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[RP] Familialement vôtre.

Niallan
« Mon amour, je nous ai perdus 

Je suis de ceux qui restent au port, 
Je sais qu’on devait rire encore, 

Je suis de ceux, mais tu es de celles, 
Qui restent plantées à Bruxelles »*


Mon port à moi était dans le sud, l'Endroit trouvé avec Diego. Et elle, c'était dans son manoir en Normandie qu'elle restait plantée. Mais comment lui en vouloir ? Je lui avais fait tant de mal qu'elle aurait pu rester plantée au fin fond du royaume d'Irlande ou dans le Bursa Sancagr que je n'aurais toujours pas eu mon mot à dire. Et pourtant, je sais que si je ne m'étais pas barré, on aurait pu être heureux encore quelques années. Maintenant, ça, fallait même plus que j'y compte. Si elle ne me foutait pas dehors juste après avoir vu ma tronche, elle me cracherait sans doute son mépris à la figure.
Je connaissais Ali, quand elle était fâchée contre moi elle me frappait avec tous les objets à sa portée. J'avais déjà été assommé avec un livre, de la nourriture, des ustensiles de cuisine et une chope. Mais ça avait son côté attendrissant et étant donné sa force de mollusque paraplégique, elle ne me faisait jamais vraiment mal. En revanche, je redoutais sa froideur. Comment je me sentirai si je lisais dans ses yeux des sentiments que je n'y ai encore jamais vu ? Du mépris, de la haine, de la rancœur, de la colère... Quoiqu'en fait le pire ce serait sûrement de ne rien y lire, comme si je n'existais pas.

Je l'aimais encore, de tout mon cœur. A ma façon, certes, mais je l'aimais. Je savais bien que de son côté les sentiments seraient sûrement morts mais il était hors de question que je ne fasse qu'envisager qu'il n'y est plus rien du tout. Je préférais qu'elle me haïsse plutôt que je lui sois indifférent. Je préférais qu'elle dise que je suis l'homme qui lui a brisé le cœur, le plus gros salopard que la terre ait jamais porté plutôt qu'elle renie jusqu'à mon existence.
C'est avec la peur au ventre que j'avance jusqu'au manoir. Je pourrai m'attarder sur l'esthétisme tout particulier des lieux mais la trombine, ma foi pas terrifiante, du gardien me fait face. Raclement de gorge.

Je suis Niallan. Niallan Ozéra. Je...je suis le père de Juliette et Héléna Lantwyck.

Le gardien me regarde longuement, mes yeux surtout. Si les petites ont hérité de moi, leurs yeux seront de cette couleur si particulière et peut-être même auront-elles une tache de naissance en forme de croissant de lune brune. Et puis le portail s'ouvre. Il me laisse entrer.
Déglutissant difficilement, je lui adresse un pâle sourire et entame ma progression jusqu'au manoir.

Il y a peu j'ai appris que j'étais père. Encore. Je ne me suis jamais douté qu'Ali aurait pu attendre un enfant, encore moins deux, de moi. Elle voulait attendre le mariage pour qu'on ait des enfants et nous n'avions pas encore convolé. Consommé, par contre... Je chasse les souvenirs de nuits passées d'un mouvement énergique de la tête et presse le pas, ignorant les diverses personnes que je peux croiser.
Les trois marches montées, la porte franchie, j'entre enfin dans le manoir pour faire face au tableau qui m'arrache un sourire. Mes filles ressemblent-elles aux deux jumelles représentées ou ont-elles hérité de ma blondeur ? Je fais quelques pas vers le tableau pour observer plus en détail Alicina petite et c'est là que je sens une présence dans mon dos. Frémissant je me tourne pour faire face à une domestique aux cheveux châtains, plutôt banale.

Bonjour. Pourriez-vous m'annoncer à votre maîtresse ? Annoncez Niallan.

Elle semble hésiter un moment, m'examinant des pieds à la tête. Elle ne me verra pas avec ma tenue de baroudeur pourtant extrêmement tendance. Non, elle me verra avec de sobres bottes aussi noires que mes braies et une chemise blanche, elle verra aussi, serré dans ma main, le foulard de pirate offert par ma gamine duquel je me suis départi pour la saluer.
Lorsqu'elle repart, je prends une grande inspiration et ferme les yeux. Quand je les rouvre, c'est pour les planter tout droit dans ceux de la petite Ali, en attendant de vérifier mes craintes dans ceux de la grande.


*Paroles Boulevard des airs - Bruxelles

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Alicina.
It's a little too late for you to come back
Say it's just a mistake
Think I'd forgive you like that
If you thought I would wait for you
You thought wrong

Beyoncé - If I were a boy


    J'avais pris des coups dans ma vie. Et plus souvent qu'à mon tour, d'ailleurs. On m'en avait donné quelques-uns, je m'en étais infligée d'autres à cause de mon incroyable maladresse. J'avais été enfermée dans une boîte, frappée au crâne et rendue amnésique, j'avais les genoux presque tout le temps écorchés et des bleus un peu partout. Il y avait aussi les coups au cœur. L'abandon de Niallan - ou plutôt les abandons - la mort de ma jumelle, la mort de ma jeune soeur Dally... Mais aucun ne m'avait tant marqué que ce coup-là.

    Je me trouvais dans la chambre des filles, assise en tailleur sur le tapis épais, en train d'apprendre à Luna à utiliser la peinture. Elle en avait plein les mains et riait aux éclats en regardant, sur la toile, l'empreinte de ses doigts. Je riais avec elle en trempant un index dans le pigment, dessinant les oreilles pointues d'un chat, ses moustaches, sa truffe, ses yeux d'or. Luna regardait mon œuvre en braillant des « Pantouf' ! Pantouf' ! » en référence à mon gros chat roux qui lorgnait la scène d'un air profondément supérieur. Les jumelles gazouillaient dans leur grand berceau, laissant échapper quelques éclats de rire, sans doute dus à l'hilarité et à la joie qui baignait la pièce. La porte s'ouvrit sans bruit, et les jupes de Marie entrèrent bientôt dans mon champ de vision. Je relevai le nez, souriant toujours. Elle avait l'air sinistre, peut-être même inquiète, à tendance apeurée.

    – Mademoiselle, il y a... Il y a quelqu'un pour vous, en bas.

    Je me relevai sans tarder, ma gaité s'évaporant lentement. Était-ce un messager venu m'informer d'un autre décès dans la famille ? Je n'étais pas encore de taille à supporter une autre mauvaise nouvelle. Je me reconstruisais tout juste. Je serrai les poings convulsivement, redoutant le pire.

    – Qui est-ce ?
    – Un... Un dénommé Niallan.

    Je n'en crus pas mes oreilles. La première chose que je ressentis fut une immense bouffée de joie, aussitôt suivie par la colère la plus redoutable. J'étais furieuse après lui mais plus encore après moi, d'avoir pu éprouver comme du soulagement à le savoir si près. Je restai parfaitement immobile, lorsque je compris enfin ce que cela signifiait. Il était là, dans ma maison, chez moi. Pourquoi ? Que voulait-il ? Je secouai la tête, incrédule. Je ne devais pas le recevoir. Je voulais le recevoir. Qu'allais-je faire ?

    – Bien ! fis-je brusquement en sortant de ma torpeur. Allez chercher ma robe, la plus belle que j'ai, la jaune. S'il s'imagine que je me suis laissée aller, il serait trop content. Je vais lui en mettre plein la vue.

    Marie s'avançait déjà vers la porte que je changeai d'avis.

