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[RP] N'oublies pas de ne pas oublier.

L_aconit


    « Il en est dont il n'y a plus de souvenir,
    Ils ont péri comme s'ils n'avaient jamais existé ;
    Ils sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés,
    Et, de même, leurs enfants après eux. »

    — Siracide ; 44,9


Zénith de janvier. Premier jour de voyage. Dans la cabine , étendu et fourbu sur le lit d'une nuit et matinée de tours de garde à scruter les étoiles et l'horizon , il observe ses mains. Petite nature. Un jour en mer à manier les cordages, la barre glacée par les vents, et voilà que les délicates pattes de potier, si blanches et à la peau si fines des gens bien nés sont déjà rougies. Irritées. Douloureuses en silence. L'orgueil dont l'avait affublé Ansoald, le seul peut -être à le nommer ouvertement est bien là. Dans ces mains qu'il resserre l'une contre l'autre et finit par enfouir dans les poches de son manteau. Quelque chose en lui vibre de cette corde là, celle qui ne donne pas de place à l'expression plaintive, lui qui n'a cessé de geindre et de pester ses contrariétés intestines à la lenteur du chantier. Bateau a pris la mer; l'heure n'est plus aux complaintes, c'est aux sirènes que l'on jette cette opprobre... Devenir Marin rend comme les mains, calleux et volontaire. Depuis hier l'on a plus faim. La place des cartes, des lectures du ciel, des erreurs de trajectoires, de l'infinie curiosité offerte à l'Astrolabe complexe de Salviac et de la monstruolisation des récifs a rempli autrement les corps. Les esprits. Les creux insoupçonnés.

    "Nous y sommes."


La silhouette retourne s'ébouriffer à l'Ar Gazeg Veurzh. " La jument de Mars", comme il le révélera à ses compagnons de voyage, d'un murmure à fossettes. D'une mèche égarée dans la bourrasque.

    "Ne sommes nous pas décoiffés mais de si bon baptême? Quatre hommes filant sur la jument de Mars?"


Voguer, que l'on soit un vieux loup de mer ou un jeune marin d'eau douce permet-il tout ce temps contemplatif aux vagabondages terrestres? Pensons-nous forcément à ceux que l'on a laissé à terre, insulaires finalement, à chaque fois que la mer nous entoure de solitude? Car l'océan apprend à Faust que ce dernier a quelques vertus trop humaines. Se jeter à ses bras, c'est accepter qu'il nous possède sans que nous ne nous y abandonnions totalement. Comme un homme que l'on invite à partager notre lit, il nous engloutit, nous sommes aussi à la fois tout entier en lui, ou lui tout entier en nous. Nous ne savons plus bien où nous sommes, aux cieux? Sur l'eau? Quelque part au milieu, recroquevillés dans le nombril du monde. Du bleu, partout, de haut en bas jusque dans le coeur. Du bleu qui nous rappelle que c'est là que tout à commencé, du bleu et quatre voyageurs dedans comme un seul corps livré à celui de l'océan, et qu'il ne faudrait pas l' oublier.

Prendre la mer c'est lutter contre la mort dans l'oubli; là bas à terre, il y a toujours quelqu'un qui attend le marin. Prendre la mer avec Alphonse aujourd'hui, c'est l'avoir pris par la main, à Paris sous la pluie, et l'avoir guidé jusqu'ici.


J'ai épousé la mer cette nuit,
à l'heure où la côte s'éclaire

La mer ne m'a rien demandé,
Ni d'où je viens
Ni qui j'ai aimé

Elle a rempli ma bouche de son sel
Et mon esprit de son silence

Jean Autissier - Merci jd Perceval.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
06 février








Les livres de Faust son d’épais grimoires auxquels Alphonse met rarement le nez.
La médecine n’est pas à ses gouts et ses mystères lui semblent triviaux ; ce que le corps, expulse, exsude, gravelle ou compose fait partie des choses auxquelles il additionne systématiquement l’esprit, animal fait d’observatrices rigueurs, lacunaire désintéressé dès lors qu’il faut y trouver un sens qui ne tienne pas aux réflexes pavloviens de l’esprit.

