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[RP] Mauvaise fortune

Isaure.beaumont
[ Un jour de mai 1466]

- Ne pouvez-vous pas faire attention ! Vous avez abîmé ma chaussure avec vos gros pieds bouseux ! Que je m’excuse ? Moi ?! Espèce de panse pendante ! Vous me bousculez sans ménagement, m’écrasez lourdement le pied et je devrais m’excuser ? C’est le monde à l’envers ! Je devrais vous rouer de coups ! çela vous remettrait les idées en place, gros tas de peau épaisse ! Je vous…

Alors qu’elle vociférait sur le malheureux, son œil glissa vers son pied endolori dont la vue lui arracha un petit cri de surprise mêlé d’horreur.

- Grand dieu ! Foutremouille !! N’est-il pas plus plat désormais ?! Vous l’avez aplati ! On devrait vous mettre à la diète ! Qu’on le mette à la diète !!!

N’était-elle pas tout à fait charmante, la Beaumont, quand la mauvaise humeur faisait battre son cœur et excitait ses cordes vocales ? Elle était allée de déceptions en désillusions tout le jour et déversait à présent toute sa désespérance sur le pauvre homme qui dans l’agitation de la foule parisienne avait eu le malheur de rencontrer son pied.

La journée avait été mauvaise. Comme la précédente. Elle enchaînait depuis deux jours déjà les rendez-vous avec des créanciers, dans l’espoir d’en voir un accepter de financer le projet qui avait muri dans son esprit et son cœur. Isaure avait toujours nourri mille et un projets, des plus sensés aux plus farfelus. Si une bonne moitié restait à l’état de d’embryons avortés dans l’œuf, l’autre moitié, avec des délais plus ou moins longs, étaient mis en œuvre et constituaient pour la plupart un échec.

Ainsi, au cours des vingt-quatre derniers mois avait-elle notamment et dans le désordre :

    - tenté de se teindre en rousse en faisant macérer, grâce à l’aide de sa chère Dana, sa chevelure dans un jus et écrasé de carottes => échec
    - décidé de s’installer à Périgueux => succès au bout d’un an
    - acté qu’elle prononcerait ses vœux majeurs au premier jour de juillet => en cours de succès
    - songé à aller chercher de l’urine d’âne en rut dans un bordel pour devenir blonde => en cours d’élaboration
    - désiré ouvrir avec Dana une chaîne d’auberges tout à fait respectables aux noms sages => succès total
    - fait la promesse de se montrer vertueuse et de renoncer au péché de chair => échec cuisant et honteux
    - fait le vœu de ne plus jamais se laisser aller à aimer => Echec inavoué
    - tout mis en œuvre pour se montrer agréable et aimable aux noces royales => FAIL FAIL FAIL
    - voulu pardonner la trahison comme une bonne aristotélicienne => échec
    - souhaité mener jusqu’au bout sa licence d’aristotologie = > Echec encore !
    - espéré prendre soin de deux enfants confiés à ses bons soins => Epic fail


Mais laissons-là ces projets de peu d’importance. Celui qui nous occupe ici était le projet du siècle : bâtir le plus prestigieux haras du royaume de France, si ce n’est de tous les royaumes renaissants. Depuis qu’Octave lui avait offert Artémis, Isaure n’avait eu de cesse d’imaginer un commerce fleurissant, où nobles et riches bourgeois se presseraient pour acquérir les meilleures montures.

Il eût été sage d’acquérir petit à petit des bêtes de qualité pour mettre en place doucement un élevage qui proposeraient des poulains de bonnes origines. Mais Isaure, grande impatiente, voyait grand, voyait beau. Aussi avait-elle, sur la base de ses maigres connaissances en matière de reproduction équine, fait des plans de développement peut-être un peu trop ambitieux. Elle s’était fixée sur l’élevage de frisons et de barbe et voulait acquérir trois juments gestantes de bonne lignées et un reproducteur pour chacune des races. Elle pourrait vendre dès la première année six poulains et proposer deux reproducteurs émérites en saillie. Les ventes lui permettraient d’acheter de nouveaux reproducteurs et d’agrandir les écuries. L’année suivante, si tout se passait sans perte de poulain, elle pourrait espérer avoir dix naissances et bien plus de saillies vendues. Elle rentrerait rapidement dans ses frais et espérait en cinq ans pouvoir rembourser sa dette.

