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Samsa
    "Je t’ai vu tracer le long du paysage
    Une ligne des aimées qui détruisent ton langage.
    Et quand tu chantais plus fort dans ton silence,
    Je voyais les larmes couler toujours à contre sens.
    [...] Et si le jour ne vient pas dans la nuit des perdus,
    Raconte-moi, qu’on puisse crier tout bas "
    (Coeur de Pirate - Crier tout bas)



    "Hé... !"


Le jour n'était pas encore levé sur la capitale limougeaude mais Samsa était debout depuis plusieurs heures. Le ciel se teintait doucement des nuances de rose et de violet annonciatrices de l'astre à venir et, déjà, de nombreux nuages s’amoncelaient pour ternir ces trop belles couleurs. Vêtue de sa chemise grise sur sa cotte de mailles, de ses braies redevenues blanches après les incidents de sa récente union, épée sanglée à son côté et gantelets de combat aux mains, Cerbère allait en direction d'une forêt voisine de Limoges, à environs une heure de marche. Depuis ces arbres-là, on distinguait à peine les hautes murailles de la ville.
Toutes les blessures laissaient des séquelles, des cicatrices. La mort de Zyg avait tué Samsa, presque complètement, avait fait naître celle que l'on appelait aujourd'hui Cerbère et avait créé des failles immenses bien que peu nombreuses dans son âme. Quand on lui demandait "pourquoi Cerbère ?", Samsa n'évoquait toujours que deux raisons, les plus évidentes, son côté protecteur et le fait qu'elle avait survécu à l'Enfer. Pourtant, Cerbère a trois têtes, et aussi trois raisons de son surnom. Jamais elle ne parlait de la dernière. Personne ne savait que Cerbère évoquait aussi des facettes, des personnalités. Très peu savaient vraiment que Samsa avait été schizophrène ; les rares au courant laissaient cette information dans un coin reculé de leur tête qu'ils ne dépoussiéraient jamais. C'était de toute façon une information à priori sans importance puisque tout ceci était du passé. Samsa avait jadis été dépassée par des émotions et des sentiments trop forts et son esprit avait été obligé de la protéger en mettant en avant d'autres entités dont aucune n'avait de nom, sauf une : "Cerbère". La Baronne avait appris à gérer ces surplus et, à part une fois devant Hector qui essayait de tuer Shawie par la torture, jamais plus ces voix n'avaient raisonné dans sa tête. Même Sub, le subconscient de Samsa, avait fini par se taire.

    "Ils sont partis..."


La mort d'Eldearde l'avait plongé dans un état de choc réel. D'abord amorphe, elle avait ensuite paniqué avant de virer presque violente. Samsa était une femme qui avait pour seule défense dans la vie la colère et la violence, c'est pourquoi, quand les choses allaient mal, elle avait tendance à chercher la bagarre. La mort d'Eldearde, Samsa avait les capacités de la gérer ; le chemin serait long et difficile, mais elle pouvait le faire, elle le savait. Aucune voix, aucun murmure, n'était apparu. Elle était rentrée à Limoges pour retrouver Lucie, la soutenir et quérir auprès d'elle la protection dont elle avait besoin, vulnérable à chaque deuil. Un geste de Lucie, de Shawie, de n'importe qui, pouvait l'apaiser et la faire se sentir en sécurité.
La mort de Maximilien venant s'y ajouter, en revanche, Samsa ne pouvait pas. En l'espace de quelques semaines, elle venait de perdre sa Sœur de Vassalitude, celle qui aurait pu être sa Sœur tout court, et son Frère, l'Homme de sa Vie comme elle aimait à l'appeler. Son cumul d'état de choc avait fait presque fait fuir Shawie et "Cerbère" avait commencé à prendre les rênes de l'esprit royal. Elle avait érigé une muraille entre le monde et elle mais avait été forcée d'annoncer la nouvelle à Lucie. Pour Samsa, Maximilien était la figure qui empêchait la Crocus de dérailler, enfermée qu'elle était dans cette vie avec Aimbaud ; sans Lui, la vie et l'horizon de Lucie étaient désormais gris et même Samsa n'y voyait pas de lumière pour elle. Et sans Maximilien, celui de la Baronne s'assombrissait également, prenant des airs d'orage à venir. Rien, plus jamais, ne chasserait ces nuages obscurs car Maximilien et Eldearde étaient morts et personne, jamais, ne pourrait les remplacer ni même les égaler.
Annoncer la mort de Maximilien à Lucie avait été un déchirement à Samsa. Impuissante témoin à la voir chuter dans le gouffre de la folie, elle avait tout tenté pour la maintenir hors de l'eau, ne connaissant que trop bien les rouages de la noyade. Elle n'avait pas réussi à lui épargner ceci mais tout du moins était-elle parvenue à la tirer du déni. Il était plus dangereux que la folie en lui-même. La folie se soigne avec le temps, mais le déni, lui, entraine la folie à ne jamais cesser. Maigre victoire. Samsa veillait sa suzeraine autant que possible, dormant parfois non loin d'elle, passant des heures à se tenir là, en présence de soutien, sans jamais parler. Sa propre douleur, Samsa l'évinçait pour s'occuper de Lucie ; elle était Cerbère, c'est en se mettant au service des autres que sa vie retrouvait un sens et qu'elle-même donnait un sens à son existence. Pour autant, Samsa restait dramatiquement humaine, déjà cassée par la vie, régulièrement tabassée par des douleurs passées qui se réveillaient et, aujourd'hui, les limites de son apprentissage de ces dernières années étaient atteintes.

