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[RP] L'échange

Lucie

    [Octobre 1465]

C’est l’heure grise où le ciel hésite encore entre jour et nuit, et où la faune des faubourgs les plus mauvais se prépare à ses bacchanales nocturnes. Postée à l’entrée de la rue de la Mortellerie, son regard clair étudiant les façades crevées et les silhouettes décharnées, faussement estropiées qui s’y appuient, la marquise de Nemours hésite, son poing menu fermé sur la sinistre invitation qu’elle a reçu au matin.

Elle n’est pas de ces nobles aimant à s’acoquiner dans les bas quartiers. Elle est trop consciente du danger niché entre les pavés mal scellés, trop assurée du dégoût que lui inspirent les bannis qui règnent en maître sur ces empires boueux. Par dessus tout elle craint de s’enfoncer dans ce boyau puant pour ne jamais en revenir.

Elle ne peut pas reculer toutefois. Le serment inscrit à son sang l’interdit.


- Vous trois, gardez les chevaux et la charrette, ordonne-t-elle d’une voix qui à peine s’élève. Capitaine, Marsault, suivez-moi.

Le premier pas est le plus difficile. La Josselinière, avec sa peau lactescente et le parfum précieux qu’exhale ses cheveux dénoués, avec sa lourde robe de cendal rouge et ses gardes prêts à dégainer leurs épées, est bien trop repérable dans ce monde où les femmes sont ternies des mains jusqu’aux âmes. Les regards se portent sur elle, concupiscents quand ils ne sont pas cupides. Malgré tout elle avance, la tête haute pour se faire croire qu’elle est en terrain conquis, le pas tranquille pour se faire croire qu’elle n’a pas peur, ne s’arrêtant qu’au niveau de la Cour Brissel pour, écu clinquant montré à un pélerin de pacotille dont la cape miteuse est cousue de coquillages, indiquer doucement :

- Je cherche Samael et Judicael.
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Judicael.
Brissel n'était pas aussi grand que le vaste territoire qu'était les Miracles. Pour autant, sa fréquentation toute aussi mal famée, toute aussi active, surtout à la tombée de la nuit. Nul flambeaux pour s'éclairer, la lumière était chère. Elle coûtait déjà aux riches alors imaginez. Des braseros, immenses parfois, servaient de points d'ancrages dans la rue de la Mortellerie, artère obligatoire à tout promeneur mal averti. Rue des dépouilleurs. Rue qu'empruntaient, hardis, Lucie et sa cohorte. Trois visiteurs. Avisée Lucie.


Remontant le marécageux sillon d'immondices qui saignait et ceignait la rue en deux, le groupe en rencontra un autre.

Et au milieu , en no man's land, un vieux mendiant qui ne boitait même plus, dans sa cape de compostelle...

Il se tira bien vite, désignant dans le groupe deux tignasses ocres, de celles qu'on ne pouvait pas rater parmi les brunes, pouilleuses, toutes dressées sur les crânes par la saleté et les noeuds installés. De celles qui les rendaient malgré eux, particulièrement reconnaissables, et leur laissait pour seule arme; leur flagrante gémellité.

Cael observa cette arrivée sans piper mot, mâchant une chique qui écumait à l'encoignure de sa lippe. Cette dernière se fendit d'un sourire presque féroce... Pourtant satisfait. Il est des trognes sur lesquels les sourires ne savaient s'imprimer. Déjà le coude fraternel vint piquer ses côtes, dans un message muet. Judicael essuya ses lèvres d'un revers de main peu cérémonieux et descendit du fût éventré sur lequel il se tenait.

    Avises-moi ça...


Ce n'est pas comme s'ils ne s'attendaient pas à sa venue. La belle rouge avait été repérée bien en amont, et sifflée comme le geai moqueur par le guetteur.

Sortant de la masse, il vint à leur rencontre, et ne resta qu'à bonne distance. Bien qu'ils soient ici chez eux, bien qu'ils aient l'avantage, on ne faisait pas le mariole les soirs de marché.


- Lucie, bonsoir. Voilà une visite que nous n'attendions plus. Je déplore la lenteur des coursiers...

Il siffla un peu, ce qui a première vue ne provoqua rien. D'un mouvement de menton, invita les trois visiteurs à lui emboîter le pas, vers les gorges plus sombres car non éclairées de Brissel.


- Suivez-nous.

