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[RP] Clair obscur

Alphonse_tabouret

Nous n'avons pas de clair-obscur, et cela, c'est impensable. La volte-face est trop nette et la vie n'est jamais si tranchée. Il y a donc tricherie, à un endroit ou à un autre.
Sous les vents de Neptune, Fred Vargas





A l’heure fragile des nébuleuses s’étirant aux frontières de potron-minet, Paris ne dormait déjà plus, mais s’assoupissait-elle vraiment, cette ville insatiable dont chacun trouvait à commercer sitôt que d’autres fermaient boutique ? L’aube pointerait dans une poignée de minutes, étirant alors la clarté d’un ciel bas et encore sans soleil sur les ruelles et artères épaisses parcourant les quartiers de la capitale, ranimant au sortir de la nuit, les premiers camelots quand d’autres s’éveilleraient à peine, embués de sommeil, à l’affut des premiers pépiements enfantins fêtant ce jour de Noel.
Chat pourtant prudent depuis que l’ombre de la Cour des Miracles avait apposé à sa peau les reliquats d’un supplice orchestré par la folie novice d’une apprentie, Alphonse avait quitté le lupanar sans indiquer le lieu de son déplacement, secret parfumé de lavande qu’il emportait aux heures indécentes des ténèbres badinant avec l’aube.
Un simple mot avait précédé ses pas, indiquant sommairement le lieu de rendez-vous choisi.




Erwelyn, Sorcière,

Suivez les empreintes jusqu’au petit parc jouxtant votre lieu résidence. Il y a de quoi, près de l’étal du tisserand, empoigner le temps quelques instants pour hurler à la lune.

Alphonse, Ysengrin.



A l’ombre d’une porte cochère, appuyé à la pierre froide d’une maison, l’animal patientait, la silhouette noire enveloppée d’un manteau sombre, les pattes au fond des poches, la buée givrée aux bords des lèvres claires, le regard portant sur l’hôtel qu’il savait accueillir en son sein, la silhouette violine d’une soirée partagée, se prenant à tendre le museau comme pour en dénicher l’effluve délicate au travers d’un monde les séparant encore quand les plus matinaux des commerçants faisaient déjà résonner la petite place de leurs marchandises.
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Erwelyn
Tout était beaucoup plus facile avec un masque...

A peine l'angle de la ruelle de l'Aphrodite passé que l'évidence s'était imposée à la silhouette violine démunie de sa cape oubliée dans les entrailles du lupanar s'enfonçant dans la nuit hiémale et glaciale, accompagnée de pas étouffés par le tapis de neige recouvrant le sol vierge d'empreintes humaines mais tapissé de traces félines, suivies sans réfléchir durant un long moment avant de se rendre compte que son hébergement se trouvait dans la direction opposée. Envolés les instants suspendus, éclipsés l'oubli des décades ayant façonné sa vie, effacée l’insouciance provoquée par les bras fermes mais doux du lupin, qui avait été plus qu'un cavalier d'un soir. L'air s'emplit soudain de la vérité crue, celle du temps qui passe, immuable, face à la jeunesse et la vivacité, et Erwelyn se demanda, stoppant là en pleine rue, pourquoi avait-elle émis en premier lieu l'idée de faire perdurer l'instant, faisant germer dans le vif esprit les prémices de rencontres entre chiens et loups, avalisées par le pacte scellé via l'échange de leurs noms et d'un frôlement de lèvres. Seul le froid la faisant tressaillir l'amena à bouger à nouveau ses membres commençant à s'engourdir et la première lumière d'une auberge encore ouverte croisée la poussa à s'engouffrer à l'intérieur, où les heures de l'après-minuit s'égrainèrent aussi doucement que choit une feuille d'automne, rythmées par l’absorption de liqueurs dont elle ne réussit pas à définir le goût.

Réchauffée, l'esprit légèrement embrumé par l'alcool se répandant en ses veines, c'est un Paris silencieux et à l'ambiance feutrée d'une nuit de Noël que la baronne traversa une fois la taverne quittée, croisant des ombres sans les voir, enveloppée par son propre souffle marquant l'air. La nuit l’emmitouflait encore lorsque son hôtel fut rejoint, les joues rosies par le parcours et les mains frigorifiées de l'oubli de sa cape, consciente que bientôt l'aube poindrait, curieuse et anxieuse en même temps de savoir si cette dernière sonnerait le glas d'un pacte avorté ou la genèse de la rencontre d'un loup et d'une sorcière. Et c'est à genoux devant le feu, mains gantées tendues devant ce dernier pour réussir à ressentir à nouveau les picotements signalant que ses doigts vivaient encore, que l'ouïe de la Rose fut attirée par un bruit courant sous l'huis de sa porte, son regard accrochant alors le morceau de parchemin s'y glissant doucement. En quelques pas le papier se retrouva entre ses doigts, ses iris sillonnant les quelques mots rédigés qui réussirent à faire naître sur ses lèvres le sourire qui l'avait quitté depuis que le jeune homme avait passé les portes du lupanar. Les prunelles allèrent s'attacher à la fenêtre où l'aube doucement pointait, et quelques minutes s'écoulèrent, l'esprit tiraillé entre la solution la plus aisée de se terrer là et celle beaucoup plus difficile d'honorer le pacte passé à la minuit, avant qu'un manteau chaud n'atterrisse sur ses épaules.

Alors que les bruits doucement emplissaient la capitale, le museau penché vers le sol guidait ses pas pour suivre ceux qui avaient marqués le sol enneigé, jusqu'à s'arrêter devant une porte cochère, se relevant alors pour apercevoir enfin la silhouette du Chat, ses prunelles s'attardant alors sur la pommette marquée avant de doucement basculer vers les miroirs lui faisant face. Le silence fit place au crissement de la neige qui avait accompagné son arrivée jusqu'à lui, planant et les enveloppant avant de s'éteindre à la naissance de sa voix.


Je n'aurais pas dû vous transformer en homme, je gage qu'en Ysengrin, aucune marque n'aurait vu le jour sur votre visage.
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Alphonse_tabouret
L’aube, amie et ennemie, portait dans le ciel endormi les oriflammes de ses lambeaux, éclairant d’une première volute carnivore, l’ombre marine de ses remous jusque-là installés, béate pourtant troublée par une silhouette dont les pas légers faisaient ployer la neige au concert de crissements gracieux.
Elle était là, Sorcière, créature d’une poignée d’heures, qui déjouait dans une ultime provocation, le fil tendu entre eux, ciseau et pelote à la main, prête, par sa seule présence à laisser leurs mythologies errer au crépuscule d’une rencontre qui n’aurait pas dû voir le jour, si ce n’était, capricieuse, à ces hasard qui fleurissent là où on ne les attend point. Réservé, méthodique, consciencieux, l’animal étira pourtant un sourire, et s’il avait examiné avec une rigueur d’homme, les possibles où les minutes de ce pacte conclu d’un baiser se seraient dissolus à l’aune d’une raison qui pourrait fatalement empoigner les consciences une fois les vapeurs du rêve dissipées, l’âme féline s’ébrouait doucement d’une légèreté qu’Elle avait su éveiller aux premiers pas d’une danse.


Je n'aurais pas dû vous transformer en homme, je gage qu'en Ysengrin, aucune marque n'aurait vu le jour sur votre visage.

