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[RP] Microcosmes

Alphonse_tabouret
23 Mars



Nouvel occupant d’une pièce, le premier réflexe d’Alphonse était toujours d’en ouvrir une fenêtre; saisir la perspective qu’offrait un gite encore inconnu était une envie contre laquelle il ne luttait jamais, soucieux des vues d’ensembles autant que des détails.



Le bagage déposé au pied de son lit n’est toujours pas ouvert que la main, déjà, a saisi le loquet et tiré les battants, déversant à la chambre la lumière d’un courant d’air. L’hiver à l’azur dégagé ne se mesure plus qu’aux ombres compactes des fins de journée, linceuls aux fraicheurs aussi subites que piquantes, épinglant les os sitôt le soleil à sa ligne d’horizon ; royaume abandonné aux rameaux d’un cycle nouveau, l’on discerne déjà aux branches émaciées des mois glacés, les bourgeons promettant les verdures à venir.
Coudes prenant appui à la traverse, le buste se penche pour visiter la vue qu’offre la hauteur de l’étage, noirs s’attachant aux silhouettes disséminées à la rue, distraits tout autant qu’attentifs aux minutes passantes. A l’étude encore précaire de ce nouvel habitat, il guette pensivement le signal attendu ; lorsque la monture sera prête, le commis lui fera signe aux portes des écuries dont la cour perce un flanc de l’auberge, alors, à cet instant de flottaison, coiffé d’un rayon de midi, Alphonse dénoue le fil de ses prérogatives, chasse les chiffres commandés par Denée et omet les laborieuses heures auxquelles il doit encore se présenter; non loin, Saint-Front et ses toits dessinent aux nuées d’improbables rondeurs, ravivant à la mémoire janvier et ses secrets.

Un carillon frappe l’air au métal d’une première salve et le cri aigu d’un enfant éclabousse les pierres, attirant fatalement sur lui le regard de l’animal autant que du père ; un petit oblat alerté par le ventre de la cloche délivrant sa sonore syllabe tire avec empressement sur la manche du clerc qui le suit, les bras chargés.



Noirs aux surprises brusquement saisies s’arrondissent d’une extase fortuite et dévorent en douce, captivés, chaque mèche blanche d’une éphémère couronne sculptée au vent de mars.
Sous sa fenêtre, Faust et ses pigments passent d’un pas pressé, altérant à leur sillons, une onde monochrome.



Le nez plonge à l’écharpe claire qui lui barde le cou, y noyant la féroce douceur d’un pli conquis jusqu’à la gorge dont l’ivresse soudaine contamine la respiration d’un vertige heureux, d’une complexe impatience. Aux chemins pavés de priorités, les amants portent chacun leurs croix et les tiennent comme sacrées ; l’errance et ses déviances n’entament pas les dogmes des consciencieuses créatures dont les âmes forgées ont les aspérités des rigoureuses vertus, mais s’y rehaussent, y enflent, anarchiques pour ne prendre plus que les violents contrastes des couleurs primaires.
Tout a plus de saveur au manque de Faust.

Dans le dos du jeune duo précipité qu’emporte une deuxième semonce, la main du grouillot l’appelle, les rênes allongées d’un hongre au museau clair à ses doigts n’attendant plus que lui. Senestre l’arrache à sa contemplation en répondant d’un geste, et à l’élan obligé, referme la fenêtre.
La nuit finira par tomber.

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L_aconit
Même jour, au soir.




La nuit finit bien par tomber. Et à la surprise de ce visiteur nocturne, Faust éprouva l'épaisseur de sa joie. Depuis son retour de Bretagne où le prêtre avait fait détour par Paris, les deux hommes ne s'étaient pas revus. Alors au secret de la taverne des religieux la nuit tomba plus tard que prévu.

- "J'ai quelque chose à te demander..."
- "Je suis toute ouïe."


il avait redressé la tête, corps et cœur répondant aux moindres sollicitations Alfaustiennes. Alphonse avait alors posé aux mains de Faust l'écharpe claire qui siégeait à ses genoux et lui avait confié à mi voix:


- "Elle n'a plus ton odeur."


Aconit avait froissé un peu le tissage de mailles épaisses entre ses doigts.


- "Combien de temps penses tu que cela va te prendre?"

Il l'avait humée. Et malicieux avait simplement rétorqué au sourire conquis de l'autre.

- "A vue de nez, au moins un mois."
- " Un mois..."


Peut-être que cette nuit là fut plus longue que toutes les autres. Mars touchait à sa fin, marquant la nature et les hommes de cycles réparateurs. Demeurait encore aux confins des terres du Périgord le souvenir tenace de Breizh. Indissociable, telle Paris, de ce duo étrangement assorti.


-" Lambig."


Alphonse avait marqué son approbation d'un mouvement de tête, tandis que le clerc l'avait servi, guettant encore en coin le mirage de sa nuit. Il était là. C'était inattendu. Le jeune homme s'en était revenu s'échouer non loin, lui tendant son godet. Saisi, le chat l'avait porté à son nez pour en sentir l'arôme.


-" Merci."
-" Je t'en avais ramené une bouteille à Paris. Mais ne me suis pas décidé à te l'offrir, de peur que comme Salomon, tu ne deviennes capricieux de trop de gâteries ."


Alphonse avait répondu d'un sourire faussement vexé. Le prêtre n'avait lui, pas pris le temps d'apprécier les exhalaisons de sa boisson, ne traînant pas à se l'enfiler cul sec au creux de la gorge , recherchant sans doute un peu d'ivresse .


-" Je vous ai vus ce midi..."

Tabouret avait revu la scène qui lui avait servi de repas.


-" Diantre. Tu es là depuis Midi."

Il s'en était insurgé, presque fou, amusant de son air le visiteur aimé, s'était resservi sans se cacher. Ce dernier avait alors rajouté, à la faveur d'un air où la dignité primait sur le chagrin, théâtral:

-" Je me suis senti bien seul..."


Seul? Saintes burnes. Il osait. Tournicotant la houle de son godet avant que de ne revenir y goûter, quelques aveux s'étaient échappés. Timides. Soupesés.


- "Si j'avais seulement pu croiser ton regard, Alphonse, tu aurais compris que tu ne l'étais pas. N'as tu pas fait la route accompagné?"

Faune surpris s'était figé brièvement. Encore, toujours, insupportablement, Faust défrichait le cœur sans l'ombre d'un outil. Délaissant la question il avait rétorqué, sans le toucher, sans le forcer...

.
-"Regarde-moi."

Ce que Montfort fit. Sentant encore une multitude de choses, piquantes et mal définies dans son ventre. Sa poitrine. Son estomac jeûné. Alphonse avait laissé quelques secondes passer, bleus et noirs aux muettes collisions des pudiques vérités, renouant au langage des parenthèses amoureuses.


-"Je ne me sens pas seul."


Puis l'interrogeant, au fil d'une prudente curiosité:


- "Et toi?"
- "En tous lieux habité."


Il avait déchiré la timide façade d'un sourire aussi naturel qu'emporté, grommelant quelques mots de flamands en le regardant. Et naturellement, amants s'étaient retrouvés. Jusqu'à oublier un peu leurs vaines pudeurs.

_________________

    (En Bleu italique, les pensées Laconiques.) -Recueil
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Alphonse_tabouret
25 mars







Le sexe contient tout,
corps, âmes, idées, preuves, puretés, délicatesses, fins, diffusions, chants, commandements, santé, orgueil, pour ces autres le mystère de la maternité, le lait séminal, tous espoirs, bienfaisances, dispensations, toutes passions, amours, beautés, délices de la terre, tous gouvernements, juges, dieux. C’est dans le sexe, comme autant de facultés du sexe, et toutes ses raisons d’être.

Sans doute, l’homme, tel que je l’aime, sait et avoue les délices de son sexe.

Ainsi, je n’ai que faire des hommes insensibles. Je veux aller avec celui qui m’attend, avec ces hommes qui ont le sang chaud et peuvent me faire face. Je vois qu’ils me comprennent et ne se détournent pas. Je vois qu’ils sont dignes de moi. C’est de ces hommes que je veux être le solide amant.

Ils ne sont pas moins que moi, en rien. Ils ont la face tannée par les soleils radieux et les vents et les temps qui passent. Leur chair a cette souplesse divine, le bon vieux ressort de l'expérience. Ils savent nager, ramer, monter à cheval, lutter, chasser, courir, frapper, fuir et attaquer, résister, se défendre, ils savent vivre dans les pleines comme ces demi dieux d'antan, couvés du regard de l'Olympe. Ils sont extrêmes dans leur légitimité, ils sont calmes, limpides, en parfaite possession d’eux-mêmes.

Je t’attire à moi, Homme. Je ne puis te laisser passer, je voudrais te faire du bien.
Je suis pour toi et tu es pour moi, non seulement pour l’amour de nous, mais pour l’amour d’autres encore. En toi dorment de plus grands héros, de plus grands bardes. Et ils refusent d’être éveillés par un autre homme que moi.

C’est en toi, Homme, que je vois mon chemin. Je suis ne suis pas austère, ni âpre, immense, inébranlable, mais je t’aime. Je gaspillerai pour toi l’essence qui engendrerait des garçons et des filles dignes de ces fiers duchés réunis, j’irai d’un muscle rude et attentionné, m’enlacerai efficacement et n’écouterai nulles supplications. Je ne pourrais me retirer avant d’avoir déposé à toi ce qui se sera accumulé si longuement en moi.

A travers toi je lâche les fleuves endigués de mon être, en toi je dépose un millier d’ans. Sur toi je greffe le plus cher et intime de mon être. Les gouttes distillées ne grandiront en chaudes et puissantes filles, en artistes de demain, musiciens, bardes, mais elles grandiront nos âmes. Mieux que n'importe quel Dieu.





Tu tombas, tu prias, comme moi, comme toutes
Les âmes que la faim et la soif sur les routes
Poussaient belles d’espoir au Calvaire touché !

– Calvaire juste et vrai, Calvaire où, donc, ces doutes,
Ci, çà, grimaces, art, pleurent de leurs déroutes.
Hein ? mourir simplement, nous, hommes de péché.
Verlaine à Baudelaire






D’argile et de sel, Homme, je conquiers car je suis ainsi fait ; chacun de mes pieds foule les frontières, ensemence le sol, fertilise le ciel ; mes pas enchevêtrent les nuées et résonnent à la terre. Je prends, je pille, j’arrache et revendique mes attentats par simple port du glaive. Mâle, mon genre me consacre jusqu’aux lois qui régissent le monde; je suis Maitre, chez moi dans chaque ventre, Père à chaque femelle, Frère à chacun de mes conflits.
Mon sexe est un sceptre, une arme, un autel.