Et la horde de malandrin se referma sur eux, molle et tentaculaire, leur faisant une escorte ne permettant ni de revenir sur leurs pas, ni de jouer un mauvais tour aux deux frères dans leur dos. Avant d'avoir vu un doigt du macchabée, avouez que l'idée aurait été saugrenue.

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Recueil
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Samael.
Ses pavés et ses caniveaux
Sa grisaille et sa poussière
Ses tripots et ses putains
Ses marchés et ses mendiants
Bienvenus à Brissel, l'enfer des âmes perdues, le paradis des jumeaux.

C'est épaule contre épaule que le plus fou des deux roux observait la scène, retenant l'erructation de remontée acide dûe à une bouteille de piquette trop vite ingurgitée au préalable. Il guettait les moindres faits et gestes de son Autre, admirait et murmurait comme une prière muette, chaque paroles que Judicael pouvait prononcer, leurs lèvres bougeant à l'unisson laissant planer le doute de qui disait quoi.
La belle avait pris la précaution de bien s'entourer et faut dire que son petit groupe faisait tâche dans le tableau crasseux qu'était Brissel.
Renard releva le menton, nez au vent il huma la fragrance délicate de la jeune noble qui contrastait d'avec l'odeur des égouts.

Malgré l'ambiance des rues et le peu de moyen, les deux frères étaient plus méticuleux et organisés que les troupes militaires de la pintade couronnée que le peuple acclamait.
L'étau se resserrait autour des visiteurs. Les jumeaux régnaient en maître et gare à ceux qui la leur racontaient à l'envers. Ils quitteraient Brissel, les pieds en avant.

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le Renard
Lucie
Lucie est venue à Brissel à tâtons. Des jumeaux, avant sa funeste convocation, elle avait oublié jusqu’aux noms. Elle n’est pas sotte, évidemment. Elle ne doutait pas du fait qu’elle allait plonger dans un monde de chimères troubles et de mauvais croque-mitaines, mais elle ne savait pas à quel point le risque était grand. Elle l’avait jaugé à l’instinct et au hasard, comme on parie à une table de roulette. De voir Judicaël et son pervers ménechme, rois de poussière guidant leur cour bigarrée, elle prend toute la mesure du danger qu’elle court : c’est la mort qui l’attend si elle n’est pas assez fine pour déjouer les pièges tendus tout au long des pourparlers.

Dans son dos, elle le sait plus qu’elle ne le sent, ses gardes se sont rapprochés. Elle les a choisit béarnais surentrainés, fidèles parmi les fidèles. Sur leurs épaules larges et solides, elle a déjà posé les plus délicates missions, les plus précieux chargements. S’il le faut, ils donneront leurs vies pour elle, pour qu’elle récupère son frère. Cette idée, aussi sombre soit-elle, suffit à la rassurer assez pour l’empêcher de s’afficher en train de trembler. Sous sa poitrine le coeur qui s’était affolé se calme, à la tendresse son visage paix se fait.


- Plus que leur lenteur, c’est la teneur des messages qu’ils convoient parfois que je déplore, souffle-t-elle d’un ton qui se veut, si ce n’est léger, à tout le moins dégagé, en s’avançant vers le duo, les mains ouvertes en guise de drapeau blanc. Sans vouloir vous faire offense, je dois vous confesser que je ne crois pas avoir déjà entretenu correspondance plus déplaisante que la nôtre, messieurs.

La foule truande se referme sur eux comme un poing prêt à les écraser. Des corps qui l’entourent s’élève une odeur âcre, mélange de sueur rance et d’urine, d’aigre picrate et de vapeurs de drogue. Les ailes de son nez frémissant, la Josselinière s’emploie à n’afficher ni dégoût ni trouble ni aucune émotion. Plus encore elle s’efforce de ne pas poser de questions, de ne pas se cabrer quand vers les ténèbres on l’emmène. Les réponses viendront bien assez tôt.
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Judicael.
Le cortège se perd quelque peu au détour des feux sauvages, faisant procession dans un silence de mort. Ce soir, l'on a peut-être tué définitivement la pureté de Lucie. Car les regards la saccagent. Et les souffles l'effleurent. Si les mains se tiennent toutes à leur places, sur une arme ou dans les poches, rien n'empêchera le Lys d'être taché de l'ombre crasse des pouilleux de Brissel. Là où elle a posé le pied, la boue ne se retire pas pour la laisser passer.

