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[RP] Raviver les lueurs presque éteintes du passé*

Lucie
*Inspiré de Wordsworth


La scène a été réécrite cent fois. Tout a été envisagé, imaginé et disséqué. Les scénarios se sont succédés sous le front pâle de Lucie, sordides ou merveilleux, dignes de quelque lai héroïque ou de comptines d’enfants. Les gestes ont été encore et encore amorcés, arrêtés, repris, détournés. J’y vais, j’y vais pas. J’y vais pas, j’y vais. Quatorze lettres ont été commencées qu’elle a transformé en confettis immaculés. Son cheval a été scellé, l’attelage préparé. Elle a même été jusqu’à la rue Saint-Antoine avant de brusquement faire demi-tour pour s’en aller dépenser ses angoisses dans les luxueuses boutiques des galeries Lafayotte.

La vérité c'est qu'elle a peur de ce qu’elle va découvrir. L’homme qu’elle a silencieusement rêvé toute son enfance est-il digne de ses fantasmes ? Est-il bon et beau ? Est-il chaleureux ? Est-il capable de guérir les plaies brûlantes laissées par sa mère ? Les questions se bousculent et se mêlent pour former un amas diffus et troublant qui englue ses poumons et obstrue sa gorge, lui donnant l’impression qu’elle va étouffer. Il faut que cela cesse. Il faut qu’elle sache.

Alors s’armant de cet impérieux besoin, Saint-Jean abandonne les murs bleus de son modeste appartement de la Cité et traverse le pont, si parfaitement enfermée en un jardin secret peuplé de fleurs jolies et de bourdons paresseux où elle s’emploie à créer l’illusion de la paix qu’elle ignore tout des rues ensoleillées de Paris et des badauds qui y flânent jusqu’à ce que, dans une dernière secousse, carrosse frappé des armes de Barbazan ne s’arrête face à l’imposant hôtel Saint-Paul.

Porte est ouverte, petits souliers de satin touchent le sol et robe est lissée d’une main pressée avant que les quelques mètres séparant Lucie du nom tant attendu ne soient franchis. Comme toujours, le cœur de la hérauderie pulse à toute vitesse, traversé d’êtres au sang plus ou moins bleu armés d’écussons, de lots de tampons et d’autres liasses de papiers au milieu desquels la silhouette d’aiguille enrobée de soie nivéale de la vicomtesse passe tout à fait inaperçue, d’autant qu’elle a renoncé à l’extravagant hennin allant avec cette tenue, préférant laisser libres les lourdes boucles de bistre et d’or qui s’égayent dans son dos.

Avisant un valet, la Fleurie l’approche et le salue d’un sobre signe de tête.

    - Lucie de Saint-Jean, Vicomtesse de Barbazan-Debat et Dame d’Artiguelouve. J’aimerais rencontrer Sylvestre si possible.
    - Bien Monseigneur. Je m’en vais de ce pas le chercher.

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June
C'était une journée étrangement tranquille. Les dossiers les plus urgents avaient été traités en premier, dès les premières heures du matin. Le Sidjéno aimait être là tôt, presque aux aurores, pour être au calme dans son bureau au moment où la Hérauderie Royale de France ne grouillait pas encore de visiteurs, de messagers et autres servants. Et, à l'instant où le page vint le chercher, il était debout devant la fenêtre de son bureau empli de papiers et regardait au dehors d'un air pensif.

"Sylvestre ? Quelqu'un pour vous."

Le grand blond se retourna, et hocha une fois la tête en direction du jeune homme pour signifier qu'il l'écoutait.

"Lucie de Saint-Jean, Vicomtesse de Barbazan-Debat, Dame d'Artiguelouve. Elle demande à vous voir."

Il hocha la tête une nouvelle fois. Il n'avait aucune idée de l'objet de cette visite, et il s'en moquait bien. A ses débuts, il aimait savoir ce qu'il en était dès l'arrivée de la personne à recevoir, afin de pouvoir tout préparer à l'avance. Le temps et la pratique avaient finalement eu raison de son impatience et il recevait à présent librement, à condition bien sûr qu'il soit disponible. La plupart du temps, c'étaient les nobles dont la famille était gérée par la marche héraldique de Sylvestre, mais parfois il y avait d'autres demandes, plus précises, plus personnelles, si bien qu'il acceptait tout le monde, à force. Ainsi, les nobles - ou pas - pouvaient espérer une réponse à leurs questions et lui s'attendait chaque jour à une nouvelle surprise, espérant passer le temps plus vite que d'habitude. Celle du jour, fomentée par une certaine rouquine bien connue, n'allait pas le décevoir.

"Je vais la recevoir dans mon bureau plutôt que dans le couloir, ce sera plus commode. Faites-la venir, je vous prie."