    "Prenez-la !"


Quand Samsa arriva là où les bûcherons matinaux s'affairaient, elle attira immédiatement l'attention. Les quelques hommes et femmes présents s'arrêtèrent pour la regarder. Elle ne disait pas un mot, n'accordait pas un regard, déjà en train de partir, de sombrer. Il se dégageait d'elle non pas l'aura noble et fière, habituelle, mais une énergie puissamment négative. Les animaux sentent ces choses-là et les Hommes, tout êtres humains soient-ils, ne sont rien de plus que des animaux quand la vie les remet à terre dans leurs instincts primitifs. Les conversations cessèrent et quelques pas de recul furent effectués. La Baronne s'arrêta devant une hache plantée dans une souche et détacha l'épée de sa taille. Déposée au sol, sa cotte de mailles la rejoignit avant que Samsa ne remette sa chemise. Elle semblait plus imposante, sans ce poids sur les épaules qui s'ouvraient désormais librement. Les mains gantelées saisirent l'arme de coupe et Samsa donna son premier coup de hache dans un tronc encore debout. Ce n'était pas de la force qu'elle employait, c'était de la rage et quelques bûcherons choisirent plutôt de partir que de risquer de devenir ces futurs troncs.
A chaque coup que Samsa donnait, elle perdait un peu plus pied de la réalité, de son esprit même. A chaque tronc qui tombait, "Cerbère" s'emparait un peu plus de son être, animant progressivement ses traits d'une expression rageuse qui n'était en fait rien de plus que les efforts déployés. A l'intérieur, Samsa explosait, hurlait, elle ravageait son être de sa colère, le chagrin rongeait son cœur, mais à l'extérieur, "Cerbère" faisait tampon. Imperturbable, la Baronne assassine consciencieusement chaque arbre avec force et régularité. Progressivement, elle ne voit plus, n'entend plus, n'existe même plus.
Ses coups inconsidérés font parfois voler des éclats de bois dont certains l'atteignent au visage, la coupent, manquent de lui crever un œil, mais Samsa n'est plus là et "Cerbère" n'a qu'un but : libérer sous forme physique l'énergie dangereuse qui pulse dans le cœur bordelais. Elle pourrait être entourée d'archers prêts à lui tirer dessus qu'elle ne réagirait pas plus.

    "Elle est à nous."


Des hêtres, des bouleaux, des chênes, toutes les essences passent au fil de la hache de Samsa. Selon les bois, l'abattage de l'arbre ne lui prend de quelques minutes à une demi-heure. Rapidement, ces délais s'espacent au vu de l'effort physique nécessaire mais pas une fois la Baronne ne s'arrête. Sitôt les craquements de la chute imminentes se font entendre qu'elle passe à un autre. Le découpage en stères, ça ne l'intéresse pas ; elle veut abattre. Son cœur pompe franchement, ses poumons ne parviennent pas à suivre la cadence imposée et deviennent bruyants, les frottements du manche de la hache finissent par abîmer le cuir des gantelets et une pluie fine commence à tomber, à se mêler au sang de son visage mais Samsa ne réagit toujours pas. Les quelques courageux bûcherons qui sont restés hésitent à faire prévenir la maréchaussée mais ils n'en feront finalement rien, bien heureux de n'avoir qu'à découper les troncs en stères qu'ils pourront revendre facilement, sans efforts. Toujours cependant, ils gardent un œil sur cette femme inhumaine de parvenir ainsi à bûcheronner sans interruption.

    "A moi."


