Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP Mai] B.D.C : missive ordinaire

Eve_desvilles
Elle se vêtit d'une mise simple, elle sortit. Le temps était doux, un sourire flottait sur ses lèvres sous le plaisir d'un printemps qui s'ouvrait enfin à la chaleur et susurrait les promesses de l'été. Lente dans la foule trépidante de la capitale, elle dirigea ses pas dans l'entortillement des rues jusqu'à parvenir à une petite échoppe sans mine à la devanture borgne. L'enseigne d'une plume d'oie balançait en chuitant dans l'air de l'après midi.

Elle entra dans un vestibule exigu. Des voix parvenaient étouffées depuis une porte close. Elle prit place sur une des chaises, patienta. Droite, très calme. Les nervures du bois composaient des silhouettes emmêlées dans les lattes du parquet. Un homme ouvrit la porte au bout d'un moment, il adressa quelques mots à une personne située à l'intérieur de la pièce, reçut une réponse. Puis il se tourna et la regarda. Il lui sourit. Il lui tint un propos gouailleur et enjoué. Elle pencha légèrement la tête de côté. Le cou de l'homme présentait une pomme d'Adam très saillante qui bougeait quand il parlait, elle lui adressa un sourire intrigué. L'homme sortit. Elle se leva et entra dans la pièce.

Une voix la salua. Deux mains tâchées d'encre sur une table entre une pile de parchemins vierges et une bouteille de vin. Elle salua. Une escouade de la maréchaussée passa devant la fenêtre. Elle déclara qu'elle voudrait une écriture fine pour un message à destination d'un notable. L'homme acquiesça.
Elle lui dit à voix claire et distincte qu'elle voulait écrire à Maître Alphonse Tabouret, pour se mettre à son service, qu'il fallait ajouter qu'elle était disciplinée et expérimentée, qu'elle avait toujours donné une grande satisfaction à ses précédents maîtres et que le décès de son dernier employeur l'avait privée d'emploi, qu'elle se trouvait entièrement disponible.

L'homme hocha la tête puis se mit à rédiger avec application.



Maître Tabouret,

J'ai appris que vous recherchiez des personnes pour votre service. J'ai déjà plusieurs expériences dans le métier qui ont toujours rencontré l'approbation de mes employeurs. J'ai le tempérament docile et du courage pour le labeur. Le trépas de mon précédent maître me laisse entièrement disponible pour entrer dans votre maison. Je saurai vous apporter entière satisfaction par un service discret, opportun, et tout autant je saurai me montrer digne de vos exigences en préservant par tous mes comportements et par un devoir de réserve total la réputation de votre famille.

Respectueusement


L'homme leva la tête dans l'attente. Elle prononça :Eve Desvilles. Il signa.


Eve écouta avec attention la lecture qu'il lui fit du message. Elle approuva puis s'acquitta de la somme assez élevée qui était due pour une calligraphie de demi prestige. Enfin elle prit congé sur quelques paroles de courtoisie et sortit.

Ses yeux un instant perdus dans les couleurs de la foule, elle fit un chemin un peu long jusqu'à un quartier proche, porta une attention vigilante aux personnes présentes. Elle gagna un estaminet au coeur de la rue, héla un galopin et contre quelques piécettes lui enjoignit de porter la missive à une adresse dont elle lui désigna exactement le parcourt malgré la complexité du trajet.
La galopin détala vers sa mission. Eve regardait le soleil.
Alphonse_tabouret
Le pli avait été déposé le matin même par Hubert sur le bureau du comptable et lorsqu’Alphonse le trouva, il le décacheta, sans intérêt particulier, s’attendant à une énième facture. Depuis sa reprise, le bordel ne cessait de se remplir et de se désemplir de fournitures diverses et variées. Il était étonnant de constater à quel point les courtisans et leurs clientèles consommaient d’alcool et de fruits… peut être les drogues de l’herboriste donnaient elles la fringale en plus de cet air livide et aérien qui engourdissait jusqu’aux prunelles les plus aguerries. Qu'importe, les écus rentraient plus qu'ils ne sortaient, c'était là tout ce qu'on lui demandait.