    – Non ! Il pourrait croire que je m'habille exprès pour lui, pour lui plaire. Apportez-moi ma tenue de peintre, vous savez, celle qui est couverte de taches et qui ne ressemble plus à rien.

    Marie tournait la poignée, et une nouvelle fois, j'en décidai autrement.

    – Non ! Il pourrait croire que je suis complètement déprimée et dépressive et que je me néglige depuis qu'il est parti.

    Je lissai du plat de la main la robe que j'avais sur le dos. Simple mais élégante, couleur vert d'eau, resserrée à la taille par une ceinture en soie blanche, elle était finalement parfaite. Jolie sans ostentation, donnant un joli petit air campagnard, frais, naturel, de la jeune femme qui apprécie la vie.

    – Finalement, gardez les filles. Je descends. Tout de suite. J'y vais, là, maintenant. Vraiment.

    J'inspirai un grand coup en sortant de la chambre sur un dernier regard aux Trois Dragées - ainsi que je surnommais les filles. Marie était déjà auprès de Luna. Je n'avais pas à m'inquiéter pour elles.
    Tout le temps que dura la marche dans les couloirs, je sentis mon estomac faire des sauts périlleux. J'avais envie de vomir. Je dus sans cesse me forcer à avancer pour ne pas être tentée de faire demi-tour. J'arrivai enfin en haut des escaliers et mon regard se posa sur Niallan, après des mois d'absence, sans aucune nouvelle. J'eus envie de me saisir du chandelier qui ornait le mur et de le frapper avec jusqu'à ce qu'il me donne une bonne excuse. Mais c'était trop tard, pour les excuses. Beaucoup trop tard.
    Lentement, sans le lâcher des yeux, je descendis les marches. Il était habillé sobrement, il semblait en bonne santé. Il n'avait pas changé. Moi non plus, presque pas, si ce n'était un tour de poitrine un peu plus conséquent, dû à la grossesse.

    Je ne m'arrêtai qu'une fois aux pieds des escaliers, à quelques mètres de lui. J'avais envie qu'il me serre contre lui tout autant que le massacrer. Je devais me composer un air, et vite, avant qu'il ne se retourne. Je m'efforçai à avoir l'air neutre, et ça aurait pu marcher si mon regard ne m'avait pas trahi, comme toujours. On pouvait lire dans mes yeux bleus un mélange de colère, de tristesse indescriptible, d'étonnement, de curiosité... et de bien d'autres choses encore.

    – Niallan, dis-je sobrement.

    Je ne savais pas quoi dire d'autre. Je levai brièvement les yeux sur le tableau qu'il contemplait. Ce ne fut pas moi que je regardai, mais ma soeur. Qu'aurait-elle fait à ma place ?

    – Je ne pensais pas te revoir un jour.



Il est un peu trop tard pour espérer revenir
Tu dis que ce n'est qu'une petite erreur
Tu crois que je vais te pardonner comme ça
Si tu croyais que je t'attendrais
Tu t'es trompé

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Niallan
Oh Ali !*

Je ne me retourne pas quand j'entends ses pas dans l'escalier. Si c'est pour voir dans son regard ce que je redoute, autant me laisser encore quelques instants pour me remémorer un sourire que je ne reverrai sans doute jamais. Quand elle pose le pied au sol, je frissonne et lorsqu'elle prononce mon prénom, je tressaille. Eh merde, fini de rêver. Croisant les mains derrière mon dos, je prends une grande inspiration et me retourne pour lui faire face.

Bonj...

J'avais entamé la phrase avant de poser les yeux sur elle, prudent que je suis. J'aurais dû l'être plus encore puisqu'à peine je la vois que j'en perds ma langue. C'était pas compliqué pourtant, deux syllabes. Et je m'étais arrêté à la moitié de la seconde.
Finalement, j'aurais dû rester un peu plus dans ma planque. Réflexion faite, je n'aurais pas dû écouter cette bonne femme quand elle s'est mise à blablater en taverne sur une rouquine ayant engendré deux bâtardes. Pas plus que je n'aurais dû boucler mon baluchon aussitôt direction la Normandie. Mais je fais jamais rien de raisonnable. Présentement, j'en viens à haïr ce côté-là de mon caractère. Si j'arrêtais de foncer tête baissée, j'aurais pas eu à m'infliger ça. Et à elle non plus. Y'a qu'à voir comment elle me regarde.

Bonjour.

J'ai réussi. J'ai réussi à passer outre sa beauté et la multitude d'émotions, pour la plupart indéchiffrables, qui se lisent dans son regard.
Par contre, va falloir que je trouve un truc à répondre à sa dernière phrase. Mal à l'aise, je passe ma paluche dans mes cheveux blonds et esquisse un léger sourire, évitant soigneusement de la regarder trop longtemps dans les yeux. Allez, bordel trouve un truc, tu commences à avoir l'air con là. Je laisse échapper un petit rire gêné et fais mine de suivre son regard pour examiner le tableau. Mais y'a rien à faire, là non plus je trouve rien à dire. Parler de ce tableau qui doit sûrement lui rappeler une multitude d'autres abandons que le mien ? Non, mauvaise idée.
Trouver un truc à dire. N'importe quoi.

Jolie poitrine.

Non, c'est pas vrai. Dites-moi que je rêve. J'ai pas vraiment dit ça, si ? L'envie de me cogner sauvagement la tête contre un mur me traverse un instant l'esprit avant d'être remplacée par celle de partir en courant jusqu'à la prochaine falaise. Vec et Aphro doivent bien se foutre de ma gueule de là-haut. Mais quel abruti je fais. Pourquoi ne pas lui donner directement le balai pour me mettre à la porte ?
Les yeux toujours écarquillés par l'énormité que je viens de balancer, je tâche de réparer ma bourde.

Non mais, je veux dire par là que tu as du mérite pour avoir mené cette grossesse toute seule. Et, euh, disons que les petites doivent être bien avec toi, elles ont une jolie maison, une bonne éducation et une maman qui peut les nourrir comme il faut. Oh bordel mais ferme-la. Non mais attends n'y vois aucune pensée perverse ! C'est très bien, je veux dire que tu prennes soin d'elles et que tu continues à prendre soin de toi pour rester toujours aussi séduisante. Ta gueule, vraiment. Non mais je...Attends, laisse-moi une minute.

Je ferme les yeux et passe une nouvelle fois les mains dans mes cheveux. Mon rythme cardiaque ralentit tandis que je me repasse le discours que j'avais préparé. Et qui, soyez-en sûrs, ne commençait pas par vanter sa poitrine. Lorsque je redresse la tête pour la regarder, j'ai l'air du type qui vient d'affronter une armée de Vikings en colère et qui supplie qu'on l'achève.
Je déglutis et improvise une nouvelle tirade.

Excuse-moi, tu m'as troublé, ça me fait tout drôle de te revoir. Léger sourire en coin, ça commence mieux. Je suis venu pour... Pour rencontrer mes filles. Je sais que je t'ai fait du mal et que tu dois sûrement me détester maintenant mais si jamais tu acceptes que, parfois, je passe un peu de temps avec elles, je t'en serais éternellement reconnaissant. Je vais m'installer dans le sud, probablement à Narbonne alors rassure-toi, je ne serai pas là souvent mais s'il te plaît accepte. Si tu veux, tu n'es même pas obligée de leur dire que je suis leur père, tu peux simplement dire que je suis un membre éloigné de la famille. Et si jamais, ça non plus tu veux pas...

Je déglutis difficilement et plante mes prunelles dans les siennes.

S'il te plaît, laisse-moi juste les voir une seule fois. Rien qu'une fois.

