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Pérégrination du petit Kierkegaard sur le chemin de l'honneur, avec l'aide de sa Tante de Vassalitude puisque Maman n'est plus.

[RP] Neveu de vassalitude

Nathaniel_zk
 
    - PÉRIGUEUX -
C'est un jour de printemps tel qu'on les aime. La nature, qui remplit les poumons d'un air saturé de pollen, semble respirer elle aussi de toute la largeur de sa poitrine de chlorophylle. Les premières chaleurs impriment leur empreinte à la peau pâlie par le long hiver, sans en brûler pour l'heure la délicate épaisseur. Sur fond bleu, de gros nuages cotonneux se traînent paresseusement, semant derrière eux un duvet blanchâtre.

Nathaniel descend les marches qui filent du premier étage de l'auberge à la cour de terre abîmée par mille allers et mille retours. Concentrés, les deux petons chaussés de souples galoches font halte sur chacune d'elles avec toutes les précautions que recommande la marraine attentive. Cerclé de la hauteur pierreuse des bâtiments, trouée à l'est d'un porche voûté, le patio accueille placidement l'anarchie invariablement déployée au cœur de ces relais où se côtoient nécessiteux et sang bleu dans un esprit de tolérance réservé à ce genre de lieux.

Les canassons délivrés de leur bipède paquetage paraissent sourire en dépit de leurs mors. Les chiens et leurs maîtres aboient de concert pour quelque raison mystérieuse, avant de se fourrer dans les jupons de la gueuse. Et l'enfant louvoie entre les bruits et les corps, posant sur toute chose un regard d'indifférence grave qui ne sied que trop peu à ce minois pétri de jeunesse.

Un son, cependant, parvient à harponner sa jalouse attention. C'est un frottement désagréable qui fait crisser les dents et écorche le tympan. Le coupable d'un tel boucan : un long bras de gris et de ferraille qui, pierre plate à sa main de métal, torche avec force vigueur le tranchant d'une épée interminable. Surmontant l'épaule turbulente et solide, un visage où se disputent concentration et nonchalance, le geste si souvent exécuté ayant cela de particulier qu'il n'est jamais sans danger. Bien qu'assise sous un battellement de briques grignotées par la mousse, la robuste silhouette ruisselle de soleil; cet éclat de plaques, de limaille et d'acier ne manque pas d'émerveiller fils Zolen qui, comme tous les mômes de deux ans et demi, est irrémédiablement attiré par tour ce qui brille, scintille, flamboie.

Alors, peu farouche, voilà que Nathaniel s'en vient s'asseoir sur un morceau de rocaille, face à ce déferlement de martiale énergie. Les coudes anguleux enfoncés dans ses petits genoux cagneux, le menton enfoui au creux de ses paumes, il observe avec grand intérêt cette longueur affûtée dont il ignore l'utilité, sa propriétaire qui en impose sévère et toute cette parure suante de lumière.

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Samsa
    "Maman veille, mon petit.
    Ne crains rien, sèche tes pleurs,
    Viens sur mon cœur,
    Mon tout petit.
    Tu auras bien le temps,
    Car certains sont méchants,
    De connaître les soucis
    Et les chagrins durant ta vie."
    (Dumbo - Mon tout petit)



Cette lame d'alliage a tout connu dans ce monde qui est le sien. Quelque part, dans ses rainures minuscules, il doit y rester d'infimes traces de sangs différents, de microscopiques particules d'entrailles, mais aussi des minéraux de larmes et du sel de sueur. Chaque fois que la pierre à aiguiser et le morceau de cuir passent sur l'acier, ils emportent avec eux un peu de cette histoire en même temps qu'ils l'ancrent plus avant dans la lame, comme créateurs de cicatrices invisibles. Le geste que Samsa exerce est connaisseur, concentré, emprunt d'un savoir presque religieux. Elle a appris à forger avec Rodeur, à Chinon, quand elle y vivait encore. Quand Zyg était encore là. Samsa admirait l'éclat de ces lames, leur tranchant ; leur grâce, surtout. Le son de l'air fendu était la plus belle mélodie à ses oreilles et voir Rodeur forger était plus qu'un simple artisanat, c'était un art à part entière. Il y avait l'intensité du feu, le rougeoiement des flammes, le métal fondu, la vapeur quand on le plongeait dans l'eau froide, les coups de marteau mesurés sur l'enclume. Avec Rodeur, même les petits couteaux devenaient sacrés. Il avait tout transmis à Samsa avant de disparaitre, ou de mourir, comme les autres.

