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[RP] N'est pas Chevalier qui veut ou l'histoire de l'Abbesse

Marjolaine29
C’est un pitoyable équipage qui se présenta en ce jour de juillet aux portes d’Alençon. Une jument crottée jusqu’au dos et qui boitait portait une femme amaigrie, aux vêtements sales, aux traits creusés, aux cheveux emmêlés, hagarde.


Le cheval et sa cavalière passèrent les remparts à pas lent. La femme se tenait à moitié couchée sur l’encolure de la bête. Un de ses bras pendait d’un côté de la jument. L’animal fit encore quelques mètres puis s’arrêta, fatigué de marcher avec sa jambe blessée. Comme réveillée par l’arrêt de sa monture, la jeune femme fit un mouvement pour se redresser, mais glissa, tomba, laissant un pied coincé dans un des étriers. Sa tête frappa rudement le sol pavé.


Marjolaine était étendue dans la rue boueuse. Dans son esprit étourdi par le choc de la chute, elle crut un instant que tout était enfin fini, que cette lumière qui lui faisait mal aux yeux était celle du paradis solaire qu’elle avait tant appelé de ses vœux. Elle sourit, heureuse, puis revint à la réalité : elle n’était pas morte, sa tête lui faisait mal, ainsi que sa cheville coincée dans l’étrier. Les pavés où elle était allongée étaient souillés.


Les larmes lui montèrent aux yeux. Mon Dieu, mais jusqu’à quand souffrirait-elle ? Quand tout cela s’arrêterait-il enfin ? Fallait-il qu’elle se donne volontairement la mort ? Elle y avait songé la veille, en passant devant un lac. Une pierre, une corde…. Elle avait stoppé son cheval devant l’étendue d’eau, rêveuse, s’imaginant retenue au fond de l’eau, flottant, ses longs cheveux bougeant au gré des flots comme des herbes ou des algues… Personne ne saurait jamais où elle était morte… Elle en aurait fini avec toute cette souffrance, ce cœur qui explosait dans sa poitrine, sa tête qui lui semblait serrée comme dans un étau. Puis elle s’était ressaisie. Elle, une ancienne abbesse, ne pouvait songer à en finir volontairement avec la vie. Elle avait repris sa route.


Mais aujourd’hui, elle n’en pouvait vraiment plus : elle avait arrêté de manger depuis plusieurs jours, elle ne dormait plus, elle avait chevauché sous une pluie battante et glacée pendant une journée entière sans manteau et la mort ne venait toujours pas la prendre. Désespérée, elle resta allongée, incapable de se relever.


RP privé, ne pas poster SVP, merci de votre compréhension

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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Le bruit de ses bottes sur le pavé la faisait se sentir plus forte. Le battement régulier de son épée contre sa cuisse, son poids sur ses hanches aussi d'ailleurs. Depuis qu'elle avait accepté, un soir, en taverne, le poste de chef des maréchaux que le prévôt lui avait proposé, Tsampa arpentait les remparts du soir au matin et du matin au soir, surveillant les allées et venues aux portes de la villes.

Elle avait pris pour habitude de partir de la porte d'Argentan, et de revenir vers celle-ci dans un sens ou dans l'autre, au gré de la direction du vent. Dans le dos à l'aller, de face au retour... Porte du nord... Porte ouverte sur la Normandie, mais surtout porte par laquelle elle était arrivée, il y a peine plus d'un mois. Porte Nord, celle qui ouvre sur l'Artois, sur son Artois, celui des beaux souvenirs et des jours heureux dans un sens, et qui ouvre sur Alençon dans l'autre et se tourne alors vers l'avenir, vers un futur qu'elle espère rieur et joyeux, laissant dans son dos les larmes et la peine. Porte Nord. Porte entre deux mondes, celui d'hier, et celui de demain, et entre lesquels elle hésite encore.

En cette fin d'après midi, rêveuse, Tsampa suit le lit de la Briante, cours d'eau boueux et peu engageant qui longe le rempart. Sa journée de surveillance se termine, mais elle a encore fort à faire... Elle doit voir Eden, pour préparer les animations ducales, et passer à la Chancellerie, aussi, mettre de l'ordre dans son bureau et régler les affaires urgentes avant de partir en retraite sur les terres familiales.

Alors que Tsampa se dirige vers le château d'Alençon, prête à faire son rapport à Kelkun, son regard est attiré par un cheval qui fait mauvaise figure et dont le comportement l'intrigue. Elle s'approche lentement. Derrière l'animal, une silhouette prostrée au sol est immobile. Chute réelle ou piège d'un brigand?
Epée au clair, Tsampa s'avance vers celle qu'elle découvre être une femme, en aussi piteux état que sa monture.

La jeune maréchale, avec douceur, libère le pied de l'étrier, et pousse le cheval pour l'éloigner.

La dame devant elle semble consciente, mais loin déjà du monde des vivants. Elle est dans un triste état. Ses vêtements, de bonne facture, laissent deviner la noblesse de la femme. Mais de noble, elle n'a plus rien, pour l'instant.
Décrochant d'une main l'outre d'eau qui pend à son baudrier, elle soulève délicatement la tête de l'autre. Entre sa main et le pavé souillé, au milieu des cheveux emmélés, elle sent la tiédeur poisseuse du sang.

Elle glisse le goulot entre les lèvres de la pauvre femme et laisse couler quelques gouttes d'eau dans sa bouche, prenant garde à ce qu'elle ne s'étouffe pas. Voyant qu'elle avale au fur et à mesure, elle continue, lentement, un sourire doux aux lèvres, jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux.

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Marjolaine29
A demi-inconsciente, Marjolaine garde les yeux fermés. Petit à petit son corps se relâche, se détend comme pour mieux accueillir la mort. Quelques images, vagues réminiscences de temps qui furent heureux, passent devant ses yeux : la douceur des caresses de l’homme qu’elle aimait, le goût de ses baisers, le son de sa voix… A l’heure de mourir, c’est encore vers lui que son esprit se tourne….