Isaure n’était pas pauvre. Saint Peyrus lui apportait de beaux revenus et les récoltes à venir promettaient d’être généreuses. Elle recevait de plus une rente non négligeable de son cousin. Mais son projet aussi pharaonique que précipité demandait un apport qu’elle ne pouvait débloquer aussi vite, sous peine de devoir se serrer la ceinture et de mettre à mal l’économie de ses terres. L’emprunt était donc l’unique solution pour accéder à son rêve.

Forte de son projet, elle était allée frapper aux premières portes de créancier, confiante. Mais peu à peu, elle avait dû se rendre à l’évidence : aucun ne désirait parier sur son projet. Quand ils ne lui riaient pas au nez, ils lui proposaient des remboursements indécents, venant effleurer du dos d’une main rustre la courbe timide d’un sein dissimulé sous bandes et tissus.

C’est ainsi qu’elle était sortie de mauvaise humeur, peinée et humiliée par ces hommes aux bourses débordantes. Elle venait de rayer un nom de plus de sa liste et s’était aperçue qu’il ne lui restait plus qu’un créancier recommandable et recommandé à rencontrer. Son ultime chance. C’est là que le maladroit lui avait écrasé le pied, dégustant toute la colère et déception isaurienne contenue jusque-là. Isaure avait fini par abandonner l’agresseur de pied et avait poursuivi sa route, peinant à trouver l’adresse.

- Pardonnez-moi, s’il vous plaît ! Je… Excusez-moi, pourriez-v… Monsieur, s’il vous plaît….

Perdue, elle interpella quelques passants pressés, en vain.

- De grâce dame, pourriez-vous m’indiquer où je puis trouver Monsieur Mathieu ?


On lui indiqua une route. Elle s’y rendit mais sans succès et demanda de nouveau sa route.

- Pardonnez-moi, monsieur, je cherche le cabinet d’un certain Monsieur Mathieu, l’on m’a dit que c’était ici, sauriez-vous où exactement ?
_________________
Cyrielle_beaumont
[MÊME JOUR DE MAI 1466]
Devant le cabinet de Monsieur Mathieu.

    Le sourcil gras se hausse à la demande, avant qu’un rire moqueur n’agite la carcasse dégoulinante du bonhomme interpellé. Il triture la ceinture de sa jaquette, se dandine un brin comme s’il voulait bomber le torse au lieu de bedonner du ventre, & hoche la tête en affirmant :

    - Bah ma jolie dame, allons, c’juste derrière vous chez M’sieur Mathieu !

    Un doigt crasseux vient pointer l’issue en question, une vieille porte à double battants, bouffée des vers & sans serrure, encadrée de lourdes pierres blanches trouées par la pluie & se rejoignant en arc à sa cime. Il aurait fallu être devin pour reconnaître, derrière cette lourde porte d’un commun aberrant, sous cette bâtisse d’un autre âge, très légèrement penchée comme si ses deux étages s’appuyaient sur la demeure de gauche, le cabinet de Monsieur Mathieu.


[MÊME JOUR DE MAI 1466]
Chez Monsieur Mathieu.


    - Y a quelqu’un qui vous cherche, « Môssieur Mathieu » !

    La voix grésille, comme une mue mal terminée, un poil derrière la glotte, une corde vocale rongée. Son propriétaire, un long garçon voûté & placardé de furoncles sur la bouille, vient donner un coup de pied gratuit dans l’un des deux fauteuils, l’inoccupé. Dans l'autre, une silhouette affaissée entre quelques coussins trop mous sans doute, les jambes bottées nonchalamment posées sur le guéridon en face, ne réagit pas d’un pouce. À ses côtés, un homme bien mis, le cheveu gris & court, le visage dur & clair, vient cacher un instant son visage dans l'ombre pour lui murmurer à l'oreille. Gamin s'impatiente déjà.

