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RP fermé relatant l'attaque armée subie par Ivori et Lingus.

[RP] Hasta la muerte...

Ivori
RP fermé relatant l'attaque armée subie par Ivori et Lingus.
Merci de ne pas intervenir dans le cours de l'histoire et bonne lecture à tous.


[9 et 10 Juillet - Joinville et les sentiers de la Mort]

L'arrivée en îlot bourguignon s'était passée sans accroc et sans égratignures. Son amor était arrivé, sain et sauf parmi les troupes de la Zoko. Tout se passait comme prévu, tout... Les cris, les râles des villageois massacrés s'élevaient vers les Cieux, tels la plus douce des mélodies.
Le lendemain, il avait été décidé d'abandonner l'oriflamme pour rejoindre les terres de la Zoko. L'Anjou... La belle rousse n'y avait jamais traîné ses bottes. L'Ouest... Non, l'Andalouse était une femme du Sud, même si elle avait fini, retranchée dans les montagnes d'Helvétie... Quel gâchis, quelle perte de temps...

Mais elle n'y pensait guère plus. L'heure n'était pas à la vengeance, mais à l'organisation. Ainsi, du haut de sa monture, Ivori se chargerait de mener hors des terres royales son amor et une petite brunette qui répondait au nom de Laudanum... Et sains et saufs, il valait mieux. La Rima Loca, peut-être par gratitude ou par nature, se sentait le devoir de protéger la jolie brune. Elle était des leurs, elle devait arriver en un seul morceau.
Mais le Destin en avait décidé autrement.

Perdus dans la cambrousse bourguignonne, Ivori, Lingus, Calyps et la brunette virent débarquer une myriade de zozios tous aussi affolés les uns que les autres. Eikorc... Qui demeurait introuvable à des lieues à la ronde. L'autre groupe de mercenaires était arrivé à bon port, mais pas de trace du colosse. Il s'était planté de direction, qu'il disait ! Sans blague...
La rouquine grogna un tantinet, face à ce bourbier, ce bordel, ce désordre généralisé.
Assise à même la terre à l'écart des mercenaires, ses petits cheveux courts lui chatouillant le menton, Ivori étala sa carte, Lingus près d'elle, pour constater, le visage figé en un rictus résigné, qu'ils étaient faits comme des rats... Encerclés de toutes parts... Où qu'ils aillent, les pointes des épées se brandiraient vers eux...

Calyps s'agrippait nerveusement au mantel de Lingus, ne sachant pas réellement ce qu'il se passait, mais elle sentait que les grands n'étaient plus si grands que ça et elle pensa alors que le caillou magique ne l'était réellement pas... Ses yeux s'illuminaient de larmes réfrénées et les battements de son petit cœur s'accéléraient.
La jeune mère, dont les nerfs étaient mis à rude épreuve, se leva brusquement et se mit à faire les cent pas, en réfléchissant.

Qu'est-ce que tu veux qu'je fasse ?!, murmura-t-elle à son amor, étouffant ses hurlements, mais sa voix tremblait sous la rage. Ils sont partout !! Aucune route n'est dégagée ! Et puis... On n'est pas seuls, j'te signale !! J'peux pas mener notre compagne de voyage au casse-pipe se faire empaler sur une lame bourguignonne ou champenoise !! Et pense à Calyps !! Si jamais il nous arrive quelque chose, elle... Non !! On y est jusqu'au cou !!


[Nuit du 10 au 11 Juillet - Hasta la muerte...]


Plongeant ses doigts fins dans sa chevelure, enserrant son crâne avec nervosité, la jeune Andalouse était bel et bien paumée. Répétant inlassablement "No sé qué hacer... No sé qué hacer!", elle mirait dans le vague, ses yeux bleux perçants exorbités, l'air ahurie.
Un peu par dépit, parce qu'après la pluie vient l'orage et que l'on ne peut pas tourner sa langue dans sa bouche jusqu'à la fin des temps, la décision fut prise de tenter de rejoindre Eikorc et les autres de la Zoko qui se trouvaient avec lui.
Ils se mirent tous en marche à la nuit tombée. Pas un bruit ne retentissait dans les rangs. Pas un murmure, si ce n'est celui du vent dans les feuilles. Le ventre d'Ivori se nouait à intervalle régulier, à chaque mouvement d'ombres suspect, et elle serrait aussitôt le bras de Lingus et l'épaule de Calyps. À l'affût... Aux aguets... Non, ils ne les auraient pas. Non, elle ne les laisserait pas lui prendre sa fille et son époux. La détermination mêlée à la peur se lisait sur son visage, ses yeux bleus brillaient d'une lueur pâle et diaphane et son corps tout entier s'imprégnait peu à peu de cet effluve âcre : l'odeur de la mort qui approche.

C'est alors qu'elle buta sur une masse inerte, manquant de se vautrer dans l'herbe, et aussitôt son sang ne fit qu'un tour.

Mi amor...
La voix de l'Andalouse tremblait. Un pressentiment enserrait sa poitrine, coupait sa respiration et lacérait son ventre d'une angoisse irrépressible.
Calyps, reste près de moi. Ne bouge plus.
Dans un élan protecteur et maternel, Ivori enfouit le visage de sa fille dans sa chemise, la serrant fermement contre elle, tout en essayant de percer l'obscurité de son regard affûté. Rien. Pas le moindre homme en vue, elle n'y voyait pas à deux lieues... Pourtant, elle savait. Elle sentait. Ils étaient proches. Ils arrivaient.

La lune trahissait le ciel, planquée derrière d'épais nuages grisâtres. La colère du Très-Haut allait bientôt s'abattre sur eux... Ivori prit alors une profonde inspiration et l'orage éclata, la pluie se déversa en trombe sur les voyageurs. Trempée jusqu'aux os, la douce Ibère ne bougeait pas, elle scrutait chaque rocher, chaque buisson, chaque arbre à travers les averses, tout en gardant sa fille contre elle, leurs chemises collant l'une à l'autre sous l'humidité.

Puis, soudainement, le calme... La sérénité... La pluie cessa de tomber et le flot de pensées de s'écouler dans son esprit. Elle relâcha son étreinte, s'écarta de Calyps et, tout en sortant son épée de son fourreau, fit signe à Lingus d'en faire autant. Lingus... Elle ne détourna pas son regard de lui. Ils ne mourraient pas cette nuit. Pas sans s'être unis devant le Très-Haut... Ils s'étaient fait cette promesse. Ils la tiendraient...
Alors qu'un sourire empreint d'amour allait se dessiner sur les lèvres pulpeuses de l'Andalouse, elle les vit... Les reflets des lames à la lumière du ciel. Les nuages s'étaient estompés et la lune caressait de ses rayons l'horizon. Ivori baissa aussitôt les yeux et aperçut un cadavre sans tête, masse inconnue sur laquelle elle avait buté.

La nausée frappa son cœur brusquement et son souffle se fit haletant.

Dios mío! Calyps ! Ne reste pas là ! Va t'cacher !
La petite éclata en sanglots, paniquée, en proie à la peur et à la déroute.
D'un pas déterminé, Ivori enjamba le corps inerte et anonyme et s'avança dans l'obscurité de la nuit, épée brandie vers cette armée de vermines, bien décidée à en découdre.
Arrivée à hauteur de son adversaire, elle s'apprêtait à lever son épée, les deux mains serrant fermement le manche, mais son geste fut interrompu par une main... Une main venant se poser sur sa bouche, un bras entourant ses épaules avec violence. Impuissante face à son oppresseur, elle eut l'instinct de lâcher son épée, dans l'espoir de se débattre avec plus d'aisance. Mais déjà sa proie se tenait face à elle, un sourire triomphant sur le visage.

