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[RP] Mon fils à toi

Andrea_
              Laver nos vies d'avant
              Les amours incendiaires
              Quand on avait l'aplomb de dire tout haut
              Qu'on était soi-disant des amants téméraires
              Qu'on ne ferait jamais faux bond à notre crédo *



Il est des moments plus faciles que d’autres, des retrouvailles que l’on avait imaginées plus heureuse, plus tendres et que je redoute maintenant, et ce petit corps que jamais plus je ne serrerais contre moi.
L’idée du début n’avait jamais était celle-ci, mais je pouvais n’en vouloir qu’à moi. J’avais malgré moi fait ce que je redoutais le plus, j’étais partie. Et je savais aujourd’hui que si mon propre enfant, encore nourrisson n’avait pas pu me retenir, alors rien n’aurait pu le faire.
Beren pourtant était arrivée au bon moment de ma vie, je ne souffrais pas de solitude, je n’étais engagée nulle part, mon cœur et mon corps étaient pour une fois en parfaite harmonie, accordée sur le fait qu’il était temps que ma vie se pose. Je me souviens encore de ce soir là, lorsqu’en arrivant en taverne, j’ai compris que tout allait changer. Sa blondeur ne m’était pas inconnue, et j’avais depuis plusieurs jours déjà partagé quelques tournées. J’avais observé depuis longtemps sa manière de materner Enolia, et j’en avais fait la promesse à la gamine, je prendrais soin d’Elle et l’éloignerait de sa belle mère.
Et ce soir là, l’évidence était devant mon nez, alors qu’il m’avait offert une rose, je savais qu’il m’avait conquise.
Passés les premiers émois, nous avons tout essayé pour que la routine nous épargne. Il s’était essayé au brigandage, et moi au respect. Nous voyagions, et il me présentait à sa famille, et ses amis, certains étaient enjoués, d’autres moins, mais toujours, toujours il me mettait à la place d’intouchable. Je n’ai jamais eu une seule fois, le doute qu’il me quitterait. Il était, je crois, l’homme dont toute femme rêve, aimant et généreux, tendre et protecteur, amant autant qu’époux.

Je ne sais plus très bien pourquoi je me suis fait la malle cette nuit là, je me souviens seulement du visage apaisé qu’il arborait sur l’oreiller, en sachant que plus rien ensuite, ne serait comme avant.
Certains disent que le plus dur c’est de prendre la décision de partir, et qu’ensuite c’est sauter le pas qui est compliqué. C’est faux, c’est put’ainement faux, le plus dur c’est de ne pas revenir quand on sait que l’on a merdé.
Ça vous fera sûrement sourire, mais je lui en ai longtemps voulu de ne pas m’avoir supplié de rentrer, je crois que c’est ce que j’espérais, mais ne nous mentons pas, je serai repartie à un moment, pour une autre raison, et j’aurais forcément remis la faute sur Lui.
Pourtant c’est Moi. Moi qui ai décidé de laisser le doute sans s’installer sans lui en parler, moi encore qui ai organisé mon départ, moi qui n’ai pas donné de nouvelles, moi qui suis partie à l’autre bout du monde, moi. Moi. Et moi. C’est ma faute à moi.


Aujourd’hui alors, c’était à moi de payer le prix de mes erreurs, le prix fort, le prix le plus fort qui soit pour une mère, aussi mauvaise soit-elle. Aujourd’hui j’allais affronter le père et abandonner mes droits sur mon fils, sans possibilité de retour cette fois ci.
Le rendez vous fût pris quelque part entre le Poitou et le Béarn, et alors que mes pas me ramenaient vers le passé, je fis l’amer constat que le temps n’était pas un allié. Qu’il n’avait pas effacé grand-chose de cette histoire. Le temps s’était contenté de masquer les doutes et les sentiments en parsemant mon chemin d’embûches, de rencontres plus ou moins belles. Le temps avait seulement mis des parenthèses à cette histoire, et il était temps désormais, d’en affronter les conséquences.







*Nos vies d’avant, Archimède.

_________________
Beren
[Nous vivions du temps, de son air
Arrogants comme sont les amants
Nous avions l'orgueil ordinaire
Du "nous deux c'est différent"
Tout nous semblait normal
Nos vies seraient un bal 
Les jolies danses sont rares
On l'apprend plus tard  *]



- … Je ne sais pas... Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Franchement, je ne sais pas.

Le Fiole sourit de côté, regard posé à un parchemin sur lequel sa plume crissait sans hâte. Il ne répondit pas, alors que son ami et homme de main, Constant, faisait les cent pas dans la piaule d'une bâtisse louée pour ces vacances poitevines, et faisait de grands gestes des bras pour ponctuer son discours.

- Tout cela me paraît être une très mauvaise idée. Non, écoute, Beren... Plus si j'y pense et plus je me dis qu'on ne devrait pas y aller.

- Que JE ne devrais pas y aller. Toi, tu ne vas nulle part.

Le brun ouvrit la bouche, d'abord médusé. Et puis le flot revint, clairement horrifié.

- Mais enfin, tu n'y penses pas ! Tu réalises combien... Tu sais combien de temps il m'a fallu pour te relever de ça ? Combien de femmes il a fallu trouver, pour que tu y passes ta rage, ta rancoeur, pour que tu y apaises l'ire qui te vrillait, à leur serrer la gorge ou leur ouvrir les cuisses ? Combien il a fallu que je cache de cadavres, de ces petites ou de bouteilles, pour préserver les enfants, pour essayer de te sauver, toi?! Tu n'y penses pas ! Tu divagues, tu racontes n'importe quoi. C'est décidé. Je viens avec toi.

- Oh non, Constant, tu restes là. Et tu t'occupes d'eux.

Claquement de langue, soupir... L'ami n'était à l'évidence pas satisfait de la tournure de cette conversation, et il leva les bras, pour les laisser retomber contre ses hanches.

- Ta décision est prise, donc? Tu ne reviendras pas dessus ?

- Parfaitement, oui. Passe moi de l'encre, veux-tu, mon pot est terminé.

Nouveau soupir, et après quelques enjambées, le contenant est déposé au bureau, y claquant si fort que quelques gouttes s'en échappent. Le Fiole, calmement, relève le regard pour dévisager le domestique, qui essuie la tâche noire, rageusement.

- Tu es calmé, c'est bon ? Alors écris en Savoie pour t'assurer que les enfants qui s'y trouvent ne manquent de rien. Ensuite, vas voir ceux qui sont avec nous, et préviens Sianne que je dois prendre la route.

- Mais elle va être furieuse ! Je lui dis quoi, moi?

Nouveau sourire du Parfumeur, franc, cette fois et dans le regard, un soupçon d'amusement à l'attitude de son vis-à-vis.

- Alors ça, mon vieux, c'est ton problème. Fais préparer la voiture, ensuite. Je pars dans une heure.

- Je crois que je te hais.

- Bien sûr, évidemment. Allez, à tout à l'heure.

Plissement des yeux, cette fois-ci, et inspiration pour ne pas craquer, devant l'évident désintérêt du Parfumeur, qui avait déjà repris la rédaction de Dieu savait quoi. Frustré et mécontent, il ouvrit la porte à la volée, et lâcha avant que de sortir et de claquer la lourde:

- On verra ce qu'en dira la Comtesse.

Cette sortie, toute de panache et de puérilité mêlés, fit éclater de rire le Parfumeur, qui secoua la tête avant de terminer la phrase qu'il avait entamée et qui ponctuait le « contrat » qu'il devrait faire signer à Andrea, puisque c'était d'elle qu'il s'agissait.

La première fois qu'il l'avait vue, elle avait l'air sereine, dans une vie paumée, ou paumée dans une vie sereine, il n'aurait pas su le décrire précisément. Elle aspirait à plus de calme ; c'est le tumulte qu'il l'avait engloutie, au final. Le parfum grisant des chemins de traverse, des routes à ouvrir soi-même, des campements où profiter d'un feu ou de la candeur imbécile des voyageurs imprudents, ça n'avait pu rivaliser avec le confort étouffant d'un feu dans la cheminée, le ronronnement trop tranquille des gazouillis enfantins. Elle vivait pour la vie, elle se serait éteinte à se sédentariser. Alors elle avait fui, et si la démarche avait été une insulte à leur histoire, la colère était retombée, avec le temps.

Lui-même avait vécu des choses prenantes, après un passage un peu compliqué. Il avait façonné son corps en brisant sa fureur contre des cailloux ; il était devenu sculpteur. Tailleur de pierres, plutôt, puisque les fontaines avaient constitué peu de commandes, au final. Il avait attendri la roche pour constituer un stock pour les remparts, environ sept cent morceaux de haine qui lui avaient changé la silhouette. Il n'était plus cet homme chétif que d'aucuns regardaient de haut, méprisant ce gringalet qu'ils auraient maîtrisé d'une pichenette ou d'un coup bas. Loin d'être une armoire normande, il n'en était pas moins athlétique ; sa musculature avait même permis d'atténuer le boitement de sa jambe. Il avait rénové le moulin qu'il avait acheté à Toulouse, en était devenu moins maladroit, plus habile de ses mains. C'était en voyant ces dernières que le regard de Sianne avait changé, alors qu'ils se croisaient pour la première fois depuis des mois et qu'il était accompagné de femme et enfants, à Genève.

Elle avait été scandalisée d'appendre qu'il avait abandonné les parfums et embrassé la carrière de sculpteur. Force était de constater qu'elle avait su lui rappeler qui il était au fond de lui, et c'était tout naturellement qu'ils s'étaient retrouvés, plus proches et plus complices que jamais, après s'être trahis mais avoir constaté que l'on peut s'aimer quand même après ça.

Cette visite à Andréa ne lui plaisait pas, il en était conscient. Mais il faut parfois passer par ce genre de moment.

Il enroula le vélin une fois seché, et se prépara pour cette rencontre. Elegant sans en faire trop, il fut enfin prêt à rejoindre le Béarn, éloigné de bien trop de lieues pour espérer ne pas y séjourner.

Après avoir embrassé Sianne et les enfants, il monta dans la voiture et allait leur faire un dernier signe quand Constant posa sa main sur la sienne, qui allait fermer la portière :


- Beren?
- Mhmm?
- Par pitié... Ne la trouves pas jolie.

Sans qu'il puisse répondre, les chevaux, déjà, étaient lancés pour l'éloigner, et l'emmener vers cette taverne où le rendez-vous avait été donné. Le long du trajet, les questions s'enchaînèrent dans son esprit, et le tendirent les unes après les autres. Que penserait-elle en le voyant ? Signerait-elle le document ? Avaient-ils bien vécu la même histoire, dans le temps ? Avait-elle changé ? Le reconnaîtrait-elle ? L'entrevue se passerait-elle bien ?

Finalement, après un périple des plusieurs jours éreintants de nuits sans sommeil, il parvint au lieu indiqué, hésitant plusieurs dizaines de minutes avant d'en faire cherrer la porte. Une inspiration et il actionna la poignée.

Rendez-vous en terre inconnue.



* Jean-Jacques Goldman, Je voudrais vous revoir.

_________________
Andrea_
              J'accepterai la douleur
              D'accord aussi pour la peur
              Je connais les conséquences
              Et tant pis pour les pleurs
              J'accepte quoiqu'il m'en coûte *




Quand elle avait rencontré Williamss, sa vie était un beau bordel organisé. Il y avait eu le quotidien à Snagov, où chacun des membres de la quête s’étaient peu à peu enterré, ce quotidien qui les avait tenus éloigné de la France suffisamment longtemps pour permettre la parenthèse qu’elle avait désirée. Il y avait de quoi apaiser sa soif de combats et même quelques sorties brigandage. Il y avait eu ce moment pour soigner les blessés, et ceux où il avait fallu les ravitailler. Il y avait ces amants qu’Ansoald et Elle n’étaient plus, et ce coeur qui n’avait jamais voulu s’ouvrir à Lui. Il n’y avait plus rien à sauver, plus rien à espérer, et elle avait développé cette quiétude qui l’étonnait elle-même. Loin de continuer à creuser son trou, elle se satisfaisait de ce qu’elle avait, se contentait de vivre, en attendant ce qui la bouleversera.

C’est là qu’elle a commencé à guérir, à se pardonner aussi. Et lorsque par je ne sais quel stratagème ils en étaient venu à parler d’épousailles, la Colombe avait tenu à quelques accords écrits, le Comte y avait consenti, et ensemble, ils avaient donné naissance à un contrat de mariage level PRO. Il y avait au fond de ce contrat, la volonté de ne pas refaire inlassablement les mêmes erreurs, sans pour autant s’enchainer dans une routine qui ne leur conviendrait pas. Ils auraient le droit de partir loin l’un de l’autre, mais pas plus de dix jours. Il faudrait prévenir. Je vous assure que lorsque l’on met sa fortune en jeu, tout de suite, c’est plus engageant…

Mais le contrat s’est joué d’eux, à moins que ça ne soit le destin, ou la volonté profonde d’aimer à nouveau, et aujourd’hui ne restait de ce parchemin que le souvenir qu’il existait. Tout était devenu évident.
Alors bien sûr elle n’était plus la même, et chaque jour elle apprenait, chaque jour elle se démenait, elle se battait pour qu’ils soient plus forts, pour que Williamss soit son dernier époux, parce que… Parce que ça suffit les conneries !
Alors que son visage se reflète dans le verre plein qu’elle a commandé pour paraitre décontractée, Elle se remémore son histoire avec Beren. Regrettant malgré Elle de n’en avoir que peu de mauvais. Vous savez, ça aide dans ces moments là, c’est plus simple de haïr un ancien amant, c’est plus simple de lui cracher à la figure que de lui dire combien on est désolé. C’est plus facile de parler de lui en le dédaignant, de dire que c’était insignifiant, une petite goutte dans l’océan, les gens comprennent qu’on se sépare quand on ne s’aime pas, mais lorsque les sentiments encore existent ? Aurait-il compris, eux, que les « bien tendrement » en bas des courriers adressés à son amie l’avait attristée ? Les amis disent que vous avez changé, qu’il faut être une maitresse, continuer les vols, attaquer les mairies, laisser les enfants et l’époux et revenir dans un mois, dans six ou peut être jamais, les voisins disent qu’il faut être une mère, une épouse, qu’il faut être bienveillante, il faut… Il faut toujours, les gens vous dictent votre conduite que vous le vouliez ou non, ils jugent et affectent votre vie.

