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Minah

[Un jour, quelque part]

AAAAAAAAaaaarrrrgh !

Ursula le faucon avait encore frappé.
Minah essayait de décrocher le rapace de son nez, le tirant en arrière de la main et le frappant à coup de prothèse, mais la furie ailée tenait bon. Peut-être se retrouver affublé d'un nom féminin, alors qu'il s'agissait d'un mâle, exacerbait ses tendances meurtrières. Peut-être ne le savait-il pas plus que Minah, parce que les oiseaux ne s'y entendaient qu'en noms d'oiseaux. Peut-être que cette petite boule de chair bien grasse au milieu du visage lui paraissait-elle bien plus appétissante que les machins crevés depuis trop longtemps qui servaient d'appât. Qui sait ?

Ourf.

Une pluie d'hémoglobine plus tard, Ursula était à nouveau encapuchonné, et le groin minahesque plus ou moins hors de danger. Les animaux étaient décidément plus faciles à gérer quand ils étaient morts. Ils se contentaient de dégouliner.
La manchote poussa un long soupir et tapota le chef de la bête aveuglée, qui poussa un cri strident.

Ç'va pas l'faire, ma vieille. J't'ai donné un mission, t'vois. Ça va êt' d'importance capitale pour les Montjoye, chuis sûre. Si t'arrives à choper les pigeons messagers d'nos ennemis, on s'ra les maîtres du monde ! On saura tout c'que eux ils ont mijoté et ils l'sauront pas pisqu'on aura piqué leur courrier !

Re-soupir.

Allez, un p'tit effort. T'sais à quoi ça ressemble un pigeon, hein ? T'veux que j't'imite le pigeon ? Ça fait rrrrrrouuuuu-rrrrrrrouuuuu et tout.

La bouche en cul de poule, Minah se tut soudain.

T'as pas entendu que'que chose ? On aurait dit une branche qui craque.

Ursula régurgita un truc non-identifié.

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Elyze

Accroupie entre deux buissons, Elyze vidait sa vessie pleine de bière. Elle avait la tête de quelqu’un qui jouissait, un sourire béat sur le visage. Il faut dire qu’elle se retenait depuis un moment. Comme d’habitude, elle avait demandé au groupe avec lequel elle voyageait de s’arrêter et de l’attendre alors qu’elle se précipitait vers la forêt en courant, tout en serrant les jambes pour ne pas se faire dessus.
Et alors qu’elle avait bientôt fini, un cri retentit non loin d’elle. Surprise, elle sursauta et tomba en arrière. Elle sentit quelque chose de chaud couler le long de ses jambes et entrer dans ses bottes.

Oh putain !

Légèrement vener, la blonde se releva tant bien que mal, releva les manches de sa chemise, prête à casser la gueule de celle qui avait gueulé comme un putois.
Sauf qu’en s’approchant, elle l’entendit parler. Pensant qu’il y avait une deuxième personne, la blondinette baissa ses manches et se dégonfla.
Courage, mais pas téméraire, hein ?

Elyze plissa les yeux, à la recherche d’une deuxième silhouette qu’elle ne voyait pas. Elle s’approcha d’un peu plus près et marcha sur une branche.

Et merde…

La jeune femme s’immobilisa, espérant qu’on ne viendrait pas dans sa direction. C’est qu’elle avait peur de se faire déflorer ou pire, qu’on lui vole ses écus – Chacun ses priorités, ok ?

Minah

Le silence qui lui répondit (à part les régurgitations ursuléennes) ne parut pas de très bon augure à Minah qui se redressa, alerte, le faucon encapuchonné toujours perché sur sa prothèse de bois, et le nez qui pissait le sang. Elle n'était pas d'un naturel méfiant mais ses années à crapahuter à l'armée lui avaient appris à passer de la détente (ou de l'imitation de pigeon, pour le cas présent) au qui-vive en un instant.

Elle attendit un moment, guettant le moindre son, avant de mettre la main en porte-voix.

Hého ! Y'a quelqu'un ?

Seul un murmure lointain, indistinct, lui répondit.

Et merde…

N'a-qu'une-patte carra les épaules et fit quelques pas en direction de la voix, prête à en découdre.
Qui que ce soit, ça préférait rester planqué. Un brigand ?