A mes humeurs pourtant, la désertion. A ma chair, la trahison. A mon serment, l’accusation.
Je suis né pour créer, comme Dieu, à mon image.
Je suis né pour tuer, comme Dieu, à ton image.
Féconde stérilité, j’aime quand je t’enfante, j’aime que tu m’assassines.

Tes yeux quand ils s’attisent sont des puits de débauche, des horizons de guerres qui promettent le carnage des épiques victoires et je m’y lance, sans concession, m’y noie sans réflexion, d’Homme à Homme, de tempête à tempête ; vœu, sentence, exécution, chaque jugement se ponctue d’un peu plus, et chaque mort un peu plus te désigne pour moi.
Miroirs que j’ai cru Lunes, tes yeux sont des Soleils aux écailles bleuies et ceignent à la nuit, le délice des sévices ; j’ai le goût du sang au bout de langue, celui de tes délits encore à la gorge.

Le lit est vide de nous, nos fils dorment aux bras de nos filles, inconscients à jamais de ces destinées dont nous nous nourrirons. Qu’importe. Homme, je suis fait d’égoïsme et de passe-droits ; à ton ventre m’attendent les légendes, à tes mains les chimères, à ton cœur, l’Odyssée.
Mon chemin est fait de toi, de tes vertiges. De moi et mes détours.

Je me souviens d’hier.
Ta bouche sage m’a dit des mots obscènes. Ma bouche obscène a répondu de sagesse.
Je me souviens d’hier, si parfaitement.
Ma main n’est pas la tienne.
Dieu me pardonnera.
Et toi ?



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L_aconit
26 mars



Instant[tané]


Chacun de nous soupçonne qu’il possède pour le moins une des vertus cardinales, et voici la mienne : je suis un des rares hommes honnêtes que j’aie jamais connus.

J'aperçus Alphonse sur la dernière marche qu'engloutissait la trappe. Il était seul, et son regard errait avec plaisir sur mes chevilles. Sa peau, que je trouvais étrangement hâlée comparée à la mienne épousait son visage à la perfection et ses cheveux laissaient penser que ni le froissement des matins ni le vent des journées ne pouvaient les mettre à l'épreuve. Rien en lui ne me paraissait inquiétant. Je me suis demandé si le fait qu'il buvait peu en ma présence l'aidait à se distinguer des autres qui entraient parfois dans la cave, car plus les soirées s'allongeaient, plus il gagnait en dignité. La boisson permettait de ce que j'en avais goûté en effet, de confondre l'instant présent avec les meilleurs moments du passé, comme s'ils allaient de pair. Elle permettait même d'y confondre aussi l'avenir, comme si ces instants merveilleux étaient sur le point de se reproduire. Mais Alphonse semblait cristalliser cette capacité d'un geste ou d'un regard, sans souffrir d’éthylique. Cette capacité m'étonnerait sans doute encore longtemps.

Il avait un de ces sourire rares que l’on ne croise que deux ou trois fois dans la vie. Un sourire qui semblait comprendre et croire en vous comme vous aimeriez que l’on vous comprenne et que l’on croit en vous. Un de ces sourires rares, sources d'éternels réconforts, qui défiait -ou semblait défier - brièvement le monde entier, puis se focalisait sur vous comme s'il vous accordait un préjugé irrésistiblement favorable. Qui vous comprenait dans la mesure exacte où vous souhaitiez être compris. Qui croyait en vous comme vous auriez voulu croire en vous même.

Il était venu ce soir, et je le regardais comme tout jeune homme aimerait être regardé. Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité ce qu'enferme un homme dans les illusions de son cœur. Instantanément ce soir là, et sans savoir précisément pourquoi un sentiment de pure mélancolie m’étreignit. En le regardant, beau et maîtrisé, plus maîtrisé que moi-même ne saurais jamais l'être , je me disais que tout ce qui brille, tout ce qui était précieux ternissait si vite, pour ne plus jamais revenir... Même nos rêves les plus incorruptibles. J'avais au coeur un sentiment étrange, qu'un sourire de lui chassait, et qu'un pli soucieux savait ramener aussi comme le ressac.

C'est toujours triste de regarder d'un oeil nouveau des choses sur lesquelles vous avez vous-même épuisé vos propres capacités de jugement. J'avais dix huit ans encore. Mais j'avais compris que passé un certain âge, les gens se laissaient rarement convaincre de quoi que ce soit. A dix-huit ans, nos convictions sont des collines du haut desquelles nous regardons le monde ; plus tard, des cavernes où nous nous en cachons.

J'étais passé au matin, tirant avec hargne une pauvre chèvre pour l'emmener à l'enfançon né de la veille, près des étals du marché où parmi les villageois, il se détachait. Provisions sous le bras. J'avais alors croisé son regard. Glissé au sien deux yeux coulants comme des nœuds, et poursuivi mon chemin comme si la nuit ne les avait pas serré jusqu'à m'en laisser la brûlure. Alphonse me bouleversait, et je luttais jusqu'au soir pour perdre ce masque qui était devenu plus essentiel que ma bure.

Parmi les premières herbes du printemps, je m'allongeais au soleil de midi, souhaitant me fondre dans ce décor simple et caressant. Quand j’étais plus jeune, c'est à dire plus vulnérable, le Retz m'avait donné un conseil que je ne cessais de retourner dans mon esprit. Un de ceux qu'il me prodiguait, me prouvant aussi qu'il savait manquer à ses convictions parfois, lorsqu'il buvait de trop ou se laissait égratigner par la Medici.

"Ta vie, tu dois la dominer". De ce que je savais de la vie, elle était d'une incroyable richesse, et si nous n'y trouvions rien il ne fallait pas en accuser la vie, mais nous en accuser nous-mêmes. Je n'avais jamais rien dominé de ma vie. Rien. Sans doute ne saurais-je jamais le faire. Alors j'écoutais les rumeurs de l'église, Salomon sonner sexte au clocher. Avais-je seulement appliqué jusqu'ici un seul des conseils de mon ancien Mentor?

Je croyais en quelque chose de plus fort que Dieu, à cette imminence orgastique qui année après année, reflue avant que nous l’ayons atteint. C’est ainsi que nous nous débattions, comme des barques à contre courant, sans cesse repoussés vers le passé. Peut-être que si Alphonse n'avait pas passé cette porte ce soir là, terrassé par des incertitudes et des contrariétés qu'il avait pourtant habilement dissimulées... Quid d'Isaure, qui se faisait le lien nébuleux d'un passé qui m'échappais totalement. Quid de ce fils, ce demi frère, cette femme de l'ombre dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Les arcanes d'Alphonse s'annonçaient aussi impénétrables que les miennes, et parfois, j'avais l'impression que nous nous regardions tous deux du haut de celles ci, cachant nos fronts de la lumière qui souhaitait nous aveugler.

On dit des cicatrices qu'elles se referment, en les comparant plus ou moins aux comportements de la peau. Il ne se passe rien de tel dans la vie affective d'un être humain. Les blessures sont toujours ouvertes. Elles peuvent diminuer, jusqu'à n'être plus qu'une pointe d'épingle. Elles demeurent toujours des blessures. Il faudrait plutôt comparer la trace des souffrances à la perte d'un doigt, ou à celle d'un œil. Peut-être, au cours d'une vie entière, ne vous manqueront-ils vraiment qu'une seule minute.
Mais quand cette minute arrive, il n'y a plus aucun recours.

C'était évident. J'aimais les hommes. Je n'aimais qu'eux. Et j'aimais celui-là. J'avais consacré toute ma futile vie à ce fantasme avec une passion d'artiste, le peaufinant sans cesse pour le reléguer au rang d'art inéluctable, lui ajoutant pour l'embellir toutes les nuances colorées qui me tombaient sous la main. Alphonse avait quitté les lieux, me laissant avec une certitude. Rien ne peut égaler la quantité de feu et de glace qu'un homme est capable d'emmagasiner au fond de son cœur lorsqu'il est ainsi possédé.

Sur ce seuil, j’étais dedans et dehors, fasciné et écœuré tout à la fois par l’inépuisable diversité de la vie.

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    (En Bleu italique, les pensées Laconiques.) -Recueil
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Alphonse_tabouret
27 mars, nocturne.





J’adore le roux



A-t-il dit. Ou quelque chose d’avoisinant, aussi ridicule que cela, avec cet air absent de vierge captivée par ses révélations personnelles, par ces explications qui n’ont ni queue ni tête, pulsionnelles, agaçantes.

Barrant mollement son ventre, la main de Faust, poignet paresseusement brisé à la rondeur des côtes, arachnéennes délassées de leurs fraiches empoignades ; là, le drap est encore crispé de la manne au supplice d’une morsure plus brutale qu’une autre. Au même toit, le temps des convenances s’est dilué avec une déconcertante évidence à la monstruosité de leurs appétits ; mâles destinés aux joutes font honneur à leurs armes.
Tendresse délayée aux mots et sincérité au verbe conjuguent aux corps la décadence de leurs hauteurs ; ce qui s’arrache au cœur, se lit à la chair.



J’adore le roux



Il lui avait trouvé un air niais en le disant, vexé d’une exclusion évidente dans ce regard embué de couleur dont il ne pouvait pas percevoir les mystères.


J’adore le roux



Le regard s’alourdit d’une maille de plomb et capture inconsciemment la ligne rouge ciselant la main qui l’entrave, cette parenthèse dont on ne parle jamais et qui s’invite pourtant à chacune de leurs secondes.


J’adore le roux



A chaque fois, la voix devient plus irritante, plus aigüe, plus extatique, le regard plus profond, plus lointain. A chaque fois l’aveu le fauche un peu plus sournoisement et le paroxysme de sa caricature n’empêche rien ; cela finit par sonner comme une incompréhensible accusation.

Ruban rouge fracture le paisible horizon de leurs peaux mêlées, enflant les poumons d’une inspiration lourde. Dérangés par la variation, les doigts de Faust s’étirent, chassant de leurs arabesques les corbeaux venus en picorer les fils jusqu’à retrouver leurs perchoirs ; cou blanc enchâssé à l’épaule brune, les bleus le cueillent et l’assassinent d’une interrogation alanguie, aux promesses salées d’un sourire qui ferait baisser les yeux de n’importe quel saint.
Malgré lui, les lippes s’épicent d’un trait contaminé, mais au cœur, s’illustre, Première Née, l’orgueilleuse rancœur s’illuminant de jalouses noirceurs ; puisqu’il n’est ni de tissu, ni de feu, il sera Lui, intraitable, exigeant, possessif. Idiot.
A la lenteur d’un regard qui veut sans concession, main enrubannée capturée par la sienne se mène jusqu’à la ligne d’un ventre bavard et y fiche le duo.