C'est alors qu'Ivori aperçut Calyps, plantée non loin d'eux. La jeune mère écarquilla les yeux, des yeux emplis de larmes, brûlantes, rongeant ses joues. Elle aurait voulu crier, mais la paume du bougre l'en empêchait. Elle grogna, beugla, poussa des râles bestiaux, secouant la tête, sans détourner le regard de sa petite fille. Si elle avait pu parler, elle lui aurait sans doute hurlé... "Sauve-toi !!!! Cours !!! Ne reste pas plantée là !!! Dépêche-toi !!!" Mais elle ne pouvait pas, non... Aussi, elle espérait que ses yeux parleraient plus que ses mots.

Malheureusement, ses pensées volèrent en éclat et une chaleur diffuse se répandit dans ses chairs, aliénant toute forme de réflexions. Enfin, elle put ouvrir la bouche, la main inconnue se retira et un jet de sang teinta l'herbe de reflets pourpres. Ses grands yeux bleus se révulsèrent et bientôt elle ne vit plus que la lune dans le ciel. Ses jambes se rompirent sous la douleur et le choc, ses genoux vinrent heurter la terre mouillée et son buste tout entier bascula en avant, la tempe droite enfoncée dans l'herbe.

Un dernier souffle d'horreur et de stupeur face à la tête qui la fixait, un léger sourire figé... La tête désolidarisée du corps... Grom... C'était son ami qui gisait là... Cet homme avec qui elle avait arpenté tant de chemins, mené tant de batailles... Grom... Les larmes coulèrent de plus belle, lui brouillant la vue... Ou peut-être était-ce l'œuvre de la Mort ?

Lingus... La belle rousse pensa à Lingus... Était-il avec Calyps ? Avait-il réussi à la sauver ? Deos, qu'elle le souhaitait... Elle le souhaitait ardemment, tandis que la douleur poursuivait son bonhomme de chemin, lacérant chaque pouce de sa peau, et que la mare de sang continuait de se déverser entre les brins d'herbe et les cailloux... Le caillou magique... Désormais empourpré... Lingus... Son esprit ne parvenait à le quitter, il se concentrait sur lui, dans sa longue robe de bure, souriant avec bienveillance, ses grands yeux bleus brillant sous la lumière de sa Foy.
Ses paupières se fermèrent alors sur cette image apaisante et sereine, et Ivori eut l'ultime conviction qu'il irait bien... Il ne pouvait en être autrement, l'Unique l'avait toujours veillé, car il n'y avait pas d'être plus pur que lui... Il n'en serait jamais autrement.

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"Hasta la muerte..."
Lingus
[10 juillet, avant l'orage...]



Le ciel était bas, de gros nuages sombres passaient lentement au-dessus de leurs têtes. Tels un couvercle de fonte, ils bouchaient l'horizon et la campagne s'était tue face à cet inquiétant augure. Le crescendo du vent trahissait l'imminence de l'orage à venir, de temps à autre, les branches des arbres s'entrechoquaient, ponctuant d'un claquement sec le bruissement des feuilles.

Lingus assistait impuissant à la ronde nerveuse de sa rouquine. Il était resté assis au sol, la carte étalée devant lui tandis qu'Ivori tournait, telle un fauve en cage. Elle répétait en boucle "No sé qué hacer... No sé qué hacer!" en se tordant les doigts.

Que faire, en voilà une bonne question! Il n'en avait malheureusement pas la moindre idée! Tout ce qu'il voyait, lui, sur le parchemin déroulé à même le sol, c'était des brindilles et des cailloux que l'andalouse avait disposés à différents endroits sur la carte pour visualiser les positions de toutes ces armées qui avaient fondu sur ce coin des royaumes... et la coquille d'escargot qui les représentait eux, était bel et bien cernée.

Il eut beau émettre les propositions les plus folles, sa rouquine le décourageait invariablement : "Là y'a une armée, elle campe à Vesoul depuis belle lurette!", "Ici? n'y pense même pas, les bourguignons nous coupent la retraite"... Parfois, elle ne prenait même pas la peine de répondre et se contentait de hausser les épaules, façon polie de lui signifier qu'elle se passerait de ses conseils en matière de stratégie militaire.

Ils finirent tout de même par choisir une direction et prirent la route à la nuit tombée, misant leur destin sur un coup de ramponneau... Lingus avait toujours été joueur, et sûr de sa main, mais en cet instant il aurait aimé pouvoir coucher ses cartes et se lever. Cependant la vie était une table à laquelle il devait rester assis tant qu'il lui restait, ne serait-ce qu'une pièce devant lui. Et en ce jour, il poussait sur le tapis tout ce qu'il lui restait, son inséparable moitié, le centre de son monde et la chair de ses entrailles, cette gamine qu'il avait appris à aimer tant bien que mal, qu'il avait fini par considérer comme sienne. Oh, cela il ne l'avouerait que sous la torture, mais la môme l'avait certainement ressenti, et le fait qu'elle s'accroche ainsi à ses basques tout au long du trajet le prouvait.

Les élans d'exaltation mystique du théologien l'avaient souvent conduit à affronter des situations périlleuses, dangereuses, et certains diront même insensées. Il n'avait jamais eu peur, persuadé qu'il était, de tendre vers l'amour absolu du Très-Haut, confiant dans Sa mansuétude, fier de sa résolution et de son abnégation. Comme le papillon de nuit pensant trouver le soleil dans la flamme de la lanterne, il s'était aveuglé en se lançant dans cette quête du martyr.

Aujourd'hui, alors qu'il marchait la main crispée sur le pommeau de son épée, elle lui apparut vaine. En route vers l'inéluctable mort qui les attendait au coin du tournant, il réalisa que l'amour absolu il l'avait déjà trouvé, dansant sur un comptoir au son d'un tambourin. Il fit l'amer constat qu'il ne pourrait trouver la félicité suprême en mourant pour la gloire du Tout-Puissant. Pour atteindre le jardin des délices il lui aurait fallu poser une main sur le ventre arrondi de sa rouquine, voir Calyps grandir, s'émerveiller d'un lever de soleil ou des premières chutes de neige, attendre que le grain pousse et que les feuilles tombent...

Une phrase sortit des limbes de son esprit et s'imposa à lui, l'Unique -il reconnut Sa voix pour l'avoir déjà entendue deux fois- lui disait "TU T'ES FOURVOYÉ LINGUS". Hé oui, l'Unique parle en majuscule, et Il disait cela sur un ton mi réprobateur, mi peiné.

Bien sûr qu'il s'était fourvoyé, ce n'était pas en menant l'âne à l'abreuvoir qu'on le forcerait à boire... ça lui faisait une belle jambe de découvrir cela à présent qu'il ne pouvait plus faire marche arrière. Et au lieu de rêver de guerre sainte, il aurait mieux fait de s'enivrer des senteurs de la peau de sa Pelliroja. Plutôt que de se perdre dans des grimoires poussiéreux, il aurait dû passer plus de temps à contempler le soleil jouant avec ses courbes, à l'écouter chanter, à l'espionner lorsqu'elle se baignait à la rivière...

Il fut brusquement tiré de ses pensées lorsqu'au milieu de la nuit elle buta sur un obstacle qui entravait la voie puis se figea, aux aguets. Les premiers coups de tonnerre retentirent tandis que les éclairs zébraient le ciel, éclairant par intermittence les environs d'une lumière crue. Les nuages lourds crevèrent soudain, déversant sur le petit groupe leurs trombes d'eau.

