvenirs effrités & brûlés par une bougie trop proche, tâchés d’humidité & rongés par les rats, s’étiolaient en une cervelle bancale. Le malheur, encore, ne l’avait pas étreint ; l’angoisse avait été bien brève, & si son palpitant s’heurtait encore à sa cage, erratique, il mettait ça sur le compte des dégobilles régulières & mauvaises.

    Haleine âcre & pâteuse, Evroult n’avait en fait rien avalé depuis son départ, la veille au matin. S’il s’était arrêté, souvent, jambes vidées de vie s’effondrant sous son poids pourtant léger, il n’en était pas moins en piteux état. La chemise, rajustée bien que toujours délacée – comme s’il ne savait pas ficeler – portait les traces sèches & sombres d’un sang dans lequel elle avait visiblement trempé. Le pourpoint au brun passé, ouvert sur le torse, masquait toutefois suffisamment le pourpre noirâtre pour ne pas effrayer les rares errants qu’il croisait. Seules ses braies semblaient épargnées de loin ; il suffisait de se rapprocher pour voir que si le noir profond qui les caractérisait masquait les tâches éparses, le tissu s’était rendu raide & rêche par endroit. Même les lacets des bottes semblaient s’être embrouillés, comme si, de sa mise à sa mine, tout s’était accordé pour le rendre affligeant.

    Et diable, qu’il l’était, affligeant. D’un œil cerné de rouge & de noir comme celui d’un camé, de l’autre bouffi d’arc-en-ciel, demi-cercle net gravé sous le quinquet fermé, il portait lèvres craquelées & griffes encore rouges sur la longueur de nuque & de gorge, quand la senestre déjà une fois brisée se voyait grosse d’un gonflement violet. Le corps nu n’était pas plus indemne, & dans son dos voûté & ses bottes qui raclaient on voyait que l’extérieur n’était qu’un infime aperçu de l’intérieur. Et pourtant, il riait. Pas à gorge déployée, non, plutôt comme un hoquet grondant & étrange. Il passerait sans doute pour fou. Peut-être même l’était-il.

    La main saine s’agrippait au tronc penché d’un arbre, tandis que la carcasse déjà vide tentait d’éructer quelques gouttes de bile. Il en avait la gorge en lave & l’estomac plié. Il allait crever de soif, écrasé sous une carriole de marchands, égorgé par le premier brigand venu.
    - Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu veux, gamine ? j’ai pas un rond… va trouss… non… dé... détrousser quelqu’un d’autre. Allez… allez file !

      File, mon enfant. Fuis loin.

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Elise.
[Ah sacré tonton,
Dis moi où es-tu caché?
Ca doit faire au moins mille fois
Que j'ai compté mes doigts!]*


Un tonton et une tante de perdus... Un tonton de retrouvé ! Elise ne comprenait pas toutes les méchancetés que Gysèle et LM prononçaient parfois à l'encontre d'Evroult. Elle ne savait rien de cette histoire, et ceux-ci semblaient bien trop occupés à lui jeter au visage qu'elle n'y connaissait rien et qu'elle n'est qu'une enfant à qui ils aimeraient mettre des claques, pour daigner lui expliquer quoi que ce soit. Alors forcément, ce qui devait arriver arriva.

Evroult venait de partir de Limoges quand Elise y arriva. Alors ni une ni deux, elle délaissa tonton et tata pour une fugue en règle. Retrouver Evroult était la priorité d'Elise. Il lui avait suffit de questionner les gardes avec son insistance digne d'une enfant qui casse les pieds pour avoir un jouet, et voilà qu'elle partait dans la direction où Evroult était parti un peu plus tôt.

L'Orpheline n'avait peur de rien, et surement pas de voyager seule. Elle avait vécue déjà seule, elle savait s'y prendre. Abandonner Gysèle lui faisait un pincement au cœur malgré toute la colère et le ressentiment qu'elle éprouvait pour sa tante, mais... C'était pour la bonne cause, c'était pour lui ramener son frère. Une bonne cause... Hum... Dans l'esprit d'Elise en tout cas.

