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[RP] Plus rien ne peut m'atteindre.

Don.
Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.
Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.
Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.

Pardon à toi, Enor, qui n'aura pas été là pour éviter à mes genoux de s'esquinter. A pleurer ta femme, tu dois tant éprouver. Pourquoi est-ce à toi que je pense alors que je saigne à peine ? Il y a tant d'autres à qui mes pensées devraient être dédiées. Théodrik, Isaure, et même Gwilherm. Mes enfants aussi. Pourtant c'est à toi, mon écorché que j'adresse mes premières pensées. Il ne sera plus dit que je ne pense qu'à moi, que les autres m'indiffèrent et qu'à leur douleur je reste sourde. Non, parce que c'est à toi que je dois ces quelques semaines de vie et d'espoir. J'ai fermé les yeux sur une mort que j'attendais depuis longtemps. J'ai retenu mon souffle à Saint-Front, et j'ai réussi à sourire à ton bras. Est-ce grave de vouloir partir, finalement ? Suis-je aussi égoïste que les autres veulent bien le faire croire ? Je ne pense pas. Parce que je n'ai pas réitéré, j'ai attendu qu'ils soient tous heureux pour partir, vois-tu ? Isaure a enfin obtenu l'amour qu'elle espérait tant, Guénolé est en sécurité, auprès d'un prince qui remplace son père, Salomon dans le giron de sa marraine et Brynjar dans les bras d'un homme, d'un ami, qui s'en occupe bien mieux que moi. Théodrik pansera vite sa peine, aux cotés de sa sœur il retrouvera sa Norvège et la complicité que nous n'avons plus depuis longtemps. Nicolas m'a dit adieu, et puis il est avec toi, chaque jour, chaque heure, vous pourrez vous soutenir. Ensemble. Amarante vivra dans le souvenir, car seul le passé lui permet de respirer. Tiernvaël a déjà oublié, et dans ses draps a fait grandir la haine qui découle de celle qui n'a pas voulu venir malgré les promesses écrites. Peu importe, d'autres enfants me remplaceront et l'aimeront mieux. Esteban reste avec Papa, à qui j'ai rendu l'amour volé il y a tant d'années déjà. Alors vois-tu, je ne laisse personne derrière moi. Ou peut-être lui, elle, fragilité au plus profond de moi. Enfant à venir, qui ne verra pas. Finalement, n'est-ce pas mieux de lui éviter bien des souffrances et de l'emporter dans mes bras ? Nous partons, tous les deux. Il est temps. Il est l'heure.

Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.
Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.
Archibald n'est plus là pour m'en empêcher.




"Périgueux, c'est si joli ! Nous pourrions y vivre, et nous y élever. Les Glycines y sont si belles"
Isaure.

La lettre de son frère en main, Dôn escalade un léger talus. De l'autre côté une étendue pleine. L'eau reste sa meilleure alliée pour l'aider dans l'objectif qu'elle souhaite atteindre. Ici, personne ne viendra la sauver. Ici, elle est seule et l'unique personne susceptible de venir la secourir reste son époux qu'elle sait occupé pour la soirée.
Si le baquet fut trop étroit pour l'accueillir dans la mort, l'Ankou lui aura soufflé la nuit dernière, que rien ne valait mieux que l'immensité et les abysses. Disparaître où le monde l'a vu naître, rejoindre le centre de cette terre à laquelle Dana a emprunté les termes.

Chevilles plongent les premières, entraînant avec elles le coin d'un vélin à peine porté. La pointe est imbibée, parallèlement les cuisses de la destinataire blessée dévoilent au travers d'un linge lilial, la peau bosselée par le frisson s'invitant.
Derrière les paupières se dessine tout un monde. Celui dans lequel ils comprendraient tous. Résineux et farfadets seraient témoins d'une chute involontaire, et la pinière dévoilerait ses plus beaux secrets pour la laisser vivre en paix. Les fées qu'elle rêvait, batifoleraient à ses côtés dans une interprétation toute personnelle d'une danse macabre. Venez, venez ! Tenez donc mes linges, cornettes et autres pans déchiquetés.

Les vagues et les remous s'accablent aux genoux, pauvre âme au suicide renouvelé ne sait plus sur quel pied danser et ce sont alors les deux qui n'avancent plus et se voient ancrés au sable irrégulier.

Pourquoi ne pas plonger ? Pourquoi hésiter ? Ravier ne te retiendra pas, il n'y a plus à réfléchir ni penser. Laisse l'eau t'emporter, qu'elle soit calme ou agitée, elle s'immiscera, te pénétrera et ne laissera plus rien de toi. Paris a pris la gitane, le Périgord l'imitera. Si le feu détruit les preuves, stagneuse emporte avec elle les larmes que tu ne t'appliques même plus à cacher.

Au loin, il est difficile de distinguer cette silhouette esseulée qui ne sait franchir l'ultime épreuve. Sans cri, sans bruit, elle reste là. Immobile.

_________________
Iwanig
[Guingamp, avril 1458]

13 ans. Iwan – appelé Iwanig pour le distinguer de son paternel – va sur ses 13 ans. Plus vraiment un petit garçon, loin encore d’être un homme. Son corps change, irrémédiablement, et son père, jardinier au château, n’hésite désormais plus à le faire venir avec lui, car une paire de bras dont les muscles deviennent peu à peu saillants sont toujours les bienvenus pour le travail de la terre… Enfin, travail de la terre est bien exagéré, il ne s’agit en rien de labourer des terres agricoles regorgeant d’eau après un hiver des plus humides, comme le fait la très grande majorité de la populace, quel que soit son âge… Iwan, senior donc, requiert l’aide de son rejeton en pleine puberté pour entretenir avec soin les jardins d’un couple comtal déjà plus ouvert que d’autres de leurs contemporains aux sensibilités des arts renaissants et, de fait, n’a pas l’impression de lui imposer une corvée, au contraire, il lui met un pied à l’étrier pour éviter, justement, que son fils ne retombe à l’échelon social inférieur, celui de simple paysan… Iwan, junior cette fois ci, en est bien conscient, et s’applique à la tâche, écoute les précieux conseils de son père, ne voulant en rien le décevoir et, surtout, ne pas se retrouver à patauger dans la bouillasse des champs qu’il peut voir en regardant au-delà des remparts sur lesquels s’affaire, vu d’ici, une cohorte d’innombrables gueux en haillons, tels une colonie de fourmis au turbin pour leur reine. Jeune adolescent, fainéant de par sa nature, donc, mais pas dénué de jugeote, il n’a pas mis longtemps à faire le calcul simple que le jardin comtal était l’endroit le plus sûr pour en faire le moins possible sans en avoir l’air.

