Alphonse_tabouret
Certaines balades restaient immuables, chemins ancrés dans l’esprit avec tant d’assurance que l’on en oubliait parfois même la logique des pas qui amenaient là, pour se retrouver sans même y avoir songer, à une destination que l‘on connaissait sans pourtant l’avoir envisagée.
Alphonse était sorti de l’Aphrodite silencieusement, aux premières heures d’une matinée dont le ciel bleu laissait planer une fraicheur relative au mois de mai, chat égoïste que la liberté d’une balade solitaire taraudait depuis son retour, sentant peser à sa nuque, le poids des regards inquiets qui accompagnaient sa convalescence. Dans l’absence d’une préméditation, il avait saisi son manteau sans même s’attarder au petit déjeuner dès qu’il avait compris qu’Hubert n’était pas à son poste, passant devant les gardes sans qu’aucun ne se sente en droit de l’interpeller pour lui demander où il se rendait, et conscient qu’on le souhaitait accompagné quand il se déplaçait depuis ce déplorable incident qui l’avait cloitré aux bon soins de sa tortionnaire, avait pris la clef des rues en abandonnant un unique mot à l’attention d’Etienne, mû par l’irrépressible besoin de reprendre possession de ses allées et venues.
Enfin sorti de son écrin hivernal, Paris revivait, découpant ses toits inégaux à la façade d’un firmament délavé, amenant le félin à un éparpillement des sens, lézardant aux filets de soleil dorant pavés et terre battue pour y réchauffer sa peau, allongeant le pas instinctivement à certains croisements trop obscurcis encore, retrouvant l’indolence de sa marche dans la multiplicité des badauds, les aiguillons inconscients de son errance jouant de ses réflexes avant même qu’il ne les sollicite, fers désormais ancrés à ses nerfs qui mettraient un temps infini à se dissoudre. Avant même qu’il ne s’en rende compte, un sourire repu aux lèvres, il avait dépassé le quartier où se nichait l’Aphrodite encore ensommeillée à cette heure matinale, agitée du seul bourdonnement discret des domestiques de la Maison Basse et des hommes de main dont le premier tour de garde avait pris effet une heure plus tôt, laissant à l’appréciation du hasard le choix de guider ses pas jusqu’à ce que son attention ne se fige, immédiate, interpellée par le profil d’une silhouette surgie d’un temps si ancien qu’il sentit presque à son nez, les volutes d’un parfum jusque-là oublié. Méthodiquement, il chercha à dénombrer les années séparant la dernière rencontre des possibles retrouvailles avant de les chiffrer au nombre de six, peut être sept…
En quittant les Flandres il avait abandonné le futur qu’on lui avait choisi, l’opulente famille qui l’avait élevé et les souvenirs bons ou mauvais auxquels parfois on aimait à se rattacher pour se rappeler ce que l’on était, et de tout cela, Alphonse n’avait rien sauvé, n’emportant avec lui que la rancœur et la cuisante humiliation de la poigne paternelle contre laquelle il ne s’était pas révolté à temps. Ce qu’il était, il ne le savait que trop bien, coquille presque vide dans laquelle subsistait une si mince partie de ce qu’il était qu’il lui arrivait de la perdre de vue et de la chercher, fanatique dans l’étincelle du regard des autres jusqu’à se perdre, au firmament des lumières qu’il entrapercevait et concevait comme vérités, sauvé malgré lui de la malléabilité par l’obscurantisme de son enseignement, car si on en avait fait un parfait singe savant, on n’en avait pas moins forgé chez lui la soif d’une identité propre, quête éperdue qu’il bravait chaque jour en se servant des outils qu’on lui avait mis entre les mains.
Ce qu’il restait de ses dix-huit ans se tenait à portée d’un regard, et, dans le narcissisme curieux de savoir ce qu’il pourrait y lire, il s’écarta d’un pas léger et silencieux du chemin éthéré qu’il dessinait au fur et à mesure de sa promenade pour lui donner un but, une direction précise jusqu’à cueillir de sa hauteur, le dos du souvenir, attardant un instant le velours de ses yeux à la ligne délicate du cou, écrin blanc immaculé qui avait accueilli ses morsures et sa poigne dans la chahut des nuits nordiques. A l’entente de la voix s’adressant à la commerçante, il se remémora le timbre des soupirs, l’écho de leurs souffles et sentit même sur le bout de sa langue, le parfum d’une oisive concupiscence étirer son sourire, et, croisant le regard de la commerçante, amena l’index à ses lèvres pour lui intimer un silence complice quand la position choisie pouvait prêter à interrogation, jouant, animal sournois, du charme dont il se savait détenteur pour gagner les faveurs de la donzelle qui, sans ciller, se remit à parler verroterie.