Je déteste le roux.

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L_aconit
30 mars.

[ 𝕮𝖊𝖙𝖙𝖊 𝖓𝖚𝖎𝖙 𝖑𝖆̀ ...]


Le vent était tombé, libérant les voix de la nuit, une nuit lumineuse, sonore, des frôlements d'ailes dans les arbres, et la note obstinée d'un orgue, comme si le trop-plein des vastes souffleries terrestres animait le chœur des crapauds. Mars s'en allait, et avec lui la promesse de que Nicolas avait faite à Alphonse de le retrouver. Alphonse avait approché la vie monacale du prêtre, et y avait semé sa délicieuse et délictueuse discorde, geste après geste, silence après silence, nuit après nuit.

A ces retrouvailles, les amants interdits ne s'étaient pas abandonnés à la luxueuse consolation des larmes de joie. Mais à celles des tortures prudentes de leurs âmes duellistes, expiatoires et corrosives, de celles qui une fois par mois depuis qu'ils avaient fait connaissance, rendaient leurs existences plus supportables. Aux silences leurs raisons, aux entrechocs leurs passions. Parsemés de secrets qu'ils peinaient à s'offrir - s'offrir, n'est-ce pas s'abandonner un peu? S'abandonner un peu, n'est-ce pas s'offrir en pâture? - leurs conversations s'étalonnaient en curves inédites. Tout ce qui sortait de la bouche d'Alphonse Tabouret devenait stupidement source d'émerveillement.

En quelques années, il avait appris à quel point on pouvait souffrir quand on aime. S'il avait pensé souvent qu'il valait mieux être jeune, être insensible, ne pas aimer surtout lorsqu'il avait souffert des autres, il ne se faisait aucune illusion: jamais il n'avait souffert de cette façon-là, si inattendue, alors que tout allait si bien.

Rarement il lui avait été donné de connaître ces moments où les autres pouvaient être totalement ouverts et où le moindre contact pouvait les flétrir ou les guérir. Ces moments où, d'une seconde trop tard se tissait l'impression qu'il ne pouvait plus jamais les atteindre en ce monde. Qu'ils ne seraient pas guéris par les pansements les plus efficaces, ni tués au moyen des plus tranchantes épées. Et conscient, Faust rejoignant Alphonse soir après soir, tendait vers ces moments de grâce ou d'impitoyables clairvoyances. Car les relations les plus solides s'établissent toujours sur l'envie que l'on a de les faire durer, et la connaissance exacte de ce qui les menace... Nous sommes censés perdre les gens que nous aimons. Sinon comment pourrait on savoir l’importance qu’ils ont pour nous? De là venait peut-être tous les maux sous-jacents.

Alors funambule, accroché tantôt sur le fil ténu qu'avait tissé son amant entre eux, tantôt étranglé par ses vérités, Faust Nicolas se penchait parfois au devant d'aveux encouragés par l'instant, et finissait par s'y lotir, dans des silences religieux. L'histoire semblait rebondir sur son propre équilibre, fragile et éclatant. Plus Alphonse le baisait, pleinement, brutalement, plus il souffrait de l'aimer. Les questions farfelues mais tristement légitimes qu'accompagnaient une idylle naissante se chevauchaient les unes aux autres, et décantaient jusqu'à d'autres lendemains. De remises en questions en tâtonnements aliénants, des constats introspectifs émergeaient. Quand les gens ont tellement à donner aux autres, n'est-ce pas le signe qu'ils manquent de passion intérieure ?

Ah... Ils étaient heureux ensemble, bravant tant de nuits blanches, à parler jusqu'à l'aube, entre de longs moments d'amour. Puis Alphonse regagnait sa chambre. Et dès qu'il se détournait de lui pour tenter de se retrouver, pour préserver ses arcanes, il n'avait plus, entre les mains, qu'une sorte de Néant, qu'il regardait fixement, en lui donnant des quantités de noms, et dont il savait que le seul nom possible était l'espoir qu'il revienne bientôt.

Nicolas était ainsi. Percé de sensibilité. Tant et si bien qu'en en tâtant les contours, la sensation de déteindre sa faiblesse sur des joies simples finissait par l'épouvanter. On l'avait voulu sans famille, on l'avait souhaité féroce, on l'avait brisé de docilité. Mais comment accepter de réduire sa vie aux dimensions d'un vêtement reçu en héritage, et qu'on est forcé d'endosser ? Les airs langoureux de leurs souffles mêlés cette nuit là, que jouaient les orchestres de leurs jouissances, transposaient à Faust en rythmes nouveaux toute la tristesse de l'existence et des désirs insatisfaits.

Cette nuit là, il avait appris à aimer la violence . Attaché mais consentant à des vices inexplorés. Cette nuit là, il avait appris d'Alphonse ses projets le liant à Denée. Fil rouge détricoté raccordant ses amis à son amant. Sa soeur à Alphonse. Alors pour en chasser les craintes, ces fourbes qu'il ne supportait plus, Nicolas avait passé sa nuit et germé au petit matin quelques mots à sa bien aimée Dana. Il n'avait pas parlé de ses difficultés avec Salomon, cet enfant caractériel qu'elle lui avait légué. Ni de son retour de Bretagne, de sa rencontre avec Poudouvres. Il avait parlé simplement de ce qui faisait tourner son monde depuis plusieurs mois, comme les prémices pudiques d'une floraison lointaine. Alphonse Tabouret.


Citation:


    A vous Dana,

    Sous l'aura nouveau de la Guyenne, comment se porte le soleil? Est-il plus nouveau? Vos peines sont-elles toujours les mêmes?

    Vous aurez de la visite bientôt, ou peut-être du courrier. Un visiteur nommé Alphonse Tabouret en voudra gentiment à votre fin nez. Ma soeur, accueillez-le comme vous m'accueillez. Il a quelques projets qui pourraient vous intéresser. Je ne vous en dit plus à ce sujet. J'espère que vos enfants se portent bien. Votre époux également.

    Je pense à vous, jamais ne vous oublie. J'ai confessé une femme avant hier qui m'a fait penser à vous. Voilà ce que je lui ai à peu près dit. " Si votre journée est noire, si votre mari vous ennuie de trop vous ennuyer de lui, alors écoutez-moi. Il faudra y comprendre que le mariage exige un difficile ajustement de deux existences qui doivent se plier l'une à l'autre, et que la passion n’occupe parfois qu'une place fort restreinte, dans une longue, très longue journée de vie commune. "

    Ne me demandez pas la raison de ce rapprochement, j'ose juste espérer que tout va pour le mieux.

    Soyez heureuse, et à n'importe quel prix. C'est une obligation. Votre frère qui vous aime,

    Faust Nicolas.




La nuit passée avait coulé sur eux sa rudesse tendre. Alors il s'était flagellé plus fort encore. Et à chaque coup cinglant, des images revenaient à lui pour le narguer et attester qu'il n'était pas prêt de les sortir de son esprit, de son corps, de sa chair. Alphonse l'avait corrompu jusqu'à l'âme et dans sa perdition acceptée, Nicolas le rappelait malgré tout à lui, plus que tout.

Cette nuit là, Montfort avait enfin accouché d'un secret.

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    (En Bleu italique, les pensées Laconiques.) -Recueil
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Alphonse_tabouret
31 mars, heures communes.






Elles sont inégales, lettres dont les couleurs éclatent nuit après nuit et se figent en un alphabet monosyllabique dont les enluminures sont faites de discrets reliefs ; ravines délicates, ponts enjambant le vide, elles s’élancent, vives, sèches, fendant d’écume colorée les plaines vallonnées qu’elles traversent.
L’une d’elle fêle la surface si remarquablement qu’au doigt qui la survole, elle ne frémit même pas ; longue ligne droite, elle porte les stigmates incarnats d’une heure plus vraie qu’une autre et interroge d’un point d’exclamation l’aube de l’onde native. Elles se traversent parfois, se croisent à la faveur d’un geste, d’un poignet parfaitement incliné, s’ajoutent, s’additionnent mais jamais ne souffrent de la moindre contradiction ; fleuves emportés à leur crue, conçus à d’internes remous, à d’assoiffées cascades, ils ont fait leur lit à tel point que la terre en porte désormais l’étendue de leur force.

Droite. Gauche. Droite. Gauche.
Laconique litanie, dans le dos de Faust, A par poignées étoilent le blanc immaculé de la peau.

Aucun ne ressemble à l’autre, créations instantanées aux sanglantes unicités, ils détaillent chaque heure passée à s’aimer, chaque heureuse agonie, chaque tendre violence. A la naissance des côtes, il en est un discret, claqué du bout d’une langue vorace qui s’est fossilisé en une fleur subite, retracé plusieurs fois inexplicablement par la ferveur de son absolution, et ensemence aux noirs qui l’observent, l’indécente morsure des âmes corrompues.
Il aime chacun d’eux, autant qu’il les hait.

Dans le dos de Faust, se mesurent leur Histoire et son délit. Aux nuits fauves qui les dissolvent, les matins se succèdent, rigoureux rendez-vous et ramènent, main dans la main, les exaltations comme autant de pénitences.
Seul, à Potron-Minet, le martinet feule aux oreilles de Nicolas dont les lobes sont encore plein de mots doux, de mots durs, de mots d’amour brodés de feuilles, et quand il revient le soir se blottir à ses bras, s’empoigner à ses reins, se faire dévorer à ses hanches, c’est toujours l’âme pure, légère, nettoyée d’excès comptabilisés de nouvelles lignes en stries fraiches et expiées.
Elles sont à lui, et dans le ventre d’Alphonse, dansent des équilibres contraires aux féroces empoignades , carnassier affamé de lui, caprin affligé par ces règles, propriétaire émerveillé de ses possessions inattendues, assombri de ces ravages qu’il crée à sa simple présence.
Double, il erre à l’odeur de Faust.

Son ombre vacillante d’une chandelle mourante chancelle aux sillons à vif qui chantent ses louanges, concernant le démiurge tout autant que le profane, et lorsqu’il se penche à l’aube des reins qui viennent de l’accueillir, c’est l’appui appliqué d’une langue qui remonte le stigmate premier esquissé au creux de la cambrure, nourrissant le marbre d’un frisson saisi au vol, d’un souffle retenu à ce nouveau verbe silencieux.