La matinée passe, midi, le soleil continue sa course jusqu'à approcher de la ligne d'arrivée. Comme au matin, le ciel se teinte très légèrement, dissimulé par un écran de nuages sombres qui pleurent sur "Cerbère", le suppliant presque de se ressaisir. Il n'en sera rien, et pourquoi cela en serait-il autrement ? Aux coups durs, certains buvaient, partaient en voyage, s'enfermaient dans un monastère, enchainaient les relations ou les blagues, d'autres se noyaient dans le travail, fuyaient dans la nourriture ou dans une facette odieuse d'eux-même. Samsa, elle, ne fuyait pas la réalité. Elle restait pour ceux qu'elle aimait, pour ceux qui avaient besoin d'elle, elle était capable de les porter quitte à s'effondrer. "Cerbère" était cet instinct de survie immuable qui l'empêchait d'y rester, il était le seul qui pouvait détourner Samsa de sa propre nature altruiste et courageuse, le seul à lui rappeler qu'elle souffrait aussi. De tout ce qui existait sur Terre, "Cerbère" était le seul capable de protéger la Baronne d'elle-même.
Les coups de hache sont maintenant plus espacés mais restent forts et réguliers. Le corps royal, lui, flanche sérieusement : de tous les muscles bandés et désormais durs, certains sont pris de crampes, les vaisseaux sanguins des parois nasales de Samsa ont lâché sous la force de la respiration récurrente et un filet de sang coule maintenant de chaque narine, le cœur bat à tout rompre et commence à donner des signes de malaise au cerveau qui ne l'écoute plus et le cuir des gantelets de combat n'est pas loin de laisser sa place à la peau elle-même sous les frottements du manche. Ce genre d'épisode, Samsa le connaissait. Elle avait déjà perdu connaissance durant plusieurs jours après s'être épuisée à couper des arbres pour construire la maison qui aurait dû être la leur, avec Zyg. Quelle importance de recommencer ? Elle n'avait de toute façon pas le choix et puis, ça irait mieux après. S'il y avait un après car Samsa n'avait dû sa survie qu'à sa sœur de cœur d'alors, la diaconesse de Bordeaux Viviemoi. Puisque "Cerbère" était là pour la laisser évacuer toutes ses émotions, il le ferait, aussi fatale l'issue soit-elle ; "Cerbère" détournait Samsa de la douleur des autres pour s'occuper de la sienne mais jamais il ne pourrait la sauver de sa propre douleur si celle-ci devait être trop grande. Par bonheur, aucun bûcheron n'avait osé l'approcher. Quelques-uns avaient bien tenté d'attirer son attention par quelques phrases inquiètes jetées mais "Cerbère" n'y avait pas répondu. "Cerbère" ne parlait jamais. Peut-être même "Cerbère" ne les avait-il pas entendu. En revanche, "Cerbère" sentirait la moindre feuille lui tombant dessus et, aussi bienveillant soit-il pour Samsa uniquement, il restait une facette instable et dangereusement imprévisible. "Cerbère", dont le trait principal -le seul ?- était l'ultra-violence, n'était ni gentil envers tout ce qui était extérieur à Samsa, ni raisonné quant aux conséquences de ses impulsions. Samsa avait une part de lui qui s'exprimait, parfois, notamment dans les batailles. Était-ce elle qui héritait de certains de traits de "Cerbère" ou "Cerbère" qui avait des traits de Samsa ? La question n'était pas idiote, tant, parfois, si on connaissait bien les deux, ils pouvaient s'influencer.

    "Ils sont partis. Ils ne reviendront pas. Et elle non plus."

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Euridyce
    Dans le silence pieu des premières heures du jour, l’hétéroclite petite troupe avance. Au devant, les silhouettes étendues des compères grignotent drôlement la ligne d’horizon, la distendent. Leurs ombres s’étirent à mesure que Lucie ralentit, freine progressivement son allure.
    Quelques heures plus tôt, elle avait pourtant paru enthousiaste à l’idée de partager un bout de chemin du drôle de convoi, tout comme elle n’avait cessé de sourire avec ferveur aux échanges légers et aux chaudes voix fusant. Elle s’y était sentie comme fondue dans le chaleureux décor, bercée à la mélodie disgracieuse de leurs bavardages. Shootée à ce sentiment si précieux qu’aucun drame ne se jouait sous ses yeux, qu’elle pouvait les clore même un peu plus d’une demi seconde. Il flottait alors dans l’air des effluves de vin, amalgame léger des souffles de chacun. Il régnait l’hilarité sur les trombines lorsqu’une verte déclaration, toujours plus périmée et caduque, captivait la petite assemblée. Jamais, les redondants « On a chourré toutes les étoiles du ciel pour les disperser dans vos yeux » n’avaient été aussi attendus et salvateurs. Ses esgourdes s’étaient faites attentives aux taquineries et elle avait ri, d’un souffle qui soudain libère la poitrine, jusqu’ici sobrement enfermée à une tristesse qui n’était pas sienne. Elle avait ri.
    Elle avait ri jusqu’aux yeux.
    Le malaise eut tôt fait de reprendre ses droits et la mollesse de ses pas suit le fil épuisé de ses pensées qui, à l’orée du bois mille fois exploré, s’égarent aux miscellanées temporairement oubliées. La compagnie imméritée est ainsi distancée, sans rien briser de l’harmonieux mutisme des épuisés, auxquels souffle manque. Et solitude retrouvée, c’est une toute autre direction que choisit Canéda ; ou plutôt, qu’elle ne voit pas. Comme de coutume, l’étourdie purge le flot coupable de ses songes dans une marche incertaine et indécise. Des pas pourtant succincts, vifs, fendant les chemins terreux pour s’enfoncer à contre-courant des bûcherons dans le dédale boisé. Les travailleurs sont périphériques, distants, invisibles. Elle n’y prête pas même un regard. Elle n’en veut voir aucun. Elle peuple sa solitude, non plus de voix esclaffées et de rasades alcoolisées, mais du pâle entêtant de ces yeux, ceux qui derrière les larges portes, l’attendent. Ces pâles yeux bleus auxquels elle offre tout. Ceux-là qu’elle voudrait tant voir rire.