Le page acquiesça sans broncher et repartit dans le corridor en quête de la Saint-Jean. June en profita pour se rasseoir devant l'imposant meuble de bois qui lui servait de table de travail et y fit un peu de rangement pour le dégager. Lorsque le servant revint accompagné, une paire d'yeux bleu glace se posa sur la jeune femme qui venait le rencontrer.
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Lucie
Le valet revient, Saint-Jean suit. C’est une mécanique bien huilée et il ne faut pas plus de trois minutes pour que la Fleurie passe la porte du bureau qui se referme derrière elle dans un grincement discret. Il n’y a plus de retour en arrière possible à présent qu’elle fait face au héraut dont le regard arctique semble transpercer matières organiques pour s’en aller sonder les tréfonds de son âme et, puisqu’elle n’a rien d’autre à quoi se raccrocher, Lucie ressert sa prise sur le porte-document de cuir qui contient ses papiers. Sa grâce est fragile, légère et en cette seconde plus que jamais, elle doit donner l’air d’être tout petit bouvreuil, joli mais gauche, noble mais angoissé.

    - Le bonjour, fait-elle doucement. J’espère ne pas trop vous déranger.

Silence est fait le temps d’un battement de cœur et l’ivoire s’enfonce à la pâleur rosée d’une lippe bien souvent torturée. Comment expliquer pourquoi elle est là ? Comment, sans déballer avec force de détails pathétiques toute son existence, peut-elle réussir à dire ce qui l’amène ici ? Suffit-il vraiment de prononcer le nom de la rousse pour que, comme par miracle, tout lui soit révélé ? Saint-Jean en doute d’autant plus que l’homme se tenant face à elle lui fait l’effet d’un Sphinx de marbre dont il faut résoudre les énigmes afin de ne pas finir dévorée toute crue, mais elle n’a guère d’autre choix et cessant de ronger sa pauvre lèvre, elle s’avance vers le Sidjéno et pose sur le bureau qui les sépare son large portefeuille.

    - Nous nous sommes déjà croisés il y a de cela quelques mois. Vous aviez enregistré mon cry et ma devise. Aujourd’hui, j’ai reçu une seigneurie en plus de ma vicomté et il me faut faire assembler leurs blasons et y ajouter mon collier de secrétaire d'état. Je serais normalement plutôt passée par Béarn pour le faire, mais une autre affaire m’a poussée, sous le conseil de Korai Sidjéno, à me tourner vers vous.

A nouveau, un ange passe tandis que Saint-Jean lève les yeux pour ancrer ses mirettes mentholées à l’azur de celles de June. Elle ne veut rien trahir du tumulte qui la bouscule, rien dire de ses intentions puisqu’elle-même n’est pas certaine de ce qu’elle souhaite faire et c’est avec austérité qu’elle reprend la parole.

    - Il semble, monsieur, que vous connaissiez l’identité de mon géniteur et j’aimerais assez, si vous voulez bien me la donner, la connaitre aussi.


Spoiler:

Citation:
Citation:
A tous ceux qui la présente liront ou se feront lire,

    Nous, Deedlitt de Cassel d'Ailhaud, Maréchal d'Armes de France, dict Minerve, en vertu du blanc seing du 19 juin 1462 acté par Montjoie, faisons savoir,

    Que, conformément aux textes et coutumes héraldiques, faisons acte de la demande de Dame Lucie de Saint-Jean*, Comtesse sortant du Béarn, quant à l'octroi à son bénéfice d'un fief de retraite au terme d'un mandat plein de régnant.

    Qu'item, après recherches héraldiques dûment entérinées, le fief de Barbezan-debat est bien fief mouvant du Comté du Béarn.

    Qu'item suite à consultations des registres et armoriaux, l'écu se référant au dict fief est ainsi décrit, D'azur à la croix d'Alcantara d'or, soit après dessin :



    En conséquence, Dame Lucie de Saint-Jean se voit octroyer le fief de retraite de Barbezan-debat, érigé en Vicomté.



Fait le vingt-et-unième jour du mois de Mars 1464 sous sous le règne de Sa Majesté Lanfeust de Troy

Deedlitt de Cassel d'Ailhaud.
Héraut d'Armes ès joutes, Maréchal d'Armes de France.




[*IG : Lucie]


    Par nostre Scel, actons ce document comme valide et conforme aux règlements Héraldiques et attestons avoir été témoin Héraldique des serments vassaliques échangés entre l’octroyant et l'octroyé.

    Fait le vingt-et-unième journ du Mois de Mars de l’an de grasce mille quatre cent soixante quatre, sous le règne de Sa Majesté Lanfeust de Troy.



dict Béarn.




Citation:


























Citation:
Citation:

~ OCTROI ~

Fief de mérite




A tous ceux qui liront ou se feront lire, annonçons,



        Que conformément aux textes & coutumes héraldiques, nous faisons acte de la demande de Dédain Desward de Noldor, Comte du Béarn, quant à l'octroi d'un fief de mérite sur ses terres à Lucie de Saint-Jean**

        Après recherches héraldiques dûment entérinées & consultation d'armoriaux :

        • Le fief de Artiguelouve est bien fief mouvant du Comté du Béarn.
        • L'écu se référant au dit fief est ainsi décrit : « D'azur au deux loups d'argent ravissants affrontés, surmontés d'un besant de même accosté de deux étoiles d'or ».



        Nous déclarons alors que : Lucie de Saint-Jean se voit octroyer le fief de mérite de Artiguelouve, érigé en seigneurie.

        Elle pourra arborer les armes et se prévaloir du rang et titre qu'après prime allégeance en bonne et due forme.