J'vous préviens, beugla-t-elle. On est nombreux ici et...

Tellement nombreux qu'elle en était réduite à causer à un piaf démoniaque.

Et... et j'ai un faux con et j'hésit'rai pas à m'en Ffervir !

Elle cracha le sang qui lui coulait dans la bouche.
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Elyze

Ouais, moi aussi j’suis nombreuse !

Elyze plissa les yeux et se rapprocha aussi doucement que les brindilles jonchant le sol le lui permettait.
Les jambes tremblantes, elle essayait de voir si celle qui lui avait répondu était seule ou si, comme elle le disait, ils étaient plusieurs. Allez savoir pourquoi la blonde persistait. Elle aurait juste pu se barrer et rejoindre son groupe qui l’attendait sur la route, avant qu’ils ne perdent patience et partent sans elle. Mais au lieu d’agir intelligemment, elle continua à avancer. Doucement, mais sûrement. Elle s’arrêta un instant en l’entendant dire qu’elle avait un faux con. Elle fronça les sourcils, sans trop comprendre comment on pouvait être faussement con et en quoi ça devait l’effrayer.

Et moi, j’en ai un vrai. Même qu’il s’appelle Nyc et que… Qu’il va vous botter le cul !

Ouais, non, y avait des chances que Nyc ne lève pas le petit doigt. Au pire, il la chopperait par la manche et la traînerait jusqu’à la charrette. Ou pas, d’ailleurs.
Elyze secoua la tête, comme pour faire s’envoler cette soudaine profonde réflexion sur les faux cons. Elle se remit à avancer. La silhouette grossissait. Son champ de vision s’élargit. Elle semblait seule. Complètement seule. La blondinette se mit derrière un arbre et n’en sortit que la tête.

Qu’est-ce vous foutez là, toute seule, la nuit ?
Vous brigandez ou une connerie co’ça ?

Minah

Minah se tendit, agitant devant elle Ursula comme on pointe une arme à feu qui risque soit de péter à la goule de l'ennemi, soit de vous péter la goule à vous. D'ailleurs, le rapace protestait à grands cris aigus, et nul doute qu'il avait déjà fait son choix.

Les pas se rapprochaient, faisant crisser les brindilles.
Une goutte de sueur laissa une crevasse claire dans la cuirasse de crasse minahesque.

Une tête jaillit de derrière un arbre.

Blonde. Seule. À côté de laquelle ne semblait vouloir surgir aucune tête de vrai con.

N'a-qu'une-patte poussa un long soupir et baissa son... arme.

Ça t'regarde, c'que j'fiche ici ? T'es ben fouineuse, toi ! J'pourrais t'retourner la question, d'abord. Moi j'me planque pas derrière un arbre. C'les brigands qui s'cachent derrière les arbres.

Et qui imitent le cri de la galinette cendrée, paraît-il.
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Elyze

Le cri aigu du volatile qu’elle tenait dans ses mains l’effraya quelque peu, mais elle ne se dégonfla pas.
Lorsque le calme revint dans la forêt, Elyze poussa à son tour un soupir de soulagement. Il n’y avait pas de quoi avoir peur d’une manchote qui avait un drôle de chapeau et un oiseau pour animal de compagnie.

Ouais, bah, v’faites peur ‘vec vot’ oiseau qui hurle. J’chassais… le… dahu…

Hinhin ! Elyze en avait entendu parler un jour. Apparemment, c’était une bête qui se baladait sur les collines, toujours sur le même côté et avait des pattes plus courtes. Ça le faisait plus que : « je suis allée pisser. »

Il pue ton bonnet, c’quoi ?

Ouais, dans le noir, la jeune femme avait du mal à distinguer l’oiseau mort qui trônait lamentablement sur son crâne.
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Minah

Minah fronça le groin, reniflant un peu du sang qui commençait à y coaguler. D'un ton plus vexé qu'elle l'aurait voulu, elle expliqua :

Nan mais Ursula, elle crie pas. J'y apprends à voler l'courrier des gens, alors elle m'dit qu'elle comprend. Voilà. Elle s'essprime, pis elle cause à Philémon, mon chapeau qui pue pas, d'abord. T'en as pas marre d'insulter les gens quand tu les rencontres planquée derrière un arbre ? Ç'toi qu'a les oreilles mal faites pis qu'a l'nez trop près d'la bouche !