    VLAN.*

    Arrachée à ses troublantes résurgences, l’aveuglement se rompt de lui-même lorsque, sous son nez, ça n’est plus le faciès quelconque d’un inconnu qui sue son acharnement et ses peines à sa hache, mais un visage qui, sous sa crasse, reste familier. Samsa est là, Samsa saigne, Cerbère tient les rênes et l’information peine à monter au cerveau, qui tout juste interrompt la course aux distractions de la baronne. Canéda stationne face au sombre tableau, piégée à la furtive aphasie qui fait naturellement suite à la surprise. Ces secondes-là suffisent à la bohème d’évaluer l’état du soldat qui, même submergé d’une émotion qu’elle devine violente, abat ses coups avec minutie. Les traits de l’amie semblent se noyer dans des expressions qu’elle ne lui connait pas, qu’elle échoue à déchiffrer. Et cogne, cogne, le viscère contre la maigre poitrine, devant les ravages de ce corps adoré, qu’à chaque instant, elle voudrait couver. Moucheron veut panser le molosse.

    La torpeur s’efface lorsqu’à nouveau, Lucie amorce un pas prudent en direction de Samsa. Et c’est de sa voix, plus que de sa silhouette fluette, qu’elle espère captiver l’attention.

    « Samsa ? Samsa, c’est bien vous ? »

    Le ton est doux. Infiniment doux. Ne brille qu’un pincement aigu sur les voyelles, signe de son inquiétude contenue. Lucie sait faire. Ou plutôt, elle croit savoir. Mais Lucie ne sait rien du Cerbère qui, onques, ne s’était dévoilé à sa vue.



* Un bruit de hache, on dira.
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Samsa
    "Je veux cacher la vérité,
    Je veux te protéger,
    Mais avec ce monstre à l'intérieur,
    Il n'y a nulle part où se cacher."*



    "Va. Fais. Je veille sur toi."

Dans le carcan de l'esprit royal, c'est un déchainement de violence qui a lieu. La Baronne hurle sans qu'aucun bruit ne se fasse entendre, détruit ce qui n'existe pas à l'infini, déchaine les éléments qui ravagent son être entier. Elle est une tornade que rien n'arrête, piégée dans ce qui semble être une boucle éternelle. Chaque coup de hache que donne "Cerbère" n'est que l'expression interne d'une Samsa en souffrance qui exprime, à sa triste façon, toute la haine, la colère, le chagrin et la douleur qu'elle ne dit jamais, qu'elle prend des autres et ne ressort pas. Comme une cocotte-minute qui aurait besoin d'une soupape pour évacuer la pression, Samsa avait besoin de "Cerbère" qui était ainsi son cran de sécurité. Il avait beau être extrême, il faisait parti de son équilibre quand, sur la corde de la vie, la Combattante vacillait dangereusement.
Dans le chaos de son esprit, aucune phrase extérieure ne surpasse le bruit de ses cris pourtant sourds. Il en est une qui parvient tout de même à se frayer un chemin et à raisonner dans le monde dévasté de Samsa, comme un écho dans une église qui tombe en ruine. Les éléments cessent de se déchainer, un instant seulement. Un instant seulement, "Cerbère" suspend le mouvement de sa hache. Il a entendu. Il traduit le fait que Samsa ait entendu aussi. Mais sous le silence qui suit et avec cet arbre presque abattu devant lui, "Cerbère" reprend la main pour laisser les vagues de Samsa continuer de s'écraser sur les os de son crâne. L'arbre tombe dans une série de craquements typiques et la Baronne passe au suivant, mécanique. Ses coups sont bien plus faibles, elle semble peiner à porter la hache et à la soulever mais elle continue pourtant. "Cerbère" continue, parce qu'aucune limite ne le définit, tant mentale que physique. Son but, c'est d'occuper la vie réelle et d'exprimer de l'énergie mesurée pendant que Samsa se libère dans sa tête ; ce n'est pas son problème si son corps ne peut pas le supporter. La Capitaine avait de toute façon la fâcheuse tendance à croire que le physique n'était qu'une sorte de marbre que l'on pouvait sculpter à volonté, qu'il suffisait de détermination pour le maintenir debout. Certes, il était plus faible que l'esprit, mais il pouvait tout endurer. Alors, il endurerait ce que "Cerbère" lui imposait par la force des choses."Cerbère" ne demandait l'avis de personne. Lui avait-on demandé son avis pour la mort d'Eldie ? Et pour celle de Maximilien ? Cause, conséquence. La base de tout. Elle n'avait de compte à rendre à personne : puisqu'ils avaient pris la liberté de se détruire, elle pouvait disposer des mêmes droits, à la notable différence qu'il s'agissait ici de se relever et non d'y rester.

Lucie ne devait pas rester ici. Elle ne devait pas assister à cette déchéance qui ne regardait personne d'autre qu'elle-même. Elle ne devrait pas s'approcher comme elle le fait ; c'est dangereux. Peut-être le sait-elle, mais elle ignore certainement à quel point. Elle ne connait pas "Cerbère". Personne ne le connait. Indifférent à elle cependant, il continue de faire se mouvoir les muscles épuisés contre un tronc qui n'est plus qu'à peine entamé, là où ses prédécesseurs tombaient comme des mouches. Les bûcherons ont fini par partir, chargés de bois, bien heureux de ne pas avoir à rester une minute de plus avec cette femme. Elles sont seules désormais, dans cette clairière désolée qui n'était pas là ce matin, au milieu de la fine pluie qui tombe, colle peu à peu les mèches des cheveux entre elles et colore continuellement de rigoles rouges le visage égratigné par endroit de Samsa.