Son souffle diminue, son cœur lentement aussi semble s’apaiser : encore un battement, puis deux. Combien de battements encore ?

Elle sent soudain qu’on lui bouge la jambe, qui se trouve maintenant libérée de l’étrier. On lui soulève doucement la tête, elle sent de l’eau glisser entre ses lèvres. Elle avale par réflexe une gorgée, puis une autre.

Elle finit par ouvrir les yeux, voit un visage de femme penché au-dessus d’elle. Une jeune femme brune, avec un air doux, et qui lui sourit.

Marjolaine repousse doucement la gourde d’une main :


Non, laissez-moi, je vous en prie. Ne prolongez pas mes souffrances… Je n’en puis plus. Je veux que tout cela finisse…
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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Avec soulagement et inquiétude, Tsampa regarde la jeune femme revenir doucement à elle.
Elle observe les paupières qui hésitent, trop lourdes encore de ce sommeil dont elles peinent à revenir, elle les voit de soulever, péniblement, puis s'ouvrir, finalement.

La Dame, dont la tête repose dans sa main, repousse la gourde, avec un regard résigné qui trouble Tsampa.



Non, laissez-moi, je vous en prie. Ne prolongez pas mes souffrances… Je n’en puis plus. Je veux que tout cela finisse…


La forcer à boire? La laisser partir vers cet ailleurs dont personne ne revient jamais?
Quelques secondes... Quelques minutes peut-être d'hésitation.
Elle regarde s'éteindre la femme. Qui est-elle pour décider ce qui est le mieux pour cette inconnue qui est venu mourir aux portes d'Alençon?
Quelques secondes... Quelques minutes peut-être de réflexion.
Elle est Tsampa, fidèle Aristotélicienne et elle ne la laissera pas mourir. Pas à ses pieds. Pas sur le pavé froid. Pas maintenant.


Non Dame, je ne peux vous laissez partir. Aristote m'a mise sur votre route, je crois, pour ne pas vous laisser prendre ce chemin.
Je vais vous aider.
Pas forcément à affronter ce qui vous arrive, Dame, mais au moins à vous lever.
Pas forcément à vivre, mais au moins à ne pas mourir ici, devant la porte de ma ville, exposée aux yeux de tous.
Pas forcément à survivre non plus, mais à vous donner la force nécessaire pour réfléchir. Mais je ne peux pas vous laisser mourir, je ne saurais pas faire ça.


Tout en lui parlant, Tsampa l'aide lentement à s'assoir, puis à se redresser.
Avec douceur, comme pour ne pas effaroucher une biche blessée, Tsampa décroche la fibule de sa cape et pose le chaud vêtement sur les épaules de la jeune femme. S'assurant qu'elle ne va pas s'écrouler, elle part chercher la jument et revient avec la monture boiteuse.

Elle glisse son bras sous celui de la Dame et l'entraine lentement dans les ruelles d'Alençon.


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Marjolaine29
Au travers des brumes grises de son esprit, Marjolaine entend qu’on lui parle d’Aristote. Aristote… Celui qu’elle a renié pour l’amour d’un homme, elle qui se devait d’être irréprochable... Fallait-il qu’à sa dernière heure, on lui reproche encore de s’être défroquée pour l’homme qu’elle aimait ? Elle n’a pas assez souffert sans doute, pas assez expié. C’est vrai : elle se s’est pas assez confessée, elle n’a pas été honnête, et a replongé dans le pêché dès qu’elle a pu… et avec enthousiasme encore…

Mais les paroles de la jeune femme brune ne sont pas des paroles de reproche, ce sont des paroles d‘infinie bonté, empreintes de douceur et de générosité. D’ailleurs elle l’aide à s’asseoir, à se redresser, elle lui pose sa cape sur les épaules. Marjolaine instinctivement s’accroche au vêtement lourd et chaud. L’inconnue finit par l’entraîner dans la ville.

Lentement, elles cheminent dans les ruelles tortueuses. L’inconnue s’arrête enfin devant une petite maison, à côté d’une boucherie. Elle sort une clé de sa poche, pousse la porte. Marjolaine pénètre dans la maison, toujours appuyée sur l’épaule de la jeune femme. L’intérieur de la maison paraît étrangement vide, sans meubles, juste quelques malles.

Marjolaine sent soudainement que ses jambes ne la portent plus du tout, elle chancelle, tout tourne dans sa tête. Elle porte la main à son crâne, la retire poisseuse de sang.

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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Les deux femmes avaient cheminé à petits pas, accompagnées du pas de la jument claudicante.
Elles avaient prit le chemin de la maison de Tsampa qui ne voyait guère où emmener cette femme dont elle ne connaissait même pas le nom. Une auberge, alors qu'elle n'avait plus le sou depuis l'achat de son champ et qu'elle ne connaissait pas non plus l'état de la bourse de la Dame ne semblait pas une bonne idée.

Alors... il ne reste plus que sa demeure.

Elle laissera sa paillasse à son invitée, et dormira à terre, au coin de la fenêtre. Elle qui ses derniers temps dort auprès de son cheval, dans la cape de son mari, s'accommodera bien du plancher de la maison, cela lui est égal. Elle dort peu de toute manière depuis qu'elle est en Alençon.

La porte poussée, elle prend conscience de la nudité de son chez elle.
Vide. Impersonnel. Froid. Elle a honte soudain.
Elle se dit qu'elle profitera de la présence de la Dame, pour ranger et améliorer cela, tout en veillant sur elle.

Soudain, elle la sent chanceler contre elle. Elle a à peine le temps de la pousser vers le lit et de la soutenir maladroitement lorsqu'elle se laisse tomber sur la couche de paille et de toile.