J'ai besoin de voir leurs visages, rien qu'une fois. Je veux voir si elles me ressemblent, si elles ressemblent à Ali ou à Lexi... Je veux les voir. Et j'implore Ali du regard de me laisser cette opportunité ne serait-ce qu'une fois.
Aujourd'hui c'est vendredi et j'voudrai bien qu'on m'aime. *



*Alain Bashung - Gaby Oh Gaby avec une petite adaptation perso.

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Alicina.
Et la nuit tombée
Pour ne plus jamais pleurer
Je chasse deux-trois paires de bras
Pour m'y réfugier
Seulement le temps d'un baiser
Pour ne plus jamais me voir
Sans toi

Pomme - Sans toi


    J'avais cru qu'il ne se retournerait jamais. Mais lorsqu'enfin il le fit, je me demandai si finalement, il n'aurait pas mieux faire de rester dos tourné. C'était plus facile de parler à son dos, je n'avais pas ses yeux bleus en pleine figure. Je ne voyais pas les traits de son visage ni son sourire. Il fallait qu'il se retourne, qu'il regarde ailleurs. Mais il ne bougeait pas, incapable de finir son salut, et moi, toute aussi incapable de parler, je me contentais de l'observer avec attention, des fourmis plein les doigts alors que mes mains se souvenaient de s'être posées sur son visage des milliers de fois. Je passais sans arrêt de la joie la plus intense au désespoir le plus profond, en exploitant au passage la colère et le ressentiment le plus vif. J'étais sans l'impossibilité de fixer une émotion. Tout s'embrouillait.

    J'ouvrais la bouche pour répondre à son bonjour lorsqu'il enchaîna. Et quel enchaînement ! Si j'avais encore la bouche ouverte, c'était de stupéfaction. Jolie poitrine ? Il avait vraiment dit ça ? Après des mois passés sans nous voir, c'était tout ce qu'il trouvait, comme phrase d'introduction ? Si j'avais imaginé des excuses, des explications au moins, j'en étais pour mes frais. Je fronçai les sourcils en refermant la bouche. J'étais à deux doigts de lui administrer une gifle monumentale, mais il sembla prendre les devants et bredouilla une tirade pour le moins surprenante.
    Je le regardai, essayant de ne pas me vexer à chacune de ses paroles - ou plutôt essayant de me retenir de lui taper dessus en le jetant dehors - et plus il continuait, plus il s'enfonçait. Et le voir, là, patauger dans la soupe, me donna étrangement envie de rire. Je sentais l'hilarité monter depuis mon ventre jusqu'à ma gorge. Il était tellement pataud, tellement maladroit, tellement... Tellement lui-même. Tellement adorable.

    Ainsi donc, réalisai-je alors qu'il me demandait d'attendre - ce que je lui accordai d'un signe de tête - il savait pour les filles. Il était venu là pour elles. Le rire qui menaçait de franchir mes lèvres mourut lentement. Il n'était pas venu pour moi. C'eut été trop beau. Il avait raison lorsqu'il disait que je lui en voulais. Évidemment que je lui en voulais ! Il m'avait abandonné, encore une fois, et cette fois au pire moment de ma vie, à la mort de ma jumelle. C'était même un euphémisme de dire que je lui en voulais. J'avais lutté pendant des mois contre l'amour que j'avais pour lui, laissant la douleur s'exprimer, lui faisant endosser la responsabilité de la mort de Léna. J'avais lutté à m'en vider de toute mon énergie, tellement j'étais éprise de lui. Et j'avais réussi à me convaincre que je n'éprouvais plus rien pour lui. Mais le voilà qui surgissait et tous mes sentiments me revenaient en pleine figure. La colère, l'amour, la douleur, tout revenait. Il n'avait pas changé. Il était beau. Il était énervant.

    Il reprit son discours et je l'écoutai de toute mon âme, tentant de trouver au-delà des mots un sens caché, un sous-entendu, un signe peut-être, qu'il m'aimait, ou du moins, qu'il m'avait aimé autant que je l'avais aimé. Je regardai sa main se perdre dans ses cheveux et mes yeux se fixèrent sur une mèche blonde qui retombait en travers sur son front. Machinalement - je crois que mon corps n'en faisait qu'à sa tête - je m'avançai vers lui et levai une main tremblante. Je remis en place du bout des doigts la mèche rebelle, l'air indéchiffrable. J'avais envie de me blottir contre lui et de pleurer toutes les larmes de mon corps en même temps que je rêvais de lui taper sur la tête à coup de chandelier.
    Je me reculai, par prudence, de quelques pas. Ce n'était pas de lui que je me méfiai, mais de moi.

    – Tu n'étais pas là, Niallan.

    Je ne savais pas pourquoi, mais après m'être tue le temps qu'il parlait, j'avais soudainement le besoin urgent de lâcher tout ce que j'avais sur le cœur.

    – Tu n'étais pas là quand Léna est morte. Je te disais que je sentais que quelque chose n'allait pas, mais tu n'étais pas là quand on m'a dit qu'elle avait succombé à sa maladie. Tu n'étais pas là quand il a fallu l'enterrer. Tu n'étais pas là.

    Je coinçai les mains sous mes bras, parcourue d'un frisson. Je ne le lâchai pas des yeux.

    – Tu n'étais pas là quand j'ai appris que j'étais enceinte. Tu n'étais pas là pour voir mon ventre s'arrondir avec tes enfants à l'intérieur. Tu n'étais pas là quand j'ai eu l'idée affreuse de mourir en donnant la vie à ce bébé. Tu n'étais pas là pour entendre le premier cri de Juliette, puis celui d'Héléna. Tu n'étais pas là. Tu devais probablement être entre les jambes d'une fille facile. Ou à rire, à boire, à fumer, ou à Dieu sait quoi d'autres. Pendant que tu agrippais les hanches d'une femme dont tu as oublié jusqu'au visage maintenant, moi, je serrais tes filles contre moi en me demandant quelle histoire j'inventerai quand elles me demanderaient où est leur père. Tu m'as abandonné tellement de fois... Je secouai la tête en pinçant les lèvres quelques secondes. Je me souviens de tout, Niallan. De notre rencontre. Du jour où je t'ai dit que je t'aimais. De ton départ furtif, à la Teste-de-Buch et de ma course éperdue après toi. Et puis plus tard, quand tu as fait semblant d'être mort. Je me souviens de tout.

    J'inspirai profondément, puis expirai lentement. Ça faisait un bien fou, de le dire tout haut à la personne concernée. Ça libérait. Je me déchargeai de mon fardeau, enfin, après tous ces mois. J'avais l'impression de sortir de prison et de revoir le jour après des siècles d'emprisonnement. Et je me rendis compte, en posant de nouveau les yeux sur lui, que je lui avais pardonné. C'était très étrange. Je n'avais plus envie de lui fracasser le crâne. C'était heureux pour lui ! Si j'avais su que ce serait si simple, de se libérer ! Je n'avais même pas envie de pleurer. Je respirai un air nouveau, et d'une certaine façon, c'était grâce à lui. Cet homme, finalement, avait eu beau me briser le cœur à de multiples reprises, il trouvait toujours le moyen de m'offrir de grandes choses pour compenser. Les jumelles et ma liberté.

    – Il fallait que je te le dise.

    Répondant à une impulsion, je serrai sa main entre les miennes quelques secondes.

    – Je ne vais pas t'interdire de voir les filles. En revanche, Niallan... Je t'interdis de leur faire le moindre mal. Si tu dois disparaître pendant des semaines, voire des mois, tu as intérêt à trouver une jolie histoire à leur raconter avant. Et si tu es trop loin, tu vas devoir leur écrire pour le leur dire. Si tu n'es pas prêt à leur consacrer cinq minutes pour leur écrire ou leur parler avant de t'évaporer, tu peux faire demi-tour maintenant. Si tu penses pouvoir faire ça, alors... Suis-moi.