    "Tu n'aurais pas dû."


C'est une main qui s'est approchée trop près d'elle, qui l'a touché, qui a voulu, sans doute, arrêter son geste devenu inconsidéré, peut-être juste signaler un peu plus sa présence puisque rien, sinon un silence et une brève interruption, n'a répondu à son inquiétude. Elle n'aurait pas dû. Elle ne connait pas "Cerbère".**
Avec une vivacité étonnante, Samsa lâche sa hache et se saisit de Lucie, petit Moustique, pour la plaquer contre un arbre proche encore debout. La tenant au col, elle la porte presque sans mal à quelques centimètres du sol, à sa hauteur. Ses articulations blanchissent brusquement sous la force avec laquelle elles serrent le tissu, ses yeux déjà d'un brun sombre se révèlent noirs, la pupille dilatée en prenant une grande partie, et ses lèvres sont retroussées dans une attitude agressive. Lucie l'a interrompu. Elle a sorti "Cerbère" de son occupation mécanique censée protéger Samsa, elle a -malgré elle- libéré cette violence contenue dans ses gestes dont seuls les arbres étaient victimes. Le visage près du sien, la respiration anormalement forte de Samsa projette quelques gouttelettes de carmin sur le menton de Canéda et ses yeux la fixent sans vraiment la voir.

"Lorsque que tu sens ma chaleur,
Regarde dans moi dans les yeux :
C'est là que se cachent mes démons,
C'est là que se cachent mes démons.
Ne t'approche pas trop,
C'est sombre à l'intérieur ;
C'est là que se cachent mes démons,
C'est là que se cachent mes démons."*


Ils sont là, ses démons. Son passé, sa vie brisée, foutue, tout ce qu'elle était et n'est plus, tout ce qu'elle est devenue. Plus rien n'existe pour Samsa que son avenir, censé rattraper le passé. Dans le noir de ces yeux, il y a la colère, le chagrin, la souffrance, une incompréhension immense aussi, un sentiment d'injustice perpétuel qui suinte une amertume corrosive. Ces petits yeux sombres, abrités sous des arcades sourcilières marquées, renferment l'Univers entier ; on peut tout y trouver, à condition de ne pas avoir peur d'y plonger. Au détour d'une lueur, un démon peut aussi bien surgir qu'un fragment d'innocence encore intact chez celle qui, bien que combattante, reste parfois une femme-enfant. Au fond de ces pupilles se trouvent les voix, "Cerbère", Samsa aussi, toutes ces facettes pas forcément réellement existantes mais qui participent à rendre Samsa parfois borderline, autant sanguine que parfaitement calme. C'est quand la Baronne est "Cerbère" qu'elle est, paradoxalement, la plus vulnérable. C'est quand elle est "Cerbère" que son regard parle le plus, révélant plus encore que son expressivité naturelle. Chez Samsa, tout passait par le regard ; il ne mentait jamais. Enflammé d'une petite flammèche pouvant devenir brasier, auréolé d'étincelles métalliques pouvant devenir des lames autant que disparaître, son éclat changeait comme la couleur d'autres varient avec la météo. Toujours, cependant, ses yeux gardaient cette teinte de brun sombre qui, jamais, ne s'éclaircissait ni ne s’obscurcissait vraiment ; tout ne passait que par une énergie, des émotions, des illusions. Samsa restait la même.
"Cerbère", lui, pourrait briser Lucie en autant de morceaux qu'il le veut. Il pourrait la tuer. Il pourrait reprendre le pouvoir sur le long-terme, faire replonger Samsa dans son passée de tueuse à gage, de bourreau. A l'époque de la mort de la Zyg, c'est ainsi qu'elle avait élimé sa colère qui n'avait rien été d'autre qu'une folie meurtrière. Samsa s'était relevée grâce à des cadavres. La seule chose qu'elle avait réussi à maintenir, ç'avait été de ne tuer que des pillards, des religieux véreux -encore que pas toujours-, des gens qu'elle qualifierait encore de sans honneur ni valeurs. Ce sont eux, aussi, qui ont forgé la femme digne et fière qu'elle est aujourd'hui. Sans eux, sans tous ces morts, sans cette folie, Samsa ne serait pas celle qu'elle est maintenant. Le paradoxe est dérangeant. "Cerbère" pourrait recommencer, il n'aurait qu'à pousser un peu Samsa dans le précipice qu'elle longe et qu'elle creuse depuis ce matin. Il pourrait la détruire. Elle, et Lucie aussi. Il pourrait tous les détruire, d'autant plus qu'il est sourd à toute supplique, toute parole de Canéda. Sourd, muet, aveugle, immobile, il la tient là à sa merci.

    "Et maintenant ?"