Faust mange comme un diable depuis que Périgueux a été quitté, et c’est la tête qui commande ces insondables fringales, il en est convaincu. L’appétit du savoir est une chose qui se contemple dès les premières secondes chez Nicolas et il n’a pas semblé contradictoire à Tabouret que pour exorciser le vide laissé par l’apogée des symphonies hurlantes, la tête ait cherché une façon plus pragmatique de se sentir rassasiée, de combler le vide laissé par les flammes. Leurre, de lenteurs, se transforme en besoin car désormais, le confort des bibliothèques est délaissé et ce sont les voiles, la barre et le cap dont il faut s’occuper de permanences, air marin creusant les côtes comme il vide l’esprit, aiguisant la faim en l’excitant d’efforts.
Faust dort peu depuis décembre, et là aussi, c’est l’esprit qui repousse le sommeil, songe Paris aux détachements de similaires symptômes; dormir revient à risquer les mauvais souvenirs, tendre la main aux rêves cendrés, aux cruautés oniriques et là non plus, Alphonse ne s’étonne que peu des cernes qui marquent le museau blond. Lui-même est un fugueur de sommeil, le pistant pour mieux l’éviter, le chassant jusqu’au piège, jusqu’à l’assassinat, jusqu’à tomber mort de fatigue, au sens premier du terme ; là est le luxe de toute âme : s’endormir avant même d’être confronté au vide de la nuit, ou bien de soi.

Voilà deux jours désormais que le capitaine du Chat à la fenêtre déambule douloureusement au ponton. L’oreille délivre un chant qui frappe de percussions, un tambour énorme qui pulse au tympan et occulte jusqu’aux équilibres. Le front est chaud, la mine pâle, et le corps à ce point inapte à ses marques les plus usuelles que quitter le lit relève de l’exploit.
Au cordonnier le plus mal chaussé, au médecin le plus mal soigné ; le repos est la seule prescription que Faust s’est octroyé quand il n’a pas fallu l’y forcer, et il dérive depuis d’ilots en falaises, de torpeurs en plaintes fatiguées. J’entends mon cœur dans mon oreille.

Au petit matin, le cap a été bloqué à l’est et tandis que les uns surveillent les voiles ou prépare quelques viandes sèches à l’encas du midi, Tabouret a fouillé les malles pour une chasse bien maigre y découvrant sans surprise, mais avec frustration, que l’essentiel des livres de médecine a été laissé à Petit Vésone.
Les chiens sont restés avec lui, écumant le vaste entrepôt flottant d’une truffe curieuse, y découvrant la piste ancienne d’un chat noir qui a choisi la fuite plutôt que le voyage , couvant d’un œil rond les tonneaux où l’on a entreposé des mets plus odorants que d’autres avant de s’y coucher d’un air plaintif faute d’y être exaucés, et le livre qui a fini par claquer longtemps après le début de leur sieste , les a réveillés l’un et l’autre en sursaut.

Le soleil monte à peine aux horizons quand la porte de la cabine s’ouvre d’une douceur. Silhouette enchevêtrée aux draps ne dort pas, il le sait, mais elle ne bouge pas plus, alitée, monde rompu de rythmes assourdissants ; les deux dernière nuits ont été un calvaire auquel Faust tache de se confronter sans un mot quand tout son corps hurle d’une même note et Tabouret s’y engouffre méthodique.

Boucles frôlent le visage, bleus se cueillent d’un sourire à peine perceptible ; Alphonse redresse l’oreiller, forçant la silhouette à s’y agencer plutôt qu’à se rouler en boule pour essayer de disparaitre en même temps qu’elle. La tête doit rester droite pour chasser les humeurs.
Sur un plateau, une tartine enduite d’huile d’olive et d’une purée grossière d’ail cru embaume la cabine d’une pointe de Méditerranée ; l’ail a toutes les vertus, et se célèbre de jus, de purée, ou même en gousses pleines à bien des pages parcourues à la chandelle de la cale.
Les doigts bruns posent sur la petite tablette fixée au mur une fiole de parfum détournée, et un long lambeau de tissu propre ; huile d’amande tiédie sera versée au goutte à goutte dans l’oreille dès lors que l’encas forcé aura été ingurgité, et patiente, attendant son heure, aux rondeurs de ses reflets.