Je ne savais pas encore que l’on pouvait tout concilier. Et j’ai tant crié que c’était impossible, qu’aujourd’hui, oui, je l’avoue, je suis honteuse de me présenter devant Beren avec cette certitude. Et que dire du fond de cette rencontre… mon si petit garçon.
Tout ici me paraissait mal choisi. De cette taverne aux fenêtres trop petites à ce tavernier déjà saoul. De cette coiffure ridicule à mi chemin entre le « classe » et le « je m’en foutisme ». De cette paire de bottes qui était propre jusqu’à ce que je marche dans une flaque, à cette robe bleu marine au col bateau. J’avais pris soin de porter ce médaillon reçu à Snagov, qui, même caché sous le tissu me rassurerait. J’étais sûrement trop apprêtée pour l’occasion, est ce que le col de cette robe était ajusté, et cette mèche qui refuse de rejoindre les autres, dois-je la laisser pendouiller ? Est-ce que… J’avais simplement envie d’en vouloir à la terre entière, envie de leur demander, à tous les biens pensants, s’ils savent comment on doit faire pour ce genre d’évènement, ce qu’on doit porter, où on doit aller, ce qu’on doit se dire.

J’avais, je crois, les larmes aux yeux lorsque le chien du tavernier avait donné signe de vie. Le bouge ne recevait pas grand monde et cela indiquait sûrement l’arrivée de Beren. Je pris une grande goulée d’air, avec la certitude que celle de ma naissance était aussi douloureuse, rapidement j’avais d’un revers de main, essuyé mes yeux et le plus naturellement du monde, je pris une longue gorgée de ce vin infâme qu’ils servaient ici, autant pour me donner du courage que pour ne pas avoir eu l’air de l’attendre.
Lorsqu’il approcha, j’eu d’abord le doute sur son identité. Où était passé l’homme boiteux que j’avais laissé, celui dont la démarche laissait planer le doute sur son âge. Où était l’époux frêle qu’on pouvait serrer sans s’démettre une épaule, sans plier sous son poids**. Et si le miel de ses cheveux m’avait donné quelques réponses, je trouvais dans l’émeraude de ses yeux la force d’expirer cet air.

Le temps avait fait son œuvre et je ne pu qu’admirer l’Homme qu’il était devenu. Il avait toujours cette élégance innée, mais je ne saurais dire si c’est la luminosité, le reste d’humidité dans mes yeux, ou simplement le fait de le revoir après tout ce temps, mais il se peut qu’un sourire se pose sur mes lèvres.
Je me levais, incertaine sur la manière de procéder, est ce qu’on est sensé s’embrasser ? S’ignorer ? Est-ce que l’on est sensé discuter, partager un dîner ? Signer son papier et m’enfuir, encore ? A-t-on besoin de se dire bonjour quand on ne s’est jamais dit au revoir ?
La seule chose dont j’étais sûre, c’est que je lui devais la vérité. Et je m’excuse, Beren, de ne pas te détester.



Le tavernier est censé te servir à boire à ton arrivée mais… L’acier se posa sur le tavernier endormi avant de croiser les émeraudes dans un haussement d’épaules, elle poussa doucement son verre vers lui et s’assied, l’invitant à en faire de même. Il lui semblait plus prudent de ne pas le toucher.
Tu as changé, c’est.. c’est bien je suppose. Je… Je n’ai jamais voulu rompre notre mariage comme on démissionne d’un emploi, je n’étais que ressentiment Beren, ça aurait été injuste à cette époque.

En terre inconnue, mais en terrain connu, il est temps de jouer cartes sur table.








* « Pas l’indifférence », Jean Jacques Goldman
** « Morgane de Toi », Renaud.

_________________
Beren
[Si c'est toi qui passes le jour où je me promène
Si c'est vraiment toi, je vois déjà la scène
Moi je te regarde
Et tu me regardes...*]



Sitôt a-t-il actionné la poignée de porte, il a regretté de ne pas avoir fait mieux que cette chemise de lin, simple et légère, bien plus confortable que la soie qu'il avait longtemps affectionnée. Mais le lin, c'est bien, c'est sobre, pas ostentatoire. Elégant dans la fibre, dans le tombé du tissu, qui épouse malgré lui les contours en les flattant. Pas de cravate, non plus, qu'il avait pris l'habitude de ne plus porter qu'exceptionnellement. En acceptant l'humilité d'un métier manuel, il avait débarrassé sa vie de fastidieux artifices, et si le mariage avec Sianne apporterait son lot de titres et richesses, il n'en demeurait pas moins, aux yeux des gens de cette dernière, un homme simple et abordable.

Méritait-elle de le voir si différent ? Attendait-elle la copie conforme de ce qu'elle avait choisi de laisser derrière elle, il y avait de cela bien des mois ? Fallait-il vraiment qu'il ne soit en rien similaire à ce qu'elle avait connu de lui ? Ne serait-il pas trop déroutant pour elle, pour eux, d'avoir l'impression d'avoir affaire à un parfait inconnu, alors même que la raison de leur entrevue touchait à l'intime, à ce qu'il y avait eu, entre eux, de plus précieux ? Avant de rentrer à l'édifice, il tendit la main pour cueillir l'une de ces fleurs des champs qui s'égarent parfois au pied d'une route ou d'un muret, une sorte de petite obole florale, un rien-du-tout qui aurait peut-être du sens, pour elle, si elle s'en souvenait.

Par Dieu sait quel réflexe imbécile, il avait braqué ses yeux en direction du comptoir, de manière à ne pas, déjà, avoir à tourner les prunelles vers la salle, vers elle, peut-être. Las, le tavernier pionçait comme une souche, son souffle lourd trahissant la cuvée d'une journée déjà trop arrosée. Qu'est-ce qu'on peut bien fêter, dans un désert pareil ? Est-ce qu'on trinque à l'absence, ou est-ce qu'on cherche à la taire, en espérant voir danser autre chose que les fantômes de possibles qui nous ont échappé ? Le chien massif du propriétaire vient tranquillement vers lui, et le voilà qui vient cogner puis se frotter à ses jambes, alors que la main large du Parfumeur vient lui flatter le dessus du crâne. Un sourire détendu par ces vœux de bienvenue canins lui permet d'avoir la force, tout en gratouillant derrière l'oreille animale, de tourner la tête vers la salle.

Elle est là, déjà, et sa vue interrompt la caresse, sa main se suspendant quelques centimètres au dessus de la tête du canidé. Ce dernier, déçu ou peut-être déjà trop fatigué par la chaleur, s'éloigne d'un pas lent, et se laisse choir mollement près du comptoir. Comme il le comprend, à cet instant. Sa colère elle-même s'est couchée, calmée par cette robe bleue, cette coiffure, qui le ramènent un instant vers un jour d'été où il était venu la chercher pour qu'ils assistent à un mariage. Cette robe tâchée par les fruits cueillis par Victoire, qui ne les avait pas empêchés de jouer la nuit de noces avant que la cérémonie soit donnée, dans un coin tranquille, près des remparts. C'était le mariage de qui, déjà ? Peu importe. Ca avait été une chouette journée, alors.

Elle est jolie, évidemment. Il n'y avait bien que Constant pour espérer que le Fiole ne soit plus capable de noter la beauté chez cette femme qu'il avait profondément aimée, naguère.

Pour se donner du courage, il inspira et se racla la gorge, comme pour faire passer ce genre de souvenirs qui vous plombent un peu la trachée de s'y ancrer. C'est peut-être une pudeur de l'âme, dans ces cas-là ; la mémoire s'accroche à la glotte pour empêcher la bouche de formuler des regrets, dans une sorte de réflexe salutaire.

Elle se lève, alors qu'il est s'est approché et est resté planté devant la table, sans trop savoir quoi faire, sinon passer sa main dans ses cheveux, dans un aveu de nervosité.

Le tavernier est censé te servir à boire à ton arrivée mais…

Sa voix. C'est frappant, cette voix, comme on pensait l'avoir oubliée, et comme c'est elle qui donne toute sa réalité à la scène. Elle est donc vraiment là, il est donc vraiment venu, et tout cela n'est pas une sorte de songe perdu au détour de la mémoire. Fort judicieusement, Andrea tourne les yeux vers le tavernier, dans un mouvement éloquent quant à l'absence de réaction du propriétaire des lieux, mais lui ne bouge pas, incapable de se mouvoir d'abord. Il l'observe aussi parce qu'il n'a pas eu l'heur d'un dernier regard, et que peu à peu, si l'esprit n'oublie pas, il atténue les traits, déforme un peu les lignes. Ca floute, la mémoire, c'est une sorte de consolation. Si avec le temps va, tout s'en va, pafois, on aimerait conserver l'image, vraiment, et puis ça nous échappe. Cette entrevue est une piqûre de rappel, et c'est violent de tumulte, c'est si bouleversant qu'il ne s'y attendait pas.

Et Constant l'avait prévenu, dans le temps : « Elle te fera changer la course des nuages, balayer tes projets, vieillir bien avant l'âge. Tu la perdras cent fois dans les vapeurs des ports. C'est écrit**, Beren ! ».

A l'époque, il avait ri à ces mises en garde, les avaient balayées du sourire trop fier des imbéciles qui ont des certitudes. Comme il avait regretté, ensuite, s'être montré si présomptueux ! Si la vie lui avait appris une chose, c'était que quoiqu'on gagne, on finit par perdre. Que rien n'est acquis, que tout est périssable, que dès que l'homme croit en quelque chose, la vie s'attèle à lui montrer que tout est vain, à commencer par l'amour.

Car il y avait eu de l'amour, quoi qu'on en dise. Et ce fut d'autant plus évident quand leurs yeux se croisèrent.

Elle s'assied, lui présente un verre, et alors qu'il posait la main sur le dossier du fauteuil désigné pour y prendre place, la suite de son propos lui parvint. C'était sans doute tôt pour une telle phrase, mais cette façon de foncer dans le tas, c'était aussi elle.


Tu as changé, c’est.. c’est bien je suppose. Je… Je n’ai jamais voulu rompre notre mariage comme on démissionne d’un emploi, je n’étais que ressentiment Beren, ça aurait été injuste à cette époque.

Il les reconnaît, ces mots-là, c'était les siens, au moment où ils s'étaient échangés des courriers acerbes, où il avait trouvé qu'elle ajoutait à la lâcheté la cruauté d'un départ impersonnel. Les choses avaient sans doute changé, avec le temps. Tout comme lui, c'était vrai. Enfin, il fallut bien dire ou faire quelque chose. Alors il posa la fleur préalablement cueillie devant elle, comme il l'avait fait, jadis. Puis lui, choisit de la toucher en prenant délicatement sa main et en y soufflant un baise-main, puis, en la relâchant avec la même douceur, s'arrangea pour que leurs yeux se croisent à nouveau.

- Tu es très en beauté, Andréa, et ça, ça ne change pas. Il est vrai que notre histoire s'est achevée sous mille tourments. Je sais que tu as fini par trouver ce que tu cherchais, ce dont tu avais besoin. Oh, j'ai croisé Ansoald, il s'est comporté avec la morgue amusée de celui qui peut se targuer d'avoir conquis la citadelle que l'on pensait imprenable...

Le mot est affreusement bien choisi, et ça lui vrille un peu le bide de rester là-dessus, alors il ajoute, dans un sourire bienveillant:

- Enfin, il est encore un peu trop fier pour admettre qu'il n'a pas su te convenir et, au final, il m'a fait un peu de la peine, pour lui. Je voulais, avant toutes choses, te remercier de m'accorder un entretien ; j'ai lu quelque part que tu étais investie en politique, j'imagine que je prends sur ton temps.


* Jonasz, Je voulais te dire que je t'attends
** Cabrel, C'est écrit.

_________________
Andrea_
              J'étais une étrangère,
              Vous étiez étranger
              Moi pourtant familière
              Vous si familier
              Peut-être en cet instant précis
              Vous y pensez aussi *



Vous connaissez cette légère gène dans la poitrine, celle qui n’est pas douloureuse mais qui vous empêche de respirer correctement. Ce moment que choisit votre cœur pour frapper plus fort, pour vous montrer qu’il existe ou simplement pour que le cerveau se mette en route plus rapidement. Un léger étourdissement, de ceux que vous pouvez rattraper comme si de rien n’était mais qui change l’expression sur votre visage.
Elle avait foncé dans le tas, parlé, trop vite, de choses trop profondes, des souvenirs trop amers, trop, trop de trop, comme la trop grande tristesse qu’elle avait ressenti quand elle avait compris qu’il n’y aurait pas de retour en arrière possible cette nuit là. Trop de mots pas digérés, qu’elle avait dégueulé comme un appel à l’aide, pour ne pas sombrer, ne pas qu’il la regarde, encore, qu’il la touche, pour ne pas voir dans ces yeux qu’il avait reconnu cette robe qu’elle portait au mariage de… Thétys ? Avaient –ils assistés à la cérémonie d’ailleurs, ou s’étaient ils seulement arrêtés à…
Oui elle avait parlé, assez pour ne pas rester comme une plante verte, pas assez pour qu’il n’y ai pas ce silence, pourtant salvateur, où le Fiole approche sa main de la table. Ce silence où ta raison le supplie de ne pas te toucher, de garder cette distance, de ne pas raviver les souvenirs d’un contact. Tu parles en espérant que l’autre réponde sans qu’il ne puisse rien faire d’autre que répondre, répondre au plus vite. Ne. Me. Touche. Pas.