Le bleu, trancha-t-il enfin en se penchant à l’oreille blanche qui le narguait, attendant la réaction à la façon du chat guettant l’envol du moineau tandis qu’oscillaient au bout des doigts commerçants un collier bleu et un collier vert sur lesquels jouait timide, un éclat solaire.
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Alphonse était sorti de l’Aphrodite silencieusement, aux premières heures d’une matinée dont le ciel bleu laissait planer une fraicheur relative au mois de mai, chat égoïste que la liberté d’une balade solitaire taraudait depuis son retour, sentant peser à sa nuque, le poids des regards inquiets qui accompagnaient sa convalescence. Dans l’absence d’une préméditation, il avait saisi son manteau sans même s’attarder au petit déjeuner dès qu’il avait compris qu’Hubert n’était pas à son poste, passant devant les gardes sans qu’aucun ne se sente en droit de l’interpeller pour lui demander où il se rendait, et conscient qu’on le souhaitait accompagné quand il se déplaçait depuis ce déplorable incident qui l’avait cloitré aux bon soins de sa tortionnaire, avait pris la clef des rues en abandonnant un unique mot à l’attention d’Etienne, mû par l’irrépressible besoin de reprendre possession de ses allées et venues.
Enfin sorti de son écrin hivernal, Paris revivait, découpant ses toits inégaux à la façade d’un firmament délavé, amenant le félin à un éparpillement des sens, lézardant aux filets de soleil dorant pavés et terre battue pour y réchauffer sa peau, allongeant le pas instinctivement à certains croisements trop obscurcis encore, retrouvant l’indolence de sa marche dans la multiplicité des badauds, les aiguillons inconscients de son errance jouant de ses réflexes avant même qu’il ne les sollicite, fers désormais ancrés à ses nerfs qui mettraient un temps infini à se dissoudre. Avant même qu’il ne s’en rende compte, un sourire repu aux lèvres, il avait dépassé le quartier où se nichait l’Aphrodite encore ensommeillée à cette heure matinale, agitée du seul bourdonnement discret des domestiques de la Maison Basse et des hommes de main dont le premier tour de garde avait pris effet une heure plus tôt, laissant à l’appréciation du hasard le choix de guider ses pas jusqu’à ce que son attention ne se fige, immédiate, interpellée par le profil d’une silhouette surgie d’un temps si ancien qu’il sentit presque à son nez, les volutes d’un parfum jusque-là oublié. Méthodiquement, il chercha à dénombrer les années séparant la dernière rencontre des possibles retrouvailles avant de les chiffrer au nombre de six, peut être sept…
En quittant les Flandres il avait abandonné le futur qu’on lui avait choisi, l’opulente famille qui l’avait élevé et les souvenirs bons ou mauvais auxquels parfois on aimait à se rattacher pour se rappeler ce que l’on était, et de tout cela, Alphonse n’avait rien sauvé, n’emportant avec lui que la rancœur et la cuisante humiliation de la poigne paternelle contre laquelle il ne s’était pas révolté à temps. Ce qu’il était, il ne le savait que trop bien, coquille presque vide dans laquelle subsistait une si mince partie de ce qu’il était qu’il lui arrivait de la perdre de vue et de la chercher, fanatique dans l’étincelle du regard des autres jusqu’à se perdre, au firmament des lumières qu’il entrapercevait et concevait comme vérités, sauvé malgré lui de la malléabilité par l’obscurantisme de son enseignement, car si on en avait fait un parfait singe savant, on n’en avait pas moins forgé chez lui la soif d’une identité propre, quête éperdue qu’il bravait chaque jour en se servant des outils qu’on lui avait mis entre les mains.
Ce qu’il restait de ses dix-huit ans se tenait à portée d’un regard, et, dans le narcissisme curieux de savoir ce qu’il pourrait y lire, il s’écarta d’un pas léger et silencieux du chemin éthéré qu’il dessinait au fur et à mesure de sa promenade pour lui donner un but, une direction précise jusqu’à cueillir de sa hauteur, le dos du souvenir, attardant un instant le velours de ses yeux à la ligne délicate du cou, écrin blanc immaculé qui avait accueilli ses morsures et sa poigne dans la chahut des nuits nordiques. A l’entente de la voix s’adressant à la commerçante, il se remémora le timbre des soupirs, l’écho de leurs souffles et sentit même sur le bout de sa langue, le parfum d’une oisive concupiscence étirer son sourire, et, croisant le regard de la commerçante, amena l’index à ses lèvres pour lui intimer un silence complice quand la position choisie pouvait prêter à interrogation, jouant, animal sournois, du charme dont il se savait détenteur pour gagner les faveurs de la donzelle qui, sans ciller, se remit à parler verroterie.
Le bleu, trancha-t-il enfin en se penchant à l’oreille blanche qui le narguait, attendant la réaction à la façon du chat guettant l’envol du moineau tandis qu’oscillaient au bout des doigts commerçants un collier bleu et un collier vert sur lesquels jouait timide, un éclat solaire.
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