Forger, aiguiser, c'était depuis devenu une sorte de refuge pour Cerbère. Les lames en elles-mêmes étaient devenues son refuge. Quand elle n'allait pas bien, aiguiser ses armes avait sur elle l'effet d'un anti-dépresseur et d'un anti-douleur combiné, préparation en attendant une guerre ou quelque moment d'action pour la relever. Le Périgord serait sa thérapie suite à la mort d'Eldearde et de Maximilien, sa psychothérapie suite à son déraillement avec "Cerbère" l'ayant protégé de la mort de Yohanna. Des brigands étaient arrivés désormais et Samsa avait décidé d'aider ; ça ne ferait de mal à personne, surtout pas à elle. Ses mains gantelées de combat ont un éclat qui précède celui qui glisse sur la lame en préparation. A côté, c'est la barbute reluisante qui repose au soleil avec le bouclier. De forme française, il est peint avec le blason Treiscan et seulement lui, contrairement au tabard qui, en damier noir et bleu aux couleurs familiales, est également bordé de jaune pour rappeler la baronnie de Longny-au-Perche. Sur la poitrine gauche, une fleur de lys doré indique la fonction royale et une plus grande sur le tout le dos la confirme. On devine en-dessous, grâce aux débordements sur les bras et vers le cou, une épaisse cotte de maille qui repose sur les solides épaules et ne parvient pas à faire ployer l'échine. La Prime Secrétaire Royale est concentrée sur sa tâche, ses cheveux légèrement ondulés longs jusqu'aux omoplates lui tombant de chaque côté du visage, illuminant de leurs puissants reflets roux des traits trop immobiles et les rendant de fait plus aimables sous ces petites couleurs légères dansantes selon les souffles de la brise et du rayonnement du soleil. Les petits yeux sombres, abrités par des arcades sourcilières marquées et des sourcils bas, se relèvent de l'ouvrage quand Cerbère se sent observée. Bien vu.

C'est le fils d'Eldearde et d'Arry qui la regarde, l'épée plus qu'elle du moins. Samsa s'interrompt et pose son épée à la verticale, pointe entre deux pavés, pour s'appuyer un peu sur la garde quand elle se penche légèrement en avant, un petit sourire naturellement malicieux sur ses lèvres dont les coins remontent sensiblement dans un sourire presque aussi perpétuel qu'inconscient.


-Saluté pardi. Tu es Nathaniel, hein pardi ? Moi je m'appelle Samsa pardi. Je suis une amie de ta maman té.

"Je suis". Pas "j'étais". Il y a des choses immuables et cette amitié là en fait partie à jamais ; elle était, est et sera toujours l'amie d'Eldearde. La nuance semble surfaite mais elle témoigne que cette amitié se transmet à la postérité de la Sœur de Vassalitude. Cerbère reste un instant sans bouger en regardant l'enfant. Elle trouve terriblement triste qu'il ait du sang de Zolen, des traits à lui et une ressemblance indéniable. De la tristesse, c'est tout ce qu'elle éprouve pour cette histoire qui les sépare désormais, comme un immense gâchis. Mais au-delà de Zolen, c'est le fils de Kierkegaard et Samsa le voit parce qu'il a les mêmes yeux qu'elle ; adoncques, c'est sur cela qu'elle se concentre et c'est ce qui la fait bouger de son perchoir pour venir s'assoir près du petit. Elle lui tend la pierre à aiguiser et attend qu'il la prenne dans sa petite main pour retirer son gantelet droit, poser sa main sur la sienne et l'amener vers la lame de son épée.

-Je vais t'aider pardi. N'crains rien pardi.