Le timbre de la voix s’empara du silence, éveillant les heures de cette nuit qui n’avait offert ni repos, ni salvation, tout au plus, un gouffre supplémentaire au bord duquel il avait vacillé et qui se délitait à l’obole de quelques mots, d’une parenthèse offerte du bout des lèvres. Le revers de sa main passa, fugitif, sur sa joue abimée, pesant un bref instant le poids des souvenirs et celui du présent avant qu’il ne s’attarde au regard sombre posé sur lui, redécouvrant le visage délaissé aux portes de son enfer. Plus de masque, plus de musique, et pourtant, il demeurait dans l’air, les notes d’une mélodie diffuse qui étira les lippes jusqu’à ce qu’il rétorque, hâbleur impénitent :

Je n’ai pas peur du prix à payer pour marcher à deux pattes.
Le silence s’attarda un instant, bulle née de cette nouvelle proximité quand à quelques pas, caisses et mouvements des travailleurs entravaient la quiétude d’une matinée de Noël, laissant le chat en proie à cette absurde réalité qu’il saisit d’une main tout autant que patte, transformation qui resterait perpétuellement inachevée aux frontières de la présence femelle, s’étirant jusqu’à la nuque d’Erwelyn, dextre délicate dont les doigts froids rencontrèrent un morceau de peau de peau chaude pour s’y ficher sans se l’approprier, funambule seconde qui se joua des conventions et de l’inconnu avec une telle facilité que ce fut le corps qui choisit de s’exprimer en premier lieu, ramenant celui de sa lettre jumelle contre le sien dans un élan définitif. Les bras s’enroulèrent sur la silhouette sorcière, épousant les formes délaissées jusqu’à les joindre aux siennes à l’ombre de la porte cochère, les sens troublés par les reliquats d’une odeur de lavande saupoudrée en filigranes au parfum originel des cheveux épais et soyeux, la truffe s’égarant à la tempe avant qu’il ne chuchote, incrédule, bercé par cette inexplicable alchimie, un sourire dessiné d’une surprise qu’il ne parvenait pas à chasser malgré les préceptes de la constance qu’il s’imposait à tout instant :
Vous êtes venue…
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Erwelyn
Immobile, celle qui avait abandonné pour l'heure le masque de Circé l'était jusqu'au bout des ongles, mains fichées sur le col de son manteau, serrant ce dernier autour du cou blanc pour emprisonner la chaleur qui avait réussi à s'insinuer en elle durant le peu de temps où son corps s'était arrimé à l'âtre. Mais il suffisait d'un regard, d'une volute d'air soufflée par le Loup, d'une fragrance venant s'abîmer au creux de ses narines pour retrouver les parfums voluptueux d'une soirée trop vite fanée et la sensation ressentie lorsqu'elle s'était pleinement transformée en alcine. Ses iris sombres suivirent la patte allant frôler la pommette blessée, retenant d'y apposer sa senestre, déformation maternelle ou d'un lointain passé de soigneuse, observant avec attention le visage maintenant à nu et si furtivement aperçu avant qu'il ne s'éteigne dans la nuit noire, couvert d'un loup de sable. Le voile qui passa sur son minois l'espace d'un instant fut chargé des remords inaltérables de voir le temps filer si vite, comptant sans réellement s'en rendre compte le nombre d'années qui les séparait tous deux. Bien trop, fut la réponse résonnant en son for intérieur, chassée d'un léger mouvement de tête plein de regrets, le poids de l'âge étant pour elle bien trop dur à porter depuis quelque temps et l'empêchant de s'imaginer un futur, consciente d'être si proche de la fin. Prunelles accrochant le sourire lupin, ses lèvres s'étirèrent aussi y faisant écho, retrouvant là l'alchimie des corps et des esprits née du hasard. Au loin s'éveillait la capitale, toile de fond de ces retrouvailles hébergées par le balbutiement du jour, les enveloppant d'une lumière encore blafarde amorçant une journée enrubannée de brouillard qui plongerait la ville en une sensation étrange et un temps suspendu, tel étant l'apanage des jours pieux, celui-ci plus que tout autre.

Vous êtes bien téméraire, l'Homme est parfois bien plus cruel que l'animal, fusse-t-il un loup. Et que dire de la Femme ? songea-t-elle l'espace d'un instant, convaincue pour sa part de ne pas être d'un grand danger pour ses congénères. Un tressaillement lui remonta l'échine au contact de la pulpe des doigts sur sa nuque, provoqué par le froid ou par le fait de retrouver sur son épiderme la sensation du toucher si fugace des heures nocturnes, elle ne saurait l'exprimer, faisant se nouer son estomac et ressasser mille questions sur leur présence à tous deux et sur cette différence notable qui les caractérisait, sans vraiment savoir ce qui les attendait et ce qu'ils étaient en train de construire. D'un geste inattendu, les corps à nouveau vinrent se rejoindre en une étreinte chaude gouvernée par le Loup. Réserve, pudeur, la chair de l'armide en était empreint, ancrées si profondément en elle qu'il lui était impossible de retenir ce raidissement de se sentir touchée et entourée, même par les louves pattes ayant déjà imprimé sur sa peau leur marque légère le temps d'une soirée. Passé le réflexe dont elle ne pouvait se détacher, son corps se détendit légèrement tout comme quelques heures en arrière, lorsque les pas de danse lui avaient suffi pour libérer la tension et se laisser aller au creux de ses bras plusieurs heures durant, avec tout de même une certaine retenue que Sorcière ne pouvait s'empêcher. Il lui fallut un long moment avant que ses bras ne se détachent du col en fourrure pour aller s'enrouler d'une pression délicate autour de la nuque du Chat, frôlant à peine le cou et les épaules masculines, réponse allant déjà bien au-delà de ce qu'il lui était possible de donner en temps normal. Un souffle chaud caressa sa tempe, amenant ses paupières à se clore une poignée de secondes le temps que sa voix s’infiltre à son oreille et s'y imprègne, se rouvrant avec l'étonnement jaillissant des paroles de l'Ysengrin.

Un "Vous aussi ?" Fut lâché, tout aussi surpris que le sien, si ce n'est plus, soufflé par les lèvres dont le carmin s'était estompé au fil de la nuit et qui allèrent frôler la pommette maltraitée en un instant fugace, soulagement sans doute insignifiant de la douleur qu'il devait ressentir depuis que le coup avait été reçu. Imbriquée à lui, là, Erwelyn goûtait l'instant suspendu de l'aube les entourant, chassée tout doucement par le jour qui s’insinuait tout autour d'eux. Ses prunelles accrochèrent l'astre lunaire encore présent, éclairé d'une lueur diffuse, et son visage alla faire face à celui d'Alphonse, sourire accroché aux lippes.

Le temps s'effiloche trop rapidement, croyez-vous que la lune soit encore apte à recevoir les hurlements que nous lui avons promis ?
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Alphonse_tabouret
Même à l’alcôve de la porte cochère, malgré l’ombre entêtante recouvrant encore les silhouettes et le parfum de leur rencontre, Alphonse lut sans mal la délicate mélancolie s’emparant des traits le dévisageant, et si la douceur de la main passant à sa joue abimée eut tôt fait de soumettre le pli de sa bouche au dessin d’un sourire, ce fut néanmoins la véracité du regret apparu aux prunelles noires qui lui enveloppa les nerfs.
La coquetterie des femmes ne le surprenait plus, caractéristique dont elles ne cessaient jamais de mesurer les effets au travers des fils du temps, en cours ou écoulé, syndrome dont la jeunesse ne s’embarrassait que peu, orgueilleuse éphémère, volages années qui ne constataient leur fuite qu’à l’aube des premières rides. Erwelyn portait à son visage les stigmates des décades, apprivoisant l’ovale d’un visage ravissant de quelques marques qui ne parvenaient aucunement à estomper l’espièglerie vibrante naissant aux pattes d’oie, pas plus qu’aux commissures d’une bouche dont la pulpe avait gardé toute la saveur.
Comprendrait-elle Sorcière, que cette jeunesse dont elle s’excluait si promptement, portait en elle les contradictions de jugements qui n’appartenaient qu’à leurs ainés, que le Chat, du haut de ses vingt-quatre ans désirait, non point mû par l’aparté d’une soirée où les âges s’étaient défiés sous la couverture des masques, mais par elle et les fragrances de sa présence uniquement ? Qu’y avait-il de plus ravissant qu’une femme qui avait envie tour à tour de vivre, d’oublier ou d’estomper les heures au pinceau d’un ciel moucheté ?
Sorcière tenait entre ses seules mains le pouvoir de se soustraire aux cruelles mathématiques et si elle vacilla quelques instants au fil d’une pudeur qui appartenait au monde des vivants, les mains glissées à son cou pour se lover à lui achevèrent de renouer la corde mortuaire de leur univers commun, jusqu’au frôlement frais de ses lèvres à la brulure abandonnée à sa pommette

Le temps s'effiloche trop rapidement, croyez-vous que la lune soit encore apte à recevoir les hurlements que nous lui avons promis ?