Droite. Gauche. Droite. Gauche.
Une à une, au silence de cette chambre d’auberge, de ce théâtre Kabuki dressé de codes et de percussions, elles seront pansées, de fauve à fauve.
Une à une, au tracé d’une attention dévouée d’extases, chat aux tactiles déviances, aux amours bleus, se fera pardonner la moindre rature quand, à son cœur, elles tavèlent chaque paroi, inavouables lianes barrées frappées d’un F.



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L_aconit
1er avril. A dieu Mars.

La main s'est tendue vers le plafond, touchant un invisible point, comme il toucherait les étoiles.

- J'ai toujours pensé qu'après Lestat, plus rien ne pourrait m'ébranler.

La voix résonne dans la cellule, portant son écho délicat aux quatre murs blancs et à l'oreille attentive qui les reçoit. Prière a été faite, tierce sonne de l'énergique main du petit oblat.


Citation:
De Alphonse
Objet: Demain en vue

    Faust,


    Il me semble t’avoir loupé de peu dans ta cave ; j’aurais pu jurer en y entrant tout à l‘heure à ta recherche, sentir encore ton odeur dans l'air.
    Je ne me suis pas résolu à attendre. Depuis hier, il s’étire quelque part à mes nerfs une satisfaction dont je ne me remets pas, futures quinzaines à Paris ne cessant d’écraser chacune de mes pensées… mes chiffres se délayent et je ne vois que tes doigts qui rejoignent les miens, mes lignes s’étiolent à la droiture des tiennes, et l’encre semble trop pale si je la compare aux vertige de tes bleus.
    Par quinzaine à Paris, Mijn Gek, par quinzaine…


    Demain, je souhaite faire tourner la tête à un garçon bien sous tous rapports. Il est jeune mais n’a rien de puéril; dix-huit ans, c’est un âge où l’on sait autant que l’on devine, non ? Il est beau, tu te doutes ; mes gouts tendent toujours à s’émouvoir de ce qui n’est comme nul autre pareil. Délicieusement blond, androgyne, il manque peut-être de poil au menton trouverais-tu, mais il n’a rien d’hésitant lorsqu’il s’agit de conquérir mes reins et j’aime son ventre autant que j’aime son dos ; ne sont-ils pas extraordinaires ces êtres qui valent d’un côté, comme de l’autre, dont on ne sait quel bout prendre pour se satisfaire, et dont on finit par dévorer l’ensemble pour ne rien regretter ?

    Où me conseillerais-tu de l’amener ? Quel quartier trouverait grâce à tes yeux à Périgueux pour pareille compagnie ?
    Ne lésines pas sur le coût de l’escapade.
    Je tiens à celui-ci un peu plus que de raison.

    Alphonse



Derrière la porte close, les pas pressés de Salomon fendent les pierres plates des couloirs de Saint Front. Le doigt semble dessiner quelque chose, ou tenter de le capturer peut-être. Il y a au plafond une fissure naissante qui le captive et le fait tourner légèrement autour.

- Je pensais mourir de solitude ici, tu sais.


Les cheveux blonds flirtent avec le vide, tandis que les jambes ont trouvé le plat du mur, à la verticale. Il y a quelque chose dans cette fissure de fascinant. Comme si l'église, vivante, écartelait un peu trop ses chairs d'une respiration trop profonde.



Citation:
De Faust À Alphonse
Objet: Demain en vue


    Alphonse,

    La vie est faite de rendez-vous manqués.

    En cela tu as raison, attendre aurait été une offense à toi qui semble ne pas avoir été façonné pour cette vertu. Donner des quinzaines demeure cependant, en as tu conscience, une opération à double tranchant. Quinzaine consommée succèdera à quinzaine d'attente... Moi j'y vois là un mal nécessaire, quand je redoute que trop me voir n'émousse ton désir. Quite à boire un demi calice de bon vin, je considère malgré tout qu'il est à moitié plein.

    Ce matin j'ai senti l'oreiller comme s'il pouvait me rendre ta fragrance. C'est celle-ci que je te voudrais mettre au point en premier et m'offrir, que je m'en asperge chaque jour. Elle a l'odeur du stupre et de la déliquescence... Ton odeur est la quintessence de l'indécence quand je vois ce qu'elle sait chez moi immédiatement ériger. Tu es bandant, et ça, aucun autre curé ne te le dira jamais. D'ailleurs, aucun curé ne te le dira plus, je vais être probablement sacré évêque pour le quatrième mois et succéder à mon tyran. Tu baiseras l'anneau épiscopal quand j'en couronnerai ma hampe, et si tu vas cueillir des roses dans les jardins d'une altesse royale, tu pourras te vanter de t'embourgeoiser encore en baisant le plus jeune des Monseigneurs.

    Aux garçons bien sous tout rapport, je me ris de te voir les promener. Pile ou face, poil ou fesses, ma foi tu les conquiers dejà en tous lieux. Mais s'il fallait n'en retenir qu'un je te dirais de l'emmener vers la tour de Vesone, puisque Saint Front y a chassé d'un coup de bâton fendant le roc un dragon, je gage que du tiens tu pourfendras au secret du rempart ce jeune coq, et le terrasseras avec adresse... Le temps d'une promenade ...

    Faust Nicolas.


- Et puis voilà. Je ne suis pas mort. J'ai prié, beaucoup. Tu l'as vu. J'ai rempli mes journées de sourires.


Mollement, le doigt et toute la main baisse l'étendard et s'échoue sur les lettres au sol. Une myriade de lettres, éparpillées autour de la couche comme une auréole à la tête décoiffée de Faust. Sans crier gare, un éclat de rire roule dans la gorge, sans pour autant jaillir vraiment. Pudique de s'étaler aux mur et au delà. Ici, on ne rit pas ainsi. Cela ne se fait pas. L'église se revêt de murmures...

- Et de soupirs.


Les lèvres s'étirent en une bienheureuse chaloupe.

Citation:
De Alphonse
Objet: Demain en vue

    Faust,

    Me veux-tu réaliste ?
    Quinzaine à Paris seront un fléau, car ce qu’elles me donneront, elles me le reprendront, tout aussi aisément qu’une bourrasque à la page que l’on lit. Je le méprise déjà, ce vide que tu laisseras, cette fenêtre ouverte où j’aurais faim sans être rassasié, quel que soit le râtelier qui me nourrira puisqu’il ne sera toi.
    Me veux-tu emporté ?
    Quinzaine à Paris seront délectation car ce qu’elles donneront, c’est le gout à chacune de mes morsures. J’en salive déjà, de cette odeur que tu laisseras sur moi, de cette fenêtre ouverte au ciel que nous viserons, Icares soucieux de jouir d’une même voix, harmonique, forte, et vertueuse.
    Me veux-tu moi ?
    Quinzaine à Paris seront à nous, et c’est là tout ce qui m’importe. Du manque, je me rallongerai mon écharpe, de toi, je me saoulerai tant et tant, que ma gueule de bois durera jusqu’à ce que tu viennes me réchauffer.

    Tu n’émousses rien, Nicolas, tu attises, tu excites, tu dresses.
    Crains tu vraiment que je me lasse quand je n’ai que les nuits pour rompre le jeûne de nos journées ?
    Crains tu que je ne m’éveille plus à ton parfum répété ?
    Crois-tu que je ne m’attache qu’à ton cul, au demeurant parfait, quand tu me tends tes yeux, ton âme et ses ravages ?
    N’es-tu, pas de nous deux, celui qui a la foi ?
    Tu es tellement plus que ce que tu penses être, Faust, que parfois j’aimerais que tu voies par mes yeux, quitte à saisir le monstre de mon reflet ; sans nul doute, comprendrais-tu pourquoi, à ton horizon, je ne crains pas le temps.

    Evêque, dis-tu.
    Je t’en félicite. Je sais que cela t’importe, que cette voie qui t’a choisie a trouvé écho chez toi ; Aristote en médaille drapée de mon ombre me le rappelle toujours lorsque ta main vient te l’ôter de la nuque.
    Ta nuque. Sais-tu à quel point elle me fascine ? A quel point je résiste à y laisser mes doigts, ma bouche, mes dents ? Ta nuque, Faust, est le jardin où je préfère m’égarer ; les roseraies, mêmes royales, n’auront jamais la fragrance de son gracile secret.

    Vésone m’a plu hier.
    Ta compagnie aussi.
    T’y baiser tout autant; je sens encore ta queue s’épancher à mes doigts.


    Alphonse.



Le prêtre au teint pâle étire sa silhouette longiligne au travers de son lit, tant et si bien que sa soutane vient découvrir ses mollets.

- Je crois que je l'aime. Tu aurais vu ses yeux lorsque je lui ai dit pour l'Ostel Dieu...



Citation:
De Dôn
Objet: pli du perigord

    Nicolas,

    Comme il est bon de vous lire. Vous êtes ma première douceur du jour, et très certainement l'ultime.
    Plus que quiconque, je crois, ma triste personne reste enfermée dans son univers propre et particulier.

    Voyez-vous, mon frère, en ce premier jour du mois d'avril, je m'interroge.
    J'ai des visions, mais de celles qui sont, j'en suis persuadée, tout à fait utiles. J'ai souvent rêvé de vous et de ma main posée sur votre nuque. Figurez vous, qu'entre mes doigts, vos mèches claires révélaient à mes yeux, bien des secrets. J'ai réussi à voir votre avenir, par le biais de ce contact.
    L'avez vous songé, aussi ? Vous y étiez, assurément ! Je vois encore mon corps dans votre corps, et mes yeux voir par les vôtres.
    Nicolas, trois syllabes aux courbes intemporelles. La mienne, unique est venue s'allier et nous voilà quatre. Quatre, Nicolas ! Nous sommes quatre, vous et moi. Vous étiez là, en compagnie d'une voix, plus forte que celle qui vous fut transmise par l'âge d'homme. Je voyais ses traits, oui, il était là, aussi. Et il chantait tout bas, la déchéance à venir. Méfiez-vous, rudesse arrive. Conservez mes lignes et vous saurez alors, qu'en votre soeur toute confiance est à offrir. Lorsque le couperet tombera, ma présence sera requise et j'accepterai avec fraternité de vous prêter ma sénestre épargnée.
    Méfiance, promettez-moi.