Alors, Tsampa s'agenouille à ses cotés, et avec la douceur d'une mère, lui ôte ses vêtements souillés. La lave à l'eau claire.
Elle s'aperçoit que le chapeau brun de la jeune femme est resté là-bas, devant la porte Nord. Un sourire amusé éclaire son visage. Il n'allait pas avec le reste de la tenue, de toute manière... et fera le bonheur d'un gueux qui passera par là.
Elle lui passe doucement une tunique à elle, trop courte, la dame est plus grande qu'elle. Tsampa se dit qu'acoutrée de la sorte, elle ne risquera pas de se sauver...
Et elle tire la couverture sur l'inconnue qui semble somnoler.

Elle ravive les braises du coin de l'âtre, juste assez pour faire bouillir de l'eau. Elle jette dans la petite marmite une poignée de houblon, et de tilleul, censés favoriser le sommeil.
Dans un petit mortier de bois, elle écrase des feuilles de milpertuis, et les mélange intimement à de la farine de lin. Quand le mélange forme une pâte suffisamment homogène à son goût, la tisane est prête.

Elle souffle sur le breuvage, et goutte a goutte le fait avaler à la Dame.
Elle nettoie ensuite la plaie du cuir chevelu avec de l'eau bouillie et y étale le cataplasme qu'elle a préparé. Elle sait que cela est efficace pour les chevaux et les chiens. Le palefrenier de son père en préparait toujours de bonnes quantités au retour de la chasse, et les résultats n'étaient ma foi, pas décevant...
Et puis, elle ne connait pas d'autre remède... alors, autant tenter.

A la respiration lente et régulière de la Dame, elle sait qu'elle s'est assoupie. La chaleur de la tisane lui a fait du bien, surement.
Alors sans bruit, son onguent à la main, elle quitte la petite maison, et part s'occuper de la jument, harassée de fatigue, et blessée, elle aussi.

Elle la guide vers le pré ou Titus, le brave Titus vient faire connaissance avec la belle.
une vilaine plaie entaille son antérieur gauche. Peut être la monture restera t-elle boiteuse... Ce serait dommage, pour une si belle bête...

En chemin, sur le bord du talus, elle cueille une poignée d'orties, qu'elle sait réputée pour fouetter les sangs.




Merci à Alizarine, l'herboriste de Dieppe, pour ses conseils avisés... et à sa joueuse pour ses connaissances...

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Marjolaine29
Marjolaine est à bout de forces, à bout de fatigue, l’ennui de vivre l’enveloppe comme une chape de malheur. Elle n’en peut plus…

La porte de la maison a peine passée, elle se sent chanceler et tombe sur une paillasse. Elle sent qu’on lui ôte ses vêtements souillés, qu’on la lave. Qui peut bien s’occuper d’elle de la sorte ? Marjolaine revoit en songe le visage de la jeune femme brune, tout à l’heure, à la porte de la ville. C’est un ange, un ange de douceur qu’Aristote lui a envoyé…

Elle sent qu’on lui soulève la tête pour la faire boire. Elle avale, de la tisane, des plantes qu’elle ne connaît pas. On lui nettoie maintenant sa blessure à la tête. Les yeux fermés, Marjolaine se laisse faire, elle se met à délirer légèrement et se persuade que c’est l’homme qu’elle aime qui l’a retrouvée, et qui la soigne à présent. Bayard qui restera avec elle, qui va tout lui expliquer, se faire pardonner. Car elle est prête à tout lui pardonner.

Le sommeil l’a emportée mais il ne tarde pas à être agité. Elle murmure des phrases incompréhensibles, où il est question de maison, de Tournai, de la Hollande, de batailles, d’amour, de douleur, de désespoir et d’espoir entremêlés. Et dans l’inconscience qui est la sienne, Marjolaine veut croire qu’elle a rêvé tous ses malheurs et qu’elle se réveillera auprès de l’être aimé…Elle finit par s’endormir profondément en murmurant avec un sourire :


Mon amour…

Elle dort longtemps. Quand elle ouvre enfin les yeux, elle retrouve la vision de la petite maison qu’elle a eu à son arrivée, une maison vide. Un feu est en train de s’éteindre dans la cheminée. Elle cherche Bayard des yeux, persuadée de le voir près d‘elle…

Et puis elle se souvient… De tout… Et une atroce douleur monte de son cœur meurtri, un cri de désespoir venant du plus profond de ses entrailles lui échappe. Bayard n’est pas avec elle, Bayard en aime une autre, Bayard l’a quittée… Et elle vit toujours… Alors elle se met à pleurer, de gros sanglots, de grosses larmes, elle ne peut plus s’arrêter de pleurer, de hurler sa douleur.

Elle se sent humide, elle a soudain mal au ventre. Elle porte une main à son entre-jambes, la retire couverte de sang. Elle regarde ses doigts, incrédule… Tout ce sang qui s’écoule… Ahurie, elle réfléchit. La dernière rencontre amoureuse entre elle et Bayard, en Hollande, quelques jours à peine avant qu’il ne la quitte pour une autre, a donc porté ses fruits. Et cet enfant qu’elle avait appelé de ses vœux si longtemps, ils l’avaient conçu là-bas, à Heusden, alors qu’il en aimait déjà une autre. Horrifiée, elle garde sa main ensanglantée en l’air, ne sachant que faire…Un balbutiement de vie était en elle, et il est en train de mourir.

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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Tsampa revient, préoccupée par l'état de santé de la femme qu'elle a fait entrer sous son toit. Qui est-elle? Pourquoi est-elle dans cet état?
En défaisant le riche harnachement de la jument, son impression d'avoir affaire à une femme de la noblesse s'est confirmée. Dans les fontes, qu'elle a vidées, non pas par curiosité mal placée, mais pour mettre à l'abri les objets et documents de valeur qui aurait pu y être, elle a trouvé des livres d'études, qu'elle a feuilletés, et des documents.
La jeune femme, instruite venait probablement visiter la bibliothèque d'Alençon pour lire les ouvrages rares qu'elle renferme, pour parfaire ses enseignements.
Mais elle a aussi trouvé du pain et de la viande séchée, qui semblaient être là depuis déjà plusieurs jours et n'ont pas été mangés pendant son voyage.
Un livre d'heures aussi, se trouvait dans les affaires de la Dame. Aristotélicienne, donc. Mais alors, ce désir de mort?

