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"Pour que tu ne meures pas, j'aurais donné ma vie". Pour que tu ne meures pas, nous aurions tous donné notre vie. Adieu, Eldearde, Eldie, Eldichou </3

[RP] A tantôt, Là-Haut.

Arry
    [Le dix avril dans l'aprem]

    Paraît que quand on se bouffe pleine gueule la mort de quelqu’un qu’on aime, on suit tous plus ou moins le même cheminement émotionnel. D’abord, y’a l’annonce, qui vous bazarde une énorme tatane dans le cervelet. Votre palpitant débloque, votre matière grise merde, vos sens déraillent, votre gorge se coince, et tout semble se figer autour de vous. Vous n’avez pas envie d’y croire. Alors, vous n’y croyez pas. Malgré le ton grave qu’on a employé pour vous le faire savoir, les regards peinés qu’on vous jette, les marques de soutien qu’on tente de vous témoigner. Vous êtes dans votre bulle. On vous fiche la dépouille sous le pif, et la bulle vous éclate à la face. Possible que vous vous mettiez à secouer le corps comme si y’avait encore moyen d’y refoutre de la vie. Ou que vos guibolles se dérobent. Ou que vous hurliez. Chialiez. Perdiez connaissance. Voire un mélange de tout ce bordel. Ça sert à que dalle, c’est même souvent pathétique mais qu’est-ce que vous en avez à carrer de ce qu’on peut penser de vous sur le moment ? Pas grand-chose.

    Puis, quand vos neurones se remettent à s’activer, vous cogitez. Sans cesse, beaucoup trop. « Pourquoi ? », « Si j’avais fait les choses différemment, vous seriez toujours là ?, « Si je t’avais jamais rencontrée, t’aurais été plus heureuse ? », « Qu’est-ce que j’ai foiré ? ». La culpabilité ronge, jusqu’à l’os. La haine aussi. Et Arry en avait un sacré paquet de haine à refourguer. Elle lui mitraillait les entrailles, là, alors qu’il fixait ce foutu trou où la dépouille de sa femme serait bientôt déposée. Sa mâchoire restait crispée, ses poings serrés, ses yeux noirs de rage. Il avait tenu à choisir lui-même l’endroit où Kierkegaard reposerait. Chez eux, en leur comté, sous ce vieil arbre aux centaines de branches où elle avait l’habitude de bouquiner au calme quand l’idiot de gus auquel elle avait décidé de s’unir s’amusait à faire des ricochets avec leur rejeton dans l’Aixette, à seulement quelques pas. Il s’était acharné à creuser sa dernière demeure une nuit durant et personne au château n’avait osé ouvrir sa gouaille lorsqu’il s’était radiné à l’heure du déjeuner les paluches souillées de terre & de sang mêlés, les quinquets encore bouffis par le trop plein de larmes versées.

    Les autres n’allaient pas tarder à pointer du museau maintenant. Il n’avait pas envie de les voir, pas envie de leur causer, pas envie de recevoir du « Mes condoléances », pas envie d’entendre à quel point son épouse était formidable. Saint-Jean se chargerait probablement de toutes ces merdes. Ses épaules tenaient mieux – ou semblaient à tout le moins mieux tenir – et sa main à elle n’avait pas fléchi quand il avait fallu prévenir les proches, ses bras pas failli quand il avait fallu réconforter le gamin. Lui, tout ce qu’il avait été capable de faire, c’était péter de la crise, démonter de la vaisselle, insulter, se battre, maudire tous les Saints, essayer de se convaincre qu’il la haïssait plus qu’il ne l’aimait. C’était bidon, et, au fond, il le savait parfaitement. V’là pourquoi il avait remis à son annulaire la bague qu’Eldearde avait quittée avant de se donner la mort. Parce que c’était SA femme, ce serait toujours sa femme, sa grande histoire, son évidence, sa putain de tragédie, la personne qui occuperait et n’arrêterait d’occuper le plus de place dans son palpitant en bouillie et, surtout, celle qu'il rejoindrait quand viendrait sa propre fin.

    Je t'aime aussi, mon amour.