Avec un regard de défi, elle tapota le capuchon du rapace (celui des deux qui était encore vivant) qui, de fait, hurlait comme un taré. Un jour, elle serait une fameuse faux-connière. Un jour. Pour l'heure, elle s'estimait heureuse de ne pas être borgne en plus de manchote.

L'dahu ? J'ai d'jà entendu parler d'ce bestiau. Y'a une sale fille d'ragondin qu'a essayé d'm'en vend', une fois, mais en fait c'tait juste une chèvre crevée. (Une pause de réflexion). Le dahu, pas la fille de ragondin. Quoique. Alors à ta place, j'me f'rais pas chier à en chercher, chu presque sûre que ça existe autant que... un... 'Fin, qu'ça existe pas, quoi.
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Elyze

Blondie finit par sortir de derrière son arbre pour se planter devant Minah. L’odeur qui se dégageait de son « chapeau » lui donnait l’impression que ses cloisons nasales allaient se dissoudre. Une remontée gastrique lui brûla l’œsophage et la blonde dû mettre sa main devant son nez pour atténuer le parfum cadavérique de l’éclopée. Elyze dû faire un pas en arrière.

Le Dahu, oui, oui.

La jeune femme essaya de se concentrer sur les propos de Minah plutôt que sur la bête morte qui trônait sur son crâne.

Moi, j’peux t’prouver qu’il existe. Mais faut qu’on aille sur une colline et faut beaucoup de patience.
‘Azy, on y va et tu verras que j’ai raison ! Pis après, tu m’aides à l’capturer et on s’fera plein d’argent. J’suis sûre que quelqu’un en voudra dans son musée des horreurs.

Elyze ne savait pas trop si ça se vendait, mais autant essayer, non ? Peut-être que cela marcherait mieux que ses assurances vie et décès qui garantissaient un remboursement intégral en cas de décès du souscripteur. Bien sûr, ils ne reverraient jamais la couleur de leur argent. Ils ne reverraient plus jamais rien, d’ailleurs.
La blonde était devenue un peu vénale au fil des mois passés à la mine avec une pelle et une pioche à se casser les ongles et à s’esquinter les mains.
Bref. Si Elyze arrivait à capturer et à vendre un Dahu, elle n’en ferait pas profiter Minah, c’était évident, mais elle avait besoin d’un bras en plus. Trois, c’était mieux que deux. Quatre aurait été encore mieux, mais on ne pouvait pas tout avoir…

On fait… Moitié-moitié.
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Minah

N'a-qu'une-patte plissa un groin pas très convaincu par le plaidoyer de la blonde, et retint une grimace de douleur parce que cela rouvrait ses plaies encore fraîches. Elle trouvait étrange que la donzelle se recule dès qu'elle-même ouvrait la bouche. C'était pas net. Ça lui donnait un air faux j'ton.

Ç'm'a tout l'air d'êt' une arnaque de bandit pour m'zigouiller dans les bois et m'enterrer dans les collines, ça !

Nan, elle n'en démordrait pas, de cette idée de brigands. Faut dire que même pour un esprit si peu éclairé que le sien, la rencontre avait de quoi être suspecte. Pis la patience, c'était pas son fort.
Mais l'espoir de l'argent facile et d'avoir un Dahu, mort ou vivant, à portée de patte...

J'veux une preuve mat'nant. S'tu peux pas m'en donner une, j'te suis pas. Ou alors, j't'acompagne, mais tu m'tiens ça pour moi.

Et d'un geste de son bras mécanique, elle tendit Ursula le faucon psychopathe en direction de son interlocutrice.

J'crapahute pas dans les collines 'vec un faux con dans les pattes.

Comme ça, elle aurait le champ libre pour se défendre au cas où ce soit réellement un guet-apens, alors que l'ennemie serait bien encombrée. Et ça lui faisait plaisir d'imaginer la bête défoncer la tronche de quelqu'un d'autre.
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Elyze