"Je te protège, petit Kierkegaard."
Lentement, Cerbère fait poser la pierre sur l'acier et d'un geste trop lent pour être efficace, guide la petite main maîtresse dans un mouvement de haut en bas. Le métal grince d'une façon agréable sous la pierre qui élimine les défauts qui naissent suite aux frappes multiples. Samsa pourrait faire caresser un chien imposant à Nathaniel que l'atmosphère et le geste n'en seraient pas différents ; tout s'apprivoise, tout à une forme de vie quand on veut bien s'y pencher un peu, et si les épées ne courraient pas dans les champs ni n'apprenaient à s'assoir, tout comme les chiens, elles réagissaient à ce qu'on leur faisait, réactives à l'entretien qu'on leur apportait, ou pas. Samsa releva le regard vers l'enfant et lui sourit doucement.


-Tu vois pardi ?
Cette épée té, elle a combattu plein de méchants pardi, elle a même conquis la capitale d'un duché de méchants pardi, alors il faut en prendre soin pour qu'elle gagne encore contre d'autres méchants pardi. Comme ça pardi, il n'y aura plus que des gentils pardi, et plus personne n'aura mal té. Moi c'est ce que je veux faire pardi, combattre les méchants pardi.

Et toi, tu veux faire quoi té ?


Samsa ou "la vision de mon idéal expliqué à un enfant". Elle avait gardé cet espoir utopiste enfantin, cet espoir qu'un jour, le monde soit en paix et que les gens ne souffrent plus à cause de leur prochain. Samsa faisait la guerre pour qu'il y ait la paix et si on lui reprochait souvent de trop y croire, on ne pouvait en revanche pas lui reprocher d'agir selon ses convictions les plus profondes et, n'en déplaise à ceux qui jurent qu'elle n'y arrivera jamais, de faire avancer les choses dans le bon sens. Elle ne verrait jamais ce qu'elle bâtissait, c'était un fait qu'elle acceptait de bonne grâce mais, avec de la chance, ses filles et Nathaniel connaitraient ce monde de grâce où ils pourront vivre sans jamais connaître la peur, l'agressivité ou le besoin de protéger jour et nuit, tout ce qu'elle côtoyait au quotidien et qui avait façonné sa vie.
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Nathaniel_zk
[TROP D'EPICNESS EN CETTE FEMME]

Lorsque l'objet de sa fascination leva les yeux vers lui, le garçonnet eu été tenté de bondir sur ses guibolles pour filer dare-dare se dissimuler derrière celles de Lucie, dont le tendelet de jupons constituait l'abri le plus sûr que lui ait offert cette chienne de vie. C'était sans compter sur le sourire qui paraissait si inhérent au faciès carré que l'enfant ne pouvait qu'en être rasséréné. Ses premières paroles, d'ailleurs, ne firent que le conforter dans le jugement a priori que lui soufflait son instinct enfantin : cette géante de fer connaissait sa mère ; elle l'avait, visiblement, aimée. Peut-être se languissait-elle de sa roide silhouette, à l'instar des adultes qui, à son nom, se retranchaient dans l'ombre de deux sourcils que la tristesse arquait. Une vérité, néanmoins : elle ne pouvait lui manquait davantage qu'à lui. Quoi qu'il en soit, ce vide indicible instaurait entre eux une connivence secrète.

Oui. Mon prénom c'est Nathaniel.
La voix était éraillée de trop peu servir. Qu'il s'extirpa ainsi de son silence obstiné témoignait des inclinaisons naturelles de son âme pour cette gente dame toute dépourvue des froufrous que Zolen associait pourtant au sujet féminin. Enfant du système.

Quand elle vint auprès de lui, il songea que son odeur lui rappelait celle de la forge : elle sentait le fer chauffé et la très fine poussière. Un moment, il resta bêtement le bras à demi tendu, sa petite main chargée sur laquelle il peinait à refermer les doigts, à s'étonner que l'on puisse lui confier cet objet à la miraculeuse puissance sonore.
Au sein de la brune paluche, la menotte, si blanche qu'on en lisait l'enchevêtrement des chemins bleutés, jurait étrangement. Les vibrations régulières qui lui grignotaient la paume, le grincement outré de l'épée, les mots cabalistiques de son professeur ès ponçage, tout cela plaisait grandement au néophyte appliqué. Alliés à la satisfaction de sentir utile et à la gloriole de ces gestes de « grands », cet assortiment de perceptions sensorielles le plongeait dans un état de douce griserie. La tête lui tournait un peu et c'est pourquoi il la secouait parfois sans que ce bref mouvement n'abîma la courbe de son sourire.