    Citation:
    Epoux,

    Nous ne nous reverrons plus.
    Comprends-tu ce que cela veut dire ? Le comprends-tu seulement ? Je l'écris et je suis terrifiée. Ton absence éternelle m'épouvante. Nul besoin de mourir pour la connaître cependant : le temps a déroulé le fil de son noir dessein et, déjà, je porte le deuil de ce que nous fûmes. Porteras-tu le mien ?

    Tout est pour le mieux. Je n'ai jamais existé que pour habiter ton oeil ; tu détournes le regard et je ne suis plus.
    La mort ne se pose point en parfaite inconnue sur ce qu'il me reste d'âme. Je meurs et meurs de nouveau depuis janvier fatidique. Tu m'as soutenue d'une épaule maritale, tu m'as traînée, chancelante, jusqu'au tombeau inévitable. Tu as fait ce que tu as pu. Tu t'es renié pour moi ; tu t'es privé pour moi ; tu as déserté pour moi ; tu t'es muselé pour moi. Seulement voilà venir mon temps, dans ta vie comme dans la mienne, puisque, à y bien penser, cette dernière n'était et ne sera qu'une frêle ramification de ton existence. Défleurie, séchée, je tombe mais tu restes, toi le tronc immuable, toi le fût aux mille racines, toi...

    Ne pense pas trop à moi. Non, n'y songe jamais. Ne garde de nous que le fils (que toutes les années que je me vole lui échoient) et étale sur le vieux une couche de neuf : vois, l'image est terne et la peinture s'écaille.
    Sache cependant que je t'ai menti. Il est plus aisé de s'en laisser aller un être abhorré ; j'ai cherché la haine à l'ourlet de ta bouche et, l'ayant trouvée, je crois t'épargner grande souffrance. Mais constate quelle faible femme je fais jusqu'aux derniers instants : je ne peux finir sur cette abomination faussement déclamée. Aussi, j'avoue.
    Je t'aime.
    Du neuf mars béni entre tous à mon dernier souffle, je t'aime.
    Dans ce monde et dans le prochain, je t'aime.
    Par delà le silence des limbes, je t'aime.
    Eteinte et nue, je t'aime.

    Je me suis permis le tutoiement, car le moment le vaut.
    Pardon.

    Ta femme, aussi fugace que fut cet état de grâce.

_________________
Lucie

I've seen fire and I've seen rain.
I've seen sunny days that I thought would never end.
I've seen lonely times when I could not find a friend,
But I always thought that I'd see you again.



• • • • • • • • • •



Main sur la poignée de la porte, front appuyé contre le battant, Lucie attend. Que son coeur s’apaise, que ses sanglots s’arrêtent. Elle se l’est jurée, elle ne pleurera pas devant Eldearde. Partout ailleurs, elle ne peut pas l’empêcher. Elle ne sait pas. Son chagrin est trop grand, sa douleur trop lourde. Elle déborde au moindre mot, au moindre geste. Mais face à sa meilleure amie, face à son âme soeur, elle a le devoir de tenir droit. Eldie risquerait de s’en vouloir d’être partie si elle voyait le désespoir que sa mort provoque. Et elle ne doit pas se sentir coupable. Elle ne doit pas avoir mal. Pas maintenant.

Les minutes passent, longues, jusqu'à ce que la Josselinière parvienne à rassembler les miettes de son coeur et sa force éclatée, au vent semée. Larmes taries, l’huis est poussé. Tout est froid et silencieux dans la chambre. L’air, immobile, est saturé du parfum capiteux des bouquets mortuaires qu’on a disposé sur les commodes et au bord des tables. Sur leurs supports de métal, les bougies se consument lentement sans que leurs flammes n’ondoient ni ne vacillent. Allongée sur son lit, son corps blanc enchâssé dans un océan de glaçons à chaque heure renouvelé, la comtesse d’Aixe repose. Son apparence est inchangée. La mort n’a pas encore tout à fait refermée son poing sur elle. Elle n’a pas altéré sa fragile beauté.


- J’ai apporté le vin. Nuits-Saint-George, comme vous aimez, murmure Lucie en approchant, abandonnant bouteille et coupe unique au chevet. Je n’ai pas fait préparer à manger. La tradition voudrait que je fasse semblant, mais pour cette fois nous pouvons déroger à la règle, n’est-ce-pas ?