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--Calyps


Comment aurait-elle pu comprendre ce qui arriva ? Comment aurait-elle pu se préparer à une telle horreur ? La candeur de l'enfance est tout aussi merveilleuse qu'elle n'est cruelle, car elle ne sera jamais une arme face à la guerre...
La petite Calyps ne bougeait plus, le nez enfoui dans la chemise de sa mère. Bientôt, l'odeur de l'humidité lui chatouilla les narines, les gouttes de pluie ruisselaient sur son petit nez en trompette, manquant de s'échouer dans l'iris vert de ses yeux... Son petit cœur battait au rythme de la respiration saccadée d'Ivori. Elle ne pouvait fermer les paupières, la peur lui intimait de garder les yeux grand ouverts et de ne plus bouger, de faire la morte, comme les animaux.
Seul repère dans cette noirceur insondable... Lingus. Incapable de se réfugier dans le regard rassurant de sa mère, la gamine se raccrochait avec désespoir à Lingus, fixant son unique œil, y cherchant une once de confiance et de foi. Vaine quête que celle d'une enfant perdue au beau milieu d'un champ de bataille.

Lorsqu'Ivori la relâcha, Calyps fut aussitôt enveloppée d'un vent glacial, son petit corps tremblait comme une feuille mouillée de rosée. Elle suivit sa mère du regard, se demanda si elle devait elle aussi sortir son couteau, lorsque la voix cristalline de la rousse retentit tel un coup de tonnerre. Sa chevelure flamboyante ondula au gré du vent, alors qu'elle tourna la tête vers sa fille. Leurs regards se croisèrent l'espace d'une seconde, et Calyps y perçut l'empreinte de la mort.
Éclatant en sanglots, la petite était comme paralysée, ses pieds refusaient de bouger, de fuir, de courir se cacher, comme sa mère le lui intimait. Elle demeura immobile, ne quittant pas Ivori des yeux, jusqu'à l'instant fatal où le soldat ennemi entoura son corps de son bras meurtrier.

La petite brune avait perdu Lingus de vue et, pour la première fois de sa courte existence, elle se sentit réellement seule et abandonnée. L'absence de sa mère aux premières années de sa vie n'était rien comparée à la douleur qui l'assaillit alors. Elle recula doucement, le cœur comme pris dans un étau, incapable de détourner le regard. Sa mère... Ses grands yeux bleus la fixaient sans ciller, alors que sa voix se tordait en abominables râles, sa voix à l'accoutumé si douce... Si chaleureuse et apaisante...
Calyps ne pouvait se résigner à se sauver, à abandonner sa mère ainsi... Ce ne fut que lorsque le sang jaillit de ses lèvres empourprées que la petite courut à en perdre haleine pour se cacher derrière un rocher.

Elle ne cessa de pleurer et pour la première fois cette nuit-là, elle ferma instinctivement les yeux, fort, très fort, pour ne plus rien voir, et posa ses petites mains sur ses oreilles pour ne plus rien entendre. Agenouillée derrière son rocher, dans la noirceur de la nuit, Calyps demeura ainsi des heures durant, cachée, pleurant en silence, criant à l'aide dans son for intérieur... Priant le Grand Tireur de Ficelles de ne pas lui prendre sa maman... L'implorant de la laisser auprès d'elle... C'est qu'elle était si petite et elle avait tant besoin des grands. Sans sa maman, elle n'était plus qu'une petite fourmi, loin de la colonie, perdue dans l'immensité de l'Univers... Elle pria pour Lingus, pour ce père qui, à sa manière bien particulière, lui avait apporté tant de choses, tant d'amour... Même s'il ne s'en était peut-être pas douté...

Quand le calme revint, que les sabots des chevaux, s'éloignant au galop, frappèrent la terre mouillée, la faisant trembler de toutes leurs forces, Calyps écarta ses petites mains de ses oreilles et ouvrit un à un ses yeux. Lorsqu'elle fut certaine qu'il n'y avait plus personne, elle poussa un hurlement de désespoir... Un seul... Un seul qui restera à jamais gravé dans l'esprit d'Ivori...

Mamaaaaaaaaaaaa!
Lingus
[Nuit du 10 juillet, orage au désespoir...]



Le ciel libérait toute sa fureur dans un vacarme assourdissant qui couvrit l'approche de la troupe. Ce n'est que lorsqu'elle déboucha à la sortie du virage, à seulement quelques pas d'eux, que Lingus la vit à la faveur d'un éclair. Une rangée de boucliers soigneusement alignés brillèrent un instant telles les dents carnassières d'une bouche étirée en un sourire sadique. Les lames acérées des lances pointées vers eux annonçaient s'il en faut les intentions de l'armée. La pluie cessa aussitôt et les derniers grondement du tonnerre roulèrent au loin, ultimes coups de bâton accompagnant la levée du rideau. La scène s'annonçait d'une froide violence, sauvage et sanglante.

Il aurait aimé revoir sa vie défiler devant ses yeux, sourire à nouveau des moments heureux, penser avec nostalgie aux vieux amis, il aurait tout donné pour ressentir une dernière fois l'émoi de se réveiller aux côtés de sa rouquine... Mais qu'avait-il à offrir en échange désormais pour équilibrer la balance cosmique? Rien.

Il ne lui restait pas même le temps pour se souvenir de toutes ces choses. Son esprit refusait de fonctionner, les rouages sous son crâne enrayés par l'horreur d'une image : ils allaient tous périr ici et maintenant. Pas un cri de semonce ne fut poussé, les armées ne patrouillaient pas ces jours-ci en Bourgogne, elles étaient en chasse. Le combat serait sans merci, le corps décapité qui gisait non loin en témoignait si besoin était.

L'armée fondit sur eux sans leur laisser un instant de répit. A peine Lingus eut-il le temps de tirer son épée. S'il n'en avait pas serré le manche aussi fort, ses mains auraient été agitée de tremblements. Son corps tout entier était parcouru de fourmillements, engourdi par un froid intense qui prenait naissance dans sa poitrine. Un frisson d'effroi courut le long de son échine et lui glaça les sangs. Il n'avait que rarement brillé par son courage, mais à la vue de ces soldats, il sentit monter en lui la terreur. La vraie. La grande, l'écrasante terreur.

Sa tête lui semblait une coque vide emplie d'un bourdonnement saturé, les soldats avançaient pour les entourer mais il ne les vit bouger que par saccades, leurs gestes lui parurent lents mais ils leur coupaient déjà la retraite. Les hautes haies qui bordaient le fossé empêchaient toute fuite.
Ses tripes se nouèrent violemment lorsqu'à la périphérie de sa vision, Ivori disparut, happée par une ombre. Il poussa un hurlement, mélange de hargne, de douleur et de désespoir, puis se rua sur ses assaillants.

Sous un déluge d'acier affûté, il tenta de parer quelques coups et de les rendre au double mais son bouclier fut emporté par une charge. Et un bon morceau de son bras avec. Sa main n'était plus qu'une charpie sanguinolente et désarticulée pendant mollement à son poignet, retenue par quelques tendons à vif. La vague de douleur lui fit mettre un genou en terre mais il ne lâcha pas l'épée. Il pouvait bien mourir massacré par tout ce que la Bourgogne comptait de soldats, mais Ivori et la mioche devaient vivre. Sa douce andalouse qui avait bravé le danger si souvent, riant au nez de la faucheuse, ne pouvait trépasser ainsi. Lingus refusait tout simplement de le concevoir, tout son être se révulsait à cette horrible idée.