Retournant tous ces éléments dans sa tête, Tsampa pousse la porte de sa demeure.
La dame est assise sur la paillasse, du sang sur les cuisses, sur les mains, l'air hagard, les joues inondées de larmes.

Tsampa la regarde, perdue. Et d'un coup elle comprend. Le sang, la douleur sur le visage de la Dame, la détresse dans son regard.
La nausée la prend par surprise. Etrange sensation d'avoir vécu cette scène, déjà.

Elle ferme les yeux un instant, force les souvenirs qui l'assaillent à retourner dans leur boite, cachés, là, bien cachés dans un petit recoin de son coeur. Boîte qu'elle a refusée d'ouvrir depuis qu'elle y a mis un couvercle qu'elle pensait plus étanche que ça.

Silencieusement, elle retourne dehors, marmite à la main, et part au puit chercher de l'eau qu'elle met à chauffer à la cheminée. Elle cherche des linges propres dans une malle, ne trouve qu'une chemise d'homme usée qu'elle déchire en haussant les épaules. Elle apporte l'ensemble, eau et bandes de tissus, et les tends à la Dame.

Elle va ensuite préparer deux tasses de tisane, et s'installe à la fenêtre, tournant le dos à l'inconnue respectant un tant soi peu son intimité.
Pour la première fois, elle regrette ce petit paravent derrière lequel elle aimait à se dissimuler à Bertincourt, et la douceur de sa maison au bord de la plage.

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Marjolaine29
Marjolaine est assise sur la paillasse, stupide, regardant le sang qui lui macule les mains alors qu’une vive douleur lui vrille les entrailles. Elle ne peut encore croire ce qui est en train de se passer. L’enfant de Bayard… qu’elle portait en elle sans le savoir depuis plusieurs mois. Comment a-t-elle pu ignorer les signaux de son corps, son absence de règles, le léger renflement de son ventre autrefois si plat, les nausées ? Comment n’a-t-elle pas deviné, senti cette petite vie qui grandissait en elle ?

Son désespoir redouble : si elle avait été attentive, elle aurait cessé son voyage, elle se serait reposée…Trop préoccupée par son malheur, elle a négligé son corps, s’est affamée, a chevauché jusqu’à l’épuisement. Et puis la chute tout à l’heure sur les pavés…C’est peut-être cette chute qui a été fatale à l‘enfant…
Des souvenirs l’assaillent. Le passé lui revient en mémoire, tout ce douloureux passé qui la hante depuis des semaines. Bayard, au début de leurs relations intimes lui faisait prendre des herbes l’empêchant de concevoir car Bayard ne voulait pas d’enfant tout du moins pas de bâtard.

Elle sait que l’enfant a été conçu dans les geôles de Heusden en Hollande, carc’est la seule fois qu’elle n’a pas pris ses herbes. Bayard était emprisonné, elle avait soudoyé le gardien pour le rejoindre quelques instants, et s’était donnée à l’homme qu’elle aimait, sur la paille souillée du cachot, parce qu’elle sentait qu’il avait envie d’elle, qu‘il avait besoin de réconfort. Comment pouvait-elle savoir à ce moment-là que le cœur de Bayard battait déjà pour une autre et que quelques jours après, il la tromperait ?

De grosses larmes continuent à couler sur ses joues… Comme elle regrette cette petite vie qui quitte son corps… Elle aurait adoré cet enfant, sans doute blond comme son père, fille ou garçon peu importe. Elle aurait évité de lui dire la façon dont son père l’avait traitée. Il aurait été sa joie de vivre, son soleil.

Mais le Très-Haut n’a pas voulu qu’elle ait ce bébé… en punition de ses fautes passées sans doute…

Elle en est la de ses pensées quand la jeune femme brune entre dans la pièce. Leurs regards se croisent, l’inconnue ferme les yeux un instant, et ressort.

Marjolaine est toujours en larmes. Elle cherche comme une folle au pied du lit ses vêtements, des linges mais ne trouve rien. Et ce flot de sang qui continue à s’écouler d’entre ses jambes, comme si toute sa vie allait s’écouler par là…Il ne s’arrêtera donc jamais ? Va-t-elle mourir avec l’enfant ? Elle commence à se résigner à son sort quand la jeune femme brune revient dans la petite maison.

Posément l’inconnue met de l’eau à chauffer. Marjolaine la voit fouiller dans une malle, déchirer une chemise puis enfin lui tendre le tout, linge et eau chaude dans une cuvette.

Aucune parole n’a encore été échangée. Marjolaine attrape les linges et la cuvette qui lui sont tendus, murmure un petit :
Merci , étranglé entre deux sanglots.

L’inconnue s’est pudiquement détournée. Marjolaine trempe les linges dans la cuvette, se nettoie de son mieux puis se sèche. Timidement, la regardant par en-dessous, elle s’adresse à l’inconnue :


J’ai fini Madame…
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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Tsampa aimerai disparaitre, se couler dans les murs pour ne pas avoir à entendre cette femme pleurer, pour ne pas l'entendre se laver.
Volontairement, elle se ferme, volontairement, elle se fait dure, pour ne pas pleurer aussi, pour ne pas déverser sa peine à elle dans celle de l'inconnue qu'elle a recueillie. Elle se dit qu'elle a avancé, qu'elle a fait du chemin déjà, qu'il ne faut pas qu'elle regarde derrière elle, mais devant, que sa vie est par-delà ce qu'elle a vécu.


J’ai fini Madame…


Tsampa se retourne, essayant tant bien que mal de sourire.


Madame... Comme vous y allez.
Je me nomme Tsampa. Tsampa d'Eusebius, mais Tsampa me suffit.
Ne me donnez pas du Madame, ou du Dame, ou je ne sais quoi d'autre, je n'y suis pas habituée.