Fourbe que tu es Beren, tu poses cette fleur et tu embrasses ma main, comme la première fois. Sais-tu seulement combien de nuits il m’a fallu pour oublier cette soirée ? Combien de promesses non tenues, de verres avalés, combien de prises de tête pour qu’enfin on ne m’offre plus ces fleurs ci et toi tu…

Tu me regardes. J’aurais donné cher Beren, pour te retrouver dérangé, ravagé, dépravé, déparé de ta beauté**, j’aurais aimé avoir pitié de toi, te montrer combien je suis forte, regarde je t’ai quitté et je vais ruiner ta vie maintenant, je vais te retirer notre enfant, ou te le laisser, tiens, pour que chaque jour tu puisses l’admirer et chaque matin te bouffer dans les dents combien on était bien ensemble, qu’on était beaux, combien on s’est aimé assez fort pour donner la vie à une petite chose si parfaite qu’on ne la méritait sûrement pas. Oh oui Beren, j’aurais donné cher pour que mes yeux dans les tiens ne lisent rien de bon, qu’ils s’animent d’une rancune irrévocable, peut être m’auraient ils arraché des paroles houleuses ou des gestes déplacés. Ça aurait rendu les choses bien plus simples.

Sais tu combien de temps il m’a fallu pour me persuader que tu n’avais été qu’une erreur de parcours ? Que je ne pouvais pas être tombé amoureux d’un homme qui aime les parfums, qui fait de la politique, d’un homme qui boite et qui porte des bésicles ? Le sais tu Beren, pour que sans aucune forme de respect tu OSES toucher ma main ? As-tu conscience que tu défais en un seul geste, dix huit mois de détermination ?
Et je ne sais pas si, alors que ton regard croise le mien, tu te doutes de tous les mélanges de sentiments qui m’assaillent. Partagée entre l’envie de formuler mes excuses, mes regrets, et celle de te hurler, de t’interdire de me toucher, de te menacer de te tuer si tu ne me rends pas cet enfant, de… .
Submergée, par le ras de marée de souvenirs que j’avais délibérément enfouis. Impressionnée, aussi, par ce calme olympien dont tu fais preuve quand moi, je meurs à l’intérieur. Et je l’avoue, complètement ensorcelée par ce regard, car si tu as changé Beren, tes yeux parlent pour toi. Je m’y suis tant de fois accrochée qu’une fois encore je tente de ne pas sombrer, et lorsque les premiers mots jaillissent d’entre tes lèvres. Des mots salvateurs, des mots qui viennent troubler tout ce que je ressentais pour tenter de me concentrer à nouveau sur eux, non plus sur toi. Et ça en demande de la détermination, pour y arriver. J’entends tes mots, jusqu’à les écouter.

Je suis surprise qu’Ansoald en fasse partie, lui qui n’aura été qu’une petite parenthèse de ma vie, une excuse pour partir. Certains partent acheter des clopes, et ne reviennent jamais, moi… Moi j’avais Anso. Nous avons partagé nos corps et nos humeurs, mais toujours nos cœurs sont restés hermétiques. Le sien éternellement occupé par un blond hautain, le mien perdu quelque part dans notre chambre. Déos sait que tu avais dû bien le cacher pour je ne le retrouve que plusieurs mois plus tard. J’avais secoué doucement la tête, en le priant mentalement de ne pas continuer sur ce terrain. Et je fus exaucée.

Les yeux féminins pourtant, se décrochent rapidement des émeraudes, elle arriva même à esquisser un sourire avant que l’acier ne lorgne la main qu’il a embrassé. Longuement. Elle semble pensive, probablement absorbée par les songes de cette soirée de début d’été, il y a plus de deux ans désormais. Mais de peur que les secondes durent des heures elle releva les mirettes sur Lui, en même temps que la fleur rejoignit ses cheveux. Ne t’attends pas à ce que je parle d’Ansoald, je ne saurais quoi te dire. Il m’a convenu, il était parfait dans le rôle que je lui avais attribué, il m’a accompagné, il m’a tenu compagnie. Il m’a occupé le corps quand le cœur n’en pouvait plus de saigner, mais je ne pense pas que tu sois prêt à l’entendre, et quand bien même tu l’étais, moi, je te respecte trop pour te le dire.


Rien ne m’a jamais empêché de faire quoi que ce soit contre ma volonté…Jamais. Être juge n’y change rien. C’est ici que je voulais être aujourd’hui. Elle ferme les yeux un instant avant de reprendre, posément.

Je ne suis pas partie pour Lui, ce n’était pas d’un époux dont j’avais besoin, j’en avais un… Et c’est pour ce dernier que je suis là aujourd’hui. Et pour notre fils.
Je pensais que j’aurais pu le voir une dernière fois


Tourne la tête Beren que tes yeux jamais ne posent sur moi leur pitié. Et quoique tu en penses, laisse-moi exprimer le regret de ne pas l’avoir revu avant de le laisser devenir le fils d’une autre. Laisse mes mains se serrer, et l’ivoire se planter sur une lippe, laisse moi un instant pour maudire ce tavernier qui ne sert pas à boire. Laisse moi me recentrer sur la raison de cet entrevue, je l’avais imaginée houleuse, j’étais bien loin de la vérité.
Alors oui, tourne la tête, et laisse moi le temps de te détester un peu, suffisamment pour oublier combien je t’ai aimé.





* « Le baiser sans prénom », Calogéro, avec accords des se’xes pour cohérence.
** « A mes dépens » Archimède

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Beren
La volonté. Existe-t-elle vraiment, la volonté ? Est-ce que nos choix nous appartiennent, ou bien nous en persuadons-nous, pour l'impression de pouvoir qu'ils représentent à nous, pauvres petits joujous d'un destin souvent trop féroce ? Est-ce qu'au contraire, nos choix n'en sont pas, et qu'il était écrit, comme le disait Constant, que nos vies iraient ainsi, que nos chemins iraient par là ? Quelles espèces de marionnettes sommes-nous, à nous débattre contre les affres de tel ou tel tourment, à jubiler bêtement quand le sort nous est favorable ? Les humains sont si idiots que si quelque mal leur arrive, c'était la faute de la destinée, si quelque bien survient, c'était un habile tour de leur main.

C'est à cela qu'il songe alors que cette rencontre saugrenue les mène à ne pas se hurler dessus, quand bien même y a-t-il eu tant de rancoeur, tellement de ressentiment. Il avait appréhendé cette entrevue, qu'il avait vécue en songes à plusieurs reprises. Inmanquablement, l'un venait à piquer l'autre, et cela partait en eau de boudin. Ils s'étaient chipé le cœur il y a deux années, elle était partie en piétinant le sien. Il l'avait haïe, alors ; pas de l'avoir quitté, ça, il aurait même pu le comprendre, mais à la manière dont elle s'y était prise. Elle avait filé à l'aube d'un jour sans joie, et il avait fallu langer, nourrir, s'occuper de cet enfant laissé en offrande sur l'autel de la liberté. C'est la grossesse qui lui avait fait espérer qu'elle resterait, et il s'était trompé. Peut-être avait-il cessé d'être amant pour être père et l'avait-il négligée. Peut-être avait-il commis quelque faute qui justifie que son cœur se détourne, et qu'elle le préfère ailleurs. Peut-être s'était-il accroché à un mode de vie trop guindé, sans réfléchir à ce qu'il aurait pu changer pour elle. Peut-être. Lui s'était tellement de fois répété qu'elle l'avait insulté dans sa manière de partir sans même un « au revoir », que longtemps, il n'avait pas vu sa propre faute.

Ca aurait été plus facile à vivre s'ils avaient tout essayé, les promenades en été, paysages et couchers de soleil, voyages à l'étrangers, relais-châteaux, dîners aux chandelles. S'ils avaient tout essayé, alors il aurait pu entendre quelque chose du genre « Rien n'y fait, rien ne marche ; ne vois-tu pas qu'il est mort, notre amour ? »*. Peut-être qu'alors, il n'aurait pas fallu vingt quatre mois pour qu'un rendez-vous soit pris.

Oui, il l'avait détestée, jusqu'à ce qu'il se comporte lui-même d'une manière peu recommandable. Après des mois de rencontres sans lendemain, de conquêtes faciles en putains, de liaisons furtives pendant lesquelles il était incapable d'être fidèle, il avait posé ses valises à Toulouse, et il avait rencontré Lysianne. C'était quelqu'un de bien, Lysianne. Une gentille, une maman, loin de ces dames qui font rougir le sang**. Elle sortait d'un mariage triste, décevant ; ils s'étaient apprivoisés, petit à petit, s'étaient tourné autour longtemps, avant qu'ils forment enfin un couple. Elle avait un fils ; il en avait des tas. Elle avait pris les siens, il s'était rapproché de son gamin. Ils avaient voyagé, avec Zézé, Sandino et Oxan, avaient vécu à la mode gitane pendant des mois. Lui. Lui et son putain de confort avaient passé des semaines à apprécier les campements, à vivre dans une roulotte, à faire des spectacles en plein air pour divertir les gens. Et puis il avait acheté et rétapé ce moulin, ils avaient adopté un gamin, et le ventre de Lysianne avait fini par s'arrondir, soleil levant d'une nouvelle ère, aube d'un nouveau jour.

Sauf que. Sauf qu'ils avaient pris la route pour le tournoi. Ne voulant pas provoquer une rencontre avec Sianne, parce qu'elle aurait supposé qu'ils s'entretuent ou se sautent à la gorge, il avait demandé à éviter la Savoie, à faire le détour par la Bourgogne. Juste avant que de pénétrer en Confédération Helvétique, il avait accepté la demande de Gianni, le fils de Lysianne, d'être adopté par lui. Et il n'avait pas fallu plus de cinq minutes pour que Sianne entre en taverne à Genève. Quelques rendez-vous, qui avaient montré qu'ils étaient loin de se détester, le désir était de nouveau prégnant. Ils avaient lutté, un peu, et ils avaient cédé. Plusieurs fois. Sans retenue. Sans que le remords n'adoucissent leurs gestes secs d'avoir été longtemps retenus. Et il avait abandonné Lysianne, alors qu'ils devaient se marier - le prêtre n'était pas venu, c'est dire si le Très-Haut croyait en leur histoire. Il avait fini par le lui dire, quand l'idée de laisser Sianne derrière lui lui était devenu inconcevable. Elle avait perdu l'enfant ce soir-là, il n'avait pas esquissé le moindre geste. Et elle était partie, en lui balançant à la tête qu'il n'était qu'une raclure, un déchet, une erreur.

Somme toute, il avait connu son lot de trahisons, et sans doute avait-il reconnu ses torts, au final. Lara le lui avait hurlé au visage, jadis : il était loin d'être un chevalier blanc.

Quand elle sembla avoir le regard perdu à cette main qu'il venait d'embrasser d'un souffle déférent, il la regarda, sembla chercher ce qui pouvait bien animer son esprit derrière la cascade humide de ses iris. Enfin, elle releva les yeux, et lui parla:


Rien ne m’a jamais empêché de faire quoi que ce soit contre ma volonté…Jamais. Être juge n’y change rien. C’est ici que je voulais être aujourd’hui.

Il sourit, bienveillant, assez complice. A bien y réfléchir, ils étaient peut-être un peu plus similaires qu'ils ne l'avaient songé, qu'ils ne l'avaient senti lorsqu'ils étaient en couple. Il la laisse poursuivre, sans déloger son regard de son observation.

Je ne suis pas partie pour Lui, ce n’était pas d’un époux dont j’avais besoin, j’en avais un… Et c’est pour ce dernier que je suis là aujourd’hui. Et pour notre fils.
Je pensais que j’aurais pu le voir une dernière fois


Il accuse le coup, parce qu'il a un peu honte de ne pas avoir emmené Alexandre, bien que son absence soit volontaire. Pas pour les raisons qu'elle imagine, sans doute, et c'est avec une voix douce qu'il lui répond, pour ne pas la heurter plus que la situation ne l'est déjà.

- Je te dois des excuses. Je n'ai pas su, à l'époque, te montrer que j'aurais pu changer, que j'aurais pu adopter un mode de vie radicalement différent. J'ai beaucoup changé depuis lors, et j'ai conscience de ce que je n'ai pas été à la hauteur. J'ai voulu venir te chercher, quand tu es partie. Mais tu m'as quitté parce que j'étais cet homme faible dans lequel tu ne reconnaissais pas ton autre, et je n'ai pas voulu ajouter la supplique à la faiblesse. Je me suis drapé d'indifférence, j'ai fulminé de rage, j'ai hurlé que c'était ta faute pour ne pas voir que c'était aussi la mienne, et il m'a fallu du temps pour réaliser que moi-même, j'étais largement capable de ce que j'avais considéré à ton départ comme une bassesse. Je crois que chacun fait comme il peut, au final. Mon ex-compagne doit maudire Sianne autant que j'ai pu maudire cet homme qui pouvait t'étreindre quand je n'avais pas pu t'embrasser une dernière fois. Mais quand je l'ai quittée, j'ai songé à mon bonheur, et ce n'était pas elle. De la même manière que ton bonheur n'était pas moi. Que ce n'est pas pour lui que tu es partie, pas davantage contre moi, mais pour toi. Quant à notre fils, j'ai...

Il inspire, parce qu'il comprend que ce n'est pas évident, lui-même a laissé les enfants à Lysianne. Il sait quel sacrifice cela représente.

- J'ai pensé que ce serait trop dur, pour toi. Je n'ai pas voulu rajouter à ta peine. Mais je t'ai fait fabriquer quelque chose, pour que... enfin...

Il plonge la main dans sa poche, et en sort un médaillon rond de la taille d'un camée, echo de ce caillou qu'il lui avait offert dans le temps et qu'il n'a pas oublié. Avec précaution, il l'ouvre sur un portrait du bambin, et le pose devant elle.

- Il a tes yeux, tu vois. C'est un adorable enfant. Il s'épanouit de jour en jour, et adore ses frères et soeurs. Il a un certain don pour emmerder le monde... ça, c'est ton côté, hein.

Il échappe un léger rire sans joie, plus triste qu'autre chose, et presse un peu sa main après y avoir posé la sienne.

- C'est pour lui que je t'ai écrit. Ce n'est pas contre toi.


* Archimède, On aura tout essayé.
** Jean-Jacques Goldman, Je commence demain.