Après, reste le temps, le repos, les visites qui ponctuent les heures de la journée, main venant vérifier le front, rajuster un édredon sur la silhouette gelée de fièvre, rééditer les approximations d’un médecin improvisé, sans vraiment asseoir à de claires définitions, l’objet de sa chasse : traque-ton la maladie de l’autre ou lutte-t-on contre son impuissance ?
Là, il serait si simple de venir plaquer la bouche à l’oreille souffrante et d’en aspirer la douleur, la sentir rouler à sa langue, se débattre à sa mâchoire et s’éteindre d’un craquement à la mastication.
Si je le pouvais, c’est cela que je ferai, jurent les doigts aux épis désordonnés errant à l’oreiller. Si je le pouvais, je la mangerai crue, obèse, difforme et ses hurlements à ma gorge t’apaiseraient enfin, jusqu’à ce tu dormes, d’une heure ou deux…

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Alphonse_tabouret
Rapide, léger et rarement hasardeux lorsqu’il retentit, le pas de Faust arpente le bateau de mouvements désormais symphoniques, harmonisés à la houle ; Alcyon aux nuées de bois, il perd moins de temps aux choses qu’avant, ne piétine plus sur place, et ne sème plus la moindre note d’une hésitation à ses chemins.
Celui d’Emrik est plus lourd, pensif, possédant encore le chant de la terre à ses semelles jusqu’à la paume qu’il continue de poser d’un réflexe aux rambardes qui jalonnent sa route, à la façon de la main qui suit d’une habitude la ligne d’un escalier à la sécurité d’une descente.
Oricle, lui, a tout de la musaraigne ; il trotte, semelles aux habitudes des discrétions, cadence légère qui aux respirations du bateau passe souvent inaperçue et frôle d’ombres les coursives empruntées ; on y entend la rigueur du domestique que contrarie un jeune âge, bonhommie fendant parfois l’air d’un mot doux qu’il adresse à ses précieuses poules.
Depuis hier, une nouvelle note s’est rajoutée aux autres et l’oreille attentive d’Alphonse l’enregistre d’une rigueur chavirée.
Imperceptible insecte à certaines heures comme tambour frappant à d’autres, le nouvel hôte du Chat à la fenêtre ne pèse pas plus de trente-cinq kilos, et se découvre, sans même y réfléchir, Télémaque déraciné. Cavalcades auxquelles font échos les cliquetis des longues pattes canines qui l’ont adopté dès la première seconde alternent les grincements involontaires à la méticulosité des déplacements, et Tabouret devine jusqu’au visage juvénile crispé d’une concentration qui vient museler la silhouette entière dès qu’une manœuvre nécessite l’attention des apprentissages nouveaux.

Qu’y a-t-il passé l’épaisseur des cils bordant les billes d’encre, qu’y-a-t-il comme mots sous l’amoncèlement des boucles, comme pensées qui s’organisent en bulles à la gorge juvénile ? De quoi se souvient-il d’avant, de quoi se souviendra-t-il maintenant ? Père désastreux l’ignore, enquête, soupèse chaque expression au confort de son observation-hublot, aux fascinations de ses extensions, poumon orgueilleux, sourire aux reflets des inexplicables fascinations ; son fils est beau.
Né d’une presque mort, embrassé à chaque nuit par un couloir entier de putains, rejeté par un Autre, bordé au cocon d’un duo père-fils, abandonné d’un silence, arraché aux fatalités… Antoine du haut de son jeune âge a déjà eu cent vies dont il ne tient pas les comptes encore, insouciant soucieux à cet instant transposé d’inédits , car qu’il soit sage, volubile ou sauvage, l’homme, qu’importe son âge, devant un spectacle plus grand que lui, l’avale jusqu’à la bordure d’un souffle aux lèvres entrouvertes : les deux mains appuyées au balustre, boucles frappées d’un vent du nord qui gonfle les voiles et fait claquer les pans de son manteau grand ouvert, les yeux sombres du petit garçon sont rivés sur la côte déchiquetée de la Bretagne que l’on quitte, immenses, insondables, denses de possibles.