Il se laissa tomber dans son fauteuil, ne prêtant aucune attention au soleil de cette fin de matinée qui tombait crument sur le bois sans songer à tirer les rideaux, son regard errant jusqu’au vert de la bouteille d’absinthe et il résista, de toutes ses forces à l’ouvrir pour en sentir les effluves. Il était bien trop tôt pour cela et juste l'heure pour l'une de ces séances de paperasse et des chiffres avec lesquels il jonglait jusqu'à l'oubli salvateur.
Il se saisit de la première missive, le front déjà barré d’une expression soucieuse qui n’augurait rien de bon, condamné à s’abimer dans le travail le plus assommant possible.
Ses yeux retombèrent d’eux même sur le vélin, et si l’attention n’avait pas été au rendez-vous lorsqu’il l’avait ouverte, ce fut tout autre en lisant les quelques lignes. L’écriture était nette, régulière sans aucune personnalisation, l’œuvre d’un écrivain publique certainement. Les sous-entendus et le nom féminin annotant la page finirent de lui confirmer ses interrogations.

Plume et parchemin, furent pris et le courrier, tellement succinct qu’elle pourrait demander à le faire lire au premier venu sans qu’elle soit inquiétée qu’on sache à quoi elle se livrait, lui fut envoyé dans l’heure.



Dame,

Présentez-vous à mon office ce vendredi à onze heures.
Je vous y attendrais pour un entretien d’embauche

Alphonse Tabouret.

_________________
Eve_desvilles
Il saisit le parchemin avec agacement, le parcourut, maugréa. Entre deux œillades fouineuses qui cherchaient les secrets de son corps sous le vêtement. Son bras était immense comme une masse, comme un oreiller. Comme une masse. Plus son regard s'attardait sur elle, plus il se reprenait à lire le parchemin avec des insultes dans les yeux et un tremblement dans la main.
Il guigna vers elle d'une pupille haineuse mais fixe, et dilatée. Il lui annonça qu'elle devait laisser toute arme. Elle lui tendit une fourchette édentée. Il ricana puis lui intima de se tourner, qu'on ne la lui faisait pas, sur un timbre où perçait le triomphe. Il roula le parchemin, résistant à le broyer dans sa paume. Il la palpa, amplement. Il lui jeta finalement qu'elle pouvait, avec un poing rentré dans la voix, de celle qui jette au chien une basse pièce trop bonne pour lui.
Elle trouva ses yeux,

Le parchemin, c'est moi.

Eve le reprit, presque intact, sous l'œil interloqué du portier qui s'écarta. Elle quitta la ruelle qui n'avait jamais vu le jour pour la nuit éternelle de l'Aphrodite.
Le pas traînant faisant sa route dans l'inconnue du lieu, elle trouva la porte de son rendez-vous. Elle frappa. Elle attendit. Le parquet du couloir était recouvert d'un tapis qui mentait. Elle passa un doigt sur le mortier qui tenait les pierres du mur. Un frisson lui parcourut l'échine, elle frotta la pulpe sur le pouce, porta le doigt à ses lèvres, fit disparaître la sensation. Une voix franchit le bois avec autorité.

Eve prit un temps pour préparer sa toilette. Elle tourna la poignet. Une pièce remplie de mille objets avec une silhouette sombre, pourvue d'une chevelure et d'une gorge. Son regard se voilà, elle sourit avec douceur. Elle avança lentement, accomplit une courte révérence. Elle dit qu'elle était Eve Desvilles. Elle se tourna puis referma la porte sur son destin.

Quelques pas lents vers le centre de la pièce. Elle lâcha le parchemin et porta les mains à ses épaules. La robe chut à ses pieds dans un bruit de drap bleu froissé, ensevelit le parchemin. Son regard abandonné sur le bureau vit des mains blanches entre une pile de vélins et une bouteille. Elle laissa le temps s'allonger sur sa nudité, puis elle se tourna. Elle voyait encore les mains blanches avec deux yeux de pénombre accrochés en hauteur. Elle posa les mains sur le mur, se cambra. Ses doigts s'enfoncèrent dans les lignes du mortier. La tête légèrement portée sur l'épaule pour offrir son oreille, elle dit d'une voix accueillante :