    J'étais étonnement affirmée, je m'en étonnais moi-même en gravissant les escaliers. Pour les filles, me rendis-je compte en m'arrêtant en haut des marches et en me tournant vers Niallan pour voir s'il m'avait suivi, j'aurais pu convaincre un fleuve de se détourner tout seul. Elles passaient avant tout. Et sans trop savoir pourquoi, je tendis la main à Niallan en lui souriant doucement.

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Niallan
Me jette pas.*

C'est ce que j'ai murmuré quand, juste après avoir failli me provoquer un arrêt cardiaque, elle s'est reculée.
Imaginez l’ascenseur émotionnel. La femme que je n'ai jamais cessé d'aimer, non contente de ne pas me foutre dehors à coups de balai, se montre si douce avec moi que j'en aurais chialé. Et juste après, elle se recule comme si j'allais la bouffer. Vrai que je la dévorais du regard, vrai que j'aurais tout donné pour me repaître d'elle comme avant mais jusqu'à preuve du contraire j'étais pas cannibale.
Et puis c'est là qu'elle m'achève. A vrai dire, j'aurais préféré me prendre autant de coups de couteau que j'avais eu d'amantes plutôt que d'entendre ne serait-ce que la moitié de tout ça. J'aurais préféré me taper un sprint jusqu'aux limites du Sahara plutôt que d'apprendre à quel point elle avait souffert. A quel point JE l'avais fait souffrir.

Et pourtant, c'est sans bouger -ou presque- que je prends tout dans la tronche.
A l'annonce de la mort de sa sœur, je me détache un instant de son regard pour regarder la petite Léna sur le tableau. Et puis je me force à replonger mes yeux dans les siens. J'ai pas le droit de me dérober, pas cette fois. Quand elle parle de sa grossesse, j'avance une main penaude vers son ventre désormais plat avant de la laisser retomber mollement. Ça j'ai plus le droit. C'est fini, terminé, je lui ai fait assez de mal comme ça. Quand elle parle de ses envies de suicide, je déchante. Je sers les poings, à la limite de m'en éclater les phalanges. Mais je ne bouge pas, je résiste à l'envie de cogner très fort dans un mur. Et surtout, je ne la lâche pas du regard. C'est ma pénitence. Quand elle parle de la naissance des jumelles, j'imagine l'espace d'un instant leurs petits corps fragiles que j'aurais pu tenir dans mes bras si j'avais été moins lâche. Quand elle relate très justement ce que moi, je faisais, je pince les lèvres et acquiesce doucement. Je lui dois au moins la vérité, cette vérité que je trouve triste à pleurer. Et puis, quand elle revient à notre passé commun et mes autres abandons, là encore, j'acquiesce. Moi aussi je m'en souvenais. Je me souvenais de toutes les saloperies que j'avais pu lui faire.
Quand, enfin, elle reprend son souffle, je relâche lentement la pression de mes poings. A la vérité, je ne dois qu'à mon entraînement de soûlard consistant à rester debout même complètement torché, de ne pas m'effondrer.

J'avais envie de lui dire qu'la vie est dégueulasse, que l'amour dure toujours et qu'c'est là qu'est parfois l'angoisse*. J'avais aussi envie de lui dire « N'existe pas sans moi. Me jette pas ou jette-toi avec moi. T'as raison les hommes sont des salauds, des pas beaux, c'est pour ça que j'préfère les nanas, j'les préfère un peu trop quelquefois.*». J'avais envie de lui dire « J'suis qu'un mec, fais avec mais fais pas comme moi mon amour, ou à peine pour t'venger*». Et puis surtout j'avais envie de lui dire « Mais me jette pas, moi non plus je m'aime pas. Me jette pas ou jette-toi avec moi * ».
Mais j'ai rien dit. Rien du tout. Parce que j'en avais assez fait, je l'avais assez fait souffrir. Et, en ce moment-même j'étais en train de me faire la promesse que plus jamais elle ne souffrirait par ma faute. Plus jamais je ne l'abandonnerai, plus jamais je ne lui briserai le cœur. Et pour ça, son cœur, il fallait que je m'en tienne loin. Très loin. J'avais parfaitement conscience que ça me rongerait de ne plus jamais lui dire que je l'aime, de ne plus jamais l'éteindre. Mais je devais me faire à cette idée. Tout comme je devrais supporter, un jour futur, de voir un autre homme l'aimer mieux que je n'avais su le faire. Je le lui devais. Parce que j'étais peut-être un salaud mais j'étais pas mauvais. Je voulais juste qu'elle soit heureuse et si elle ne pouvait l'être que sans moi alors elle le serait sans moi. Et moi, je fermerai ma gueule et je regarderai l'amour de ma vie vivre sans moi. Je la laisserai me jeter et exister sans moi.

Lorsque qu'elle serre ma main dans les siennes, j'adresse un geste obscène à celui de là-haut. Parce que là, franchement, si c'est pas du vice, je dois avoir mal compris la définition du mot. Pile au moment où je me fais la promesse de la laisser exister sans moi, elle me rappelle que moi, je peux pas exister sans elle. J'irai même jusqu'à dire que c'est de la torture, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai du mal à me reprendre et à lui répondre.

Ne t'en fais, je ne leur ferai pas de mal. J'ai inventé le Royaume des Blonds, pour Percy. Ce sont des jolies histoires pour quand...quand je disparais.

Lui adressant un pâle sourire, je secoue la tête quand elle me tend la main et attrape la rambarde de l'escalier à la place. Si je ne commence pas le sevrage aujourd'hui, je ne le commencerai jamais. J'ai tellement mal que j'ai l'impression qu'on m'a arraché le cœur pour qu'un pachyderme saute gaiement dessus. D'ailleurs, la faute au poids de ce pachyderme, une larme silencieuse roule sur ma joue droite alors que je commence à monter les marches.
Et puis, parce que je suis pas encore maso, je me dis que le sevrage peut attendre. Juste un jour. Alors, sans la regarder, j'attrape sa main et la serre fort dans la mienne.


*Renaud - Me jette pas

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Bannière réalisée par les grands soins de JD Calyce.
Alicina.
Dans ma vie, chantent deux oiseaux
L'un chante juste et l'autre faux
Ce sont des damoiselles
Ce sont des dames oiseaux
Elles ont toutes deux des ailes
Elles sont affreusement belles

Calogero - Tu n'as qu'à m'attraper *


    Dès que je sentis sa paume contre la mienne, je sus que je ne guérirai jamais de mon amour pour lui. Jamais je ne pourrai déclarer un jour « je n'aime plus Niallan. » C'était impossible, parce que je l'avais dans chaque fibre de mon être, cet homme.
    Comme autrefois, je mêlai mes doigts aux siens et fis en sorte de marcher si près de lui que mon épaule heurtait le haut de son bras sans arrêt. J'aurais voulu lui hurler que je lui avais pardonné, que c'était ridicule, qu'il n'y était pour rien, qu'en un mois j'aurais eu largement le temps d'aller voir Léna, que j'avais préféré l'accuser lui plutôt que de remettre mes actes en question parce que c'était trop dur d'être coupable de la mort de ma jumelle. J'aurais voulu lui dire, mais je n'y arrivai pas. Lorsque l'émotion de le sentir si près se serait un peu diluée, je trouverai probablement le courage. Je devais être honnête, aussi bien avec lui qu'avec moi. C'était une question de survie.