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Andrea_
              Je te dis pas les peurs, les lueurs et les flammes
              Je te dis pas le sang qui fait cogner le cœur
              Je te dis pas ces moments si froids et si pâles *



Le néant. Le vide. Le grand saut avant la chute, et l’incapacité ne serait que de balbutier quoique ce soit. Il n’aura qu’un sanglot, venu de nulle part, quand les aciers se posent sur le portrait de son fils. Un son, quasi guttural, une plainte, l’écho d’une douleur qui se creuse un peu plus lorsqu’en fermant les yeux elle effleure du bout de doigt l’image de son dernier né. L’éclat d’un cœur qui se brise en si petits morceaux qu’il serait impossible de le reconstruire. Laissé pour mort, abandonné au fin fond d’une taverne Béarnaise.
C’est à ce moment là que la haine revient, violente, un coup d’éclat, le tressaillement qui suit le trépas, quand on meurt mais qu’on refuse l’inévitable. Il n’y a pas de lumière au bout de ce tunnel, il y a la vérité, celle qui fait mal, qui change une personne à tout jamais. Il a ce poing qui se referme sur le médaillon et qui pourrait le détruire si une main, beaucoup plus douce ne s’était pas posée sur la sienne.
Elle a beau essayer de parler, la voilà muette, murée dans sa douleur, lèvres scellées.

Elle s’accroche à cette main sans pouvoir regarder son propriétaire, elle s’accroche à elle comme on s’accroche aux branches lorsque l’on tombe. On s’y accroche, car c’est ça la vie, c’est surmonter les épreuves, ensemble, même si cet ensemble n’est plus un « nous » désormais.
Et la main libre qui se lève lentement, signe qu’il faut attendre. Laisse moi le temps, sinon d’accepter au moins de graver cette image de mon fils, à tout jamais, au creux de ma mémoire. Laisse moi me dire que jamais je ne verrais sa frimousse pleine de biscuits, que jamais je ne panserais ses blessures, que jamais je ne le mènerais à l’autel. Laisse-moi le temps.

L’esprit s’embue doucement, la colère et la douleur s’affrontent sans que l’un n’en sorte vainqueur. D’un côté l’envie de le gifler, de lui cracher au visage, de lui dire qu’il n’est qu’un enfoiré de lui faire cela, qu’Alexandre est son fils, quoiqu’il en dise. De lui dire qu’elle n’en a rien à foutre de ses états d’âme, de ce qu’il a pu traverser, car oui, en cet instant, elle se fiche bien de savoir à qui est la faute, le résultat est celui qu’ils s’imposent : Elle ne sera bientôt plus la mère de son fils. Oh oui, elle lui sauterait bien à la gorge pour lui dire qu’elle n’en a rien à fiche de savoir à qui il ressemble, rien à fiche qu’il fasse ça pour lui, que la seule chose qu’elle veut vraiment c’est voir son fils et repartir avec.
De l’autre côté, c’est le désert, ce néant qu’elle ne saurait expliquer. Elle est… comme on peut être quand on meurt. Quand on se retrouve dans une situation apocalyptique et qu’on en est la cause. Elle attend la lumière au bout du tunnel en sachant pertinemment qu’il n’y a que les flammes de l’enfer qui l’accueilleront.


On a tout gâché…

On a tout gâché, regarde-nous, réduits à « ça », à nous soutenir plus fort que nous n’avons jamais été capable de le faire lorsque nous étions mariés. Regarde-toi à t’excuser d’avoir été ce que tu étais. Regarde-moi à chialer sur le portrait d’un enfant que je n’ai que trop peu serré dans mes bras.
Mais aurait-on réussi ce tour de force à l’époque, aurait-on été vraiment capable de nous pardonner, de surmonter ces épreuves moi criant à l’ennui d’une vie mais incapable de le formuler, et toi, aveuglé par cet amour que nous vivions sans te douter des tourments qui m’habitaient ?
Non.
Rendons nous à l’évidence, c’est notre séparation qui a fait de toi l’homme que tu es aujourd’hui, et la douleur de t’avoir perdu qui m’a rendu plus apte à faire des concessions. Il faut brûler ce qu’on aime, pour aimer ce qu’on a brûlé**. Et si je pouvais aligner plus que ces quatre mots Beren, c’est ce que je te dirais. Aurais-tu compris que je voulais prendre un peu l’air, que je ne la voyais plus comme ça, ma vie** ? Aurais-je mérité les efforts que tu as fourni pour reconquérir ta femme, en aurais-je fait autant que pour mon époux ?
Il faut accepter qu’aujourd’hui, nous avons la vie dont nous rêvions ensemble, mais séparément. Qu’aujourd’hui tu partages ta vie avec Sianne, et que la mienne se compose d’un nouvel Astre.
La vérité, c’est que j’ai l’impression d’avoir retrouvé la complicité d’avant, celle qui m’avait fait tomber en pamoison, et qu’on me l’arrache. L’impression d’avoir mis cette époque sous clés pour aller de l’avant, et d’ouvrir aujourd’hui la boite de Pandore.

J’emporterais sûrement avec moi mes regrets, avec la certitude profonde que c’est la meilleure chose à faire. Je suis le cours des choses, je vais où l’on m’entraine, je suis de ces gens qui ne choisissent pas, et tu peux bien penser que ces vies sont vaines, mais le hasard invente et colorie parfois*.
Et malgré moi, un sourire vient colorer mon visage, ainsi mon petit garçon serait un emm’erdeur… Bien triste consolation de savoir qu’il ne fera jamais suer son grand frère.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir mouillé mes yeux face à toi, et je me sens nue sous ton regard lorsqu’il croise le mien. Et à défaut de trouver le temps nécessaire au pardon, la main se glisse dans sa poche pour poser sur celle de Beren une cuillère en argent, dotée du blason Andorran.


Je sais que tu fais cela pour Lui, mais un jour viendra, où il saura, et ce jour là Beren, tu dois me promettre de lui remettre ceci.





* « Parler de ma vie », Jean Jacques Goldman
« Au marché des Amandiers », Archimède

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Beren
[Un peu de nous, un rien de tout 
Pour tout se dire encore ou bien se taire en regards...
Juste un report 
À peine encore, je sais, il est tard 
C'est pas grand chose 
Rien qu'une pause 
Que le temps les horloges se reposent]*



Pause.

La main est levée, comme une demande de trève. Juste un instant, juste une minute, comme quand on était gosses et que, ne soutenant plus le jeu, la bagarre, la chatouille, on lèvait la paume pour signer sa reddition. Oh parfois fourbe, juste pour sauter en représailles et reprendre le dessus, pour ne pas perdre enfin... Comme l'image est réelle, à l'instant présent, pour celle qui doit refaire surface après avoir été submergée de douleur. Alors il respecte, il serre les dents à entendre ce cri animal qu'il a fait naître, dont il est responsable, et qui lui vrille les tempes de remords. Ce son, cet echo des tripes où l'enfant a crû pendant des lunes et qui peut-être se rappellent à elle. Ce bruit remonté du berceau de chair où la peine est audible, la meutrissure flagrante.

Il sait ce qu'il est venu lui demander. Qu'abandonner ce fils qu'elle n'aura connu qu'une quinzaine de jours à peine après l'avoir senti grandir, bouger, cogner – et il se souvient de l'avoir perçu, paume au ventre qu'il chérissait à l'époque, et pourrait revoir les sourires maternels d'alors -, c'est un renoncement dont on ne se remet pas. Il réalise, alors qu'elle serre sa main sans le regarder et que lui-même arrime son regard à une rainure du bois sur la table, qu'il est judicieux d'avoir attendu que la haine s'apaise, que la colère se taise. Parce qu'autrement, il aurait vomi des horreurs, il aurait ponctué ses phrases d'un rictus mauvais, il se serait gargarisé de voir la mère s'effondrer. Il lui aurait craché que sa signature ne faisait que dédicacer ce qu'elle avait été absente, de facto, de la vie de leur enfant ; qu'elle ne connaissait ni ses traits ni ses goûts, qu'elle serait incapable de le reconnaître dans une foule et que sans ce portrait, à l'heure qu'il était, elle aurait été bien en peine s'il avait fallu se demander si chaque gamin croisé à jouer dans la rue n'était pas celui qui, né d'elle, ne l'avait jamais connue. Qu'elle n'avait pas hésité à s'enfuir quérir plus de vie, ailleurs, et que la vie qu'elle avait laissée ici, eh bien, elle avait continué sans elle. Qu'elle n'était jamais venue quand il prenait la peine de dire où ils séjournaient quand ils voyageaient ; qu'elle n'avait pas remarqué qu'il avait cessé de prévenir, parce qu'il avait compris que ça n'avait aucune utilité. Qu'alors elle paraphe son renoncement, mais qu'elle le date d'il y a deux ans, car si ce jour, c'était une demande, à l'époque, ce fut un choix.

Il aurait été une pourriture, indéniablement.

Et à quoi cela aurait-il servi ? A remettre un peu de sel sur ces plaies déjà guéries, à venir faire sauter les points de cœurs suturés, raccommodés ? L'heure n'était plus à cela. Et elle avait beau être de ces personnes qui traversent vos vies comme une comète, qui rend brillant mais qui vous brûle au passage, elle avait compté. Beaucoup. Elle avait compté, vraiment. Et leur gamin n'était pas venu de nulle part ; il était né d'une relation jolie, d'une parenthèse insensée liant deux existences aux aspirations radicalement opposées, de deux êtres qui trouvaient au début, de la richesse dans leurs différences et même, s'en amusaient. Toi, tu me faisais parfois un peu honte, mais si j'avais un peu honte, c'était aussi de moi, de ne pas être comme toi, de ne pas avoir ton impudeur, ton sens du spectacle, ton majeur levé à quiconque nous moquait ou entendait nous dire comment vivre. Toi, t'étais tellement pour moi que j'aurais pu fermer, oublier toutes ces portes, tout quiter sur un simple geste. Mais tu ne l'as pas fait, parce que tout ce que je pouvais ça n'était pas encore assez.**

Il a cessé de lui en vouloir il y a maintenant plusieurs mois, quand, fatigué de taper sur des cailloux, et de marteler sa hargne, il a posé marteau et burin et a choisi de voir qu'il faisait beau, que la lumière était jolie sur le lac à Toulouse, et que le soleil lui chauffait les joues. C'était au premier mot du gamin, un gargouillis inattendu qu'il avait oublié de guetter, une pauvre syllabe qui avait valu des centaines de discours. Il avait dit « pa » en le regardant, là où d'autres disent « maman », mais de maman, alors, il n'y en avait pas. Alors dans cette famille bancale où il fallait deux paires de bras, un cœur et un sourire de plus, il avait fallu trouver comment le faire pour deux. C'est là qu'il avait compris avoir été un imbécile jusque là. Avoir voulu successivement la gloire, le pouvoir, l'argent, alors qu'il avait les gamins. Il avait travaillé deux fois plus, mais à des horaires qui lui laissait voir les enfants, et il avait abandonné les fausses ambitions pour être ce père qu'il voulait être. C'était passé par certaines étapes, dont une réconciliation avec Dieu, mais ça, c'était une autre histoire.

Somme toute, il n'était pas, à l'instant où son ex compagne semblait être en peine, ce crétin d'ex-amant qui trouve du plaisir là-dedans. Ce genre de type à qui on aurait demandé à quel animal lui fait penser son ex et qui aurait répondu « une vipère, un cloporte ou une chienne ». Andréa, elle avait été une éphémère, un papillon de nuit à leurs jours comptés. Et il n'y avait aucune gloire à tirer de la voir en proie à une souffrance réelle, qui l'avait menée à verser cette larme, la première qu'il lui ait jamais vu verser.

Lui, c'est de la voir sourire ainsi à la mention du caractère du gamin, qui le ferait chialer, tiens. Elle a raison, ils ont tout gâché, jusqu'à en arriver à presque réécrire l'histoire, raturer le prénom de l'un d'entre eux pour le remplacer par un autre à l'oeuvre de leurs vies. Si ce n'est pas pitoyable, au final, d'avoir à ce point été deux cons, quand tout aurait pu tourner autrement. Elle, il lui aurait fallu apprendre à dire ; lui, il aurait fallu qu'il sache entendre. Deux crétins, rien de mieux. Deux sombres crétins, à se retrouver pour la première fois depuis des mois, pour casser ce qui les unissait encore jusque là. Deux foutus imbéciles.

Il n'a rien de l'homme qu'elle a pu maudire ou mépriser par le passé, quand son regard croise le sien, et qu'elle peut y laisser pointer deux iris désarmées, sans piques, sans boucliers, sans herses. Il a juste une tendresse bienveillante, une sincère empathie pour elle. De la tristesse aussi, parce qu'elle a raison, au final...


- Oui. C'est du gâchis.

Il réceptionne l'objet posé dans sa main par celle qui, féminine, s'était levée il y a quelques minutes. Il sent une sorte d'urgence dans le geste, dans les mots qui suivent, aussi opine-t-il.

- Je promets. Voudrais-tu que je lui dise quelque chose ? Ou bien souhaites-tu écrire? Ou bien rien ? Je sais qu'écrire, tu ne le fais pas toujours.

Il n'y a pas de pique déguisée là-dedans, juste une sorte de façon de lui faire réaliser que si elle n'a rien laissé en partant, peut-être qu'elle voudra le faire, à ce nouveau départ. Juste une douceur, un petit quelque chose qui enrobe d'un mouchoir délicat un au-revoir habillé en adieu.




* C. Dion, Encore un soir
** J-J Goldman, Pas toi

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Andrea_
              J’entends milles voix
              Qui viennent dire à mon oreille, qu’est ce qu’il y a , qu’est ce que t’as
              Qui bourdonnent dans l’air comme un essaim d’abeilles, qu’est ce que t’as, qu’est ce qu’il y a
              Moi je les écoute,
              Elles guident ma route *



Et tu promets.
C’est sûrement la plus belle promesse que tu m’aies faite. C’est la promesse d’un pardon que tu m’accordes malgré toi. La promesse d’une reconnaissance, tu me reconnais comme mère de notre fils. Tu me laisses le droit d’avoir toujours quelque part un fils, de croire encore qu’un jour, je verrais un enfant, au visage inconnu, s’approcher de moi avec cet objet que je reconnaitrais bien avant Lui. Pourtant Beren, ne sous estimes jamais le pouvoir de l’amour maternel, ne doute jamais que quelque soit le nombre d’années qui passeront, toujours je reconnaitrais mon fils. Ne crois pas que je passerai à côté de Lui sans reconnaitre son odeur, et n’imagine pas un seul instant que je ne reconnaitrais pas son regard. Il me faudra peut être quelques secondes, celles où on plisse les yeux, où l’on sait qu’il y a une couille dans le potage, quelques minutes pour comprendre qu’après cet échange de regard la vie ne sera plus jamais la même. Mais il ne me faudra pas des heures pour avoir la certitude que je ne voudrais plus le quitter.
Alors bien sûr j’épierais chacun des bambins de son âge en espérant le croiser mais qui me jetterait la pierre ? Sûrement pas toi Beren, qui vit la même chose désormais. Il est si facile de juger les autres sur leurs faits et gestes tant qu’on ne les a pas vécues.

