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[RP ouvert ] Nichorale, qu'ils disaient...

L_aconit
RP Ouvert, vous pouvez y décrire le déroulé de votre coté de la journée du réveillon annonçant la Saint Noel pour votre personnage, la seule règle pour la cohérence de l'histoire étant de suivre les heures que j'indiquerai au fil des posts. Cela aura son importance, puisque le RP se terminera sur la messe de minuit. La journée décrite commence donc à 16h45. C'est précis. Je sais. Mais c'est bien d'être précis.



[ 24 Décembre 1466 - Eglise saint Front ]

16h45

Saint front semblait dormir, majestueuse sous sa coupole posée à sa tête comme un chapeau en cette fin d'après midi là. Ce n'était pas un soir comme les autres. En son coeur, derrière ses lourdes portes de bois, s'agitait en catimini tout une joyeuse vie excitée et gonflée de cet esprit de la Saint Noel qui approchait, doucement, d'heure en heure, voyant passer les derniers villageois sur le parvis lustré de gel pour aller se rassembler dans les chaumières décorées de houx et de verdure aux conduits fumants avant que la nuit ne tombe, et se préparer à prendre un souper plus gras que d'habitude. Les anciens vêtements faisaient place aux habits neufs et la messe célébrée en pleine nuit était suivie de nombreuses réjouissances et de copieuses ripailles.

L'après midi, à cette occasion les paysans ont abattu leur porcs finit de battre le grain rentré en gerbe. Faust a jeûné comme le demandait l'avent, huit jour durant jusqu'à ce soir. Ce soir qui aboutira une année religieuse trop remplie, un mois de décembre trop meurtrier. Périgueux avait été empoisonnée quelques jours auparavant, et chacun avait tenté de reprendre sa vie, d'oublier, ou de se prémunir, chacun attendait cette nuit comme une chute de neige fraîche, laissant toute propre la campagne et la ville, peau neuve, prête à voir un matin plus doux se lever.

Solstice d'hiver. La journée la plus courte de l'année se laisse grignoter par la nuit approchante, feutrée, une nuit longue et chaleureuse au coeur de laquelle les familles, les amis se préparent à festoyer en communion. Qu'y a -t-il de meilleur que de se rassembler autour d'une bonne table, de faire panse pleine de vin chaud, de jouer des coudes dans des conversations interminables et décousues arrosées d'une gaieté alcoolisée, puis d'aller ensemble, en procession bien alignée marchant dans les pas des uns et des autres, dans le sillon bien tracé au milieu du manteau épais et froid. Une neige de Noel, si blanche qu'elle en devient bleue dans la nuit, à la lumière de la grande serpe de lait. Saint Noel est là. Ce soir, chacun pourra retrouver un ami. Retrouver un espoir. Faire une prière. Offrir un présent. Ce soir, personne ne fera longue route, les convives dormiront à demeure, et en attendant dans l'église, l'évêque organise la messe de minuit et surtout la chorale tant attendue des petits enfants de choeur de l'évêque à l'épi trop blond.


"Nichorale" Avaient dit les villageois. Un choeur haut en couleur, d'Eugène la grande brêle à Loucas le petit intenable, ils étaient tous là. Du moins, presque. Salomon manquait toujours au choeur et au coeur de l'évêque qui avait pris pour baume un long silence. Ce soir, les enfants chanteraient. Un , deux, trois. Ptolémée tiens toi droit. Loucas cesse de remuer. Eugène, relève le menton. Que diable, un peu de tenue. Allons, vous êtes fin prêts. Quoi Loucas, pourquoi Loucas ne le serait-il pas? Sa voix qui mue? Mais non. Il a un chat dans la gorge. Et puis toi occupes-toi d'apprendre les paroles, a minuit ce sera le grand moment, regarde comment tu es attifé, les bures à poches c'était vraiment une idée d'latrines. Un, deux, on reprend, concentrez-vous jeunes gens.

Quelques instants plus tard, Faust laissa la joyeuse bande de huit avec les soeurs du diocèse, qu'on les rassasie bien, ne lésinez-pas sur la confiture de lait de dieu pour les faire tenir jusqu'à minuit, gardez l'oeil sur celui-ci, je sens qu'il va nous faire un coup fourré. Oui, je serai de retour à minuit, nous ouvrirons grand les portes de l'église, pour l'heure fermez-tout bien, il y a un sacré courant d'air. S'agirait pas d'refiler la crève à tout le village. Puis les épis de blés là, ils ne sont pas rangés par ordre de taille, Heuse, si vous pouviez me refaire ça. Merci. Merci Heuse, bon dieu que ferait-on sans vous...

Lorsqu'il prit tout emmitouflé, crosse en main la direction de son Hôtel Particulier Petit Vesone où un bataillon de domestiques s'affairait déjà aux fourneaux pour contenter ses convives, l'évêque ne remarqua pas que la charrette de bois sec était encore devant l'église, que Eugène était encore en retard sur ses corvées. Ni que les rues étaient désertes malgré que le jour persistait encore, chacun trop affairé à ses préparatifs. Il ne vit que le parvis mal déblayé et saisit sa pelle, maniaque, pour en dégager l'entrée puis continua sa route, concentré. Les villageois voulaient une chorale. Tout devait être parfait.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
24 Décembre, 16h45. Vésone, Quartier Saint Front.






Une presque semaine s’était écoulée depuis les assauts végétaux de la belladone sur Périgueux, ramenant Noël à l’avant plan des préoccupations comme la diversion indispensable aux souvenirs encore récents des sinistres heures passées.
C’était lui qui avait lancé l’idée de le fêter à Petit Vésone, famille recomposée de garçons n’en n’ayant plus, et c’était lui qui, désormais, en redoutait l’approche ; que faisait-on des paquets dont le nom des convives est soumis au mutisme ? Des absences qui pèsent ce jour où tout est fait pour embellir la brièveté d’une unique journée?

La main éprouva le visage d’un air concentré, museau attentif au-dessus de la vaste tablée dressée quelques semaines auparavant, aux concentrations délicates des formules secrètes; reliquats des heures mauves avaient achevé de se diluer, rendant aux traits du garçon leur habituel dessin, et, à l’exception d’une tumeur discrète percluse au silence de la douloureuse expérience, Alphonse avait tout du bien portant. Aux exsangues mémoires d’une convalescence parisiennes, monstre à son ventre avait accepté la muselière et but à la paille tout ce que l’on lui avait donné dans l’espoir furieux de sortir, vite, de quitter la cage et d’enfin respirer l’air qui n’existe qu’au ciel ; vendredi l’avait exaucé avec un soulagement tel qu’il s’était senti doucement ivre dès le premier bol d’air frais.