A nous de nous en assurer, répondit-il, malicieux félin, à l’aube des lèvres sans chercher à les prendre, dextre glissant au dos de l’alcine pour la tourner entre ses bras, vissant le dos au ventre, les pieds de la sorcière à la lisière d’une lumière en demi-teinte d’une aube venant, tranchant de plus en plus nettement le bleu de la nuit à la grisaille du jour, enfonçant les créatures nocturnes dans les ténèbres de leur abris. Devant eux s’étendaient les humains, encore brumeux pour certains dont les gestes lents avaient tout de la mécanique et d’autres, à contrario, saccadant dans le froid du petit matin la pantomime répétée chaque jour pour achever d’installer les étals sous la rondeur pâlotte d’une lune encore doucement visible.
Le sourire de l’Ysengrin s’étira près de la chevelure encore teintée avant qu’il ne tende le cou, allongeant le museau pour dévoiler les crocs d’une insouciance badine avec laquelle il n’avait point flirté depuis longtemps et dont les accents à la présence sorcière, l’enveloppaient sans qu’il ne cherche à s’en défaire, honorant, scrupuleux comptable, les termes du contrat engagé. Il prit le temps d’un silence, savourant à son ouïe aiguisée, le souffle encore clair de sa compagne, puis, irrémédiablement amusé, arrondit les lèvres et poussa un long hurlement lupin qui fit sursauter deux des commerçants et lâcher son fagot à une jeune soubrette passant à cet instant devant eux.

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Erwelyn
Consciente que sa peur des hommes alliée à son âge vieillissant, lui faisant perdre toute confiance en elle alors que déjà l'aplomb n'était pas la qualité la plus connue chez la Rose dès qu'il était question de contact masculin, lui faisaient revêtir une carapace coriace plus que tout autre chose, c’est avec un soupir soulagé qu'elle se laissa conduire face à la lune sans que leurs lèvres ne s'apprivoisent à nouveau, sachant très bien que son corps, marqué par des automatismes chevillés, aurait rejeté cette approche malgré qu'il l'ait acceptée sous la voûte céleste de la minuit, enchantée par l'instant et l’envoûtement de la rencontre avec sa lettre jumelle. Peut-être comprendrait-il, lupin, qu'il tenait au creux de ses bras la femme blessée, accueillant en son sein toutes les faiblesses mais revêtant jour après jour un masque mensonger assuré, à la vue de tout son entourage, distillant à loisir une froide indifférence envers le sexe opposé, seul moyen trouvé pour qu'il n'ose s'approcher et s'aventurer trop loin en sa bulle protectrice, cocon défensif créé et renforcé au fil du temps, aujourd'hui solide comme la pierre et difficilement ébranlable, ou alors par des stratagèmes que même Sorcière ne saurait définir, se faisant surprendre au détour d'une rencontre, carapace cédant toutefois au fil d'un acharnement certain.

Alors que serpentait au fond d'elle ce mal-être qu'elle ne pouvait combattre, Erwelyn faisait toutefois preuve d'une facilité déconcertante à s'amuser d'un rien, c'est donc sans surprise qu'un rire fusa et s'envola avec clarté dans cette nuit de décembre touchant à sa fin lorsque le hurlement lupin se fit entendre à son oreille, vibrant du timbre si proche, distillant son amusement au rythme de sa poitrine se soulevant en mouvements saccadés. L’œil pétilla encore plus lorsque le chargement de la soubrette chut sur le sol glacé, se mordant toutefois la lèvre par la suite, désolée que la jeune fille se doive de ramasser son chargement dans la neige. Mais, bien lovée contre le ventre d'Alphonse, contact léger dû aux manteaux épais pour se protéger de la froidure hivernale, aucun geste ne fut amorcé pour apporter de l'aide à la servante maintenant accroupie. Ses prunelles se perdirent sur la frêle silhouette agenouillée avant d'aller s’arrimer à la brune, flottant dans le ciel encore brumeux, majestueuse et pleine de mystère. D'un mouvement, les paupières allèrent recouvrir les sombres iris de celle qui se sentait à nouveau vibrer telle Circé, se laissant envahir par l'imaginaire toujours à portée de main et l'accompagnant lors de pérégrinations facilement atteintes. Sa voix s'éleva, murmure allant recouvrir le babil environnant, invitation lancée au Chat à la suivre dans ses chimères.


Fermez-les yeux et imaginez les landes, les étendues de plaines sinoples à perte de vue, rochers disposés ça et là prêts à vous accueillir, promontoires géants pour asseoir votre puissance et faire entendre votre cri, vous, créature nocturne régnant en maître sur les vallées et les bois.

Même si les masques du Loup et de la Sorcière étaient tombés plusieurs heures auparavant, l'alchimie des corps retrouvée les replongeait dans ce monde nocturne créé par eux et dont ils se délectaient, bâtissant entre les deux inconnus une complicité inattendue, nourrie par l'imaginaire et les créatures obscures qu'ils avaient incarnées. A nouveau son regard, s'ouvrant, s'emplit de la lueur diffuse de l'aube et, sourire tout autant étiré que celui d'Alphonse, nuque accueillie au creux de son épaule, son cou s'étira pour adresser à la brune un hurlement digne d'un Ysengrin au cœur des ténèbres, faisant à nouveau chuter le fagot de la pauvre soubrette et pousser un juron aux commerçants non loin d'eux. Le rire balayé par les errances les ayant menés au cœur des frondaisons refit une apparition franche ponctuée d'une simple affirmation partagée au Loup.

Ces urbains, un rien les effraie...
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Alphonse_tabouret
Le rire de l’alcine se répercuta d’abord à ses épaules, onde vibrante d’une énergie aussi vive que légère, dévalant le long des muscles pour se propager à son ventre au travers des étoffes mêlées d’ombres, amenant sur le museau de l’Ysengrin, une satisfaction carnassière, dérobant, dans l’œil de la donzelle au fagot de bois dont la pupille inquiète s’était un instant rivée sur eux avant de plonger au sol pour ramasser son fardeau, le malaise évident de cette prunelle animale portée sur elle et se repaissant, sans se cacher, de la moindre esquisse de cette frayeur passagère.
Les mots présentés à l’aube de l’oreille détachèrent les pierres de la capitale pour planter un décor neuf auquel l’animal se soumit, immanquablement épris des sortilèges de Sorcière dès lors qu’elle jouait des mots, pouvoir qui l’avait toujours fasciné et qui, à l’heure d’une aube encore voilée, portait les accents des envoutements les plus intimes.