Ecrire je ne le fais pas toujours. Je n’ai que rarement répondu aux missives que tu envoyais les premiers temps, que t’aurais-je dis Beren. Relis celles que nous avons échangées, relis mes mots, et les messages qu’elles contenaient. Relis ma haine, ma colère et ma vantardise. Relis aussi la main tendue, sur ces quelques mots cachés entre les autres. Ne t’ai-je pas toujours dit que lorsqu’il y a de la haine c’est qu’il y a encore un profond attachement ? C’est peut être ce qui me dérange en cet instant, te voir si calme et si posé. Je me demande même si cette lueur dans ton regard est une imagination, une projection de ce que j’espérais y trouver.

Alors oui, je n’ai pas écrit. Il y avait cette fierté qui me bouffait, évidemment qu’elle était là, tu me connais, tu sais qu’elle est ma marque de fabrique. Etouffante. Aveuglante. Mais peut être ignores-tu combien de fois j’ai voulu reprendre la route. Combien de fois j’ai été prête à croiser ton chemin sans savoir comment revenir, comment m’excuser quand tu étais plein de rage et de ressentiments. J’avais peur, une peur bleue, irrationnelle mais cohérente, que tu me refuses une entrevue, la peur d’entrer en taverne et te voir enlacer un autre corps que le mien, de voir mon fils lovée dans les bras d’une autre qui, et tu me l’as écrit, était nourri par un autre sein que le mien. Peur que tu me chasses, que ta sérénité ne fasse que tourmenter un peu plus la mienne, je ne sais pas si j’y aurais survécu, peut-être le comprends tu aujourd’hui.
Tu me criais ton bonheur, comment voulais-tu que je réagisse autrement qu’en t’inventant le mien, en redessinant l’essence même de mon départ pour t’affubler de mille maux quand les miens étaient encore à vif. En reprenant vie, malgré toi, tu aspirais la mienne et c’est là qu’il m’avait fallu me reconstruire. C’est là, que lasse d’attendre tes supplications, j’ai construit ma force.

Te cracher mon bonheur au visage était ma vengeance au tien.

Qu’aurais-je pu te dire que tu ne savais pas déjà, que je t’avais laissé mon fils pour te donner une raison de vivre comme on laisse un bâton à un chien pour qu’il mâchouille en attendant un os. Mais quand ta vie fût parsemé de joie, que tu es devenu un « vous », que tu avais bâti un nouveau foyer, je n’ai pas eu la force de briser cela. En apprenant que tu avais retrouvé Sianne, j’ai su que je t’avais définitivement perdu. Je n’ai jamais été Elle, jamais été à la hauteur de votre histoire, et le destin m’a donné raison, vois aujourd’hui l’homme que tu es devenu. Si l’histoire n’était pas si triste, je serai fière d’avoir pu participer à ce changement, quand même il n’était qu’une mascarade.

Alors je scrute ton visage et oui, je l’avoue, je me perds dans ses émeraudes. J’aurais sûrement honte, plus tard, quand tu quitteras cette taverne et que nous nous dirons Adieu, oui, j’aurais sûrement honte, d’avoir occulté les mauvais moments passés ensemble. Car une fois cette porte fermée, je te détesterai, c’est plus simple, à moins que je ne décide une nouvelle fois de t’enfermer dans une boite, mais je ne suis pas sûre d’en être capable cette fois.
Mais permets-moi juste un instant de me souvenir des meilleurs.

De toutes les fois où tu m’as demandé en mariage, une fois par jour, comme il était devenu coutume de le faire. De toutes les fois où j’ai accepté, feignant parfois le doute quand mon cœur tout entier bondissait de ma poitrine pour se poser contre le tien. De toutes les fois, et même de la dernière, la veille de mon départ, quand j’avais encore la naïveté de croire que je pouvais contrôler mon esprit. J’ai longtemps regretté d’avoir pris les rênes, et pour tout te dire, je suis restée trois jours dans la ville suivante.
De ta joie lorsque tu as appris qu’en mon sein grandissait un petit bout de nous. De cette annonce que j’ai répété des heures entières devant le miroir, chaque fois plus excitée de la venue de cet enfant tant attendu, le premier que j’avais désiré. Te souviens-tu, Toi, de pourquoi nous nous étions fâché ce soir là ? Car si ma mémoire me fait souvent défaut, je n’ai rien oublié, Moi. Nous devions partir sur les chemins, et tu craignais des brigands, tu soulignais mon imprudence et mon inconscience face au danger. Je t’avais répliqué que « jamais je ne mettrais en danger la vie que je portais », tu aurais du voir ton visage ce soir là, passer de l’énervement à la douceur, tu m’avais pris dans les bras en me demandant, incrédule, si c’était bien vrai. Je n’ai rien oublié, ni la lueur dans tes yeux, ni cette explosion de joie, pas même ces bésicles que tu écrasais entre nous.

De cette soirée où je t’expliquais qu’il me fallait un parfum pour la femme de Yorgos, un parfum qui sentait la Savoie, le lardon et le reblochon, et où tu me regardais avec deux billes vertes en te retenant de rire.
Des innombrables cadeaux que tu m’offrais, sans raison, juste parce que faire mon bonheur était le tien.

Personne n’a dit que c’était facile, personne n’a jamais dit que ça serait aussi difficile, et tu reviens me hanter**. Et je te connais assez pour savoir que ce n’était pas ton but.


La tête se secoue doucement alors qu’elle chasse ses idées de sa tête.


Est-ce qu’il dit « maman » ?

Je sais que tu peux être un être horrible et dédaigneux. J’ai déjà vu la haine dans ton regard, les mots abrupts que tu pouvais avoir envers celles qui te trahissaient. Mais ménage moi encore un peu.
Ou pas.
S’il te plait.








* « Y a pas de doutes », Véronique Sanson
** « The scientist » Coldplay

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Beren
C'est une taverne où tout a commencé, te souviens-tu ? Toi, tu étais dans ce coin là, à gauche, en aval de cette table autour de laquelle je me suis assis sans oser t'approcher d'abord, parce que mes pas laissaient à mes yeux la primeur, tout occupés à t'observer qu'ils étaient. La manière dont tu regardais Enolia, cette complicité que tu avais avec elle quand moi je ne l'avais plus, et qui, pour une raison étrange, ne me fâchait pas mais m'attendrissait. Cette apparente sagesse que tu semblais avoir acquise malgré toi quand tout, jusqu'à ta posture, avait des airs de résignation. La même que j'avais enroulée à mes épaules, dans une sorte de dignité distante et que j'ai laissée choir et gésir à mes pieds juste avant que de t'offrir une rose. Je me souviens de la manière dont tu as tendu les doigts vers elle en la regardant, à la fois incrédule et émue. Je me souviens que c'était pour toi la première fois. Je me souviens que c'était celle où moi, j'étais ravi d'en céder une. Je me souviens qu'après ça, j'ai fait planter plus de rosiers encore en mon domaine, et d'avoir demandé à Constant qu'ils aient la couleur que tes pommettes avaient prises, quand tu l'as portée à ton visage pour en humer le parfum.

Andréa... Je me souviens tes mains. Je me souviens ton souffle. Je me souviens ta voix. Je me souviens nos corps noués, la mèche de mes cheveux qui pendait de mon front quand mon visage était penché sur le tien, mes yeux accrochés aux perles bleutées des tiens juste avant les baisers. Je me souviens nos étreintes, tes mains à mes omoplates, celle que tu posais à ma joue. Je me souviens de tout ; je n'ai rien oublié de ce que je t'aimais, Andréa. Je t'ai rangée sous un mouchoir quand j'ai voulu faire taire ma peine, je t'ai rangée dans ma poche, celle qui frôle le cœur, toujours, celle où je rangeais les lettres, toutes ces lettres que nous échangions. Ces lettres, si différentes que celles que nous avions échangé après ton départ, et qui étaient autrement passionnées, mais pas moins. Ce désir de te faire mienne en étant tien. Ce besoin de te séduire, la manière dont tu me laissais faire. Chaque demande en mariage. Chaque accord. Chaque fois, aussi, que tu présentais une demande de faveur et où je faisais mine de rechigner pour que tu la quémandes d'un baiser, d'une caresse, et que finalement, tu m'y contraignes en me prenant à mon propre piège. Je n'ai rien oublié. J'ai tout revécu mille fois, mais tu n'étais pas là.

Tu n'imaginerais pas comme c'était, la première nuit, sans toi. J'avais passé la journée à ne pas savoir quoi faire ; devais-je te rejoindre, te poursuivre, ajouter à la peine l'humiliation d'essuyer un refus, un sursaut de liberté qui t'avait déjà fait partir, et qui m'aurait fait mourir un peu plus encore ? Les enfants, par cette sorte d'instinct qu'ils ont à se faire discrets quand ils savent qu'ils sont de trop, comme ça arrive, tu sais, à ces femmes qui ne savent même pas les porter et qui les accouchent, médusées, les enfants ont été sages et silencieux. C'était sans compter sur la nuit, où les nourrissons rappellent aux oreilles ce qu'ils sont invisibles à l'oeil, sous la couverture de l'obscurité. Ils se rassurent de nous, je crois qu'il a peut-être pensé que tu viendrais, alors. Que tu le prendrais dans tes bras, qu'il pourrait entourer ton sein d'une bouche avide de ce que tu lui avais manqué ce jour-là, et qu'il pleurait déjà de savoir ce que je lui dirais en allant le chercher, moi. Il les savait peut-être déjà, les mots. Ceux que j'ai dits et que je m'entends encore lui murmurer à l'oreille, en essayant de le calmer. Que tu ne rentrais pas ce soir, que demain peut-être, nous aurions une lettre. Qu'il ne devait pas pleurer, qu'on allait bien jouer ensemble, que je savais des histoires, une histoire de gens qui s'aimèrent, mais qu'il était était peut-être trop tard ce soir, qu'il pleuvait sur ma mémoire.

Comme il te ressemble ! Si tu savais comme on peut lire en ses traits, ce qui lui vient de toi, à commencer par, plus encore que ces billes de mer en regard, la malice qui s'y tapit, prête à bondir à la première occasion. Cette lueur en signature, c'est un peu la tienne en paraphe de ton œuvre. C'est d'avoir cet enfant de nous qui m'a fait tenir. Pas seulement parce qu'il y a beaucoup de toi dans ces iris-là. Mais parce qu'il fallait bien que l'un de nous reste, et puisque tu n'étais plus là, eh bien moi, je devais l'être. Je ne t'accâble pas, je ne te maudis plus ; j'ai même ressassé mille fois depuis mon entrée dans cette taverne, tous les mots que j'aurais dû te dire, quand j'aurais dû te rattraper. Te retrouver, et sauver ce qu'on aurait été, toi et moi. On aurait été tout, si nous l'avions voulu. Si toi, tu avais parlé, si moi j'avais su écouter. Tous ces marchandages, parfois désespérés, parfois nerveux, parfois désolés, tous ces : « On part pas un dimanche... Et je m'en fous qu'on soit mardi ! Y a des risques d'avalanche, et puis... j'ai pas envie... Dis pars pas aujourd'hui, des journées y en a plein, qu'est-ce qu'elle t'a fait celle-ci ? Si t'attendais demain ? »*.

J'aurais changé, tu sais, si tu avais dit ? Si j'avais su que c'était la condition sine qua non pour que tu ne t'en ailles pas. J'aurais tout accepté, et je t'aurais dit « Tu peux partir un jour, si tu reviens les nuits. Si tu reviens toujours, mais pars pas aujourd'hui ».

Et puis on m'a rapporté qu'un autre t'accompagnait, et je te connaissais assez pour croire que tu tenterais d'oublier sous son étreinte, que tu noierais sous la passion la peine, que tu chercherais à démolir la boule qui t'avait pris le ventre en l'accueillant, fier, passionné, entre tes cuisses. Jusqu'à ce que d'un chibre conquérant, il y brise jusqu'à la rancoeur, qu'il fissure jusqu'à la tendresse, peut-être, que tu avais pour moi, impérieux amant pour qui tu avais laissé le mari. Moi, j'ai vu la haine venir tendre le bras devant la peine et lui dire « Laisse moi la place, je me charge de lui ». J'ai maudit jusqu'à tes nuits, je ne voyais plus que ton sourire à mes nuits sans sommeil, et j'écumais de les imaginer pour lui, comme tes soupirs, tes matins, tes ivresses. Dieu que je t'ai haïe, dieu que je t'ai méprisée, dieu que j'en ai ravagé, des femmes, jusqu'à ma cousine dont j'ai possédé la bouche si fort pour qu'elle se taise, pour repousser en sa gorge les mots de compassion qu'elle pouvait avoir, ces absurdes compliments qu'elle me donnait alors que je savais ne pas les mériter. J'ai transféré ma rage à d'autres femmes, dont certaines ne s'en sont pas relevées, j'ai brûlé tout sur mon passage, que tu ne sois pas revenue.

J'ai guetté tes lettres, je les ai respirées parce qu'elles portaient un peu ton odeur mais chaque fois que ma plume voulait être douce, mon esprit la contraignait à la colère. Je sais maintenant, après tout ce que tu as vécu, que tu étais malheureuse, toi aussi, et que ça n'a pas dû être une partie de plaisir comme je t'imaginais les vivre, ces quatre cent coups, quand moi je faisais les cent pas en me demandant ce que tu faisais, ce que tu vivais, et ceux que tu aimais.