A quelques pas, Faust tient la barre, épis aux repousses ceintrés d’un chapeau, guèdes fixés à l’horizon convoité, corps dédié aux flots et quiconque embrasserait la scène d’un coup d’œil ne verrait rien d’autre qu’un jeune homme et un petit garçon dont les ombres s’étirent à un espace commun. Aucun ne regarde l’autre, animaux pétris de méfiances prudentes, de désillusions jumelles et chacun est pourtant pleinement conscient de l’existence qui pulse à son flanc, l’observe d’immobilisme, en prend la température d’un effleurement de frontière ; silence aux multiples langages s’enroulent de notes communes et serpentent, sensitifs, tentacules irrésolus de nouveautés : l’un a perdu le cœur à aimer les enfants, l’autre a toujours sacrifié ses parents aux hommes de leurs vies et si presque quinze ans séparent ces deux-là, ils partagent le vertige des existences que l’on bouleverse.

Mouette peu farouche plonge d’un cri au voisinage de la coque, arrachant un rire surpris au petit garçon dont les noirs se tournent d’un instinct au seul témoin de cette embardée maritime ; là, à la bouche de Vésone, Paris jurerait voir passer l’ombre d’un sourire en guise de réponse.

Cela tanguera, cela chancellera, fatalement, car c’est ainsi que l’on danse, mais à ces deux garçons qui découpent les nuées, Alphonse le sait d’une certitude, fracture douce aux angles changeants : il y a de la place pour un autre.

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L_aconit
    Pendant que mon homme dort.
    Pendant que ma ville dort.
    Pendant que la lune dort.
    Je reste éveillé toute la nuit



La maladie qui l'avait consumé jusqu'au fond de l'oreille avait fini par s'en aller, chassée par les soins d'un Alphonse qui avait compris que Faust ne lutterait pas.

Parfois, souvent même, le médecin laissait la maladie le grignoter, l'ensevelir et l'explorer par le fond. Palmes, masque, tuba, expérimenter les maux de façon intestine avait quelque chose de fascinant pour l'enseignant qu'il était. Comme le corps s'abandonne en plongée, ne faisant plus qu'un avec l'eau, avec les éléments qui composent son monde mystérieux, Nicolas laissait la maladie ne faire plus qu'un avec lui. Une expérience de corps imminente. Un besoin de tout comprendre. Pour mieux se connaître, et connaitre son ennemie. Un abandon las et attentif, où l'on ne discerne plus si l'on passe la nuit debout ou couché. Peut-être entre les deux. Pas sur ses deux oreilles, c'est certain. La fièvre chasse les miasmes au harpon, et les larmes de douleurs finissent par se tarir, tôt ou tard. On ne mourrait pas de l'oreille, il le savait bien. Il pouvait donc céder à la maladie et prendre son mal en patience pour sentir l'état grisant de la remontée à la surface. Lorsque le corps, délivré de tout ce qui a semblé lui peser pendant des nuits, s'allège et crève son propre abcès dans une déflagration sourde. Une déchirure zébrant jusqu'aux zygomatiques. La fin d'un acouphène pneumatique. D'une agonie sub-aquatique.

Tympan s'était épanché d'un chaud et sirupeux mal. Et l’ouïe retrouva entre les coussins de douleurs, des sensations auditives terrestres. Une délivrance qui offrit au corps fourbu de ses propres luttes un repos de vingt heures.

Après les mains, ce fut doté d'une oreille endurcie de marin que Faust reprit la barre jusqu'à Vannes. Toits d'ardoises guettant le minet à voiles s'approcher à flanc de falaise. Manoeuvres presque fluides, encore un peu tendues, nouveau port, première vraie halte pour commercer. L'on vit la silhouette duelle mi Faune mi ondine d'Alfaust arpenter les quais, flirter avec le marché. Régler les ultimes détails de la remise en état du bateau et s'affaler de bonne fatigue au soir pour mettre en ordre le courrier. Retrouver Poudouvre. Poudouvre et sa solitude. Poudouvre qui pour la première fois apparut à Faust vulnérable, et le fit trembler d'incertitudes. Lui donna envie de tresser ses cheveux, ses beaux cheveux roux...