    - C’t’une jolie dame qu’à l’air que d’avoir du fric !
    Silence.
    - Y a personne qui l’a rameuté, elle est v’nue d’elle-même qu’on dirait !
    Silence encore, toujours.
    - Hé… J’la fais monter ou merde ?

    Il semble vouloir préparer un glaviot, en se raclant la gorge & en gonflant les joues, prêt à le souffler sur le tapis presque neuf qui tapisse le plancher, prêt à prouver encore qu’il vient des Miracles & qu’il aurait préféré y rester plutôt que de faire le piquet dans une bâtisse trop propre, & se voit soudainement ramasser par l’arrière du crâne dans un taquet précis & sec. La silhouette avachie n’a pas bronchée, mais l’homme qui semble lui servir de garde a encore la main levée. Le coup fait lâcher un cri au gamin, l’acte manqué lui fait se cracher dessus, & c’est honteux, la chemise humide & la main frottant sa nuque rougie, qu’il dévale les escaliers pour retrouver Isaure.

    - Pouvez monter, M’sieur Mathieu vous attend…
    Il renifle.
    - Mais faites gaffe, y sont sacrément d’mauvaise humeur !
Isaure.beaumont
Quiconque connaissait bien la Saint Peyrus savait son manque d’humour et de compréhension de l’ironie ou du second degré. Aussi, quand l’avant-dernier créancier lui avait dit en riant d’aller voir Monsieur Mathieu, rue dame Agnès, et qu’il saurait sans doute la contenter, elle avait pris cela pour une réelle recommandation sans percevoir la note sarcastique du conseil et s’était rendue dans le quartier de la grève, sans savoir alors que cette rue au nom pourtant si doux jouxtait en réalité la rue de la Mortellerie et d’autres quartiers peu recommandables.

Si aux abords de la chapelle d’Etienne Haudry la rue revêtait des allures coquettes, à mesure qu’on s’en éloignait les hôtels et bâtisses qui s’élevaient avec désordre semblaient de plus en plus défraîchis. Quand on lui montra le bâtiment qui devait l’accueillir, la brune fronça nez et sourcils. On la fit patienter et quand on vint la chercher, après quelques hésitations bien vite vaincues par l’espoir qu’elle avait de remporter enfin la partie, elle s’engouffra à la suite de son guide dans l’étroit couloir décrépi, escalada les marches grinçantes et vermoulues, tout en prenant garde à ne pas se frotter contre les murs poussiéreux et tâchés. Son air pincé aux accents de dégoût témoignait de son aversion pour les lieux et c’est tendue qu’elle entra enfin dans le bureau de ce Monsieur Mathieu.

La pièce était sombre et il lui fallut quelques secondes pour s’habituer à la pénombre. Quand ce fut fait, raide à l’entrée, elle examina l’endroit, jugeant la décoration, désapprouvant la disposition des meubles et son regard vint enfin heurter la silhouette de celui qui, elle l’espérait, rendrait possible son projet. Sa mise et son allure la rassurèrent. Sans doute venait-il juste d’acquérir les lieux et n’avait-il pas encore eu le temps de le remettre à son goût et de le rendre éclatant de richesse. Il fallait que l’homme soit suffisamment riche pour pouvoir lui allouer la somme rêvée, qui s’élevait à pas moins de cent-soixante mille écus.

- Monsieur Mathier ? Le bonjour. Je suis Isaure Beaumont-Wagner, dame de Saint Peyrus. L’un de vos confrères m’a orientée vers vous et je voulais m’entretenir avec vous au sujet d’un projet fort prometteur, je vous l’assure. Permettez-moi de prendre place, et je vous expos….