Elle retourne vers la malle, en sort un petit sachet. Le restant des herbes d'Alizarine. Il en reste peu, mais c'est mieux que rien. Elle lui enverra un pigeon, pour savoir quoi donner à la femme.
Dans l'autre malle, elle s'empare d'une deuxième chemise, qu'elle caresse du bout des doigts avant de la déchirer d'un coup sec. Au moins celle-ci ne sera pas à ranger...

Elle s'approche de la Dame toujours assise sur la paillasse, qui n'a pas bougé, et dont les larmes continuent de couler sur les joues.

Tsampa ne sais ni que dire, ni que faire. Alors, elle pose le petit sachet de cuir sur le bord du lit, avec les lambeaux de chemise.


D'un geste du menton, elle désigne les linges souillés à terre.
Ça va s'arrêter... Vous allez prendre de ces herbes 3 fois par jour, en tisane, je vais m'en procurer d'autres et je vais vous trouver encore des linges pour vous garnir, et ça va s'arrêter.

Ah, aussi, je me suis occupée de votre jument.


Puis à bout de paroles, elle s'assoit à terre contre le mur, et prends la main de la Dame dans la sienne.

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Marjolaine29
La douleur de Marjolaine laisse peu à peu place à une honte immense, incommensurable, qui l’a saisit toute entière et l’empêche de regarder dans les yeux la jeune femme qui lui adresse la parole.

Madame... Comme vous y allez.
Je me nomme Tsampa. Tsampa d'Eusebius, mais Tsampa me suffit.
Ne me donnez pas du Madame, ou du Dame, ou je ne sais quoi d'autre, je n'y suis pas habituée.


Marjolaine essaye de ne plus penser que cette inconnue l’a vue nue, meurtrie, l’a lavée. Elle est rouge de confusion de tant devoir à cette femme qu’elle ne connaît pas. Néanmoins, elle relève la tête pour répondre :


Je suis Marjolaine, Marjolaine de Grand Laurier.

Elle reprend son souffle, hésitant sur ce qu’elle va dire, ne voulant pas froisser son hôte, elle qui a été si bonne.

Tsampa, je sais que vous avez agi avec les meilleures intentions du monde, en me ramassant ce matin sur le chemin, en me soignant, mais sans doute auriez-vous dû me laisser mourir, car voyez-vous je n’ai plus aucune raison de vivre…

Elle a prit dans sa main le sachet que Tsampa vient de lui donner, le regarde mélancoliquement en écoutant les recommandations de la jeune femme. C’est donc si simple que ça de guérir le corps ? Trois tisanes par jour ? Et le cœur, et l’esprit, quand ils sont broyés, déchiquetés, comment fait-on pour s’en remettre, pour guérir ? Devra-t-elle traîner toute son existence sa blessure à vif ? Que faire de sa vie désormais ?

Ses larmes se sont taries, elle ne sanglote plus, elle est au delà de la douleur désormais. La douleur a tellement envahi son esprit, elle est tellement omniprésente que c’est comme si le cœur de Marjolaine s’y était déjà habitué. Elle ressent maintenant surtout de la honte, et un début de colère contre l’homme qui l’a tant fait souffrir.

Tsampa vient lui prendre la main, gentiment. Ce geste simple bouleverse Marjolaine. Elle se laisse glisser au pied du lit, s’assoit à côté de Tsampa. Son ventre continue à la tirailler douloureusement, en petites vagues. Spontanément, elle se penche, et pose sa tête sur les genoux de Tsampa.


Je vous remercie pour tout, Tsampa. Vous avez parlé d’Aristote ce matin. Est-ce seulement votre croyance qui vous a poussée à me porter secours, je ne le crois pas. Vous êtes bonne et charitable. Je ne voudrais pas que vous croyiez que j’ai délibérément voulu mettre fin à mon existence, j’ai seulement chevauché sans relâche, aveuglée par la souffrance, sans manger ni dormir. Moi aussi, voyez-vous je suis une fidèle aristotélicienne. En fait… je suis même une ancienne Abbesse.

Elle espère ne pas choquer Tsampa : une Abbesse enceinte ! Que va-t-elle en penser ? Quelle pécheresse a-t-elle donc recueillie ? Elle reprend donc, parlant un peu précipitamment :

Je ne voudrais pas que vous vous fassiez une mauvaise opinion de moi, je ne suis pas une femme de mauvaise vie, j’ai été longtemps vertueuse. Et puis un jour, un homme a pris mon cœur.

Vous qui soignez mon corps, voulez vous m’aider à soulager mon âme ? Acceptez-vous que je vous raconte mon histoire ?

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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


La jeune femme écoute ce que lui dit Marjolaine, puisque c'est ainsi qu'elle s'appelle. Elle ne lui dit rien, ne l'interrompt pas. Elle savait en lui prenant la main, elle savait ce qui allait s'en suivre. La Dame allait parler, dévider le fil de son histoire le fil de sa vie, le fil de son drame.

Tsampa la regarde se couler au pied du lit, s'installer près d'elle, poser sa tête sur ses genoux.
Machinalement, elle démèle une à une les mèches de cheveux, tout doucement, retirant presque avec tendresse les impuretés qui s'y sont accrochées.


Une abbesse... Ainsi donc cette femme était abbesse... Avait-il fallu qu'elle l'aime, le père de cet enfant qui la quittait, pour renoncer à ses ordres.
Tsampa pensa au vicaire. Il serait heureux de la rencontrer, probablement... Heureux de voir quelqu'un dans son confessionnal, avec autre chose à raconter que tout ce qu'il recueillait avec plus ou moins de bienveillance et ... heureux, si l'on puis dire, de déchaîner sa verve sur celle qui avait fauté envers le très haut en l'abandonnant puis en voulant sa propre mort... Elle sera surprise , Marjolaine, parce qu'elle n'a pas du en rencontrer souvent des énergumènes comme celui-là...


Vous qui soignez mon corps, voulez vous m’aider à soulager mon âme ? Acceptez-vous que je vous raconte mon histoire ?