Judicael avait déjà eu loisir d'observer l'aura sage de la jeune femme. De l'imaginer, assise sur l'autre versant d'un monde auquel il est étranger; régner en Maitresse. Une couronne de fleurs fraîches posée au sommet de son crâne et une timbale de jus de raisin à la main. Mais leur dimension restait scindée, non miscible, et la fracture trop étendue pour savoir coudre des arrangements. Si elle était belle, jeune et noble, et si son visage ressemblait à celui d'une Madone, cela n'y changerait rien. Cael ne lui épargnerait rien.

Ils s'engouffrèrent sous les restes délabrés d'une porte cochère, où la marmaille de la Mortellerie resta, sans avancer plus au delà. Il y avait dans la baraque qu'ils traversèrent quelques odeurs de cuisine, et quelques paillasses mêlées pêles-mêles sur le plancher, un fatras d'affaires que même ne désordre n'aurait su nommer.

Les jumeaux éclaireurs conduisirent Lucie et ses sbires dans l'arrière cour de la masure faiblement éclairée d'une torche rare, où une tombe sans croix se devinait à la faveur d'un amas ovales de pierres crayeuses, déposées avec autant d'application que la tenue de la maison.

Il posa son cul là; face à la cohorte. Salua d'un geste un guetteur, un de ces meilleurs archers que Brissel enfantait, et qui trônait négligemment dans l'obscurité sur l'armature dégarnie de la toiture. Hé quoi. Deux précautions valaient mieux qu'une. Judicael entama le bourrage d'une pipe, méthodique et patient, pour entamer de la même façon la conversation.


- Votre frère est ici. Là.

Tapa brièvement du pied le sol poussiéreux, en roi de poussière qu'il était.


- Loin de moi l'envie de me faire oiseau de mauvais augure, mais je ne garantis rien de son intégrité, après tout ce temps. Vous aurez abandonné à la méfiance cela.

Et le front se froissa de quelques plis, tandis qu'entre les lèvres vint se loger le bec de bois et que ses yeux vinrent saisir ceux de la Josselinière.

- Pourtant, 'avons fait ça plutôt correctement.

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Lucie
Il parle. Il parle et ses mots débrident l’imagination de Lucie. Elle imagine son frère, ses beaux cheveux blonds, ses larges épaules, ses mains comme des battoirs en train de pourrir. La peau fondue, rongée par les vers, salie. Ses paupières s’ouvrant sur des orbites vides. Ses os apparaissant entre des morceaux de chair putréfiée. Un haut-le-coeur la soulève. Elle détourne le regard de la fosse où le corps est enterré pour mieux observer Judicaël. Il y a quelque chose d’hypnotique à la lenteur avec laquelle il prépare sa pipe, le geste semble presque rituel.

Il n’est pas laid et, au regard de son style, de ses mots, pas plus idiot. Pourquoi, alors ? Pourquoi est-il encore là, dans la boue et le froid ? Il pourrait échapper aux bas-fonds. La frontière entre le monde criminel et la respectabilité est poreuse, elle le sait. Mais il doit se complaire dans cet univers dépravé, s’y étaler, y rouler en riant comme un prince dans la soie. Peut-être que plus que la richesse et le confort, plus que le pouvoir et l’autorité, c’est à l’infamie qu’il aspire. Peut-être que l’or il ne veut l’avoir qu’en le volant et que l’influence, il ne souhaite l’obtenir que sous la menace.

Le regard clair de Lucie coule sur l’autre pendant de l’inquiétant duo. Il y a quelque chose chez lui, comme une menace sourde, folie que rien ne sait arrêter, qui la met profondément mal à l’aise. Cet homme là ne trouverait jamais sa place dans les salons. Finalement, peut-être est-ce pour lui que son jumeau ne s’élève pas.