Il tourna la tête pour l'apercevoir, l'encourager du regard, persuadé qu'elle s'était débarrassée du soldat et vit, impuissant, son corps inerte s'affaler dans l'herbe. Il lança son épée en direction de la silhouette qui se tenait au-dessus d'elle. Il ne vit jamais s'il avait atteint son but mais peu lui importait. Lorsque Lingus vit s'écraser au sol la tête de son amor, la folie finit de ravager le peu d'esprit qu'il lui restait. Il ne ressentit plus rien, engourdi, submergé par la démesure de cette douleur. L'ultime effort pour lancer ce qui n'était plus qu'une lame brisée au bout d'un manche le fit chuter. Il vit seulement quelques étoiles tournoyer dans une trouée des nuages puis le ciel fut obscurci par des ombres qui se ruèrent sur lui. Tel un animal aux abois, il griffa des bras, des visages. La bête traquée et acculée qu'il était à présent, mordit tout ce qui passa à portée tandis que les sanglots de terreur de la môme parvenaient à ses oreilles de plus en plus faiblement.

Noir total, plus un bruit. Le néant.

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Ivori
[Nuit du 10 au 11 Juillet - Que la Lumière soit...]

Était-ce les derniers sursauts de vie ? Ivori crispait instinctivement ses doigts, enfonçant ses ongles dans la terre maculée de sang... Son sang. Il s'insinuait dans les pores de sa peau, formant une fine couche de poussière écarlate.
La douleur avait rongé son corps jusqu'au dernier gémissement ; sa tête lui semblait lourde et cotonneuse et ses jambes... En avait-elle encore ? Elle ne les sentait guère plus... Masse étrangère qui la clouait au sol. Seule sa poitrine manifestait encore la volonté de se battre... Avec ardeur... Trop d'ardeur. À chaque battement de cœur, à chaque contraction de ce muscle encore vivant, la belle rousse sentait s'enfoncer dans son crâne la lame bien aiguisée d'un burin et le bruit du marteau tapant le manche résonnait inlassablement dans les confins de son esprit...
Son esprit... Il cria reddition, il gémit abandon, il pleura supplication... À bout de force de porter à lui seul ce corps inerte et endolori, à demi rongé par la Mort.


"Deos, por favor... No... No puedo más..."

L'esprit de la douce Ibère se sentit alors comme happé, comme si ce corps dont il était l'hôte s'enfonçait tout entier dans les entrailles de la terre.


[Le Jugement Dernier...]

Le ciel était teinté d'un azur aussi sombre et profond que la nuit, et tacheté d'étoiles étincelantes. Pourtant, le soleil trônait sur cette vaste étendue, face à elle, loin à l'horizon, fier de sa rondeur. Une chaleur étouffante régnait en ce lieu... Mais ce lieu, quel était-il ? Ivori l'ignorait... Mais ce n'était guère le Jardin des Délices. Elle en avait l'intime conviction.

Ses yeux bleus brillaient de mille feux, sublimés par les rayons du soleil, et sa chevelure rousse, longue, interminable, caressait le bas de ses reins. Uniquement vêtue d'une houppelande de la même teinte que ses yeux, la jeune Andalouse se mit à avancer sur ce sentier. Un sentier couvert de sable, un sable aussi fin que le sel... Aussi pâle que la lumière des étoiles. Doux, léger sous la plante de ses pieds. Et son corps lui aussi avait été délesté de tout poids, de tout fardeau... Légère, sereine, elle avançait, la Pelirroja au regard de pierre. Précieuse...

Ce chemin de sable était bordé de part et d'autre par de l'eau. La mer ? Cette surface aquatique semblait s'étendre jusqu'au bout de la terre ; un son mélodieux, le clapotis de l'eau, le reflux des vagues et les cascades à l'extrémité du plateau de l'Univers... Tous ces bruits berçaient Ivori et l'engageaient à marcher toujours plus loin, vers le soleil.
Mais son ascension fut interrompue. Elle n'était point seule. Une femme se trouvait là, assise au bord de l'eau, les jambes immergées jusqu'aux mollets et elle fredonnait une ritournelle. Une ritournelle qui terrifia la belle rousse.

D'une voix chaude et suave, mêlée d'un accent chantant et festif, la femme aux cheveux noirs de jais prononçait ces paroles assassines, car si chères à son cœur, et balançait ses jambes d'avant en arrière, dessinant des cercles réguliers sur l'onde.
"Anda... Anda sola por los caminos de la Providencia..."


Ivori déglutit aussitôt, tout en s'approchant avec anxiété de cette femme. Arrivée à ses côtés, elle tourna la tête et leva un visage rayonnant de sérénité vers sa fille.
Mère ?
La rouquine resta immobile, debout auprès de cette femme... Cette femme qu'elle avait cherché à fuir depuis sa plus tendre enfance. Cette femme qui l'avait réduite au rang d'animal.

"Vaya, vaya... Tú en as mis dou temps pour mé rejoindre. Jé pensais qué tú arriverais plous vite... Aprés cé qué tú m'as fait..."
Sa mère... Cette voix... Cet accent... Il écorchait les tympans d'Ivori, la rappelant aux souvenirs de cette nuit. Nieve... La Nieve... Elle avait toujours bien porté son nom. Aussi froide et traîtresse que la neige... Nul ne sait jamais ce qui se cache sous l'épaisse couche blanche.
Est-ce... l'Enfer ? Je suis en Enfer ?! Pourquoi... Que fais-tu là ?

Se raillant des propos de sa fille, Nieve sortit ses deux jambes de l'eau et se leva, demeurant ainsi face à la mer. La mer de l'Andalousie, peut-être...

"Maaa, maaa... Pétité sotte... Cé n'est pas l'Enfer... Pourtant, tú mériterais d'y aller, aprés cé que tú m'as fait... Jé t'attendais... Jé t'attends dépouis cetté nuit où tú m'as aménée ici..."
Nieve se tourna alors pour se présenter, dans toute l'horreur de son être, à la conscience d'Ivori. Une tache de sang maculait sa chemise, un sang noirâtre, moisi, qui avait dégouliné le long de l'aine et sur son jupon vert-d'eau.
La douce Ibère fit un pas, puis deux pas en arrière, en secouant frénétiquement la tête... Non... Elle baissa tout à coup les yeux et vit qu'elle tenait dans la main cette dague... Seul héritage de leur famille espagnole... Entachée par le sang maternel... Ivori poussa un cri de stupeur en lâchant l'arme, et posa à nouveau son regard effrayé sur le visage de sa mère, sublime dans sa cruauté.

"Deos est trop bon avéc toi... Tú né mérités pas lé Jardin des Délices..."
La jeune Andalouse s'écarta encore davantage de cet être abject et répugnant, symbole de toutes ses peurs primales, et crut devenir folle. Où était-elle ? Que cela voulait-il dire ? Était-elle condamnée à errer pour l'éternité sur ce chemin qui lui avait semblé si doux et rassurant de prime abord ? Où donc était l'Unique ? Lui qui devait la juger... Seul Lui en avait le droit divin... Et non sa mère...

C'est alors que retentit le hurlement de Calyps sous la plante de ses pieds... Bourdonnant dans les oreilles d'Ivori, troublant la quiétude de l'eau.
"Mamaaaaaaaaaaa!"
Délaissant derrière elle cette femme qui jamais plus ne serait sa mère et qui jamais n'avait su l'aimer comme une fille, la belle rousse se mit à courir... À courir à en perdre haleine vers le soleil. Sa fille à elle l'attendait...
Elle ne pouvait plus reculer. C'était bel et bien l'heure du Jugement Dernier...