    Je l'entraînai le long du couloir. Sur les murs étaient suspendus quelques peintures. Une vue de la mer depuis une falaise, la forêt jouxtant le manoir, le bord de la Garonne, lorsque j'étais à Bordeaux, des montagnes... Les couleurs étaient vives, gaies. Ici, dans cette partie de la demeure, je tenais à ce que tout respire la joie de vivre, puisque les filles l'emprunteraient souvent lorsqu'elles seraient plus grandes. Et je devais faire de la vie de mes enfants un havre de bonheur et de cette maison, un port vers lequel elles pourraient toujours retourner lorsqu'elles auraient le vague à l'âme.
    Je m'arrêtai devant une porte qui ne semblait pas très différente des autres, hormis que sur le bois clair, j'avais peint un délicat bouquet de fleurs autour duquel voletaient une abeille, un bourdon, une petite mésange et une hirondelle. J'inspirai profondément, sachant déjà que ce qui se cachait derrière cette porte changerait à jamais Niallan, tout comme ça m'avait changé, moi.

    – Je... Elles sont ici. Là. Derrière. Tu es prêt ?

    Je ne lâchai pas sa main tout de suite, prenant le temps de la broyer entre mes doigts, puis d'un air décidé, je tournai la poignée et ouvris la porte en grand. Marie poussa un petit cri de surprise en se redressant vivement. Luna éclata de rire en jetant en l'air sa poupée, et les jumelles gazouillèrent de plus belle. Elles étaient allongées par terre sur le tapis et relevaient le nez vers nous, leur grand sourire édenté nous accueillant merveilleusement. Leurs cheveux roux étaient en désordre, leur ruban était de travers, leurs grands yeux bleus comme ceux de leur père nous fixaient, et Juliette tapait le sol de son petit poing comme si elle applaudissait.

    – Les voilà ! Celle qui porte une robe jaune, c'est Juliette. La robe verte, c'est Héléna. La plus grande en rose c'est Luna bien sûr. Et ici c'est leur...

    Je ne pus terminer ma phrase autrement que dans un grand cri suraigu. Je m'étais avancée gaiment en bondissant comme un chien fou, et n'avais pas remarqué l'une des figurines en bois que je collectionnais autrefois et que j'avais donné à Luna. Mon pied glissa sur ce qui s'avéra être un cheval, et je m'étalai par terre dans un boucan de fin du monde, assorti à un glapissement de douleur et les éclats de rire de trois fillettes.
    Je me massai les côtes en me redressant, préférant finalement rester tranquillement assise sur le séant. J'étais bonne pour un énorme bleu, encore. Je levai des yeux rendus humides par la douleur vers un Niallan qui devait commencer à être habitué.

    – Ce n'est rien. Tout va bien. Pardon. C'est leur chambre, disais-je. Pour l'instant elles y dorment toutes les trois, mais c'est temporaire. On aménage à côté la chambre des jumelles.

    J'en attrapai une sous les bras et me relevai tant bien que mal. Luna pouffait toujours, son minois tacheté de grains de son en partie caché par sa poupée. Je tendis Juliette à son père. La fillette, vêtue de sa robe d'un jaune soleil éclatant, gesticulait des jambes en gazouillant. Une fois qu'il eut sa fille dans les bras, je me saisis de l'autre et la calai bien contre moi. Elle avait l'air tout aussi gaie que sa soeur.
    Je voulus m'asseoir sur le lit, pour plus de prudence, mais me relevai d'un bond. J'avais failli écraser Pantoufle, qui n'avait pas apprécié l'approche audacieuse de mon postérieur.

    – Tu te souviens de mon chat ? Il est très protecteur.

    Je pris place à côté du seigneur à fourrure, et tapotai l'espace à côté de moi, pour inciter Niallan à venir s'y installer.

    – Et voilà. Ce sont nos filles. Comment les trouves-tu ?

    Je lui souris tout en installant Héléna contre moi, la tenant bien serré dans mes bras. J'étais sûre qu'il ne pouvait que les trouver merveilleuses. Elles l'étaient, après tout.


* Je n'ai malheureusement pas réussi à trouver de version audio correcte, mais j'en conseille l'écoute sur Deezer !

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Niallan
« Il rêvait d'une ville étrangère 
Une ville de filles et de jeux 
Il voulait vivre d'autres manières 
Dans un autre milieu 
Il rêvait sur son chemin de pierres 
"Je partirai demain, si je veux 
J'ai la force qu'il faut pour le faire 
Et j'irai trouver mieux" 
Il voulait trouver mieux »*


Celui qui voulait trouver mieux, c'était moi. Et puis j'ai vu mes gamines et j'ai compris.

Il y avait d'abord eu la marche interminable dans le couloir. Mettons-nous d'accord, Ali avait su rendre le fameux couloir tout ce qu'il y a de plus chaleureux. D'ailleurs, m'est avis que si ma progéniture ne m'attendait pas derrière une porte de ce couloir, j'aurais pris le temps d'admirer les goûts artistiques de la rousse. Je me serais imaginé vivre avec elle dans cet endroit, je me serais demandé si j'aurais pu être heureux. Et puis je me serais dit que oui, j'aurais pu. Alors très honnêtement, valait mieux pour ma santé mentale et mes rapports avec le Tout-Puissant que je ne me sois pas attardé.

Ensuite, il y avait eu la porte et la question d'Ali. Si j'étais prêt ? Est-on jamais prêt à devenir père ? J'avais envie de lui dire que je flippais comme un dératé, que j'avais peur de mal faire, peur qu'elles ne m'aiment pas. Mais j'avais beau eu me racler la gorge moult fois, aucun son n'était sorti. Remarquez, ça m'a peut-être évité de complimenter de manière outrageusement inappropriée une autre partie de son anatomie.
Vu que l'usage de la parole m'était momentanément impossible, je me suis contenté d'acquiescer. Et puis elle a ouvert.

Et là, là ça a été un truc de dingue. Bien évidemment, ne m'étant jamais pris un train en pleine tronche, je ne pourrai pas tenter cette comparaison aussi maladroite qu'anachronique. Alors comment vous faire comprendre quel effet cette rencontre a eu sur moi ? Je pourrai peut-être commencer par vous dire que je me suis maladroitement laissé glisser vers le sol, à genoux. Je venais d'être vaincu. Par deux minuscules petites choses. Je pourrai ensuite vous dire que je ne les ai pas quittées une seule fois du regard, pas même pour regarder leur mère faire une démonstration de son adresse légendaire. Je poursuivrai en vous racontant comment j'ai gauchement ouvert les bras en leur adressant le plus tendre sourire qui soit. Ensuite, je vous dirai que j'ai réussi à zapper Pantoufle et Ali lorsqu'elles ont daigné poser leurs mirettes sur moi. Plus tard, un gus au prénom de sanglier parlera dans l'une de ses chansons d'une nana ayant des yeux revolvers. Le décalage d'époque ne serait pas aussi important que j'aurais parié trois soirées à me farcir ma sœur -le comble du supplice- qu'il parlait de mes gamines. Elles m'ont touché une fois et je suis foutu. Foutu, vous dis-je.

