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[RP] Ouvre-toi

Louise..
Jamais elle n'a aimé les nobles qu'elle sert, Louise. Ils sont vieux, poussiéreux et ils sentent le renfermé et le parfum passé à plein nez. Madame est coquette et extravagante. Elle aime les choses voyantes et luxueuses ainsi que tout ce qui peut la faire paraître plus riche et puissante. Monsieur est grossier et bedonnant, il sent la vinasse et la graisse, les vêtements souvent douteux car il aime s'empiffrer en douce. Notre Louise est leur employée. Dame de compagnie ou camériste, elle est surtout esclavagée à toute forme de tâches à longueur de journée. Madame la jalouse, Monsieur la reluque. Louise, elle, vaque à ses occupations en tâchant d'éviter les mains baladeuses ou les remarques agressives. Parfois, elle les espionne, quand elle trouve un peu de temps entre deux corvées. Elle regarde par le trou de la serrure de la chambre de chacun, ce couple ne dormant plus ensemble depuis déjà quelques années. Chez Monsieur, elle y voit souvent des jeunes femmes. Toutes payées par de rondes bourses remplies d'or. Il lui a déjà proposé de nombreuses fois, mais Louise le trouve répugnant et, pucelle, ne compte pas s'offrir à ce nobliau là. Elle ne reste jamais longtemps à son espionnage, car ça tourne souvent à un spectacle qui la débecte et elle a vite fait d'aller voir du côté de Madame. Celle-là, elle aime passer des heures à sortir tous ses bijoux, à les caresser comme s'ils étaient ses amours, sa vie, sa raison d'être. Ça fait souvent rouler des yeux la camériste. Elle est témoin d'un mariage plutôt triste et de la solitude de ces deux personnages aussi agaçants qu'exaspérants.

La jeune femme est dans la fleur de l'âge, elle vient tout juste de fêter ses dix sept printemps. Elle est de taille moyenne. Pas assez grande pour atteindre les étagères du bureau de Monsieur toutefois, ce qui donne le loisir à ce dernier de la lorgner pendant qu'elle peine à récupérer les objets à nettoyer. Elle sait qu'il le fait exprès. Elle n'est pas petite non plus. Pas assez pour que Madame ne la remarque pas et ne lui assène de vilains commentaires par pur plaisir sadique. Elle aimerait parfois être transparente. Et quand ses grands yeux noisettes s'écarquillent de rébellion silencieuse, souvent une petite moue boudeuse accompagne le regard, ce qui lui vaut régulièrement un "Vous avez une mine déplorable ma petite Louise. Allez-donc voir ailleurs, vous me gâchez le paysage.".

Elle est issue d'une petite famille d'un coin de Champagne. Ses parents sont fiers de l'avoir placée dans une maison "respectable". Ils lui écrivent souvent, de quelques mots mal rédigés, mal orthographiés, mais souvent pleins de tendresse, pour lui raconter que depuis qu'ils ont leur fille au château, ils sont bien vus dans le village et qu'ils ne manquent pas de travail. Elle se console donc en acceptant son rôle, suivant sa "Maîtresse" au rythme de ses caprices jusque parfois dans les endroits les plus indécents. Elle a tout vu, tout entendu et il lui faut souvent quelques heures pour s'endormir dans sa chambre froide et impersonnelle. Louise n'a pas beaucoup d'affaires. Elle porte des vêtements toujours soignés, mais peu luxueux. Jamais une tâche ne vient souiller le lin de ses robes modestes. Elle porte quelques couleurs toujours passées pour ne pas éclipser les tenues de Madame. Un port de tête gracile sur une nuque souvent couverte d'un fichu et ses cheveux blonds sont coiffés en un chignon discret, à la demande de son employeuse. Mais dès qu'elle en a l'occasion, Louise libère ses cheveux qu'elle soigne tout particulièrement. C'est d'ailleurs ce qui attire le plus Monsieur chez elle, outre ses courbes délicates qui ne manqueront pas de mûrir davantage. Cette crinière, n'est pas tout à fait blonde, mais plus proche du doré, du blé sauvage ou des écus sonnants et trébuchants. Elle donne l'impression d'être tissée de fils d'or, accrochant la lumière quand un rayon s'y promène. Chaque soir, elle se brosse longuement, rituel durant lequel elle rêve à d'autres aventures.

Louise se venge un peu de sa vie en se donnant quelques défis dans la journée. Parfois il s'agit de réussir à savoir quelle prochaine pique lui enverra Madame, d'autres fois elle fait en sorte de semer Monsieur qui la suit dans les dédales du château. Elle parie aussi avec les autres domestiques, se demandant qui aura sa prochaine colère, lequel des deux va se vautrer du canasson ou lequel passera le plus de temps aux latrines. Ça passe le temps et ça lui permet de rire et de s'évader quelques minutes. Mais ce qui se révèle être un vrai challenge depuis un moment déjà, c'est bien ses chapardages furtifs qu'elle ne manque pas de réaliser une fois par mois environs. Ses maîtres sont peu généreux, aussi se sert-elle parfois dans les coffres de l'un ou de l'autre, observant avec attention, les objets qui finissent par les lasser. Elle se fabrique un petit trésor qu'elle planque sous une lame de plancher du couloir de l'aile Est. Jusque là, elle s'en est toujours sortie indemne et l'adrénaline procurée par ces petits larcins est devenue une vraie drogue régulière.

Ce jour, Louise accompagne Madame à Paris. Ce n'est pas la première fois, ni la dernière d'ailleurs. Sa maîtresse aime à se pavaner dans les ruelles des Halles tout en s'offrant les tenues les plus chères possibles. Sa camériste écope souvent du rôle de porteuse, récupérant les paquets en pile assez haute pour ne plus laisser voir que le bout de son nez et ses yeux. Si elle a le malheur de trébucher, Madame lui offre des commentaires acerbes en la traitant d'empotée. Si en revanche quelqu'un ose lui faire un compliment, Louise écope d'un "Vous êtes d'une banalité désespérante ma petite". La jeune blonde a pris l'habitude de mordre sa langue pour ne pas se défendre. C'est difficile, mais efficace et elle s'en sort souvent bien, même si il lui arrive de marmonner après coup, toutes les répliques qu'elle aurait aimé lui dire en face.
Après avoir déposé les affaires à leur appartement, Madame envoie Louise faire d'autres courses et lui demande de ne pas revenir avant tard. Cet ordre est donné souvent quand Madame se paie la venue d'un jeune éphèbe pour qu'il la console au creux d'une couche en la couvrant d'amours illusoires.

Louise en profite pour souffler un peu. Elle déambule dans les quartiers, évitant ceux les plus malfamés. La Jussienne attire toutefois son intérêt, car elle y avait repéré, il y a quelques mois de ça, un établissement dont le nom la faisait rêver. Car régulièrement, quand le sommeil venait à manquer, la jeune fille allait fouiller dans les livres de Monsieur pour y lire des aventures ou des mythes grecs. Elle se fait donc quelques suppositions sur ce que pourrait être cet établissement mais la curiosité la pousse à vouloir vérifier par elle-même. La lourde et jolie porte d'entrée est ouverte d'une main discrète, à la manière d'une domestique qui se fait invisible. Louise introduit un minois curieux pour observer le hall majestueux qui se dessine sous ses yeux. Elle en prend plein les mirettes et ose avancer d'un pas, puis de deux, nez remonté vers le plafond en une expression d'étonnement. L'endroit est superbe et le goût est bien plus sûr que chez ses employeurs. Louise est stimulée de toute part et la curiosité marque si bien son visage qu'on ne peut douter de son désir d'en savoir plus sur cet endroit. Ici, à l'Aphrodite, la jeune femme en oublie jusqu'à son rang et il est bien trop tard quand elle réalise qu'elle n'est peut-être pas la bienvenue.