Tendant une dextre tremblante, elle effleure la tempe d’Eldearde, lisse une de ses mèches sombres, la range derrière son oreille. Geste infime, débordant de tendresse, qu’elle a mille fois répété au coeur de ces nuits qui n’appartenaient qu’à elles et où, blotties l’une contre l’autre, elles vidaient leurs coeurs et leurs coupes, si fusionnelles qu’elles parvenaient à se comprendre à demi-mots, qu’elles pleuraient les douleurs de l’autre, qu’elles riaient avant même que les blagues ne soient terminées.

Un verre est servi puis lentement, avec une douceur toute maternelle, faisant de chaque geste une ultime déclaration d’amour, Lucie commence à préparer le corps d’Eldearde. Elle parle, aussi. Elle parle beaucoup. C’est un long soliloque où se mêlent toutes les nuances de l’amitié et de la détresse associée.

Tout bas, d’une voix brisée, elle dit qu’elle comprend et elle demande pardon de n’avoir pas été là, de n’avoir pas suffit. Elle chuchote sa culpabilité et sa douleur. Elle avoue qu’elle ne sait pas comment faire, à quel point elle a peur. Elle pose des questions qui restent sans réponses. Elle rappelle leur première rencontre, puis toutes les autres. Elle ravive le souvenir du onze mars mille-quatre-cent-soixante-cinq. Et elle pardonne à son tour. Elle l’avait déjà fait, en vérité, mais elle le répète. Parce qu’elle doit le savoir, Kierkegaard tant aimée, qu’elle peut aller en paix, que tout est effacé.

Puis plus tard, à l’heure où les étoiles au ciel s’éteignent, quand la coupe est depuis longtemps vidée, et Elde de son ultime habit parée, quand pour la dernière fois leurs mains sont nouées, elle ose évoquer l’avenir. Elle jure sur tout ce qu’elle a de sacré qu’elle sera là pour l’orphelin que l’amie a laissé, que Nathaniel saura à quel point sa maman était belle et brillante, qu’il ne doutera jamais d’avoir été infiniment aimé, que dans tous les moments de sa vie il sera accompagné. Elle sourit de côté en disant que pour l’époux dévasté, elle sera, si ce n’est une amie, au moins une épaule sur laquelle s’appuyer. Et finalement, elle en fait le serment, elle vivra pour l’empêcher de mourir tout à fait. Elle ne sait pas où, elle ne sait pas comment, mais elle ne la laissera pas disparaître. Jamais.

Alors, puisque l’essentiel est dit, puisque l’heure arrive de laisser aller, elle embrasse le front glacé, lisse la soie foncée de la robe qu’elle a, une éternité avant, offerte à sa vassale adorée et qui pour la fin des temps sera portée, et elle s’en va se préparer avant d'affronter cette journée.




Chanson : Fire & Rain de James Taylor
Traduction : J'ai vu le feu et j'ai vu la pluie / J'ai vu des jours ensoleillés que je pensais ne jamais voir finir / J'ai vu des moments solitaires où je ne pouvais pas trouver un seul ami / Mais j'ai toujours pensé que je te reverrais

_________________

Samsa
[Même la mort est *hips* drôle avec vous] *
C'est clair, j'me marre. Tu parles...



Pour que tu ne meures pas,
J'ai prié jour et nuit
Un Dieu que j'ignorais
Pour qu'il te garde en vie.
Je priais à genoux
Pour qu'il te laisse à nous.