    Alphonse m'a écrit. Que de mots jolis, de lettres mignonnes !
    J'ignore s'il est votre ami, mais dites-lui vite qu'il sera le mien, s'il accepte d'écrire encore, même lorsque la qualité de mon nez surpassera les capacités du sien.
    L'a t'il fin ? Tout comme le mien, épaté ? Pire ! Écorché ? Semblable à l'époux, peut-il percer une gorge à grands coups de tarin ? J'ai déjà vu l'être, mais de sa silhouette je n'ai aucun souvenir. Seulement qu'il semblait beau, et chapeauté.

    Je ne pense pas à vous, je rêve.
    Appliquez-vous pour faire de même, peut-être alors, pourriez-vous voir combien je vous aime.

    Dôn.


Il se redresse et vient poser ses yeux de guèdes sur la madone, statue bienveillante qui jouxte son lit... Range un peu les plis épars.

- Mais tout ça, tu le sais déjà, n'est-ce pas?

Un bruit de bris vient le tirer de sa contemplation et le faire s'échapper d'un pas rapide vers la porte qu'il ouvre et franchit en grondant plus fort. C'est pâques. Le temps des farces. Mais aussi la fin du carême. Enfin il allait manger plus dignement. Les oeufs rouges, teints à l'oignon, attendaient sagement dans leur panier d'être distribués aux pauvres. Cet après midi, les prêtres et les moines faisaient bonnes oeuvres en places publiques.


- Salomon!
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Alphonse_tabouret
2 avril




Le ventre de la cave les a livrés à une rue déserte, tardive artère dormante à l’heure avancée, et personne n’a vu sous le ciel perlé de nuages, l’étreinte qui a suivi le pas ivre de Faust trébuchant aux pavés.
Venelles remontées, virages exaucés, pas une silhouette n’est croisée sur la route empruntée et quand, aux ombres d’un bâtiment excentré qui les a avalés, les doigts se sont frôlés, jouant de leurs esquisses, ils sont restés liés, pudiques trésors noyés dans le tissu des silhouettes marchant côte à côte.
Lui, a fait mine de rien, fier tout autant que sobre ; à la fin du Carême, Faust a bu jusqu’à l’expansion et oscille joliment aux euphoriques gravités des petites révélations ; il parle depuis qu’ils ont quitté l'église, babillages éthyliques spontanés qui ne cessent d’échancrer la ligne des lippes brunes quand ils ne piquent pas à ses lèvres des bouquets d’alcooliques baisers.

A la porte les attendant, ils se sont fondus, empoignés, à l’entame des négociations, mâles qui convoitent autant qu’ils désirent et dont les jeux de guerre valent les jeux d’amour; bouches se sont faites plus volontaires, mains, plus indécentes et les voix ont grondé quelques mots délurés, ensanglantant des lignes déjà énamourées.
Lorsqu’elle a été saisie avec précipitation, la clef est tombée, suscitant un juron aviné, un rire faune railleur, et quand enfin, retrouvée à la souche d’un lierre fraichement élancé, elle a cliqueté à la serrure, ils se sont engouffrés d’un même élan à ce nouveau terrain.
A l’intérieur le parquet de bois sombre n’a pas grincé quand ils ont dansé, vêtements échouant à leurs pieds, dénudant les peaux contraires s’épanouissant aux nocturnes clartés. Sur l’élégante commode, personne n’a pris le temps d’allumer la longiligne lampe au socle ouvragé, les doigts noirs et blancs trop occupés à récolter les fruits d’une journée d’abstinence ; alcyons et corbeaux à la nuée de leurs plumes, ont rappelé aux dieux la beauté de leur mêlée.
Les escaliers menant à la chambre ont été avalés, marches miraculeusement vaincues par les pieds emmêlés, par les étapes corrosives des corps plaqués au mur qui les bordait, laissant en guise de tribut, là, une botte et ici, une paire de braie.

Pourtant.
Pourtant le lit est délaissé. Là, devant eux, une large fenêtre découpe de sombres verdures, et tient dans son encadrement, l’imposante silhouette de la Tour éventrée de Vésone.

Ils se sont tus, les gestes, comme les mots ; silhouettes emmêlées ont toutes deux perdu leurs yeux dans les dédales d’ombres aux éclats de soleil, au souvenir diurne d’un premier rendez-vous.
A Périgueux, les heures passaient, éternelles prétentieuses, grignotant aux azurs clairs un temps fait de fractures et n’offraient que l’obscurité en draps à leurs envies ; Vésone, s’ils l’avaient baptisée de leurs déviants appétits, ne tenait pas moins dans les lignes de son Histoire, un miracle n’appartenant qu’à eux ; si mars était né à la nuit, il s’était clos en journée.




Aux doigts qui ont serré la traverse, pas d’échardes en dedans.
Aux hanches qui s’y sont épousées, pas de griffes et de crocs.
Aux cadences qui ont convolées, ni heurts ni cruauté.
Vésone offerte aux yeux fiévreux emportera encore le secret d’une première fois.
Ce soir, à ses courbes fendues, de manière improbable tout autant qu’absurde, amants émus aux pierres ont délaissé la guerre pour y faire l’amour et s’étonneraient presque, une fois délacés, d’être plus fourbus encore qu’à une nuit de stupre.



Avril prend son envol, et en déchire ses fils .

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L_aconit
2 avril. Peu avant.



- J'ai quelque chose pour toi...

L'aconit opportuniste saisit l'aorte pour y déposer sa langue, puis la range, précautionneusement, et se redresse. Navire dans la houle. L’œil peu frais mais le sourire panache.

- Une surprise?


Alphonse hoche la tête , amenant sous son nez, une petite clef. Faust observe la clef, d'un clignement d’œil.

- Qu'est-ce là?

Il voit bien ce que c'est là. Chat surveille et la clef et Faust, curieux, excité, bardé d'un espoir amoureux qu'il considère de loin, imbécile et précautionneux.


- J'ai fait quelques dépenses hier...


Aconit printanier la saisit entre ses doigts, la retourne tandis que le Parisien dessine dans les cheveux blonds une arabesque doucement nerveuse.


- Qu'as tu donc acheté? Une malle?

Il est ivre, et a du mal à faire des liens. Puis...

- Un appartement, vue sur la Tour de Vésone...
- Han.


Faust a un soupir suspendu, infini dans sa surprise. Il triture la clef comme si elle n'était pas vraiment une clef. Mais un passe partout. Une porte. Une tonne d’opportunités. Tabouret à l'étude discrète, place la clef dans la main, poursuivant:


- L'auberge me semblait impersonnelle, et la vue m'a plu... Elle me rappelle quelques souvenirs...

Rapace appuie un ton faussement détaché à ses explications, doucement chahuté de l’évidente symbolique. Nicolas se redresse à la fin de son étude et vient lui prendre la nuque d'une main doucement ferme. Bleuets rient, tonnent, grondent et bouche mande :
- Tu l'as acheté pour m'y baiser à la fenêtre?

Alphonse laisse la gorge se libérer d'un rire.

- Je mentirai en disant que je n'y ai pas pensé à la visite.


L'aconit l'embrasse, sans lui laisser temps de répondre plus, le bouscule un peu, le chahute, dans un "kyss meg" plus appuyé que d'habitude.

Tabouret se consume au baiser, heureux de retrouver le silence, plus encore de le goût de Faust. Main se fiche à la nuque et s'y ancre, propriétaire. Montfort murmure, là contre sa bouche,tandis que les yeux vont et viennent entre les jais et ces furieuses lèvres aimées:
et m'y feras tu l'amour, aussi, parfois?

Puis il opine un peu, anticipant la réponse, elle ne peut être autre. Puisqu'il en a envie.Alphonse étoile la bouche d'un sourire qui montre jusqu'au coeur: Parfois oui, souvent même. Le reste du temps, je t'y baiserai sans scrupule


Le prêtre accroche la lippe de l'intendant, y laissant la pointe d'une canine.

- Alors, c'est une surprise qui vaut bien une sortie de carême...

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Alphonse_tabouret
8 avril, heures premières.





Citation:

Beau Chat,

Journée sera longue pour moi aujourd'hui. Je dois baptiser en après midi et donner un cours à l’université ce soir. J'irai à Vesone si mes pieds peuvent encore me porter. Ne te néglige ni ne t'oublie...

F.






Dans les reflets du miroir, en de larges bandes obliques rayant les peaux mêlées, silhouettes enlacées pigmentées d’ombres et de clartés ont sauvagement conquis le mur et ses appuis.
Faust a tout à l’heure passé la porte de Vésone, nid aux odeurs encore timides, au mobilier encore nouveau, chemin fait de vides à remplir, d’interrogations spontanées dont les esquisses s’égarent à de plus instinctifs élans, et y a été accueilli sans sommation, au fil d’une envie brodée d’attente. Sur le bureau, courrier délaissé sonne comme un aveu ; il traine un vélin entamé et une plume dont l’encre a pelliculé les traits adoucis de la pointe.
Tendresse confessée à la faveur d’une fenêtre s’est tue sitôt chantée, refugiée à peine née dans les limbes d’une négation emportée , et à l’abri des errances qui s’exhalent, soucieuse d’être perçue, elle s’est greffée au tronc même de l’arbre-aorte sans l’ombre d’un remous; orgueilleux substrat, Alphonse ne la considère pas, et lorsqu’il y songe, qu’elle s’impose d’un battement de cœur, il l’attribue, mâle arrogant , à ces gestes qui tissent les chairs s’apprivoisant, à la grammaire commune d’un désir qui s’affame même de ses démonstrations.

Les doigts de Faust gagnent sa ceinture, avides, illustrés d’une voix sourde dont les mots grêlent les derniers reliquats d’une retenue jusque-là déterminée. Crus aux lèvres des autres, les syllabes ciselées perlant la bouche albe ont des allures de joyaux, d’écume mauve, et trouvent, aux monstrueux appétits qu’ils éveillent, un écho toujours plus impitoyable, tantôt noir, tantôt vert ; à ceux qu’ils viennent de s’échanger, sourires se sont ébranlés d’un reflet salé, déluré.
Le long de la silhouette brune, coule la fantomatique lueur des blés, bleus ferrés de noirs joutant dans les moindres détails et s’abreuvant, fauves excités par l’odeur du sang, des débauches limpides qui s’y lisent ; à l’aube des souhaits exaucés, la fracture des mondes s’éprend d’une rondeur fébrile.
La bouche blonde le nargue sans encore le braver, et les mains s’enfoncent dans la couronne blanche, se crispant de ce premier plaisir, de cette imminence aux inénarrables accents, de ces jeux nocturnes qui disent à leur langage, et, quittant brièvement les parfaites profondeurs qui le sondent, croise dans un rayon de lune, son reflet dans l’éclat du miroir.