Afin que nul ne puisse contester cette décision, Nous signons et scellons de notre main.
Elisabeth Stilton, Maréchal d'Armes Royal, dicte Mnémosyne, agissant au nom et pour le compte du blanc seing qui a été conféré aux Maréchaux d'Armes le 19 mai 1462 par Montjoye, Roy d'Armes de France.
En ce jour, le 26 juillet 1464.





[*Dedain & **Lucie]



    Par nostre Scel, nous attestons avoir été témoin Héraldique des serments vassaliques échangés entre Dedain Deswaard de Noldor, comte du Béarn et Lucie de Saint-Jean.
    Actons ce document comme valide et conforme aux Loys Héraldiques.

    Fait le premier jorn du Mois d' Août de l’an de grasce mille quatre cent soixante quatre, hérauderie du Béarn.



Dict Béarn



Citation:
































Citation:


A tout ceux qui liront ou se feront lire,
De Neyco de Fronsac, Premier Secrétaire d'Etat,

Salutation,


    En ce jorn du 29 mai de l'année 1464 nous nommons Donà Lucie de Saint Jean à la charge de Secrétaire d'Etat pour le Béarn.

    Par conséquent cette dernière est attendu au sein de l'office afin de prester serment et recevoir son collier d'officier. Nous lui souhaitons nos félicitations.
    Son officier supérieur de Zone la guidera dans ses premiers pas en plus de la formation que nous lui dispenserons.

Fait à Paris.





[ig: Lucie]

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June
Elle était jeune et belle ; dans son attitude, semblait assez frêle. L'air un peu décontenancé, elle s'avança vers le bureau alors que le page refermait la porte de la pièce derrière lui, les laissant en tête-à-tête. Le grand blond observa la timidité qui semblait jaillir de Lucie. Lui semblait-il si impressionnant ? L'était-il réellement ? Il se demanda un instant s'il était si effrayant que cela de venir le visiter, puis haussa mentalement les épaules. Après tout, quelle importance ? Elle espérait ne pas trop le déranger de sa petite voix douce, mais il ne répondit pas. Les banalités ne faisaient plus partie de son vocabulaire habituel, et il était homme à aller droit au but - comme l'OM, oui -. Mais il était apparemment inutile de demander en quoi il pouvait lui être utile, puisque déjà elle enchaînait. Effectivement, il avait le vague souvenir de l'avoir déjà croisée. La mémoire du Sidjéno était hélas loin de celle, légendaire, des pachydermes et avec tout le monde croisé en cet endroit mondain qu'était la Hérauderie Royale de France, elle était en plus devenue sélective. Elle demande un assemblage de ses blasons et pose sur le bureau les documents afin d'attester de ses droits. Voilà quelque chose d'assez inhabituel : quelqu'un qui ne fait pas partie de ses nobles habituels et qui vient le solliciter pour dessiner. June avait un talent certain, mais il était plutôt rare de voir qu'on le demandait pour un assemblage, surtout celui-ci, qui semblait assez sommaire.

Mais l’œil de glace brilla lorsque le nom de Koraï fut prononcé. Tout de suite, la Vicomtesse reçut davantage d'attention, et il la regarda avec plus de constance que l'instant précédent. Ainsi, sa frangine le recommandait auprès des nobles pour son trait de plume. Étrange. Elle n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour les travaux de June, et pour tout ce qui touche la noblesse en général. Pourquoi diable venait-elle à entrer de nouveau dans sa vie ? En un si petit laps de temps, voilà que sa soeur se rappelait à lui alors qu'elle ne donnait que peu de nouvelles depuis de longs mois. La première fois qu'elle l'avait récemment contacté, c'était cette lettre, il y a quelques semaines. Et il aurait bien aimé continué de réfléchir à tout cela, les pensées à cent à l'heure, mais Lucie déjà le coupait pour lui donner la réponse à tant d'interrogation.


- Il semble, monsieur, que vous connaissiez l’identité de mon géniteur et j’aimerais assez, si vous voulez bien me la donner, la connaitre aussi.

Les pièces du puzzle s'assemblèrent doucement dans la tête du Maréchal d'Armes, et le voilà qui regarde Lucie avec stupeur un court instant. Il prend un temps dans son esprit pour maudire Koraï de ses tours de passe-passe et de ses plaisanteries, et note dans un coin de ses pensées qu'il faudra lui faire payer un jour toutes les épreuves invraisemblables qu'elle lui fait subir. Il reprend rapidement son visage impassible et se lève en prenant les documents d'un air pincé. Il les consulte rapidement, les ayant déjà vus, et il prend ses pinceaux et son chevalet afin de commencer. Quelques mots pour faire patienter la Vicomtesse, et il était parti dans son art, oubliant momentanément tout le reste.

"Je vous fais le dessin de suite, je vous laisse patienter un instant."

Il n'avait effectivement pas répondu à la seconde demande ; cela allait sûrement contrarier la jeune femme, mais il avait besoin d'un peu de temps, ne serait-ce que pour trouver les mots. En repensant à Koraï, une question revint. Avait-elle elle-même réagi, la Saint-Jean, avait-elle fait le lien entre June et Koraï ? Il ne savait pas se elle connaissait son véritable patronyme ; elle venait le voir en tant que "Sylvestre". Peut-être ne savait-elle pas qu'il portait, lui aussi, le nom des Loups. Comment fallait-il annoncer à Lucie qui était son géniteur ? Fallait-il lui sortir la phrase qui deviendrait célèbre dans l'avenir : "Lucie, je suis ton père" ? Comment allait-elle réagir ? Elle allait sûrement être aussi surprise que lui lorsqu'il avait compris de quoi il retournait. Soupirant légèrement, il prit le temps de dessiner correctement, et une fois que ce fut fini, tourna le chevalet vers elle afin qu'elle vit le résultat.