La mort de Lemerco avait laissé un vide que Nicolas s'entêtait à combler. Combler de filiation. Un de ces vides auquel le foutre, la nourriture et tous les savoirs ingurgités du monde ne pouvaient rien. Un de ces vides que seul la maternité faite-femme pouvait fertiliser. Pour y semer des graines. Des graines à germer, qui monteraient en graine à leur tour. Qui mieux que Lallie, Mère de Bretagne, Mère des druides et des cycles pour alimenter la force vitale d'un fils sans plus de parents? Qui mieux qu'un quatrième goupil pour fermer, sceller de quatre angles le cadre de sa vie? Les trois premiers avaient été des virages dont Lallie devenait la finalité. A tout jardin, il ne fallait pas négliger le carré bien ordonné des récoltes pérennes ...

Au soir Vannetais pluvieux comme un ciel de Paris, l'on compta un marin de plus à l'embarquement, et pour équilibrer l'ordre des choses, un de moins à l'ancre levée . Antoine avait été escorté jusqu'à bon port, Oricle avait raté le départ. Le "Chat à la Fenêtre" quitta définitivement les cotes d'Armorique sous les gouttes du ciel, baptême de liberté.

Si ce n'était pas la première fois que Faust Côtoyait ce fils qui tiraillait l'âme paternelle d'Alphonse, ce fut d'un oeil neuf qu'il l'accueillit et l'observa prendre ses marques au sein de leur étrange maison flottante... Chaque échange, verbal ou non, chaque interaction Père-fils, fut ainsi prétexte à une analyse drapée au voile des fausses occupations. L'oeil regardait peut être la carte, mais l'oreille écoutait attentivement le vent qui évoluait entre ces deux êtres qui se retrouvaient, se réunifiaient, et créaient un mouvement nouveau dont Faust ignorait tous les codes. Depuis que Faune avait abordé l'envie de donner un frère et un fils à ses hommes , il y avait de quoi se nourrir de cette relation qui s'épanouissait là, juste sous ses yeux. Dans le cadre. Un cadre qui n'était pas encore le sien.

Respectueux des distances saines, des espaces de libre-être nécessaire, Montfort s'autorisait parfois envers ce nouvel hôte un geste tendre dans la voix, un jeu partagé sur le pont, un silence qui cherchait à percer les secrets de ces émotions en circuit fermé, à double sens. Ce fut au troisième jours de cohabitation, au détour d'un instant de frayeur où l'enfant trop hardi fut léché de trop près par une vague sur la proue et saisi de deux mains d'hommes bien différentes qu'il fit pleinement connaissance avec Alphonse, Alphonse le Père, puis Antoine, Antoine ... Le Frère.
L_aconit
Dernier rendez-vous de nuit
Échec et mat sous la pluie
Tu prends l’avantage et tu dis
Que ce n’est pas sage mais j’en ai envie


    Bordeaux. Février 1467


Tempête. Navire encordé, amarré dans le fracas des vagues. Sa carcasse de bois chuinte à toute berzingue, frottée au quai. Une silhouette encapuchonnée se tient sur le pont huileux. Le vent exige la dîme de ses vêtements qu'il tente d'arracher de son souffle. La mer gronde comme un monstre mal réveillé, couvre les bruits du tonnerre intérieur. Une main férocement vissée à un cordage. L'autre par dessus bord. Au bout des doigts serrés un fil de laine. Au bout du fil , un paquet de lettres. Un gros paquet de lettres.

Qu'est-ce qui retient ces doigts de lâcher prise? Est-ce ce qui les a retenus jadis? Ce qu'ils ont tant de fois touché. Caressé. Agrippé. Griffé. Aimé. Est-ce qu'une poignée de doigts finit inévitablement par laisser aller ce qu'ils laissaient venir, jadis? Ce qu'ils accueillaient à paumes ouvertes. Les mains ne parlent pas. Quel drame. Quel tort. Les mains auraient plus à dire que n'importe quelle autre partie d'un corps.

Une voix appelle du quai. Derrière. Elle perce à peine quelques mètres que la pluie, le vent et la houle déchaînée l'avalent toute crue. C'est une voix d'enfant.


- Faust ! Faust ! Dit elle...

Mais rien ne parvient jusqu'à lui. Il se tient là. Suspendu à ces lettres. Elles valsent dans le vent, bien empaquetées, compilées, ficelées de laine. Il s'en fallut de peu que ces lettres ne lui gâchent plus qu'une nuit. Une nuit cédée à du papier, n'est-ce pas déjà cher payé? Ou alors était-ce une nuit dédiée au passé. Ce passé dont il se défait, lentement, sûrement, comme on se décaparaçonne , comme on laisse aller l'exuvie, du bout de cinq doigts.