Il fait beau. Dans le ciel encore printanier, le soleil brille et une légère brise souffle de temps à autre. C'est malheureux à dire, mais il fait beau. La tête levée vers l'astre, Samsa semble lui en vouloir de ne pas compatir à sa peine, de ne pas se draper d'un manteau de nuages gris, de ne pas pleurer. Les petits yeux sombres, abrités par des arcades sourcilières marquées, ne sont pas vraiment aveuglés par la lumière céleste et restent fixes dans cette pose d'un défi muet et ignoré. Le soir où la lettre de Lucie lui était parvenue, c'est à la face de la Lune que Samsa avait crié sa colère et son chagrin. Elle lui avait jeté quelques coups de poings futiles et si elle avait pu étaler les mots du parchemin à son visage impavide, elle l'aurait fait avec la violence qui la caractérise. Aux oreilles du Très-Haut, elle a aboyé de ses trois gueules de Cerbère les mots les plus puissants et les plus odieux, assourdissant sans doute le voisinage qui n'avait pas osé appeler le clergé pour venir à bout de ce démon.
Dans quelques moments de fol espoir, Samsa avait prié. Toutes les hypothèses avaient été bonnes à prendre : la mauvaise blague, l'erreur, une rumeur non-vérifiée, une ressemblance quelconque. Le complot, pourquoi pas. Pourtant, la Baronne était en route pour cet enterrement et ce n'était pas pour vérifier que c'était bien Eldearde qui était morte. Au fond de son cœur, de son être et de son âme, comme pour Zyg, Samsa savait.

Je faisais les prières
Que je me récitais
Lorsque j'étais enfant ;
Je disais 'Notre Père',
'Je vous salue Marie'...


Ses mots pour Eldearde n'étaient pas les mêmes que ceux qu'elle avait utilisés pour Zyg. Il y avait trop de différences entre elles et entre la femme que Samsa était maintenant et celle qu'elle était avant. Il n'y avait plus d'incompréhension et de haine aveugle car la colère et la violence les avaient remplacés. Samsa n'avait pas les capacités de résister à un tel séisme. Cerbère, si. La méthode était radicale : avoir la hargne, se tuer à la tâche, se focaliser sur ses buts et mettre à terre tout ce qui pouvait être une source de chute. Seul restait Cerbère, parfois éclipsé par une once de nostalgie qui appartenait à cette Samsa qui n'était plus. Entourant la combattante, les autres. Ils avaient beau être sa seule faiblesse, la Baronne restait d'une humanité touchante, incapable de se protéger quand ils souffraient. Ces autres, qui avaient été ses plus beaux rêves mais aussi ses pires cauchemars, particulièrement ceux qu'elle pensait immortels quand ils venaient à briser cette solide croyance, cette si belle et si réelle illusion. Comme Eldearde. Eldearde qui, jamais, ne l'avait jugée. Eldearde qui, toujours, l'avait aimée. Pas une seule fois elles ne s'étaient accrochées ou boudées. Dans le noir obscur de la vie, Eldearde n'avait pas été la seule lumière mais elle avait été l'une des plus sûres, l'une des plus pures aussi.

Et je cherchais en vain
Dans le ciel ici-bas
Des instants de répit
Que je trouvais enfin
Dans le creux de tes bras .

Pour que tu restes en vie,
J'aurais prié Bouddha...


Avec Eldearde, Samsa avait trouvé une forme de répit dans l'ouragan de sa vie. Quand elle était avec Eldearde, elle connaissait la paix la plus complète puisque rien ne pouvait les atteindre. Jusqu'au bout, d'ailleurs, rien n'avait pu les atteindre. La mort les éloignait, la mort distordait le monde pour le scinder en deux où chacune avait sa place dans une partie, mais la mort ne les séparait pas. Personne d'autre ne serait sa Soeur de Vassalitude, quand bien même, un jour peut-être, Montignac-en-Bigorre appartiendrait à quelqu'un d'autre. Quoique Lucie ne la redonnerait sans doute jamais.
Une main gantelée de la Cerbère passa dans ses cheveux bruns aux puissants reflets roux -ou l'inverse-, offrant son front haut à l'air habituel qui venait le caresser. Elle n'avait pas répondu au courrier de Lucie. Elle aurait pu, malgré son propre état, mais elle n'avait pas osé ajouter des mots sur ce qui n'était qualifiable par aucun. Quant aux plus proches, les aurait-elle seulement trouvés ? Auraient-il vraiment fait du bien ? Malgré elle, Samsa ressentait de nouveau le poids de l'opprobre qu'elle s'était jetée dessus en se levant un jour dans la cathédrale parisienne, comme si la disparition de la Vassale Exemplairement Parfaite mettait désormais en évidence ce qu'il restait, la seconde vassale, la Sanguine, l'Imparfaite, qui avait, par accident plus que par volonté, humilié sa Suzeraine à qui elle avait pourtant tout juré. Cerbère s'était promise de se racheter quand bien même Lucie lui avait pardonné et il faudrait désormais en discuter. Mais pas aujourd'hui.