Samsa faisait disparaître les méchants. Samsa veillait sur les gentils.
Nathaniel n'était pas certain d'appartenir à ce second groupe ; ce matin encore, il s'était appliqué à scier les nerfs de la nourrice à force de « non » et de regards assassins. Souvent, il avait le cul qui sentait la savate. Mais cela, fort heureusement, l'inconnue n'en savait rien.

C'est bien.
Il y avait là toute la sincérité du gamin qui ne maîtrise pas encore l'art du mensonge et de ses dérivés que sont la mystification, la tromperie et la feinte. Il fallait bien que quelqu'un s'en charge, des mauvais et des démons. Lui se révélait, pour cela, héréditairement trop couard et trop petit. A la vue du sang, un nuage de neige doré brillait devant ses paupières à demi closes et, l'estomac au bord des lèvres, il s'allongeait bien vite en chien de fusil. Babtou fragile.

Et toi, tu veux faire quoi té ? 
Je veux rentrer dans ma maison.
Un moment de réflexion eut été superflu : mini-Zolen n'avait pas d'autres aspirations. Par « maison » il n'entendait pas uniquement les hauts murs du château d'Aixe, solides parce que familiers, ou le cocon volontairement hermétique de sa chambre – bonjour l'adolescent précoce d'environ dix années -, mais bien le lieu où la porte poussée lui dévoilerait le profil de sa mère, long et sec comme un trait de fusain. Sa mère aux ridules pleines d'abstruses pensées. Sa mère que son père enlacerait.

Tu connais ma marraine ? C'est Lucie de Jolissonnière.
Car à l'image de la maman de sang succédait toujours celle de la maman de cœur, la Marquise innocemment écorchée du patronyme.
Puis, d'une oeillade circonspecte, il glissa le long de la lame qui l'avait baptisé, qui lui avait érigé un pont de métal jusqu'au versant belliqueux du monde, lequel, malgré l'idéalisme cerbérien, était encore le sien.

Tu vas faire la guerre ?
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Samsa
    "Je t'amènerai sécher tes larmes
    Au vent des quatre points cardinaux,
    Respirer la violette à Parme
    Et les épices à Colombo.
    On verra le fleuve Amazone
    Et la vallée des Orchidées
    Et les enfants qui se savonnent
    Le ventre avec des fleurs coupées."
    (Pierre Perret - Mon p'tit loup)



Cerbère n'avait pas tiqué lorsque le petit lui avait répondu vouloir rentrer à la maison. En tant que mère, elle savait très bien ce que ça voulait dire, que ce n'était pas la bâtisse en elle-même mais ce qui incarnait la vie d'avant, quand Eldearde était encore là. Pourquoi Nathaniel n'avait-il pas pu être le rempart à sa détresse ? Ce n'était pas humain d'abandonner de la sorte et d'envoyer à son fils le message qu'il fallait se débrouiller. Samsa eut une pointe de colère intérieure contre Eldearde mais elle savait parfaitement que cette colère n'était en réalité pas dirigée contre sa Soeur de Vassalitude mais bien contre elle-même ; tout le monde n'avait pas sa capacité à avancer même à terre et c'était quelque chose qu'elle ne pouvait pas transmettre. Une part de la tragédie résidait là aussi.
Laissant là l'amertume qui rongeait son cœur comme l'eau de mer grignote les falaises, la Baronne regarda le petit avec un sourire doux à l'évocation de Lucie. Il savait ce qu'elle incarnait pour Nathaniel, qu'elle était devenue la figure de proue de sa Méduse -sinon sa Méduse tout court- mais nul part, dans le triste tableau, Samsa ne voyait figure de force brute. Pour ces instants qui lui seraient donnés avec Nathaniel, elle décida donc qu'elle serait cette figure, ce fier galion apparaissant à l'horizon en brisant les vagues.