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"Hasta la muerte..."
Lingus
[Le jugement dernier... once again]


Une petite bonne femme à l'air de secrétaire revêche -en vérité c'est exactement ce qu'elle est, une secrétaire revèche- longe un immense couloir à petits pas pressés. (Vous aurez noté le passage au présent : dans ce lieu divin, le temps n'a pas cours, il n'existe ni passé ni futur... tout n'est que présent. Aussi, pour des questions pratiques, la suite du récit se fera au présent... c'est ce qui se rapproche le plus de l'absence de passé et de futur).
Derrière elle, deux molosses, des jumeaux, encadrent fermement un vieil homme. Et vous l'aurez sans doute reconnu... non? ah bon... Il s'agit de feu Lingus.
Il est couvert de plaies béantes, mais nul sang ne s'en écoule. Il semble que dans l'au-delà, on soit condamné à conserver son apparence au moment de sa mort... pauvre Grom qui va devoir se trimballer sa tête sous le bras pour le restant de l'éternité!

Son bandeau a disparu, ses bottes, son mantel aussi, il est simplement vêtu de sa soutane sur laquelle il a déjà copieusement bavé. Sa bouche est déformé par un rictus malsain et son oeil valide roule furieusement dans son orbite.
Il n'a pas l'air d'aller beaucoup mieux que tout à l'heure... plutôt moins bien même! Il s'approche plus de l'animal à l'agonie que de l'humain. Il lance des regards tantôt effrayés, tantôt hargneux autour de lui, et pousse de temps à autre une longue plainte gutturale que ses anges-gardiens -c'est ce qu'on peut lire sur leurs badges : anges-gardiens- accueillent d'un coup de coude pour le faire taire.

Le quatuor poursuit sa marche... les trois anges surtout, Lingus lui se laisse trainer. Ils dépassent un nombre impressionnant de portes, toutes similaires. Arrivés au bout du couloir, ils s'engagent à gauche dans un nouveau corridor, puis deux fois à droite, montent un étage, en descendent quatre et finissent par s'arrêter devant une porte semblable à toutes les autres. La bonne femme se racle la gorge nerveusement, ajuste son chignon puis frappe quelques coups discrets.
De l'autre côté de la porte, une voix s'élève, visiblement excédée.



QUOI ENCORE?
(Vous l'avez sûrement reconnue... non? bah cette fois démerdez-vous y'en a marre!)

Hum, veuillez m'excuser de Vous solliciter mais... un petit rire cripé se coince dans sa gorge. Nous avons un très léger souci.

ET ÇA NE PEUT PAS SE RÉGLER SANS MOI? OU DEMAIN?

Je suis navrée d'insister mais nous ne savons vraiment pas quoi faire, et... c'est que... demain je suis en RTT.


Un long soupir de lassitude précède l'ouverture de la porte.
La secrétaire s'efface rapidement sur le côté et désigne Lingus d'un geste de dépit, comme si le tableau en lui-même était suffisamment parlant pour expliquer la nature du problème.



BON... ET APRÈS?

Et bien nous avons été incapables de lui soutirer la moindre phrase cohérente, tout ce qu'il parvient à dire c'est quelque chose comme "Ironie"... ou "Rivoli"... et Rivoli ce n'est pas avant janvier 1797 ! Alors Vous comprenez... On ne peut pas savoir s'il veut retourner sur Terre ou comparaître pour le Jugement Dernier... et quand bien même, je ne suis pas sûre que cela donne quoi que ce soit ! J'ai pensé qu'il valait mieux que Vous le voyiez en personne...

LINGUS ? C'EST TOI ?


La bonne femme ouvre un minuscule carnet, feuillette quelques pages à toute vitesse puis annonce fièrement :


Oui, c'est lui !
Et c'est même la troisième fois qu'il vient dans le service.

C'ÉTAIT UNE QUESTION DE RHÉTORIQUE, FAUT-IL VOUS RAPPELER QUE JE SAIS TOUT?



Elle baisse les yeux et se plonge dans la contemplation de ses pieds tandis que ses joues virent au cramoisi.


ALORS LINGUS ? ON A ENCORE FAIT DES SIENNES !

Gneuuuuuhhhhh!!!!


Ça c'est Lingus, ou plutôt sa réponse.
L'ange-gardien numéro 1 le redresse d'un coup de coude et lui glisse à l'oreille d'une voix menaçante :



Tiens-toi droit... et sois poli avec La Patronne !

ROOHHH ! CESSEZ DE M'APPELER AINSI, VOUS SAVEZ QUE J'AI HORREUR DE CA !
ET TOI LINGUS... TU SAIS QUE SI MA VISION N'A PAS DE LIMITES, MA PATIENCE ELLE EN A !



Si Lingus avait conservé un soupçon d'esprit, il aurait sans doute protesté, plaidé sa cause, expliqué qu'il avait compris, bien tardivement mais il avait compris. Il aurait expliqué combien il regrettait de n'avoir su percevoir les choses à leur juste valeur. Il aurait promis de racheter ses fautes, il aurait supplié, gémi, pleuré. Il aurait tout fait pour pouvoir vivre ce bonheur qu'il avait entraperçu juste avant l'instant fatal, alors que le point de non-retour était déjà franchi.

Mais sa raison s'était éteinte, instantanément broyée par la douleur lorsqu'il avait vu sa rouquine s'effondrer. Depuis ce moment, son âme se consumait dans les abîmes de la souffrance. C'était d'ailleurs là que l'avait trouvé l'ange-gardien numéro 1 qui, bien emmerdé, c'était tourné vers l'ange-gardien numéro 2 et lui avait demandé ce qu'ils allaient bien pouvoir faire de celui-là. Haussement d'épaules, direction le centre de tri.


ALORS VOUS EN FAITES C'QUE VOUS VOULEZ MAIS VOUS LE DÉBARRASSEZ DE MA VUE, J'EN AI RIEN A CARRER MOI !



Claquement de porte divin, le quatuor part tête basse, tous les quatre ce coup-ci...


M'ENFIN ! Y'A QUE MOI QUI BOSSE ICI ? QUELLE IDÉE J'AI EU NON MAIS J'VOUS JURE ! UN D'CES JOURS J'VAIS FOUTRE LE CAMP OU TOUT PÉTER ET ÇA S'RA RÉGLÉ... DE TOUTES FAÇONS ILS S'RAINT BIEN CAPABLES DE TOUS SE FOUTRE EN L'AIR SANS MOI...
_________________
Ivori
[Même moment... Autre endroit...]

Combien d'heures a-t-elle couru éperdument dans le sable ? Elle n'en avait plus aucune idée... Ce banc de sable semblait s'étendre jusqu'à l'infini et cela n'était guère étonnant. Le Royaume de l'Unique n'a ni début ni fin... Étrangement, Ivori ne ressentait aucune fatigue non plus. Juste la lassitude et le désespoir. Était-ce cela sa condamnation ? Était-ce là le sort que le Très-Haut lui avait réservé ?