Pour que tu ne meures pas,
Je plongeais mon regard
Au plus profond du tien
Pour soigner ton chagrin ;
J'aurais voulu qu'on m'aide
A trouver le remède.


La vie pouvait être dégueulasse, mais la vie était surtout comme ça. Elle était une jungle impitoyable dans laquelle il fallait se frayer son propre chemin à coups de machette, et derrière chaque branche se cachait soit un boa affamé, soit une araignée venimeuse, soit un perroquet aux couleurs chatoyantes. C'était quitte ou double. Ce qui comptait, c'était de continuer d'avancer, même quand un poison rongeait l'être entier. Si on y cédait, on mourrait. De quel poison était morte Eldearde ? La maladie ? L'accident ? Le meurtre ? Le suicide ? Auquel cas, lequel ? L'ennui, le chagrin, la fatigue, autant de raisons qui en cachaient encore d'autres. La seule ombre du tableau que Samsa connaissait à la vie d'Eldearde avait-elle suffi à l'emporter ? La Baronne avait en tout cas réussi à tenir sa promesse, celle qu'elle s'était faite il y a des années déjà : celle de ne jamais plus se donner à moitié. Des regrets, elle n'en avait pas. Elle avait tout fait pour Eldearde, elle lui avait donné tous les conseils qu'elle avait, fait toutes les actions qu'elle avait pu, donné autant qu'elle avait. Elle n'avait rien gardé et elle n'avait pas pu sauver Eldearde. "Certaines choses sont vouées à disparaitre" et on a beau le savoir, ces petites parts qu'on ne donne pas peuvent ensuite prendre un poids incommensurable.

J'aurais changé l'histoire
Pour effacer les jours
Qui déposaient du noir
Autour de ton amour
Pour en briser le cours.

J'aurais voulu pouvoir
Voler à ton secours...


C'est au pas qu'elle avance sur Guerroyant. Son destrier Cleveland Bay est harnaché sobrement de cuir. Seules en ressortent la bricole fleurdelisée et une cape noire sur la large croupe, attachée à la selle, signe du deuil. La toque grise de la cavalière a d'ailleurs été remplacée par une noire. Elle a mis son tabard en damier noir et bleu bordé de jaune et décoré d'une fleur de lys dorée sur la poitrine gauche et dans le dos, non pas pour se faire valoir mais parce que c'est sa carapace. Cette attitude très droite, très noble et martiale, est son seul rempart ; à l'intérieur de son être, elle cantonne la colère, la violence, la douleur et le chagrin et à l'extérieur, elle encaisse ce qui émane des autres. Son visage aux traits majoritairement figés pour une raison obscure l'est cette fois totalement et dans ses yeux habituellement si expressifs, un mur s'est érigé. Pourtant, à bien y chercher, on pourrait voir des débordements de tout ce que le cœur renferme et tait. Les grandes douleurs sont muettes et même le chant des oiseaux ne saurait briser le silence qui règne dans la forteresse de Cerbère.


Pour que tu ne meures pas,
J'ai chanté certains soirs
Tous les chants de l'espoir
Que j'écrivais pour toi.


La combattante passe le pont qui enjambe la Vienne après avoir pénétré sur les terres d'Aixe. Elle regarde malgré elle le paysage mais n'en a pas envie. Rien ne l'émerveille, pas même la perspective de se dire qu'Eldearde a vécu là. Nul part, Samsa ne peut l'imaginer. Son cerveau, dans un instinct protecteur primaire, l'en empêche comme un parent masquerait les yeux de son enfant devant une atrocité afin que jamais il ne voit la cruauté que la vie peut réserver. Devant celle-ci, Samsa ferme donc les yeux. Il est trop tôt, encore, pour commencer à soigner cette plaie béante qui saigne abondamment par des spectres et des souvenirs. Le temps est au détachement, à la distance et à la solitude. A l'autre bout du pont, Samsa arrête sa monture et soupire longuement. Soudainement, son masque tombe et elle pourrait, elle aussi, tomber de sa selle si elle décidait de se laisser aller car son corps vient de se vider de toute énergie. Elle se fait violence pour ne pas y céder et inspirer jusqu'à ce que ses poumons gonflés fassent bloc dans sa poitrine. La Baronne, redressée, confortée dans son chagrin et retournée dans sa colère, repart au pas.