Depuis que l’hôtel particulier avait achevé de s’ériger, l’appartement de Vésone, premier berceau des amours mâles, avait mué en extension discrète et était devenu au mois de novembre l’atelier clandestin de Tabouret. A l’étage, fenêtres malgré le froid, étaient en permanence entrouvertes et laissaient passer de temps à autres quelques volutes claires au travers de la pièce.
Sur la table, multiples fioles alignées selon un ordre propre au jeune homme voisinaient plusieurs parchemins grisés de petites pyramides, étonnant désordre né des précipitations bordées d’échéances, et désormais, côtoyaient un petit coffret de bois sombre éventré fraichement acquis où brillait la finesse d’un verre de qualité.
Lug avait choisi de s’endormir, allongeant, sa silhouette jusqu’à frôler des pattes un volumineux paquet ramené de Paris quelques jours auparavant, et si l’œil s’ouvrait de temps à autre, c’était uniquement pour observer le maitre à cette tâche devenue récurrente aux heures libres de ses journées.




Dix-sept heures sonneront bientôt, et Alphonse ne les entendra pas.
Créature aux appétits méticuleux respire autant qu’écoute ; là, à son nez, c’est le bruit d’une feuille qui pousse.

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L_aconit
[Hotel Particulier Petit Vésone ]

18 heures.

Constatant les allées et venue des domestiques, Petit Vésone s'anime d'un mouvement chassant sa discrétion habituelle. Casserons fument aux cuisines à gros bouillons, la nuit est tombée depuis peu et Périgueux est plongée dans sa lente et attendue préparation, fille s'ornant des parfums propres à cette soirée de représentation. Il ne neige pas, trêve que l'on croit bienfaitrice à l'heure qui avance doucement et grignote, avide, le temps qui les sépare de la Messe de minuit. Chacun y va de son allant, il règne une ambiance festive que rien ne saurait alourdir. Rien? Vraiment?

Assis au coin du feu, un godet de vin chaud en main, Nicolas fait un bilan bref de cette année écoulée. Qu'y trouvait-ton? Du bon. Du moins bon. Dans l'inventaire minutieux de ses souvenirs encombrés, l'évêque appuie sa nuque au dossier, doigts arachnides captant la chaleur pour s'en rassasier. Lévriers ne dorment pas aux pieds ce soir, c'est là faute à trop d'odeurs, à trop de mouvement, et à l'arrivée d'une invitée-compte-double.

Bleus balayent les deux jeunes gens qui s'apprêtent à sortir à sa rencontre, lanterne en main, pelles à l'assaut du chemin qu'ils racleront jusqu'à la terre, pour qu'elle ne glisse pas. Une gorgée vient raviver ses souvenirs.

Il y eut Désiré des Amahir, ce printemps à la rivière et aux assauts des apprivoisements, Page récupéré au gré des chemins, au déclin d'un Règne d'un coup de ciseaux au ruban, l'été brûlant et ses baignades que tous regretteront. La mort du Grand Duc, laissant Nicolas Grand Orphelin. Il y eut les falaises, l'éclipse et les silences, L'absence soudaine de Salomon, Paris sous la pluie, le retour d'une Cerbère et d'un Voleur. Il y eut Perceval, ascensionnelle, la baie de Laurier. Il y eut tant de houle pour une unique seule rive. Il y eut Alphonse. Au poison. Au bord du précipice. Et sa main pour le retenir. 1466 s'achevait sur cette étrange sensation d'épreuve du feu.

L'épreuve du feu.


Monseigneur, elle est là! J’aperçois la voiture!

Tiré de ses pensées par l'enthousiasme du jeune homme, Faust sourit aussitôt. Ce soir les yeux grands ouverts, Petit Vésone accueillait sa première invitée femme. Et toutes les attentions les plus masculines seraient tournées vers Elle.


Faites couler le vin chaud.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Caneda
Lucie, pourtant chauvine indétrônable de sa terre de porcelaine, aimait la campagne périgourdine.
Elle l’aimait pour l’avoir peuplée, à l’âge où l’on rêve tout éveillé, de ces stupéfiantes chimères qui font du bois l'inquiétant domaine des hiboux, de la glèbe le sentier d’aventures insensées et du talus rebondi, le toboggan râpeux de la fin d'après-midi. Elle l'avait parcourue, enfant, dans de plus modestes souliers. Elle l'avait courue à s'en souiller les genoux, à s'en écorcher les paumes et sans se séparer jamais de l'escouade fraternelle, domptée à ses exigences de crapule en culotte courte. Elle l'aimait comme un amant éconduit, dont le regard ravive la même tendresse qu'antan. Tous ces souvenirs, si vieux qu'ils lui paraissaient à d’autres appartenir, s’enfouissaient céans sous le duvet moutonneux des flocons. Le trajet en dévoilait à n'en plus finir.

Celui-ci s'écoulait sans échos. Baronne avait, la veille, abandonné à l'auberge rochechouartaise le lot déjà réduit de ses bienveillants seconds contre une poignée de taiseux gens d'armes, dépêchés pour la tranquillité d'esprit du Régnant paternaliste et, sous peu, pater tout court. Qu'importe ; le silence, nervuré de murmures de ferraille, collait mieux encore à la douce rêverie de ses humeurs. Noël, sous le sabot des trois troupiers, sonnait si solennel.



[24 décembre - Débarquement à Petit Vésone - 18hoo]


Lorsqu'après un long crissement, le coche s'immobilisait au devant de l'hôtel périgourdin, toutes les têtes tournèrent pour l'envisager un moment. L'édifice avait la sobre élégance de son propriétaire ; solide dans ses courbures, sculpté d'une délicatesse moqueuse. Les plus gras regards se fendaient d'admiration à la mignonne devanture, arrachés pour quelques secondes à leur garde tandis qu'au dedans de l'armature de bois, Canéda souriait. D'un franc, d'un discret, d'un souple sourire. Elle savait la chaleur que l'âtre d'hasardeuses amitiés dégageait dans le bel ensemble, savait qu'elle pourrait aisément noyer à l'hospitalité les escarbilles d'autres amours absents. Un brin d'inquiétude, cependant, l'étreignait encore ; Alphonse, tout juste remis, portait dans son souvenir les stigmates d'un frais venin.

« Madame ? Faut-il vous annoncer ? » A la lucarne, le visage de plâtre du soudard lui revint. S'extirpant de la voiture et au renfort de sa main, madone encloquée enjoignait sa maigre troupe, larguant à la pointe de ses pieds le lourd ressac de son jupon d'hiver. Ses cheveux, amalgamés à l'effet d'un chignon ayant demandé à sa camériste un peu de travail et beaucoup de patience, lui faisaient le profil noble et dénotaient franchement de la masculine assemblée. Ce à quoi baronne, loin d'être gênée, semblait toute habituée. N'allait-elle point, après tout, défier de sa féminine complexion au nombril exhibée l'exclusivité de ces messieurs au beau lieu ? Accrochant une assurance feinte à sa rétine, Lucie bravait la cour, lâchant sans plus se retourner :
« Nous sommes à l’heure, pile à l’heure, Jehan. Laissez, et sortez plutôt la bouteille, je vous prie. »
Porte ta croix, Nicolas, la plus égarée de tes ouailles est prévue au repas.