Tsampa sourit, et secoue la tête amusée.


Je ne soigne pas votre corps, j'essaie de le soulager, c'est différent, je vous assure. Le guérir, je vous l'ai dit je n'ai pas cette prétention. Je ne suis point médicastre, j'ai quelques connaissances de bases qui me viennent de ma mère. Elle se retient de parler de l'onguent du palefrenier qu'elle a généreusement étalé dans les cheveux de Marjolaine. Et les herbes, ce sont une herboriste que j'ai rencontrée en chemin qui me les a données, ainsi que son amitié.
Donc non, je ne soigne pas votre corps, je l'aide c'est tout... J'essaie en tout cas. Saguérison est dans les mains du Très Haut, pas dans les miennes. Et si pour votre esprit, me parler le soulage, c'est bien volontiers que je vous prête mon oreille, et les deux, même si une ne suffit pas. J'ai tout mon temps.


Elle a une petite pensée pour ses rapports, qu'elle doit rendre ce soir à la chancellerie et au Prévôt... elle les fera plus tard, quand la nuit sera tombée, ou quand le jour se lèvera.

Pour ce qui est de vous juger, je ne suis personne pour cela. Je laisse cela à d'autres, qui, je vous assure, le feront mieux que moi... Je peux écouter vos confessions de femme, vos confessions d'abbesse par contre... je vous laisserai les dire au Père Thoma, parce que celles-ci, je ne saurait les comprendre...

Tsampa se tait, et laissant sa tête s'appuyer au mur, continue de lisser les mèches de cheveux de Marjolaine.

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Marjolaine29
Pour la première fois depuis des semaines, la tête posée sur les genoux de sa bienfaitrice, Marjolaine sent qu’elle s’apaise, comme si sa douleur s’anesthésiait. Tsampa lui démêle les cheveux presque avec tendresse, les lisse avec patience.


Et si pour votre esprit, me parler le soulage, c'est bien volontiers que je vous prête mon oreille, et les deux, même si une ne suffit pas. J'ai tout mon temps.


Marjolaine savait qu’elle trouverait en cette femme, son ange comme elle commence à l’appeler en elle-même, une oreille attentive. Elle a tant besoin de raconter son histoire à quelqu‘un, comme pour se prouver à elle-même qu‘elle n‘a pas rêvé, qu‘elle n‘est pas folle. Elle ne sait pas trop par quoi commencer, il y a tant d’évènements, des évènements qui se sont déroulés sans parfois qu’elle en mesure la portée, et des évènements qui lui ont échappé. Elle sait que parler lui fera du bien, alors elle se lance.

Il vous faudra de la patience Tsampa car mon histoire est fort longue. Je vais vous la raconter, puisque vous avez la gentillesse de prendre sur votre temps pour m’écouter. Quand au Père Thomas, j’irai le voir, oui, cela fait trop longtemps que je me suis détournée de la religion. J’ai honte de moi… J’irai me confesser.

Marjolaine reprend son souffle, puis se lance. Ses doigts se sont noués dans la jupe de Tsampa

J’étais Abbesse à Tournai, dans les Flandres. J’avais prononcé mes vœux très jeune, sans rien connaître de la vie. Le capitaine de l’Ost des Flandres, Chevalier°Bayard, était lui aussi tournaisien. Il m’adressait régulièrement des compliments, mais il était toujours très respectueux, aimable et courtois. C’était un vrai plaisir que de se trouver en sa compagnie. Au fil du temps, il se mit à m’envoyer des pigeons sous divers prétextes. Je lui répondais au début avec circonspection et réserve, mais je sentais que je m’attachais à lui et nos échanges se multiplièrent.

Pour la nouvelle année, il m’envoya une rose. Je n’avais jamais reçu de cadeau de la part d’un homme et je lui répondis, un peu trop chaleureusement sans doute. Il m’invita alors chez lui. Je m’y rendis, le cœur battant. Je savais que je faisais une erreur, je me doutais de ce qui allait se passer mais il faisait tant battre mon cœur. C’était la première fois que j’étais attirée par un homme. Il arriva ce qui n’aurait jamais dû arriver : nous passâmes la nuit dans les bras l‘un de l‘autre. Le lendemain, à genoux, il demandait ma main.

Mais j’étais Abbesse, je ne pouvais donc me marier. La situation était intolérable, je me sentais gravement en faute, je ne voulais pas renoncer à cet amour, je ne savais que faire. Je décidais de prendre rendez-vous avec l’archevêque pour une confession. Chevalier°Bayard me rejoignit à l’archevêché et nous en repartîmes ensemble, après que l’archevêque Bigornea m’eut promis de me libérer de mes vœux, ce qui fut fait quelques semaines plus tard.

Brûlants de désir et d’amour, nous passions nos nuits ensemble chez l’un ou chez l’autre, en cachette des habitants de la ville. Puis nous rendîmes nos sentiments publics, dès que je fus libérée de mes voeux. Le mariage fut fixé au 2 avril. J’étais au comble du bonheur et pourtant notre amour ne faisait pas l’unanimité, plusieurs flamands m’insultaient, me traitaient de trainée, de catin. J’attendais donc le mariage avec une grande impatience.

Malheureusement, Bayard fut anobli entre la publication des bans et le mariage : je n’étais pas noble, notre mariage devenait donc impossible. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps ce jour-là, je voulus même quitter la ville mais il m’en dissuada.

Une noble dame, touchée par mon malheur, me proposa alors de m’anoblir pour que le mariage puisse se réaliser, et c’est ainsi que je devins Dame de Grand Laurier.

Quelques temps plus tard, il fut question en Flandres d’envahir la Hollande. Je m’étais engagée dans l’ost pour être avec mon fiancé, il était donc normal que je sois de l’aventure. Mais le comte des Flandres, Ascalon, fraichement élu, annula l’opération. Néanmoins un groupe de rebelles, menés par le Baron Slamjack et Chevalier°Bayard partirent pour la Hollande, en compagnie des bourrins artésiens et des soldats flamands dévoués à leur cause, dont je faisais partie.