Et puis quand Ali me tend carrément le Graal, je manque de défaillir. Elle est folle, complètement inconsciente. Je manque de protester, de lui rappeler que je n'ai JAMAIS porté de bébé. Tout simplement parce que je n'ai jamais eu de bébé. C'est vrai quoi, mes gosses j'ai toujours commencé à les connaître quand ils avaient passé le cap de la fragilité terrifiante. J'avais pas eu le choix mais au final je m'estimais heureux de jamais m'être inquiété de bien les tenir ou de ne pas les abîmer. Parce que vous pouvez dire tout ce que vous voulez, ça a l'air super fragile ces bestioles-là. Aussi, c'est tout pataud que je me saisis de ma fille pour la caler contre moi. Lorsqu'elle est tout contre moi, je glisse mon doigt dans sa minuscule main et je peux vous dire que le sourire que je tire présentement a tout de l'espèce très peu recherchée des nigausaures. C'est d'ailleurs le même sourire que je décoche à Ali avant de répondre à sa question.

Elles sont...oh, Ali, elles sont magnifiques. Tu sais, j'arrive pas à y croire. J'arrive pas à croire que c'est toi et moi, nous deux qui avons fait ça. Je veux dire, on a réussi un espèce de...de miracle, Ali ! T'imaginais, toi, qu'on réussirait ? Putain ! Euh, punaise, je veux dire. On a fait des merveilles Ali, deux petites merveilles rousses. Les nôtres. Oh, Ali, si tu savais à quel point j'ai envie d'être leur Papa.

Alors j'ai compris quoi ? J'ai compris que mieux, je venais de trouver.
Pas besoin de faire tout l'amour de la terre pour comprendre que le seul que j'éprouverai toute ma vie c'est celui que je ressens pour mes mômes. Et ça, pas besoin de le demander à Dieu ou à qui que ce soit. Je savais.



*Francis Cabrel - Les murs de poussière

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Alicina.
Je suppose que même une ébauche, une ombre, un bout de papa, c'est encore un papa.
Julian Schnabel - Le Scaphandre et le Papillon



    – Je sais. Elles sont merveilleuses. Je l'ai vu dès qu'elles sont nées.

    Je ne savais pas pourquoi, mais je pensais au tableau, dans l'entrée. Mon père, avec son air si sérieux, si froid et si distant, la main posée sur l'épaule de sa femme au regard si doux. Léna et moi, qui entourions notre mère, sages et pourtant, pleines de vie. Je sus avec une certitude absolue que jamais il n'y aurait de tableau qui me représenterait assise sur un fauteuil, avec mes filles autour de moi et la main d'un Niallan sérieux ou joyeux posée sur moi. C'était certain, aussi certain qu'après l'Automne venait l'Hiver. Je le regardais alors qu'il m'avouait vouloir être un père, même mieux, un Papa. Mais il n'y aurait pas de tableau. Il n'y aurait pas de main sur mon épaule. Et ça me fit mal sans pour autant que ça m'étonne vraiment. Je l'avais toujours su, au fond de moi. Et si un tel tableau devait exister, ce serait un autre homme qui se tiendrait derrière moi. De ça aussi, j'étais convaincue.

    Je le savais parce qu'il n'avait pas été là. Parce qu'il tenait ses filles contre lui pour la première fois alors qu'il aurait dû assister à leur naissance. Parce que j'avais vu dans son regard la distance qu'il y aurait désormais entre nous. Parce que j'avais pardonné mais, à moins d'un coup sur le crâne, je n'oublierai jamais.
    Je ne le quittais pas des yeux, tâchant de ravaler les larmes qui menaçaient de rouler sur mes joues. Les mains un peu tremblantes, je me levai sans lâcher Héléna, et la déposai tout en douceur dans son couffin. Je la recouvrai jusque sous le menton d'une jolie couverture verte, et vins chercher Juliette, la soulevant adroitement, sans regarder Niallan. J'installai l'autre jumelle dans le même couffin, l'enveloppant quant à elle dans une couverture jaune. Puis je revins vers le jeune homme, toute droite, raide comme la justice.

    – Je te propose d'aller continuer cette conversation à côté.

    Je l'incitai à se lever et quittai moi-même la pièce en lui tenant la porte. Une fois dans le couloir, je m'adossai au mur, pour reprendre mes esprits.

    – Qu'est-ce que tu comptes faire, Niallan, pour être leur père ? demandai-je abruptement dès que la porte fut close. Un père, ça peut se permettre de n'être là que de temps en temps. Un Papa, c'est là quotidiennement. Alors que comptes-tu faire ? Et quel rôle peux-tu jouer ?

    J'avais dit « peux » et pas « veux ». Niallan voulait beaucoup de choses, mais n'en pouvait que peu. Je ne le savais que trop bien.

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Niallan
[J'aimerais tant te promettre la lune *]

J'étais tellement captivé par la merveille rousse s'agitant dans mes bras que je n'avais même pas remarqué que la réponse d'Ali était pour le moins courte par rapport à ce que, moi, j'avais dit. Tout comme je n'avais pas remarqué ses tremblements, pas plus qu'elle était à deux doigts de pleurer. En revanche, ce que j'avais bien remarqué c'est qu'elle allait reprendre la petite. Alors, je l'avais embrassée sur le front et avais laissé celle qui l'avait mise au monde me la reprendre. J'avais rien dit. Et pourtant, j'en aurais eu des choses à lui dire. Si j'avais été honnête, j'aurais sans doute commencé par « Comme je t'imagine, en jupe (ou en jean) te jetant dans mes bras se dessinent au loin les nuits qui n'en finissent pas ». Parce que, oui, en regardant ma fille, je m'étais demandé un peu malgré moi quand est-ce qu'elle avait été conçue. Alors que l'amour de ma vie cogitait sur un tableau, j'avais repensé à toutes ces nuits où nous avions tutoyé les étoiles. Et parmi ces nuits, il y en avait une où on s'était tellement aimés qu'on les avait créées. Nos filles.

C'est en retenant une grimace que je me lève pour suivre Ali. J'y serai bien resté, moi, dans cette piaule. Je suis même prêt à parier que j'aurais pu regarder mes gamines jusqu'à m'en dessécher les yeux. Mais j'essaye même pas de négocier quelques minutes de plus, tout simplement parce que je ne suis pas en position de le faire. Elle ne m'a pas chassé à coups de balai, m'a laissé monté les escaliers et m'a offert des instants auxquels je pourrai repenser toute ma vie avec le sourire. Alors je la suis dans le couloir et la laisse refermer la porte, non sans avoir posé un dernier regard tendre sur mes mômes. Et puis je me prends un nouveau train anachronique dans la trombine.

Je...

Pour commencer, je m'appuie sur le mur opposé à celui d'Ali. Ensuite, je ferme les yeux. Qu'est-ce que je veux faire pour mes filles ? Ou plutôt, qu'est-ce que je peux faire ? J'ai bien capté la différence et ne peux pas lui en vouloir d'avoir choisi la nuance la plus blessante. Mais la plus vraie, aussi. Elle a raison, je ne peux pas lui promettre la lune parce que celle-ci est déjà prise. Et sûrement qu'une fois sur la lune, j'aurais trouvé un nouveau moyen de disparaître et de la blesser.
Je veux venir m'installer avec vous ici. Mais je peux pas, parce que j'ai fait une promesse à Kachi.
Je veux ne plus jamais te quitter une fois que j'aurai tenu cette promesse. Mais je peux pas, parce qu'un jour je ressentirai une irrépressible envie de retourner dans l'Endroit.
Je veux être là dans la mesure de mes capacités. Ça, je peux. Et ça se traduit par des yeux qui se rouvrent pour se noyer dans les siens et une tirade hésitante :

Je vais aller m'installer dans le sud et je pense que vous quatre pourrez y être heureuses. Même si la demeure que tu leur as offert est tout simplement parfaite. Je ne sais pas...il y aurait toujours la mer. Et le soleil ne serait absent que rarement. Vous pourriez sentir l'air marin sur vos joues, tous les jours. Juliette et Héléna joueraient dans le sable et toi, tu arriverais en courant et en criant, horrifiée, en voyant un machin vert arriver droit sur nos merveilles. Avant d'éclater de rire en te rendant compte que le monstre n'est autre que Pantoufle qui se serait emmêlé dans des algues. Moi, je pourrais m'installer dans la même ville que vous, pour pouvoir être un vrai Papa. Mais si tu ne le souhaitais pas, je pourrais m'installer dans la ville voisine de la vôtre à la place, je viendrais très souvent, pour ne pas manquer une miette de leurs avancées qui promettent d'être spectaculaires.
Si jamais tu souhaitais rester au manoir, je viendrais, peut-être moins souvent mais quand je viendrais, je passerais de longues semaines avec vous. Pour les voir grandir et nous ressembler dans nos meilleurs côtés.