Elle n’avait pas attendue son autorisation et tout en parlant s’était dirigée vers les fauteuils pour y prendre place. Elle avait initié un mouvement pour s’asseoir et avait vu dans le même temps qu’ils n’étaient pas seuls.

- Faut-il donc que Paris ne soit pas assez grand pour nous deux ? Que faites-vous ici ?! Ma très chère tante…

Le regard s’était durci, et si les traits s’étaient détendus la minute d’avant, ils se pincèrent de nouveau. Cyrielle Beaumont était dans la place, cela n’augurait rien de bon.

_________________
Cyrielle_beaumont
    - Dame. Prenez, prenez place. On me nomme Drogon, & je ne suis qu’une partie, petite, de cette fameuse entreprise que l’on nomme Monsieur Mathieu.

    Il a parlé d’une voix sobre, de celles modelées à ne jamais mettre un mot plus haut que l’autre, à ne jamais trahir le moindre tressaillement de joie, de peine ou bien d’horreur. Tout en lui respire la confiance, la patience, la droiture, comme ces hommes qui maîtrisent les chiffres comme on maîtrise un coup de fourchette, avec passion & appétit. Bien parfait visage pour la créance, le port solide & la main ferme, l’œil premier le prendrait pour un ancien soldat reconverti comptable.
    Immuable à l’aigu étonné suintant de la gorge de la demoiselle, il vient tourner un peu le fauteuil inoccupé & d’un geste sec & sans ambiguïté fait dégager le morveux tardant à s’éclipser.

    - Il semble donc que vous connaissiez déjà la majeure partie de Monsieur Mathieu.
    Fauve, un mot ?


    Mais Cyrielle ne bronche pas. Il semble presque qu’elle dort, & l’on croirait voir Drogon venir s’en assurer lorsque, d’un pas raide, il se penche à son oreille pour y souffler quelques mots.
    Lorsqu’il se redresse & va remplir deux verres d’un vin presque noir, la silhouette n’a toujours pas bougé d’un iota.
    Le premier est glissé dans la main tâchée de vieillesse de l’affalée. Le second, offert à la jeune Beaumont.
    Et alors qu’il vient se replacer, droit comme un piquet & les talons claquant au plancher non tapissé, auprès de sa blonde, elle ôte enfin ses bottes du guéridon & part, soudainement & violemment, dans un long, bruyant, gras & brisé éclat de rire.

    Fauve rit. A en faire trembler les murs, éclater les verres, fissurer les âmes. Fauve rit, comme le diable amusé, comme une sorcière sur son bûcher, de cet irrépressible besoin d’offrir à tous cette effrayante joie des enfers. Fauve a toujours été partageuse.
    Lorsqu’elle a fini de rire, l’œil humide & la gorge sèche, elle s’octroie une longue gorgée de vin, de quoi vider son verre pour le placer entre les mains de Drogon en se redressant enfin.

    - Si t’avais vu ta tête, ma pauvre petite ! fait-elle en claquant des mains & en les ramenant à sa poitrine, comme une mère émerveillée de son rejeton. J’ai pas eu aussi beau spectacle depuis… depuis quand Drogon ? l’pilori du père Einold ?

    L’appelé hoche brièvement la tête, d’un sourire à peine dissimulé, alors qu’il lui tend un godet plein. Vieille carne le saisit, se réinstalle en penchant légèrement le buste en avant, laissant sa face de demi-lune s’éclairer d’un large sourire craquelé & d’un rayon de soleil.

    - Assis, assis enfant. On va pas papoter comme au marché.
    Monsieur Mathieu est à tante Cyrielle, & tante Cyrielle est tout à fait disposée à accorder un prêt à sa nièce. La fortune, en famille, ça se partage.
    Raconte, plutôt.


    Et de se renfoncer au creux de son fauteuil, les pieds sur le guéridon, le godet dans la main, le sourire arrachant sa gueule d’increvable.
    Évidemment, que ça n’augure rien de bon.
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