L'amertume est impitoyablement rigoureuse. Règle en main, elle raye un à un les noms, les mots et bientôt le souvenir même des visages de ceux qui ont déçu. S'il est un fait indéniable, c'est l'incroyable souplesse d'âme dont il a toujours fait preuve. Pourtant, à l'exploration, à dix doigts froissant du papier, Nicolas en a sondé les limites. Il y a toujours un point de non retour.


    Don
    Jorgen



Au hasard et sans ivresse
Comme happé en sens inverse
Pieds nus sur la voie lactée
De cette nuit désenchantée
Mon silence éclaire le voyage
Et tes illusions tracent le paysage


Ansoald a couché avec sa soeur. Ansoald nie. Ment. Encore. Toujours. Cinq doigts, une main, ne suffiront jamais pour l'étouffer. Etouffer ce passé là. Qui blesse encore, est-ce encore possible? Est-ce encore normal... Est-ce bien convenant? Raisonnable ? Juste? ne parviendra-t-il jamais à le faire taire? Laisser au large la folie de celle à laquelle il a renoncé. Donner en pâture aux vagues la grossièreté de celui qui ne changera jamais. L'âme fleurie de trop de bleus, coups mauvais, finit par ne plus répondre. Erreur 404. Quand cinq doigts ne suffisent plus, quand tout ne tient qu'à un fil que l'usure condamne à rompre, il faut laisser aller. Lâcher prise.

Laisser aller... Au ventre insatiable de l'océan.


- Faust !

Mange, bête d'écume. On dit que tu avales entier des hommes. Que tu ne les ramènes jamais sur le rivage. Cinq doigts de crampe s'étoilent et laissent aller. Paquet de lettres ne blessera plus jamais. Pacte l'a dit. Et la voix d'Antoine perce le noir. Il faut rentrer.

C'était notre dernier rendez-vous ce soir. Mais tu n'étais pas là.


    Ansoald



    404, écran noir
    Laisse-moi rire, tu croyais m’avoir
    Bon voyage imbécile
    Mes hommages du bout du fil

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
L_aconit
Après la pluie, toujours s'en revient le soleil. Tempête passée, domptée à l'abri d'une chambre d'auberge, les marins ont réinvesti le bateau pour décharger quelques oiseaux rares, et trouver des solutions quant au chargement d'un ânon...

Assis au soleil de février sur le pont, face à Antoine, les mains font et refont le noeud marin du jour. Spectateur absorbé, médusé, l'enfant tente de comprendre le mécanisme des gestes dans un silence concentré, moue plissée et sourcils en accent. A peu de chose près, c'est en miroir que Nicolas se voit pencher son intérêt sur l'astrolabe. Mêmes mimiques. Même air persévérant.


- Et c'est terminé.


Le môme remonte le museau vers lui.

- Refais-le.

Un rire sourd ébranle les côtes du Montfort. Ah ! Insatiabilité de l'enfance... On a beau la nourrir à deux mains, elle a toujours la gueule béante... Patiemment alors, le blond refait les gestes. Plus lentement d'abord, presque au ralenti, puis à vitesse normale, et rapide, pour voir les sourcils voisins frétiller d’intérêt ou de frustration.


- Le mieux reste de pratiquer par toi-même. Il s'appelle le noeud de Cabestan. Indispensable pour s'amarrer à quai.


Dit-il en lui tendant le bout de cordage, et l'abandonnant à ses expérimentations solitaires. A chaque âge les siennes.

A la silhouette tapie qui les épie depuis près de dix minutes, Nicolas fait mine de passer sans la voir, jusqu'à l'agripper avec force pour l’entraîner dans la première cabine à portée.

Bonheurs simples. Ce soir l'on aura un baquet pour faire la recette des ventes du jour.