Ce n'est pas "Cerbère" qui a eu la réflexion dans l'esprit royal : c'est Samsa. Cette question, prononcée quelque temps plus tôt par Shawie alors que "Cerbère" allait reprendre le contrôle, l'avait coupé dans son élan destructeur. Aujourd'hui, c'est grâce à elle que Samsa reprend les rênes de son esprit. Les crocs toujours découverts, la peau toujours abîmée à certains endroits, les articulations toujours blanches et les yeux toujours noirs, des changements se dénotent : ses mains tremblent un peu, le regard redevient actif et revient à ce brun sombre habituel, presque rassurant en l'instant, la respiration s'apaise. "Cerbère" s'en va. Il a rempli son rôle, il n'a plus à résister à Samsa puisqu' il n'a aucune ambition. Les lèvres royales viennent recouvrir les dents à découvert et quelque chose, au fond de la pupille, reprend vie. Lentement, la Baronne repose Canéda au sol, ne la lâchant que lorsqu'elle est certaine qu'elle tient sur ses jambes ; le côté Cerbère n'est jamais loin. Immédiatement après, Samsa recule de quelques pas, levant un peu ses mains au cuir abîmé en signe de paix autant que d'excuses. Elle réalise ce qu'il a fait et qu'elle n'a pas pu contrôler, qu'il lui faudra désormais vivre avec Lucie qui connaîtra cette immense faiblesse d'elle et qui, quelque part, ne la regardera peut-être plus jamais pareil, quand bien même "Cerbère" ne l'a pas frappé, secoué et maintenu tout au plus. Les jambes de Samsa ne la tiennent plus et elle recule jusqu'à s'assoir dos à une souche. Heureusement qu'elle n'a pas poussé son vice d'épuisement physique jusqu'à garder sa cotte. La Baronne retire ses gantelets et se passe les mains sur le visage et les yeux, essuyant son nez et son front en même temps qu'elle découvre qu'ils ont saigné, un peu ; ceci est sans importance. Comme après chaque passage de "Cerbère", elle se sent mieux. Plus légère, plus forte, plus saine et sereine, bien qu'épuisée, mais cette fois c'est différent. C'est différent, parce qu'il a agit, que Lucie l'a vu et enduré. Samsa n'ose d'ailleurs pas la regarder. Elle la croit même déjà partie, peut-être en train de raconter que la Cerbère n'est pas nette. C'est presque si Samsa ne sent pas l'odeur de son propre bûcher.

Sur cette fin d'une violence libérée dans un esprit torturé, Samsa a repris le contrôle. Mais peut-être que, déjà, "Cerbère" a détruit sa vie qu'il s'efforçait pourtant de maintenir intact en jouant le rôle d'un tampon malheureusement mal adapté.



* = paroles traduites de Imagine Dragons - Demons
** = avec accord de JD Euridyce ♥

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Euridyce
    Et de son côté, Lucie n'a pas moufté.
    Lorsque la douceur de sa main tendue est balayée du revers d'une autre, elle frémit à peine. Quand c'est à son col que la serre se referme, elle ne tremble plus. Et si son corps se voit soulever comme une vulgaire poupée et si ses pieds ne touchent plus sol, elle ne glapit pas davantage. Elle modère son souffle, réduit au silence l'angoisse qui noue d'ores et déjà ses entrailles. A son minois, elle tricotte une moue des plus calmes et l'affolement ne pointe plus qu'à la rapidité traître de ses prunelles qui furètent sur le visage de l'amie méconnaissable. L'heure n'est plus aux moues de mijorées et aux suppliques de vierge effarouchée ; voilà un mois que s'accumulent les dramatiques déboires, instants suspendus aux tréfonds de mille peines mêlées. Lucie s'est faite aux violentes douleurs de son entourage. Celle-ci, celle du Cerbère, la voici véritable. Elle transparaît enfin, nue, sous les traits féroces et désespérés. Les prunelles véhémentes de l'infortuné agresseur dissèquent celles de sa proie. Canéda n'esquisse pas un geste pour se libérer de l'étau qui laboure sa jeune gorge, elle n'ose pas. Un autre mouvement pourrait être prétexte à un réflexe malheureux de l'inconsciente guerrière qu'elle devine sacrément paumée et dont l'esprit vogue sûrement bien loin du pathétique tableau. Jeune baronne enveloppe de pudeur les tourments qu'elle croit deviner à l'humidité d'une œillade ; que silence soit, selon la drôle de politesse du désespoir.

    Lucie ne reconnaît plus les plis de cette bouche-là. Elle n'y voit plus l'adorable expression du canin protecteur. Les crocs sont sortis, et prêts à déchiqueter toute âme se risquant à une proximité impromptue. Ariane a lâché d'elle-même son précieux fil et se livre au Minotaure ; bouffe-moi, si c'est là ton choix. Je ne mérite pas ta pitié. A l'inquisition de ses regards, Canéda livre toute sa culpabilité et si l'une extériorise toute la rage que les lames de la Faucheuse distillent aux cœurs endeuillés, l'autre supplie le Créateur et l'amie pour leur pardon. Elle se blâme sans plus craindre d'écorcher son habituelle outrecuidance d'un semblant de remords, puisque les yeux qui la malmènent sont absents. Elle voudrait désormais forcer la barrière de ce silence assourdissant, fustiger le mur que Samsa lui oppose. Mais aucun mot ne saurait venir à bout de ce mutisme plombant dans lequel l'une comme l'autre s'abrite. Pudeur s'étire trop longuement, si longuement qu'à la main qui freine son souffle, Canéda expie une malheureuse plainte, qui équivaut à toutes les supplications du monde. La gorge sèche peine à travailler.