Je n'ai pas ôté ma main quand tu l'as saisie parce que je crois que je te comprends. Je crois que quand on étouffe, on a besoin d'aller prendre l'air. Tu as juste oublié de rentrer, peut-être que maintenant, après tout ce temps, tu les aurais trouvées tes allumettes, ta baguette de pain, ou ce que tu étais partie chercher. Je me suis vu t'accueillir cent fois et houspiller le chat à ta place. Je n'aurais pas crié, si tu étais revenue, je n'aurais pas été amer. J'aurais célébré, sans doute, te voir de nouveau devant moi. J'aurais senti mes mains trembler et mes bras se tendre, malgré moi.

Mais ton mouvement de tête suspend le cours de mes pensées, et ce que tu me demandes me laisse coi, un moment. Je pèse mes mots, et j'énonce dans un sourire tendre et bienveillant:


- Il te l'a dit mille fois, quand il était à l'abri sous ta peau, et qu'il y croissait. Tu l'as senti y battre et chaque mouvement était un « Maman ». Bien avant de le prononcer, il te l'a déjà dit, tu sais.

J'aurais pu te crucifier là, au final. J'aurais pu t'achever en te servant une réponse toute autre, Andréa. J'aurais pu venger tous ces tourments que tu m'as infligés, mais... Tu vois, j'ai conscience que je n'y suis pas totalement étranger et malgré le fait que je l'aimerais bien...



Je ne te hais point.


* T'en vas pas maintenant, J-J Goldman

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Andrea_
            Si on partait prendre l’air,
            Là juste le temps d’apprendre
            Que notre liberté se perd
            Dans trop de peurs immenses*


Oui, tu aurais pu m’achever, me crucifier là, me mettre face à ma réalité, en quatre petits mots. Tu aurais pu me détruire en une phrase, et je te connais assez pour savoir que tu l’aurais fait sans crier, en gardant ton sourire et la douceur de ta voix, ce qui aurait été sûrement pire que te voir houspiller le chat à ma place.
Une partie de moi sait que tu as compris, l’autre ne peut l’admettre, car si c’est une forme de pardon que tu m’octroies, je ne me le suis toujours pas accordé.
J’avais vraiment cru que c’était différent cette fois, car tout l’était.
Avant de te connaitre, je t’aimais déjà.
J’aimais l’homme coincé que ta fille me dépeignait, j’aimais tes longs discours dont tu l’affublais lorsqu’elle faisait une bêtise. J’aimais ta façon d’aimer, de l’aimer Elle, que j’avais pris sous mon aile, et Elles, dont tu t’étais amouraché, de les aimer si fort que tu avais gardé de chacune d’elle une cicatrice indélébile. Te rencontrer n’était qu’une formalité Beren.

Tu m’avais fait la cour, comme un forcené, à grands renforts de mots doux que tu t’évertuais de m’envoyer chaque jour. Je ne sautais pas sur tes missives pour les dévorer, je pouvais passer des heures à regarder la dernière arrivée. J’avais malgré moi mis en marche une sorte de rituel avant chaque lecture. Et alors que j’avais dessiné derrière mes paupières closes chaque trait de ton visage, que j’avais vécu, à nouveau, la fameuse scène de la rose, alors seulement je m’autorisai à toucher le papier. Du bout des doigts pour commencer, comme si ma peau s’imprégnait des mots que j’espérais y trouver. Puis je la portais à mon visage, pour en humer le papier et l’encre, jusqu’à ce que j’y reconnaisse ton odeur, celle si particulière d’un parfumeur qui m’avait chamboulée. Je pensais à l’époque que tu y mettais une goutte de ton parfum, mais je sais désormais que c’est ton odeur, celle nature que tu exultes, qui remplit la pièce dès que tu l’illumines de ta présence.
Peu importait l’endroit où je me trouvais, le nombre de personnes qui m’entouraient, où les tâches qui m’attendaient, le temps s’arrêtait et tout restait en suspend. C’était ma minute, celle placée sur pilotis, quelques secondes gagnées sur l’amer, le genre de moment que l’on passe blotti avec des rêves d’outre-mer**. L’instant d’avant sur des rives séparées, celle d’après réunis aussi longtemps que tes mots s’égrainaient. Je lisais lentement, et chaque jour tu écrivais plus longuement, j’y voyais une façon de me retenir dans cette minute, tu m’as rendu romantique et ces missives n’étaient que le début d’un long voyage vers notre Amour. Vers notre fin aussi, mais je ne le savais pas encore.
Jamais tes mots ne m’ont déçu, toujours ils m’ont surpris. Tu avais cette faculté d’éviter les réponses à mes questions, de les détourner pour me faire comprendre que rien n’était vraiment important. Peu importait qui nous étions, avant, car nous n’étions que des parties d’un tout que nous venions de reformer. L’éternité pour se chercher, ta fille pour nous trouver, notre fils, pour nous lier, à tout jamais.
Ton prénom a longtemps été un mot interdit. Je me souviens de cette nuit. Perdue, ébouriffée, j’avais fait un détour vers une taverne pour faire quelques réserves et c’est là qu’Ansoald est entré. J’étais à bout de souffle, au bout de ma vie, littéralement, avec la certitude que j’avais besoin d’air sans savoir si je devais y survivre. Je lui ai dit « je pars, viens », il n’a pas demandé où, et j’aurais été bien embêtée s’il l’avait fait. Il n’a pas posé de question sur Toi, pourtant il savait que tu existais, il le savait d’autant plus qu’il connaissait Sianne de longue date. Nous avons bivouaqué, vivoté, à la recherche d’un but ultime qui nous donnerait une bonne raison de voyager ensemble. Oui nos humeurs se sont mélangées, mais nous n’avons rien partagé d’autre. Un soir, cette alliance que tu avais portée à mon doigt était devenue trop lourde à porter, trop douloureuse à regarder et je l’ai balancée. Peut être sais-tu qu’il la retrouvée et envoyée à Sianne. Nous n’en avons jamais parlé, là encore, j’étais bien trop fière pour exprimer toute la colère qui m’avait envahie, une sorte de trahison, l’impression que tout tait manigancée depuis le début. Elle avait eu sa vengeance, bien avant de partager à nouveau ta couche, ton cœur et notre fils.

Moi, je n’ai rien brûlé sur mon passage, j’ai oublié jusqu’à ton existence, bandant ma poitrine jusqu’à ce que la douleur de cet enfantement avorté puisse elle aussi, s’envoler. Je me suis murée dans ces nuits sans sommeil, raturant son corps de mes ongles, noyant mes idées dans des projets tous aussi bancals les uns que les autres. Et pour tout avouer Beren, l’esprit sait trouver ses limites. Il sait quand il faut arrêter de penser, il ne les ressasse que lorsqu’on peut les supporter, alors cette fois, black out total. Une partie de moi a été plus libre que je ne l’ai jamais été, l’autre est restée prisonnière jusqu’à mourir. Et cette main dans la mienne, ce regard flou posé sur cette rose, tentent malgré tout de la réanimer aujourd’hui.

Oui, j’ai longtemps cru que ça serait différent cette fois, mais il faut croire que les gens ne changent pas. Que la vie est un éternel recommencement où parfois, le besoin de se poser après un long voyage est salvateur jusqu’à un certain point. C’est ce point qui domine. Ce point de non retour qu’il ne faut pas négliger. Est-ce normal ? Probablement. Etait-ce ce qu’il fallait faire ? Assurément non.


Je crois que la mille et unième fois aurait été le plus beau jour de ma vie.

La phrase est partie un peu vite, libérant un semblant d’amertume que mon regard adoucit. Tu sais Beren, que c’est à moi que j’en veux, et tu me pardonneras sans mal.

J’ai pensé revenir mille fois.

Car il faut que tu le saches désormais, il ne suffit plus de penser pour que les choses soient dites. Alors, ma main ne lâchant pas la tienne, retiendra toute mon attention, le temps que tu assimiles cette phrase, et lorsqu’elle s’y blottira à nouveau, où qu’elle s’éloignera sans que je ne cherche à la retenir, c’est dans ton regard que le mien se posera. Affronter. Parler. Parler enfin, s’il faut expier ses erreurs et se dire la vérité, autant que ça soit aujourd’hui, tant que j’en ai l’occasion.


Ce n’est pas toi que j’ai fui, c’est cette vie ennuyeuse que nous avions. Toi, croulant sous le travail, Moi livrée à moi-même faisant face chaque jour à des voyageurs, les yeux brillants d’errances, de souvenirs et de rencontres qu’ils me contaient avec passion. Sans le savoir ils me renvoyaient l’image d’une femme que je n’étais pas. C’est…
C’était rentrer chaque soir pour te retrouver avec la même impatience, et chaque soir, inlassablement, la même peur de te dire que tu te démenais pour un objectif qui petit à petit n’était plus le notre, mais seulement le tien. Je n’ai pas su te dire que mes envies s’éloignaient du chemin que nous avons mis du temps à tracer. Pourquoi, j’aurais été responsable de casser cette routine dans laquelle TOI, tu semblais t’épanouir. Je pensais en te l’avouant que cela creuserait un fossé, et lorsque je me suis rendu compte que j’avais creusé seule cet abysse, j’ai…
J’avais honte Beren.
Il y avait toi et l’Amour dont tu m’inondais, ce nouveau visage que tu dessinais sous la pulpe de tes doigts, et ce reflet que je ne reconnaissais plus.
Ils sont nombreux, ceux qui se disaient amis mais qui ne pouvaient pas te piffrer, toi et tes bésicles, tes phrases joliment tournées, tes tenues impeccablement posées sur un corps qui n’avait rien d’athlétique, toi et tes parfums. Mais je m’en fichais Beren, je m’en fichais comme tu te fichais des jurons que je balançais devant les tiens, de cette façon de cracher dans mon verre avant de le goûter, de ces cheveux que tu peignais des heures durant pour qu’enfin je ressemble à autre chose qu’à une pissotière en démolition, où simplement par plaisir de me toucher. J’en avais rien à foutre Beren, car moi tout ce que je voulais, c’était être la dernière des poupées Russes que tu t’étais envoyées, c’était être celle que les autres avaient protégées sans le savoir, être la plus petite, la plus solide, celle que personne n’avait pu ouvrir à part Toi. Pourtant, c’est de moi qu’est venue la fêlure.

Combien de temps aurais-tu attendu, combien de temps aurais-tu pu supporter mon absence avant que je devienne qu’une sal’ope parmi les autres ?



Quelques heures, des jours, peut être quelques semaines, mais soyons honnête, si des mois après, tu as pu m’accorder ce qui ressemble aujourd’hui à un pardon, ça n’aurait pas été le cas avant.

Parle.. Parle s’il te plait…

Toi aussi ouvres toi à moi, délivre nous du mal qui m’a rongé de longs mois, car toi seul peut apaiser cette douleur. Parle, car de tes émeraudes dont l’iris s’est emparée je ne peux me détacher d’un iota, tétanisée par ce que pourraient me livrer les traits de ton visage.


* Calogéro
** 24h01, Renan Luce

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Beren
Oui, je t'ai fait la cour. Davantage que j'ai pu la faire avant ou après toi. J'ai couché les mots avant que nos corps le fassent, j'ai fait sonner les rimes, rimer les sons, en attente de nos soupirs en écho. J'ai écrit chaque lettre avec abnégation ; j'ai pris le temps de rédiger des plis qui seraient charmants et plaisants à lire et tu sais, toi, comme quelques autres, que mon temps, c'est ce que je considère avoir de plus précieux, et que je ne l'offre qu'avec parcimonie, à ceux que j'aime ou ceux que j'estime. Je t'ai donné mon temps, même après que tu sois partie ; je te le donne encore, en étant ici, auprès de toi.

Moi, je ne te connaissais pas quand je t'ai rencontrée. Ni de nom, ni de réputation. On s'est rapidement chargé de me dire qui tu étais ou avais été. De me méfier, que tu n'étais pas pour moi, que je n'étais pas fait pour toi. Qu'on irait droit à l'échec, qu'on n'avait qu'un mur pour horizon, et qu'il était plus proche que je ne l'imaginais. Moi, je n'ai écouté que toi. Ton désir de changer, de mener une vie tranquille, celle que je t'ai donnée parce que je me disais qu'il fallait que je sois sage moi-même un peu, celle que tu as fui. Tous ont vu avant nous notre fin et nous, on avait à peine commencé. Peut-être que je le savais depuis le départ, après tout. Peut-être que je l'ai toujours su. Qu'il y aurait une fin, qu'elle serait brutale, abrupte, un peu injuste, mais qu'y peut-on ? Ce qui compte, c'est le voyage, pas vrai ? C'est là où les gens se trompent ; ce qui compte, c'est pas ce qu'ils croient. Pas le point de départ, ni la destination ; c'est le chemin qui prime, toujours. C'est les petites routes qui misent ensemble, tissent le drapeau à damier.

J'ai jamais regretté ce qu'on a vécu, pas plus que j'aurais voulu ne pas te rencontrer. Je n'ai eu de regrets que sur la fin. J'aurais voulu que tu partes mieux, que je t'accompagne loin de moi plus en douceur. J'aime les au revoirs en coton et sans haine, et toi, tu as besoin de claquer la porte, ou de la fermer le plus doucement possible pour te carapater sur la pointe des pieds. Je sais maintenant que ce que tu n'as pas voulu réveiller cette nuit-là, c'est ni notre fils, ni moi, mais ta conscience, que t'avais déjà baillonnée en la planquant sous ton mouchoir. J'aurais voulu plus de respect, au nom de ce qu'on avait été. Pas forcément plus de tact, mais que tu me traites comme l'homme que t'as aimé, pas comme celui qui se tenait entre toi et tes envies d'ailleurs. Comme le père de ton fils, comme le beau-père de ta fille, pas comme le mari ennuyeux que tu délaissais pour un amant plus vivant, plus vibrant.