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--Gerard.
Déjà plus d'un an que j'oeuvrais ici, et on allait pas se mentir, si la Casas m'avait embauché c'était pas pour mon physique avenant, j'étais pas là pour vendre du rêve mais bien pour empêcher le cauchemar d'entrée plutôt, en résumé : faire en sorte que les emmerdeurs gardent leurs chausses dans les rues et pas dans la piaule de luxe.
Y'avait du bon à bosser ici, bonne graille, bon salaire, peu de problème, belles croupes à reluquer et quand il en passait une bien lunée un peu de bon temps aussi.

Jamais eu vraiment de soucis depuis que j'étais là, fallait dire que ma grogne des bons jours était souvent suffisante pour dissuader le pécore de base ou le gueuserie hasardeuse, courageux mais rarement téméraire quand la porte s'ouvrait sur ma trogne "aimable" et ma stature qu'avait rien à envier aux gaillards qui bossaient ici, j'étais même plus large que la majeure partie d'entre eux d'ailleurs, à croire que le muscle faisait pas recette chez ces dames de la haute.

Luxe, calme et volupté, ouais c'était un peu ça l'idée à transposer en luxure, classe et rentabilité, et franchement le boulot de rêve sauf quand une gourgandine se pressait de pousser la porte pendant que j'avais quitté mon poste, même pu moyen d'aller pisser tranquille qu'une gamine se faufilait dans la bâtisse.
Mignonette, sauf qu'on m'avait pas annoncé de potentielles nouvelles et que vu sa mise c'était pas non plus une cliente, deux-trois enjambées en sortant de ma planque et le haut du bras gauche est enveloppé de ma grosse paluche.

Vous avez oublié de frapper demoiselle, vous vous croyez où pour entrer comme ça.

Et les doigts de se resserrer sur la fragilité du bras étreint.

Vous êtes attendue ?

Louise..
L'inconvénient des coins huppés, pour Louise, c'est qu'elle n'y est pas à sa place. Elle a beau vivre avec une noble, toucher de beaux tissus, coiffer Madame avec des bijoux d'une valeur inestimable, la chambrière n'aura jamais la même manière d'être traitée, ni le droit aux mêmes écarts de conduite. Ses audaces seront toujours punies et ses caprices ne resteront que de l'ordre du fantasme. Dès lors qu'elle s'y est résolue, elle a fini par accepter l'injustice, sans pour autant s'empêcher de garder espoir en un possible changement.

Alors ici, dans l'entrée de l'Aphrodite, chanceuse de ne pas s'être heurtée à un portier indélicat comme souvent, elle en oublie d'être discrète. Sûrement l'atmosphère lui donne-t-elle des ailes, tout semble mystérieux et elle aimerait aller pousser toutes les portes pour découvrir ce qu'il se cache derrière. L'instant ne dure pas longtemps. La magie s'évapore comme une bulle de savon que l'on éclate. Le retour à la réalité se fait par une main puissante à son bras et une voix qui donne tout sauf l'envie de la contredire. La jeune femme se fige, elle tourne lentement la tête et semble se recroqueviller, minois allant immédiatement regarder le sol. Louise est docile, sa nature de domestique l'y oblige.


« Pardon mon sieur, je ne voulais pas vous déranger, la porte était entrouverte, j'ai voulu voir ce qu'il y avait derrière. »

Elle est menteuse, Louise. Elle n'a pas trop envie d'être malmenée par ce gorille là. C'est qu'elle a l'habitude à force de traîner dans le sillage de Madame. Les sourires sont forts généreux pour la riche, et les taquets le sont tout autant sur la pauvre qui la suit. La demoiselle est douillette aussi, elle grimace un peu en sentant les doigts serrer plus fort. Elle se promet qu'elle ne refera plus la curieuse, mais elle sait déjà qu'elle ne s'y tiendra pas. Elle est comme ça, la camériste. Elle se met dans le pétrin pour un rien, mais elle aime bien ce petit pique d'excitation quand elle fait face à l'inconnu. Dotée d'une raison plutôt bruyante, elle ne s'aventure jamais trop loin et manque souvent d'audace quand il faudrait affronter un obstacle. Le mur que représente le gardien des lieux la freine immédiatement et c'est avec un dernier regard circulaire un peu déçu qu'elle finit par répondre à la question.

« Hélas non, mon sieur. Je ne puis même pas vous sortir cette excuse, je tiens encore à mon bras... Si vous pouviez d'ailleurs le lâcher, je ne suis pas de taille à vous échapper, n'est-ce pas ? »
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--Gerard.
La porte était entrouverte ? Vous me prennez pour un benêt ?

C'est qu'elle me ferait presque pitié la jeunette au final, la curiosité, l'impétuosité de vouloir savoir, ça pouvait se comprendre et la façon qu'elle a de rentrer la tête dans les épaules et de baisser le regard, y'a des fois j'aime pas mon boulot, mais que ce soit elle ou un gros vicelard c'est pareil.
Pas de passe droit, elle a pas le physique, pas l'allure, pas de recommandation et pas de rendez-vous donc... retour à l'envoyeur.

Mon regard sombre posé sur la péronnelle, je le dirige sur ma pogne qui enserre le petit bras frêle et je viens me placer sur le coté à moitié dans le dos de la petite blonde, relâchant le bras probablement cerclé de rouge sous l'étoffe, pour au final étaler ma paluche entre ses omoplates et la ramener avec un peu plus de délicatesse vers la porte.

Et bien vous avez vu jeune fille, je ne peux vous en laissez voir plus, alors...

Ca serait peut-être pas bien vu ou dans le ton de l'endroit qu'on apprenne qu'une visiteuse avait été molesté, et puis elle avait pas tenter de me barjotter avec une histoire de à dormir debout, de ma main libre j'ouvre la porte d'entrée et je regarde la jeune femme.

... bon retour chez vous

Ludwig..
D'un geste faible, il acheva d'enfiler ses braies. L'après-midi avait été épuisante. À présent, elle parlait, et c'était le moment qu'il aimait le moins. Quand, après l'amour, les femmes se sentaient obliger de prolonger indéfiniment, quand elles croyaient que les gestes qu'ils avaient faits, les murmures qu'ils s'étaient adressés, le plaisir qu'ils avaient partagé avaient miraculeusement coloré leur relation d'une intensité folle. C'était faux. Il ne les aimait pas plus après les avoir baisées. C'était tout l'inverse. Elles étaient plus fades, moins distrayantes, souvent moins belles qu'il ne l'avait cru. Son boulot était fini, il voulait qu'elles s'en aillent. Et elles ne s'en allaient pas, sauf exceptions bénies. Elles ne s'en allaient pas et, pire, elles cherchaient son regard, son attention, son sourire, sa tendresse, son intérêt et son amour. Or, de tout cela, il se trouvait parfaitement dépourvu une fois l'orgasme passé. En dix ans de métier, il avait fini par s'y résoudre et par cesser de chercher quelque part, au fond de son âme, les petites miettes de sentiments qui auraient pu subsister après l'extase. Il n'y en avait pas, voilà. Pire, qu'elles le cherchent l'énervait. Était-il si difficile de comprendre que c'était son travail et que, comme tout travail, après l'avoir fait, on ne rêvait que de pouvoir dormir en paix ? Pourquoi ne voyaient-elles pas que, s'il les avait aimées en toute sincérité, c'était de l'amour le plus éphémère qui soit ?