Les flancs du loup dessinés par la rigueur d’un hiver blanc se gonflent doucement tandis que le pas écrase la poudreuse, quittant l’orée d’une forêt ensommeillée. Le museau triangulaire se tend, babines piquées de neige pour avoir fouillé le sol à la recherche d’un terrier encore habité, et hume les lointaines agitations de ce désert blanc.
Là-bas, isolée, enfoncée au rebord d’un chemin dont il connait l’odeur, une chaumière s’ébroue de la longue nuit et l’odeur âcre du feu nourri avec l’emphase du réveil portée par le vent pique sa truffe aiguisée comme autant de silhouettes d’hommes. Il se retourne, guettant l’immobilisme des bois, souverain intransigeant dont le rendez-vous attendu le pousse finalement à s’aventurer dans la plaine immaculée jusqu’à la poignée de rochers jetés en travers d’une ligne pourtant nette. Les coussinets vont à l’affleurement rocheux, et l’escaladent, svelte créature dont le pelage hivernal se fond à la grisaille éventrée jusqu’à se nicher au rebord le plus haut de ce trône minéral. Un instant il s’arrête, attentif, mêlant son ombre à celle du promontoire, guidé par la voix lointaine de sa compagne de lune avant de lever la tête au ciel anthracite et d’y hurler à l’unisson, longuement, terriblement, figeant au même titre, le chien de la maisonnée quelques lieues plus loin, et le cerf aux bois déployés dont l’œil brun s’écarquille, et le pas se fixe, inquiet.

La voix modulée d’Erwelyn emporta le paysage pour le consigner à ses yeux seuls, circée dont les arômes contenaient tout aussi bien le gel que la couleur des champs de lavande, au fil du hurlement joint qu’elle poussa, essaimant derrière lui, le rire léger de l’animal lorsque les regards courroucés des voisins se tournèrent vers eux au son du fagot de bois chutant encore.


Ces urbains, un rien les effraie...

Comment les en blâmer, Sorcière ? Ils savent bien que si cela ne tenait qu’à moi, je déposerais chacun d’eux à vos pieds pour tapisser le sol jusqu’à votre chaumière… Peut-être même garderais-je le plus dodu pour nous assurer un repas digne de nos appétits…, murmura-t-il au lobe de l’oreille dans un sourire effilé en lui désignant du menton un commerçant replet qui soufflait sur ses doigts engourdis… Mais soit, reprit-il plus haut, les faisant avancer d’un pas dans la lumière blafarde de potron-minet, aube nouvelle qui éventrait ce ciel délayé à la faveur de leur rencontre, nous irons aux bois la prochaine fois, la taquina-t-il en enroulant à sa taille un bras lupin quand ils quittaient l’ombre réconfortante de leur territoire.
La senestre libre présenta à la soubrette devant eux un écu doré coincé à la terminaison de l’index et du majeur avant d’incliner la tête, courtoisement et de les excuser de quelques mots ourlés d’une insolence fataliste.

Pardonnez ma maitresse, très chère, elle aime tant chanter…
Délesté de la pièce sans autre réponse que les joues rosies d’intimidation au couple de nocturnes, le nez pointant un instant au buvard d’un soleil encore timide dont l’auréole blanche montait désormais sur Paris à l’écho des adieux qui se profilaient dans les minutes suivantes, Alphonse pencha la tête vers son éphémère compagne, et attarda le regard sur le visage éclairé d’aube quand sept heures sonnaient déjà à la pierre des églises. Lentement, l’Ysengrin cédait sa place à l’homme, et découvrait sous les traits mâles mis à jour, des appétits tout aussi vibrants et tout aussi instinctifs que ceux de ce totem inattendu, mais entrelacés irrémédiablement des songes nés de cette nuit de Noël.
Venez, il est, je le crains, temps que je vous rende au monde, soupira-t-il enfin, le regret mêlé au sourire sincère qu’il lui destinait.


Il est trop tôt et trop tard à la fois, Sorcière, pour que je t’emmène au mien.

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Erwelyn
A l'unisson, leurs esprits avaient vagabondé au cœur des frondaisons dessinées par l'esprit s'ouvrant à l’imaginaire. Malgré les épaisses étoffes séparant leurs corps, Erwelyn avait ressenti les vibrations impulsées par le laisser-aller emportant Alphonse, harmonisant leurs hurlements qui l'espace d'un instant s'étaient envolés vers des cieux baignés d'aurore, imprégnés de la nuit glaciale et hiémale et hébergés par la nature silencieuse environnante, s'éveillant doucement, à pas de loup. Le jeu continuait à s’insinuer dans leurs veines, elle circé et lui lupin, imaginant sans mal, regard louvoyant jusqu'aux spectateurs inquiets de leurs espiègleries issantes au point du jour, les corps ramenés par son double lettré, terrain de jeu d'une Sorcière friande de la terreur humaine inspirée par les créatures crépusculaires incarnés par eux en cette nuit de décembre, et des légendes faites de sortilèges et d'incantations. J'épargnerai la soubrette, elle n'a que la peau sur les os... magnanime, même dans l'imaginaire. Par contre, celui-ci, continua-t-elle en fixant de ses prunelles sombres le chaland désigné une poignée de seconde auparavant par le menton masculin, relevant les babines en un sourire carnassier, remplira plus que nos estomacs et me servira pour préparer enchantements et filtres ou encore pour pratiquer quelques rites païens.

Amusée, l'alcine l'était assurément, transportée par les pensées oniriques dans lesquelles ils baignaient tous deux, se laissant guider par l'Ysengrin qui peu à peu redevenait homme, tout comme elle redevenait femme à la lueur du petit jour, discret, mais pourtant bien présent, diffusant une douce clarté sur leurs membres engourdis par le froid. Mouvement entamé par la pression du bras enroulé autour de sa taille, s’accoutumant peu à peu à cette proximité qui les avait enveloppés dans la soirée et s'y lovant, les lippes s'allongèrent en un sourire complice.

Vous ne croyez pas si bien dire, mon cher Ysengrin, la forêt sera notre prochain écrin, au crépuscule, quand enfin mes pas me ramèneront à vos côtés. Nous partirons à la découverte de lieux inconnus, nous laissant porter par la lune pleine.

Ses iris se posèrent alors sur la servante qui d'une main menue venait de recevoir l'écu excusant la gêne occasionnée, croisant le regard clair mirant son visage dans un ballet dansant du loup à sorcière, accrochant un éclair de jugement doublé d'un plissement de paupières, mis sur le compte de cette différence d'âge marquée par le temps. La honte lui prit la gorge au terme maîtresse employé, lui renvoyant toute l’incongruité de la situation de se retrouver là, au sein des bras protecteurs d'un homme, jeune, elle qui avait vu nombre de printemps s'égrainer. Dans un serrement de mâchoire, Erwelyn regarda la domestique s'éloigner avant de lever un visage troublé en direction de la lune chassée doucement par le jour. D'un clignement de paupières, son regard glissa sur le minois qui lui faisait face, souffle se mêlant à nouveau au sien, instant une fois de plus suspendu, une chaleur inattendue venant serpenter au creux de son ventre alors que ses prunelles se vrillaient aux siennes.

Accueillant le sourire offert, sa dextre alla se poser sur son bras, serrant un peu plus l'étreinte entamée par l'enlacement du bras lupin entourant sa taille, alors que la senestre allait chercher sa voisine, entremêlant ses doigts aux siens en un geste doux, essayant de dissiper les pensées obscures qui sans cesse revenaient la hanter.


Il est vrai que le monde ne peut se passer de moi, ponctua-t-elle, taquine, naturel venant disperser doucement ses sombres préoccupations, oscillante dualité s'ancrant au plus profond de son être. Quant au votre... il semble receler moult énigmes et dangers, murmura-t-elle, miroirs quittant les siens l'espace d'un instant pour aller s'abîmer sur la pommette marquée d'azur et d'or avant d'y revenir.

Il est trop tôt et trop tard à la fois, Lupin, pour que je te suive...

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Alphonse_tabouret
Aux doigts se nouant, il ressentit le frisson indéniable des heures encore fantomatiques autour d’eux, et, incorrigible penseur, s’attarda quelques instants, au firmament d’une interrogation muette.