"Je laisse sécher le dessin, et je vous le donnerai à la fin de cet entretien. Quant à votre seconde demande..."

Il soupire, baisse un instant le regard vers le bois du meuble, puis relève la tête en regardant Lucie. L'annonce allait sûrement la surprendre car elle ne devait certainement pas s'y attendre, mais c'était ainsi.

"Je connais l'identité de votre géniteur, oui. C'est moi."
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Lucie
Le grand blond se lève et le cœur de Lucie se transforme en horloge.

Tic, tac. Tic, tac. Tic, tac. Le silence n’est altéré que par le chuintement des poils du pinceau sur la toile où, trait après trait, ses couleurs sont apposées. Les gestes du maréchal sont assurés, tranquilles et pour ne pas penser, Saint-Jean se concentre sur le mouvement de sa main, le suivant comme un scientifique qui, armée d’une loupe, épie araignée tissant sa toile. La méthode ne marche pas et dans ce calme assourdissant, la Fleurie a l’impression de se dissoudre. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Hésite-t-il à lui donner la réponse qu’elle attend ? Peut-être ne la juge-t-il pas digne de savoir qui est son père. Peut-être est-ce un de ses proches qu’il protège de la venue encombrante d’une fille dont on ne voudrait pas. Peut-être…

Mouvement. Le chevalet est totalement tourné vers elle afin qu’elle puisse juger de la qualité de l’assemblage. Il est beau ; digne de la grandeur des terres sur lesquelles, maîtresse soucieuse, elle veille comme la Madone sur l’Enfant. Gorge nouée, Lucie hoche légèrement la tête, marquant son assentiment, avant de se perdre dans le soupire qu’exhale le Sidjéno. Dans l’attente du nom, ses mains se crispent et son regard de menthe, noyé dans celui de l’homme, s’embrume. Puis le couperet tombe.


    - Je connais l'identité de votre géniteur, oui. C'est moi.

Deux phrases. Onze mots. C’est tout ce qu’il faut pour modifier pour toujours son existence. La tuer et la faire renaître en une seule seconde. Elle reste bâtarde mais n’est plus sans repère ; le nom de June Sidjéno remplace la mention père inconnu sur son état civil. Chancelante, ayant l’impression folle de sentir le monde tourner sous ses pieds, Lucie observe l’homme, si blanche qu’on pourrait croire que son visage a été passé à la javel.

Tandis qu'une partie d’elle tente de trouver quoi dire en cet instant où tout est bousculé, une autre, toute petite, la voit, innocente, presque enfantine, chercher un peu d’elle-même dans le berrichon. Les couleurs ne sont pas identiques. L’homme est resté blond là où les blés de l’enfance ont vite laissé place au châtain chez elle et si leurs regards sont clairs, elle est menthe à l’eau là où il est eau du nord, d’un bleu limpide, mais si l’on ne s'arrête pas à ça, si l’on veut absolument voir, alors on remarque quelques légers détails : la hauteur des pommettes, la ligne du nez… Autant de petits riens qu’elle grave en elle afin que, quoiqu’il ressorte de cet entretien, elle puisse toujours se souvenir qu’elle n’a pas tout hérité de sa génitrice.


    - Je… Je suis désolée, balbutie-t-elle sans savoir si elle s’excuse d’être là, dans son bureau, ou si elle demande pardon pour sa naissance. Je ne voulais pas… Enfin, je ne pensais pas… Surprise, craignant presque d’être jetée à la porte, Lucie déglutit avant de se remettre à parler, s’exprimant à toute vitesse et dans un bordel sans nom. Korai m’a dit que vous aviez la réponse, pas que vous étiez la réponse. Je m’attendais à ne recevoir qu’un nom, peut-être quelques informations. Rien de plus. Je n’avais pas prévu de me pointer comme une fleur pour bouleverser des vies. Je ne voulais pas m’imposer. Je… Je… Et vous devez savoir que je ne compte toujours pas le faire. Vous avez une vie, une vie dont je ne fais pas partie. Je ne veux pas débarquer dedans et prendre une place qui ne me revient pas. Je voulais juste… Je voulais juste savoir. Ses mains tremblent et son cœur menace sérieusement de faire exploser ses côtes, mais son regard reste droit. Fier et franc, malgré le stress qui l’a envahie. Je peux partir si vous le voulez. Je peux partir et rien de tout ceci ne sortira de cette pièce.

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June
Il pose ses yeux de glace sur elle et lâche la réponse, et il observe. Il voit la décomposition des idées et de l'esprit s'amorcer, il voit les nouvelles pièces du puzzle arriver dans la tête de la jeune femme et Lucie qui essaye de les assembler. Et, obligée de ne point rester bouche bée, elle prend la parole trop vite pour ses esprits qu'elle semble peiner à reprendre. Le grand blond l'écoute, d'un air calme. Il se rassoit, face à elle, et inspire un instant afin de lui répondre de son ton le plus calme, le plus impassible et aussi, dans le fond de sa voix, le plus rassurant.