-Oui, je connais Lucie de Josselinière pardi. Moyen aussi subtil que passif de corriger la prononciation. C'est ma suzeraine pardi, ça veut dire que je dois la protéger et l'aider pardi. En échange té, elle m'abrite et me donne de quoi manger pardi.

Sous ses airs de bourrine imbécile, Samsa savait parler aux enfants. Quand elle le voulait bien. Âgées de presque six ans maintenant, ses filles n'entendaient plus de discours aussi simplifiés, elles les entendaient avec toute la complexité du monde des adultes que leur mère leur décryptait, comme une langue étrangère qu'elle leur enseignerait. Elle posa une main affectueuse sur la tignasse brune et folle typiquement de Zolen et lui sourit avec bienveillance.

-Non pardi. Je vais aller trouver des méchants brigands et je vais les arrêter pardi. La guerre té, c'est quand deux personnes très très riches ne s'entendent pas du tout du tout pardi : elles réunissent plein de gens comme moi pardi, elles les font se battre et l'armée qui a le plus de gens encore debout gagne pardi.

Très archaïque. La base de tout schéma sociétal, qu'il soit humain, canin ou félin : dispute, combat et celui qui perd donne au gagnant ce qu'il voulait. Les Hommes, pour certains d'entre eux, avaient juste trouvé un moyen de faire se battre les autres à leur place. A part ça, ils avaient très bien compris que le nombre fait la force.
La Baronne range sa pierre à effiler, sort de la sacoche à sa ceinture une boite pas plus grosse qu'un cercle formé par un index et un pouce se rejoignant et l'ouvre avant de la présenter à Nathaniel.


-Tiens, sens pardi. C'est de la pâte à polir té, c'est pour rendre la lame toute belle et bien brillante pardi. On la fabrique avec du suif -c'est de la graisse animale pardi-, certaines bougies et du talc -une poudre blanche très jolie té. Normalement ça sent le caillou pardi, mais j'y ai mis des fleurs de jasmin pour que ça sente bon pardi.

Oui, les cailloux ont une odeur, tout ceux qui ont déjà reniflé un caillou ou des graviers le savent.
La Prime Secrétaire Royale laisse le petit nez sentir la mixture presque entièrement solide comme une cire de bougie, prend un grand carré de tissu épais déposé là avec son matériel pour y récupérer dessus un morceau de pâte et le tend à Nathaniel.


-Tu veux essayer pardi ? C'est comme avec la pierre té. Je te tiens l'épée pardi.

Dans les pires moments de sa vie, c'est toujours le travail qui avait sauvé Samsa. Occuper ses mains pour occuper son esprit. L'illusion ne durait jamais vraiment longtemps mais elle était toujours suffisante pour en apprécier chaque seconde. De très loin, la Combattante préférait que le jeune garçon d'Eldearde apprenne à surmonter ses épreuves en se rendant utile à la société plutôt qu'en buvant comme un trou jusqu'à devenir un boulet pour celle-ci, comme son père le faisait. Le travail et l'alcool faisaient toujours des morts, le travail plus que l'alcool si on prenait seulement "les risques du métier", mais en terme d'occupation intensive, jamais écrire ou forger n'avait tué plus que de boire jusqu'à en vomir sa bile, puis ses tripes, sa conscience et enfin sa vie.
"Solide sur ses appuis" comme on dirait en Toulousain au XXIème siècle, Cerbère tient l'épée sans qu'elle ne bouge d'un iota. L'exercice n'est pas très difficile alors qu'elle porte un regard vigilant sur les petites mains dans l'hypothèse où le tissu aurait été pris et la tâche entamée. Laissé au silence de sa réflexion ou de sa tâche, Cerbère finit par relancer le jeune garçon afin de couper l'herbe sous le pied à l'esprit malheureux qui ne tarderait plus à revenir :


-Et quand tu seras très grand pardi, quel métier voudras-tu faire pardi ? Musicien ? Médecin ? Chevalier té ? Éleveur de lapins pardi ? Ou marin té ?