Le printemps s’affirme de plus en plus, depuis deux bonnes semaines désormais, les bourgeons sont à éclore et le soleil se fait plus vif, d’ailleurs, en cette fin de matinée, il commence même à faire chaud, au point que le jeune homme dont le corps n’est déjà plus du tout celui d’un enfant, retire sa chemise de lin grossier, dévoilant un très inesthétique bronzage agricole qui commence à se dessiner à rester dehors si régulièrement… Il se remet à l’ouvrage, à quatre pattes, décompactant la terre au pied des framboisiers, ces foutus framboisiers à propos desquels son père a dit « Taol evezh oute ! »(1) sans en donner la raison et pour lesquels il faut se contorsionner afin de les bichonner du mieux possible, surtout qu’il n’ont été plantés que l’année précédente…

Position inconfortable donc pour le jeune Trégorrois, quand, relevant le nez au milieu du feuillage naissant d'un vert éclatant, il perçoit une présence. Bien que n’y voyant pas très bien, il distingue une silhouette féminine, élégante et gracieuse. Plissant ses yeux bleus, Iwan découvre une peau blanche à souhait. Sans être grand clerc, il est certain que ce n’est pas une gueuse contrainte de s’exposer aux rayons solaires pendant le dur labeur des champs. Il reste là, le nez en l’air, dans sa position peu adéquate. Elle, paupières closes, le nez en l’air, face au soleil qui ferait office de projecteur, ressemble à une star de ciné, elle semble bien dans sa peau. Elle rouvre ses yeux, couleur menthe à l’eau, de ce que l’adolescent mâle peut en voir d’où il est, et elle se tourne vers un arbuste en fleur.

Avant d’être découvert et pris comme un vil voyeur, il se redresse, torse nu, et comme un paon, fait un sourire qui se veut charmeur, sans même savoir à qui il a affaire…Jeune et jolie brune au teint de lait, parsemé d’éphélides sur tout le visage – la perspective qu’il y en ait ailleurs ne manque pas de titiller son esprit juvénile -, richement mais sobrement vêtue. Elle doit être plus âgée que lui, à vue de nez, deux ans peut-être. Après avoir été dans la semi-pénombre sous les branchages, le jeune homme est désormais quelque peu ébloui par le soleil qui reflète sur la peau éclatante de son vis-à-vis, dont la gorge valorisée par un corset attire le regard. Qui est donc cette jeune demoiselle absorbée à regarder les fleurs blanches d’aubépines, effleurant du doigt le pointu d’une épines, et qui ne l’a pas encore remarqué ? Certainement la fille d’une courtisane de la comtesse, ou d’un chevalier au service du comte… bien mignonnette en tout cas, songe le jeune effronté qui se lance, pour attirer son attention, à lui déclamer un proverbe rimé dont la langue bretonne est si riche.


Pa teu ar bleñv ‘barzh ar spern-gwenn,
A dorr ar Goañv krenn.
Pa teu ar bleñv ‘barzh ar spern-du,
A goll ar Goañv e vertu.
(2)

Assez fier de lui, l’objectif est atteint et la jolie brune qu’il convoite à l’instant l’a remarqué… ombre au tableau qui commençait à prendre forme dans l’esprit en ébullition de l’adolescent, la demoiselle ne semble pas avoir tout compris et, en conséquence, il s’apprête à bafouiller quelque chose dans son français très approximatif quand une énorme paluche vient l’attraper par la peau du cou et le balance trois mètres en arrière. À demi-sonné par ce coup du sort, il entend néanmoins son géniteur – qu’il déteste à cet instant précis – se confondre en excuse.

Pardonnez mon fils, itron Gontez. (3) Un garçon gentil il est… Le père parle français mieux que le rejeton, mais un français traduit mot à mot, le vocabulaire est relativement maîtrisé, la syntaxe moins. …il ne savait pas qui vous êtes. Digarezit ac’hanomp ! (4)

Le sourire aimable et amusé de la jeune brune est ce qui frappe le plus Iwan le jeune, Iwanig, toujours posé niaisement sur son séant et qui était, à vrai dire, un peu inquiet à l’idée d’une correction bien plus forte venue de plus haut que son père, du fait de son imprudente impudence : il se dit en ville que le comte est jaloux. Mais nom d’un chien ! Cette créature qui le met en émoi est donc la comtesse de Guingamp, mais en plus elle est à peine plus vieille que lui ! Fichtre ! Une chose était sûre, il n’était pas près de l’oublier ! Oh que non !


Ce fut là leur première rencontre.





(1)Fais attention à eux !
(2) Quand l’aubépine est en fleur, l’hiver est terrassé/Quand le prunellier est en fleur, l’hiver perd sa force.
(3) Madame la comtesse. (4) Pardonnez nous !
Don.
Août exige le calme, l'apaisement, la plénitude. Grande eau ne souhaite trahir son supérieur, la saison ordonne, la nappe liquide exécute.
Où peuvent bien s'égarer les pensées de celle qui détruit tout, même sa propre existence ? Elles n'ont nulle part où aller, et c'est pour cette seule raison que ces dernières percutent l'unique nom présent en sa tête : Alphonse.
Axelle s'évade, laissant derrière elle une traînée de fumée pourpre. La soie rouge de ses étoffes valse avec l'incarnat flamboyant venu marquer les tendons du Skabell si vite aimé. Et en cet instant, elle se souvient des paroles soufflées à son front.