"Ne soyez pas désolée. Ne vous excusez pas de ce que vous ne pouviez savoir."

Il soupire d'in air résigné.

"Ma soeur Koraï - votre tante, donc - a ses raisons que la raison ignore... Elle aime provoquer les choses. Parfois, trop. Il ne faut pas lui en vouloir ; étrangement, elle trouve toujours une excellente raison d'agir comme elle le fait à son habitude..."

Ca le dépassait depuis toujours, mais il ne pouvait nier que la rouquine avait toujours un train d'avance sur lui. Et sur tout le monde, d'ailleurs.

"Je n'ai pas l'intention de faire un historique de mon existence, mais... Vous devez savoir que vous n'êtes pas la première dont je me vois revendiquer la paternité prouvée, et vous n'êtes sûrement pas la dernière. Je suis... Enfin, j'ai été un homme disons... Volage, plus jeune. Coureur serait plus exact. La plupart de mes enfants reconnus sont les fruits d'amours d'un temps, sans mariage et sans engagement. Ca ne fait pas d'eux des êtres moins aimés que les autres ; ça fait d'eux des bouleversements nouveaux dans ma vie et dans la leur, qui arrivent tardivement, trop tard pour qu'il puissent me considérer comme un vrai père pour eux, trop tard pour que je puisse leur prouver que je suis quoi que ce soit à leurs yeux. Ca fait partie des bouleversements dans ma vie que j'ai choisi d'accepter et d'assumer. Et vous en êtes un. Et j'en suis un pour vous."

Il fait une pause, prend le temps d'apprécier discrètement les traits fins de sa fille - car elle l'est, même si ce mot est encore hésitant en son esprit -, de jauger son trouble apparent.

"Aussi, je vous laisse décider vous-même de la suite à donner à cela. Votre décision sera la mienne, et je ne vous tiendrai rigueur de rien. Je sais, par expérience, quel choc cela peut être dans une vie, je ne peux donc pas vous imposer quoi que ce soit, ni votre départ de ce bureau, ni votre éventuelle acceptation de ce que je suis pour vous, ni quoi que ce soit d'autre. Vous n'êtes d'ailleurs pas obligée de répondre maintenant."
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Lucie
Enfant sage au milieu du tumulte, Lucie écoute et se calme. Il y a, dans la voix de son géniteur, quelque chose qui l’appelle et la rassure, qui la convainc du fait qu’elle n’a rien à craindre. C’est un sentiment étrange pour elle, presque inconnu. Après tout, rares sont ceux à pouvoir se vanter de ne pas éveiller son inénarrable méfiance.

    - Je n’en veux pas à votre sœur, cela ne ferait pas sens quand bien même elle m’a causée une surprise pour le moins vive, répond la Fleurie, s’armant de la douceur qui la caractérise, ne laissant pas à la rancœur la possibilité de se frayer un chemin jusqu’à son cœur. Les circonstances dans lesquelles je l’ai rencontrée, les échanges que j’ai eu avec elle me poussent à croire – peut-être naïvement, je l’admets – qu’elle ne souhaitait pas causer de tort à quiconque en nous mettant ainsi devant le fait accompli.

Puis vient l’histoire du Sidjéno à laquelle, bon gré mal gré, elle appartient un peu. Mirettes ancrées au visage du blond, Saint-Jean tente de se figurer le jeune homme volage qu’il a été, celui qui, le temps d’une nuit, aura trouvé plaisant de se perdre entre les bras de la néfaste mis ô combien séduisante Justine, comme un papillon s’enivrant du parfum d’une fleur avant de passer à une autre. Elle y parvient sans trop de mal. June n’a plus la jeunesse insolente de Nathan, il n’a pas le sourire enjôleur qu’avait Simon, mais il n’est pas moins beau ou charismatique que ses fils et il n’aura, à n’en point douter, pas eu trop de mal à faire tourner les têtes des filles.
Et alors qu’elle songe à son jumeau, Lucie sait qu’elle ne peut pas partir sans un mot de plus. Qu’elle ne veut pas simplement se détourner. Ils ont tous les deux bien trop rêvé ce moment pour cela.

    - Il est trop tard pour bien des choses, en effet. Vous ne serez jamais le héros de mon enfance, je ne clamerai jamais – comme le font souvent les petites filles – que j’épouserai un jour mon père et si je devais m’écorcher les paumes en tombant, je n’aurais guère besoin de vous pour les soigner. Puis surtout, vous ne connaîtrez jamais celui de vos enfants qui, né avec moi, est mort avant vous, fait-elle à voix basse, souriant tristement à l’évocation de son jumeau. Mais nous pouvons peut-être… Je ne sais pas. Ne pas juste en rester là. Ne pas juste être des inconnus avec un peu de sang en commun. Je n’attends rien de vous mais je suis plutôt… Curieuse d’en savoir plus sur vous ? La lippe est mordue. Si Lucie sait pour une fois ce qu’elle veut, elle peine comme toujours à l’exprimer alors, plutôt que de s’éterniser là-dessus, elle change de sujet. Je connais l’un de vos fils, Nathan. Je l’ai rencontré en Béarn où il a séjournait en compagnie d’amis à lui. Nous n’avons eu de cesse de nous chamailler ; il a un caractère tout à fait déroutant. Quant à moi, il m’a bien volontiers traitée de rabat-joie, admet-elle dans une esquisse de sourire, songeant avec ahurissement qu’elle peut dorénavant songer à cet impossible berrichon comme à un frère. Son frère. Terrible adjectif possessif qui la trouble et la fait balbutier. Et vous avez donc… Hm… D’autres enfants ?