Parfois, il rêvait de les foutre à la porte, sans autre forme de procès, sans un merci, sans un au revoir. Récupérer sa paie, leur flanquer leurs sapes entre les bras, et les foutre à la porte. Bien sûr, il ne le faisait jamais. Les bons jours, il feignait l'intérêt. Les autres fois, il dissimulait de façon plus ou moins travaillée son indifférence. La cliente de cette après-midi battait tous les records. Impossible de savoir depuis combien de temps exactement il attendait qu'elle finisse de monologuer. Ça devait faire au moins deux ou trois heures. Exténué, Ludwig avait fini par quitter le lit et, face à la fenêtre, s'attelait maintenant à se rhabiller, dos à la pièce pour ne pas qu'elle s'offusque de son regard où ne brillait plus rien d'autre que l'ennui. Que pouvait-elle bien lui raconter, d'ailleurs ? Que raconte-t-on à un catin qui vient de venir en soi ? Il n'en savait rien, puisqu'il n'écoutait jamais. Il était trop occupé à se concentrer pour essayer de savoir si elle respirait, parfois. Son débit de parole était si rapide qu'on aurait dit qu'elle ne s'arrêtait jamais. Mais elle devait bien s'interrompre, de temps à autres, pour reprendre son souffle, non ?

Elle s'était levée, elle aussi, en même temps que lui, pour se rhabiller. Alors, sans bouger mais plein d'espoir, il regarda derrière lui pour voir où elle en était. Mais elle n'en était nulle part. Elle était revenue s'allonger sur le lit, tout aussi nue qu'il y a deux heures. Putain. Et ce n'est qu'en retournant à la contemplation de la rue, murmurant un "mmh" pour signaler à la bavarde qu'il n'était pas tout à fait endormi, qu'il la vit enfin. D'abord, ce ne fut que les cheveux blonds, et cette robe trop pâle qu'il n'aimait pas. Puis il plissa les yeux pour s'assurer que sa première impression était la bonne, et il vit le reste : les confidences aux heures où tout le monde dormait, les rires étouffés dans son cou, les caresses planquées derrière un rideau, les cadeaux idiots, les attentions fidèles, les baisers délicieux n'ayant pourtant cessé d'avoir le goût amer de l'inachevé. Il n'avait jamais vraiment su dire pourquoi Louise plutôt qu'une autre. Mais c'était Louise plutôt qu'une autre, et elle était, à ses yeux, ce qui se rapprochait le plus tout à la fois d'une amie, d'une sœur, d'une amante et d'une épouse.

Le courtisan claqua un baiser aux lèvres d'une cliente ravie de l'effet qu'elle avait sur lui. C'est qu'il souriait comme un enfant, de ces sourires sincères qu'on ne lui voyait jamais, et, après avoir mis hâtivement ses bottes et ramassé sa chemise, il quitta la chambre pour rejoindre l'entrée de l'Aphrodite. Tandis qu'il achevait de s'habiller, trois mots furent adressés au portier pour lui indiquer qu'il sortait un moment. Un observateur attentif aurait alors remarqué qu'outre les cheveux en pétard, il avait boutonné lundi avec mardi, et qu'il avait donc tout d'un con particulièrement distrait. Il s'en foutait. Il ouvrit la porte, la referma derrière lui, dévala les trois marches qui le séparaient de celle qui venait de se faire dégager. Et, comme s'il l'avait attendue depuis une éternité, il articula d'une voix amusée :


    Tu es là.

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Louise..
Les gardiens sont souvent pompeux, a remarqué Louise. Ils sont pourtant sur la même échelle que les domestiques, mais tenir la porte leur confère un pouvoir particulier. Celui-ci ne semble pas mordre et elle se détend un peu quand il finit par relâcher son bras sur lequel elle sent une chaleur diffuse. Louise marque beaucoup et très vite. Demain, elle aura certainement un bleu, mais elle est habituée car elle est de nature maladroite et se cogne souvent à tous les meubles qui entravent sa route. Camériste ne résiste pas quand il la repousse vers la sortie, l’éloignant de l’antre luxueuse qui venait d’égayer ses yeux ambrés une minute plus tôt. Elle a appris à ne plus se frustrer, consciente d’avoir déjà pu voir plus qu’elle n’en avait le droit. Et quand elle descend les quelques marches pour retrouver la rue, la chambrière se retourne pour accorder à l’homme une petite révérence polie.

« - Je vous souhaite une bonne soirée mon sieur. Merci…»

…de ne pas lui avoir tapé dessus. Sous-entend-elle. Senestre rejoint le bras molesté quand l’homme referme la porte et elle reste un instant là à regarder le bâtiment et à se demander qui sont les êtres qui l’habitent et l’animent. Quand elle réalise finalement qu’il vaudrait mieux aller ailleurs, dans une taverne peut-être ou un autre lieu pas trop mal fréquenté, Louise replace d’un geste automatique le fichu à son cou et s’apprête à rebrousser chemin quand un nouveau mouvement attire le coin de son regard vers la porte d’entrée.

S’il existe un mot pour exprimer la stupeur de Louise à cet instant, il ne serait pas assez puissant. Tout, de cette allure de matou, à l’iris étincelante, jusqu’aux mots qui résonnent chaudement à son oreille, oui tout la fait vaciller et reculer d’un pas. Il lui faut quelques secondes à Louise. Quelques secondes qui s’égrainent bien lentement et durant lesquelles elle le détaille entièrement, souvenirs affluant à sa mémoire. Les lèvres s’assèchent là où elle se rappelle de langoureux baisers. La nuque frissonne là où elle retient les souffles chauds. Les mains se referment en deux petits poings là où elle ressent les caresses sous sa paume. L’ouïe s’emballe, connectée à une petite partie de son ventre dès qu’elle reconnaît son timbre particulier. Le silence est bruyant de réminiscences. Elle se rappelle, cette première nuit, celle où Madame endormie, avait laissé sans surveillance un catin espiègle et une camériste curieuse. Elle se rappelle, les discussions chuchotées au coin d’un couloir, cette fois où, pour échapper à la vue d’un domestique, ils s’étaient planqués l’un contre l’autre, dans l’ombre d’un recoin. Le cœur qui battait, les sourires gênés, les déglutissements maladroits qui indiquaient combien elle était troublée. Et puis toutes ces autres soirées qui avaient suivi, celles qui ne peuvent que faire rougir les pommettes de la chambrière aux gestes plus osés qui s’étaient réalisés. Elle se souvient lui avoir résisté tant de fois que c’en était douloureux. Le manque d’audace l’avait rattrapée à chaque fois qu’ils avaient eu l’occasion d’aller plus loin, mais le palpitant, lui, tambourinait trop violemment pour qu’elle ne parvienne à réfréner ses émotions continuellement. Elle lui avait donc offert, un soir qu’ils avaient imprimé de leurs étreintes presque chastes, une bague, volée à Monsieur. Maigre trésor récupéré lorsque ce dernier, avait tenté une fois de plus de la mettre dans son lit.

Mais l’objet le plus précieux que détenait Louise, était un petit bouton ramassé après qu’il se soit rhabillé en hâte, un matin à l’aube, alors que Madame le réclamait d’une voix alanguie. Elle se souvient cette petite bouffée de jalousie, ce sentiment méconnu jusque-là, mais bien vite ravalé et remplacé par le professionnalisme que réclame son métier. Elle l’avait aidé à remettre sa chemise, petites mains d’ouvrière appliquée qui avaient lissé l’étoffe d’un geste doux avant qu’il ne s’éloigne de son pas nonchalant, vers leur Maîtresse commune. Son œil avait été attiré vers un petit objet rond, un petit bouton perdu dans la bataille sur lequel sa main s’était refermée. Celui-ci, décorait à présent le carré de tissu replié en triangle sur le haut de ses épaules. Il servait à lier sur son cou fin, les deux bouts de l’étoffe et quand elle était prise de nervosité, elle le faisait rouler entre ses doigts.