      "Et maintenant ?"


    Et maintenant, doit-on prévenir les Parques qu'un autre fil, infiniment ténu, est à couper ? L'infime tremblement qui saisit la main assassine indique que repos est proche, et Canéda de s'accrocher à cette mince certitude pour étouffer les sursauts à sa poitrine. Lentement, la pression s'évade sous les doigts timides d'une Samsa qui, peu à peu, revient à elle. Les bottes de la baronne s'enfoncent à nouveau dans l'humus boueux. Il faut quelques secondes à Lucie pour endiguer la mollesse vacillante de ses appuis et montrer figure digne. Il lui en faudra davantage pour digérer l'immensité des dégâts qu'elle vient de déduire de cet acte. L'inextinguible peine de Samsa, cristallisée à sa poigne, s'efface au profit d'une gêne qui voile l'amie retrouvée.

    A son menton, Canéda chasse les quelques taches ensanglantées du pouce. Aux genoux de Samsa, elle ploie les siens pour abaisser son minois à hauteur de son vis-à-vis. Et la voix éclaircie d'une respiration désormais apaisée, c'est le plus doucement du monde qu'elle s'exprime pour désacraliser l'affront qui vient de lui être fait.

    « Je vous vois toujours. »

    Derrière cet amas d'angoisses, par-dessous cette montagne de déchirures, toujours. Elle rehausse soigneusement son col sur la peau striée de la marque boursoufflée des pattes du polycéphale et étreint sobrement l'assaillante devenue en quelques minutes, indolente. Plus tard, elles riraient sûrement à nouveau, l'une et l'autre, d'un calembour mauvais ou du ridicule de leurs mimiques. L'heure viendrait, point assez vite, où il faudrait crisper les zygomatiques plutôt que d'écouler le stock lacrimal. Peut-être même rieront-elle de la mort. Au reste, est-ce qu'elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ?*
    Lucie pardonne aux chagrins véritables.



* Formule de ce petit génie de Desproges, dans son réquisitoire contre Lepen.
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Samsa
    "Quand il est temps de vivre et de laisser mourir
    Et que tu ne peux pas obtenir une autre chance
    Quelque chose au fond de ce cœur est mort ;
    Tu es en ruines."*



Canéda la voit et Samsa, elle, s'aveugle en fermant les yeux sous cette phrase douce, sous l'étreinte qui lui est offerte. Les bras solides et épuisés enlacent timidement le petit corps fin qu'elle a manqué de briser, de secouer comme un chien l'aurait fait avec sa proie. Canéda l'a vu et la voit toujours, elle l'a découverte et la réciproque est vraie chez la Combattante. Qui eu cru que, derrière cette petite enveloppe, derrière la vie jamais vraiment malmenée du Petit Moustique, se cachait en réalité le courage d'affronter "Cerbère" et d'y revenir même ? Samsa rouvre les yeux et s'écarte un peu de son amie pour la regarder. Il y a sur son visage égratigné une expression de reproche, de honte, un pur aveu de faiblesse qui tente de se cacher dans le fait qu'elle a tout fait pour ne pas être vue de ceux qu'elle connait et aime.

-Lui, vous n'auriez pas dû le voir pardi.

Lentement, Samsa se relève et va retrouver la hache, tombée plus tôt. Elle se penche pour la ramasser et l'observe. Quand "Cerbère" prenait le contrôle, elle n'était qu'une spectatrice qui regardait défiler sous ses yeux le jeu de sa vie sans vraiment le voir, comme un film ennuyeux que l'on a déjà vu cent fois. "Cerbère" rendait toujours les rênes de son esprit quand le danger était passé. Jamais il n'avait été interrompu et Samsa assemblait les morceaux de son esprit morcelé en caressant le manche de l'arme puisque c'était à elle, aujourd'hui, de le faire. Autour d'elle, elle regarde le carnage écologique qu'elle a commis, hésite à esquisser un sourire amusé ou fier et choisit finalement d'y céder. La tempête est passée, à quoi sert d'en appeler une autre ? La purge n'en serait pas plus efficace. A pas tranquilles, Samsa revient vers Canéda, déposant la hache sur une souche au passage. Elle n'en aura plus besoin.

-Laissez-moi regarder pardi.
Il vous a fait mal té ?


"Cerbère" aurait pu la tuer, Samsa le sait. Il ne tolérait jamais qu'on s'approche d'elle quand il faisait son office de protecteur parce que, étant son instinct de survie, il prenait cela pour une agression au danger mortel. Avec sérieux et délicatesse, la Baronne détaille les tristes marques éphémères et passe un pouce doux dessus. Il a forcément fait mal, bien sûr.

-Vous êtes la première qui lui survivez pardi.