La belle rousse commençait à perdre espoir, lorsque ses pieds s'enfoncèrent peu à peu dans des sables mouvants. Mais la peur ne la gagna point. Après tout, que risquait-elle ? Elle était déjà morte... Bel et bien morte. Les spirales de sable, tels des fourmillements, s'emparèrent de son corps tout entier et ses boucles cuivrées disparurent bientôt entre les grains de sable liquides.
Sa conscience se mura alors dans un halo aveuglant et lorsqu'elle reparut, Ivori se tenait dans une salle baignée de lumière étrange, entourée de deux molosses, une copie conforme l'un de l'autre. La jeune Andalouse n'était point seule en ce lieu innommable ; des centaines d'âmes erraient au hasard des pièces, certains conversaient calmement, d'autres attendaient avec impatience l'heure du Jugement, et d'autres encore s'évaporaient derrière des portes imaginaires. Tous à la queue leu leu, dans le désordre le plus serein. Car le Très-Haut est Omniscient, Il est partout et nulle part à la fois. Il est le Temps et l'Espace. Il n'obéit à aucune règle naturelle...

Sans dire mot, les deux sbires s'écartèrent, lui indiquant le chemin à emprunter, avec un grand sourire mielleux, plaqué sur le visage.
Et ce fut son tour d'y passer.


BONJOUR MON PETIT.
COMMENT TU T'APPELLES ?


Iv...

IVORI DELL'ANGEL. QUEL JOLI NOM...
C'EST LA PREMIÈRE FOIS QUE TU VIENS ME VOIR...


Oui, je...

UNE PETITE NOUVELLE... FORMIDABLE !
ALORS, ALORS... VOYONS VOIR...


Un registre de la taille d'un ogre trônait sur une tablette et, sans que la belle rousse ne puisse savoir comment, les pages tournaient d'elles-mêmes. La fameuse main divine. Mais l'Unique avait une voix douce, apaisante et protectrice, comme celle d'une Mère. Et dire que tout ce temps, Ivori avait été convaincue que Deos était un homme... Mais Deos n'est ni Homme, ni Femme. Il apparaît à l'esprit sous la forme la plus proche de l'essence même de l'être qui se tient face à Lui...ou Elle.

RHOOO BAH MON PETIT, TU T'ES TROMPÉE DE CHEMIN...
COMME C'EST BÊTE...


Oui, mais...

EN TOUT CAS, ILS NE T'ONT PAS RATÉE...
C'EST UNE BELLE PLAIE QUE TU AS LÀ.

Une... Quoi ?


Ivori baissa aussitôt les deux pour examiner son corps et vit que sa houppelande était déchirée. Quand était-ce arrivé ? Une petite entaille était dissimulée sous l'étoffe, sans pour autant saigner. Dans l'aine. La lame d'un couteau. Profonde.
Elle releva aussitôt la tête vers l'Unique.


BON, JETONS UN ŒIL À TON PASSÉ...
HUM... TU AS TUÉ TA MÈRE...


Non, je...

ET L'HOMME QUI A ABUSÉ DE TOI...
ET TU AS ABANDONNÉ TA FILLE... CELLE QUI BRAILLE DEPUIS TOUT À L'HEURE...


Vous l'entendez ?!

J'ENTENDS TOUT, MON PETIT. TU NE POTASSES PAS ASSEZ MES PAROLES. MOINS UN POUR LE MANQUE D'ASSIDUITÉ. SANS PARLER DE TOUS CES CRIMES.

Mais...!

PAS DE MAIS AVEC MOI.
JE SUIS L'UNIQUE, POUR L'AMOUR DE MOI-MÊME !
HUM... CONSEILLÈRE MUNICIPALE EN GUYENNE. LOYALE ET FIDÈLE. A ŒUVRÉ POUR SES SEMBLABLES. BIEN, BIEN...

PILLAGE DE LA CATALOGNE. BAH VOYONS !


Je peux expliquer...

ICI, ON N'EXPLIQUE PAS. JE TE JUGE. TU TE TAIS. C'EST COMME ÇA, ICI.

D'ac...

PSCHTTT !
ADOPTION DE LA FOY RÉFORMÉE... COURAGEUSE DÉCISION. MAINTENANT QUE J'Y PENSE, FAUDRAIT QUE JE BOTTE LE CUL DE TOUS MES FIDÈLES NARCISSIQUES ET TYRANNIQUES... MAIS IL Y A TANT D'ÉCLOPÉS SUR LES ROUTES... JE SUIS BIEN AU-DESSUS DES 35 HEURES, JE VOUS LE DIS, MOI... M'ENFIN, NOUS NE SOMMES PAS LÀ POUR PARLER DE MOI.


Je n'osais pas le dire...

PSCHTTT !
MON PETIT... C'EST TON PREMIER PASSAGE ICI ET TU ES UNE FERVENTE CROYANTE. TA FOY EST LUMINEUSE, ELLE IRRADIE DE TOUS LES PORES DE TA PEAU... ET SURTOUT DU TROU QUE TU AS DANS LE VENTRE, C'EST UN FAIT.
BREF ! JE M'ÉGARE, JE M'ÉGARE ! JE VAIS TE DONNER LA POSSIBILITÉ DE REVENIR SUR TERRE, MAIS TU DOIS ME PROMETTRE D'ÊTRE SAGE, HEIN ! SINON, PLUS DE CADEAUX !


La belle rousse hocha la tête instinctivement à plusieurs reprises, sans oser l'ouvrir. On rigole pas avec le Très-Haut. Sinon, direct sur la Lune. Petit pas pour l'homme, c'était évidemment relatif... Pas si petit qu'ça en réalité.

ALORS, PLUS DE PILLAGES, PLUS DE TUERIES... TA MÈRE, JE METTRAI ÇA DE CÔTÉ, C'EST DÉFINITIVEMENT UNE CRÉATURE DU SANS-NOM... MÊME SUR LA LUNE, ELLE LEUR COLLE LA CHAIR DE POULE ! PAS ÉTONNANT QUE TU AIES MAL TOURNÉ... MAIS TU VAS TE RESSAISIR, MON PETIT ! SINON, JE TROUVERAI LE TEMPS DE TE BOTTER LE DERRIÈRE !

Ivori hochait toujours la tête, l'air ahuri, se demandant si tout cela n'était pas qu'une farce... Mais de toute évidence, non.

UNE DERNIÈRE QUESTION, MON PETIT.
POURQUOI SOUHAITES-TU REVENIR SUR TERRE AVEC TANT D'ARDEUR ?


Pour ma fille, Calyps... Je l'ai peut-être abandonnée, mais je m'occupe d'elle aujourd'hui et je... Je pense que je peux être une bonne mère pour elle. Et puis... Il y a Lingus. Je ne peux pas le laisser... Nous devions nous marier devant Vous.

LINGUS ?!
OH NOM DE MOI !! MAIS LE PAUVRE HOMME EST PASSÉ À L'INSTANT ET IL A DÉCIDÉ DE RESTER. QUI NE DIT MOT CONSENT...


Le cœur d'Ivori se rompit sous les paroles de l'Unique. Des paroles pénétrantes. Des larmes se mirent aussitôt à couler le long des joues de la belle. Des flots de larmes... Un véritable raz de marée...

BON BON, MON PETIT...
JE... JE TE PRÊTERAIS BIEN UN MOUCHOIR, MAIS JE N'EN AI PAS... ET J'AI ENCORE DE LA PAPERASSE À REMPLIR POUR TON REGISTRE. ALORS EUH... BON RETOUR CHEZ TOI !


La même lumière aveuglante brûla les yeux d'Ivori et elle se retrouva derrière la porte, encore tenue par les deux mêmes molosses. C'est alors qu'elle le vit, errant au milieu de ces êtres perdus. Lingus... Vêtu de sa soutane. Ses grands yeux bleus mirant dans le vague. La belle rousse le voyait tel que son esprit désirait le garder auprès de lui... Cette fameuse nuit, dans ce couloir fleurant l'alcool et l'urine... Dans ce lieu malfamé... Cette fameuse nuit où l'Unique décida de les mettre sur la route l'un de l'autre... Pour les séparer plusieurs longs mois après...