"Lui, ne vous a jamais connu qu’à vos deux mains, qu’à vos années salines, qu’à son soleil… Il ne sait rien de mon Nombril, de la sœur de Montfort, de la marraine d’Octave, de la mère de Bryjnar, rien du Ø qui trace désormais votre nom, ni de vos rires Isauriens… "

L'abandon gitan déposera un goût amer en la gorge nouée du Tabouret. L'Inestimable, qualité à laquelle on doit le prénom d'Antoine, vivra lui aussi orphelin d'un passé lui échappant déjà.
Que restait-il à Dôn, de tout ce bonheur que besson voyait actuellement s'envoler ? Enor, une fois encore se voulait semblable et éprouvait en parallèle d'une future suicidée.

Le baquet en fer forgé fait surface, bousculant un à un les souvenirs mauvais.
Le visage de Gwilherm était si gai, lorsque son épouse, heureuse, découvrait le présent si justement étudié. Jamais Kerdraon n'aurait pu penser que cette eau claire deviendrait une cruelle compagne. Et pourtant...

Le ventre se laisse submergé. En son sein, est couvé un petit être qui se retrouve là sans être désiré. Arrivé en silence, évoluant sans faire de bruit, il périra de la même façon. Sans avoir réellement existé.
La lettre de Nicolas est abandonnée, vélin flotte alors, totalement abîmé par les flots encore calmes. Dilué, le sang obscur de l'épître incendiaire s'échappe et laisse une nuée de reflets. La silhouette bretonne avance, et épouse l'eau confuse. Dôn se moque bien de son allure, et si l'encre vient marquer sa panse ce n'est que pour mieux écrire sa fin, dans l'infini l'accueillant à bras ouverts.

La gorge est atteinte, et pulse sourdement.
Reculer serait vain. Bientôt elle l'aura rejoint. Cet homme et ses sourires. Ces fameux sourires, cet œil pétillant de malice et ses mots. Surtout ses mots. Simples mais tendres.


"N’eus plac’h bravoc’h ha koantigoc’h evit ma Dôn."

J'arrive.
Aze emaon.





Spoiler:
N’eus plac’h bravoc’h ha koantigoc’h evit ma Dôn : il n’y a de femme plus belle et plus mignonne que ma Dôn
Aze emaon : Je suis là.

_________________
Iwanig
Les eaux du Trieux comme celles de la Dordogne ont bien coulé depuis que les yeux de l’adolescent se sont posés pour la première fois sur cette brune lunaire. Bien des tempêtes ont émaillées depuis lors l’Histoire de Bretagne, de France et peut-être même de Navarre… et bien des drames dans les histoires individuels de chacun. Heurs et bonheurs des destins singuliers. La vie.

Celle d’Iwanig avait tout pour être paisible et triste comme un jour de pluie sur le Méné Bré. Son statut ne lui permettait en rien d’espérer une élévation quelconque et, en toute honnêteté, il n’y aspirait pas. Sentir le vent dans ses cheveux, humer l’odeur de la pluie sur le sol chaud en plein été, regarder éclore quelques boutons de fleurs – parce que les fleurs c’est beau, surtout quand elles sont en boutons – ou encore tendre l’oreille pour distinguer le chant d’un chardonneret élégant d’une mésange bleue… l’homme de rien qu’il devait devenir était prêt à se satisfaire pleinement de ces plaisirs simples tout en profitant, par-ci par-là, d’autres plaisirs que la vie pourrait lui donner, mais rien d’extravagant. Quelqu’un de normal, pourquoi pas quelqu’un de bien. Juste quelqu'un de bien.

Mais ce qui doit être n’advient pas forcément et les affres d’événements majeurs bouleversent parfois, souvent, les êtres sans importance qui ne demandent rien. Iwanig, promis un temps à un avenir paisible de jardinier dans un château ouvert aux prémices de l’influence italienne, fut de ceux-ci. En avait-il été affecté ?… peut-être. Ou pas. Cela n’arriverait pas et c’était ainsi. Jeune homme désormais plein de vigueur et dont la légèreté d’âme lui évitait de s’appesantir inutilement sur le passé, il avait quitté le pays, son pays, pour parcourir les chemins sans trop savoir ce qu’il y cherchait ni où il allait. Quand le ventre sonnait creux, il vendait sa force de travail, ses bras, à un paysan ici ou là, contre une miche de pain et un lit de paille dans une grange. Seul son balluchon l’accompagnait partout et, le soir venu, après s’être systématiquement nettoyé ses mains de travailleur avec minutie, il en défaisait le nœud et, à la lueur de la lune ou d’une chandelle – parfois d’un cierge dérobé dans une église –, en sortait une sorte de tube de cuir, protégeant quelques papiers de bonne facture… qu’était-il couché là dessus ? Impossible de savoir dans le détail car, bien qu’ayant appris à lire, son intérêt ne se portait que sur quelques croquis exquis d’une silhouette fine et – péché ! – dénudée. Sous plusieurs angles, cette femme – car c’était bien celle d’une jeune femme – était représentée, sous les traits d’une déesse. C’était son trésor de guerre à lui. Il pouvait rester de longues minutes à la regarder, glissant ses doigts sur ce le vélin, effleurant de l’index une joue de papier, comme pour y effacer une larme alors que, pourtant, le modèle y respirait la joie de vivre… geste paradoxal, incompréhensible même. Les esquisses étaient sobres mais l’esprit du jeune Breton le colorisait… la peau s’éclairait très légèrement, se parsemait d’éphélides, et les yeux, surtout les yeux, prenaient une teinte menthe à l’eau.

Soir après soir, Iwan contemplait sa muse qui, de ce qu’il en savait, avait quitté le pays pour gagner des cieux plus cléments que la Bretagne guerrière et autodestructrice. Il n’en savait rien de plus. Elle était un souvenir éclatant, l’astre de ses nuits, le seul trait de mélancolie qui pouvait se manifester chez ce jeune homme à la fois insouciant et en même temps pleinement conscient que l’Ankou pouvait frapper à tout instant à la porte… Et l’autre monde que vendaient les hommes et les femmes d’Église lui semblait bien trop loin, pour ne pas dire bien trop hypothétique pour lui dicter sa conduite actuelle. L’ex futur jardinier devenu
foeter bro, comme on dit en breton, « parcoureur de pays », n’avait pas d’attache, pas de ligne de conduite, pas de plan tracé… juste sa conscience et son trésor de guerre conjugué à ce souvenir d’un matin de printemps, au pied des framboisiers de Guingamp.