Parce qu'au fond, pourquoi Elise allait se casser la tête à retrouver Evroult? Pourquoi elle n'allait pas manquer de s'en prendre plein les dents par tout le monde, alors même qu'elle est la seule à vouloir sauver un tant soi peu cette famille de dépravés dont elle ne fait partie que depuis peu? Mais pour une fois qu'elle avait une famille... Pour une fois qu'elle n'était plus seule... Retourner à sa vie d'avant ne l'enchantait guère, et choisir un camp pas davantage. Et puis, les voir se déchirer et se battre comme des enfants... Elise ne le supportait pas. Et pourtant, c'était elle l'enfant, normalement !

Elle ne tarda pas à trouver un tonton, non loin de la ville. Il peinait à marcher, il faisait pitié à voir, il rendait son déjeuner tous les dix pas... Pas de doute, c'était bien son oncle ! Alors Elise s'en approcha, tout en se tenant à bonne distance. De quoi partir en courant, loin, vite, si jamais il faisait mine d'être hostile. Les vieilles habitudes ont la vie dure, quand bien même l'Orpheline devient de plus en plus docile, avec Gygy qui lui rabâche les oreilles qu'elle doit arrêter de penser que tout le monde lui veut du mal...

Le duel de regards commença. Lui en piteux état, elle avec un air fière, le menton levé. Après tout, elle avait au moins réussi une chose de bien dans sa vie ! Enfin de bien, on ne le sait pas encore, mais elle a réussi une chose malgré tout... Retrouver son oncle parti sur les routes. Et en quelques heures à peine, qui plus est ! Alors elle est fière oui.


J'viens pas t'détrousser tonton.. J'viens t'ramener à Limoges. t'fais pitié à voir.

Puis une idée lui vint. Evroult était si mal en point... Que pouvait-il lui arriver à s'approcher? Au contraire, c'était la chance rêvée, elle n'en aura pas deux. Elle pouvait lui poser toutes les questions qu'elle voulait, et utiliser la technique secrète de l'Elise-qui-casse-les-pieds pour obtenir toutes les réponses qu'elle voulait. Et s'il faisait mine de s'en prendre à elle... Un bon coup de genou sur son outil de travail le calmera sans doute..

Elle s'approcha donc, de son pas sautillant, heureuse. Une fois face à lui, elle plongea la main dans ses haillons, pour en sortir un morceau d'étoffe ayant appartenu à Gysèle.. Celle-là même qu'Evroult a réduit en charpie avant de l'envoyer à sa sœur. L'Orpheline lui jeta au visage sans ménagement le bout de vêtement, puis grogna.


C'quoi ça? T'peux m'expliquer? Pourquoi qu't'as fait ça? Elle t'as fait quoi Gygy, pour qu'tu fasse ça ?

L'Orpheline ne se laissait pas prendre en pitié par l'estropié, et pire encore, ça lui donnait de la force et du courage. La vu du bout de vêtement, lui, rappela à Elise la conversation de la veille, jusqu'au moment où Gysèle lui avait dit vouloir lui mettre une claque.. Elise ne le digérait pas, ne comprenant pas pourquoi sa tante refusait de voir la vérité en face, refusait de la défendre face aux grognements de son oncle, refusait d'admettre ce qui semblait aux yeux d'Elise une évidence. Comme si tout le problème ne venait que d'elle !

Et puis, comme elle n'avait qu'Evroult en face d'elle, après que ce sentiment se soit réveillé, c'était nécessairement lui qui allait prendre toute la colère et la frustration d'Elise en pleine face, du moins pour cette fois... Et vu tout ce que l'Orpheline accumulait, son oncle ne suffira certainement pas...

Les chopes n'ont pas finies de voler, dans les tavernes...


Stromae* Papaoutai version tonton, parce que c'est classe aussi comme ça !

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merci JD Gysèle pour la ban'
Evroult
Ce qu’il y avait de bien, avec les Ponthieu, c’est qu’un d’eux fleurissait tous les quatre matins quelque part dans le royaume. Les femmes de la lignée, non contentes d’être toutes catins sans exception, semblaient multiplier les marmots rescapés des tisanes abortives, comme si la continuité de ce sang était une affaire capitale, & pire ! puisque les pères se portaient tous absents – ils devaient tous d’ailleurs avoir plusieurs géniteurs – elles coulaient une bonne dose de Ponthieuserie dans les sangs de leurs mioches. Ainsi s’était construit l’affreux caractère de cette famille vulgaire où l’on vendait ses charmes. Et ainsi Elise était-elle apparue.