Sang se suspend, souffle se retient et chair se cristallise avant que dans un assourdissant silence, n’explose la cage d’un dédain d'Homme: il y a, dans l’œil qui se surprend, la silhouette distincte d’une certitude.

Il connait ce regard, il sait ce qu’il s’y lit pour en avoir déjà perdu jusqu’à la vue ; il y a vécu un temps, y a grandi jusqu’à toiser les cieux, y est mort moins que rien, humilié, dénervé, commun, et présente aujourd’hui, dans ce reflet faits d’eux, le désaveu brutal de ses propres croisades ; Faust a contaminé le sens du mot "Jamais".

Mains nouées. Doigts liés. Pieds emmêlés. Sourires sur l’oreiller. Attentes parfumées.
A la nuit, à Lui, il n’est besoin de mots pour percer la cornée, et cela est tout simplement terrifiant.



Pupilles auréolées de feuilles, sève bleue battant les fibres jusqu’aux racines, blancheurs gangrenant jusqu’aux cendres des savoirs, il aime.
Il l’aime.



Et pour la première fois de sa vie, émotions aux bris barbares des vérités, Alphonse Tabouret débande.
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L_aconit

Pensez combien vous m'aimez, avait-elle murmuré.
Je ne vous demanderai pas de m'aimer toujours comme cela,
mais je vous demande d'en garder le souvenir.
En moi, au fond de moi, il y aura toujours la personne que je suis ce soir...


- Tendre est la nuit, Francis Scott Fitzgerald -



8 avril.


Citation:


    Dana.

    Il faut que vous parle de quelque chose. Oui. Asseyez-vous. Là. Vous y êtes? Bien. Maintenant éloignez tout bris de verre de la portée de votre délicate main. Parfait.

    J'ai rencontré votre mère.

    Oui, vous savez, celle dont je crois me souvenir que vous ne voulez plus en entendre parler. Oh, je ne vous en aurais pas parlé si nous en étions restés à une simple rencontre, mais il s'agit de votre fils. Salomon. Lorsque j'ai rencontré votre mère à Vannes, en allant au sacre de mon père, je ne savais pas qui elle était. Mais lorsqu'elle a vu Salomon et qu'elle m'a entendu l'appeler, elle a viré d'une drôle de couleur. Et puis m'a dit qu'elle était sa grand mère. J'étais un peu gêné. De ces histoires, vous ne m'avez que peu entretenu...

    Aussi, j'ai appris qu'elle sacrait mon père, en ovate qu'elle est. Et j'ai appris de sa bouche, que j'étais la preuve vivante de l'infidélité faite à son frère... Qui était donc l'époux de ma mère. Oh Dana. Il n'y a que nous qui puissions entendre quelque chose à ces liens de familles tranchants, et à ces drames internes desquels sont nés toutes les descendances Montfort Toxandrie , salaun de kerkrenv, Ap Maelweg... Guénolé, Salomon, vous, moi. Je ne suis que le fruit d'une infidélité. Une misérable chose, pas même méritante d'être nommée "bâtard". Ma mère a frayé avec un homme alors qu'elle était mariée pour me mettre au monde et me donner à d'autres bras... Aux bras de la Bretagne. Et tout cela, je l'ai lu dans le regard de votre mère, la Duchesse de Poudouvres. Vous auriez vu son regard... Dana, vous le voyez, n'est-ce pas? Elle s'est néanmoins intéressée à l'enfant bien plus qu'à moi-même. Bien que froide et distante, j'ai senti en elle une pointe de quelque chose. Elle fut piquée. Piquée comme nos liens nous étranglent. Comme les réponses nous tourmentent. Comme nos quêtes sont vagues.

    Malgré l'aura terrible de votre mère, j'ai pu lui proposer de prendre Salomon avec elle au sacre et de le laisser officier à ses côtés, l'enfant aurait été bon élève, après tout il est aussi religieux et vous n'avez pas à rougir de sa vertu. Elle est celle, tonitruante mais pure, d'un enfant qui ne peut rien à sa naissance...

    J'ai senti qu'elle en avait envie, malgré son refus. Malgré sa distance. Mais elle ne l'a pas fait. Au sortir de la Bretagne, nos chemins se sont recroisés. Je lui ai signifié qu'elle pouvait envoyer des lettres à Périgueux, pour son petit fils, si l'envie lui prenait. Et malgré ses silences, sans que je ne m'y attende, elle a écrit. Là. Elle a écrit, et a fait parvenir de l'argent et des effets à votre fils ce jour. Belle tenue, belle lettre, afin qu'il ne manque de rien. Oh Dana, il ne manque de rien, vous savez? Dites-moi que vous savez. Je m'occupe de lui comme la prunelle de mes yeux. Je n'aurais pas d'enfant, mais Périgueux en abrite bien assez pour m'offrir cette paternité.

    Je ne pensais pas vous raconter tout cela, mais je ne sais que peu de vos relations, aussi, tout cela peut-être ne vous paraîtra pas anecdotique... Dana. Je n'ai pas tout compris de la fièvre qui vous habite, de ce funeste message au couperet délétère, je vous préfère aux frontières de votre bulle, tendre et taiseuse, habitée par les questions plus que par les oracles. Mais je vous promet méfiance, oui, si tel est votre bon plaisir. Je ne rechignerai à rien pour votre plaisir. J'en suis bien incapable. Vous êtes ma seule compagnie, lorsque je pose les yeux sur Salomon, lorsque je ferme les volets, et que j'entends une femme briser un plat.

    Continuez de rêver, que le rêve dévore votre vie avant que la vie ne dévore votre rêve ... Je vous aime.

    Faust Nicolas.


La missive, parmi d'autres échouée au lit de l'écritoire partagé gît. Comme le joyeux fatras de deux mondes qui se sont rencontrés. A l'aube, elle trouverait son messager. L'heure est à la procrastination et aux pensées vagabondes. Alphonse n'a pas envie. Ce ne sont pas ses gestes, ni ses baisers ardents, si ses accroches absconses, mais d'obscures pensées dont l'aura clair de l'amant ne saurait percer l'épaisse cuirasse. Berne est désespérément installée, rognant sur le temps des jeux, l'interminable silence.

Alors la main le console, sans tout comprendre des enjeux. Sans tout montrer des questionnements, flatte la nuque aux mèches ombrageuses et aux beaux ourlets. La main s'étend à la joue, douce et bienveillante, apaisant le feu qui s'y est installé. Jusqu'à ce qu'elle ne s'en détourne, et ne laisse aux doigts qu'un vide impalpable, et au cœur une distorsion moins légère qu'il ne voudrait. Nicolas regarde le chat une dernière fois, qui lui rend son regard, mais de très loin, sur la rive d'une autre vie. Amant quitte la pièce et descend les marches, s'évanouit au dehors, sous la pluie qui vient de se mettre à tomber, le laissant là. Et soudain Vésone désertée d'Alphonse sonnait creux, et l'Aconit se retrouvait éventré comme sa tour de toute matière.


    Je me pris à aimer Vésone, la sensation capiteuse et aventureuse qu'elle donne la nuit et la satisfaction que le constant papillonnement d'hommes, de femmes et d'enfants y passant offre à l'oeil privé de repos. J'aimais remonter le chemin jusqu'à l'imposant édifice scindé en deux, choisir dans les passants des personnes romanesques, imaginer que dans quelques minutes j'allais m'immiscer dans leur existence d'un regard ou d'un salut. Aux crépuscules enchantés du village, j'éprouvais de temps en temps la hantise de la solitude et je la sentais aussi chez d'autres - pauvres autres qui flânaient devant des étals sans rien y chercher, en attendant l'heure de dîner tout seuls dans une taverne - jeunes égarés gâchant, à la brune, les instants les plus émouvants de la nuit, de la vie.


Chaque nuit il ajoutait de nouveaux traits au tracé de leurs fantaisies, jusqu'au moment où le sommeil refermait son oublieuse étreinte sur quelque scène éclatante. Être admis pendant un moment dans l’univers d'Alphonse Tabouret était de toute façon, une expérience inoubliable. Il donnait aux gens l’impression d’avoir pour eux des attentions particulières, de déceler, sous l’amas des compromissions qui l’avaient étouffée depuis tant d’années, ce que leur vie pouvait avoir d’unique et d’incomparable. Personne ne résistait longtemps à son exquise politesse, aux égards qu’il poussait si loin, et de façon si intuitive, qu’on ne pouvait les mesurer qu’aux résultats qu’il obtenait. Alors, sans autre précaution, de peur de laisser faner des relations à peine écloses, il vous ouvrait les portes de son univers. Tant que vous le considériez comme un tout parfait, auquel rien ne manquait, que vous y adhériez sans réserve, il ne travaillait qu’à vous rendre heureux. Mais, au premier soupçon, à la première lueur de doute, qui paraissait remettre en jeu l’intégralité de cet univers, il disparaissait à vos yeux.

La main retrouva le flanc esseulé, le poumon se gonfla d'un air peu consistant. Au delà de l'incompréhension, le doute. Dans la nuit noire de l'âme, il est toujours 3h du matin.


Hrp: Vous n'avez rien compris aux liens familiaux de Don, l'Aconit et Lallie Ap Maelweg?
C'est normal. Liens de demi frères et soeurs, et de mère adoptive.
Mais tout cela serait trop long à détailler, et bien ennuyeux!

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10 Avril, acte I

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Quarante-huit heures de battue s’étaient faites étapes au sablier d’une dispersion noire, épaisse, eau lourde butant à chaque mutilation jusqu’à en créer le ressac; instinctive, épilogue à toutes ses défaites, la fuite avait été immédiate, l’abimant à la contemplation de ses disgrâces avec une curiosité saturée; certitude révélée à même la prunelle épinglait avec une insupportable netteté ses reflets bleus et blancs aux angles primaires des évidences : Étienne n’avait pas servi de leçon.
Imbécile écrin aux verrous minéraux, le cœur avait fini par se percer à force de battre et il l’avait laissé faire, arrogant, si parfaitement convaincu qu’il n’existait rien capable de lui faire oublier sa chute et sa nuque assermentée.


Il en est une qui rayonne, virevolte, bras en l’air, grotesque petit rat aux pieds endimanchés de cendres et de verre.
Compagne si longtemps affaiblie, à ce nouvel étau, jubile ; la gorge d’Alphonse a enfin retrouvé le chemin de l’étreinte.
Il y a dans le cœur, un secret nouveau, une vérité à défendre, un clandestin caprice dont Faust ne doit pas se douter avant d’en assainir le feu.
Crécelle, le rire s’emporte et vole aux vents.