Et je montais si haut
Vers l'infiniment beau
Pour pouvoir rapporter
Un peu d'éternité
A t'offrir en cadeau.


Monde de merde. Comment pouvait-on l'améliorer si tous ceux qui pouvaient l'embellir s'en allaient ? Le Très-Haut était décidément définitivement ivre. Ou égoïste. Ou cruel. Qu'importait ce qu'Il était puisque le résultat était le même : Eldearde était morte. Avant elle, d'autres l'avaient précédée et d'autres la suivraient encore. Que le Paradis devait être beau et doux, habité de si belles âmes au repos éternel. Loin des idiots, loin des méchants, c'est tout ce que Samsa souhaitait à son Amie de là où elle était désormais. Près des justes, près des gentils, c'était là qu'était sa place, à cette jeune femme douce et sensible, pleine d'humour et de tendresse. Aucun mot ne semblait trop beau pour la qualifier, aucun défaut ne semblait pouvoir l'atteindre. Elle n'avait été que perfection, modèle pour son aînée combattante qui devrait maintenant vivre sans elle, avancer dans une nuit dont l'étau de ténèbres se resserrait. Il y avait dans cette mort une injustice flagrante que tout le monde semblait pourtant décidé à accepter. Cerbère ne l'acceptait pas. Armée de sa rage, vêtue de sa souffrance, elle comptait bien se battre, quand bien même son adversaire n'était qu'un moulin à vent.

Quand je t'ouvrais mon cœur
En caressant ta peau,
Comme on touche un trésor.
Tu te battais si bien ;
On se sentait si forts.

J'aurais cherché plus loin
Pour que tu vives encore...


Non, elle n'acceptait pas la mort d'Eldearde. Elle s'y refusait. Elle était Cerbère ; elle irait donc la chercher dans le Royaume des Morts comme dans le mythe antique et elle la ramènerait. Elle la serrerait encore contre elle, elle sentirait encore contre elle sa tête à la chevelure brune dont l'odeur était toujours dans les narines. Encore, Eldearde lui sourirait avec son air attendri bien que fatigué. Encore, Eldearde lui parlerait avec cette voix apaisante qui résonne toujours dans l'oreille. Oui, Samsa la ramènerait pour lui dire encore qu'elle l'aime, pour entendre encore qu'Eldearde sait et l'aime en retour, pour embrasser encore sa joue adulte mais à la douceur restée juvénile. Elle sentirait encore ses lèvres sur son front et ses mains fines sur ses vaillantes épaules. Encore une fois, elle se sentirait la femme la plus sereine de la Terre. Elle était Cerbère, l'Immortelle, la Conquérante ; que n'irait-elle pas la chercher puisque, convaincue qu'elle était, elle pouvait le faire ? Malheureuse Baronne dont les intentions sont louables et la volonté farouche, mais toujours trop humaine pour elles.

Je ne saurai jamais
Ce qui de tout cela
Nous a gardé ensemble ;
Du courage de vivre
Ou du bonheur qui tremble.


Est-ce le vent ou Guerroyant qui la guide et l'amène près de la sépulture ? Peut-être la main désormais divine d'Eldearde. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas Samsa elle-même qui décide où elle va. Son esprit est à la fois un désert et un paysage de chaos, des pensées vides de sens traversent sa tête sans qu'elle n'ait le temps, l'envie ou la force de chercher à en saisir une pour ne serait-ce que l'esquisser. Le printemps a déjà poussé les bourgeons hors du bois des branches du grand arbre plus vieux que n'importe quel Homme existant. Il a quelque chose d'apaisant, comme Eldearde ; l'endroit est bien choisi, ne serait-ce que pour cela. Deux silhouettes sont déjà là, celles d'Arry et Lucie. Cerbère en avait voulu à Arry d'être la cause de la souffrance d'Eldearde, allant même jusqu'à refuser de l'inviter à son union avec Shawie, désapprouvant trop son attitude. Elle n'avait pourtant jamais douté des sentiments qu'il portait à Eldearde. Aujourd'hui, Samsa n'était pas en colère contre lui ; qui était-elle pour le juger, elle qui, à trop se taire, n'avait même pas essayé de sauver Zyg qui était morte en ne sachant pas qu'elle était aimée ? Chacun vivait les choses à son rythme. A leur côté, la Cerbère va s'arrêter.