Jurgen.
On sera pas tous perdant
Même le dernier des derniers
On paiera tous en sortant
Et les cancres en premier
Deportivo - Parmi eux



    Il rêvait souvent d’une vie simple. Sa mère était la fille d’un petit pêcheur du bord de mer et était tout naturellement devenue poissonnière. Jurgen était un enfant espiègle qui n’écoutait nullement les remontrances, et tous les remontages de bretelles et beignes du monde ne pouvaient rien y faire. Pourtant, tout le monde pensait qu’il adviendrait un jour où il partirait pêcher avec Grand-Père et croiserait sur le chemin du port le regard d’une respectable jeune fille qui lui offrirait plus tard une tripotée de garçons et quelques filles. Parce que si les petits garçons sont toujours avantagés, les petites filles sont des bijoux dont les pères se plaisent à se soucier.
    A Périgueux, un homme de trente-deux ans ressassait les souvenirs d’une enfance banale, et même peu enviable. Il se remémorait l’odeur des entrailles de poisson, et de celle-ci qui flottait non loin de la pierre de sa porte. Qui s’infiltrait parfois dans sa chambre. Qui était imprégnée sur les mains sur la couverture et qui s’évertuait à le border avec soin. Peu enviable, donc, parce que beaucoup trouverait ça crasseux et sans intérêt. Mais c’était son
    Heimat.
    Le fils de la poissonnière de la place n’avait cependant aucune honte de ses origines. Il les chérissait, et avait fait des valeurs de Danzig les siennes. La liberté, le combat, l’eau et le vent. Des grosses mandales sur le coin de la gueule, aussi. Parce que si Jurgen en parlait, Danzig était le paradis sur terre. Pourtant, c’était une ville qui se battait chèrement pour son indépendance et qui serait le théâtre de drames horribles.

    Paradoxalement, il s’était toujours tourné vers une vie complexe faite de grandes aventures sur l’eau, de coups en douce, de coups en traître, de coups bien placés et parfois de coups de coudes. Même à la naissance de son fils, il n’avait su abandonner cette vie. Et quand la Noix s’était présentée, épouvantable, hargneuse, la gueule en vrac, il s’était un peu plus convaincu qu’il était fait pour ça. Pourtant, lorsque Neijin était tombée enceinte, ils avaient parlé de cette maison sur la plage.
    Et il avait fuit.

    Alors à seize heures quarante-cinq, à Périgueux, dans une auberge proche de la place de la Claustre, Jurgen couvait son fils d’un regard de poule. Hlodovic dormait au chaud, et ce soir serait une fête. Il n’était pas bien riche, le Moineau, mais il trouvait toujours de quoi payer ou voler ce qu’il convoitait. Il avait refusé une invitation à des mondanités qui promettaient d’être fort amusantes pour passer cette soirée avec eux. La chose était tout-à-fait ordinaire : Il venait de retrouver ce à quoi il tenait.
    Peu de temps restait avant qu’ils ne débutent la veille.


    Le temps de s’habiller, il sortait. Et au détour d’une rue vide, une vision furtive, une tête plus blonde que le plus précieux des métaux.


    ___________________


    Une petite maison, faite de petites pièces obscures, de vitres rares et presque opaques. Périgueux aussi avait des recoins sombres, et Moineau les trouvait toujours.
    « Jurgen ? Tu saurais me trouver de la poudre ? ». C’avaient été les mots du lansquenet en Alençon. Il s’était contenté de sourire et de hocher la tête, puis avait ajouté qu’il lui faudrait un peu de temps pour la faire acheminer vers Limoges. Ou vers ailleurs.

    Il claqua sa timbale contre celle de l’homme à la face ridée. C’était lui, leur fournisseur. C’était lui qui détournait les stocks de l’amirauté royale, c’était lui qui prenait le travail le plus dangereux : celui du transport. C’était aussi lui, alchimiste, capable de faire ces mélanges magiques aux détonations époustouflantes. Jurgen l’admirait, en un sens. Les hommes de science avaient toujours été fascinants, mais avaient ce côté détestable également. Ils savaient tout sur tout, et face au creux de la tête du Moineau, c’était une insulte.
    L’eau de vie lui brûlait délicieusement la gorge. Même si cette soirée promettait d’être agréable, il persistait un goût d’inachevé. Une bourse généreuse fut déposée sur la table. On ne trichait pas avec les vieux et bons contacts, si bien que Jurgen avait payé sans rechigner la marchandise, qui avait de toutes façons toujours été de première qualité.

    Dix huit heures et le Second sortait de la bicoque. Il marcha quelques minutes pour rejoindre le centre de la ville et visita les stands encore debout, aussi tard était-il en ce jour spécial.
    Du pain, un poulet bien gras réservé la veille, des légumes encore frais, un peu de miel, du fromage. C’était lui qui cuisinerait ce soir mais non sans crainte, car tout ce qu’il avait appris de cet art lui venait de deux Coqs qui se souciaient davantage de l’hygiène que du goût.

    Les victuailles soigneusement entassées dans un sac de toile, Jurgen se permit un détour. Dans la ruelle qui jouxtait l’auberge, il y avait cette charrette couverte. Ce n’était pas à lui de s’occuper de son chargement, il était prévu que deux hommes viendraient délocaliser les marchandises et les achemineraient vers Limoges. Il fallait beaucoup de savoir faire pour manipuler le mélange, et n’importe quel marin avait déjà pu être victime d’un geste un peu trop brusque. C’était le cas de Jurgen qui avait déjà été éjecté à l’eau lorsque l’argile de deux d’entre elle s’était échauffé dans cette horrible baie d’Ardencaple. Il écarta les pans de toile pour prendre la première bombe parfaite et lisse qui se présentait à lui, la logea avec précaution contre l’aisselle et déroula de la corde faite de crins de cheval, de paille en son centre et de chanvre tressé. Les matériaux utilisés promettaient un embrasement rapide bien qu’affreusement odorant.

    Une fois à l’étage, il enferma la poudre dans un coffre verrouillé et dévoila l’encre de ses bras en se retroussant les manches pour s’atteler à la préparation des mets. Ceux-ci ne seraient pas très complexes, peu élaborés, mais travaillés avec amour et goût.



Heimat: Mot issu de la langue allemande difficilement traduisible. A tort, on traduit souvent par "patrie" alors qu'il s'agit surtout du "lieu auquel on appartient", qui peut désigner un village, un paysage, une ville, un pays...
HRP: J'avais déjà écrit le texte de 16h45, mais à cause de mon IRL, j'ai pas pu le poster. Je me permets donc de le faire en un seul post.