Alphonse amoureux, Compagne engraisse.



Chat a erré au travers d’une ville qu’il sillonne depuis quinze jours maintenant sans même l’avoir reconnue, patient appliquant l’alcool en guise d’analgésique aux nerfs consumés, la solitude en guise de ligature aux morsures cintrant son ventre. Brunes esquisses discernées de raison ont pris de l’ampleur, ont acéré leurs traits au travers des mensonges faciles et ont fini par crever sa bulle devant la porte d’un appartement aux verticalités partagées; ses pieds, naturellement, l’ont ramené à Vésone.



Main étoilée se pose à la porte et en écoute chaque respiration ; faite à la souche d’un arbre-aorte, il en neige des chants mêlés à chaque bruissement en échevelant la futaie.
Vésone vide manque d’intérêt.





Dans le couloir, la porte du confessionnal a délivré son dernier pénitent et Saint Front aux rondeurs de ses bourgeons, sonne minuit à la manne obligée d’un clerc appliqué; Faust, au voile de son grillage, attend sa dernière brebis, et y accueille au volume de la petite banquette, les cornes d’un mouton noir.
Au silence des amants réunis, âmes en lisières de leurs berges, la chair s’étire d’un nœud marin; noirs guettant le sol attardent la confrontation, carencés tout autant que prudents. Aux odeurs encensées des pierres, dans le petit esquif auquel ils se retrouvent, le parfum discret de Faust surpasse tous les autres.
Coudes plantés aux cuisses, buste en suivant le mouvement, Dextre parcourt une nuque résolue, quoique précautionneuse, avant qu’Alphonse ne parte à confesse.


J’avais quatorze ans lorsque j’ai rencontré Quentin, commence-t-il, voix claire volontairement dépareillée des habituels velours qu’il prend lorsqu’il en vient aux confidences, remontant jusqu’à l’incident premier au risque de mettre en lumière quelques-unes de ses difformités. L’ambre répandue aux veines s’est dissoute au chant du bois et il ne reste aucun autre stigmate que des cernes un peu plus bleues qu’à l’accoutumée sur le visage faune. Il faisait sa première passe dans un bordel parisien et j’y attendais mon père, au milieu des putains.
Ce fut mon premier amour et lorsqu’il est mort, j’ai cru que je n’aimerais plus, que l’idée même de l’amour n’existait plus... J’en devins triste et excessif ; j’avais vingt ans et l’on venait de m’enlever la seule chose pour laquelle je n’avais jamais eu d’intérêt


Brutale césure, la mort de Quentin avait asphyxié l’art de la poésie et condamné Alphonse aux premières mélancolies.

C’est Axelle qui m’a soigné avec une infinie patience, m’a mené jusqu’en Bretagne, m’a forcé à respirer, sans jamais rien demander en retour…
Presque deux ans plus tard, j’ai rencontré Étienne. Il m’a plu et je me suis détesté pour cela...
Un rictus nerveux s’affiche aux lèvres franches, et aux écueils d’un égo encore poisseux, l’animal cherche le refuge de l’antre ; au fil de cette proximité devenue substance malgré lui, jais se lèvent enfin aux bleus pour y trouver l’oxygène. C’était comme enterrer Quentin une seconde fois, et il m’a fallu du temps pour accepter que je puisse désirer quelqu’un n’étant pas lui.

Monstre au cœur pur, aux infinies fidélités malgré ses multiplicités, Alphonse sans demi-mots, s’astreint à la visite d’un empire terrassé par ses croyances les plus fondamentales ; l’Amour, invariable, ne souffre d’aucun pluriel.

Je l’ai fait ; c’était un monde nouveau, violent, bâti d’absolus fossés… Il m’a aimé autant qu’il m’a haï, et j’ai essuyé en vain ses fracas, son mépris, et sa honte… J’ai cru que cela suffirait à l’apaiser, qu’ainsi rassasié, il pourrait enfin braver son reflet… mais j’avais tort. La silhouette se redresse et la main balaye un cortège de mèches brunes venues supplanter le visage d’une dentelle d’ombres grises.
L’un m’a appris à croire. L’autre à renoncer.

Et toi, que m’apprendras-tu ?

Mon orgueil, Faust, est ma pire force. Il m’a fait survivre à dix-huit années de servitude, m’a soigné du deuil au travers de défis, m’a condamné à Florence pour ne pas avoir à souffrir du regard des autres, m’a précipité dehors et m’a empêché de rentrer ces dernières heures… Un verbe s’échappe, inconscient témoignage, et s’offre en dragées d'arômes à l'attention du jeune évêque; ne rentre-t-on pas qu’à la maison ? J’ai eu l’orgueil de croire que je me connaissais, que les autres m’avaient composé inaltérable, et je découvre à tes côtés, que ce n’est pas le cas. Je m’en suis fâché, t’en ai voulu, quand je ne peux m’en prendre qu’à moi-même d’avoir été assez arrogant pour me croire achevé à seulement vingt-six ans.
Puisses-tu me pardonner d'être un idiot.


Dans la nef, l’écho de quelques pas retentit ; à l’heure tardive, l’on souffle les bougies de la dernière messe et il ne reste bientôt à l’onde du silence, qu’une timide constellation pour en éclairer le ventre arrondi.

Je suis avare de mots… On ne m’a pas appris à parler, et je n’en ai jamais vraiment souffert, poursuit-il, mains plongeant au ventre pour en extirper, au fond des biles anciennes, les bribes d’un absolutisme converti. Je les trouve mal faits, pauvres à dire ce que l’on ressent, usés déjà par tant d’autres situations que l’on pensait à propos et qui, sous l’œil d’un présent neuf, n’ont plus rien d’équivoque… Mais si je déplore leurs sens raccommodés, je me rends compte à ta bouche, que j’en apprivoise les sons, qu’il faut donner pour recevoir…
Je regrette de t’avoir privé des miens quand tu en avais besoin.


Préoccupé, le pouce effleure les brulures du poignet qui lui fait face ; senestre étonnamment sage n’a pas tremblé une seule fois depuis le début de sa procession.

Je suis en colère après moi, dit-il, pensif sans être absent, demandant au déroulé d’une idée qui se pelote à ses tempes : As-tu déjà remarqué que lorsque l’on réfléchit aux choses les plus spontanées, soudainement, on ne sait plus les faire ? L’automatisme décortiqué devient abscons…
Je te baise comme je respire, Faust, cela me semble évident, simple,
Vital, et de m’en être rendu compte m’a … suffoqué.


Le verbe raye l’âme d’un angle bref aux lippes jusque-là soucieuses de panser les travers de ses revers. Ego blessé admet la dérision ; suffoqué était une belle métaphore. Il se racle la gorge, bouscule Compagne dont le naturel ombrageux s’inquiète, et filtre à sa gueule ce qui ne brisera ni le fil, ni la sincérité.

Je n’ai pas été naturel depuis si longtemps que je ne sais plus à quoi cela ressemble… Et si jamais tu trouvais cela laid ?...
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L_aconit
10 Avril



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Il est bien tard quand Alphonse revient, chat nocturne égaré, échoué de son escapade de pluie. Et Nicolas l'entend, l'attend, jusque dans la résonance de ses pas. Il l'entend arriver, l'attend arriver, latent et ne dit rien, adonné depuis déjà longtemps à ses prières muettes. Les mains sont calmes, posées sur les genoux. Nicolas attend Alphonse comme on attend sa sentence à la marche de l’échafaud. Angoissé et serein à la fois, de mourir et de savoir que c'est inéluctable. De regarder après. Plus loin. Derrière. Quoi qu'il ait à faucher, il faudra bien le faire.

    Après la nuit, avant le jour, et à travers les roselières, j'irais chercher, les hautes lumières. Aux innocents les mains pleines, je t'emmène lancer des médailles dans l'eau bleue des fontaines. Je porte le blason de mon clan, je l'ai désormais gravé sur la face visible de mon cœur. Mais ça ne fait pas mal rassure toi au contraire. j'ai fait broder nos souvenirs étincelant sur des manteaux de nuit que m'ont offert des frères tisserands drapiers de canut. J'ai à la main mes aussières, je suis prêt.


Il le laisse prendre place, comme s'il n'avait jamais quitté le lit. Quand Alphonse s'est enfui, c'est Faust qui est parti. Vers son grand voyage intérieur. Ses peurs à reculons. Ses réminiscences bleues, bleuets éclos sur la peau du passé. Seul face à ce mur vu d'ici infranchissable, il s'est inventé un ami. Comme il l'a toujours fait depuis Rezé. Depuis toujours, a tiré la main immatérielle d'un Intendant évanoui. S'est retranché au silence. S'est ouvert à la nuit. Et pendant que le chat s'épanche, il sent le rapace resserrer ses serres sur son épaule. Les enfoncer, épines, jusqu'au coeur. Il est des vérités qui valent toutes les fugues. Et tous les non dits. Maudits.


    Je t'emmène loin des griffes de la colère, loin des regrets, loin des nausées, je t'emmène loin de la barbarie. Je t'emmène courir après des filles, après des garçons, après des rêves. Et contempler les vivants, ces gens qu'on croise parfois et qui nous font tomber amoureux pour deux, pour trois. Je veux faire l'amour dans les champs, dans les clairières, devant Vesone, je veux faire l'amour partout, même sur les toits de Paris tandis qu'une madone enveloppée d'un châle rouge bénirait nos fronts, en silence avec des croix de baume au camphre. Je veux résider au creux de ton cou, et dans ces draps parfumés de toi, qui a déserté deux jours durant. Deux jours de nuit. Je veux écouter les histoires des anciens encore et encore, ces histoires millénaires qui renaissent. On s'est connus y a trois mille ans, on se retrouve maintenant, et nos enfants feront de même. Même ceux qu'on aura pas. J'écoute ton histoire.


De ces noms, il ne sait rien. Il ne sait rien, pauvre impuissant du futur. Il comprend les blessures, fractures fermées sous brûlures ouvertes. Il en mesure l'étendue salace, et les capte, coupeur de feu dévoué. Alors sa prière muette reprend. Scande, pour ne plus l'écouter. A l'épilogue d'Alphonse, Faust se laisse faucher de jalousie. Oui. Alphonse a eu une vie. Et d'icelle, il n'aura plus rien. Il n'aura rien eu. L'espoir se recroqueville dans une certitude de conquérant. Il n'est jamais qu'une page vierge. A l'encre fertile de son amant.