C’est le cas à cet instant. Menotte se décrispe et vient immédiatement se saisir du grigri alors qu’enfin, Louise sourit. D’abord timide, le sourire s’agrandit avec plus de sincérité, découvrant deux fossettes à ses joues rondes. Il est là, et ça ne sert à rien de cacher le plaisir qu’elle a à le retrouver. Il avait disparu. Un an déjà que la camériste ne l’avait pas revu. Madame rouspétait souvent de ne plus le voir et de ne jamais avoir su où il était allé. Pour Louise, un sentiment partagé avait suivi la disparition. D’abord, elle espérait qu’il avait trouvé une meilleure cliente, moins affreuse que cette bonne femme qui ne devait pas être agréable à contenter. Mais parfois, l’égoïsme perçait les bonnes intentions et elle aurait aimé que ces rencontres furtives ne s’arrêtent jamais. N’était-elle pas à un cheveu de lui offrir sa virginité ?
Il n’a pas changé et mieux encore, il paraît content de la revoir. Ca la rassure et elle amorce un pas vers lui, puis un second. Il fait nuit, mais ses yeux habitués remarquent tout jusqu’au détail de sa chemise mal refermée. Aussitôt, Louise comprend qu’il était avec une autre femme juste avant. Aussitôt, elle comprend qu’il fait partie de ces murs si mystérieux qu’elle a cherché à percer. Les doigts remontent lui ajuster le col froissé, bien qu’elle ne tente pas de lui reboutonner le vêtement en pleine rue, ça aurait l’air étrange. La jeune blonde finit par rompre ce silence pesant d’une voix douce qui ne laisse entrevoir aucune rupture temporelle, comme s’ils s’étaient quittés la veille.

« Toi, tu es là. Et toujours aussi débraillé, Ludwig…»

Louise laisse couler le prénom à la lippe d’une voix presque aspirée, un murmure laissé au vent juste pour eux deux. Elle ne sait pas comment réagir, elle qui ne l’a toujours croisé que dans le cocon d’un château et non en pleine liberté de ses mouvements. Elle choisit donc de ne rien faire, de ne rien amorcer qui ne puisse la décevoir ensuite. En revanche et puisqu’il semble enclin à lui parler, elle ajoute une question qui lui brûle les lèvres :

« Travailles-tu ici ?»
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Ludwig..
Est-ce qu'elle était en colère ? Sans doute qu'à sa place, il aurait été en colère. C'était l'histoire d'une disparition comme on n'en fait plus. Pas d'adieux, pas de petit mot laissé sur la table de chevet, même pas de lettre envoyée un mois plus tard pour apporter une bribe d'explication et un lot d'excuses. Non, il était parti, fidèle à lui-même, marchant calmement dans l'aventure de sa vie sans se fatiguer d'un regard vers l'arrière. Infidèle aux villes où il traînait autant qu'aux lits où il baisait, il avait plaqué la province, et Louise avec. De l'époque des semaines sans sommeil, des poches désespérément vides, des nuits à se plier en quatre pour des clientes qui lui fournissaient à peine de quoi bouffer, de la chambrière craintive qui avait été sa seule distraction quand il assistait, indifférent, au naufrage de sa jeunesse, il n'avait gardé qu'un anneau d'or. Cadeau qui, s'il était usé, fatigué et sans valeur, n'avait pas quitté son doigt. Souvenir insignifiant, mais souvenir malgré tout.

Elle était sans doute en colère, alors, et elle avait d'autant plus de raisons de l'être qu'après avoir si brillamment réussi sa disparition, Ludwig foirait joyeusement leurs retrouvailles. Il était habillé n'importe comment, coiffé n'importe comment et, au-delà de ce sourire idiot et heureux qu'il arborait, il était bien incapable de dire quoi que ce soit pour sa défense. De fait, il ne lui en voulut pas quand elle le regarda sans parler et en gardant une distance plus que respectable. Il sourit cependant un peu plus lorsqu'elle finit par s'approcher et par lui rajuster le col, mais il aurait voulu qu'elle vienne se blottir dans ses bras, ou qu'elle l'embrasse avec fougue, sans s'attarder en mots inutiles. Et il ne lui en voulut pas qu'elle ne le fasse pas non plus, parce qu'après tout, elle devait être en colère. C'était seulement la façon qu'avait Louise d'être en colère. Elle ne tapait pas, elle ne criait pas, elle ne fronçait pas les sourcils, elle creusait ses joues d'un sourire d'ange et piochait dans son inépuisable réserve de douceur, de paix et de tendresse. Toutes ces qualités qu'il jugeait faibles quand il les voyait chez les autres, et charmantes quand c'était de sa petite adorée qu'il s'agissait.

Pour lui, c'était plus facile. Il se prostituait, et ça lui donnait bien des excuses. L'excuse de glisser une main caressante à la joue blonde, par exemple. L'excuse de la dévorer de ce regard mutin, le même qu'il affichait, un an auparavant, quand il défaisait lentement les lacets de sa robe. L'excuse enfin d'approcher ses lèvres. Mais le projet se trouva bien vite interrompu par une question qui aurait pu demeurer sans réponse, sauf qu'elle flattait suffisamment son égo pour qu'il ait envie d'y répondre. Alors sa paume relâcha le visage et se posa très naturellement à la hanche de la camériste tandis qu'il se tournait vers le bâtiment, comme pour admirer sa réussite.


    Oui, je travaille ici. C'est un bordel, Lou. Un bordel pour riches. Parce qu'il craignait toujours que l'innocente ne comprenne pas bien, il se sentait obligé d'être explicite. Et, après s'être laissé aller quelques instants à une contemplation qui lui procurait visiblement une fierté infinie, il poursuivit : Et toi ? Ne me dis pas que tu travailles encore pour la vieille chieuse.

Oh si, Louise, dis-moi que tu travailles encore pour elle. Dis-moi que tu n'as pas changé. Dis-moi que rien n'a changé. Dis-moi que tu m'attendais. Dis-moi que personne n'est venu me remplacer dans ton cœur. Et surtout, dis-moi que tu es toujours vierge.
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Louise..
La colère est un sentiment particulièrement étrange chez Louise. Bien sûr, elle la connaît, cette petite onde désagréable qui vient nouer le ventre et crisper le corps. Bien sûr, elle n'ignore pas cette émotion, mais elle a tellement passé de temps à la contrôler, la modeler, voire, la museler pour l'empêcher de s'exprimer, qu'elle n'a jamais su ce que ça lui ferait de la libérer un jour. Elle est comme ça, Louise. Toute en retenue. Alors, évidemment qu'elle en avait ressenti les prémices, à la disparition de Ludwig, évidemment qu'elle s'était sentie flouée dans cette histoire, et puis, c'était passé. Comme tout passe au final. Elle a arrêté il y a bien longtemps de se donner trop d'illusions sur la vie, le monde, les gens en général et elle s'est évitée bien des douleurs en se protégeant de cette façon. Quand l'un utilise l'insignifiance pour se protéger, l'autre joue de douceur sur une carapace particulièrement coriace.
Louise n'en voulait pas au courtisan. Malgré les souvenirs, malgré les sentiments qu'elle a pu nourrir pour lui, elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir pris un autre cap et elle ne s'estimait pas assez importante pour mériter une explication, un mot ou un Adieu. La délicatesse imprégnée à sa peau, jeune Blonde préfère se contenter de savourer ce qu'elle a quand ça lui tombe sous la main et, elle s'efforce, même si elle n'y arrive pas toujours, de ne mettre aucun espoir trop poussé en quoique ce soit, y compris en celui qui avait fait vibrer son petit palpitant de jeune première.