Est-ce par ce qu’elle est encore si fraiche que je ressens la nuit s’agripper à mes tempes dès lors que tu me touches, Sorcière, ou sont ce tes pouvoirs qui s’étendent au-delà du temps éphémère ?


Le trouble, l’inquiétude du jugement, avait fait vaciller la femme bien plus que l’alcide, et pourtant, comme elle était parfaite en cet instant de doute, Erwelyn, dont l’éclat s’ignorait si savamment qu’il aurait presque étiré le sourire du loup s’il n’y avait pas décelé cette évidente souffrance des condamnés voilant le regard. Avait-elle seulement remarqué leur différence d’âge, la soubrette, n’avait-elle pas simplement plissé les yeux pour blâmer la chorale orchestrée à ses dépens malgré l’écu empoché ?

Tes lèvres, Sorcière, ont le gout de l’hiver, non point celui qui gèle et flétrit toute chose, mais celui des rires enfantins dans une mer de neige, de l’odeur du feu qui nourrit l’âtre et adoucit l’âme, des moments de chatons où l’on se pelotonne pour mieux se tenir chaud…
Est-ce le gout de l’Hiver qui scelle notre pacte ou celui du fugace ?


Les courbes fusionnées des leurs corps lovés jetèrent leurs ombres longues dans la petite allée quand les regards sombres se jaugeaient à l’aube panachée, une première trille ailée résonnant aux hauteurs de la voute se consumant.


Il est vrai que le monde ne peut se passer de moi. Le sourire, incorrigiblement spontané, s’autorisa une esquisse sur le visage de sa compagne, l’illuminant assez pour qu’il contemple de nouveau, satisfait, les volutes qui l’avaient saisi aux premiers pas d’une danse. Quant au votre... il semble receler moult énigmes et dangers

Le sourire s’étira, cabotin, tandis que les prunelles femelles glissaient sur sa joue, amateur de ce parfum qu’elles distillaient au détour d’un mot sachant l’éveiller d’un tourment passager, noyant sans sommation les reliquats de cette nuit d’après, de cette nuit sans elle, où avaient éclos sitôt les douze coups de minuits sonnés, le sang et les mots.

Il ne faudra, ma chère, quitter mes bras sous aucun prétexte, le jour où nous entreprendrons cette balade, rétorqua-t-il dans un sourire taquin où les crocs affleuraient doucement aux babines avant de les entrainer sur le chemin du retour, une poignée de mètres encore les séparant de la rupture. Le velours du regard glissa sur le front méché de l’alcide, que l‘onde claire baignait d’une nouvelle lueur.

Je sais, Sorcière.
Je sais différencier le passé du présent.
Je connais le tangible même lorsqu’il est abstrait.
Je sais, Sorcière, ce que malgré tes charmes, tes sorts et tes croyances, tu ne sais pas encore.
Le voilà donc notre monde, celui qui n’est ni à toi, ni à moi, mais aux clairs obscurs que nous créerons.

Le couple s’arrêta sur le bord du perron, suspendant leurs retrouvailles aux dernières secondes leur appartenant. Se penchant avec lenteur, Alphonse gagna le lobe blanc, joues se frôlant dans la suspension volontaire du souffle pour en préserver la chaleur à échouer dans le cou :


J’attends votre invitation…
Les lèvres effleurèrent la tempe pour y égrainer un baiser, réprimant l’envie de saisir les lèvres pour saluer ce nouveau départ scindant les univers jumeaux en deux galaxies distinctes, y attardant un regard aussi gourmand qu’équivoque en s‘écartant d’un pas, ne les gardant liés que par leurs doigts noués.
Bonne journée à vous Erwelyn.
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Erwelyn
Ils s'étaient quittés là, dernière image imprimée aux pupilles de la Jeneffe d'un Alphonse gourmandant ses lèvres sans oser les prendre, sensation brûlante au creux du ventre plus présente encore créée par cette piqûre du regard l'ayant laissée décontenancée et troublée lorsque leurs doigts entrelacés avaient quitté le cocon protecteur. Longtemps sa voix avait résonné au plus profond de son esprit, se questionnant sur son monde à lui, opaque, redoutable, saturé de mystères provoquant une certaine réticence à y pénétrer pour celle qui n'y avait jamais évolué. La porte s'était refermée sur la silhouette de l'homme, laissant la femme appuyer sur l'huis un front chaud et sous lequel bouillonnaient de trop nombreuses interrogations, fatigue prenant peu à peu le dessus alors que les heures matinales s'égrainaient et que son quotidien avait repris le dessus sur cette parenthèse mystique et énigmatique. Parfois, depuis cette nuit de décembre déroutante et imprévisible, Erwelyn fermait les yeux pour revivre la sensation du souffle chaud venant caresser sa joue, s'imprégner à nouveau du timbre de la voix s'abîmant à son oreille, revoir les prunelles sombres dénuées de jugement étendre leur voile sur son visage, recomposer l'ourlet des lèvres sachant manier les mots tout autant que les sourires. Quand enfin ses paupières se relevaient, le souvenir du Loup voletait encore un peu dans son esprit puis finissait par s'estomper, pour revenir y séjourner de temps à autre.

La fin d'année n'avait pas été propice aux rencontres crépusculaires ou matineuses et plus le temps s'écoulait, plus l'alcine se terrait au fond d'elle, affaiblissant le courage trouvé pour aller rejoindre le loup en ce clair-obscur, le rendant parfois inexistant. Janvier était venu, chargé d'excuses et de dérobades transgressant le pacte scellé, laissant une espèce de culpabilité s'insinuer en elle et l'idée convaincante qu'une invitation au crépuscule serait déboutée par l'Ysengrin qui sommeillait en lui. Le temps aurait pu filer indéfiniment, hardiesse des premiers instants la quittant jour après jour, et plonger dans les méandres du passé cette rencontre s'il n'y avait pas eu cette journée où, déambulant dans la capitale bien éveillée, le visage de la soubrette au fagot de bois fut croisé. Ses prunelles s'y accrochèrent durant de longues secondes, s'égrainant en une éternité, la replongeant dans cette nuit hivernale et retrouvant toutes les sensations qui doucement s'étaient éteintes, mais pourtant encore bien ancrées en elle. Alors, sans réfléchir plus avant, ne laissant pas la raison prendre le pas sur l'impromptu, ses pas la menèrent en son office où un simple mot fut griffonné sur un parchemin.




Ysengrin,

pour nous offrir une parenthèse crépusculaire au creux des frondaisons, joignez-vous à moi ce soir à Londeau, à l'orée de la forêt de Bondy.

Sorcière


Un sourire se greffa à son visage, la forêt de Bondy étant réputée pour ses nombreuses légendes, propices au pacte d'un Loup et d'une Sorcière. Réputée pour d'autres choses aussi, bandits et autres canailles en ayant fait un lieu de larcins et de repaire. Mais la crainte de faire de mauvaises rencontres fut chassée de son esprit aussi vite qu'elle était venue, après tout, qui aurait eu l'heur de s'en prendre à deux créatures de la nuit, s'apprivoisant et régnant sur leur territoire nocturne ? Le billet partit donc en direction de l'Aphrodite, confié à un page qui avait reçu des directives claires, celles d'attendre en un coin obscur la sortie d'Alphonse du lupanar pour lui glisser subrepticement en main. Quant à celle qui à nouveau se sentait vibrer et renaître en circé, c'est sombrement et sobrement vêtue à la garçonne qu'elle prit la direction du lieu qui accueillerait leurs nouvelles errances, si Lupin répondait à l'invite de l'Armide. A l'ombre d'un chêne, alors que doucement le voile sombre de la nuit coulait sur les arbres, maisonnées et champs, Erwelyn patientait, visage levé en direction de la voûte céleste, chevelure emmêlée par la cavalcade ayant recouvré sa couleur naturelle, où le châtain clair se disputait ardemment avec l'argenté qui avait pris le dessus depuis des événements ayant marqué son esprit et son corps, tombant sur des épaules recouvertes d'une cape chaude.
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Alphonse_tabouret
Fin janvier.