Monsieur me veut-il par terre ?
Alphonse_tabouret
Lorsque les coups frappèrent contre la porte, le jeune homme fut brièvement surpris, arraché de ses chiffres pour être plongé dans un monde auquel il ne prêtait plus d’attention dès qu’il s’attablait à son bureau et eut besoin de quelques instants, déchiré entre les deux réalités, celle qui le noyait, celle qui le tuait, pour relever la tête et jauger l’heure d’un revers de prunelle.
A son ordre, la porte s’ouvrit, découvrant une jeune femme dont le visage auréolé de quelques discrètes taches de rousseurs et d’une chevelure flamboyante s’ornait d’un sourire doux, d’un de ces sourires de gens ayant quelque chose à vous demander, et Alphonse comprit immédiatement qu’il s’agissait d’un entretien d’embauche pour la Maison Haute, le souvenir de celui de Dacien effleurant ces sens jusqu’à lui tendre fugitivement le ventre. Derrière l’impassibilité de son regard, une sensation piquante vint tourner entre ses tempes et effleurer de son doigt un marasme de souvenirs qui lui semblait appartenir à une autre vie, la vie d’avant la mort de Quentin. Le temps que la jeune femme mit à venir au centre de la pièce, il le prit à tacher de rassembler sa mémoire pour y raccorder son expression, son chaloupé, ses courbes, sans succès et lorsque que les gestes lents de la courtisane délacèrent la robe bleue pour la faire choir au sol comme une corolle évaporée, il ne cilla pas.

Monsieur me veut-il par terre ? demanda enfin la jeune femme après s’être offerte au silence de l’introspection et de sa démonstration. La ligne cambrée de son dos blanc offrait la vue d’une croupe doucement rebondie, de jambes fines qui venaient s’ancrer au sol comme si c’était là le seul point commun qu’elles avaient avec la terre et Alphonse ne put s’empêcher de trouver chez son hôte, une certaine similitude avec lui. Il y avait quelque chose d’enfantin, de doux, de léger, presque trop aérien chez cette jeune femme qui l’interpelait et si elle était belle à s’en retourner sans aucune discrétion, elle n’était pas celle que l’on a envie de courtiser, mais plutôt de jeter à quatre pattes pour s’y satisfaire comme un animal… l’innocence qui appelait la perversion… et l’œil du commerçant, non plus celui d’Alphonse, brilla d’une étincelle mercantile avant de se figer, noire, froide, dans ses yeux, la regardant, sans la voir.

Ainsi donc il était devenu marchand de bétail… Le fauve grogna en lui, sourdement, amèrement, en se rappelant ces heures passées à chérir une liberté dont on l’avait dépossédé bien avant l’heure, et s’étonna presque de ne pas voir les chaines qui lui pesaient si lourdement aux poignets. Quentin avait tout pris… Ou non… Aethys avait tout pris… de sa patience jusqu’à sa nonchalance… Il ne pouvait que compter sur les doigts d’une main, les rares moments où certains autres, rarissimes, lui offraient le loisir de retrouver et l’un et l’autre, pour ne le laisser que mieux dévasté de s’être offert une respiration hors de son cauchemar permanent.

-Nul besoin. Asseyez-vous plutôt, rétorqua-t-il, sans montrer la moindre expression sur son visage fermé, en proie à une envie sourde de voir ce qui se dessinerait sur ce visage en subissant les affres de sa contrariété, étonnamment convaincu qu’on pouvait aller loin, très loin, avec le genre de femme qu’était Eve. Il ne lui avait pas demandé de se rhabiller, curieux de voir jusqu’où allait cette étrange démonstration du corps, cette soumission malsaine qu’il sentait lovée au creux du souffle de la rousse et si le félin était de mauvaise humeur, cela ne l’avait jamais empêché d’aller jusqu’au bout de ses interrogations. Ses doigts fins fouillèrent dans la pile de parchemins, retrouvant le courrier adressé quelques jours plus tôt. Ainsi donc..., commença-t-il en jetant un coup d'oeil succinct sur le courrier avant de relever le nez vers elle, figé dans cette impassibilité propre à ceux qui ont le pouvoir. ...vous désirez travailler ici si j’en crois votre lettre… L’Aphrodite requiert de la part de ses employés autant le sens du dévouement que celui de la discrétion. Vous semblez possédez le premier… Un sourire gagna ses lèvres, mais il n’avait rien de chaleureux, tout d’un piquant froid… Qu’en est-il du second ?
_________________
Eve_desvilles
Eve entendit l'invitation injonctive de l'homme. Était-il ? Sa voix bleue et noire avait des écailles sur les bords. Elle patienta. L'homme n'esquissa aucun geste. Il ne la voulait pas. Elle lui fit face. Ombre contre ajourée dans son fauteuil devant la fenêtre, le fil de ses doigts sous la lueur grise de ce matin sans âme avait l'éclat de lames sur le bureau. Était-il ?