Au contact de ses doigts sur l'arrondi d'une joue, Chambrière frémit. Il y avait trop longtemps qu'elle n'avait plus ressenti ça. Et même si entre temps d'autres sont venus lui conter fleurette, le premier garde un goût particulier surtout quand on sait qu'elle lui a résisté plus que de raison, plus qu'elle ne l'aurait voulu en réalité. La ruelle paraît bien loin dans l'esprit de la jeune femme, tant elle est obnubilée par les expressions inchangées de cet homme-là. Elle est tentée de regarder le sol, ailleurs, partout sauf lui, mais il est si hypnotisant qu'elle en oublie sa gêne. Était-il sur le point de l'embrasser quand elle a parlé ? Elle aurait juré y lire cette intention dans le regard, ou bien était-ce le reflet de ses propres désirs qu'elle ne parvenait pas à effacer ?

Elle profite du moment où il regarde la façade pour se recomposer un visage plus neutre, abandonné à lui et elle se concentre sur ce qu'il dit car ça lui paraît être important. Elle esquisse un sourire amusé, elle le trouve adorable à vouloir la ménager et à lui faire comprendre que c'est un lupanar, car ce n'est pas parce qu'elle n'est que douceur et effacement, que Louise ne connait rien à ces choses-là. A-t-il oublié la domestique de qui elle était ? Madame a traîné son employée dans tous les coins les plus décadents de Champagne et quand ça ne lui suffisait plus, elles se retrouvaient à faire de même à Paris comme aujourd'hui. Même si Louise s'efforçait de ne pas trop regarder, elle entendait souvent bien plus qu'elle ne le souhaitait et elle se doute, à présent qu'il vient de faire vivre à une femme seule, un moment d'extase, d'illusions et d'enchantements. La Camériste n'envie pas, cette femme qui se contente du mensonge pour se sentir heureuse et aimée. Elle trouve en revanche Ludwig fascinant d'y parvenir avec aisance. Elle l'a souvent vu à l'oeuvre et chaque mot, chaque geste, chaque regard était calculé avec la précision d'un orfèvre. Cet art est bien trop compliqué pour Louise, mais elle aime en bénéficier quand il lui accorde une main à sa taille ou un sourire juste pour elle.
Elle ne saura jamais si il ment ou non. Mais elle a au moins l'assurance qu'il n'attend aucune rémunération de sa part et ça lui donne une petite conviction toute personnelle qu'elle pourrait simplement lui plaire comme ça.


« Je travaille encore pour la v... Pour elle. Elle paie bien et je n'ai pas beaucoup d'occasions de rencontrer d'autres employeurs, tu le sais bien.»

C'est que Madame est possessive envers ses employés. Sauf rares exceptions comme ce soir où elle préfère la compagnie d'un jeune étalon dans sa chambre, les autres jours, la noble épuise Louise jusqu'à tard pour s'assurer qu'elle ne se tourne jamais les pouces.

A l'instant où il revient à elle, la jeune camériste ose un geste plein de spontanéité. Sûrement les siens l'ont-ils rassurée avant et donc Louise se sent le droit de venir glisser une main à la nuque masculine et de remonter ses doigts dans ses cheveux. Le geste est doux et ne laisse présager que d'une légère passion, puisque la jeune Blonde contrôle toujours toutes ses émotions, même les plus vives. Elle se soucie peu à cet instant d'être surprise dans les bras d'un courtisan certainement connu du coin, elle ne se soucie pas davantage d'être ennuyée par le portier de l'Aphrodite si l'on venait à découvrir qu'il usait de son temps avec une non-cliente.


« Tu me fais visiter ? »

Oui Ludwig, donne-lui un peu de toi, de ta vie. A ton tour de la laisser s'insérer sur ton lieu de vie, à ton tour de lui laisser voir ce qu'il se cache derrière ces murs dont tu es si fier. Louise est rarement intransigeante, pourtant la demande sonne comme un ordre même si il est doux à l'ouïe et à peine plus fort qu'un murmure.
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Ludwig..
Elle n'avait pas changé. Lui non plus, mais à dix-sept ans on a tendance à changer plus vite qu'à trente-et-un. Louise était pourtant restée la même, esclave consentante d'une maîtresse tyrannique sans jamais s'en fâcher, fermement agrippée à son calme et à sa douceur. Avec elle, on se sentait bien, en sécurité, et on finissait vite par abandonner toute méfiance, puisqu'elle n'était qu'innocence. Ludwig redevenait un peu un môme, et la main dans ses cheveux l'aurait presque fait ronronner, s'il n'avait pas dû jeter un coup d'œil aux alentours pour vérifier que personne ne traînait dans le coin. Il avait droit à ses conquêtes, il avait droit à ses amantes, et nul n'aurait su lui interdire de baiser gratuitement qui il voulait, après tout. Mais ça l'aurait embêté qu'on le voit ainsi, faible et fasciné, apaisé et spontané. À présent, il se serait bien vu quitter ses bottes et Paris, et puis courir dans les bois avec Louise, et puis construire des cabanes en riant. Toutes ces choses que l'enfant mélancolique et méprisant qu'il avait été n'avait jamais faites.

Et voilà que la blonde adorée proposait qu'ils aillent construire des cabanes à l'Aphrodite. L'établissement avait toujours été son terrain de jeu à lui. Un terrain de jeu qu'il chérissait, évidemment, car les possibilités de jeux y étaient infinies. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la perspective de partager son bac à sable lui sembla délicieuse. Le goût de l'interdit, sans doute, puisqu'il savait que c'était impossible, qu'on ne le laisserait pas jouer avec Louise, que Louise n'avait pas le profil d'une cliente et, de fait, ne l'était pas.


    Ça ne se visite pas, Lou. Encore moins sans argent.

Évidemment, ça n'était pas un problème. Seulement une remarque glissée là quand déjà, l'esprit catin travaillait à savoir comment il allait la faire entrer en toute discrétion. Ils avaient l'avantage de l'obscurité, d'abord, de connaître parfaitement les lieux où il déambulait chaque jour pendant des heures, ensuite. Peut-être bien qu'ils n'allaient pas construire de cabanes, ni de châteaux de sable, mais qu'ils s'apprêtaient à se lancer dans une putain de partie de cache-cache. Ça lui plaisait, et la main posée à sa hanche ramena la camériste plus près de lui.

    Bien. Je te fais visiter, à condition que tu passes la nuit ici. On trouvera bien une excuse pour ta patronne. Tu t'es perdue, tu as été recueillie par un parfait et infiniment bienveillant inconnu, tu as passé la nuit chez lui, en tout bien tout honneur évidemment, avant qu'il ne te ramène au petit matin vers des quartiers connus. C'est pas les chambres qui manquent ici, on trouvera bien un endroit où... dormir.

Idiot, il sourit à ce dernier mot. De la part d'un catin, fallait-il s'attendre à autre chose qu'à un bas marchandage ?
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Louise..
Pendant un instant, Louise s'égare. Elle se laisse emporter par un flot de souvenirs qui ne cesse de revenir au devant de ses pensées. Et plus elle les ravale, plus ils se font intenses et presque palpables. Elle se rappelle précisément de la chaleur d'un baiser volé, les poils qui se hérissent au passage d'une main indiscrète, ou encore le bond qu'a fait le palpitant quand il a défait ses vêtements la toute première fois. Sa mémoire lui offre des bribes aléatoires, des morceaux de moments passés avec lui, allant de ses préférés aux moins bons. C'est plus fort qu'elle, à chaque clignement de paupière, une nouvelle vision se met en place, celle d'un rire complice, d'une moue vexée, d'un sursaut ou d'un soupir.

"Ca ne se visite pas".

Louise remonte à la surface. Elle réalise qu'un deuxième homme ce soir lui fait remarquer que cet endroit n'est pas pour elle. Le premier ne la trouve pas conforme aux clientes de l'Aphrodite...Mais, était-ce ce que pensait Ludwig aussi ? La jeune femme est en proie aux doutes, elle aime le contact chaud du courtisan, son naturel déconcertant et sa franchise à toute épreuve. Et puis, il y a cette petite voix dans sa tête qui lui dit d'arrêter là les bêtises, que l'audace a été bien assez poussée et qu'il lui faut aller ailleurs. Ailleurs et loin de lui. Car la voix, qui était bien plus puissante il y a un an, s'est largement enrouée. Elle s'est affaiblie au point de semer la discorde chez la jeune camériste. Un duel entre curiosité et raison fait rage derrière des prunelles vives. Seule la main -celle qui ne joue pas dans les mèches noires du Lisreux- accrochée à son grigri, trahit le dilemme qui la travaille.