Les aléas de ses pérégrinations désarticulées l’avaient menés dans le sud du royaume honni de son enfance… il en avait appris la langue par immersion et pouvait presque se fondre dans la masse. D’une ville à l’autre, d’une taverne à celle d’à côté, il partageait des moments avec des gens du cru ou d’autres vagabonds, échangeant les bons plans ou les patrons à éviter… Les ragots avaient une bonne place aussi entre deux bolées, voire deux rasades et, quand on tendait l’oreille comme il savait le faire, on pouvait en apprendre des choses. C’était par ce biais que, petit à petit, avait germé en lui l’idée qu’il pourrait espérer, peut-être, retrouver la trace de sa déesse antique, maîtresse de ses nuits, de ses songes, de ses désirs adolescent autant que de ces insomnies d’homme. Quand les langues commençaient à se délier sur les bizarreries du monde, les petits vices de son voisin ou les veuleries de sa voisine, dénonciations calomnieuses ou réellement fondées, il attendait le moment propice pour tenter de glaner des bribes d’informations.


- Une brune, lumineuse, yeux comment vous dites ? Menthe à quoi ? ‘M’ dit rien...
- Une petite brune, une main en moins.
- Ah ! Ben fallait commencer par là… elle est passée ici y a quelques temps...


Voilà le genre d’échanges fréquents qui l’avaient mené à amasser méticuleusement, au fil des mois, des années, des données ici et là… Il ne se résignait jamais à commencer par évoquer cette infirmité physique qu’il connaissait pourtant avant même son départ de Bretagne – puisqu’elle était antérieure à la guerre civile et à la disparition du comte – car elle était tout autre chose qu’un membre manquant de même qu’aucun mariage, remariage, qu’aucune grossesse ou retour de couche ne l’aurait arrêté. Chaque information glanée alimentait sa soif d’en savoir davantage et le rapprochait d’elle. Les semaines de retard étaient devenus des jours, les jours des heures, puis il avait fini par être au même endroit qu’elle.

Mais rien. Il n’était rien. Il n’était personne. Un simple fou, qui, ne sachant que faire de sa misérable existence, s’était donné pour but de retrouver cette femme à la vie plus que remplie et dans laquelle il savait pertinemment qu’il n’avait aucune place et qu’il ne pourrait en être autrement. Maintenant qu’il y était parvenu, comme tapi au pied des framboisiers, il n’osait bouger. Il l’avait vue passer en ville, l’avait regardée se balader avec son air triste comme compagnon, le long de la Dordogne… et lui, immobile, faisait semblant de ne se préoccuper du débit de l’eau. Il n’était rien et allait repartir parcourir le pays, sans but désormais… encore une nuit et il s’en irait.

Ce soir là, encore un soir d’été doux et lumineux, il avait ouvert son balluchon, jeté un œil aux croquis, esquissé un sourire et essuyé une larme, non sur sa joue tracée sur le parchemin mais sur la sienne, d’un revers de main. Une page allait se tourner même si, pour l’heure, c’était lui qui tournait et retournait sur sa couche de paille qui, pour la première fois, lui semblait inconfortable au point de le pousser à aller marcher le long d’un sentier désert longeant la rivière. Des pas, des dizaines de pas, des centaines de pas, puis une silhouette, certes moins fine et plus vêtue que sur le vélin, mais tellement semblable dans la posture et qu’il connaît par cœur. Et ce teint de lait qui luit à plusieurs mètres, sous l’effet de la lune, comme l’effet du soleil sur la même peau l’avait ébloui ce matin d’avril. Et cette main manquante dont le moignon est proche de toucher l’eau alors que les doigts de l’autre y sont déjà, comme la moitié du corps…

Tel un chat, Iwan approche sans bruit, les mouvements de l’eau l’y aident. Elle, absorbée par ses pensées sombres, ne le pressent pas. Il n’est rien. La détresse qui se dégage de ce corps semi-immergé font accélérer les palpitations du jeune homme. Ses sens se décuplent. Il tend l’oreille et l’entend murmurer dans une langue que seul lui, ici, pourrait comprendre, mais ce n’est pas à lui qu’il parle… c’est à son bretonnant à elle, celui qui l’a toujours aimé et qui, pourtant, l’a laissé seule face à la misère du monde, son bouclier qui s’est laissé abattre et l’a laissée sans protection. Elle lui parle à lui. Elle arrive pour lui comme s’il était là, de l’autre côté de la rive, main dans la main avec l’Ankou… et il y est sans doute, sur l’autre rive. Il vit en elle comme elle vit en lui, chacun dans le monde qui est le sien désormais. Iwan, proche d’être agnostique pourtant, est troublé par cet instant, cet échange mystique entre deux êtres qui se sont tant aimés, qui s’aiment sans doute encore, d’une certaine manière – seul ce qu’on a perdu nous appartient à jamais. Il clos ses yeux un très court instant, de peur qu’elle ait disparu ensuite, inspire, puis se fend d’un nouveau proverbe, bien moins léger qu’à la fin de l’hiver 1458.


N’eo ket karget d’ar re varv
D’ober lezenn d’ar re vev.
(1)

Il s’est lancé, brisant la monotonie du bruit de l’eau, brisant le charme du lien entre le monde des vivants et des morts… il n’est rien ni personne, pourtant.


Spoiler:

(1) Note de prononciation : le v terminal se prononce ici [o] ce qui donne en prononciation approchante [né ké karguètte d'ar ré varo/D'obère lézènn d'ar ré véo]
Traduction : Les morts ne sont par chargés/De dicter leur conduite aux vivants.

Au générique : Brel.
Enzo Enzo.
Eddy Mitchell, toujours.
Miossec.
Don.
L'eau venait enfin posséder son âme et dans une descente douce mais assurée, Dôn ferme les yeux sur le monde auquel elle vient de dire adieu.
Sa poitrine se comprime bien malgré elle, et si le temps lui paraît suspendu c'est pour lui assurer que la faucheuse accueille toujours les volontaires. Messager de la mort, l'Ankou apparaît sous ses paupières et subitement, bretonne semble en ressentir l'existence.
Percutante, violente, brutale. L'approche est plus brusque qu'elle ne l'aurait imaginé. Le souvenir du baquet lui revient, tout était doux, elle était sereine et partait en s'endormant. Le souffle coupé, le cœur silencieux.
Là, son sein lui fait mal, et sa tête aussi. Son corps tout entier semble être tiré en arrière, et encerclé par une corde à la résistance douloureuse.
Maudit ! C'est Archibald ! Comment pouvait-il savoir ? Pourquoi est-il ici ? Ne pourrait-elle donc pas s'en aller, sans que Ravier ne vienne l'en empêcher ?
Sédition se fait sentir et de sa senestre, Røykkness agrippe le bras l'empoignant. La force lui manque mais immergée malgré elle, sa tête ordonne de maintenir l'insurrection.