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L_aconit
    [19h45]


Petit Vésone était chaleureusement calfeutré face à la Tour de Vésone, de laquelle il tenait son nom. L'hôtel particulier poudré d'hiver laissait filtrer de la musique légère, et la lumière que seul les riches bourgeois tel que l'évêque pouvaient s'offrir. Assurément, il régnait dans l'air une odeur de gras mets, de vin épicé, de fruits rares et de plaisir... Canéda était arrivée avec son précieux chargement, ce ventre plein qui avait nécessité les conseils et les consignes épiscopales, et tout le monde se rassurait de la voir en pleine forme... Et pleine de formes. Les femmes enceintes étaient toujours choyées, précieuses et pleines de promesses, et les domestiques avaient déroulé pour la Limousine les étoffes les plus douces à poser sur les genoux, les attentions les plus tendres à faire fondre sous son palais. Rien n'aurait pu entacher la chaleur de cette soirée...

Mais quelqu'un manquait à l'appel. Inquiet de voir la nuit s'épaissir sans que Tabouret ne se présente à ce qui était en réalité "La Maison" , la leur, Montfort finit par quitter le coin du feu où la conversation s'était bercée des crépitements, s'excusant auprès de Lucie. Glissant dans un corridor, l'on posa sur ses épaules une épaisse pèlerine fourrée, et sa main s'appuya au pas de la porte sur une épaule pour que bottes soient chaussées. Lanterne en main, Nicolas s'engouffra dehors, ride du lion creusée. Où diable était-il? Les heures s'égrenaient sans lui comme des cubes échouées d'une hotte de géant, tombées pêle-mêles sur un tapis, formant un paysage dysharmonieux. Non naturel. Si leurs journées se vivaient souvent chacun de leur coté, Faust avait l'habitude de retrouver le Camérier à la tombée du soir, refermant sur eux la porte de l'Hotel et par la même, l"intimité offerte du versant de longs après midi de travail.

Halo lumineux dans le paysage blanchi, Nicolas d'un pas ralenti par le tapis neigeux prit la direction de l'appartement de Vésone, Luciole égarée à la recherche de son partenaire suivie par le museau levé d'un Lévrier. Soucieux, il profita de ce détour inattendu pour aller vérifier que Heuse ait bien changé le sens des blés. Que les enfants soient calmes, et préparés à chanter à minuit. Il ne trouva que le calme plat et vide d'une nef désertée mais chichement décorée, les habitants sans doute frileux avaient du se réfugier dans la promiscuité chaleureuse du presbytère, juste derrière la chaire, où la porte se dérobait. L'évêque n'insista pas. Chez lui, convives menaient sans lui.

Lorsqu'il quitta l'église en tournant les talons, Nicolas eut ce sentiment apaisé de devoir achevé, de travail bien fait. Le sentiment que ce soir clôturait de la manière la plus douce et plaisante qui soit des jours difficiles. Poumon gonflé expira un halo vaporeux dans la nuit, au bras levé tenant sa lanterne, une Effraie passa furtivement.

Mauvais présage.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
[19h45]






La venelle est sombre, taillée aux froids bleus des nuits d’hiver.
Veille de Saint Noël a vidé les rues à la nuit tombée et il n’y reste que quelques retardataires emmitouflés à d’épais manteaux fendant les rues pour trouver le refuge du foyer ; fête se prépare de murmures et de crépitements.
La lumière de Vésone a été soufflée à la hâte, et la porte y a claqué sur un courant d’air ; la fenêtre est restée ouverte, à l’inattention des trouvailles. Surpris par la nuit pleine qu’il n’a pas vu tomber, nez aux parfums des heures secrètes, l’arbre a poussé et Tabouret s’y est laissé étreindre d’écorces.
Bientôt vingt heures; à un pas derrière lui, Lug ferme la marche et ni l’un, ni l’autre n’ont la tête au trajet qu’ils font d’un automatisme, chacun perdu à ses pensées, découpé au paysage enseveli de blanc. Alphonse se sait en retard, absent à l’arrivée prévue de Canéda et malgré les obligations, ne parvient pas encore à traverser la bulle végétale à laquelle il s’est laissé pousser, nez entêté, tempes empêtrées d’images, de sons et d’odeurs.


Lorsque les corps se télescopent au croisement d’un carrefour, Alphonse a le reflexe premier d’étirer sa silhouette pour donner plus d’ampleur aux équilibres fauchés avant, finalement, d’y tendre la main pour saisir le corps qui s’éloigne, leste autant que précis.
Le pan du manteau est empoigné et, à la faveur du mouvement, seul à y danser de conscience, Alphonse fait valser les silhouettes d’une ronde qui les échoue à l’ombre d’une porte cochère. Sourire raye le visage aux traits blonds qui consument la surprise et baiser se vole d’une fièvre verte. Inspiration aux lèvres, Muse consacre Pygmalion, rend d’une joie, d’une union tissée de nuit, la bouffée d’oxygène qui lui saisit le ventre depuis poignées d'heures.
Corps s’étreignent, parenthèse aux contrastes , aux ressemblances jumelles, suspendent le temps aux doigts qui caressent les cheveux, à ceux qui frôlent la nuque, au pas qui les sépare sitôt retrouvés.
La rue est un lieu d’instantanés, de surprises, d’éclats que le monde survole sans jamais rien savoir, un horizon pavé d’ombres heureuses et passagères.

Je suis en retard !, s’exclame-t-il, cabot, à l’attention de Faust en reculant, reprenant sa marche vers Petit Vésone comme si la rencontre était fortuite, impromptue, accordant un rire déployé au museau qui le gourmande en le rejoignant d’un pas pressé.
Là, monde composé s’harmonise, deux chiens vont au-devant de deux garçons dont les ombres se mêlent aux doigts qui se frôlent.


A Vésone, sur la table, dans un écrin, le monde se colore.

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Caneda
[24 décembre - Au salon du Petit Vésone - 19h45]