- Nous verrons bientôt ce qu’il en est de la qualité de votre ouvrage, souffle-t-elle doucement en repoussant les questions stériles que lui inspirent les deux frères. Peut-être mes hommes peuvent-il commencer à creuser pendant que nous discutons. Une souffle d’air humide, vicié, frôle sa nuque gracile. Dans un frisson elle croise les bras sur sa poitrine et désigne l’archer d’un signe du menton. Celui-là devra partir toutefois. Il y aura bien assez de vous deux pour me surveiller, non ? Rhétorique pure. Il est certain que même en le voulant, elle ne pourrait pas blesser quiconque, elle, la poupée de porcelaine, la fleur fragile. Et tandis qu’il s'en ira, vous pourrez me dire ce qui est arrivé à Josserand. Qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
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Judicael.
Lucie avait décidément beaucoup de flair. Mais cela, Cael ne le saurait jamais. Méfiant de l'agnelle comme du loup, il fit signe au zig haut perché de ne pas moufter d'un pouce. Quoi, Corleone lui-même n'avait-il pas été trahi par sa propre épouse? L'un comme l'autre, ils savaient où commençait la confiance, et où elle s'arrêtait. Pour autant il se redressa en jetant un œil à Samael qui s'était assis de coté et qui semblait analyser les moindres dimensions de la situation.

L’aîné était bel et bien dérangé, mais sous cette cervelle décérébrée bouillonnait les capacités fabuleuses qui faisaient cruellement défaut à Judicael. Ainsi, le fol savait compter. Lire et écrire sans que personne ne leur ait donné l'instruction des érudits. Lui, bien que meneur, n'avait que cet ascendant inné, le savoir des issues pour le sortir de ses inextricables galères, et la propension à prendre pour lui la plupart du temps. Sous l'habileté des pourparlers et le calme nécessaire à toute réflexion, leur dualité demeurait nécessaire à un équilibre fragile mais bien réel. Et qui le comprenait mettait le doigt sur La Faiblesse.

La pipe fut allumée d'un geste répétitif pour battre le briquet. De l'étincelle sur la petite plaque de métal, naquit une flamme à l'étoupe. Et les mains musiciennes firent chanter l'herbe folle pour faire rougir le foyer d'une pétulence. Maitrisée par le souffle saccadé qui fit un peu gonfler les joues, le roux en extirpa les premières exhalaisons. Toutes les conversations sérieuses débutaient ainsi.

Combien de nuits à partager ce geste avec l'Owen? Et à s'endormir les uns contre les autres pour se tenir chaud en rase campagne? Lucie ne saurait jamais cela. La vie plus difficile, dans une dimension différente. Et les yeux d'Owenra, comme les siens, sur ses mains voleuses.

- Simple protocole. On ne désarme pas vos gardes en venant vous mander audience, Josselinière. Mais creusez-donc. A une coudée.

Dit-il à la garde, s'écartant dans un mouvement ample pour ne plus profaner la tombe de fortune de son cul râpé. Il vint d'ailleurs plus près de la noble, assez près pour sentir ce que les autres avaient senti, en la suivant comme des chiens. Une délicate odeur de Jasmin. Foutre, même dans le ventre sale des puants... Lucie avait l'aura céleste.

Les bras se croisèrent sur sa poitrine, et son auréole âcre de houblon et de chanvre dissipa un peu sa morgue. Elle n'était pas hostile. Il s'agissait donc de poser sans bousculade ses propres termes à la transaction. Car s'en était une. Et celles de Brissel se concluaient toujours, inéluctablement dans le sang.


- Je vous donne le nom de son meurtrier pour la valeur de mille pièces. Et pour l'enterrer dans le velours, et le ramener chez vous, une menue condition.


Les yeux se plissèrent, pour se protéger d'un revers de brise malheureux aux nuées piquantes de sa futaille, ou pour sonder les hésitations de son hôte, qui sait.

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Lucie
Lucie a tenté sa chance sans y croire. Elle ne bronche pas à la réponse qu’on lui fait. Vers ses hommes, qui attendent de la voir confirmer l’ordre donné, elle hoche presque imperceptiblement la tête. S’armant de pelles trouvées, ils commencent à creuser. Bientôt le bruit de leurs pelletés remplit l’arrière-cour, battement lent, régulier, terriblement semblable à celui d’un coeur.

Judicaël approche. Il sature son air d’entêtantes vapeurs de drogue. Parfum toxique, corrupteur, qui lui rappelle sa mère. Pour un peu de cet oubli de synthèse, Justine aurait tout vendu, tout donné. Ne cédant pas à son désir de fuir, la marquise se décale un peu. Elle vrille juste assez les hanches pour mieux se cacher de l’archer à son ombre. Réflexe de chasseresse. Elle use du terrain pour se mettre à couvert. Si un trait part, elle est assez vive pour se protéger à ce bouclier humain.


- Vos tarifs sont prohibitifs, répond-elle, le ton neutre, vide de tout, volontairement morne. Pour ce prix là, je veux savoir exactement ce que vous avez vu ce soir-là et pas seulement le nom du coupable. La demande n'est pas excessive, vous en conviendrez.