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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
Soleil de février étire mollement ses doigts sur le ponton ; distrait par l’air frais, il tiédit la peau mais tarde à trouver les os, enrobe les silhouettes sans pour autant les étreindre. Pâle au ciel bleu, il couronne les côtes qu’un vent paresseux fait défiler et au zénith de l’après-midi, annonce déjà sa chute à un horizon rectiligne.
Ni froid, ni chaud, l’on garde le confort des manteaux boutonnés mais l’on a délaissé la condensation des silhouettes ; étendus, côte à côte, boucles se voisinant, père et fils chassent les nuages pour passer le temps.
Il y a dans cette journée d’hiver, le premier indice du printemps ; le gel et la grêle le contrarieront, l’incisive fraicheur des nuits en chassera la perspective, et les mains au-dessus du poêle dès ce soir ramèneront les pensées les plus terriennes à la vaste cheminée de Petit Vésone, mais à l’heure, à l’accalmie des éléments, à la route fluide que le navire trace à la mer, l’on lézarde comme on l’aurait fait aux odeurs des premières herbes.


Un poisson volant.
Ça ne vole pas les poissons,
objecte le petit garçon.
Certains, si. Leurs nageoires sont assez grandes pour les propulser hors de l’eau.

L’une des portes des cabines claque, bruit assourdi par le bois et la mer, intrusion sommaire à l’espace de jeu octroyé, rappel discret que la vie se poursuit en dehors de la bulle.

Tu dis des bêtises, décide finalement Antoine sans parvenir à gommer tout à fait cette pointe de doute persistant à son opinion, comme s’il s’agissait de tester la véracité de l’information en la niant pour en discerner l’aveu de la preuve.

Sourire emporte une commissure en coin ; à quelques verres près, l’on croirait entendre Nicolas après une leçon de sciences naturelles sur les fascinantes particularités du concombre de mer.


On les appelle aussi des Hirondelles de mer, insiste Alphonse, maitrisant l’engourdissement du ton sans y faire entendre son amusement, sachant épaissir la problématique aux tempes voisines juste à l’appellation.

La langue d’Antoine claque, pantomime qu’il a pris en l’y entendant rythmer quelques moments de rires entre les hommes du mess, et achève d’étirer le museau paternel d’un ravissement solaire, canines perçant la lippe mâle conquise.


    Le monde des adultes était d’une opacité qui éclairait bien souvent les attitudes de l’enfant d’une méfiance ordonnée ; chat ne fait pas de chien.
    Catalogués doubles, changeants, modèles distillés par ceux usant de politesses auprès de sa mère et ne manquant jamais de changer l’accent de leur sourire dès qu’elle tournait le dos, ou bien étiquetés à la faveur des contemplations, fantômes persistants, abstraits, entourés de secrets, de non-dits dont son père faisait partie, les adultes , les hommes surtout, avaient gravité de nébulosités autour de lui, l’amenant à tacher ses mains de sang ou au mutisme des mots trop gros pour les gorges trop tendres.
    Antoine grandissait sur une faille.
    Rien n’avait été soigné, mais tout avait été balayé dès que ses yeux noirs avaient percuté la silhouette élancée du bateau sur les quais de Vannes ; les plaies se rouvriraient plus tard, à d’autres circonstances, à de nouvelles fêlures, mais à cet instant, à l’incroyable adaptation des enfants aux éléments fantastiques que l’on leur présente, Antoine s’était fait plus rapidement qu’aucun d’eux à la vie de matelot : tout était à voir, à apprendre, et la moindre nouveauté un défi à relever. Depuis plus d’une semaine, le corps souple du petit garçon avait pris en assurance, en réflexes, et il n’y avait plus rien d’aberrant à le laisser aller sans l’y pister de systématisme, à joindre sa présence aux activités rythmant le quotidien.

    Ignorant les blessures, inconscient des gouffres, si loin des enjeux que posaient les envies d’autres que lui, Antoine, au charme des innocences, apprivoisait le monde et sa flore.


La voix de l’enfant s’élève à nouveau, au fil d’une logique qui lui semble acceptable.


Ils ont des plumes ?
Non, des écailles puisque ce sont des poissons, et ils volent sur plusieurs mètres… Où vas-tu ?, demande-il en coulant un regard de chat sur lui, sourcil haussé à la sereine détermination qui se lit aux billes noires; boucles commencent à prendre en longueur et rayent le profil de plusieurs volutes désordonnées, grignotent la nuque enfantine d'une vague tandis qu'il se retourne, implaccable :
Demander à Faust si c’est vrai.
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