Les braises, dans l’âtre, éclataient en de sourds ricochets. Le vivier de lumières et couleurs confondues se fendait à leurs crépitements de filantes ombres, reflétait leurs trajectoires éclair au travers des flammes. Lucie s’y tenait pour spectatrice distraite. La chaleur, montée à ses prunelles, chatouillait sa vue sans qu’elle ne fit un pas. Petit Vésone vivait indépendamment de ses principaux occupants et tout autour de la baronne, nuée de bonnes gens insufflaient à la pièce ce qui marquait les pieux coeurs, en ce jour de fête ; la grâce de Noël. Elle en eut l’âme soulagée. Sa paume, imitant le tendre rituel de ses jours accompagnés, couvrait son nombril et de son pouce, elle y consacrait quelques caresses en maternel aparte. Ton père n'est pas loin, petit trésor, il l'a dit ; un signe de toi et il se saigne de nouveau le bras à canasson pour nous revenir. Un sifflement, plus loin, et s'effaçait au mirage du brasier le visage de l'homme qu'ailleurs, une autre assemblée retient. Canéda, dont on chargeait les épaules d'un châle de douce facture, chercha au salon l'origine de son trouble. Nicolas, peut-être ? Alphonse ? L'oeil n'en décela pas un et, en contrepartie, buta sur la bouille d'un jeune employé, dont l'aspect poupard rappelait les mesquins putti ornant l'hôtel. Au garçon, et sur un ton complice, l'invitée souffla une attendue requête : « Vous… oui, vous. Approchez, allons. J'ai pour vous une mission de la plus haute importance. Pourriez-vous demander à l’homme aux tempes grises, celui qui peigne sa moustache dès qu’y tombe un flocon, juste devant le coche, d’en sortir… du coche, pas de sa moustache, oui, bien sûr !... les deux paquets ? Pas un mot à Monseigneur, surtout. Merci, merci bien et... Oui, oui, filez. »
Concluant l'échange d'un discret coup d'oeil entendu, l'oiselle revenait à ses accents mélancoliques et à sa toute naturelle curiosité, profitant avec la modération qu'impose la politesse de l'hospitalité plus que généreuse de l'évêque. Tabouret allait arriver, et fort d'une bonne santé ; il ne pouvait en être autrement, à l'inquiet palpitant.


Jurgen.

    Le temps filait et les fenêtres laissaient paraître les feux crépitants des âtres. Jurgen faisait partie de ces ombres furtives mais enjouées que l’on apercevait à travers le verre.
    Bientôt vingt heures et les mets s’étalaient alors sur la table. Une petite tête brune, haute comme trois pommes, apportait sa pierre à l’édifice d’une manière fort maladroite. Le résultat n’était peut-être pas digne d’une table royale, et ne respectait probablement pas les règles de l’hospitalité, mais le marin s’en sentait particulièrement fier et la barbe encore grisonnante de farine permettait de s’en assurer.
    Poisson de rivière fumé, courges farcies de crème de châtaigne, soupe de poireau et potiron… C’était bien plus complexe que tout ce qu’il avait jamais cuisiné, et le goût ne serait probablement pas digne de la soirée mais il comptait n’essuyer aucune critique. Il avait fait l’effort, et l’avait même fait avec plaisir et joie.

    Hlodovic trempait les doigts dans tel ou tel plat avant qu’une main paternelle ne l’en empêche et fasse mine de les lui manger. C’était un instant si pur et irréprochable que rien ne pourrait le gâcher. La Blanche était à ses côtés et la Pucelle également. La maîtresse de maison barbue apportait rafraîchissements et alcools en tout genre, sans pouvoir s’empêcher de regretter les absences de Lars et de Lars. L’un s’amusait à Paris quand l’autre devait probablement se contenter d’une montagne de présents et de solitude. Les adultes savaient endurer la solitude, les enfants n’étaient pas faits pour ça. Les enfants… Un trésor tout particulier pour le rustre qu’il était. Eux et lui jouaient au jeu du chat et de la souris, au jeu du « Je fais comme si je t’aimais pas, sale gosse » alors qu’il n’avait jamais pu réellement leur résister. Les lèvres découvrirent un instant les dents à cette idée, et le marin leva son verre d’alcool en feintant le bonheur absolu.

    Il ne suffit parfois que d’un simple élément pour chambouler la tranquillité. Il avait tenu toute cette journée et s’était occupé avec plaisir. Jurgen ne se sentait pas le droit de revendiquer quoique ce fut. Il avait été trop absent, trop ignorant, trop mauvais aussi, autant dans ses choix que dans ses attitudes. Avant même la nouvelle année, il avait adopté des résolutions : Être fidèle, tenir ses promesses. Il s’en sentait capable. Nulle autre courbe n’attirait son regard comme le faisait la poitrine de la Blanche, la rondeur de son épaule dénudée, et l’éclat bleu de ses yeux surpassait même les étoiles. Quant à son fils, il n’y avait pas de mot. Hlodovic était lui-même la promesse de jours meilleurs. Et, là, calé contre sa poitrine, la bouche peinturlurée de la sauce du poulet un peu trop cuit, l’adorable loutre ne comblait pourtant pas tous les trous dans le coeur du pirate.

    Il manquait quelque chose, et Moineau ne pouvait demeurer sourd aux suppliques de son âme, tout juste arrivait-il à masquer la peine et la colère que l’injustice lui imposait derrière un sourire jovial et un dévouement sans faille pour l’heure.

    Bientôt, il distribuerait les présents qu’il avait préparés, et avait également apporté celui que Corleone, son éternelle amie-ennemie, avait commandé pour sa chaire.

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L_aconit
    20h - dans la rue



Avait-il sursauté? Peut être. Le corps d'Alphonse l'avait heurté sans qu'il ne puisse pour autant le repousser de surprise, happé par l'intime conviction que cette rencontre là n'était pas fortuite, cette odeur pas si inconnue, cette voix pas si étrangère. Alphonse...

Bouffée chaleureuse dans la nuit. Longuement, peut être trop, le baiser est échangé. Est-ce bien prudent? La nuit est sombre et chacun est occupé. C'est le réveillon de la saint Noel, village est désert, qui les verrait ? Fort de ces prudences délaissées à une autre fois, Faust enserre d'un bras le Faune rencontré, gardant une seconde, deux, peut être dix le carrure d'Alphonse emmitouflée d'une couche de laine.


Tu es en retard.

Confirma le religieux, capitulant à celui qui s'en va déjà, ses doigts entremêlés aux siens. Lanterne-luciole s'est faite bicéphale, et avance dans la nuit en retournant à ses pénates, partout derrière les fenestrons des rues les halos diffus d'autre lucioles indiquent que tous sont à leurs célébrations. L'on a oublié l'Effraie et l'angoisse d'une Chorale parfaite. C'est Saint Noel qui approche. Que peut-il arriver de mauvais? Bientôt le traîneau devant l’hôtel particulier sera en vue, et l'on sera accueillis au retour par nuée de jeunes gens déjà un peu enivrés de vin épicé.


    22H - Saint Front


L'on a retrouvé Canéda, grosse et belle de l'être, glissé aux domestiques des consignes secrètes pour préparer surprises, sans savoir qu'en face, consignes ont été données aussi.

" Lorsque nous quitterons l'Hôtel, vous irez placer les présents de Tabouret et de Canéda bien en vue, qu'ils ne puissent pas les rater à leur retour. Pas un mot ! Pour Archibald, que l'un d'entre vous se dévoue à aller à sa chaumière non loin de Saint Front pour lui apporter le Pâté en croute encore chaud juste avant minuit. Ainsi en rentrant de la messe, il le trouvera au pas de sa porte."