Et en guise d’avance sur les informations, la marquise lève les mains pour, avec la même douceur languissante qu’elle a le soir avant de se coucher, détacher une part du paiement de ses oreilles. Car en guise de cassette, en lieu et place d’un sac débordant d’écus et de joyaux, c’est à sa peau qu’elle a accroché ses moyens de paiements. A ses lobes suspendus, rubis enchâssés de platine. Entourant son cou, l’étouffant de luxe, serpent de perles. Et à ses poignets fins, si fins que tout y glisse, de l’or encore, des cailloux brillants toujours.

Main chargée de cette toute féminine offrande est tendue vers le Pique. Sans hésitation. Sans émotion. Si elle négocie, elle serait prête à donner bien plus que la somme demandée pour pouvoir lancer des enquêteurs, chiens enragés, aux trousses de celui qui a privé son aîné des années qui lui restaient.


- Là. Prenez. Et exposez donc cette condition que vous entendez mettre à la levée du corps de mon frère.
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Judicael.
- J'accepte.

Il prit les bijoux d'une main de velours gantée de cuir, non sans manquer de les retourner pour scruter leurs finesse, le poids de leur valeur en or, la taille des pierres dans un geste jonglant avec la pipe fumante. Lucie avait de l'argument. Judicael aimait bien cela. Il les enfouit dans l'ouverture légère de la doublure, qui baillait un peu à son bliaud de cuir et vissa de nouveau le bec plat entre ses dents pour y soustraire une épaisse fumée claire.

Le dos trouva le mur de la baraque, les verts s'attardent un instant sur les gardes et leurs pelletées métronomes. Il n'avait aucune idée de ce que pouvait vivre la noble, et de la manière dont lui aurait pu le faire. Le coeur dont il était trop souvent exempt ne souffrait pas de l'absence d'un frère, lui qui bien au contraire savait se rendre si envahissant et remuant parfois. Aurait-il négocié pour retrouver ce corps, prolongement embryonnaire du sien? Sans doute pas. Il aurait pris par la force. Saccagé tout espoir de discussion. Démoli toute tentative d'accord pour arracher au ventre de la terre, comme la nature l'avait fait au ventre de leur mère, ce jumeau des enfers.


- Le coupable se nomme Montparnasse. Il vit à la Cour des Miracles. C'est là bas qu'il a commit son forfait. Nous l'avons vu fuir, au sortir d'une ruelle, laissant derrière-lui le corps inerte et maculé de sang de votre frère. Lorsque nous avons retourné le corps, il n'abritait plus la vie. Il était encore chaud et souple, et sa gorge avait été tranchée. Des marques de coups, aussi. Montparnasse est un jeune homme dérangé qui n'en est plus là de crimes et d'exactions... Il aime le sang. Et n'a même pas daigné dérober les deniers que ce solide gaillard avait sur lui. Mais c'est tout de même peu habituel...


Où étaient-ils passés d'ailleurs ces deniers? Ah, forcément il ne fallait pas pousser. Les jumeaux l'en avait délesté avant de l'enterrer et pour si peu il était bien inutile de revenir dessus... Un air pensif vient se dessiner sur le faciès dur de Cael.


- Comprenez... Habituellement, il préfère les petits enfants.

Un sourire sadique fendit le crâne du roux, à l'horizontale. ô monstres engendrés par la rue. Enfantés par la misère. Décérébrés par la violence. La Cour abritait tout de même de beaux spécimens... Ce qui était étonnant à Brissel, c'était cette sécurité totale dont jouissaient ses habitants. Ici, le vol n'existait pas à qui appartenait à la Mortellerie. Pensez-vous, on ne pisse pas là où l'on se couche...

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Lucie
Que croit-il faire, Judicael, en lui soufflant à l’oreille l’étendue des perversions de l’assassin ? Pense-t-il qu’elle va s’émouvoir des crimes de Montparnasse ? Se figer face à l’horreur qu’il lui présente ? Si oui, la chose est maladroite : d’instinct maternel elle n’a pas encore et de ce qui arrive aux enfants des bas fonds elle ne se soucie guère. Son coeur n’est pas assez grand, son âme pas assez généreuse. Tout ce qui compte en cet instant est enfoui juste là, sous ses pieds. Tout ce qui compte est mort déjà et ne peut plus être ni frappé, ni blessé. Tout ce qui compte ne peut plus qu'être vengé.