Je ravale difficilement ma salive pour terminer par une question, d'une voix encore plus hésitante :

Qu'est-ce que t'en penses ?


*Debout sur le zinc - Te promettre la lune

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Alicina.
At first I was afraid, I was petrified
Kept thinkin' I could never live without you by my side
But then I spent so many nights thinkin' how you did me wrong
And I grew strong and I learned how to get along

Gloria Gaynor - I will survive


    Je l'écoutais en silence, tâchant d'imaginer le tableau qu'il me peignait. Étais-je assez forte pour vivre à côté de lui sans être avec lui ? Je le verrai régulièrement en taverne, au bras d'une autre probablement. Et puis d'une autre, et d'une autre encore. Il était comme ça, c'était sa manière d'être vivant. Il ne savait que s'endetter, il ne savait qu'utiliser ses reins pour gagner de l'argent. Il n'avait jamais compris que le véritable trésor d'un homme ne se trouve pas au creux de ses braies mais dans la paume de ses mains. Niallan ne fabriquait rien, sinon des enfants qu'il finissait par abandonner malgré son désir d'être présent. Si j'avais du le comparer à un élément, j'aurais choisi l'Air. Il causait les dégâts d'une tempête et sa parole n'était que du vent.

    Dans le Sud, il n'y avait pas que lui, après tout. Il y avait Hélona et Pépin, il y avait les cigales et les oliviers. Si j'optai pour une ville du littoral, ce n'était pas pour lui, mais pour le reste. Je ne voulais plus l'aimer, c'était trop douloureux. Pourtant à le voir là, si proche, j'éprouvais le désir presque violent de me jeter dans ses bras et de l'embrasser encore et encore. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi, pour que je sois incapable d'arrêter complètement de l'aimer ? J'avais éprouvé tant de rage envers lui, tant de colère, parfois même de la haine. Et il suffisait qu'il paraisse pour que tout s'envole ? Vraiment ? N'était-ce pas pour lui que j'avais attendu tant de temps à Bordeaux quand j'aurais dû courir vers Bourges pour sauver ma jumelle ? Avais-je déjà oublié tout cela ? Cette douleur, ce manque qui ne se comblerait jamais, ce trou béant dans ma poitrine ? Une place en forme de Léna, une place à jamais vide.

    Sans un mot, je franchis la distance qui nous séparait et lui pris la main, la serrant de force entre mes doigts. Sans plus attendre, je l'entraînai à ma suite, en silence, l'air buté. Je parcourus le chemin inverse, regagnant les escaliers, m'agrippant à la rampe pour ne pas tomber, parvenant à l'entrée. D'une brusque poussée, j'ouvris la porte de chêne qui menait aux jardins. Une pluie fine, du crachin en vérité, s'abattait régulièrement et tristement sur les derniers vestiges de la neige qui avait tapissé le sol, durant tout l'Hiver. Le ciel était gris, l'ambiance extérieure peu joyeuse, et ça tombait bien, ça s'harmonisait à la perfection avec ce que j'avais en tête.
    Je passai sans m'arrêter devant les jardiniers qui faisaient Dieu sait quoi. Je tirai toujours Niallan derrière moi, mes chevilles se tordant à chaque pierre sur laquelle j'avais le malheur de marcher. Je n'étais pas très couverte et l'humidité me faisait frissonner de froid. Enfin, je m'arrêtai net. Devant la tombe d'Héléna.

    La pierre tombale était blanche, les lettres habilement ciselées formaient son nom et ses dates de naissance et de mort. Une phrase était censée résumer sa vie. « Aimée de sa soeur Alicina, femme et mère courageuse. » C'était brutal, la mort. Elle ne laissait rien derrière elle, sinon une date. C'était tout ce qui finissait par rester de nous. Deux dates, un nom, et une phrase creuse, le tout condensé sur une pierre tombale. Comme si un nom pouvait résumer qui était Léna, comme si je m'étais contentée de l'aimer comme n'importe qui, comme si elle avait été une mère courageuse, elle qui pensait que Luna était un fardeau, un souvenir encombrant d'un amour fané et déchiré sauvagement. Comme si depuis le départ, elle avait su qu'elle aurait dix-neuf ans à vivre, pas un jour de plus. Comme si elle n'allait laisser que cette pierre stupide derrière elle !

    La main tremblante, je regardai Niallan, toute gaité ayant disparu, ne laissant que la colère et l'angoisse.

    – Je me bats contre ça tous les jours ! Je me bats pour oublier la tombe blanche ! Tous les jours que Dieu fait, Niallan ! Tous les jours !


    Pourquoi étais-je en train de lui dire ça ? Je ne réfléchissais plus, tout sortait d'un coup.

    – Tu me dépeins une vie idyllique sous le Soleil du Sud ? Tu essayes de me promettre quelque chose ? Je ne vais pas me battre contre toi, Niallan Ozéra, parce que je me bats déjà contre ça, et ça nécessite toute mon énergie. Je dois quitter le manoir, pour un temps, parce que j'ai des armes à affuter contre ça, et parce que j'y ai des amis. Alors je vais être claire, Niallan, et si tu n'arrives pas me comprendre moi, je n'hésiterai pas à puiser dans la colère que ce spectacle me fait éprouver pour te faire souffrir comme je te promets que personne au monde n'a jamais réussi à te faire souffrir.

    Je fis un pas vers lui, menaçante et en même temps, si fragile qu'un souffle d'air trop vif aurait pu me faire voler en éclats.

    – Jamais je n'accepterai d'ajouter une tombe blanche avec le nom de l'une de mes filles inscrit dessus parce que tu l'aurais brisé comme tu as bien failli me briser, moi. Je le jure sur la tombe de ma soeur, en ce jour, et devant toi. Si tu ne tiens pas ta promesse, si tu ne viens pas les voir régulièrement, si tu disparais sans prévenir, si tu leur mens en inventant des contes de bonnes femmes, je te jure, Niallan, que la prochaine personne que j'enterrerai ce sera toi, au fond de la mare, parce que je t'y aurai noyé moi-même. Est-ce que tu as compris ? Est-ce que je suis suffisamment claire ?

    Je m'approchai encore, si près que nos souffles se mêlaient. Si près que mon nez effleurait le sien. Si près qu'il pouvait voir chaque larme accrochée à mes cils.

    – Et je demande un baiser. Le baiser que tu aurais du me faire avant de disparaître. Je demande mon baiser d'adieu. Le même que le jour où tu es parti à la chasse au dragon.