Du bout de ses doigts froids, Janvier avait posé sur la capitale l’ensemble de ses frimas, alternant les jours de neige aux jours de gel, déposant la buée de son souffle jusqu’aux fenêtres les plus calfeutrées, étendant, tyran éphémère, un règne qui mêlaient les heures à la rigueur de ses exigences blanches. Qu’importait le jour ou la nuit, Alphonse n’avait pas quitté son bureau depuis la fin du mois de décembre, compulsant sans l’ombre d’un sentiment à portée d’attention, les livres de comptes qu’offrait tous les soirs le bordel à son appétit, noyé volontaire remontant lentement à la surface d’une eau qu’il trouvait finalement moins opaque que le courant dans lequel la vie s’acharnait à l’emporter.

Le silence d’Erwelyn durant ces journées sans fin avait été étudié avec la froide méthodologie dont il était garant, animal à ce point déterminé à ne plus subir le manque quel qu’il soit, qu’il avait chassé chaque soupir montant à sa gorge quand il avait songé à elle, et abandonné chaque regret aux crépuscules mourants quand le mutisme entêté du temps l’avait nargué aux premières apparitions d’étoiles. L’Ysengrin devinait sans mal pourquoi Sorcière avait choisi l'omerta, prise au remous d’une lutte discernée à son minois à la faveur d’une première volute de jour, engagée contre elle-même et contre le temps assassin, fragile papier de soie dont le déchirement valait tant par sa faute que celle d’un destin qui n’avait pas pris le temps de poser à son regard, l’exactitude de la fatalité, car, fatalement, Erwelyn était belle, comme l’on savait être belle en quittant l’impatiente vingtaine, et la trentaine emportée. Il ne lui appartenait pas de faire ployer les résolutions de la Jeneffe aux siennes, bien trop épris de ces chemins qui se gravent à l’âme par ses seules volitions et délivrent l’horizon tel que l’on a souhaité le contempler, entier, aux quatre vents d’une volonté propre.
Se donner était toujours plus spectaculaire que d’être pris.

A cette heure-ci, Londeau s’engourdissait à un horizon de branches nues tendues vers un ciel de nuages obscurcis, crevant çà et là l’espace désolé d’un bosquet de feuillus dont les ramages aiguillonnés de vert croulaient sous les plaques de neige. Passant les rennes du cheval à l’un gamin du relais, il s’écarta de quelques pas et leva le nez pour respirer l’air frais, trop habitué aux rues mêmes de la capitale pour ne pas apprécier le gout de l’ozone en bouche, s’ébrouant l’âme à la bise ourlée de givre jusqu’à ce qu’il daigne glisser un regard sur les alentours.
Le pli l’avait trouvé plus tôt dans la journée, tandis qu’il jaugeait d’un air inquiet une livraison s’éloignant péniblement dans la ruelle verglacée longeant le bordel , glissé au creux de sa main par un page qu’il n’avait encore jamais croisé, pour finalement lui arracher un sourire étiré aux frondaisons de la soirée à venir.
Il ne s’étonna pas de reconnaitre sans mal à l’ombre d’un arbre endormi, à la lisière doucement opaque d’une orée engourdie, sans plus de feu dans les cheveux, sans plus de perles d’argent remontées à son cou sur un col de dentelles, la silhouette pourtant encapée de l’alcide, ayant vu bien avant les traits du visage, l’étincelle des yeux noirs posés sur lui. Le corps pouvait se travestir à volonté et l’âge condamner de sa bienséance bien des amants, le regard, lui, ne mentait jamais, tour à tour perle, lave, flamme, voile, comètes, divulguant les charmes de l’âme en dépit de tous les interdits.
Le sourire orna les babines du lupin tandis que la ligne démesurée de sa silhouette tracée au sol devant lui, s’enhardissait de quelques mutations louves en rejoignant le clair-obscur l’attendant, un pas en entrainant un autre jusque ce qu’il ne reste rien de la distance séparant les deux créatures. Sans un mot, les pattes louves enferrèrent l’ovale du visage à la coupole de leurs griffes délicates, tendant le minois d’Erwelyn à l’aube du sien, suspendant les secondes qui suivirent aux chemins des diverses probabilités tandis que dans leurs promiscuités, les souffles chauds se mêlaient en une vapeur blanche.


Que m’avez-vous fait Homme, Sorcière ..., murmura-t-il enfin au fil d’un sourire amusé avant de soupirer, presque résigné… Me voilà contrait à adopter leurs bonnes manières…
Bonsoir Erwelyn, reprit-il quand la pulpe de ses doigts quittait la peau claire, dextre s’évaporant en une caresse ramenant une mèche égarée derrière une oreille femelle, senestre s’assagissant en venant se lier, instinctive, à celle de la circée.
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Erwelyn
Bonsoir, Alphonse, fit-elle en écho après les quelques instants suspendus offerts par celui qui avait été suivi des yeux dès la silhouette aperçue, menotte montant jusqu'au visage de l'Ysengrin, un fin sourire libéré sur les lippes, parcourant les traits pour s'en remémorer chaque contour, du front exempt de traces laissées par le temps au fil de la mâchoire, en passant par la pommette saillante ayant repris une teinte claire, abandonnée par les stigmates du coup reçu en cette nuit de décembre, prunelles suivant le chemin des doigts traçant leur sillon, souffle reconnaissant celui de sa lettre jumelle et s'y plongeant en un soupir. La dextre dépossédée de l'écrin habituel de ses gants enserra en un geste instinctif la senestre qui l'accosta, retrouvant là encore le plaisir tactile de l'épiderme joint au sien.

Vous avez vous-même appelé ce sort de vos vœux, un mot de vous et je vous en libère, Alphonse...

Mi-figue, mi-raisin, les iris s'attardèrent aux siennes, à la faveur du temps s'immobilisant en une virgule fraîche, accompagné du vent hivernal venant souffler ses frimas sur leurs visages encore proches, diffusant leur chaleur douce sur le couple réuni par le hasard d'un soir. Venez, souffla-t-elle, se détachant de l'arbre et de son cocon protecteur, attirant le Faune dans son sillon et plongeant au cœur des frondaisons offertes à eux en ce début de soirée, neige crissant sous leurs pas, rompant le silence pesant installé depuis le début de l'hiver, j'ai grandi en forêt, voyons voir si j'en ai encore quelques souvenirs.

Doucement, ses pupilles s'acclimatèrent à la pénombre qui les entourait malgré la blancheur apportée par la neige et le gel et ondulèrent sur la végétation en hibernation troublée par leur pérégrinations crépusculaires, à peine perceptible sous le manteau d'argent la recouvrant. Alors que, main bien ancrée dans celle du Lupin, Sorcière déambulait au détour des chemins qui se devinaient sous leurs bottes, l'emportant dans ce monde qui leur appartenait, les souvenirs d'antan affluaient à sa mémoire. Les arbres grimpés, les genoux écorchés, la terre grattée pour y trouver des racines, les fleurs et les plantes humées lors de flâneries estivales enfantines, où le temps qui passait n'avait pas d'importance, tout revenait peu à peu danser en son esprit, faisant flotter sur ses lèvres un sourire empli des réminiscences passées, et pétiller les iris surmontant des joues rosies par le froid.

Son regard qui jusqu'à présent louvoyait parmi bosquets, arbustes, chênes, épicéas et autres essences stoppa net lorsqu'enfin il rencontra un trait vif de gueules et alla finir sa course dans celui du Lupin, arrêtant là son avancée en un mouvement, Sorcière se figeant face au Loup, l'observant un instant à loisir.