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June
Les doigts du grand blond se croisent et se décroisent, s'emmêlent et se démêlent alors qu'il écoute la jeune femme parler. Il voit dans ses yeux, lit sur ses lèvres sans mal alors qu'elle parle de la rousse puis d'elle-même, de son enfance et, surtout, de son frère. Un jumeau, comme une coïncidence. Qui plus est, un jumeau parti loin d'ici, qui fait de cette troublante histoire un triste rappel à June. Il voit dans le regard malheureux de Lucie ses propres yeux pleurant Jacob. Mais il n'était peut-être pas encore temps d'en parler. Enfin, si. Mais pas du sien. Il finit d'écouter Lucie, et hoche doucement la tête. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres à l'évocation de cette petite fille inconnue.

"Ce serait manquer de respect à ma femme que de vous épouser aujourd'hui, effectivement."

Il sourit, amusé, puis son regard redevint sérieux. Il hoche la tête à la demande de la curieuse Saint Jean.

"Je m'engage à répondre à toutes vos questions, tant qu'elles n'engagent que moi."

Il ne voulait pas que les secrets de famille, bien gardés dans les tréfonds de la Maison Sidjéno - le fief familial - soient aussi facilement dévoilés que lors d'une discussion autour d'une chopine. Aussi Lucie les découvrirait-elle peut-être un jour, mais celui-ci n'était pour le moment pas venu. Ainsi vint la question sur ses frères et sœurs. Bien sûr qu'il avait d'autres enfants ; lorsque l'on se trouve un nouveau gosse par an, on en a forcément une bonne palanquée.

"Hé bien, vous avez rencontré mon aîné, Nathan, qui est mon fils et celui de ma première épouse, Cécile. J'ai deux autres fils, Orian, fils d'un de mes amours de jeunesse, et Wyllas, fils d'une, euh... Femme de compagnie." Ca voulait dire putain, mais bon. Ca faisait pas joli dit comme ça. "J'ai également adopté deux jeunes femmes qui sont aujourd'hui mes filles, Elynne d'abord, qui est aujourd'hui décédée, et Elisah, une jeune guerrière qui voyage. Et nous avons, avec mon épouse "actuelle", une petite fille qui s'appelle Jeanne, et un enfant qui arrivera probablement dans les prochaines semaines. Cela fait sept, avec vous et votre défunt frère, cela fait neuf. Plus qu'un et j'aurai atteint la dizaine."

Il sourit malgré lui. Il avait omis de préciser le prénom de sa nouvelle femme, sans y penser. Cela semblait tellement évident pour lui qu'il n'avait pas songé à le dire. Puis, de femme à enfant, il pense aux siens. Et il repense à cet enfant, cet enfant-là.

"D'ailleurs, euh... Comment s'appelait-il ? ... Mon fils ?"

Un voile mystérieux passa dans le regard de June. Personne ne pouvait savoir, ne pouvait imaginer comme il regrettait de ne pas avoir connu ses enfants plus tôt afin d'être un véritable père pour eux. Et aujourd'hui, il le regrettait d'autant plus que l'un d'entre eux n'était plus de ce monde, un déchirement pour le père éventuel qu'il aurait du être. Il n'avait pas de pitié pour Simon, non ; il ne savait pas ce qu'il lui était arrivé, et allait sûrement avoir une certaine amertume en le sachant. Aujourd'hui, il avait de la pitié pour lui-même, alors qu'il se regardait être.
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Lucie
Au trait d’humour elle sourit, à la promesse de raconter elle hoche la tête et à la liste interminable d’enfants, elle déchante. Quelques jours plus tôt, avec cette drôle d’innocence dont il lui arrive de faire montre, celle qui lui vaut d’être Pimprenelle dans la bouche de certains, elle racontait pourtant comme elle souhaitait être maillon dans une plus grande chaîne. Comme elle rêvait de grandes tablées, où entre entrée et plat on se chamaille gaiement et où, à l’heure du dessert, viennent les embrassades. M’enfin là, tout de même, il pousse mémé dans les orties le June.

    - Ah. Tout ça, marmonne-t-elle en guise de réponse, les yeux écarquillés. C’est… Hm… C’est bien.

Bravo Saint-Jean. Mention spéciale pour cette grande leçon d’éloquence que tu viens de nous servir.

    - Je connais aussi votre belle-fille. Un peu, ajoute-t-elle en se fendant d’un franc sourire, n’ignorant pas l’identité de la femme évoquée (c’est ce qui arrive quand on épouse le popotin le plus célèbre de France et de Navarre). Madeleine va se marier à mon ami le plus cher, Dédain Deswaard de Noldor.