"Allez p'tit gars... Tous les enfants ont une envie d'avenir, même quand ils n'en voient plus, même quand ils ne savent pas, même quand ils s'en foutent. On ne peut pas se foutre de tout à deux ans et quelque au point que plus rien ne trouve grâce à ses yeux et que tout soit mis à égalité avec la détestabilité -ce mot existe, vraiment- des mathématiques, si ?"
Aux aguets, ses trois paires d'oreilles imaginaires dressées, Cerbère est prête à entendre la moindre piste et à exploiter le moindre filon pour connaître plus avant le fils de sa Soeur de Vassalitude et lui rendre cet instant avec elle agréable, l'éloigner à tout prix d'une expérience qu'elle ne connait que trop bien pour l'avoir trop souvent vécu.

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Nathaniel_zk
Samsa était pleine de sourire. Elle avait la beauté de ce qui n'est pas travaillé et ne le sera jamais, de ce qui se drape naturellement de sincérité ; elle se paraît du charme de l'authentique. En vérité, l'on doutait qu'elle sache même mentir. 
Un instant, Nathaniel resta suspendu au fil de la cicatrice qui courait d'une tempe brune au liseret sombre de la chevelure. Il voyait en cette lézarde rosée la marque d'une certaine infaillibilité, la preuve tangible de la force qu'elle pouvait et se devait démontrer si, tel qu'elle l'affirmait, elle était de Lucie la sentinelle vigilante. Le dessin en était d'ailleurs joli et, dispensé de la fausse pudeur qu'affectent les grandes personnes, p'tiot Zolen y baladait tranquillement le regard, la pupille grignotée d'une curiosité débridée. 

Cerbère, ou le Clausewitz version classe de maternelle, avait une façon bien à elle de dire et de parler : véhémente, dans le fond comme dans la forme, les « té » qui rythmaient son discours et qui paraissaient en concentrer toute l'incroyable l'énergie produisaient sur Nathaniel le plus grand des effets. Le gamin buvait ses paroles, captivé non seulement par un énoncé d'une vérité évidente -pouvait-il en être autrement quand les yeux dénonçaient une telle faim de justice ?- mais aussi par les tonalités changeantes de l'accent le plus sexy du Royaume

L'amorce d'une mine déçue, alors que la drôle de pierre échappait à sa main, se vit troquée contre un froncement intrigué : Samsa, virtuose de l'imprévisible, venait de dégainer un nouveau sujet d'émerveillement. Sur une invitation brodée d'explications, l'élève vint renifler à s'en luxer la narine ce qui sentait les souvenirs ténus d'un temps où, de sa mère, il pouvait humer le cou blanc. 
Seul aux commandes, Nathaniel se rengorgeait, portait la tête haute, enorgueilli d'exercer tâche si gratifiante. C'est que sous ses doigts, sous ce bout d'étoffe graisseux de brillantine, la lame se faisait plus belle encore et, à chaque défilé de chiffon, il semblait y déposer comme un gaze d'argent léger.

Les noires songeries étaient pour l'heure aux abandonnés absents, le jeune esprit ne sachant s'abandonner de concert à la tristesse et à l'enchantement. L'abattement était une toile de fond, tendue en arrière-plan ; là, elle faisait office de vague décor et se dispensait de gigoter sur le devant de la scène. La question, cependant, fâcha sa bouche d'une mimique perplexe tant elle lui parut incongrue : d'abord parce qu'il n'y avait jamais bigre de songé, ensuite parce que le concept de profession lui échappait absolument. Le forgeron l'était par essence, comme la fleur était fleur, comme Marraine était Marraine.

Je suis déjà grand pac'que parfois bah on m'ppelle « Grandeur ». Et puis je serai Conteudaixe, comme papa. Mais je sais pas si c'est « métier ».

Cependant, puisque toutes les bonnes choses ont une fin, la nourrice brailla alors du « ZOLEN » depuis la balustrade, signant de l'aigu de son glapissement l'abandon des existentielles considérations. Le demandé remit donc la miraculeuse tissure à sa propriétaire, quitta l'assise de sa pierre et tendit la menotte avec fort sérieux, le respect des convenances lui étant minutieusement inculqué par Josselinière.
Adieu, gentille Dame Samza.

Edit pour cause de lien décédey.
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