Ne parvenant à sécher ses larmes, Ivori s'approcha de lui d'un pas lourd. Son corps tout entier était lourd, accablé par la douleur de la perte... Arrivée à sa hauteur, elle posa une main sur sa joue. Les sanglots de la douce Ibère lui firent relever la tête et il la fixa longuement, sans mot dire, comme éteint.


Lingus... Pourquoi ? Je...
La belle rousse se rendit compte que son amor n'était plus le même. Mais, au son de sa voix, si chantante, à la vue de sa chevelure, aussi lumineuse que le soleil, son regard s'anima soudainement... Tard... Bien trop tard...
Alors que la voix fluette de Calyps s'élevait jusqu'aux cieux pour rappeler Ivori à son Destin, sa propre voix meurtrie se brisa en sanglots de désespoir, larmes éternelles qui maculèrent la soutane de celui qui jamais ne serait son époux...

_________________
"Hasta la muerte..."
--Calyps


[Sur terre... Entre sang et eau...]

Un champ de désolation... Une légère brise s'était levée. Le calme après la tempête. L'air de la mort. Absolument tout semblait mort. Pas un seul chant d'oiseau... D'épais nuages gris couvraient entièrement le bleu du ciel, comme prêts à craquer. Un souffle et le déluge se déverserait sur la terre plate... Un souffle et le temps s'arrêterait... gravant à jamais dans la pierre le souvenir de cet instant sordide.

Dans la tête de Calyps... Elle se leva doucement, les yeux brûlés par les larmes, et s'approcha d'abord à pas de loups, puis apercevant le corps de sa mère et celui de Lingus, elle se mit à courir vers eux. La terre mouillée giclait à chaque pas, arrosant les herbes, comme le sang de ses parents avait nourri les entrailles de la plaine.

Sur sa route, elle se pencha pour ramasser le caillou. Empourpré... À jamais teinté de la mort, mais c'était le caillou magique. Elle en était la gardienne, peut-être si elle l'avait gardé avec elle, alors oui, peut-être que... Non, Calyps ne pouvait aller au bout de sa pensée, elle était irrémédiablement interrompue par un flot de larmes frénétiques.

Debout près de sa mère, la petite était déchirée... En deux. Son regard passait de Lingus à Ivori et, à cet instant, elle aurait aimé être réellement déchirée en deux pour pouvoir prendre soin des deux.
Finalement, elle s'affala de tout son petit corps sur le dos de sa mère, hurlant de douleur, pressant une main sur sa joue dans l'espoir qu'elle rouvrirait les yeux... Ses grands yeux bleus...

Une chance pour elle, la tête de Gromukus avait mystérieusement disparu. Elle ne gisait plus face à la belle rousse, fixant pour l'éternité ce visage si délicat, si gracieux. Étonnamment, il n'affichait pas un rictus de douleur, Ivori semblait en paix...
La petite brune se redressa pour tenter de retourner sa mère, lorsqu'elle entendit des éclaboussures non loin. Elle se retourna aussitôt, serrant fermement le caillou de Lingus, et vit un vieillard en soutane, muni d'une canne.


Pap...
Mais non, ce ne pouvait être lui, elle le savait. Il gisait à quelques pas de sa mère... Calyps se mit sur ses deux jambes chancelantes et fixa le vieil homme qui approchait inexorablement vers elle.

Alors mon petit, qu'est-ce tu fais toute seule dans les champs ?
Lorsqu'il aperçut les deux corps inertes, il se précipita, encore que c'est un bien grand mot, nous dirons qu'il s'est hâté à coup de canne, au "chevet" de la rouquine.
Oh baindiou, y sont pas allés d'mains mortes ! Ce sont tes parents ?
Hochement de la tête.
Oui...
Des larmes coulaient toujours le long de ses joues parsemées de taches de rousseur, les teintant d'un rose amer...

Va t'occuper du grand, j'm'occupe de ta mère.
Vous êtes médicastre ? Ou curé ?
Calyps voulait s'appuyer sur lui, mais elle n'en était pas pour le moins rassurée.
Non, mon p'tit, j'suis un ancien soldat... Maintenant, va... Ta maman est entre d'bonnes mains.

Soulagée d'un poids qui pesait sur sa conscience, la gamine courut aussi vite qu'elle put vers Lingus. Il gisait sur le côté, l'œil encore ouvert ; des traînées brunâtres avaient séché le long de son nez, mélange de boue et de larmes. Calyps pleura de plus belle, le secouant nerveusement, évitant de regarder son bras écorché à vif et son abdomen ensanglanté, déchiqueté par les lames.
Ses petites mains se raccrochaient aux lacets de sa chemise, les tordant avec désespoir, impuissantes. Calyps savait. Au fond d'elle, la vérité éclatait comme un coup de tonnerre sournois, inexorable, fatal... Sa mère avait les yeux fermés, le visage détendu ; son père avait l'œil et la bouche ouverts, le visage figé tel une statue de pierre... Elle fixait cet œil à l'iris encore bleu, pleurant toutes les larmes de son corps, et cette conversation lui revint, comme un coup de burin dans le crâne.

Si un jour je n'reviens pas, tu diras à ta mère que tu m'as vu partir avec une belle blonde...

Ce qu'elle n'avait pas su comprendre alors s'imposa à son esprit meurtri et désemparé, et son petit cœur d'enfant se brisa, déchiré par la douleur et la fatalité. Et le silence s'imposa. Tout comme la reddition. Elle s'allongea près de Lingus, en chien de fusil contre son buste lacéré, et ferma les yeux, serrant d'une main le caillou contre sa poitrine et de l'autre le bras de son père mort...
Avant de clore ses paupières, elle aperçut le vieux soldat, penchée sur sa mère, déchirant sa chemise pour nettoyer la plaie... Oui, elle était entre de bonnes mains... Aussi, elle recula encore un peu son corps, pour se coller complètement à celui de Lingus et pleura dans le silence le plus profond.


La blonde, elle est pas si belle que ça, tu sais...

Des larmes coulèrent sans discontinuer et son étreinte se resserrait toujours un peu plus, au fur et à mesure que la vie abandonnait le corps de Lingus...
Kamo tut, mur dat...

Un champ de désolation... Une légère brise s'était levée. Le calme après la tempête. L'air de la mort. La mort de Lingus...
Lingus
Lingus erre parmi les âmes en peine, assailli par une multitude de visions. Il revoit tour à tour les innombrables instants de bonheur qu'il a partagé avec sa tendre rouquine. Mais à ces tableaux idylliques, viennent se superposer des images d'horreur, le corps d'Ivori qui chute lourdement au sol, sa dépouille boursouflée, rongée par la vermine. Il gémit comme s'il ressentait la morsure des lames dans sa chair, harcelé sans relâche par ces visions terrifiantes.

C'est alors qu'il croit être victime d'une nouvelle hallucination, mais celle-ci semble bien plus réelle que les précédentes. Ivori s'avance lentement vers lui, les joues ruisselantes de larmes. Il baisse la tête pour tenter de chasser cette nouvelle vision car il sait qu'elle sera suivie d'une autre, macabre celle-là. La rouquine porte une main à son visage, il tressaille au contact des doigts sur sa joue.

Il relève la tête et la dévisage en silence. Ce n'est pas une hallucination crée par son esprit torturé. La belle andalouse est là devant lui, sa voix accablée par la douleur est bien réelle.