Nous attaquâmes les hollandais. Ce fut une terrible déroute : Chevalier Bayard et moi-même nous en sommes tirés avec de légères blessures, mais il y eu des morts. Nous étions tous les deux à peine guéris que les hollandais jetèrent un certain nombre de meneurs en geôle. Bayard fut donc emprisonné. J’étais guérie mais il était hors de question que je quitte la Hollande sans l’homme que j’aimais. Je demeurais donc à Heusden, travaillant au verger tous les jours pour ne pas me faire remarquer et éviter de me faire emprisonner à mon tour.

A ce moment-là Bayard fit une promesse : il ne quitterait pas la Hollande avant que tous les flamands et les artésiens ne partent. Entre-temps je reçus une injection des autorités hollandaises, comme la plupart de mes compagnons restés sur place : c’était partir de la Hollande ou être jetée en prison.

Je partis donc, la mort dans l’âme, en laissant Bayard en Hollande, puisqu’il désirait attendre coûte que coûte les derniers prisonniers et blessés. Le retour à Tournai fut triste. Je vivotais dans ma petite chaumière en attendant le retour de mon fiancé. Régulièrement, il m’écrivait pour me parler de son retour, de l’organisation de notre mariage, m’assurait de son amour.

Bayard finit enfin par quitter la Hollande et m’informa qu’il raccompagnait les artésiens chez eux. Comme ils étaient alliés et amis, je n’y ai pas vu malice. Je continuai donc à attendre seule à Tournai. Comme l’attente était interminable et qu’un voyage d’études en direction d’Alençon était prévu par le recteur de l’université des Flandres, Messire Dragonfire, je décidais de faire partie du voyage pour me changer les idées.


A ce moment du récit, la voix de Marjolaine, jusque là étonnamment claire, se brisa.

Je partis donc quelques jours plus tard en direction d‘Argentan. Ce furent mes derniers jours de bonheur. Le 6 juillet, j’appris par Bayard, d’une manière très brutale, qu’il me quittait pour une autre femme. Anéantie, j’ai demandé des explications, j’ai questionné son entourage : on m’apprit la liaison de Bayard avec Maéva, la fille de Yeuxbleus, membre des bourrins d’Artois. Ils étaient amants depuis le séjour en Hollande, c’est-à-dire depuis deux mois. Tout le monde dans notre entourage ou à peu près était au courant, sauf moi...

Marjolaine éclata en sanglots.

Quelques jours avant mon départ pour Alençon… il m’avait envoyé une …magnifique lettre d’amour.

Marjolaine se redressa, chercha ses vêtements des yeux dans la petite pièce, les vit entassés auprès de la cheminée. Elle se leva péniblement, alla fouiller dans la poche de sa robe, en sortit un papier chiffonné et sali de sang, de larmes, de boues et le tendit à Tsampa.

Tenez, lisez-là :

Citation:

Marjolaine,
Mon Amour,

Après de nombreux jours de voyage, j'ai enfin le temps de t'écrire pour te donner de mes nouvelles.

Comme tu le sais de ma précédente lettre, j'ai quitté la Hollande la semaine dernière, avec les derniers bourrins. Comme je me le suis promis lors de la campagne hollandaise, j'ai quitté en dernier la Hollande. Je sais que cela paraîtra de l'enfantillage à certains, mais c'était important pour moi. J'ai tenu parole.

Nous avons voyagé en deux groupes. J'ai mené un des groupes vers Cambrai, l'autre nous a suivi à un jour d'intervale. Je n'ai malheureusement pas pu passer par Tournai, sans quoi je n'aurais manqué de venir t'embrasser, te serrer contre moi. Mais il y avait urgence.

Il semblerait qu'un danger menace l'Artois, et ils demandaient toutes les forces disponibles pour défendre leurs frontières. Tu me manques énormément mon Amour, mais je reste un homme de guerre, avant tout. Les FSF trop loin et occupée, je ne pouvais refuser de les aider. J'ai donc intégré une armée artésienne, comme chef de section. J'ai une lance complète sous ma direction. Si jamais il devait y avoir bataille, je serai en première ligne, et c'est ce que réclame ce feu qui coule dans mes veines. La guerre est tellement plus simple, plus vraie que la politique. Je le fais pour l'amitié artéso-flamande, mais par plaisir aussi, je te l'avoue...

S'il ne devait pas y avoir de bataille, que la situation se normaliserait, je serai à Tournai avant la fin de la semaine. Dans le cas contraire, je ne saurais dire quand, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te revenir le plus rapidement possible.

Je sais que tu m'attends, et je suis sincèrement et réellement désolé de ces épreuves que je t'inflige encore. Je tenterai de me faire pardonner tout cela à mon retour, de la façon que tu voudras.

Garde courage, je reste avec toi. Si tu avais envie de venir me retrouver plus tôt, ou si l'envie de ton voyage d'étude te prenais, utilise ce pigeon pour me contacter, que je puisse te protéger au moins sur une partie du chemin.

Avec tout mon amour et mille baisers,

Ton Bayard


Marjolaine pleurait à nouveau toutes les larmes de son corps. Elle avait repris sa position couchée, la tête sur les genoux de Tsampa. Elle étouffait, et mit un long moment avant de pouvoir poursuivre.

Tsampa, comment un homme peut-il se conduire de la sorte ? Quelle sorte d'homme peut envoyer une telle lettre alors qu'il passe ses nuits avec une autre, que son coeur est épris d'une autre ? De quelle sorte de monstre suis-je donc tombée amoureuse ? Et c’est pour ce lâche, ce menteur, cet infidèle, ce coureur de jupons que j’ai abandonné mes vœux… que j’ai voulu mourir.

Longtemps, je suis restée incrédule, je ne pouvais pas croire à une telle conduite, une telle noirceur : pendant deux mois il m’avait menti, trompée, cocufiée, promis un mariage dont il savait qu’il n’arriverait jamais.