A mort la survie !

Mais l'homme est plus fort, et jamais ne cesse de sauver celle qui doit l'être. Dans cette lutte corporelle, la brune perd dès le début et cède finalement la victoire à cet inconnu qu'elle prend encore pour son ami, qui au bout de quelques instants aura dévoré son peu de force restante.
Dukke ne fut jamais si bien nommée, et telle une poupée de chiffon, une poupée qui dit non, elle se retrouve allongée en bord de rive, essoufflée d'avoir bataillé pour obtenir le droit de rejoindre le bréhatin. La main se scelle à celle, plus large de son bienfaiteur. Le contact est étrange, ardent, bien que l'eau ruisselle encore sur leurs deux silhouettes échouées. Poitrail se soulève au rythme des respirations parallèles, et cette alliance de deux êtres qui ne se connaissent pas encore ne prédit que du bon. La colère qui animait Dana il y a quelques instants, laissent place à la surprise que vient lui faire le bonheur d'être en vie. Elle respire, et lui aussi.

De longues minutes s'écoulent avant que la décence n'exige une séparation des dermes. Fluides s'évaporent trop lentement pour que la rupture des tissus se fasse en silence et gênée par cette situation, la jeune femme sera la première à - essayer de - prendre la parole. Mais rien n'est simple, lors de cette soirée et la gorge blanche se retrouve muette à la découverte de son sauveur. Ce n'est pas une stupeur découlant d'un souvenir. Non, aucunement. Ce qu'elle remarque à la vue de ce visage c'est celui qu'elle ne s'attendait pas à voir. Il n'est ni son époux, ni Archibald et bien moins près de ressembler à Gwilherm. Et pourtant, c'est à lui qu'elle doit la vie. Des lianes que sont ses bras, il venait d'extirper la muse des eaux troublées, enfin libérée, elle peut observer de ses cobalts cette étrange présence à ses côtés.


Qui est-il ? Que fait-il ici ? Pourquoi avoir fait cela ?
De nombreux questionnements s'imposent encore à elle, le temps de la contemplation. Il ne dit rien, et finalement, elle non plus. Un vent léger s'invite et tente en vain de décoiffer davantage la malheureuse. Les mèches brunes sont lourdes et épousent quelques parcelles de son visage. La joue est la moins épargnée, la gorge suit de près. Ces cicatrises temporaires ne gênent pourtant en rien la parturiente allongée sur le flanc droit. Il y a encore quelques instants, ce dernier ne faisait qu'un avec celui, qui dans son dos, se rivait à elle sans le vouloir. Décidément, ne devenait-elle pas une habituée des valses éteintes ? Son bassin accueillait régulièrement les assauts d'une Norvège avec qui Bretagne se fâchait sans cesse, et entre deux espoirs il se noyait pour enfin dansait contre le ventre de ceux qui ne voulaient pas la voir disparaître.

Curieuse rencontre pour ces deux là, qui commençait par une liaison fâcheuse.

_________________
Iwanig
Il n’était rien, bien sûr, surtout pour elle, mais crédulement, empreint d’une forme naturelle de confiance en lui, il avait tout de même espéré que le son d’une voix, connue ou inconnue, détournerait la Lumineuse de ses funestes projets mais elle était décidée à passer dans l’ombre définitivement. Avait-elle entendu la sentence pseudo-britto-philosophique et celle-ci avait-elle précipité son geste ou, tout simplement, abrutie par ses sombres pensées, percluse par le froid de l’eau, elle avait renoncé à lutter et ses jambes s’étaient dérobées sous elle ? Le vagabond l’ignorait.

La mélancolie, qui vient, qui coule, avait emporté son âme tout doucement, elle s’était blottie contre ce sentiment ambigu, et plus encore contre lui, son marin, son mari. Le premier. Jeune et pétillante elle avait été à ses côtés et était prête à s’abandonner à nouveau à lui. Irrémédiablement. Sans possibilité de retour. Ce soir, les sirènes chantaient en langue celtique et l’être aquatique était un mâle, un homme défunt, ne venant pas perdre son prochain mais récupérer celle qui avait été sienne… de l’autre côté de la rive ou au fond de l’eau, il était là, à l’attendre, à l’attirer vers l’autre monde, s’il existait.

Sous les yeux éberlués d’Iwan, la silhouette reflétant l’astre nocturne s’était enfoncée brusquement… il aurait pu considérer que ce geste lui appartenait à elle seule et que, de fait, il aurait dû la laisser partir si c’était là son souhait mais, égoïstement, le jeune homme ne pouvait consentir à ce que celle qui, toutes ces années durant, dans toutes ses pérégrinations, couchée sur un vélin, avait été sa seule compagnie, sa seule constance, sa seule attache, l’abandonne ainsi.

Quelques heures plus tôt, après l’avoir enfin trouvée, le Breton était décidé à tourner la page, à retourner à sa vie de rien, de
foeter bro, à reprendre la route, n’importe laquelle, mais, maintenant qu’elle était sous ses yeux – ou pour être exact, qu’elle venait de se volatiliser dans l’Isle -, il était incapable de consentir à cette séparation brutale. Instinctivement, son corps se mit en mouvement. Jeune, assez bien bâti, sans difformité physique à proprement parler, travaillant aux champs pour gagner sa croûte, il ne faisait aucun doute qu’il aurait le dessus… et pourtant, le combat fut âpre, les lois de la physique ne l’aidaient pas, ce corps féminin, pourtant léger, conjugué à la force du courant, était devenu aussi lourd qu’un menhir et, surtout, la nymphe étant ardemment convoité par Oberour ar Marv, l’Ouvrier de la Mort, guidant dextre et senestre du Bréhatin… L’énergie du désespoir du combat perdu d’avance contre l’Ankou l’aida ou, pour mieux dire, l’obligea, à se surpasser, dans un dernier mouvement qui aurait pu l’entraîner également vers un monde où, lui, personne ne l’attendait. Son torse contre le dos menu, ses bras puissants enserrant fermement son buste – sous sa poitrine et au-dessus de son ventre rebondi de 7 mois –, interdisant tout mouvement à la suicidaire, il parvint à la soulever hors de l’eau et à s’en extirper lui même, écroulant sur la berge leurs deux corps exténués, sur leurs flancs droits.