Tendez la main, intima-t-elle, avant de préciser, un sourire amusé sur le visage, je vous fais la promesse de ne pas vous empoisonner. Si nous avions été en saison estivale, je vous aurais fait découvrir l’angélique sylvestre, c'est une plante magique qui a une jolie légende, car selon cette dernière, l'herbe à la fièvre fut apportée par un ange à un moine en lui révélant ses vertus. Elle protège les enfants et, entre autre, guérit des morsures des bêtes enragées. Sans doute songeaient-ils aux loups ? Certains disent même qu'elle chasse le diable, mais vous et moi savons bien qu'il ne se laisserait pas faire ainsi...

Et d'une main tendue, quelques fruits rouges furent arrachés du sorbier des oiseleurs se trouvant au-dessus d'eux pour lui déposer doucement dans le creux de la main, doigt courant sur les petits fruits accueillis au sein de sa dextre.

La nature nous joue bien des tours... parieriez-vous sur un fruit comestible ?

Son âme d'enfant s'était indubitablement ancrée en elle dès que ses pas l'avaient menée au creux de la forêt, même endormie, et lueur illuminée dans le regard, la Sibylle attendait le verdict de l'Ysengrin, sourire mutin accroché aux lèvres.
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Alphonse_tabouret
Vous avez vous-même appelé ce sort de vos vœux, un mot de vous et je vous en libère, Alphonse...

Il se contenta d’un sourire en guise de réponse, laissant le soin à sa compagne d’y lire le dessein lupin tapi derrière le fil aimable de l’humanité, se laissant guider par une main à laquelle s’attardait un tendre jeu des doigts quand le regard cueillait l’expression mutine qui semblait ensorceler la circée au contact frémissant des bois et de la nuit jusqu’à ce qu’elle s’arrête. L’œil pourtant attiré par la couleur saugrenue nichée au cœur de l’hiver, l’animal s’attacha à garder l’insolence d’un flegme sylvestre lorsque les prunelles alcines le dévisagèrent longuement

Tendez la main, demanda-t-elle, délayant au fil d’un crépuscule naissant, l’accent d’un été fleuri, déposant à sa main le fruit de son butin avant de le contempler aux fragrances d’une espièglerie parfumée
La nature nous joue bien des tours... parieriez-vous sur un fruit comestible ?

Comestible, il l’était, selon l’espèce gourmande.
La majeure partie de la vie d’Alphonse avait été rythmée par les apprentissages, tissant à même sa chair, ces réflexes policés qui apparaissaient inévitablement lorsque la conversation s’attardait, clair signal de ces bonnes manières destinées autant à plaire qu’à servir de plus hautes lettres. La botanique avait été la matière sur laquelle il avait passé le plus de temps, science alors bien plus vaste et délicate que les bases de mathématiques que la comptabilité exigeait de lui, outil humain qui devait à son parfumeur de père les connaissances les plus précises dans le seul but de satisfaire cette riche clientèle qui s’émerveillait si facilement des singes savants.
Étudiant les bois aux senteurs exotiques, les fleurs selon leurs saisons, les fragrances si particulières des arbres fruitiers, l’animal avait fini par se prêter au jeu des arômes, et avait compulsé avec appétit, une palette d’odeurs tout autant que de noms latins pour les réciter aux oreilles poudrées des acheteurs les plus fortunés tandis que sa main délayait au poignet, une goutte d’arôme pour la démonstration. Si le florissant commerce familial destinait inévitablement le fils ainé à en reprendre les rênes, les desseins du père Tabouret n’avaient jamais caché cette satisfaction fiévreuse à mettre un cadet qui plaisait autant en devanture de boutique, et si l’un avait gouté à l’ombre de la légitimité, l’autre avait été réduit à l’esclavage le plus simple de la beauté. Et pourtant, sept ans après la nuit qui l’avait vu fuguer, l’animal sentait encore les fers de ce passé de servitude dans la rigueur de ses méthodes, dans cette fascination narcissique à se découvrir dans le regard des autres quand il avait tant de mal, lui-même, à démêler ce qu’il était de la somme qu’on avait fait de lui, ou encore, dans les automatismes les plus primaires de sa mémoire

Sorbus aucuparia était l’héritage de son Père.
La baie aussi amère qu’appétissante celle de son enfance, surprenant l’animal de se souvenir d’un évènement aussi anodin qui avait marqué ses vertes années comme toutes celles des autres enfants curieux et alléchés d’une robe aussi étincelante, point commun qu’il n’aurait jamais soupçonné et dont l’évidence lui apparaissait à l’instant si nette qu’elle étira à ses lèvres la langueur des mélancolies heureuses.


Me prendriez-vous pour un oiseau, Sorcière ?, demanda-t-il dans une pointe d’amusement en attrapant entre le pouce et l’index l’une des baies rouges que tenait la paume blanche, l’examinant brièvement avant de la porter à la bouche femelle, caressant la rondeur d’une courbe pourpre au moelleux des lèvres, poursuivant d’une voix basse en maintenant d’une légère pression, la baie à la naissance du souffle femelle : Que feriez-vous de moi si je devenais merle ?. Le buste se pencha, à la manière d’un baiser qui ne fut pas donné, les lèvres ne s’effleurant que pour cueillir le fruit et le pincer aux siennes dans un sourire effilé avant de le gober pour le croquer sans sommation.
Le gout âpre s’accapara immédiatement le palais, et dévala la gorge, arrachant une grimace marquée au Fauve qui acheva d’y ancrer, étrangement satisfait, la souvenance encore voilée perçue quelques instants plus tôt, inondant sa bouche d’une amertume désagréable jusqu’à lui arracher quelques mots dévalant une voix cassée :
Par Dieu, c’est aussi mauvais que dans mes souvenirs…
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Erwelyn
Il y avait tant de choses qui passaient à travers ce regard, pourtant cachées par cette flegme apparente mais qui, une fois le vernis gratté, venaient frapper les iris sombre le transperçant. Amatrice des regards perdus, en disant long sur l'étendue des tempêtes s'y cachant, Erwelyn sonda celui d'Alphonse, paupières marquant d'un plissement la mélancolie contentée du passé qui se glissait dans les siennes, consciente que ses pensées le transportaient vers un ailleurs, gênée de l'y avoir emporté bien malgré elle. De cette forêt, gémissaient aussi pour la femme qu'elle était devenue les souvenirs d'une mère par trop protectrice envers sa fille unique, mais qui lui avait fait oublier sa solitude par l'apprentissage des plantes et leurs vertus, doublées de leur danger. Des frondaisons était aussi venu celui qui l'avait arrachée à sa mère, la laissant dans une solitude destructrice l'emportant vers la faucheuse, rendant sa progéniture coupable à jamais de l'abandon. D'une double perte était née la folie nichée au creux de son ventre, l'emmenant vers une errance faite de poison, à frôler la mort, l'appelant de ses vœux alors que cette dernière ne daignait lui répondre, mois de divagation et d'égarements où nul souvenir jusqu'à ce jour ne réussissait à percer, infiltrant froideur et désespoir dans ses veines. Outre les réminiscences enfantines, voilà ce que ces arbres, ce que le froid transperçant, ce que le vent soufflant à travers les branches vierges, libre de s'y faufiler à loisir au travers de leur petite mort hivernale, ce que la neige glaçant les os lui rappelaient, valse chassée d'un clignement de paupières à l'orée des bois mais revenant bien vite à l'entremise des prunelles sombres qui lui faisaient face. L'enfance marquait l'adulte au plus profond de sa chair, traçant des marques indélébiles voilant les prunelles de quiconque y replongeait, accompagnées de mélancolie, tristesse, rêverie, stigmates, tendresse, doux rappel du passé ou vestiges tendant à être oubliés. De ces miroirs transportés lui faisant face, Sorcière se délecta, curieuse de tout et surtout de lui, de cet autre venu à elle, empli de son histoire et d'un temps révolu, laissant les mots lui parvenant mourir à l'orée de sa gorge et planer le silence environnant qui reprenait ses droits, entrecoupé de leurs respirations fraîches.