Toujours aussi horrifiée, incrédule, atterrée, je continuais à réunir des explications auprès de l‘entourage de Bayard : Bayard et Maéva s’étaient rencontrés en Artois en février, dans le cortège royal. Bayard avait semble-t-il dénoué le corset de Maéva qui la serrait de trop.


Marjolaine s’interrompit, un nœud dans la gorge. Elle avait beaucoup parlé, ses lèvres étaient sèches, elle avait mal à la tête et au ventre. Mais elle arrivait à la fin de son recit.
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Marjolaine29
Dame de Grand Laurier

A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
(Musset)
Tsampa


Tsampa écoute l'histoire de Marjolaine d'une oreille bienveillante et triste.
Le mensonge et la trahison de son fiancé lui semblent abominables. Elle peut entendre qu'il soit tombé amoureux d'une autre, à la rigueur, mais ne pas lui avoir dit... Pendant des mois. Et lui avoir écrit cette lettre qu'elle vient de lire, alors qu'il était probablement à peine sorti des bras de sa maîtresse...


Et il se dit chevalier...
C'est plus fort qu'elle, les mots sont sortis tout seuls, alors qu'elle s'était juré de ne juger personne dans cette histoire.

Le récit de Marjolaine la ramène en Artois, l'Artois de Yeuxbleux, à qui elle était allée demander un laisser passer pour celui qui n'était encore qu'un vagabond rencontré en attendant le passage du cortège royal à Bertincourt.

Avec un peu de honte, Tsampa se rend compte qu'elle a perdu le fil du récit de Marjolaine.
Une phrase la fait revenir en Alençon, dans la petite pièce de sa maison, aux cotés de la Dame.


Bayard et Maéva s’étaient rencontrés en Artois en février, dans le cortège royal. Bayard avait semble-t-il dénoué le corset de Maéva qui la serrait de trop.


Le cortège... La femme... Le corset...

Mais non Marjolaine, il n'a pas défait le corset de la fille du Comte! C'est mon mari qui l'a fait. C'est ASR qui a libéré Maeva de son corset et qui lui a donné la flasque qu'il portait toujours sous sa cape!
La seule chose que votre ... "Chevalier" a fait dans cette histoire, c'est menacer mon fiancé de ses flèches! Je lui ai même rafistolé son corset avec le lacet de mon bustier!


Pour le coup, Tsampa prend parti, qu'il mente à sa fiancé, certes... Mais pas qu'il s'invente un rôle qu'il n'a pas joué!


Mais quel muffle celui-là!

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Marjolaine29
Marjolaine tressaille quand Tsampa compte l’histoire du corset.

Il a donc menti sur ce point là aussi...

Elle a un petit sourire triste, désabusé, comme si elle s’apercevait subitement que toute cette aventure n’avait été qu’une mascarade. Elle se demande même si Bayard a été un seul jour sincère avec elle, sincère quand il la serrait contre lui, sincère quand il lui murmurait des centaines de je t’aime.

Elle y a cru pourtant, elle voulait tellement y croire à cet amour qui lui paraissait si beau. Elle s’était imaginée portant ses enfants, passant de longues soirées en amoureux avec lui auprès de l’âtre, dansant jusqu’à épuisement dans des bals, chevauchant à perdre haleine, faisant des concours de buveurs de bières, bataillant près de lui. Elle avait tellement de projets, elle avait une telle soif de vivre… Mais tout ceci n’a été qu’un rêve qui s’envole dans les brumes du petit matin. Elle ne peut s’empêcher de se remettre à pleurer, des larmes silencieuses qui s‘écoulent lentement le long de ses joues.


Elle repense à ce que vient de lui raconter Tsampa, l’histoire du cortège royal, la fille du comte, le corset..

C’est en février qu’il a rencontré Maéva, il n’a donc été sincère avec moi que quelques malheureuses semaines, des semaines pendant lesquelles je me suis imaginée toute une vie avec lui. Mais pendant ces quelques semaines, il m’a aimée, j’en suis sûre !

Les baisers passionnés, les caresses, les serments, il n‘a pas pu tout inventer, elle se refuse à le croire… Il l‘a forcément aimée, tout au moins au départ.

Le cortège royal… Vous étiez là… avec votre mari… quelle étrange coïncidence.

Toute à sa douleur, elle n’a pas remarqué que Tsampa était en vêtements de deuil. Elle en prend soudainement conscience. Peut-être la brunette est-elle veuve, il n’y aucun signe d’une présence masculine dans la petite maison.

Quelle égoïste elle fait... Elle raconte ses malheurs, inlassablement, se lamente, se répand en larmes alors que son hôte est peut-être une jeune veuve… Peut-être Tsampa souffre-t-elle autant qu’elle…

Honteuse, elle sèche ses larmes, se tait brusquement. Comme elle a changé en quelques jours… Elle qui était si ouverte aux autres, si généreuse, elle s’est enfermée dans sa douleur, ne voit plus rien, n‘entend plus rien de ce qui l‘entoure. Un mur s’est dressé entre son esprit et le reste. Elle a l’impression qu’elle ne pourra plus jamais sortir de cette souffrance, reprendre sa vie d‘avant, revenir chez elle, retrouver ses amis. Et pourtant il faut qu’elle reprenne pied.

De longues heures passent. Le soleil s’est couché, il fait à présent nuit noire, les jeunes femmes sont dans l’obscurité. Elle sent le souffle de Tsampa devenir plus pesant, elle a fini par s’endormir. Marjolaine se penche vers le lit, attrape la couverture et la drape sur sa compagne.

Elle reste quant à elle longtemps éveillée, les yeux grands ouverts, méditant sur son passé, ses erreurs, ses regrets, et songeant à son avenir. Elle s‘endort au moment où le chant du coq se fait entendre…

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A cet instant où mon coeur est brisé par un abandon si cruel et une trahison si basse
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