- El… Elise ?! mais qu’est-ce…

L’œil ouvert se ferma par trois fois, plissé comme en un mauvais rêve, pour espérer s’ouvrir sur ce tronc fortifiant & sur le vide du chemin devant lui. Par trois fois, il se posa sur la silhouette frêle d’une gamine revêche, qui portait si exactement les traits de Louis-Marie que, comme la première fois, il osa :

- T’es… c’est la fille de Louis-Marie…

Il en eut un soubresaut de rire, qui fit ployer l’échine en un frisson de rejet, alors qu’il dégorgeait à nouveau au pied de l’arbre honoré. Un renâclage en règle, une carcasse redressée & soutenue d’un tronc, & la belle gueule de bois & de coups fit face à sa plus jeune. Si ce n’était pas un rêve, c’est que le Très-Haut sans doute s’acharnait contre lui. Car, puisqu’Elise était là, devant lui, en peu de chair & beaucoup d’os, Gysèle & Louis-Marie ne devaient pas être loin. Cachés dans un fourré, à attendre qu’il ait le dos tourné pour lui sauter dessus, d’un grand cri de barbares aux lames en avant. Aux portes de Limoges, l’arc en main & flèches empoisonnées pour être certains de ne pas le rater. Ou peut-être était-ce eux, dans cette carriole bringuebalante, prêts à fouetter le mulet fatigué pour venir écraser l’aviné courtisan.
Alors, Limoges, vraiment ?

Ce qui, au corps sec & vidé, s’était imposé comme l’ultime solution de repli après les évènements poitevins lui parut soudain suicidaire. Limoges, vraiment ? s’il devait y en avoir une, c’était elle, la cité de cœur, le bourg de l’âme qui bourrait l’âme, la raison pour laquelle Limousie possédait tant de charme. Limoges, c’était son choix. Son cocon apaisé. Son édredon moelleux & son litre de miel. C’était le blanc sucré à en rougir les joues, la tarte à la noix & les veuves Bonnard. Limoges, c’était la Succube infréquentable & la joie dans les mains pleines de gorges & de hanches. Ah ! c’était beau Limoges. C’était beau, mais sans eux.

Il lui servit un grognement d’ours pas léché du tout pour rejeter l’idée. Non, il n’irait pas à Limoges. Tant pis pour le confort, tant pis pour le besoin, tant pis pour le refuge. Il n’irait pas à Limoges. « Grmblbl » lui souffla-t-il. Et puis, comme si elle ne comprenait pas ou qu’elle refusait tout à fait la négociation – c’est qu’il était aussi inintelligible qu’elle-même était Ponthieu – elle lui balança un bout de tissu sans crier gare. Il le reçu en plein visage, leva la main pour l’attraper, failli le faire tomber, se décrocha du tronc dans un mouvement ridicule & un cri bien étrange pour le rattraper au vol &… finit par s’en servir pour s’essuyer la bouche.

- Quoi… pourquoi tu grognes… pourquoi t… tu… oh, merde, fit-il dans un dernier souffle dépité alors qu’il se laissait glisser au sol, à un doigt d’atterrir le cul dans sa gerbe. Le crâne douloureux se cala en arrière, alors que bouche entrouverte, œil clos, il tentait de remettre en ordre & à sa place les idées & les mots de sa nièce. L’étoffe servit à nouveau pour récolter l’âcre aux lèvres d’un lendemain de cuite, & l’observant un bref instant, il finit par lâcher :

- Elle empiétait.
C’était clair, & concis. C’était bref, net, précis. Les connaissant, il n’y avait pas besoin de rajouter quoi que ce soit. Elise, sans doute, ne comprendrait pas. Mais en son brouillon de sourire servit malgré la peine, il y avait là toute la force d’un aveu.

- Et elle en avait plus besoin, elle avait trop grossi.
Ça, par contre, c’était un mensonge. Quoi que.
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