A l'amusement du loup répondit celui de la circé, qui goûta l'espace d'un instant et d'une pression de la pulpe des doigts lupins l'épiderme venant frôler ses lèvres, y apposant la baie rouge avant de la venir voler d'un frôlement de lèvres, contact éphémère la replongeant dans les sensations ressenties lors de cette nuit de Noël, à la faveur du baiser et de leurs noms échangés, faisant se baisser les paupières une poignée de seconde pour s'y baigner à nouveau. La grimace de l'Ysengrin lui arracha un sourire qui se termina en un mordillement de lèvre désolé, Sorcière ne s'attendant pas à ce qu'il gobe ainsi la baie d'un coup, d'un seul. Du bout des doigts, une baie rouge fut enlevée de la paume de la main blanche et fine d'Alphonse, la plaçant devant son regard sombre pour l'observer un instant, regard passant de l'homme au fruit.


Un merle doublé d'un loup ? Que voilà un personnage chimérique qui vaudrait son pesant d'or... Mais si vous étiez merle, je vous laisserais vous échapper et savourer cette liberté du vol qui vous serait propre.

Erwelyn n'était pas femme à emprisonner ni hommes, ni bêtes, sa propension à se concentrer sur le bonheur des uns et des autres la poussait même à s'oublier, cachant jusqu'à ses émotions et ses sentiments profonds pour ne pas avoir à les affronter, se rendant coupable de sa propre souffrance sans réellement s'en rendre compte et abandonnant à d'autres ce qu'elle aurait pu obtenir elle-même. Prête à donner sans jamais recevoir, craintive de devoir se dévoiler au risque de se confronter à certaines réalités, il lui était plus facile de se masquer pour se heurter au monde, adepte de ce froid recul qui s'était imposé à elle depuis longtemps.

Mes souvenirs doivent être encore plus lointains que les vôtres, voyons voir si moi aussi je suis capable de les faire remonter à la surface, conclut-elle avant de croquer également cette baie de gueules, retrouvant sur le champ la saveur amère évoquée par Alphonse, faisant naître derechef la même grimace que celle obtenue quelques instants plus tôt sur son visage avant qu'un rire ne fuse, troublant à nouveau la quiétude du lieu. De sa dextre encore libre alors que la senestre allait se blottir dans le cocon chaud offert par la main du Loup, les dernières baies furent libérées de l'emprise de sa patte, forçant d'une impulsion douce les doigts à s'abaisser vers le sol, renversant par la même les derniers fruits qui allèrent plonger dans la neige immaculée, tâche incongrue sur une étendue si blanche. Alors à nouveau, les mains s'entremêlèrent, laissant le silence les entourer sans vraiment trouver de mots pour le briser.
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Alphonse_tabouret
A la gémellité de la sentence, l’Ysengrin s’étonna, d’abord conduit à refuser d’un geste la promptitude de la circée à revenir aux primeurs des découvertes juvéniles, mais trop lent pour la volonté de sa noctambule compagne à rejoindre ce royaume où rien n’était jamais doux comme bien souvent les adultes s’en souvenaient, mais forgé d’expériences intenses et de défis aussi perpétuels que trop souvent cruels.
La grimace qui suivit la collation secoua doucement ses épaules d’un rire silencieux auquel fit écho un de ceux qui savent se faire entendre, ravivant la clarté d’une nuit qui tombaient aux entrelacs de ces deuxièmes retrouvailles et essaimant à l’âme de l’animal, la quiétude certaine d’être là où il devait être. Les fruits tombèrent au sol, renversés sans plus de sommation et rendus aux prochains merles que les pérégrinations mèneraient à hauteur du festin délaissé des créatures dont les silhouettes se nouaient plus encore à la faveur d’une main rejoignant le havre chaud de ses semblables. Alors le silence bruissa, étonnant vide dans lequel ricochait çà et là, le hennissement d’un cheval ou la porte claquante d’une grange que l’on laisse derrière soit avant de s’assoir à table, mêlant dans l’assourdi de son sacre, une étrange tension à laquelle les corps restaient attentifs, soumis aux instincts primaires de tout être diurne devant la nuit. Dans un ciel délayé, la rondeur d’une lune s’imposait, magistrale, maternelle, jetant à la surface du monde l’onde bleutée de son règne consort, tranchant plus encore la moindre ombre jetée à chaque flocon de neige, nimbant, délicate, les vivants saluant son apparition.
Si ce n’était la nuit, c’était indubitablement la présence de l’alcine qui ramenait aux tempes boisées du faune, le pelage du loup, et il n’aurait su dire si c’était la presque gravité des yeux posés sur lui ou l’aube de ce cou tendu offert à son regard mâle, qui amenait le lupin à frémir jusqu’au museau de crimes que la pudeur ne lui pardonnerait pas aisément, et pourtant, ce fut sans mal que l’animal rejeta l’élan naturel le poussant à chaparder les lèvres de la circée en éveil. Ce n’était ni l’envie ni l’audace qui lui manquait, mais la certitude que certains baisers avaient bien plus de saveurs lorsqu’ils étaient donnés plutôt que volés, et il ne doutait pas, impénitent gourmet, que celui qui abolirait les frondaisons timides que la Jeneffe s’imposaient au travers de son âge, des vapeurs délictueuses de l’alcool, ou de sa peur, essaimerait à la bouche chanceuse, l’aura d’une parenthèse alors inégalée. Ainsi en avait décidé le Chat ; Erwelyn serait au fil des instants partagés, seule et unique détentrice d’une envie que le Loup ne manquerait jamais d’exciter, carnassier dont les prunelles luisaient d’un appétit entier, amant insatiable dont les sens félin s’attachaient au jeu tout autant qu’à l’assouvissement.

Alors l’animal, courba doucement l’échine, apposant son front chaud à celui de Sorcière quand ses mains s’enlaçaient à celles de sa cavalière plus intimement, attardant la proximité naissante des ventres en consommant la lenteur des gestes d’une gourmandise vorace :

Vous m’avez promis des lieux inconnus Sorcière, fit il en souriant des nez se frôlant au hasard du nœud passé à leurs corps, le souffle chaud de sa nocturne maitresse s’enroulant à la buée du sien. Je crains que ma curiosité ne s’égare à d’autres secrets si on ne la nourrit pas, la taquina-t-il d’une bouche tendrement menaçante à l’orée de la sienne avant de laisser les crocs de l’animal luire à l’audace d’un sourire affamé. Au fil d’un geste déjà partagé quelque semaines plus tôt, l’animal amena doucement le Corleone à tourner sur elle-même, ballerine, née de ces désirs uniquement, et, une fois lovée au creux de son bras, resserra la prise de ses mains en la faisant basculer en arrière, cambrant le dos jusqu’à lui planter le nez à la voute d’un ciel moucheté, le corps penché à l’unisson du sien pour lui assurer l’équilibre, et plus égoïstement, garder sa chaleur à même son pelage.
Pour l’heure, je vous offre la lune pleine… lui glissa-t-il sans même prendre le temps de regarder l’astre clair, créature bien plus fascinée par la ligne laiteuse du cou se révélant à la pose et plus encore par les miroirs sombres se lovant au ciel pour en cueillir la tenue. Pour vous qui aimez tant les histoires, cela en vaut bien une , n’est-il pas ?, demanda-t-il à l’esquisse d’un parfum de badinerie joyeuse à ses lippes.

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