L’étreinte contrainte se relâche, les poumons se remplissent à nouveau normalement d’air. Elle ne cherche pas à bouger, lui non plus. La lune est le seul témoin de cette victoire sur la mort. Le premier mouvement vient d’elle. Cherche-t-elle à se libérer ? Doit-il bouger ? Le bras couvert d’éphélides passe sur le sien et les doigts fins viennent se mêler aux siens. Il en a un haut-le-cœur, et l’expiration suivante – plus forte que les précédentes par conséquent – vient caresser la cicatrice dont sa nuque est ornée, et mourir contre les ruisselants cheveux courts et noirs.

Le vagabond s’était entiché d’une silhouette sur un parchemin, celle-ci a pris vie devant ses yeux en voulant se donner la mort et voilà que, pour l’avoir sauvée, il a le sentiment que son cœur va exploser dans sa poitrine maintenant que leurs doigts font connaissance, sur cette plage inconfortable de laquelle, pourtant, malgré la pierre lui labourant les côtes, il ne veut absolument pas bouger. Chaque respiration colle davantage leurs corps détrempées l’un contre l’autre, resserre encore leur proximité aussi embarrassante qu’ambiguë. Il n’était personne, ne sera bientôt plus personne, mais, pour un instant, pour un instant seulement, il veut croire qu’ils partiront ensemble, qu’elle le suivra… et que si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être.

Deuxième mouvement. L’étreinte se desserre. Il ne la retient évidemment pas. Elle va partir, sans un mot, il en est certain. Et puis non. Elle a pivoté sur le dos, mais est toujours là, contre tout attente. Elle regarde les étoiles, la lune qui se reflète avec éclat sur sa peau désormais humide. À quoi peut-elle bien penser ? Lui, toujours sur le flanc, la pierre sous les côtes, reste immobile à la regarder, et pense à ce qu’elle peut bien penser… peut-être attend-elle qu’il parte. La bienséance l’imposerait sans doute à tout gentilhomme bien éduqué. Oui mais voilà, il n’est ni gentilhomme, ni éduqué et, plus que tout, le Breton est hypnotisé par la lumière qui émane de la nymphe ressuscitée dont la tête se tourne finalement vers lui, sans un mot, à peine peut-il deviner l’esquisse de fossettes et se plaît-il à croire qu’elle lui sourit. Peut-être à tort.

L’eau de l’Isle qui a failli avoir raison d’elle ne fut pas la première à couler sur ses joues, bien des larmes ont dû creuser des sillons roulant sur les tâches de rousseurs comme l’eau sur les galets… l’assurance des yeux menthe à l’eau s’était effacée. Les lacrimations avaient depuis longtemps dilué la menthe et, ce soir là, étendu sur la berge, il était difficile de savoir si c’était les larmes ou bien l’eau de la rivière qui embuait encore ses mirettes dans lesquelles il avait planté son regard marron-vert. Il faudrait qu’il lui parle à tout prix, mais il n’y parvient pas. Cela lui semble ridicule, il ne veut pas briser l’instant fragile, profiter du silence immobile de leur rencontre…

Il tente un sourire, une esquisse du moins. Et de sa main gauche, il dégage une mèche brune et humide qui venait d’entraver le regard de la Lumineuse, caressant légèrement de la paume rugueuse de travailleur cette joue qui s’avère être douce et délicate. Une comtesse reste une comtesse ; il n'est rien, ni personne. Son sourire s’attriste, sensiblement.



Spoiler:
Au générique : Miossec.
Brel.
Christophe.

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Don.
D'une main il vient cueillir les peines inondées, ce geste alimente le réconfort espéré. Désolée, elle ne parvient pour l'instant pas à faire un mouvement dans sa direction. Ses grands yeux bleus se perdent dans l'observation distraite de son sauveur. Sans le regarder, elle voit, se souvient, se rappelle. Pas de lui non, ingrate ! Mais de celui qu'elle espérait rejoindre sur l'autre rive, dans l'autre monde.

Aze emaout... ?

Chimère s'installe en l'esprit égaré et lui laisse croire que sa peau est effleurée par celle du Harscouët disparu à jamais. Qu'il est doux ce contact, qu'il est bon de le savoir auprès d'elle.
Les paupières sont désormais closes et le voile de sa peau se hérisse aux émotions ressenties, aux souvenirs alanguis. Elle se souvient de cette pluie providentielle, des lippes scellées sous l'onction destinée à les lier, de son désir à contenir, des gestes hâtifs et maladroits d'une pucelle qu'elle incarnait encore il y a quelques années.


Aze emaout Gwilherm ?

Mais aucune réponse ne vient.

Gwilherm...

Et pour cause, il n'est pas là, il n'est plus là depuis bien des années.
Pensées se bousculent et dispersent au vent les derniers agissements. Ce baiser sur les lèvres trop froides et fermées d'un homme allongé dans cette Eglise construite sous ses directives. Elles étaient là, Tuatha, Amarante et surtout Lallie. Sa main dans la sienne, un soutien qu'elle n'espérait pas pour un adieu qui ensuite fut bien plus rude à supporter que tout le reste. La perte de son grand amour fut ponctué par l'abandon d'une seconde mère, matriarche des espoirs d'une Dana dépassée et dans l'erreur.