    On doit encore parcourir la terre, on doit trouver cent mille sœurs et cent mille frères pour plus jamais être seuls dans les cimetières. Moi... Je t'apprendrai à tenir ce subtil équilibre de la vie, entre lâcher prise et tenir bon. Alors sur la colline du Palatin, par dessus les dômes byzantins bientôt nous serons postés, nous armerons nos flèches de diamants, pour devenir sagittaires et décrocher, les hautes lumières.


- Tu es parti par orgueil, je suis resté par crainte. Vois-tu, je t'attendais. Et tu es revenu. Maintenant tu redoutes, et moi, je m'enorgueille de tes mots, trop rares pour ne pas être précieux.

    Nous sommes tous de couards orgueilleux.


- Je suis moi-même compendieux … On m’a appris à me taire, et je n’ai jamais su me dresser contre l'autorité. Ne regrette rien.


Il triture un pli naissant à sa cuisse, laissant Alphonse étirer ses aveux. Peut-être est-ce un sourire qui vient là, briser sur le bord de sa lippe rose, la solennité de l'instant. Ils ne se sont pas dit qu'ils s'aimaient. Pourtant, de part et d'autre de la paroi, le confessionnal entend ses évidences. Couards et orgueilleux. Il inspire un peu. On ne laisse pas un chat se dévêtir, sans venir le réchauffer un peu. Donner de soi était une perspective toute naturelle à Nicolas.


- Je me suis épris d'un voleur, que j'ai suivi aveuglément loin de ma Bretagne natale, persuadé que nos correspondances étaient tombées entre les mains de mon Maitre, honteux que j'étais de supporter l'idée de son regard posé sur moi après cela. Je l'ai quitté comme on s'émancipe, et Ansoald a rongé ma laisse pour faire de moi un homme, et me voler plus que je n'oserais raconter. Lorsque le Prince nous a rattrapé, je n'ai dû mon salut qu'à la Medici, s'interposant entre nous, moi férocement accroché à celui que j'aurais suivi en enfer.

Ansoald, envers et contre tout, avalait les secrets d'un Aconit blessé jusque dans l'évocation du souvenir. Les doigts agacèrent la médaille logée là, à l'ornière du Plexus.

- Mais il aimait les femmes, peut être plus que toute autre chose. Je n'ai jamais su si c'était leur façon irrémédiable de tomber en pâmoison devant lui, ou cette vraie faiblesse dont il avait toujours sur tirer avantage. Toujours est-il qu'après avoir appris de lui la liberté, la mélancolie nous a gagnés. Il n'aspirait qu'à elle. Et moi, n'aspirais qu'à lui. Nous n'étions pas miscibles, je le savais. Il est parti tel qu'il était. Comme un voleur. S'en aller se marier, pensant ravir un énième autre coeur. Poursuivre sa quête infinie.


Les doigts lâchent la médaille. La nuque trouve la roideur de la paroi.

- En Alençonnais, j'ai rencontré Lestat. Ce fringuant Duc qui m'a complètement accueilli, accepté, aimé aussi. J'ai pensé l'enlever à sa vie, à ses tristesses passées. J'ai donc endossé l'apparence que je connaissais le mieux. Je suis redevenu pour l'officialité écuyer. J'ai prêté serment. A deux nous étions invincibles. Nous avons voyagé. Un enfant d'une nuit, une nuit où je n'existais pas a un peu entaché ou resserré nos liens. Je ne sais plus bien. Les femmes toujours sont venues ravir mes aspirations quiètes... Nous avons brûlé une longue année par les deux bouts, jusqu'à échouer ici.


Il désigne tristement sa cage religieuse. Tout est encore frais. Nicolas réduit la distance entre Alphonse et lui, et la tempe trouve la grille.


- L'évêque, lors d'une vente de livres précieux, m'a trouvé... Fort à son gout... Un blond enfant pour épancher ses vilains appétits sans doute. Offusqué, le duc a riposté. Et d'un geste malheureux, toute la garde épiscopale a surgit, prêt à l'estourbir. Pour calmer le jeu et prouver nos intentions, j'ai accepté de servir le prélat quelques temps en échange de la liberté de mon noble amant, contre son avis. Lestat fut reconduit aux portes de la ville, seul, et j'ai connu l'église. Et n'en suis plus jamais ressorti.

Pourtant tout est là encore. Loin d'être évanoui. Faust est de ces ardoises qui ne s'effacent vraiment jamais, accueillant la craie comme indélébile griffure. Et de conclure dans un murmure.

- Je ne suis jamais parvenu à envoyer les lettres que j'ai pu lui écrire. Alors oui, j'ai remarqué que lorsque l’on réfléchit aux choses les plus spontanées, soudainement, on ne sait plus les faire.


Paralysés, les doigts se figent à son poignet ceint. Chacun porte ses stigmates. Chacun sa façon de les dissimuler.


Inspiré par l'oeuvre de Fauve

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10 avril





Parallèles antipodes, les fils tendus s’offrent leurs reflets au voisinage de leurs côtes; ici et là, sémaphores, les noms dardent leurs couleurs dans les clartés partiales de la mémoire, et il en est un qui relaye enfin, impitoyable, le sillon d’un trait aux ardentes syllabes.
D’Ansoald, délivré plus tôt à l’escale d’un printemps précoce, il ne craint rien, lecteur attentif de ses propres tendresses : les premières amours jamais ne meurent, et si elles perdent en netteté, elles gagnent en contrastes au linceul implacable des heures qui fondent. Alphonse, si longtemps condamné à ses passions anglaises pour en être indulgent tout autant que coupable, montre la muselière aux grincements qu’héberge la lisère de ses tempes, et quand l’Alençon dessine ses frontières, à la vague qui menace son dos, au bruit blanc qui en précède la frappe, il étend la noirceur d’un regard courroucé à chacune de ses plaies agitées.
A son ombre à peine esquissée sur le panneau de bois, une couronne de grives aux nébulosités cotonneuses s’éprend de ses tumeurs ; une voiture fantôme frappée d’armoiries fendant les flots grégeois de leurs premières heures vient de traverser Paris et de terrasser l’averse qui les a réunis.

Lestat.


Pluie de lettres goutte des hauteurs de la narration et étire un sourire mauvais aux gueules réprimandées ; Jalousie, sur le haut de ses pattes, se hisse au-dessus de la mêlée.



La lame se fracasse à ses épaules, et chaque particule en gèle jusqu’à brulure ; le voilà, celui qui est quelque part, presqu’île aux isthmes étirés de marbre, qui vit encore dans les nuées de Faust, celui qui existe toujours, figé, tyrannique instant ayant jeté la clef de la cage où ils se sont enfermés à leurs seuls sacrifices.
Alphonse attend, patiente créature tissée d’habitudes, l’analgésie salvatrice qui vient panser les plaies, celle qui toujours nettoie l’âme de ses variations jusqu’à en réécrire, méthodique, l’intégrale partition. Ainsi s’est-il bâti, Homme bancal aux amputations ordonnées des sens pour n’en savourer que la curiosité et non plus la sapidité, abrasant chaque renflement jusqu’à l’aplanir pour cueillir d’un regard d’un seul, l’étendue de son royaume ; fidèle, l’Anesthésie toujours se coiffe de son casque pour ses gros œuvres, et à ses espérances noires, contremaitre dévoué, ponce avec application jusqu’à retrouver l’équilibre des euphonies silencieuses et leur froide expertise en guise de réponses.


Il attend, et elle ne vient pas ; agent égaré à ses automatismes, percuté de plein fouet par un carnivore aux innombrables aiguillons, git, éventré, sur le bord du chemin.
Fange galopée s’envole et chaque empreinte laisse derrière elle, le bourgeon d’une fleur marine.



En ligne droite, remontant des nerfs jusqu’au cœur, l’émotion l’emporte, consternée tout autant qu’exaltée et le besoin de toucher l’amant s’impose avec une brutalité désespérante avant que n’y succombe une improbable sérénité. Chahuté à des flots nouveaux faits de courriers empilés, il se condense, matière nouvelle, et rejoint un rivage constellé de gravas de papier ; aux lettres qui s’amoncèlent pour un autre, son prénom s’écrit aux chorales des lanières et se présente nuit après nuit, à sa lecture attentive. Consolation cruelle des jalousies à peine nées bourdonne de douceur et entrouvre à l’esprit balbutiant, un baume frais qu’il ne reconnait pas.
Au travers de piques hérissées le long d’une âme bleue, les mots ont dessiné un chemin, étroit, escarpé, aux sinuosités fractales, amas de cailloux blancs disparaissant aux ombres lettrées de prénoms mâles venus d’un autre temps.
Ce soir, Faust n’a pas crié, tempêté, reproché ; il n’a pas barricadé son monde. Il en a même ouvert ses portes.

Noirceurs en foule amassée font le dos rond ; sur l’estrade, Inclinaison et Inclination se disputent le premier prix de la course.
L’une chante, l’autre aboie et dans cette harmonie nouvelle, Alphonse étire une main jusqu’au grillage qui les voile, et attarde un sourire doux-amer aux souvenirs passés. Ce qu’ils vivent, hématomes d’une improbable rencontre, ils le doivent aux autres, à ces amours absolues qui marquent le cœur au même fer que les gestes, et s’en réjouir crispe l’amertume tout autant que la joie.
Alors que fait cette luciole en bordure des bosquets ? Que fait cette lueur entêtée qui délaisse les fondations pour rejoindre le sentier défriché de janvier ?



Lampyre aux rêves de nymphes, l’insecte s’illumine aux racines qu’il observe, halo bavard au milieu du silence. Ce soir, il n’est ni bleu, ni noir, ni blanc.
Ce soir, le monde est vert, comme la cime d’un arbre.


Puisque l’on marche aux cendres, que de nature, nous ne porterons pas de fruits, et que la raison nous enraye dès que l’on s’y essaye, laissons la réflexion de la taille aux autres… La voix s’adoucit et la foule de ses exsangues manières ploie sous la concession.
Délaissons la botanique, nous serons herbes folles, veux-tu ? Nous laisserons faire, discrètement, au jardin que tu entretiens, au désert que j’abrite, sans autres engrais que la nuit et la pluie... Si cela pousse, ce sera un miracle, mais n’est-ce pas là ton fonds de commerce ?

Trempée, échappée des embruns, la silhouette se penche jusqu’à ce que les lèvres cueillent la tempe blonde d’un dernier chapelet :

Finis ta journée, rejoins moi dehors… Tu m’as manqué, Faust, et ma bouche a encore beaucoup à te dire…
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