Au début j'avais peur, j'étais pétrifiée
En pensant sans arrêt que je ne pourrais jamais vivre sans toi près de moi
Mais depuis j'ai passé tant de nuits à penser à comment tu m'avais fait du mal
Et je me suis endurcie et j'ai appris comment me débrouiller

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Niallan
[Si toutefois nous recommencions
Toute notre histoire depuis le début
J'essaierais de changer
Les choses qui ont tué notre amour
Oui, j'ai heurté ta fierté, et je sais
Ce que tu as enduré
Tu devrais me donner une chance
Ça ne peut pas être la fin
Je t'aime encore*]


Elle ne répond pas et ça, ça m'inquiète. Je me demande si elle va hurler, ou me frapper, ou les deux en même temps. J'aurais trouvé ces réactions tout ce qu'il y a de plus normal. Aussi, quand elle chope ma main avec une force que je ne lui connaissais pas, je fronce les sourcils. Si elle avait voulu me jeter dehors, elle l'aurait fait autrement, non ? Quand on veut mettre quelqu'un à la porte, on ne le prend pas par la main pour l'y conduire. Et pourtant, avec sa force de mollusque elle m'entraîne vers la sortie. Je pourrai essayer de protester, lui dire que je veux au moins pouvoir dire au revoir à mes filles. Mais je n'en fais rien. Je me contente de la suivre, totalement paumé.
Je ne remarque pas les jardiniers, pas plus que la météo pourrie. Ce que je remarque c'est que cette maladresse que j'ai tant aimé n'a pas disparu. Et, alors qu'il y a moins d'un an, c'était moi qui l'aidais à se relever, aujourd'hui je peux juste la regarder s'abîmer les pieds sur les pierres sans rien dire.
Il y a autre chose que je remarque, c'est la tombe. J'étais déjà bien paumé mais alors là, on atteint les sommets. Surtout que je prends conscience que ce n'est pas juste une étape de notre chemin mais la fin, que c'est là qu'elle voulait m'emmener. Front plissé, je la regarde et j'attends.

Et je prends cher, très très cher. Tout le mal que je lui ai fait me revient en pleine tronche. Je me souviens de la mort de ma gamine qui avait entraîné un départ précipité après le bal masqué qu'elle avait organisé. Je me souviens de ses lettres, quand elle me cherchait. Je me souviens de ne lui avoir jamais répondu. On s'était retrouvés. Ça avait marché, un temps. Et puis je m'étais fait distant, elle avait retrouvé un certain Septembre et je l'avais laissée partir. Ensuite, je l'avais crue morte et ce jour-là, ce putain de jour où je m'étais rendu sur sa tombe, j'étais mort une première fois. Je me souviens d'avoir causé avec son esprit -ou son âme ou toute autre terme qui serait moins tordu- et même là, je m'étais comporté comme un con. J'ai déjà du mal à respirer mais il faut encore que je me souvienne de nos retrouvailles, de mon départ pour la chasse au dragon. Et de mon dernier abandon. J'ai tellement merdé que ça me donne envie de chialer. Je l'ai perdue, elle, l'amour de ma vie. Alors oui, j'ai compris que je suis le dernier des cons, j'ai compris qu'elle s'ajoute à la longue liste de personnes qui veulent ma mort. Et j'ai compris que je l'aime encore, que je l'aimerai toujours et que je préférerai crever plutôt que de la faire souffrir à nouveau. Je déglutis difficilement et acquiesce lentement, sans préciser que j'irai moi-même me noyer au fond de cette mare s'il venait à y avoir une tombe portant le nom d'une des rousses.

Après, c'est le retour du train anachronique dans la trombine. Vous en connaissez beaucoup, vous, des nanas qui après vous avoir menacé de mort vous demande un baiser d'adieu ? Parce que de mon côté, j'ai beau avoir connu un bon paquet de donzelle, c'est la première fois qu'on me fait ce coup-là. Le cœur battant à tout rompre, j'approche une main de sa joue et essuie de mon pouce la larme qui s'est décrochée de ses cils. Je n'ai que peu de temps pour cogiter et n'en ai même pas envie. Ça fait tellement mal, tellement tellement mal. Heureusement qu'elle n'exige pas une réponse parce que je serai incapable de lui en donner une. J'ai la gorge serrée. J'ai pas envie de l'embrasser parce que j'ai pas envie que ce baiser soit le dernier, j'ai pas envie de l'embrasser parce que je pourrai jamais oublier. Alors comment expliquer que ma main libre vient s'apposer dans le bas de son dos ? Comment expliquer que la main qui se trouvait sur sa joue vient s'agripper dans ses cheveux roux ? Vous pourriez pas comprendre. Il y a ce truc indéfinissable qui me pousse inexorablement vers elle. Quelles que soient les conséquences de ce baiser, ça me briserait de ne pas lui donner. C'est comme un besoin viscéral, j'ai toujours cette envie d'elle. Ce désir et cet amour qui ne me quitteront jamais.

Je ferme les yeux et je l'embrasse. Pas ce baiser que les couples se font le matin, pas celui que se font deux tourtereaux après s'être dit oui, pas celui que se font deux amants passionnés avant -ou pendant- la consommation. Non, je l'embrasse comme un damné. Comme si j'allais crever, là, maintenant, tout de suite, dans ce jardin. Je l'embrasse comme si le monde pouvait disparaître la seconde suivante suivante. Je frôle l'arrêt cardiaque. Peut-être que je la serre trop fort contre moi, peut-être que mes mains sont trop fermement agrippées, peut-être que ma bouche est trop avide. J'en sais rien, je n'en ai même pas conscience. Je ne pense à rien. Je sens juste ce puissant feu dont les braises ne s'éteindront jamais me dévorer. Si j'avais pu, je l'aurais laissé me consumer mais le corps humain est ainsi fait qu'à un moment il me faut respirer.

Mes lèvres abandonnent les siennes mais mon front, lui, reste collé au sien et mes mains ne quittent pas leurs emplacements respectifs. Je reprends mon souffle. Et puis je chiale. Ouais, je sais, c'est moche, ça pleure pas un mec. Et pourtant, j'avais pleuré à la mort de ma fille et aujourd'hui je pleure parce que je viens de la perdre, je viens de lui dire adieu. J'ai tué notre amour et j'arrive pas à encaisser que c'est la fin. J'essaye de retenir les larmes, je vous jure que j'essaye. Je serre les dents, j'essaye même de repenser à des souvenirs heureux. Mais y'a rien qui marche. Alors j'abandonne l'idée de retrouver ma fierté et je noie mes yeux dans les siens, laissant les larmes rouler sur mes joues.

Je suis tellement, tellement désolé. Pour tout ça, pour tout ce que je t'ai fait. J'ai tout gâché, j'ai tout foutu en l'air. Et je te demande pas de me pardonner parce que je le mérite pas. Je veux juste que tu saches que je vais tout faire, absolument tout faire pour que tu sois heureuse maintenant. Je vais me tenir loin de toi, loin de ton cœur. Je me contenterai d'être un père et un ami si tu me laisses cette chance-là. Je te regarderai aimer un autre, vieillir avec lui, je te promets que je fermerai ma gueule. Je peux pas réparer tout ça...je sais. Mais je sais aussi que je suis plus doué comme ami que comme mari, je sais que je pourrai être là pour vous quatre.

Je m'écarte légèrement d'elle, essuyant rageusement des larmes rebelles avec les manches de ma chemise. J'essaye de sourire en la regardant. Sans succès. Un bon paquet d'émotions se bousculent dans ma tête mais, allez savoir pourquoi, la joie n'en fait pas partie. Je secoue la tête, avisant les bouts de manches trempées.

C'est pas croyable ça, même pour notre baiser d'adieu j'arrive à être minable.

Je plonge mes yeux dans les siens, peinant à retrouver un semblant de calme.

Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?



*Traduction paroles - Scorpions - Still Loving You

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