Lingus... Pourquoi ? Je...


Son regard retrouve soudain toute sa vie, il semble s'éveiller d'un long cauchemar tandis qu'Ivori fond en sanglots, blottissant son visage contre sa poitrine.
Il a tant de choses à lui dire mais les mots se bousculent sous son crâne et demeurent figés dans sa gorge. Par quoi commencer? Comment exprimer ce qu'il ne parvient à formuler? Comment réduire ces choses si fortes, si grandes à de simples mots?
Il se contente alors de passer un bras autour de ses épaules et de la serrer contre lui. Comme si ce simple geste pouvait résumer la multitude et la force des ses sentiments. Ils demeurent ainsi, enlacés et silencieux pendant un très long moment.

Ivori finit par s'écarter et s'apprête à parler. Lingus l'interrompt en posant ses lèvres sur les siennes en guise de bâillon. Puis il se recule et la contemple un instant avant de prendre la parole.


Te quiero tanto mi amor...
Sa voix se fait plus dure.
... mais ta place n'est pas ici. Pars. Pars sans te retourner. Maintenant!
_________________
Ivori
[La Mort n'existe pas...]

Le visage enfoui dans l'étoffe, la jolie rousse huma l'odeur de son amor, parfum à la fois doux et amer... Amer, car elle ne le sentira jamais plus... Une odeur si particulière, une odeur qui avait imprégné sa peau durant plusieurs jours. Cette robe de bure... Elle tuerait pour pouvoir la porter à nouveau... Ne serait-ce qu'un instant...

Alors qu'Ivori était sur le point de s'effondrer face à tant de froideur, elle fut prise dans une étreinte nourrie d'amour et de détresse. Il la serrait... Il la serrait de toutes ses forces, respirant l'effluve fleuri de sa chevelure, caressant sa nuque avec frénésie. La jeune Andalouse demeure ainsi, ses ongles agrippant avec désespoir les hanches de Lingus. Comment pouvait-elle consentir à s'en détacher ? Si elle avait osé, elle aurait demandé à rester blottie contre son amor, des années durant, sans que cela n'influe sur le cours naturel des choses... Mais la Vie, le Monde... ne fonctionnent pas ainsi. Elle le savait...

Doucement, Ivori se défit de l'étreinte de son amor et s'écarta. La main de Lingus glissa pour la dernière fois le long de son bras et retomba dans l'air en un souffle glacial. Elle voulait comprendre. ¿Por qué? Por qué... Deux petits mots... Simples. Courts. Durs... Tournoyant dans sa tête, tandis qu'une douleur s'échappait de sa plaie et se diffusait dans son corps tout entier.
Les yeux marqués par la souffrance, la souffrance de la perte, la perte de soi, la perte de l'autre, la belle rousse ouvrit les lèvres, prenant son courage à deux mains, pour laisser s'échapper ces deux petits mots... Por qué... Mais Lingus, impuissant face aux mots, impuissant face à ses mots à elle, scella à jamais le silence et l'incompréhension en un doux baiser. Le baiser de la mort...

Face à face, les deux amants se fixent sans ciller. À s'en brûler les yeux... Le dernier, l'ultime regard. Une chaleur vive se répand dans sa poitrine pour la tordre sournoisement... Elle sait...

Te quiero tanto mi amor... mais ta place n'est pas ici. Pars. Pars sans te retourner. Maintenant !
Sa voix fend l'air de part en part, creusant d'ores et déjà un fossé entre leurs deux corps. La Vie et la Mort. Un pas en arrière... La Fin et la Renaissance. Deux pas en arrière... Pourquoi repartir ? Elle ne sait plus... Ces deux petits mots... Les voilà enfin... Face à la réalité... Pourquoi ne resterait-elle pas ? Immobile...

Lingus la fixe toujours de ses yeux bleus aussi perçants que les siens. Cette insistance du regard qui parlera toujours plus que les mots... Calyps. Trois pas en arrière... Quatre... Cinq... Une éternité. Elle ne parvient à se détourner de lui, mais déjà la distance qui les sépare semble infinie et sa voix s'expire en un souffle chaud et délicat...

Te quiero, mi amor... Hasta la muerte...

Un pas, un revirement, un point de non-retour... Son regard embrasse une dernière fois la silhouette de son époux. Une dernière fois... Et une phrase vient se frayer un chemin dans son esprit. Une pensée... La première... "C'est qu'il est plaisant à regarder sans sa robe, le bougre !"
Elle se retourne inexorablement, un sourire triste dessiné sur le visage, et là revoilà... Dans ce couloir... La bougie de la lanterne rouge brille d'une lumière tamisée, comme ce soir-là... Et cette porte... Leur havre.

Une légère brise se lève... Il est là, elle le sait... Bientôt, ses jambes la portent vers cette issue. La jeune Andalouse court... court à en perdre haleine, sa chevelure rousse raccourcit toujours un peu plus au fur et à mesure qu'elle s'approche de cette porte... Le retour à la vie.
Arrivée à sa hauteur, courant inlassablement, Ivori pose ses deux mains à plat et pousse de toutes ses forces pour basculer dans une lumière rouge intense qui la happe et la brûle...

Lingus... No... No puedo más...


[Quelque part dans la cambrousse bourguignonne]

Les rayons du soleil percent les tentures, inondant la pièce d'un halo presque divin. Les petits cheveux courts d'Ivori sont négligemment étalés sur un matelas de paille.
Sa raison s'éveille peu à peu, mais ses yeux refusent encore de s'ouvrir, brûlés par l'intensité de la lumière et le sel de ses larmes. Une voix déformée par les méandres de son esprit s'élève doucement.

J'ai trouvé qu'cet habit pour v'couvrir, dans vos affaires...
Cet habit... ?
Une porte se referma alors et une petite main se posa sur celle d'Ivori. Ses grands yeux bleus s'ouvrirent alors sur le visage de Calyps. Elle est alitée. Où ? Elle ne le sait guère... Et cet habit... La robe de bure de Lingus. Elle comptait la lui rendre. Elle et son caillou, aussi.
Ivori bâilla avec nonchalance et voulut s'étirer, mais la réalité de sa blessure l'arrêta dans son élan. Elle poussa un soupir de lassitude et tourna de nouveau la tête vers sa fille, le regard interrogateur.


Calyps... Où... Où est Lingus ?
Sa voix semblait enveloppée dans du coton, comme après un long sommeil.
La petite brunette fixa sa mère un long moment, tâchant de réfréner ses larmes, puis finit par répondre, d'une voix aussi naturelle qu'elle le put.

Il... Il est... Il est partie avec une blonde avec des hanches... Des hanches comme ça... Et... Et une poitrine comme ça...
Mais les larmes coulèrent inexorablement le long de ses petites joues. Elle pouvait encore sentir l'odeur de la mort sur sa chemise.

Ivori écarquilla de grands yeux, avant de rire, l'air amusé par les propos farfelus de sa petite fille, et balaya la pièce d'un regard apaisé et empreint d'allégresse.

Ne raconte pas de bêtises, Calyps. Il est là... Juste derrière toi...
Les yeux d'Ivori se figèrent, scrutant droit devant elle. Son visage resplendissait de bonheur et de soulagement.
La petite tourna aussitôt la tête avec effroi.
Les yeux de Calyps se figèrent, scrutant droit devant elle. Scrutant le néant et son visage se rompit de douleur et de désœuvrement.


No... No puedo más... Hasta la muerte...
La douce Ibère sombra dans un sommeil aussi profond que sa démence.
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"Hasta la muerte..."
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