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[RP ouvert] Mémoires d'une fille de bonne famille.

Philippa_sidjeno
- Trois ans -



Gonorrhée.

Ce fut le premier mot que je découvris vraiment, de ceux qui s'imprègnent dans le cerveau comme le premier pas dans la neige fraîche et immaculée du matin. Cathau la borgne qui habituellement me bordait de ses grosses pognes maternelles et me racontait une histoire de son cru avant l'heure du coucher était ce soir toute affairée à un tout autre type de conte dont elle se passionnait; le commérage.

Tandis qu'elle me coiffait, faisant de mes boucles d'airain une tresse aussi solide qu'une verge de genêts, la nourrice devisait sur la vie de potache du personnel de la Maison Sidjéno avec la lingère, et je ne manquais pas de l'interrompre aux moments les plus croustillants par quelques fallacieuses suppliques plaintives; l'art que je maîtrisais le mieux. L'affaire semblait d'importance, accélérant ça et là le flot de paroles de la borgne et sans s'en rendre compte par la même, ma petite tragédie grecque.

    Il semblait qu'Aimbaud, le garde en arme de mon père, ait donc attrapé la Gonorrhée.

Si la nouvelle avait l'air de peser son poids dans la balance de vie d'une nourrice d'un bon quintal de son état, elle m'était strictement dépourvue d'intérêt. Aussi, dans un cri de chat mieux maîtrisé que les autres, je sonnais la fin de la tresse nocturne et dégageait le périmètre de ma mère de substitution d'un pas léger. Intrépide, j'avais le cheveu d'un blond foncé mielleux et l'oeil clair. Les mains chapardeuses et pas partageuses pour un sou. L'oreille vive, quoi que sélective. La patience inexistante, c'est qu'il ne fallait pas en demander trop à une espiègle enfant de trois piges.

Je ne sais pas pourquoi du plus loin que je m'en souvienne, ce mot m'a tant marquée. La Gonorrhée, c'était pourtant un joli mot. Plus joli que le prénom entier de ma soeur ainée, Jeanne Oskour. Plus joli que l’œil fermé de Cathau même quand je tentais de glisser une pièce rutilante dessus, et bien plus joli que mon visage séraphin appliqué à feindre la douleur comme la grande comédienne que j'aurais été plus tard: Philippa Emma Nantilde Isaure Sophie Sidjéno, digne fille puînée de Rosalinde & June Sidjéno. Aussi compendieusement appelée Pippa. J'étais ainsi la dernière oeuvre de ma mère morte trop tôt et le dernier drame de mon père, qui nonobstant son grand â.. Sa grande expérience de vie, ne le savait pas encore.

Veuf, il demeurait un père attentionné mais absent, accaparé par des affaires qui me paraissaient bien plus obscures que les contes nordiens de Cathau. Et quoi que je ne réclamais que ses bras lorsqu'il me les soustrayait, ma vie de petite enfant de noble s'écoulait gaiement entre les disputes théâtrales que j'entretenais soigneusement avec ma soeur, et mon passe-temps passionnant à moi: l'art d'entamer des parties de cache-cache inopinées. Au marché. A l'église. Mais surtout, surtout, à l'heure du coucher.

    Si Aimbaud avait attrapé la Gonorrhée, je jurais intérieurement que je ferais mieux que lui.

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