Mais Ludwig est malin. Ludwig est surtout joueur. Il est le chat, elle, la souris. Et que fait un matou devant une jolie frimousse ? Il s'assure de lui coincer les issues. Louise n'a que deux options dans cette partie là : la première est de repartir sagement d'où elle vient. D'oublier Ludwig, l'Aphrodite et toute cette énergie qui semble passer entre eux. Quant à la seconde, elle implique un peu plus d'aplomb. Plus de fuite possible. Il lui faudra tenir la promesse de rester avec lui une nuit entière. Pas d'excuses pour lui échapper cette fois, pas de "Madame va me chercher" ou de "Monsieur attend son repas". Cette seconde option demande du cran et un peu de folie aussi.

Blonde rougit. D'une teinte à peine visible dans la nuit, mais chaude au toucher. Elle a le ventre qui se serre, un soupçon d'inquiétude mêlée à un brin d'envie. Elle est tentée, mais qui ne le serait pas devant la Tentation elle-même ? Comment pourrait-elle résister à ce regard de velours, ce sourire séducteur et cette main qui la rapproche davantage sans qu'elle n'oppose aucune résistance. Était-il si grand la dernière fois ? Le menton est redressé car Louise préfère lire sur le visage du courtisan. Elle a le coeur qui s'emballe, les mains plus moites et cette lèvre qui tremble légèrement avant de laisser échapper une voix incertaine.


«C'est... d'accord.»

Elle sait qu'elle va avoir des ennuis, elle sait que demain pleuvront les coups et les injures pour avoir découché. Mais ce que la chambrière sait surtout, c'est qu'elle va assouvir une curiosité pressante en compagnie de l'un de ses rares bons souvenirs depuis qu'elle travaille pour le couple de nobles. Louise saisit sa chance, sort des sentiers battus et prend ce chemin de traverse. Comme poussée par un petit élan de culot, elle se hisse d'elle-même sur la pointe des pieds pour déposer un baiser au coin des lèvres de Ludwig et d'une voix un brin raffermie d'assurance, camériste ajoute :

«Je ne t'ai pas revu depuis si longtemps, je ne sais pas si j'aurais envie de dormir. Je reste... Mais j'ai une condition également. Si je passe la nuit ici, je ne veux pas d'adieux demain. J'aime que la vie te remette sur mon chemin.»
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Ludwig..
    C'est promis.

Ce que cette promesse contenait, même celui qui la prononçait n'en avait pas la moindre idée. Ludwig ne s'était jamais retourné, n'avait jamais regretté son passé et même, il faut le reconnaître, n'avait jamais repensé à la petite champenoise, si bien qu'il ne réalisait que maintenant combien elle lui avait manqué. Il avait fallu qu'elle vienne en personne lui rappeler son existence pour qu'il se souvienne qu'il l'aimait bien. Ce n'était ni mépris, ni hypocrisie. Seulement la maladresse d'un garçon qui avait du mal avec le temps quand ce n'était pas celui dans lequel il était. Car si au passé, il ne s'intéressait pas, l'avenir ne le concernait pas davantage. Courtisan vivait au présent. Aussi ne comprit-il à peu près rien de ce que Louise lui demandait. "Je ne veux pas d'adieux demain". Mais qu'en savait-il, lui, de ce qui se passerait demain ? Qu'y pouvait-il si tout à coup, il ne voulait plus la voir ? Ou si c'est elle qui ne voulait plus le voir ? Y songeait-elle ? Et que se passerait-il si la vie les forçait aux adieux, malgré leurs souhaits ? Et pourquoi fallait-il toujours que tout le monde veuille s'assurer que tout irait bien demain, et après-demain, et la semaine prochaine, alors qu'on n'avait même pas encore fini de vivre cette minute-ci ?

Finalement, il promettait. Bêtement. C'était un demi-mensonge pour ne pas avoir à dire une incertitude. Si elle lui demandait de promettre, c'est qu'il était supposé savoir s'il y aurait des adieux ou pas. Mais il n'en savait rien. Et il lui parut préférable de le cacher, afin d'être certain qu'elle n'arrêterait pas de lui embrasser le coin des lèvres. C'est qu'elle faisait ça bien et qu'il aurait eu tort de s'en priver. Elle avait toujours été audacieuse, Louise, à sa façon. Mais désormais, s'y ajoutait ce qui ressemblait fort à de la détermination. Elle disait ce qu'elle ne voulait pas, et, de là, faisait entendre ce qu'elle voulait. Elle ne voulait pas dormir, par exemple. En aurait-il été de même il y a un an ? La camériste d'il y a un an hésitait, laissait le courtisan aller plus loin à chaque fois mais l'arrêtait systématiquement lorsque le loin s'assortissait d'un trop. Quelque chose avait changé, donc, une volonté ferme s'était discrètement glissée et confortablement installée au milieu de la douceur. D'où ça venait, ça ?

C'était agréable, de la sentir plus disposée qu'auparavant, évidemment, mais ç'avait quelque chose d'inquiétant. Soit il n'y avait, en guise de raisons, que le manque, l'absence et l'attente, soit il y avait un connard. Un connard qui lui avait ôté ses peurs, et son hymen avec. Les lèvres se pincèrent à cette idée tandis que dextre glissait au creux des reins féminins, pour ne plus lui offrir la moindre liberté. Louise, c'était son histoire à lui. Oh, Ludwig n'était pas jaloux, elle pourrait bien baiser qui elle voudrait plus tard. Mais sa première fois, c'est à lui qu'elle la devait. Lui qui avait été patient, joueur, serein, qui s'était contenté d'étreintes désespérément chastes pendant si longtemps. Pour elle, lui aussi avait fini par ressembler à un jeune puceau, baladant des mains tremblantes sur son corps, y glissant des lèvres hésitantes et inquiètes de ne pas choquer outre-mesure la pudeur de l'adolescente. Ces-dernières s'étaient d'ailleurs rapprochées, venant se coller à leurs adversaires sans aller jusqu'à s'y appuyer.


    Je ne t'embrasse pas, Lou. Sinon je risque de ne plus pouvoir m'arrêter.

Il aurait fallu lui demander si un autre avant lui n'avait pas pu s'arrêter. Mais le brun n'avait foutrement aucune idée de la façon dont on pouvait demander ça. Alors, vilain garçon, aussitôt les mots prononcés, il relâcha l'étreinte, se tourna à nouveau vers le bâtiment, et puis saisit la main de la jeune fille dans la sienne.

    On va passer par les jardins. Tu n'as pas peur d'escalader un muret, hein ?

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Louise..
Il promet. Il promet et avec ces mots, il ne réalise sans doute pas que pour Louise, il permet à son petit cœur de rebattre d'espoir. Ce n'est pas l'espoir d'obtenir de lui de l'amour ou quelque chose du genre, car Chambrière sait qu'elle ne peut pas demander une chose pareille à un courtisan, encore moins à Ludwig. Mais s'il y a une mince chance qu'ils puissent retomber l'un sur l'autre comme aujourd'hui, alors, elle ne veut pas fermer cette drôle de relation par un "Adieu" trop définitif auquel elle ne pourrait pas déroger. Si lui vit dans le présent, elle, oscille constamment entre passé et futur. Elle est nostalgique de l'époque où ils s'offraient des instants complices en Champagne et elle a le nez dans le futur en pensant à ce que Madame pensera de ses agissements, de son absence, du risque de renvoi que cette audace pourra lui causer. Il y a tant de voix dans la tête de Louise, que ça lui donne le tournis. La seule voix qu'elle veut écouter à l'instant présent, c'est celle assez réconfortante du Lisreux. Comme les animaux, il a ce petit quelque chose qui attire sa proie sans qu'elle ne se rende compte. Ce n'est ni une lumière, ni un pelage décoratif, ni même une danse, mais c'est une aura, une prestance et un timbre de voix qui fait s'envoler sa conscience et sa raison comme autant de petites choses insignifiantes.