Tous les échanges se mélangent. Le comte disparu, le duc de Brieuc, maître de la rudesse et enfin Norvège et ses promesses.
Un vent glacial vient faire trembler les côtes de l'évanouie. Rêveuse, elle embrasse une dernière fois la terrible mélancolie s’immisçant en ses songes. La réalité revient petit à petit et heurte le palpitant au rythme inquiétant. Gwilherm est mort. Equemont l'est aussi. Røykkness ne l'aime plus, c'est tout du moins ce qu'elle pense là, en cet instant précédant l'ouverture sur le monde et ses annexes dont Iwan présentement face à elle, est une partie intégrante.

Retour brutal.

Dans un mouvement qu'il serait possible de qualifier de désespéré, son bras vient barrer celui du jeune homme venu l'aider. Le geste traduit sa peur, sa peur du contact déplacé, sa peur des mauvaises passes, des actes malheureux. Dans le temps suivant, l'échine s'étend jusqu'à permettre à la noyée miraculée de se dresser face à lui. Pourtant assise, la bretonne parvient à se mouvoir suffisamment afin d'atteindre la silhouette voisine. Elle se jette sur lui, comme la misère sur le pauvre monde. Pouvait-il s'y attendre ? Impossible. Dôn et sa colère, Dôn et ses réactions. Telle les flots d'un océan déchaîné, elle vient engloutir sur son passage, ceux qui osent s'y dresser. Qu'ils soient de bonnes intentions ou non.
Iwan est donc le souffre douleur fraîchement nommé, par la folie Kerdragonne, et une fois accrochée à cette victime nouvelle, elle vient le marteler de coups comme pour les autres avant lui. Comme Archibald dans cette forêt, comme Nicolas au pied de Saint-Front, comme Isaure au détour d'un comptoir. Elle frappe et ne décide d'arrêter que lorsque son corps n'a plus la force de continuer. Alors les poings ralentissent, jusqu'à émettre les échos d'un nouveau raz-de-marée à venir, celui des rivières salées. Pleurs surviennent et se fondent à nouveau avec le tissu d'une chemise déjà maltraitée. Elle sanglote brièvement, contre l'homme qui ne doit plus rien y comprendre. Elle, cliché d'une désabusée, se fiche de ce qu'il peut penser, il est là et cela lui suffit bien. Voilà un pantin utile à souhait, elle s'en servira de mouchoir pour quelques instants encore avant d'oser un recul et d'observer les traits qui ne lui disent toujours rien.


Perak? Ne oa ket dleet deoc'h... morse ! Morse !

Merci.

Piv...?

Qui êtes-vous ? Que faisiez-vous ici ?

N'eus forzh.
Deomp.


Pitié.
Ne me laissez pas.
Je ne suis plus rien, ni personne.





Aze emaout : Tu es là.
Pourquoi ? Vous n'auriez pas dû. Jamais. Jamais... : Perak ? Ne oa ket dleet deoc'h... morse ! Morse !
Qui : Piv
Peu importe : N'eus forzh.
Partons : Deomp

_________________
Iwanig
Les grands yeux le scrutent, embués par les larmes qui viennent échoir l’une après l’autre sous les doigts masculins, et peu à peu se noient dans le passé, dans l’irraison aussi. Un monde où les morts sont là et les vivants n’existent plus… le spectre bréhatin prend corps, à nouveau, non plus de l’autre côté de la berge, non plus au fond de l’eau, mais sous les traits d’un Iwan qui ne lui ressemble pas franchement… Mais le physique a-t-il encore une importance ? Le vagabond n’est-il pas pour autant responsable de la méprise qui germe dans l’esprit de la Lumineuse ? N’a-t-il pas planté en elle la graine du doute en usant, ici, en territoire barbare, de la langue des bardes qui chantaient la terre et la mer, la pluie et le vent dans son enfance et dans les jours d’insouciance. Dans les jours encore heureux.

Elle l’interroge. Du regard d’abord, il ne répond rien. Les yeux égarés se ferment et l’interrogation revient, dans l’idiome celtique. Iwan le Jeune reste muet, à nouveau. Son pouce, marqué par une cicatrice sur l’ongle du fait d’un coup de faucille mal ajusté, vient recueillir et écraser avec bienveillance les productions lacrymales sur les éphélides bénies.

La Lune s’éclipse sous un nuage. La peau de lait cesse d’éblouir, les yeux menthe-à-l’eau se rouvrent dans la pénombre. Elle a compris. Le bras du Trégorrois est barré par le seul totalement valide de la nymphe. Miraculée et désormais comme possédée, elle se meut, tant bien que mal, vers lui, sur lui, et assène des coups qu’elle veut violents… mais suffocante quelques minutes avant, son petit poing n’est guère capable d’être à la hauteur de la tristesse, de la désillusion de ne pas être à côté d’un être aimé – mari défunt ou non, ami sincère ou non – mais d’un sombre inconnu, qui se comporte de surcroît comme un intime, trop intime. Cette main sur la joue, cette tendresse manifeste, est la goutte d’eau faisant déborder un vase déjà rempli d’une ondée de larmes…

La main serrée frappe de manière désordonnée. Le moignon, cicatrice nette et propre au niveau du poignet, l’imite. Le
foeter bro ne bronche pas. Pas un mot, pas une protestation. Les coups sur la gueule, il a connu. Son père, bichonneur de fleurs dans les jardins des châtelains guingampais, se perdait régulièrement dans les tavernes de ladite cité, à se noyer dans des choppes d’étain qui ne restaient pas longtemps pleines… quand Iwan le Vieux tardait à rentrer au logis, le Jeune devait aller le chercher. Trouver d’abord le lieu où il éclusait puis oser en franchir le seuil. Mais devant ses compères de boisson, le jardinier respecté, le poète fabuleux, le chanteur de gwerz mémorable se montrait affable, protecteur avec sa progéniture, c’était seulement bien éloigné de tout regard que la violence surgissait, sans crier gare, selon l’humeur du moment. Iwan avait 7 ans quand la main se leva la première fois sur lui. Les hématomes, les côtes fêlées, les cheveux arrachés par poignée, le nez qui saigne, il avait connu. Alors, quand la petite main fine et blanche se referme sur elle même pour le frapper, il ne dit rien, laisse passer l’orage et, surtout, laisse la déception – qu’il juge compréhensible – de la femme enceinte s’exprimer, s’évacuer…

La douleur n’est que relative et l’essoufflement vient vite y mettre un terme. La cadence des coups diminue à mesure que les yeux bleus se gorgent de larmes, il le voit, le sent. Elle ne frappe plus vraiment, elle effleure, caresse presque, sans le vouloir. L’énergie n’y est plus. Le Breton se redresse, fait face à la Bretonne et quand le front de cette dernière s’affaisse sur son épaule dans une complainte pluvieuse de larmes, il déploie ses bras forts qui, quelques poignées de minutes plus tôt, l’avaient extirpée hors de l’eau, pour venir l’enserrer, ou plutôt la recouvrir, délicatement. Se referment dans le dos menu les manches humides de la chemise à demi déchirée du vagabond, les mains larges héritées de son paternel – encore lui – n’osant se poser réellement sur la frêle créature contre lui, éplorée la tête sur le haut de son torse. La déception de la muse de ses nuits d’errances a laissé place à la tristesse.