Et la nuit, pleine de promesses, allait étirer ses longueurs jusqu'à
23h50 où l'on se couvrirait pour partir vers l'église, dans les rires et la bonne humeur. Dans les échanges d'anecdotes et dans le vin cuit. Dans la plus pure insouciance de la fête. Dans les ventres qui gronderaient déjà d'en avoir assez d'attendre et qui s'assouviraient bientôt, du repas gras dans les hourras. Ce premier repas avait sa raison d’être par suite du jeûne de la veille, par la privation de sommeil, la longueur des offices de la nuit qui dureraient plusieurs heures - la grand’messe de minuit était précédée des trois Nocturnes des Matines et suivie des Laudes - et aussi des fatigues d’une longue route parcourue pour venir à l’église, pour les villageois les plus éloignés.

On le sentait dans l'air. Le porc composait le menu de ce festin. On y gaspillait pas. Dès le matin, le boucher, accompagné de ses valets, s'était rendu aux domiciles et, après avoir saigné, épilé le porc, puis taillé sa chair, s'était mis à faire force saucisses et boudins, car il fallait en offrir à tous. De son sang; boudin succulent. De sa chair, hachée sous celle de crépinettes en longues saucisses délicieuses. Chacun y aurait droit dès le retour de la Messe de minuit. Le soir arrivé, une grande chaudière d’airain s'était posée sur le feu, remplie de la chair du porc coupée en petits morceaux et destinés à faire des rilleaux. Le chef de la famille s'était signé, avait jeté de l’eau bénite sur le feu, et placé dans la chaudière trois mesures de sel.

A l’aube du jour, les rilleaux seraient cuits, et alors on se délasserait dans ce gai repas des veilles de la nuit.

Un large plateau où trônait un magnifique jambon couvert de verdure attendait son heure. Ce jambon serait déposé devant le maître-autel. Faust en habit de chœur, viendrait le bénir et prononcerait une prière consacrée à cette cérémonie. Après la bénédiction, le jambon serait reporté à la maison et suspendu dans l’âtre de la cheminée ; il y resterait jusqu’à Pâques où il serait décroché et mis sur la table autour de laquelle la les amis viendraient s’asseoir et rompraient avec cette viande bénite l’abstinence du Carême.

A ses côtés, desserts attendaient leur heure, rissoles aux prunes et aux pommes bien chaude et bien dorées. Lendemain serait gras. Si gras. Le jour de Noël est un jour de grande liesse ; c’est le Maître des lieux qui régale ses amis et ses domestiques. C’est à lui qu’incombe le soin de tout disposer, car c’est, ce jour-là, la fête des petits, des humbles, des serviteurs ; Faust « paie » à toute la maisonnée. Mais, en revanche, le jour des Rois sera sa fête à lui. A leur tour, les domestiques paieront ou seront censés payer, et ce soir-là encore, il y aurait grande liesse dans l'hôtel, éclairé autant par le grand feu de la cheminée que par les doux halos des lampes à huile. Alors on raconterait encore longtemps les mémoires de ce jour particulier.

Monseigneur, le jour de Noël,
Fit un banquet non pareil
Qui fut faict, passé v’là longtemps,
Et si le fit à tous venans.
Suit le menu : « perdrix, chapons,
oiseaux sauvages, hérons,
levrauts, congnilz, faisans, sangliers,
lymaces au chaudumé .
Voilà pour les plats de résistance.
Pour le dessert : la pâtisserie, « les fouaces »,
les crasemuseaux, gâteaux secs, pains de chapitre,
échaudés pour les mauvaises dents.
Et puis du vin... de l’Ypocras,
Vin carapy et faye Montjeau,
Pour enluminer tout museau
Nouël ! Il y vint même un bouteillier
Qui onc ne cessa de verser
Tant que un quartault il assécha
In sempiterna secula.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Jurgen.
    Le repas touchait à sa fin et l’enfant commençait à somnoler. Ce serait finalement après une nuit de repos qu’il trouverait ses présents. Il fallait pour l’heure le coucher.
    L’ivresse était dans toutes les têtes. Hlodovic avait fermé les yeux et s’était endormi. La Blanche, elle, remua légèrement entre ses bras lorsque le marin s’extirpa de leur couche.
    Il lui fallait sortir, boire encore, peut-être ? Respirer l’air, avoir les idées plus claires. Avoir les idées claires, voilà bien une chose sur laquelle il n’était absolument pas porté.

    Il revivait ces derniers jours dans sa tête et le ver creusait son esprit.

    Faust était de ces hommes que l’on se plaît à aduler. Le front digne, la bouche résolue, les yeux capables de sonder l’âme. Ce masque de perfection, pourtant, Jurgen ne se plaisait même pas à le détester. Le détestait-il réellement ? Il ne le connaissait même pas. Il l’avait croisé, un jour, et l’avait trouvé agréable à l’oreille, mais aussi à l’oeil. Beaucoup trop.
    Sa mise, sa voix, sa gestuelle, tout évoquait chez lui l’ange. Mais Jurgen, lui, savait qu’il n’avait rien, absolument rien d’un ange. Jurgen savait que sous les plus beaux visages se cachent les pires monstres, mais aussi les plus secrètes peurs.

    Faust, Nicolas, l’Aconit. Ils ne représentaient que trop bien cette hantise.

    Moineau avait grandi entouré d’hommes virils, dans la violence, les bourrades sur les épaules qui font se décrocher les pieds d’un gamin du pont supérieur, dans le sang et les larmes, mais aussi dans l’amour. Il n’était pas plus âgé que ces enfants de choeur lorsqu’il avait sauté à pieds joints dans leur monde, et ces hommes l’avaient accueilli. Alors Moineau ne tolérait pas la faiblesse. Il ne tolérait pas la beauté, la grâce, la douceur.
    Les criminels en avaient fait l’un des leurs. L’oisillon avait trouvé sa place, s’était creusé son terrier au creux de toute cette violence et de toute cette fraternité. La malhonnêteté s’était insinuée en lui, la fourberie l’avait couvert d’un manteau sombre, le mensonge habitait sa langue aussi bien que ses poumons.

    Ce n’était pas de sa faute.
    Ce n’était pas de sa faute s’il ne savait pas vivre comme tout le monde. Ce n’était pas de sa faute si la plus calme des situations finissait toujours balayée par le chaos. Ce n’était pas de sa faute, c’était le sang de son père, c’était le sang de ses frères, c’était le regard du Capitaine, c’étaient les cris d’une matinée qu’il entendait encore. Mais Jurgen, là dedans, n’était qu’un pantin. Certes, son propre pantin, le pantin de sa maladive réactivité, mais un pantin sans volonté, sans raison. Une pauvre bouée perdue en mer, victime de la houle, mais pourtant bien à sa place.