Après toi, il y a eu ces fantômes de femmes qui reparaissent parfois en flashes, au creux d'un rêve plus agité que les autres. Je vois ces liens, ces souffles, cette manière de les prendre de dos et de les étrangler. Cette façon de limer de chair l'indélébile du souvenir, cette manière de les punir, parce qu'elles étaient femmes, seulement, parce qu'elles portaient intrinsèquement la tare physique de celles qui m'avaient marqué, jadis. Ces hommes, aussi. Ces heures de stupre sans conséquence autre que celle d'éteindre la rage en la repoussant sous les coups de reins. Toutes ces nuits sans sommeil, ces journées sans levers... Ces jouissances sans plaisir, ces orgasmes en paiement de moments pas forcément partagés véritablement. Ces demies extases sous des râles de colère plus que de délice. Ces minutes sans joie, ces quêtes de douleur pour se dire qu'on vit, encore. Tout ce temps perdu à ne savoir qu'en faire. Ces mains que je refusais qu'on noue à la mienne, que je t'offre pourtant maintenant sans te l'ôter, comme on tend un bâton à celui qui s'enfonce dans des sables mouvants. Cette paume en balise, ces doigts en radeau, je ne t'en prive pas, tu vois ; nous sommes plus liés maintenant que nous ne l'avons jamais été. Ce sont tes mots qui me sortent de mes pensées, et qui me font relever les yeux de mains soudées.

C'est du remords que j'entends, mais je ne pense pas qu'il y ait de regrets là dedans. Le sourire masculin tente d'apaiser cela, à l'instar de la manière dont la seconde main mâle vient se poser sur celle, plus petite, que tu as posée à la première.

La phrase d'après cogne au plexus, atteint le ventre, là, profond, qui ne s'y attendait pas. J'ai l'habitude de tes uppercuts, pas des coups au buffet. Suffisamment heurté pour ne pas encore parlé, la suite est écoutée, la main, seule, presse un peu la tienne. Et puis, la question, finale, avant la supplique.


- J'ai espéré que tu reviennes. J'ai voulu venir te chercher, aussi. Mais tu ne voulais plus de nous, Andréa. Tu es partie sans dire au revoir, qui était-je pour t'imposer un « bonjour » ou un « bonsoir », en me pointant devant toi ? J'ai guetté quelques jours, en me disant que peut-être, tu ferais le pas, et puis je suis parti. Limoges, ça n'a jamais été ma ville de prédilection. J'ai rejoint Thétys, et la suite, tu la connais, je crois. J'aurais voulu que tu ne partes pas. Pour ça, j'aurais voulu être différent. Si je travaillais si dur, c'était pour te donner ce que tu m'avais dit vouloir. Si tu m'avais parlé, j'aurais su que tes aspirations avaient changé. Mais tu ne m'as rien dit, alors.

Il fait une pause, avant de continuer, parce que la suite, c'est plus difficile, paradoxalement.

- Je ne sais pas. Je ne sais pas combien de temps j'aurais attendu. On aurait peut-être pu se mettre d'accord sur un fonctionnement. J'aurais pu te suivre, aussi, embrasser ta vie, au final.

Et une fois n'est pas coutume, comme la signature de ce que j'ai changé, mon regard croise le tien, et s'y fond.

- Je suis pas l'ambitieux, moi, je suis le solide, le stable, le papa. J'aurais voulu être le roc sur lequel tu aurais pu te reposer, quand l'intimité admet la fragilité que le public abhorre. J'aurais voulu être assez, Andréa. Je suis désolé. Ce dont tu peux être absolument sûre, c'est qu'il y a eu de l'amour, c'est qu'en dépit de tous ceux qui bavaient, on avait ça pour nous, au moins. Tu as réussi beaucoup, par toi-même, après avoir pris le large. Toutes ces choses que tu m'as écrites à propos de ton succès, c'était impressionnant. Tu es heureuse, maintenant? Tu sais... On était différents, parfois contraires, mais ça m'allait, moi, sur le principe. Ce qu'il aurait fallu, c'est qu'on parle plus ; on aurait pu tout réussir, si on avait été deux.

Si on avait été un, en fait, me dis-je sans le prononcer. Si on avait su se faire assez confiance pour se parler et essayer de se comprendre, alors là, oui, on aurait atteint un sacré succès.
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Andrea_
Des remords, des regrets, en sommes nous vraiment là maintenant ? A jouer sur les mots pour savoir ce que nous aurions fait si… Si, si, alors que nous savons tous les deux qu’avec des « si », nous serions maitres du monde.

Pour que je ne parte pas tu aurais voulu être différent, mais c’est de Toi dont je suis tombée amoureuse, pas d’un autre Toi que tu ne seras jamais. J’aurais aimé avoir les mots pour te l’expliquer. J’aurais voulu que mes pensées en cet instant, traversent les âges et viennent murmurer au Moi du passé, de notre passé, combien je fais la plus grosse erreur de toute ma vie. Vois-tu Beren, les titres et les couronnes, l’argent et la reconnaissance, ça ne suffit pas. Mais est-on un jour satisfait de ce que l’on a ?
Je me revois assise sous cet arbre alors que les enfants jouent dans le jardin, Enolia a décidé que tu finiras trempé, et Dieu sait qu’elle s’applique pour y arriver. Je me vois sourire, et rire, et me dire que « put’ain, la vie est belle », je suis persuadée que c’est là qu’est ma place. Je vois ton regard qui, incrédule, comprend que tu vas finir mouillé, et la douceur de ton sourire qui se fait discret pour ne pas gâcher la joie de notre fille. Je me sens légère, tellement légère Beren.
Ce sentiment de grâce s’est un jour éteint. Je ne sais plus quand mes pensées se sont égarées vers une quête à l’autre bout du monde, peut être mon regard a-t-il simplement suivi un oiseau, et alors que l’horizon s’emparait de Lui, je me suis surprise à rêver qu’il me prenne aussi. Est-ce venu d’un coup, ou s’est-ce insinué doucement, je ne sais plus très bien.

La suite… Je ne la connais pas vraiment. Je l’imagine, à travers les marques sur ton visage, ce qu’on appelle les rides mais qui ne sont les sillons d’un passé un peu lourd à porter. La suite, je la devine entre les mots, avec les phrases que tu ne dis pas et les soupirs que tu retiens. Je ressens le chaos. La destruction. La noirceur. Une sorte de suicide désorganisé où tu tentes de te détruire sans y passer vraiment. Tuer l’intérieur pour ne garder que l’enveloppe. Et… Et tu n’as pas vraiment réussi, car ce qu’il reste n’a plus rien à voir avec ce que j’avais laissé. As-tu voulu effacer le Toi du passé, recommencer à zéro pour n’être plus rien de ce que tu étais. L’as-tu fait pour toi, parce que tu en avais envie, ou parce que contempler ton reflet te ramenait sans cesse à notre fin ?

Tu sais ce qui est drôle ? C’est que j’ai toujours tout fait pour être le centre de ton monde. Je connaissais tes aspirations et tes attentes avant même de te rencontrer. La Colombe avait un coup dans l’aile quand tu l’as vue la première fois, et je l’avoue, je n’ai pas eu besoin de me forcer pour être la calme, la sage, posée là sur une chaise à regarder fixement l’horrible cheminée qui avait au moins le mérite de me donner un peu de chaleur. J’ai tout fait pour être le centre de ton monde, et cela a fonctionné au-delà de mes espérances. C’est de ça dont j’ai eu peur. Peux être sais-tu comme il est compliqué d’être le Tout d’une personne. De savoir que notre Autre vit, mange et respire uniquement parce qu’on existe. Que son futur dépend de NOS choix. J’ai eu peur que le moindre petit changement ne te détruise, qu’il te fasse ouvrir les yeux sur ma vraie nature. J’ai toujours eu cette impression de t’avoir trompée, menti, dès le premier jour. J’avais si fort l’impression d’avoir dessiné une autre Moi, juste pour Toi, que je vivais avec la peur que tu me découvres telle que j’étais vraiment. Et pourtant l’évidence est là, tu me connais sûrement bien mieux que je ne me connais moi-même.

Tu es le solide, le stable, le papa. Mais ce n’est pas l’image que j’avais de toi, à l’époque. A tord et je suis tellement désolée de l’avouer, tu étais l’amoureux. Celui qui, transit par ses sentiments oublie qu’il faut respirer si je ne te l’avais pas dit. J’avais l’impression de te porter à bout de bras, et ce que j’ai pris alors pour un manque d’initiative n’était qu’en fait la peur de m’imposer les choses. Bien sûr tu as parfois embrassé mes souhaits et mes envies d’ailleurs, toujours avec beaucoup de plaisir. Je ne peux retenir un sourire au souvenir de cette première nuit sur les routes, où gauchement tu attendais le pecno. Tu t’étais excusé Beren ! Mon Dieu comme j’en ai été verte ! Mais ce qui avait calmé ma rage, c’est bien de voir ta tête alors que tu me l’expliquais, en balbutiant. Tu avais même tenté de faire l’énervé, et j’avais eu toutes les peines du monde pour ne pas éclater de rire devant tes arguments tous plus foireux les uns que les autres. A me voir rire, tu avais fini vraiment en colère, et cette fois, c’est mon rire qui t’avait apaisé. C’est ce que nous étions au final, des opposés qui s’attiraient.


Moi…
Moi je n’ai jamais connu tes coups de reins courroucés. Je n’ai jamais connu de colères violentes, de celles qui vous collent contre un mur et qui vous font baisser les yeux en attendant que les coups pleuvent. Je n’ai jamais connu l’étreinte où chacun ne vit que pour son plaisir en abandonnant l’autre. Je n’ai jamais eu peur de toi Beren, jamais, pourtant aujourd’hui… J’ai simplement peur que tu lâches ma main.
Moi, je n’ai jamais connu d’insultes, je n’ai jamais eu à faire face à tes regards noirs, à ta poigne sur mon bras. Tu n’as été que douceur et tendresse. Sagesse et patience. Et je n’ai été qu’une ingrate. J’ai agi comme une enfant, comme un gosse face à un caprice qui m’aurait fait claquer la porte de ma chambre sauf qu’elle ne s’est jamais rouverte. Nous avons chacun attendu derrière cette porte, et nous avons respecté le choix de l’autre de ne pas l’avoir poussée. Si l’un avait su, l’autre l’y aurait aidé.
Des remords, des regrets…
Echangerais-je ma vie maintenant pour ma vie d’avant ? Si d’un coup de baguette magique, on m’offrait le choix de revenir en arrière, sans rien connaitre de ce qu’il m’arriverait, oserais-je accepter de perdre mon époux et notre famille, pour retrouver celle que toi et moi formions à l’époque ?


Le temps se suspend, le regard se perd sur ses mains qui se touchent et semblent se protéger des interrogations de chacun.
Vois Beren, le chemin que l’on a fait. Que l’on soit heureux ne changera rien, nos mots ressemblent à des adieux et pour le moment je me refuse à te laisser partir. Je sais pourtant que les heures, les minutes sûrement, me sont comptées. Que bientôt tu auras ce petit raclement de gorge comme tu l’as toujours quand la discussion s’enlise et que pour toi le sujet est clos. Il me semble déjà sentir ta main se détacher lentement des miennes alors que tu invoqueras l’heure qui passe, le diner qui t’attend, une promesse que tu as faite à l’un des enfants, et qui sait, peut être même que tu parleras de Sianne, pour bien appuyer sur le fait que je ne dois pas te retenir.
Je lâche un soupir, une sorte d’anticipation du moment tant redouté.


On aurait réussi, si on avait été deux… L’Amour n’est pas vraiment l’amour s’il fane lorsque son objet s’éloigne, quand la vie devient dure ou que les choses changent.
Et là maintenant…


Maintenant le temps se suspend, pour ne pas que mes lèvres laissent échapper des mots que je regretterais, ou que je dirais regretter alors qu’il n’en est rien.

J’ai toujours pensé que ce sont tes mains qui dénuderaient les miennes, pourtant, encore une fois, c’est moi qui m’éloigne. Quand le corps et l’esprit ne sont pas d’accord. Que faut-il dire, que faut-il faire ?
J’ai mis une partie de ta vie entre parenthèses, j’ai bousillé des mois de ton existence, j’ai mis en doute ta foi en la gente féminine, j’ai donné raison aux autres, alors vois-tu Beren, je te dois au moins le respect de ne pas gâcher ce que tu as construit et qui fait ton quotidien depuis nous.

La main vient déposer près de lui une missive cachetée d’une cire rouge vif.


C’est la lettre que tu pourras lui remettre, si un jour toi, ou lui, en ressentez le besoin. Je… Tu voulais que je signe quelque chose ?

Bien sûr la dernière parole sonne faux, terriblement faux. La voix n’est pas des plus assurée et sur le visage dont le teint semble plus blafard, trône une sorte de sourire qui n’a rien à faire là.
Vois Beren, je t’épargne les mots délicats qui me feraient regretter ce beau moment… Vole maintenant, c’est mon tour de voir tes ailes se déployer.

_________________
Beren
On a l'air de quoi, tous les deux, à se retrouver en catimini dans une auberge, Dieu sait où, pour signer un parchemin et nier par la plume la vérité des chairs, le fait inaltérable que notre fils est né de toi, qui l'as porté, choyé, nourri, avant de le laisser, et ce uniquement parce que tu me quittais moi. Tu me l'avais écrit, d'ailleurs, entre nos lignes acerbes, il y avait cette précision, que tu ne mettais fin qu'au nous qui se conjugue à deux, pas celui qui regroupait notre famille. Tu as oublié de revenir, c'est tout.

Laisse-moi te le dire, on a l'air de deux cons. Les deux mêmes cons qui n'ont pas su se dire, avant que tout s'efface, qu'ils s'aimaient, à la vie qu'ils partageaient plus, à la mort qui viendrait, ce qu'on fait semblant de ne savoir plus. Le temps s'est chargé d'écrire en lignes sur mon visage le résumé de mes contrariétés mais il semble t'avoir épargnée, toi qui n'avais plus de visage jusqu'à aujourd'hui et qui m'apparaît maintenant avec la même bouille parée d'urgence et de tendresse mêlées que celle que tu avais quand j'étais passé te prendre pour nous rendre au mariage d'Idril ; Victoire avait tâché ta robe et ne voulait pas que tu la laisses en partant avec moi. Andrea, pourquoi tu n'écoutes pas les enfants ? Pourquoi tu pars en leur refusant ce qu'ils réclament, et laisses leur petite main pour nouer la tienne au bras masculin qui t'accompagnera plus loin ? On était arrivés en retard, d'avoir profité d'un moment suave près des remparts, et la vie avait un peu ébouriffé tes cheveux, comme si sa course couronnait tout ce que tu étais. Pu'tain qu'on est bêtes, put'ain que c'est con, les gens.