- Un homme charmant, somme toute, murmure la marquise d’une voix où l’ironie couvre mal la tension, en ôtant deux des joncs d’or qui décorent son poignet pour les confier au Pique. Le compte doit y être.

Croisant les mains devant elle, Lucie ancre son regard à celui de l’homme. Elle attend.

Sous le masque figé, à la menthe de ses yeux, on descelle sans grande peine ce qu’elle tente de cacher. Elle a peur, oui. Si elle a l’habitude d’aisément lire dans les coeurs et les têtes, ceux des jumeaux lui sont inaccessibles et à cette indéchiffrable folie, à ce doute qui plane autour d’eux comme une menace de mort, elle ne parvient pas à s’accoutumer. Elle voudrait fuir, loin de ces rues puantes, de ces arrières-cours aux allures de cercueil, loin de ces hommes. Elle ne peut pas partir pourtant, pas sans Josserand. Alors, drapée dans un courage qui n’a pas de corps, qui n’arme et ne protège que son esprit, elle patiente.

Arrête de tourner autour du pot, Judicael. Expose tes conditions.

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Judicael.
Il prit les joncs, soupesant et observant leur facture dans le lignage de sa main en acquiesçant un peu. Prendre de l'argent de cette façon était bien moins usant et dangereux que de l'extirper des ventres des coffres d'une ville, d'une église ou d'un château. Judicael revint à la frêle Lucie. Et avec la séduisante voix du diable, il égrena les syllabes d'une condition sans fards.


- Laissez-moi inscrire votre nom sur la Liste du comptoir des Usuriers des Miracles. Ainsi, tant qu'il y demeurera, nous serons vos créanciers. Il vous suffira pour effacer dette, de nous rendre un service... A l'occasion.


Et comme pour l'enjoindre à ne pas trop hésiter, il désigna l'amas de pierres que la garde désossait d'une patience de fourmi pour en désincarcérer le pauvre Josserand.


- Vous rentrerez avec votre frère, et aurez tout loisir de châtier le coupable. Avec sa gueule de minet, il pourra bien tenter de vous attendrir... Vous repenserez alors à ce que je vous ai dit. Battu, inerte, égorgé et maculé de sang.


Un chat curieux vint pointer le bout de son museau à la lueur des torches. Faisant aussitôt demi tour à l'approche d'un galet rejeté , trop proche.

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Lucie
A la condition exposée, la marquise se mord la joue pour ne pas trop vite refuser. Pour ne pas cracher au visage du Pique que jamais, jamais, elle n’acceptera de contracter pareille dette envers quelqu’un de son espèce. Elle se mord si fort que bientôt à la pointe de sa langue, goût de fer vient se poser. Elle ne peut pas reculer si vite. Déglutissant, avalant le sang qui a envahit sa bouche, dans lequel il lui semble se noyer en cette sinistre soirée, elle demande d’une voix pâle :

- J’imagine qu’il n’y a pas de limites à ce service ? Que vous entendez pouvoir obtenir absolument n’importe quoi de moi ?

L’idée l’horrifie. C’est valser avec la mort, c’est - au sens propre, il lui semble - signer un pacte avec le diable que d’accepter. C’est prendre le risque de perdre tout ce qu’elle possède. C’est risquer de se voir demander de tuer, de piller, d’abandonner tout ce en quoi elle croit et tout ce qu’elle est à l’acte qu’on lui ordonnera de commettre. Et en même temps… Ce n’est qu’une promesse. Une promesse qu’elle peut ne pas tenir. Et tant pis si pour arracher Josserand à une terre trop sinistre, si pour lui offrir dernière demeure plus paisible, elle se fait parjure.

Le projet finit de cheminer en elle quand, là, tout proche, l’un de ses hommes annonce qu’ils sont arrivés au niveau du corps. Doucement, avec prudence, le garde descend dans la tombe de fortune pour récupérer la dépouille. Refusant de regarder de ce côté, incapable de voir son frère sous cette forme quand de lui elle ne veut garder que l’image qu’il lui offrait, enfant encore, quand il jurait qu’ils s’en sortiraient, qu’il serait toujours là pour elle, Lucie hoche la tête. Geste infime, incertain, qui quoi qu'il en soit scelle en partie son destin.


- J’accepte.
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