La phrase a le poids d'une enclume mais c'est uniquement parce qu'elle est chargée du poids de la vérité. Personne n'avait jamais survécu à "Cerbère" puisque c'est lui qui avait élevé Samsa sur les cadavres de ses cibles de tueuse à gages. Hector avait survécu à "Cerbère" simplement parce qu'il ne l'avait pas touché. Peut-être la meilleure décision de sa vie, en fait.
Contre sa souche, Samsa se rassoit. Ses doigts encore gantelés viennent gratter un peu la commissure de ses lèvres, à la recherche de mots qui n'existent pas encore. Elle doit des explications à Canéda mais elle ne sait pas lesquelles. C'est à tâtons qu'elle se lance mais c'est par choix qu'elle ne révèle pas son nom, pour préserver ce qui entoure son surnom et non pas remplacer sa réputation par cette facette certes importante, mais rare et trop extrême.


-Il n'est pas méchant pardi. C'est lui qui veille sur moi té. C'est lui qui m'a sauvé la vie, à la mort de Zyg té. Il a... tué beaucoup de gens pardi. Des gens aussi peu recommandables que fréquentables té. C'est lui qui a forgé la Samsa d'aujourd'hui té, ses valeurs et ses principes té. C'est lui qui a donné le début d'un sens à ma vie après que j'ai perdu Zyg pardi. Vous savez, comme s'il avait écarté les branches d'un buisson pour me révéler le chemin que j'avais perdu pardi, comme s'il m'avait dit "hé pardi, c'est par là té".

Il... prend le contrôle quand... quand je ne suis plus en état de l'avoir té. Quand tout se casse la gueule à l'intérieur de moi pardi, quand je ne suffis plus en unique protectrice pour les autres pardi, quand je suis de nouveau perdue pardi. C'est grâce à lui que je suis forte tous les jours pardi, c'est grâce à lui que je peux me relever quand je tombe, que je ne me casse rien dans mes chutes et que je reste constante dans le sens de ma vie té. Ses réveils ne sont pas... habituels, ni même courants pardi. Je ne l'avais pas vu depuis des années pardi.

Je suis désolée té.


C'est "Cerbère" qui avait agi mais "Cerbère" n'existait pas sans Samsa. C'était donc à elle de s'excuser. De toute façon, "Cerbère" était réputé muet, bien que Samsa soit intimement persuadée qu'à le pousser, il pourrait peut-être lâcher quelques mots sur une voix qu'elle ne voulait pas connaître, ou se mettre à gronder et à aboyer comme un chien, à s'y méprendre. Dans l'optique, bien sûr, où il n'aurait pas déjà ouvert la gorge de l'imprudent avec ses dents. L'excuse avait aussi le double sens d'avoir laissé voir cette faiblesse, démontrant que Samsa n'était pas aussi forte qu'elle voulait l'être, pas aussi forte qu'on pouvait la voir même si cet épisode ne pouvait décemment pas la classer parmi les gens faibles. Oui, parfois, elle pouvait tomber.
Assise, Samsa détourne la tête en essuyant le sang séché ayant coulé de ses narines. Elle a tout dit mais ça ne changera rien. Elle est comme ces chiens de combat que les gens appréhendent parce qu'ils ont déjà mordu, parce qu'ils sont homologués dangereux, comme si, de façon immuable et évidente, ils le seraient toujours. On ne pardonnait pas à ces chiens-là. On les endormait, à tout jamais, et en leur caressant la tête de façon désolée, on leur disait qu'ils avaient fait l'erreur de leur vie sans vraiment se préoccuper de celle-ci. Qu'il ait peur, mal, par défense ou par mauvaise humeur, un chien ne devait jamais mordre, il devait avoir cette force de toujours prendre sur lui, il devait accepter d'être réveillé pour un câlin, d'être tripoté par de petites mains, d'être puni de ne pas avoir compris. Là où les Hommes pardonnaient aux leurs, là où ils avaient des circonstances atténuantes, une présomption d'innocence et la relaxe, là où, plus tard, ils aboliraient la peine de mort, ils ne pardonnaient jamais aux chiens, ils ne leur faisaient pas de procès et les abattaient. A l'abandon, les chiens devaient surmonter leur traumatisme pour leur nouveau maître. Les chiens faibles ne sont jamais gardés ou sauvés. Finalement, c'est peut-être parce qu'ils sont plus forts que les Hommes qu'ils sont leurs meilleurs amis. Tant qu'ils sont forts, tous les jours.

Aujourd'hui, Samsa avait été faible. Dans un sens, elle avait mordu. Dans un sens, elle croyait bien qu'on lui pardonnerait pas. Son regard devenu dur n'est pas revenu sur Canéda, restant fixé sur un point latéral, plus loin. Sa disgrâce était en train de se préparer dans son esprit et c'est avec courage qu'elle l'affronterait, comme elle avait déjà affronté celle qui avait suivi son opposition publique au mariage de Lucie, car si la faiblesse avait ses entrées dissimulées dans l'esprit royal, le courage, lui, ne se cachait jamais. Il ne le devait jamais. Alors, la Capitaine arrache ses yeux à leur contemplation aveugle et les repose sur son amie à qui elle offrait le rôle de juge.



* = paroles traduites de Green Day - 21 Guns

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