Tu soupires après avoir regardé nos mains jointes, et moi aussi. Tout ça, ça a des allures d'enterrement, de ces formes de soutien qui n'éteignent pas le chagrin. Comme s'il était mort, alors que c'est ce « nous » qu'on honore, avant de l'ensevelir. De le tapir au fond, comme si c'était plus rien, comme si ça avait été anecdotique. Une histoire ancienne, un rien-du-tout, du passé, et c'est tout. Comme pour tous les grands deuils, on a besoin d'une cérémonie d'adieu, un moment de recueillement, une heure ou deux, comme ça. Pour se souvenir. Pour regretter. Pour pardonner.

J'ai pas envie de me souvenir. Parce que je sais, moi, je le sais très bien. Je suis assis là, avec toi, et j'vois passer ce qu'on aurait pu être. Oui, je t'en veux, encore un peu, malgré tout, je crois. Mais moins qu'à moi. Même si je sais que tout s'efface, tu restes là et rien ne passe. Bien sûr que le temps a passé, que notre histoire est terminée... Peut-être, mais peut-être pas pour moi.*

J'ai cette boule dans la gorge, de honte et de tristesse mêlées, qui m'empêche depuis que je suis entré de sortir le parchemin que j'ai apporté avec moi, qui trône dans la poche intérieure de ma veste, et qui stipulera bientôt que mon fils n'est plus à toi. Elle annihile jusqu'à mes bras ; tu vois mes mains, encore maintenant, elles sont aux tiennes. Littéralement.

J'avais pris, au lendemain de ton départ, une résolution. Je viendrais te chercher, et je te proposerais de trouver un moyen de vivre ensemble, séparément. Une sorte de deal, un pacte. J'y étais prêt, je crois. Je me voyais déjà tirer des plans sur la comète pour te retenir un peu. Ce « Je vais t'attendre au coin de la rue, à l'heure où les lumières s'éteignent, quand tu auras trop dansé, trop bu. A l'heure où ne restera plus que mon bras pour poser ta peine, on partira ensemble, une fois de plus... »*, je l'ai répété mille fois avant d'inévitablement détourner les yeux de mon miroir d'entraînement pour lâcher entre deux soupirs de fiel « Tu m'embrasseras comme je déteste, avec cette tendresse que tu mets si bien entre toi et moi. Tu m'aimeras bien, je t'aimerai tout court. La différence s'appelle l'amour. »*. C'est la jalousie qui m'a fait reculer. Ma sempiternelle jalousie. Celle qui m'a fait maudire toutes les silhouettes que j'imaginais t'entourer, en essaim, et te faire céder à mille tourments de passion. Je pouvais pas venir et te voir dans d'autres bras.

Je pouvais pas, Andrea. Je pouvais t'imaginer déjà, me dire, en levant les bras au ciel, alors que j'aurais inmanquablement raté ça aussi : « Et puis pourquoi m'avoir rappelée, pourquoi revenir me chercher ? ». Et moi, j'avais qu'une réponse, du coup : «  Pour te voir rire, te voir pleurer... sans moi ».

J'en aurai pas eu la force. J'aurais à coup sûr été si paranoïaque que je t'aurais trompée moi-même, comme pour ériger un bouclier de défense entre toi et moi. Je sais comme je suis dans ces cas-là. J'aurais fait quoi, mon Amour ? Je t'aurais écrit patiemment le soir, à mon bureau, alors qu'une petite entre mes jambes aurait éteint mes inquiétudes d'une bouche dévote ? Une main à la plume, l'une à sa joue, j'aurais fait quoi ? Trahi tout ce qu'on était, j'aurais changé jusqu'à devenir l'être puant que je sais être quand la colère me prend. Et tu le sais, toi, que je suis une pourriture quand je veux blesser l'autre.


J'te mentirais, si je te disais que j'y ai pas pensé, à trouver un arrangement, une sorte de vie à deux améliorée. Il y aurait eu nous au dessus de tout, mais en dessous... Des hommes, des femmes comme en tabou ; on n'en aurait pas parlé, de ces incartades qui auraient fini par nous séparer. Toi et moi on aime pleinement et coucher ailleurs, c'est signe de deuil. Ca veut dire que c'est la fin, ça nous aide à partir. Il nous faut d'autres bras pour laisser ceux qu'on a sous la main. C'est comme ça.

Pourtant tu le sais, toi, qu'on n'aime pas qu'une fois. Que c'est pas vrai, le grand amour, qu'ils sont plusieurs à nous avoir fait battre le cœur. J'ai fait l'erreur de ne pas vouloir l'admettre, comme si c'était une faiblesse. Quand bien même j'aimerai toujours certaines femmes, je l'ai nié jusqu'à leur mort, et même après. Celles qui ont compté. Je n'ai pas su dire à Lara, alors qu'elle mourait, qu'elle serait toujours en moi ; je ne veux pas faire encore une fois la même erreur. J'ai retrouvé Margareth, on a vécu une sorte d'echo de notre relation avant qu'elle ne disparaisse. J'ai revu Sianne, et j'ai décidé de ne pas fermer la porte à une réminiscence de nous. Vais-je te nier la vérité, alors que tu es devant moi ?

Je choisis que non, alors que tu as dit quelque chose que j'ai moins entendu que le silence soudain qui a suspendu le cours de tes paroles. On n'a jamais eu besoin de mots, toi et moi. Ca ne commencera pas aujourd'hui. Je sens tes mains qui me quittent, et je panique en dedans ; peut-être mes prunelles se parent d'une incompréhension, d'une forme de dénuement de ne pas savoir quoi faire pour te retenir. Encore un peu, quelques secondes.

C'est de ne plus avoir ta main dans les miennes que je comprends pourquoi tu es partie sans l'annoncer. Ce vide, l'absence, cette sensation de bise fraîche là où il y avait la chaleur du derme, juste avant. Alors quoi, finir, c'est juste ça ? Cette sorte de claquements de doigts, ce fugace instant où il y avait toi, et maintenant, il n'y a plus que moi ? Elles sont toutes parties alors que je dormais ou travaillais, sur la pointe des pieds. Laisse-moi le temps de constater ce que c'est, cette fois. En vrai, quand je suis là. C'est absurde, vraiment. Ca me fait penser à ces troubadurs un peu lâches, qui font des chansons des grands tourments. Andrea, il faut qu'on n'habite plus sous le même toit, pour que tu viennes me dire que tu t'en vas. Et sans un mot ; ta main s'en charge en se dérobant. Tu mets un point final à notre « Nous » comme ça. D'un geste ; je n'imagine pas ce que ça doit te prendre de résolution et de force intérieure. Sans doute autant qu'à moi ; j'ai l'égoïsme de l'espérer. Des mois de séparation pour qu'on se dise « au revoir », c'est aussi adorable et triste que pitoyable. On n'a jamais rien fait comme tout le monde ; même la fin posthume de notre pluriel, c'est singulier.

Je reste comme ahuri, à regarder mes mains dénudées des tiennes, à essayer – c'est bête, je sais -, de me rappeler le moment, la micro seconde où tu es partie, définitivement. Je crois que c'était là, mais, était-ce l'instant où ta main a intimé le mouvement de se déloger, où celui où tes doigts m'ont définitivement quitté ? Somme toute, était-ce il y a des mois, ou bien était-ce là, le moment de notre fin ?

La lettre déposée à mon côté arrache mes yeux de l'os large de mon pouce, où ils s'étaient nichés. Le rouge de la cire me reste en tête. Son paradoxe de symbolique, entre la marque de la vie, celle de la mort. De la blessure du liquide rouge maintenant figé.

Figé, oui. Guéri.

A tes derniers mots, je relève les yeux vers les tiens, et mon sourire doit sembler un peu faux comme ma voix ment d'être presqu'enjouée. Ma main part se perdre en ma chevelure, à l'arrière de ma tête, comme si je regrettais d'avoir été maladroit, sorte de rappel du moi d'avant. Celui qui ne planifiait rien, celui qui oubliait tout. J'ai l'air désolé ; je suis résolu. Et je te mens, pour la première fois.


- C'est que... Je suis bien maladroit, mince.

Je m'excuse trop ; je ne sais pas te mentir. Je sens bien que tu le sais, et j'espère sincèrement que tu n'en diras rien. Je n'ai même pas joué la comédie de tapoter mes poches pour faire semblant de chercher, parce que j'ai peur que le tissu trahisse la présence du document. Je réfugie mes iris un peu à gauche de ton visage, pour ne pas croiser tes yeux.

- … J'ai oublié les papiers. Je lui donnerai ta lettre, bien sûr.

Je ne t'ôterai pas ça ; je ne te nierai pas notre fils. C'était absurde, tout ça.

... Va, Andrea. Tout est pardonné.



P. Bruel, Tout s'efface, allusions ou citations.

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Andrea_
Tu n’as jamais su me mentir. OH tu l’as sûrement déjà fait, pas directement, pas pour me faire du mal, et peut être même pas intentionnellement, mais les rares fois où tu as tenté, déjà, tu faisais ça… Et c’est pour ça que mes yeux se perdent dans l’or de tes cheveux, pour y voir cette main qui disparait derrière ton crâne, et… Et il me semble sourire.

Bien sûr que dans ta poche se trouvent les papiers que j’ai tant redoutés. Ceux pour lesquels nous nous sommes retrouvé, aujourd’hui, dans cette taverne qui semblent si loin du reste du monde. Oui, tu faisais déjà ça, cette façon de fuir mon regard pour ne pas voir que tu es démasqué, et ta main derrière ta tête, comme une manière de changer de sujet, de passer à autre chose, comme un gamin te dirait « oh un oiseau ! », pour cacher qu’il a la bouche pleine de biscuits alors qu’on lui avait interdit d’y toucher.

On aurait pu se dire tout ça, ailleurs, dans un endroit bien plus beau, bien plus luxueux, par missive peut être, on s’est moqué tellement de fois des gens qui faisaient ça. Ailleurs que dans un tripot, et maintenant que j’y pense, on s’aime comme on se quitte. Avec douceur, avec une fleur, et tellement de balbutiements. On aurait sûrement dû le faire plus tôt, te dire que j’allais partir et peut être même pas revenir. Mais à l’époque nos mots auraient été à la hauteur de nos maux, et nous aurions été bien trop blessés, pour expliquer l’inexplicable.

Tu as « oublié », par delà le mensonge pourtant, l’excuse paraissait crédible, toi qui, à l’époque, aurait sûrement oublié ta tête si elle n’avait pas été accrochée au reste de ton corps. Ta vie, comme la mienne, est un enchaînement de passions. Nous avons été happés par l’Amour comme nous l’avions déjà été par le passé. Nous nous sommes parfois épuisés, à nous rassurer que cette fois c’était différent. Que c’était plus beau. Plus fort. Que rien ne sera plus jamais pareil. A chaque éclipse nous avons cru que la fin approchait et pourtant, une fois le brouillard dissipé, la vie nous offrait un nouvel astre, qui brillait. Pas moins fort, pas plus fort.
Je n’ai rien eu à faire pour t’aimer, je n’ai pas eu à me forcer pour tout te dire chacun de mes mots. Rien n’était calculé, tout était pensé, balancé comme je le ressentais à l’époque. Et même si aujourd’hui, mon cœur souffre de te savoir heureux avec une autre, je ne peux que remercier le ciel d’avoir aimé, et d’aimer encore, aussi fort que l’on puisse aimer.
Résistent les démons malgré tout, les fantômes du passé qui parfois ternissaient nos pensées et ébranlaient nos convictions, chacun les nôtres, Lara et Margareth pour toi, Ddodie, pour moi. Que vaudrait la vie si on n’aimait qu’une fois ? Le monde serait peuplé d’aigris, nous sommes tous le passé de quelqu’un, et le futur d’un autre.

Tu as « oublié », ce sésame qui m’aurait fait te détester. Et tu m’offres la joie de continuer à être la mère de notre enfant, quand bien même il ne sera pas mon quotidien et j’ai la douce impression de lui donner vie une seconde fois, sauf que cette fois, ses parents sont en paix. Sauf que cette fois, ses parents ne se déchirent pas, et ça Beren, c’est sûrement la plus belle preuve d’amour que tu pouvais m’offrir.
Tu m’auras fait voyagé, me souvenir. Tu m’auras fait douter aussi, mais je garderai jusqu’à la fin de mes jours, ce souvenir de toi. Celui de ta main barrée de fil d’or, d’une phrase hésitante, d’un regard perdu dans le vide et de cette promesse fait à un enfant qui ne saura probablement jamais que sa vie entière s’est jouée dans une taverne où personne n’a bu.
Je pense, je pense, je pense pour retarder l’instant où il faudra se dire au revoir, car il n’est plus question d ‘Adieux maintenant.

Suspendu entre deux respirations, la chaise brise le silence et raye le parquet. Le corps féminin se redresse, les yeux fixent la table, tentant probablement de ramasser les morceaux d’un cœur qui s’est un peu émietté pendant cette entrevue. En vain, à croire qu’ils se sont mêlés à d’autres pour s’agglutiner à cette missive qu’un jour, son fils aura entre les mains.
Muée d’on ne sait quel instinct sinon celui de faire les choses correctement, cette fois, la Colombe s’approche du parfumeur pour poser sur sa tempe un long baiser, d’une tendresse dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Et avant de lui sourire elle soupira près de son oreille


Ne la perds pas, celle-ci.

Cette lettre, cette femme, cette réminiscence du passé, cette paix qui, j’en suis certaine, t’a gagné lorsque mes lèvres sont venues s’écraser contre ta peau.
Le sourire ne s’effaça que lorsqu’elle s’éloigna doucement de la table pour mettre un coup de pieds au tabouret du tavernier en probable coma éthylique, ou simplement médusé, lui aussi, par la scène surréaliste dont il a été témoin, en se jurant, que jamais, jamais, il ne ferait ça dans la taverne d’en bas.
Mais nous Beren, nous n’avons pas été mauvais.

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