Les pleurs féminins se calment. Le palpitant masculin aussi, en cadence du moins mais pas en intensité ; il tambourine fortement à chaque battement dans une poitrine qui semble désormais trop étroite pour lui. Les torrents lacrymaux ont laissé place à des sanglots étouffés et plaintifs.
La Lumineuse se recule, dévisage l’homme de rien, scrute les traits de son sauveur du jour pour peut-être ne pas les oublier ou alors simplement pour juger si ses coups ont été fructueux, s’il gardera trace de sa fureur soudaine. Ses grands yeux interrogent, puis la bouche boudeuse, pulpeuse, inquisitrice, reproche puis questionne. Iwan se rapproche à nouveau, leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre, il clôt ses yeux brièvement, le temps d’une inspiration longue, profonde. Il hésite, sa gorge est aussi sèche que ses vêtements, sa peau, ses os, sont humides. Il entrouvre ses lèvres, légèrement, et murmure, chuchote, dans un souffle chaud.


Me zo amañ. (1)

En prononçant ces mots, il a, volontairement ou non, insisté sur le premier, masquant presque l’accent tonique qui aurait dû se porter sur la pénultième syllabe. Prononciation intentionnelle ou non, termes savamment réfléchis ou non, ces trois mots murmurés sont désormais là, dans l’air et dans l’esprit de celle qui les a entendus… leur interprétation immédiate puis, surtout, leur ressassement sous une couette en plume d’oies, au milieu des nuits aussi douillettes que sombres de l’ancienne comtesse, déterminera pour beaucoup la route à venir de ceux deux êtres que tout oppose, que tout rassemble aussi. Leurs regards se font face, ne se lâchent pas. Une dernière larme vient rouler sur la joue laiteuse émaillée de pigments de feu ; elle court jusqu’au menton puis se laisse mourir dans une chute vertigineuse.

Probablement sans corrélation avec cet événement banal, c’est à cet instant que la jeune brune décide de mettre son corps en mouvement, se redressant d’abord sur ses genoux, dos cambré et ventre inévitablement proéminent – bien que loin d’être au faîte de son extension prénatale – et sans pour autant céder au regard posé dans le sien. Le geste ne suffisant pas, la parole suit et ordonne un départ, conjugué à la première personne du pluriel, l’esquisse d’un « nous » qui resserre à nouveau l’étreinte du muscle cardiaque du vagabond. Ce mot là, cet ordre, agitera quant à lui les insomnies à venir sur lit de paille. À chacun ses divagations nocturnes.

La détermination dont elle veut se parer face à cet inconnu dont elle sait juste qu’il parle breton – mais que fout-il là, nom d’un chien ?! – ne fait guère illusion, tout son être crie le désespoir... on ne se jette pas dans les bras de l’Ankou pour le plaisir du frisson, Iwan le sait autant qu’elle. Il est là, toujours. Regard bienveillant posé sur elle. Sans jugement. Sans question . Sans réponse non plus. Il sait le mal-être de la Lumineuse et celle-ci sait qu’il sait. Il se lève, lui tend la main pour qu’elle se hisse de ses genoux où elle se tient sur ses pieds. Il esquisse un sourire léger – et sans doute un peu niais – en la bouffant des yeux, moment bref qu’il aurait voulu voir se prolonger infiniment ou, au moins, l’instant de lui dire qu’il faut aimer la vie et l’aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui les rêves des enfants et tant d’autres choses… L’embuage des yeux s’apprêtait à changer de camp, sa virilité lui impose de le dissimuler au plus vite. Tous deux debout désormais, l’heure est venu de quitter cette berge. L’heure est venue de se séparer aussi.

Pas un mot. Il amorce quelques pas, se retourne. Elle a commencé à avancer dans l’autre direction, vers la partie de la ville à l’abri des remparts, là où les vagabonds ne sont pas les bienvenus. Il reprend son chemin. Peut-être se retournera-t-elle quand, à son tour, il ne la regardera plus. Ou pas.

C’était une rencontre, c’était un adieu.

Il expire lentement, lourdement, en faisant quelques pas. Une larme perle sur sa joue. Maintenant qu’elle ne peut voir cette émotion, il s’en moque. Dans le sentier étroit qu’il emprunte, sa chemise déjà amochée par les événements de la nuit est accrochée par une ronce, il se pique l’index en la retirant, se mord la lèvre pour ne pas jurer et, pour s’indemniser du forfait de la flore, s’apprête à manger les premiers fruits à point de l’agresseuse… il cueille quelques baies qu’il place au creux de sa main, les regarde, se retourne d’un coup, dans la direction opposée et s’adresse distinctement à la silhouette qui s’en retourne vers sa vie aussi confortable que triste…


Kontez ! ’M eus ket flambouez da brofañ dit met mouar zo amañ… ma ’peus naon, ma ’peus c’hoant... (2)

Il ignorait si elle l’avait entendu, si elle avait même voulu l’entendre… mais cette phrase donnait quelques clés à la Lumineuse pour identifier potentiellement cette ombre surgie de nulle part… Il tourna ses talons et retourna de là où il venait, c'est-à-dire de nulle part.


Spoiler:

Traduction : (1) Moi, je suis là.
(2) Comtesse ! Je n’ai pas de framboises à t’offrir mais il y a des mûres ici… Si tu as faim, si tu as envie...

Au générique : Denez Prigent, Gwerz ar Vezhinerien.
Renaud.

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