    Il avait connu ces hommes virils et certains de leurs penchants et beaucoup d’entre eux les assouvissaient sans même demander. Faust lui rappelait terriblement une autre tête blonde. Dimitri avait ce même type de visage qui entraîne à lui accorder le Bon-Dieu sans confession. En y repensant, fort heureusement que Jurgen ne l’avait jamais entendu se confesser. Le marin en avait déjà trop vu de sa part, et lorsque le jeune homme avait voulu lui montrer pour de bon la profondeur ambiguë de son coeur, il avait bien failli le tuer. Mais la douceur, inexplicable, l’avait poussé à le porter jusqu’à sa cabine et à le border avec bienveillance. Le lendemain, sobre et oublieux, il n’avait pas saisi les regards craintifs que le garçon lui avait lancé, et il n’avait jamais eu l’occasion de s’expliquer avec Dimitri sur la signification de ses craintes.

    Faust, comme Dimitri, était un péché. Un fruit tout juste mûr que l’on voulait garder pour soi. Une gourmandise que l’on s’accaparerait bien. C’était de sa faute, à lui, ce pousse-au-crime. Trop délicat, trop beau, trop proche, trop bon. Faust était un péché qui, à l’image de la pomme revêt une apparence attirante et brillante alors qu’elle porte tous les malheurs du monde. Il attirait les âmes à lui et s’en tricotait un manteau qui ne le protégerait plus bien longtemps, lui et les siens.



    Une demie heure avant minuit, l’oisillon avait revêtu de chaudes affaires. Car si le froid l’avait toujours revigoré, on ne pouvait pas affirmer que son cœur était de glace. Jurgen était un homme plein de chaleur qui offrait son amour sans compter. Malgré ce qu’il laissait paraître, il était généreux. S’il pouvait sembler dur et inflexible, Jurgen s’apparentait davantage à un nœud d’échecs. Il n’avait jamais su exprimer ses émotions, mais là non plus, rien n’était de sa faute. Son esprit était bien trop complexe pour se contenter de suites de mots, et ceux qui lui ressemblaient sonnaient comme « ambivalence » et « extrémisme » et s’exprimaient par les actes irréfléchis et colériques.

    Là, sous l’aisselle logeait la bombe récupérée quelques heures avant. Il l’avait choisie parmi une demie douzaine d’autres parce qu’elle lui avait paru parfaite. Mais parfaite pour quoi ? Exploser ? C’était sa fonction. Mais exploser où ? Et pourquoi ?
    A vrai dire, Jurgen était partisan du « sait-on jamais » et s’était doté de l’objet sans aucune raison valable au départ. Oh, bien sûr, il avait bien envie de faire sauter quelque chose, à cet instant précis. Et lorsqu'il vit les lumières et entendit le grondement des voix du peuple qui se massait vers l’église, il n’y eût plus d’autres questions que « Comment ? ».

    Seule une capuche et la nuit dissimulaient son visage blanc où le vide se lisait.
    Un peu avant minuit, l’homme rôdait avec une prudence appliquée autour de l’église. Alors que le petit monde de l’évêque tournait encore rond, celui de Jurgen se flétrissait. On avait entendu parler de vieilles légendes dans lesquelles des hommes se transforment en bête, dans le Nord. On avait entendu parler de possessions à travers de petites poupées peintes, dans le sud. On avait entendu parler de monstres qui viennent dévorer les enfants à la nuit tombée dans tous les endroits du monde connu. Mais avait-on entendu parler d’un homme si absent de toute réalité qu’il s’apprête à commettre l’innommable dans le simple but de s’affirmer face à lui-même ?

    Peut-être ne le vit-on pas s’introduire par une porte latérale, le fait est qu’on ne l’y en empêcha pas. On ne le vit pas non plus entamer les escaliers pour atteindre le balconnet où se trouvait l’orgue. D’ailleurs, même le musicien ne l’avait pas encore aperçu, trop affairé à égayer la nuit, l’instrument bien trop imposant pour lui permettre de remarquer celui qui créerait la tourmente. La respiration était silencieuse dans l’arc de la porte.
    De l’ombre, il apercevait le cœur du temple. L’objet déjà tiède fut sorti et d’une main experte, il trouva la mèche au raz du mélange meurtrier.

Si les cloches sonnent, pécheur, alors l’heure de ton trépas aussi.
Et j’attends.
Lâche, mais légitime.

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Alphonse_tabouret
23h50





A la porte de Petit Vésone, voyant les Hommes s’endimancher, les chiens ont commencé à gémir d’une impatience aiguë, museaux allongés tantôt tournés vers la frontière, tantôt vers les maitres et leur convive, trop lents d’avis de lévriers, à passer les manteaux, enfiler les gants, serrer les écharpes.
A peine a-t-on fait jouer le loquet qu’ils se sont faufilés à la rue avec un empressement qui les a cognés , fait patiner le plus jeune de quelques secondes avant qu’il ne rattrape d’une poignée d’enjambées la silhouette de son ainée, et la marche s’est ouverte sur les deux bêtes efflanquées remontant les rues jusqu’à Saint Front, Petit Vésone en grappe à leur suite joyeuse.

Derniers instants se consument, innocents, inconscients ; Alphonse à peine ramené du monde des morts marche en condamné qui s’ignore, masque déjà tant de fois rapiécé bientôt sur le point de céder d’une nouvelle fracture ; si l’on a cru déjouer le mauve, l’on ne sait rien du rouge et de ses dégradés, de leurs voraces teintes, du bruit immonde de leur gangrène au ciel.
Le vent menace, la tempête dessine ses premiers éclats et il n’est personne à ces terminales minutes qui se sache en sursis ; murmures montent au ciel, crevés çà et là de rires joyeux des fidèles, des babillements des enfants qui veillent ce soir, excités autant que sages, quand ils ont la tête au festin du lendemain, aux parfums de la résine et des buches.


Odeurs s’étirent, vision se nourrit ; çà et là les villageois gonflent les artères du cœur de Périgueux, et l’on jurerait pouvoir toucher du doigt l’un des toits de l’église qui apparait enfin à aux rondes perspectives de la rue principale.
La main gantée du Camérier vient se ficher brièvement à la crinière blonde du prélat, d’un geste affectueux qui n’a rien d’inhabituel ; l’amitié des garçons ne s’est jamais cachée, subterfuge au noyau commun, et voilà longtemps que l’on ne voit l’un sans l‘autre, l’autre sans l’un, au point que l’on ne s’étonne pas de les voir avancer par deux aux heures des journées quand les nuits, elles, n’appartiennent qu’à eux.


Faites vite Montfort, j’ai déjà faim, le presse Tabouret d’un sourire dessiné, prestigieux menteur que l’estomac tiraille rarement quand la faim creuse en permanence ses flancs ; à cet instant, les domestiques, conspirateurs missionnés par chacun, sillonnent les pièces de l’Hôtel en y déposant les présents et Alphonse s’y délecte d’envies, s’y découvre les joies simples des enfantines turbulences à l’approche des douze coups de minuit.
Les bleus de Faust nourrissent, ses mains autant et son sourire plus encore ; filigranes d’une convalescence bileuse, Dehors leur va mieux que jamais. Loin, si loin du bouquet de ravages que Saint Front s’apprête à présenter, Alphonse respire d’une légèreté le vent piquant et frais qui balaye décembre, convaincu, orgueilleux : Le pire est passé.