Eve considéra sa robe. Bleue sur le tapis sombre avec des mailles sur les bords. Le parchemin avait disparu. Elle vint vers le siège, avançant son corps dans l'aura de lumière de la pièce. Courbes satines et pleines, galbées de vigueur et d'offrandes. Elle s'assit, légèrement de côté, instinctive, présentant le plus amplement possible son corps à la lumière. Cillement long des yeux avant de voir. L'homme, pommettes saillantes dans son clair-obscur, regard fendu, figé de menace immobile. Sourire qui mord. L'homme était de sang saisi dans la glace d'un hiver claquemuré de pénombres. Était-il ? Elle eut un sourire très doux.

Il la toisa. Elle s'attendrit. Il la dénigra puis l'interrogea. Elle s'attendrit.
L'eau de ses yeux dans l'encre de siens, elle regarda un moment se mêler les incertitudes. Comment répondre à une demande de silence autrement que par le silence ?

Silence.

Puis,

Eve lui sourit avec une fleur d'espièglerie dans la prunelle

Messire, comme le foutre tache, finissez dans ma bouche et nul n'en saura rien.

Était-il pire ?
Alphonse_tabouret
La jeune femme prit place dans le fauteuil, sorte de pantin fluide que semblait régir les fils d’un invisible marionnettiste, et Alphonse se demanda brièvement s’il elles étaient plusieurs là-dedans, à se partager les chairs communes
Les courbes blanches prirent le rayon de soleil pour elle, désignant par leur éclat le galbe d’un sein donné en pâture à ses yeux, couronné d’un petit dôme à la couleur plus vive, la pulpe de ses doigts fourmillant fugitivement à l’idée irascible d’en pincer un sous la pression de ses doigts pour voir jusqu’où Eve pouvait sourire… Et si la cuisse, la toison rousse qui émergeait à peine au virage de sa courbe, qu’on entrapercevait juste, auréolée d’un scintillement de jour attirait l’œil irrémédiablement, c’était avant tout ses yeux qui accaparaient Alphonse. Il y avait dans ce regard quelque chose de plus froid que lui encore, de plus aiguisé et de pourtant moins dangereux.

La brisure d’Eve n’avait pas les contours de la sienne mais la côtoyait sans qu’il sut pourquoi il pensait ça, tentant de deviner à quels maitres elle avait eu à faire pour ressembler à une poupée avec qui l’on souhaite s'amuser, mû par un instinct qui n’avait rien du jeu innocent, jusqu’à l’animer, que ce soit par le plaisir ou la douleur. Celle-là satisferait à la fois les plus pervers et les plus orgueilleux… Et Alphonse se sentit las, terriblement las à l’idée possible qu’elle en soit consciente plus encore que s’il s’agit de l’une de ses fractures que l’on ne soupçonne pas, que l’on porte en claudiquant tout du long de sa vie sans comprendre pourquoi on boite. Il aurait été presque rassurant de savoir que sous ce masque souriant se cachait quelque chose qui n’avait de prise sur rien, créature innocente envoyée au bucher de la vie par d’incapacitantes faiblesses… Tout plutôt qu’une lueur de compréhension à ce qu’elle suscitait chez les autres.


Messire, comme le foutre tache, finissez dans ma bouche et nul n'en saura rien.
-Dame, me voilà rassuré quant à vos compétences, rétorqua-t-il dans un sourire qui ne se départissait pas de son gel. Savoir avaler, c’est un art, la piqua-t-il d’un ton bas, courtois, posé comme un baume sur des propos blessants et il ne doutait pas une seconde qu’elle le prendrait avec le sourire… le même qu’elle lui opposait docilement et qu’il taquinait, curieux, marchand jusqu’au bout des ongles sur les qualités de son article. D’un geste il extirpa un parchemin vierge qu’il se mit à remplir tout en poursuivant. L’Aphrodite fait commerce de ses charmes et d’autres négoces, divers et variés, la plus part du temps strictement illégaux. Il n’avait bizarrement aucune difficulté à poser des mots clairs, compromettants face à Eve, étrangement convaincu que sa fidélité aux choses faisait partie intégrante du mal qui la rongeait. Disons… qu’il n’y a pas que le foutre qui tache, conclut il en lui tendant le parchemin, se doutant qu’elle ne savait pas écrire, mais souhaitant voir jusqu’où l’on pouvait aller avant de lire un début d’humiliation sur ses traits. Votre contrat n’attend que votre signature.
_________________
Eve_desvilles
Eve lut la lassitude. Ses yeux s'écarquillèrent. Immensités bleutées parcourues par l'abysse. Abysse-abîme liquide aux couleurs de noyade. Eve vit l'image d'Alphonse se rapprocher d'elle en s'agrandissant. Voile de l'écume où viennent boire les étoiles. Regard qui s'ouvre de s'obscurcir.Une sourire dévoré de soleil vint lui illuminer le visage. Sa pupille était noire comme un puits.