Eh ouais. Le monde est petit.
Puis Simon. Encore Simon qui, fantôme vénéré, la suit dans chacun des moments de son existence, apaisant les peurs, soufflant ses conseils. D’un doigt, la Fleurie glisse une boucle rebelle derrière son oreille et raccroche ses mirettes à celles de son géniteur.


    - Il s'appelait Simon. Il était blond comme vous. Enfin, peut-être que ses cheveux auraient foncé comme les miens en vieillissant… Il est mort à l’automne 1459, nous avions quatorze ans. C’était… C’était le meilleur des êtres. Vous l’auriez forcément aimé, conclut-elle, comme si c’était la plus évidente de toutes les évidences, avant de balancer de nouvelles questions. Qu’aimez-vous d’ailleurs ? Dans la vie en général. Vous avez des hobbies ? Et… Hm… Vous êtes berrichon, c'est ça ?

A entendre par-là : es-tu un affreux indépendantiste dont je dois réclamer le scalpe ou ça va, on peut éventuellement s’apprécier ?
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June
La jeune femme sembla surprise, et un peu décontenancée, devant la liste des enfants de June, du moins les connus. Cela se vit sur son visage qu'elle n'imaginait pas cela, cela s'entendait dans son ton qu'elle aurait peut-être préféré être celle que l'on attendait dans une petite fratrie plutôt que le maillon inconnu d'une grande chaîne. Après tout, lorsque l'on fait partie d'une famille, on aime être son membre principal, son éventuel héritier, sans avoir à partager ce sang, cette appartenance familiale avec tant d'autres personnes, inconnues de surcroît. Les yeux de glace du Sidjéno sondèrent Lucie et il lui répondit sans sourire.

"Vous savez, je ne sais pas si c'est "bien", comme vous dites."

Une pause, le temps d'être sûr qu'il avait son attention.

"Je n'avais pas vocation, dans mes jeunes années, à devoir assumer tant de descendance, qu'elle soit légitime ou non. Je n'ai pas de titres à transmettre, je n'ai pas de choses de valeur inestimable, je n'ai qu'une vieille demeure familiale, certes imposante, mais rien de bien... Précieux. Mes enfants, quels qu'ils soient, n'auront rien à part l'héritage familial, héritage qu'ils ont déjà reçu puisqu'il coule dans leurs veines comme dans les miennes. Mais ainsi est le destin, et voilà que je paye - même si, je vous l'assure, ça n'a rien de désagréable en soi, le mot est sûrement mal choisi - le prix de mes frasques passées et de mon bon plaisir. Enfin... Ainsi est fait la vie. Mais sachez, et c'est important, que je ne regrette rien. J'aurais simplement aimé le faire... Autrement."

Autrement dit, il ne regrettait en rien sa présence. Il fallait savoir que le grand blond était d'habitude peu enclin à discuter, et encore moins à exposer sa vie ou ce qu'il pouvait ressentir au plus profond de lui-même. Il essayait au fur et à mesure qu'il y pensait de mettre des mots sur ce qu'il avait vécu et ce qu'il en pensait, et livrait cela sans filtre à sa fille, comme s'il lui devait des explications alors qu'elle n'en demandait pas plus que cela. Mais elle enchaîna, et passa à un tout autre sujet : Madeleine. Il hocha la tête sans répondre, car il n'avait rien à dire sur le sujet ; c'était la réponse à sa question précédente qui l'intéressait, et elle arrivait justement. Et les questions s'enchaînent, avec les réponses qui leur sont dues.

"Hé bien, je passe le plus clair de mon temps ici, à l'Hérauderie. Je voyage beaucoup entre les diverses provinces qui sont à ma charge en matière d'héraldique, notamment la Guyenne, parfois la Champagne et le Limousin, et je rentre me reposer chez moi, à la Maison Sidjéno, au Berry."

Autrement dit, à part le boulot, il n'avait pas grand-chose niveau "loisirs". Aujourd'hui, il arrivait à s'amuser en dessinant un blason, c'est dire s'il était devenu ennuyeux pour la plupart des mortels, et parfaitement intéressant pour les initiés. Puis vint la question à 1000 écus. Elle avait été posée d'un faux ton innocent, comme souvent, et le grand blond avait appris à s'y habituer.

"Et oui, je suis berrichon."

Et rien de plus. Il n'allait pas épiloguer sur ses opinions politiques ou diplomatiques, encore moins ce qui différait entre sa raison et son coeur. Et celui ou celle qui connaissait June un peu plus intimement que le commun des mortels savait ce qu'il choisirait entre les deux et ce, sans hésiter. Alors il n'avait rien à ajouter à sa réponse positive.

Rien de plus, à part un regard qui en disait long.

