Theodrik
Titre d'NTM.
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[Le 21 septembre]
Quand Théo est mort, il n’a pas vu sa vie défiler. Il s’y attendait et l’avait imaginé toute la soirée. Mais à la seconde précise où son cerveau s’éteignit brusquement, comme l’écran d’un vieux téléviseur en pleine panne de jus, il n’y eut plus qu’une seule image. Sa tête, tombée tout près d’une flaque, aurait pu y rêver les grands lacs de son pays. Sa mère y serait apparue, belle forcément parce que partie trop tôt pour s’attirer les ingratitudes de sa progéniture. Son père aussi, peut être, ombre inquiétante qui plane toujours non loin. Et sa sœur. Sa précieuse sœur et la montagne de regrets et de remords, plus lourde que tout son poids affalé contre le sol boueux. Il n’a pas non plus vu ses bourreaux. Eux qui sont venus dans ce tripot moisi chercher leur dû et qui ont brandi la faux contre les poches vides. Théo connaissait les règles. Il aurait pu s’en ériger une fureur de vivre ou de survivre et lutter. Mais il s’était fait à l’idée avec un remarquable sang froid, pas parce qu’il ne craignait pas la mort mais parce qu’il avait eu la confirmation quelques minutes plus tôt qu’aucun mal ne serait fait à sa famille. Il connaissait les règles et ça n’est pas parce qu’elles s’appliqueraient à son cas qu’elles changeraient. Il aurait bien tremblé, pleuré, chié dans son froc, tout ça peut être à la fois, mais il était juste tombé sous les lames. Tout simplement. Il n’a pas vu ses amis. Sa bande de dézingués, ceux de ses premières heures en France. Cassian, Isaure, Léo, Héloïse. Cassian l’exubérant et sa Beaumont liés par le sang de la paume. Héloïse et ses promesses de toujours, sa peau de lait et ses joues qui fleurissent quand viennent les ébats. Il n’en a vu aucun. Même pas Ravier, son meilleur ami et sac de frappes, qui avait pourtant été prévenu quelques heures plus tôt de sa mouise. Il n’entendit pas la voix de Canéda cingler des remarques habiles dans un sourire charmant, ni le timbre doux de celle de Madeleine. Quand sa tête tomba, quand le choc rompit avec ses derniers souffles, Théo ne vit rien de tout ça. Sous ses yeux, il n’y avait qu’une flaque de boue et la sensation visqueuse sur sa joue. Et qu’importe ce qu’il a vu dans cette flaque, et la tourbe dans laquelle il est mort, cette nuit-là. Sa dernière pensée s’imposa plus fermement qu’aucune vue. Il y avait dans sa tête et à jamais le portrait brossé par ses soins de sa femme et de ses deux enfants. Il les aima si purement, à cet ultime instant, qu’il en oublia les incompréhensions, les doutes et les absences. Dana était encore cette désarmante poupée, belle à s’en damner, tenant à bout de bras sa fierté de gamin et sa toute jeune crevette. Il parait qu’on sublime les défunts, mais c’est pour le défunt que les vivants s’étaient sublimés.
C’est arrivé une nuit, près de chez de chez toi. Théo n’avait plus l’air d’un père de famille. Il a même toujours eu la gueule du coupable, avec sa boucle à l’oreille et son air réfractaire qui pue la rue. Son nez fourbe, enfoncé dans la bourbe. Il n’est pas mort dignement et ne sera pas chanté en héros. Sa dépouille maculée et un dernier mot de sa main furent remis le lendemain, comme un colis piégé, à son épouse.
Citation:
Dukke,
Je ne voulais pas partir. Parlez de moi aux enfants, condamnez-moi s'il le faut, mais ne les laissez pas croire que je les abandonne de mon plein gré. Ne laissez pas Brynjar aux mains de clercs ou de chevaliers, faîtes-lui apprendre les chiffres. Apprenez-lui à prendre des coups. Faîtes Deirdre aussi jolie que sa mère, qu'elle ait vos passions inexplicables. Répétez-lui que son père l'a aimée de la manière que vous, au premier regard, que je sais déjà quelle femme elle sera. Racontez leur notre rencontre, comme je guettais vos rires, et toutes les autres, avant le premier avril.
Pardonne-moi, mon amour, je rejoins tes fantômes pour mieux les tuer.
Je n'emporte rien que la sensation de mes doigts sur la pente de bosselettes, le long de votre dos, votre sourire à trous et le chant des oiseaux.
Jeg elsker deg. Da garout a ran, Spontus.
Je t'aime,
Théodrik.
Je ne voulais pas partir. Parlez de moi aux enfants, condamnez-moi s'il le faut, mais ne les laissez pas croire que je les abandonne de mon plein gré. Ne laissez pas Brynjar aux mains de clercs ou de chevaliers, faîtes-lui apprendre les chiffres. Apprenez-lui à prendre des coups. Faîtes Deirdre aussi jolie que sa mère, qu'elle ait vos passions inexplicables. Répétez-lui que son père l'a aimée de la manière que vous, au premier regard, que je sais déjà quelle femme elle sera. Racontez leur notre rencontre, comme je guettais vos rires, et toutes les autres, avant le premier avril.
Pardonne-moi, mon amour, je rejoins tes fantômes pour mieux les tuer.
Je n'emporte rien que la sensation de mes doigts sur la pente de bosselettes, le long de votre dos, votre sourire à trous et le chant des oiseaux.
Jeg elsker deg. Da garout a ran, Spontus.
Je t'aime,
Théodrik.
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By JD Dôn.