Il parla. Dissipation. Il dénigra. Sourire doux. Il écorna. Beauté. Eve l'écouta.

Un peu.

Distraitement.

Plus du tout.

Il se mit à écrire, elle lui tourna le dos. Se leva, et sans aucune intention de grâce, mais avec un naturel et une évidence désarmantes s'accroupit pour saisir sa robe.

Elle se releva, bras étendus en hauteur, étirant tout le délice de sa silhouette un instant, puis fit disparaître sous une molle avalanche bleutée les formes généreuses et satinées de son corps. Son pied rencontra le parchemin, piétiné. Elle se pencha pour le saisir, posa un instant ses yeux sur les déliés d'encre qui signifiaient "Alphonse Tabouret". Elle savait que c'était faux. L'histoire d'une impasse avec un mur, et une fenêtre qui donne dans le noir sur une cour avec un mur, et une fenêtre, qui donne dans le noir sur une pièce opaque, avec un mur. Et un miroir. Il était derrière...
Alfausse.
CrEve.

A l'issue de sa dernière déclaration, elle lui fit face de nouveau. Visage lisse, statuaire, d'une intense douceur que ne trompait que le cillement lent de ses yeux.
Menaçant presque de se figer pour jamais. Elle le regarda sans le voir comme ces objets trop familiers pour susciter encore la curiosité. Le sourire lui revint, mais rêveur, habité d'une autre pensée que l'instant même. Sa voix se fit doucement grondeuse.

Elle lui expliqua que les écrits étaient des promesses de trahisons, que la parole seule devait suffir aux engagements, qu'il n'était que de lui demander pour lui battre le velours, pour quelle étrange raison voulait-il la faire saigner ?

Le temps d'un battement de cils, elle se reprit :

Me faire signer?

Elle eut un petit rire comme un reproche.
Alphonse_tabouret
Les choses avaient l’air de glisser sur Eve avec une facilité qui frôlait le dérangement. Tantôt on la croyait absente, tantôt, on la croyait là, même la lueur de ses yeux semblaient vaciller de trop pour se lire avec netteté… Et s’il avait cru qu’elle se contenterait d’un de ses aveux dociles, espérant à peine égratigner cet habit d’indifférence qui semblait l’envelopper, il ne s’attendait pas au discours qu’elle lui servit.
Impassible il l’écouta s’emporter et si d’une autre bouche cela aurait pu être charmant d’ainsi théoriser, de celle-là, ça lui laissait un gout étrange en bouche, une incompréhension… car Alphonse aurait pu parier qu’elle ne trichait pas à cet instant ci, que ce n’était pas noyade de sa part que d’ensevelir sa demande sous un déluge de mots, mais qu’elle vibrait de tous les mots qu’elle prononçait.

Me faire signer?

Le rire léger de la jeune femme ricocha gaiment dans la pièce, et le félin s’en saisit au vol, lui rendant un sourire affable en poursuivant :

- Je crains en effet dame, que ce soit là indispensable. Voyez-vous, la sagesse populaire a parfois du bon, et je suis partisan du dicton : les paroles s’envolent, les écrits restent… Il attrapa le parchemin et écrivit le prénom d’Ève à hauteur du sien… Cela dit, je vous offre une échappatoire… une croix suffira. Il releva un visage souriant, horriblement affable en lui présentant la plume et le parchemin.
_________________
Eve_desvilles
Eve eut une moue boudeuse. Elle baissa les yeux sur le parchemin. Déglutit aussi discrètement que possible.
Eve avait entendu beaucoup de choses sur les contrats. Des choses épouvantables.
Elle regarda Alphonse. Directement. Plein feu d'un ciel de cobalt sur l'obsidienne sacrificielle. Était-il ?
L'ombre d'une ombre faisant gîte à l'ombre d'un corps, deux mains de velours habiles à saisir, deux yeux acérés ouvert sur le monde comme baille sur les ténèbres la mâchoire de la Bête, une voix, grave, pleine, de dissimulations et de conséquences.
Eve lâcha le parchemin froissé. Était-ce maintenant, l'inévitable rencontre, était-ce Lui ?
Elle s'avança avec cette langueur qui l'habitait au devant de cet avenir qu'elle avait toujours redouté.
Toujours attendu.
Toujours espéré.
Battement des paupières, le regard qui s'embue et s'éclaire tout à la fois, entre l'angoisse et le soulagement,
elle s'avança dans l'orée grise du jour que le soleil avait fui, uniquement tenue par la fourche des yeux du maitre des lieux.