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L_aconit
Minuit.

Dans son habit de lumière, l'évêque prodige, la jeune pousse de Rome, le controversé trop ou pas assez s'apprêtait à faire son entrée dans l'Eglise Saint Front, aux bras de la Canéda, comme une Calas, dans les chants liturgiques et les alléluia .

Ha! Si son Père le voyait. Comme à tout garçon vibrait au fond de lui ce soir là, dans l'apothéose d'une messe de Minuit, le désir inextinguible de le contenter, même de là haut. D'imaginer sa fierté, comme le Père de l'acteur rêve de voir son fils comédien, dans un art dit plus noble, et assiste enfin à une représentation qui le contente.

Ils ont marché dans la neige, en ont encore les pieds froids et mouillés. Ils se sont chahutés de mots, de tapes à l'épaule, de coup d'épaules complices à qui enverrait qui dans la poudreuse. Ont haussé le ton pour se faire faussement le gardien du périmètre intouchable de Lucie. Ont parié de quel enfant aurait défait les rangs. Coiffé la maniaquerie de Faust d'un pied de nez inévitable. Minuit! Vous vous rendez-compte? Les estomacs grondants, l'excitation de la représentation. Les soutanes sans poches où occuper les doigts.

Museau encore rouge, Faust Nicolas Montfort Toxandrie apparut à Saint Front à Minuit tapante, sans savoir qu'il se tenait pour la dernière fois devant une finalité. Et pour la première fois devant une vraie Douleur; imminente. Irrémédiable. Absolue. Qui ne passerait pas. Qui demeurerait. Face à laquelle il ferait front. Et sans doute continuerait de vivre. Imaginerait un avenir. Sans le son des cloches qui sonnèrent alors, une dernière fois.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Jurgen.

    Il y a des minutes plus longues que d’autres. Il scrutait chaque recoin qui lui était accessible, fouillait des yeux l’église, détaillait les enfants, sans même les trouver adorable.
    Jurgen avait déjà assassiné des enfants. Il n’en était pas fier, mais avait cette faculté de dissociation qui faisait passer ses crimes pour de bonnes actions, ou pour des actes nécessaires. Le fils de ce bourgeois danois, par exemple. Il ne pouvait pas survivre, et sa mort avait servi de plus grands desseins. Moineau ne se rendait même pas compte que l’homme qui lui avait autrefois ouvert la gorge avait pu penser de la même façon, alors qu’il lui portait une haine incommensurable et qu’il considérait cet acte comme impardonnable.

    Mais pour l’heure, Jurgen ne pensait pas réellement. Il n’était d’ailleurs pas vraiment là. Il lui arrivait régulièrement de frapper ou de tuer non par plaisir, mais par nécessité. Pour se vider la tête, pour faire craquer ses poings. Il était l’enfant de la violence et de la haine, puis redevenait celui de l’amour et de la passion. On n’aurait pu expliquer cette dualité, car Jurgen était quand même un gars bien, un bon gars sur qui on peut presque compter. Un homme qui a le sens du sacrifice (et sa vie entière était par ailleurs vouée à un autre), même s’il se plaint sans cesse.

    Mais dans cette église, l’alcool le disputait à la raison. Ces minutes, qui semblaient durer des heures, ne lui permirent même pas de réfléchir. Animal fiévreux, jaloux, rongé, absent, croirait ce soir se venger d’une vie compliquée. Alors quand la tête blonde apparu, c’étaient des naseaux qui se dilataient et seules les cloches bientôt couvrirent le bruit sourd du sang qui lui battait les tempes. Un, deux essaies, rapides, et la mèche prit feu.

    Mais il ne pouvait pas prévoir que la mèche serait si capricieuse. S’il ne l’avait pas lancée sur le champs, les doigts auraient volé en purée et sa face aurait été ravagée. Au lieu de ce qui n’aurait été que justice, la grenade explosa en l’air, près d’une poutre qui se délogea sous la puissance du souffle. Car on ne lui vendait pas de camelote, au Moineau. On le savait exigent, on le savait plus que désagréable quand on l’arnaquait. Mais c’était de sa faute, la mèche était trop courte, et la poutre balaya le choeur. Les voix si fluettes, si cristallines, si pures et innocentes se turent un instant sous la panique avant que les cris ne couvrent presque le résidu du son des cloches.

    Les yeux de Jurgen se firent ronds. Ce n’était pas qu’il revenait à lui, c’était surtout qu’il prenait la mesure de son crime.
    Il avait voulu mettre fin aux jours d’un garçon qu’il croyait dur comme fer corrompu et inconvenant, et au lieu de cela, il avait brisé en une seule seconde ces petites vies. S’il apprenait plus tard que Faust en serait dévasté, il n’y trouverait là aucun plaisir assez grand pour étouffer les images qui le hanteraient longtemps.
    Le feu dévorait les tentures et se propageait rapidement. L’édifice serait bientôt une fournaise, et le plafond s’émietterait probablement. Tous les enfants n’étaient pas morts sur le coup. Deux dépassaient des décombres de la poutre et des bancs qui prenaient feu.
    Peut-être serait-il possible d’en sauver un, ou peut-être deux ? Les visages de ses deux fils lui voilèrent les yeux. Si on leur faisait ce qu’il avait fait ce soir, il ne deviendrait rien d’autre qu’une bête assoiffée de haine, de vengeance. Mais il n’était pas prêt à payer les conséquences de ses actes. C’était honteux, c’était indicible. Le secret devrait demeurer.

    Mais Raben, lui, saurait. Raben savait toujours tout. D’ailleurs, nombreuses avaient été les fois où, après quelques beignes et des mots durs, il avait couvert les crimes et délits du Second d’une manière ou d’une autre. Lars était un homme sage et l’âme de Jurgen n’avait pas de secret pour lui.

    Il était parti après avoir assommé le musicien. Il ne faudrait aucun témoin direct. Personne qui ne puisse l’identifier. Imaginez donc les ravages sur la pauvre vie du Moineau si la chose se savait ? La réaction de Neijin ? C’était impensable, et il comprenait bien qu’il risquait là de tout, absolument tout perdre.

    Il n’avait pas eu besoin de beaucoup de temps pour se mêler aux ouailles en panique et de ressentir, lui aussi, la chaleur à travers les tissus et herbes séchées devenus flocons de cendres.
    Il passerait les jours suivants à aider le peuple et les autorités à déblayer le temple. Mais présentement, il fallait sauver ce qui pouvait l’être et, contre toute attente, ce n’était pas sa peau qu’il chercherait à préserver.

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