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Lucie
Non, ce n’est pas bien mais elle ne peut pas dire grand-chose de plus. Pas à lui tout au moins ; on ne reproche pas à son géniteur ses frasques passées quand on est la conséquence bien tangible de l’une de celles-ci. Alors elle tente d’assimiler la Fleur, de croire à son maladroit discours aussi. Un instant elle est tentée de le questionner sur cet héritage dont il parle. Quels traits de caractère se persuade-t-il d’avoir transmis à sa progéniture ? De quels atouts pense-t-il les avoir doté ? L’abyssale douceur qui lui colle à la peau lui vient-elle de lui ? Ou bien est-ce le courage dont il lui arrive de faire montre, ou les doutes qui la pétrissent, ou l’ambition qui depuis toujours la pousse à croire qu’elle doit s’élever au-dessus du monde dans lequel elle a vu le jour ? Encore et toujours les questions se bousculent à son esprit, l’embrouillant plus sûrement que la chaleur qui pèse sur la capitale. Elle se tait toutefois. Le berrichon lui a déjà offert un bon nombre de réponses qu’il lui faut disséquer si elle veut réussir à démêler l’écheveau complexe de ses sentiments et en rajouter encore ne serait pas sage. Pas déjà.

Lentement, hésitant un peu sur la manière dont elle doit formuler les choses, Lucie se redresse. Opte pour une neutralité sensiblement similaire à celle adoptée par celui qu’elle peut désormais appeler son père quand bien même elle est prête à tout sauf à le faire.


    - A moins que vous n’ayez aussi des questions je ne vais pas abuser plus longtemps de votre temps. Je crois que cette entrevue nous aura déjà donné assez de grain à moudre comme ça.

Et déjà son corps se tend vers la sortie. L’homme semble être un taiseux ; elle ne croit pas une seule seconde qu’il souhaite l’interroger sur ce qui compose sa vie à elle. Plus tard peut-être. L’espoir est permis après tout.
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June
Il était temps pour elle de partir, et il comprenait bien. Cette journée resterait gravée dans leurs mémoires à tous les deux. Il sentait qu'elle avait beaucoup, beaucoup d'autres questions ; après tout, ce n'était pas tous les jours que l'on rencontrait son père. Il lui faudrait apprendre un jour l'histoire de la famille, l'identité de son grand-père - toujours vivant -, visiter la Maison Sidjéno, apprendre son héritage familial, qu'il soit physique, de caractère ou de valeurs.

Mais, pour l'instant, elle souhaitait partir, et il n'allait pas la retenir.


"J'ai sûrement moins de questions que vous à poser. Sachez, Lucie, que vous pouvez revenir ici tant que vous le voudrez."

Il se lève, contourne le bureau et va jusqu'à la porte, où il tape trois coups. Elle s'ouvre et laisse découvrir le jeune page habituel.

"Nicolas, veuillez raccompagner la Vicomtesse jusqu'à l'entrée. Je vous remercie."

Le page acquiesce et attend que la jeune femme le rejoigne. June, lui, s'est tourné vers Lucie.

"Je voulais simplement vous dire que..." Il hésite. "Enfin, ce sera dit un peu dit maladroitement, mais je vous demande de m'en pardonner." Il fait un sourire gêné. "Je suis... Heureux, disons, que vous soyiez ma fille. Vous êtes une femme respectable, et vous semblez intelligente. Vous avez quelques traits de votre mère, et ce n'est pas pour me déplaire. Je ne vous parle pas de sentiments qu'un homme peut avoir pour une femme, je pense surtout à cette beauté qu'avait votre mère et que j'avais su admirer. Vous ressemblez beaucoup à votre grand-mère, aussi. Elle avait des traits purs, comme vous. Elle aurait été fière de vous savoir ma fille. Je vous parlerai d'elle, un jour. Si vous le voulez, bien sûr. Je..." Il cherche ses mots, et n'arrivant pas à en trouver de convaincants, part sur autre chose. "Je souhaitais aussi vous dire que vous m'appelez comme vous le désirez. Comme vous le ressentez. Si m'appeler par mon prénom, ou par mon nom héraldique Sylvestre vous semble plus simple, cela me va tant que cela vous convient aussi. Voilà. Je voulais juste vous dire ça."

Le jeune homme qu'avait été June il y avait bien des années semblait ressortir sur le devant de la scène. Timide mais toujours fier d'être lui. Proche de lui-même et de ses propres sentiments qu'il arrivait avec difficulté à retranscrire en mots. Il avait progressé sur le vocabulaire, mais s'était refermé peu à peu sur lui. Ce monde n'était pas prêt à accueillir les gens trop sentimentaux.
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Lucie
Figée entre père et porte, encore ici mais déjà un peu ailleurs, Saint-Jean revient à l’instant quand de maladroite bienveillance son père l’enveloppe, tentant (sans doute influencé par le discours de quelques professeurs de philosophie sur comment rédiger sa dissertation) de conclure leur entretien par une ouverture dont elle sait lui être reconnaissante en dépit de la comparaison à sa mère. Evidemment, il ne sait pas combien elle hait sa génitrice. Il ne peut pas deviner, lui qui n’a été qu’un amant de passage, qu’un client parmi d’autres, à quel point cette beauté héritée la dérange. Alors, se sentant (comme souvent) incapable de poser les mots justes sur ce qu’elle ressent, Lucie effleure la main de son père de la pulpe des doigts. Contact fugitif, volé presque, qui s’accompagne d’un regard au vert duquel on peut deviner le trouble qui l’habite, les sentiments contraires qui la poussent. Joie, inquiétude, stupeur, espoir, peur, vulnérabilité, tristesse. La liste est longue mais c’est sur un unique mot que Fleur s’étrangle avant de partir pour tenter, ailleurs, seule, d’intégrer tout ce qui c’est dit ici :

    - Merci.

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