Mais je bénis le ciel
De t'avoir épargnée,
Lorsqu'à la nuit tombée
Je t'entends respirer.


Elle respire un peu fort pour se contenir. Ses petits yeux sombres sont braqués à l'horizon. Ils n'ont pas regardé les visages amis et aimés ; ils n'osent pas. Ils n'ont pas non plus regardé le cercueil, le dernier habitat d'Eldearde. S'ils le faisaient maintenant, ils pourraient céder. Samsa entière pourrait céder. Colosse aux pieds d'argile, la Cerbère ne tenait sa force que d'astuces et de détournements, pirouettes futiles en apparence mais pourtant si nécessaires pour sa survie et celle des autres car c'est ensemble, en se serrant les coudes, qu'ils pouvaient rester dignes pour Eldearde. C'est ensemble qu'ils continueront de la faire vivre à travers les souvenirs, les portraits, les rêves, les si belles phrases de la Kierkegaard. Quelle importance de marquer l'Histoire quand on peut marquer les coeurs ? Même absente, Eldearde dispense sa sagesse. Dans la nuit qui s'est abattue sur eux, l'étoile qui meurt ne cesse pas de briller.

Et je connais le prix
De chaque instant de paix
Que nous offre aujourd'hui
Et l'amour qu'il fallait
Pour que tu restes ici...


La dignité est une chose. L'honneur et le courage en sont une autre. Samsa n'est pas venue là pour ignorer tout et tout le monde, faire simplement acte de présence. Pour le dernier au revoir à Eldearde, sa Eldie, sa Soeur de Vassalitude, l'une des meilleures amies qu'elle ait jamais eues et n'aura plus jamais, elle doit se montrer brave. Cerbère renifle brièvement, nez pourtant sec, afin de rassembler sa force. Si son regard avait pu trembler, il l'aurait fait en s'abaissant sur le corps désormais vide de toute vie d'Eldearde. Et qu'importe si son visage est serein, si une paix nouvelle semble l'habiter, s'il y a dans toute mort une forme de beauté apaisante ; qu'importe tout cela car Eldearde est morte et toutes les plus belles choses de la Terre ne pourraient le compenser puisqu'elle était l'une des plus belles créations du monde. Le regard sombre s'humidifie malgré lui mais le menton ne tremble pas. Samsa s'y refuse. Cerbère doit rester forte pour elle, pour Eldearde, pour Lucie et pour Arry. La colère qui atteint son paroxysme intérieur finit par être balayée et la Baronne, désarmée, tourne le visage vers Lucie. Dans ses yeux, le désarroi le plus grand s'y lit, un "pourquoi ?" qui a fini par parvenir à se faire sa place, une détresse aussi immense qu'inavouée et, chute suprême, une larme s'échappe de son œil droit pour rouler lourdement sur sa joue. Le gauche ne tarde pas à l'imiter, dans un silence qui ne souffre d'aucun sanglot, d'aucun reniflement, d'aucun tremblement. Cerbère ne s'effondrait jamais en public.
Ses yeux se reportent sur Eldearde et effort est fait pour que l'image de son Amie morte ne la traverse pas, ou pas autrement que fugacement. Malgré tout, quelque chose l'atteint, quelque chose la heurte, la brise. Doucement, Samsa secoue la tête de droite à gauche en l'abaissant. Quel gâchis. Quelle injustice. Quelle tristesse. Quelle désolation. "Ah, Eldie... Il n'y a rien à dire car tu sais déjà tout. Tu as toujours tout su. Je t'ai toujours tout dit. Mais, Eldie, même si tu le sais, je dois te le dire puisque tu n'es plus là :"


Pour que tu ne meures pas,
J'aurais donné ma vie.**



* = Eldie à Samsa ♥
** = paroles d'Yves Duteil - Pour que tu ne meurs pas

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