Elle ne réalise pas bien sûr, les pensées plus profondes de sa rencontre du soir. Elle ne s'est pas rendue compte de la portée que ses mots avaient sur lui et son orgueil. Sur ce qu'il brûle de demander et qui restera pourtant muet. Camériste ne voit que ses yeux, trop obnubilée par la bouche qui se rapproche, par ce souffle qui se fait palpable, qu'elle peut sentir se mélanger au sien. Est-ce son cœur à lui qui bat si vite, ou le sien qui manque de s'évader de sa poitrine? Est-elle coincée contre lui ? Non, elle ne ressentait aucunement l'effet d'un piège mais davantage celui d'un cocon où elle serait restée bien plus longtemps si elle l'avait pu. Elle a découvert avec lui, la sensualité. Le toucher, le contact, les caresses, toutes ces petites choses faites en détail et qui ont un impact incroyable sur ses sens. Il ne l'embrassera pas. Elle ne pourra pas lui faire changer d'avis. Mais Ludwig a l'art et la manière d'annoncer des choses décevantes, comme parler à la naïveté de la jeune blonde en lui assurant qu'il ne pourrait plus s'arrêter. Elle le croit, elle a envie que ce soit le cas.

Pas le temps de riposter pour la jolie chambrière qui déjà se fait entraîner par la main. Maladroite, elle trébuche, se rattrape et suit Ludwig, tête baissée, rougissante à l'idée de se faire prendre en pleine tentative de violation des lieux.


«Peur ? Si... Mais ma curiosité est plus grande... je crois.»

La voix de la douce est incertaine. Ils viennent de contourner le bâtiment et Ludwig s'est arrêté devant un muret, assez haut pour que Louise paraisse hésiter. Elle prend son temps, analyse. C'est comme ça avec elle, il lui faut le temps de comprendre comment s'y prendre avant de trouver le courage de le faire. C'est ainsi qu'elle fonctionne pour toute chose. Réfléchir, puis agir. Elle repère donc les aspérités dans le mur qui pourront lui servir d'accroche, mais elle aura tout de même besoin de l'aide du courtisan pour les atteindre. Là, tapie dans le noir, le ventre noué à l'idée de leur attirer des ennuis à tous les deux, mais le palpitant déraillant complètement par une adrénaline naissante, Blonde finit par prendre un ton plus autoritaire quand elle demande :

«Soulève-moi Ludwig, que j'atteigne cette prise s'il te plait.»

Et cette fois dans cette demande, il y a quelque chose de bien moins innocent. Tout comme dans cette main qui se pose contre son épaule quand elle se rapproche de lui. Il y a un risque, une folie qu'elle ne réalise pas avoir laissé sortir. Car l'un comme l'autre, savent qu'il lui suffisait de sauter un peu pour l'atteindre, cette prise. Il aura fallu un an à Louise, pour pouvoir s'imprégner des jeux de Ludwig pour les utiliser à bon escient. Un an pour qu'elle puisse à son tour répondre et donner envie, même s'il restait Maître en la matière.
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Ludwig..
Louise avait peur. La question qu'il lui avait posée était idiote. Bien sûr qu'elle avait peur. C'est seulement que lui, non. Il n'y connaissait rien à tout ça, il n'avait pas plus franchi de murets qu'elle, n'avait jamais invité à l'Aphrodite quelqu'un n'y ayant pas sa place, et ça ne l'effrayait pas. Ça ne lui faisait presque rien, si ce n'est qu'il trouvait ça gentiment divertissant. Mais si Louise n'avait pas été là, ça ne l'aurait pas amusé du tout, seulement ennuyé. Pourquoi avoir peur ? Entendons-nous bien, Ludwig n'était pas spécialement téméraire, c'est seulement qu'à sa naissance, on avait oublié de le doter d'un peu d'humilité, si bien qu'il avait vite tendance à se croire invincible. Or, en l'espèce, que pouvait-il leur arriver ? Ils agissaient discrètement et ils avaient plusieurs atouts dans leur camp, la probabilité de se faire prendre était faible. Et si cela arrivait, hé bien ? L'établissement semblait à l'abandon depuis la disparition du gérant et la mort d'Axelle, et s'il continuait à vivre au rythme des soirées mondaines, c'est seulement parce que le mécanisme était bien rodé et que les acteurs connaissaient leur rôle sur le bout de doigts, sans qu'un quelconque metteur en scène n'ait à les reprendre. Mais la vérité, c'est que, de metteur en scène, il n'y en avait plus, ou du moins se faisait-il discret. Alors, pour une nuit, Ludwig pouvait bien trahir son texte, qui s'y intéresserait ?

C'était ça qu'il aimait chez la petite adorée. Elle avait peur, ou froid, ou chaud, ou faim, et elle ne s'en cachait jamais. Elle éprouvait un panel d'émotions variées immense sans considérer qu'un voile devait les recouvrir et, pire, sans même songer à les en recouvrir. C'est comme si toute la pudeur qu'elle avait en elle s'était accumulée sur ce qui touchait à son corps, et qu'il n'y en avait plus de disponible pour cacher le reste. Elle était brute, honnête, sincère et sensible. Il était alors son strict opposé, lui qui faisait montre d'une impudence excessive pour tout ce qui concernait la chair, et qui dissimulait tout le reste jusqu'à ne plus lui allouer la moindre parcelle d'existence. Quant à savoir qui des deux avait raison, la question ne se posait pas. À son contact, elle apprenait à chasser un peu de la brume dans laquelle baignait tout ce qui la faisait trembler. À son contact, il laissait échapper des choses plus franches dont il ne soupçonnait même pas qu'elles soient en lui, des éclats de rire par exemple. C'était ainsi, et c'était pour le mieux.

Il la regardait, fasciné par ce qu'il parvenait à voir dans le noir. Elle avait peur, elle devait être impressionnée, intimidée, et elle agissait quand même, et ça avait l'air de lui plaire, de défier ainsi la terreur, de faire des pieds de nez à la timidité. C'était joli à regarder, et le courtisan souriait bêtement devant le spectacle, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle attendait quelque chose de lui. La soulever. S'arrachant à sa contemplation, il leva les yeux vers le muret, et étira son sourire. Impayable Louise. D'autorité, deux paumes vinrent encadrer le visage féminin et il déposa un baiser à son front, avant que ses mains ne s'échouent à ses hanches pour la porter. Il n'avait pas vraiment à faire d'effort, elle ne pesait rien. Une fois certain qu'elle était accrochée, il ne se laissa pas beaucoup de temps pour apprécier le spectacle qu'elle offrait juste au-dessus de sa tête. Ils jouaient aux cons en toute impunité, certes, mais ça n'était pas une raison pour traîner. Alors le brun fit un pas de côté, escalada le mur comme s'il avait fait ça toute sa vie, l'avantage de la grande taille, et se laissa dégringoler de l'autre côté avant de tendre les bras vers la camériste pour la réceptionner.


    Saute. Et plus un bruit tant qu'on n'est pas à l'intérieur.