Eve s'assit de nouveau, mais avec appréhension, timidité, saisie par la fatalité de l'instant.
Elle porta vers le document une main où trembla l'émotion. Un sourire devenu fantomatique possédait son visage, l'incertitude persistait de savoir si elle allait fondre en larmes ou se faire dévorer par la joie. Elle se recroquevilla sur le siège, prit un appui minuscule sur le bureau, saisit dans son poing la plume proposée.
L'oeil vague sur les lignes du contrat, ignorante de tout ce qu'il contenait mais résignée volontaire, elle ne ferait pas une croix sur son destin.
Elle se pencha, pointa la plume à l'endroit désigné, le bout de la langue entre les lèvres, et selon des déliés maladroits et trop ronds dessina péniblement : Eve.
Sans faire une tache.


Le flottement se dissipa sur son visage. Son sourire lui revint. Elle darda sur Alphonse un regard bleu de lave et de fournaise. L'incandescence fatale irradia de tout son être. Vertige de la chute. Dans la nuit de sa conscience quelque chose tombait. Langueur d'une douce ondulation, elle coula son maintien enfantin dans les courbes animales de la proie du désir. Innocence complice de l'enfer, lieu de toutes les conspirations, là devant lui soudain comme l'œuvre de la chance muée en appel au crime.

Maître, maintenant je suis vôtre.

Elle acheva sa phrase d'une voix brûlante et taquine, s'interdisant aussitôt en se levant. Dessin du dos offert qui s'éloigne. Chaleur qui laisse la place au vide. Sa présence persistait sur le siège.
_________________
Alphonse_tabouret
La lutte était perceptible jusque-là, quand bien même elle prenait sur elle, quand bien même ce minois certainement habitué à devoir dire oui quand elle souhaitait pourtant opposer un non cachait derrière une simple moue, la désapprobation de sa demande, elle luttait la rouquine, Alphonse le voyait, connaissant également le poids des fers sur sa peau, le poids de la négation étouffée par l’acquiescement fatal.

Et pourtant elle le prit le parchemin, quand il aurait compris qu’elle lui jette l’encrier à la figure, car lorsque l’on aiguillonne, on se tient prêt à la moindre réaction, aussi disproportionnée soit elle, surtout lorsque l’on jauge la personne en face. Mais Eve cilla à peine, si affreusement soumise à quelque chose qu’il ne définissait pas, et sans démordre de cet air volontaire qui avait peint ses traits, s’empara de la plume avec une fébrilité qui aurait pu lui paraitre tellement touchante si elle ne l’avait pas écorché jusqu’à la moelle.
Il détestait cette sensation de se reconnaitre dans cette soumission torturée, il détestait qu’Eve lui renvoie sans le vouloir une part de ce qui l’avait construit lui, il détestait l’avoir dominée…

L’écriture maladroite fut lentement ajoutée au parchemin sous son regard et Alphonse la laissa se lever , en décachetant le seau de cire de l’Aphrodite

Maître, maintenant je suis vôtre.

La voix, fluette, harmonieuse, badine, vrilla ses tempes d’une douceur inattendue

-Je vous ferai parvenir un double du contrat. Sachez juste qu’ici, vous travaillez à vos simples frais et au nom de l’Aphrodite… je ne touche aucune commission… pécuniaire ou charnelle, précisa-t-il en faisant couler la cire sur le bas du vélin. Un infime temps de silence, avant qu’il continue, d’une voix plus basse, vaincu par la placidité de la jeune femme, par ce dégout de lui-même l’inondant soudain en sentant la marque de son père s’incruster dans sa chair. Si vous le souhaitez, je vous apprendrais à écrire et à lire. Pour l’heure, fermez la porte derrière vous… demanda-t-il, brusquement harassé, sentant le besoin urgent de s’immerger dans l’atmosphère pesante et silencieuse du bureau pour ne pas avoir à passer cette colère de lui et du monde sur l’herboriste.
_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)