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Louise..
La jeune blonde escalade, comme elle peut, les mains de Ludwig attirent assez sa concentration pour la faire rater sa prise et recommencer une nouvelle fois. Le sommet est atteint, une jambe passée, libére un bout de cheville quand le jupon se soulève et presque par habitude, Louise le replace immédiatement comme un réflexe de pudeur qu'elle tient à conserver, même devant cet homme qui a pu dévoiler quelques parties de son corps déjà. Le souvenir la fait rougir, les mains sont moites à cause de l'adrénaline qui pulse dans ses veines à cet instant précis. Elle reste là, assise sur ce muret à le regarder sauter de gestes lestes et souples, avec une pointe d'admiration dans le regard. La camériste s'essuie les mains contre ses jupes, hésite encore quelques secondes, un dernier regard lancé en arrière avant qu'elle ne se laisse tomber pour atterrir dans ses bras. Ce geste lui a demandé un effort considérable. Il a fallu dépasser ses peurs, dépasser ses limites et ses principes. Mais étrangement, cette intrusion lui fait le met effet que ses petits larcins chez ses patrons, ça lui donne l'impression d'être vivante et Louise aime bien ce sentiment là.

Il lui faut quelques secondes de plus pour faire un pas en arrière et parvenir à se détacher de lui. Le courtisan a un regard bien spécifique qui lui donne envie de le faire parler. Elle aimerait avoir le pouvoir de lire dans ses pensées et savoir ce qu'il se cache derrière ces deux yeux là. Et pourtant, ça fait partie du charme du Lisreux, cette part de mystère qu'elle n'arrive pas toujours à sonder. Elle le connait sans le cerner et il apporte à chacune de leur rencontre, son lot de nouveautés. Ce soir atteint le sommet de l'insolite pour Louise, car jamais encore elle n'a été aussi aventurière. Elle s'en remet au destin, au hasard et décide en esquissant le premier pas pour le suivre dans le jardin, qu'elle serait maîtresse de sa soirée, au moins une fois dans sa vie.

Rassérénée par cette décision nouvelle, la jeune femme marche derrière la silhouette de Ludwig. Elle trébuche soudain, étouffe une exclamation dans sa main et tend l'oreille pour s'assurer que personne ne l'a entendue. Son coeur semble frapper si fort dans sa poitrine qu'il en devient bruyant à ses oreilles, mais elle se fie au Matou quand il reprend la marche pour lui dévoiler une porte qu'elle n'avait même pas remarquée. Cet endroit éveille encore davantage sa curiosité. Et si pour l'instant, elle ne voit rien du jardin plongé dans les ténèbres, elle reste persuadée d'en prendre plein les yeux une fois cette ouverture passée. Quelle n'est donc pas sa surprise d'arriver non pas dans un hall, mais sur un couloir étroit dont les issues de chaque côté sont fermées pour ne permettre qu'une ouverture sur une autre porte en face d'eux. Camériste hausse les sourcils, elle se demande si ils ne se sont pas trompés d'établissement. Où sont donc les décorations fastueuses découvertes à l'entrée plus tôt ? Toutefois, elle fait confiance à son guide qui ne tarde pas à lui ouvrir la seconde porte. Cette fois, c'est un sourire qui naît au visage juvénile, les étoiles ne tardant pas à envahir ses deux grands yeux noisettes. Elle relève le nez tout en entrant d'un pas hésitant, cherchant des yeux une éventuelle âme qui aurait vite fait de la remettre dehors. Mais il n'y a personne visiblement et elle se permet donc de s'attarder sur la décoration.

Louise est sous le charme. C'est que ses Maîtres n'ont pas aussi bon goût et elle a rarement l'occasion de tester leurs mobiliers. Sa main effleure les matières, experte pour reconnaître la qualité utilisée. Sous le charme, elle finit par se retourner en cherchant Ludwig des yeux, comme pour s'assurer qu'il est entré dans cette bulle avec elle. Le regard évite le lit qui trône dans un coin de la pièce, comme si ses restes de pudeur bloquaient encore certains de ses désirs. Et si jusque là, elle a gardé le silence, obéissante, cette fois, il lui faut parler.


«C'est magnifique... C'est ta chambre ?»

Naïve, elle ne s'est jamais vraiment interrogée sur la logistique d'un bordel. Mais Louise se dit que si c'est la chambre de Ludwig, il a bien eu raison de partir de la Champagne pour s'offrir une vie de prince.
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Ludwig..
Charmante Louise. S'emparant de sa main sans lui demander son avis, il l'avait menée jusqu'à l'Initiée, la chambre la plus facile d'accès depuis les jardins, et la plus appropriée dans le cas présent, et il observait maintenant avec attention le visage déformé par l'émerveillement. Parce qu'il connaissait chaque recoin de l'Aphrodite, parce qu'il aimait à se la jouer courtisan expert et blasé aussi, il ne regarda rien d'autre que la camériste, prenant soin de garder sa menotte dans la sienne. Le spectacle valait bien les fauteuils de velours et le lit à baldaquin vers lequel elle n'osait pas se tourner. Il comprenait qu'elle puisse admirer tout ça, il imaginait que la découverte de toutes ces choses qu'elle n'avait jamais vues, et peut-être jamais imaginées, devait l'éblouir. C'était normal. Il comprenait, mais ne partageait rien de ce qu'elle ressentait. Ça faisait trop longtemps qu'il était là. Et se souvenait-il seulement de ses premiers pas ici ? Bien sûr que non. À son arrivée, il n'avait rien remarqué, c'est à peine s'il s'était aperçu de la richesse ostentatoire du bordel. Pour cause, il n'avait eu d'yeux que pour la propriétaire, dont l'élégance était en parfaite harmonie avec le luxe de l'établissement, les pieds nus beaucoup moins, et celle-ci l'avait, à n'en pas douter, infiniment plus marqué qu'Aphrodite et ses parures.

À la jeune blonde, le courtisan laissa le temps. Face aux premières fois, il fallait toujours s'armer de patience, elles le méritaient. Immobile et conservant une savante proximité, il la fixa donc jusqu'à ce que ce soit elle qui brise le silence. Et qui le fasse éclater d'un rire franc quoique discret. Sa naïveté l'achevait. Oui, l'environnement avait changé et il avait visiblement troqué les coups rapides et bêtement satisfaisants pour des plaisirs plus subtils et hauts de gamme, de ceux qui n'attirent et que ne peuvent s'offrir que les plus nobles. Reste que son commerce n'avait pas changé et, de fait, sa situation non plus. Lorsqu'on vend son corps pour avoir droit à un toit, on dort rarement dans des draps de soie. On se contente d'y baiser. Et si l'idée de mentir lui parut un instant tentante, il préféra ne pas s'y risquer quand, de toute façon, il n'y avait aucune de ses affaires dans la pièce, ce dont Louise se serait rapidement rendu compte.


    Non, bien sûr que non. Ma chambre est à l'étage, petite et moche. Ici, c'est une chambre pour... accueillir les clientes. Le plus sûr est que nous restions là un moment. Ça ne te dérange pas ?

La question était purement rhétorique, il n'y avait qu'à voir l'étincelle qui animait les yeux noisettes pour deviner que ça ne la dérangerait pas. Et, puisqu'il avait déjà trop attendu et qu'il était d'humeur joueuse, Ludwig souriant entraîna la camériste vers un fauteuil où il s'assit, et, l'attirant avec lui, la fit basculer sur ses genoux. Là, c'est sans chercher à feindre la moindre pudeur qu'il sema quelques baisers à son cou, avant de relever le visage vers elle.

    Puisque nous avons toute la nuit, raconte-moi la Champagne... Ce n'était pas innocent, bien sûr, et elle le connaissait suffisamment pour le savoir. Mais il était grand temps de mettre les choses au clair et de comprendre ce qui, de l'absence trop longue ou du potentiel connard, l'avait rendue plus aventureuse. Aussi enchaîna-t-il, à mots couverts. M'as-tu remplacé, là-bas ?

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