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[RP] - On s'attache aux souvenirs.

Tigist


    Bordeaux, avril 1467


    « Misere j'ai trop de souvenirs extraordinaires pour supporter cette vie merdique »

    Une rencontre en taverne inopinée alors même que tout la poussait à quitter la Guyenne en désespoir d'ennui. Une bourrasque rousse vieille de plusieurs vies s'est engouffrée par les fenêtres bordelaises.

    Nulle doute que ces deux-là ont des choses à se raconter ne serait-ce que pour égayer les flambées de mai à venir. Plus l'âge de porter de virginales couronnes de fleurs, pas moins celui de souffrir des derniers frimas englouties sous une fourrure devant un feu rugissant. Entre deux âges, et pourtant, des années de mémoire pour l'une et l'autre.

    D'ordinaire accoudée à la fenêtre à deviser avec des âmes parties trop tôt ou à des étoiles muettes, l'éthiopienne tapote du bout des doigts sur le bord du siège où elle s'est assise avant que de changer de place pour la énième fois.


    « Z'avez des vers qu'on dirait. Pis que la p'tite ! »

    A la nourrice exténuée, elle jette un regard peu amène avant que de pousser un profond soupir.

    « Mais si je ne savais plus comment on fait ? 
    - On oublie pas qu'on a une âme. 
    - Facile à dire. »


    La cause de son appréhension ? Tigist a passé les derniers mois de cette vie en quasi-recluse entre les quatre murs de l'appartement ou bien sur les routes, protégée par les ombres de Gabriele et Jurgen qui ont toujours su s'accommoder de son mutisme ou de ses désertions. Mais inviter une presque inconnue chez elle pour deviser de choses et d'autres, comme le ferait une nantie, c'est déjà passé le cap d'accepter de frayer avec d'autres gens.

    En d'autres termes : Tigist ne sait pas se faire d'amis et n'a jamais eu à s'en faire, puisqu'ils lui sont tombés dessus majoritairement.

    Excédée contre elle-même, elle se lève d'un bon pour aller replacer sur le banc-coffre les coussins moelleux, comme si le geste pouvait suffire à apaiser ses craintes. D'un regard circulaire, elle avise la pièce qu'elle a su rendre plus vivante qu'auparavant.
    L'appartement cossu acheté à peu de frais puisque déserté par son précédent locataire pour une sombre histoire de dettes de jeux, avait le mérite pour lui de se prêter facilement aux rénovations envisagées par Tigist.
    La pièce rendue lumineuse par les hautes fenêtres rend justice au bon goût de l'éthiopienne en dépit de sa déception d'avoir du se conformer au mobilier occidental : Ca et là, des tapisseries pour cacher les éventuelles prises d'air dans les murs et garder la chaleur de l'imposante cheminée. Un bouquet de fleurs des champs repose sur un guéridon jouxtant un lutrin portant un traité acquis à prix d'or et sous le manteau de Fra Mauro. Et quelques sièges pour profiter du temps confortable de la Guyenne. En somme tout pour recevoir et bellement qui plus est, mais elle ne l'a pas encore fait jusqu'à présent.

    Pourquoi maintenant ? Parce que l'Ambroise a su la séduire avec sa simplicité d'âme et son esprit bien tournée, et que lorsque deux cœurs esseulés se rencontrent, ils ont tout à partager.


    « N'a-t-on pas oublié de lui dire où se trouvait l'endroit ? »

    Aux portes des murs de Bordeaux, non loin de la tour de guet – pour mieux apercevoir l'ennemi – à proximité du port et dans le dos de l'église, se trouve la rue des pendus et la demeure de Tigist.

    C'est de l'humour maure.

    Pendant qu'elle se tourne les sangs pour savoir comment bien accueillir une nouvelle personne dans sa vie même quelques heures, le petit souillon est parti poser un courrier à destination de la rousse.


    Citation:
    Johanara,

    Il convient sûrement de vous proposer la chose plus officiellement, et j'ai perdu l'habitude des choses officielles.

    Venez donc joindre votre mémoire à la mienne et chassons l'ennui, nous verrons par l'après si nous trouverons à chasser des hommes.

    J'habite 2, rue des pendus. C'est de l'humour, mais c'est vraiment là que j'habite.

    A vous revoir.

    T.


    Et pour l'attendre ? Quoi de mieux que de rejoindre la nourrice après Moïra dans le jardinet jouxtant la demeure avec un sourire attendri aux lèvres l'espace d'un temps en constatant comme les enfants peuvent s'acclimater de chaque vie qu'on leur offre sans jamais paraître en souffrir.

    Pourtant tout plaisant que puisse être la contemplation du garçonnet et de la toute petite jouant à courir après deux papillons, la présence d'un adulte avec qui avoir une conversation intelligible lui manque terriblement, alors l'ambre surveille régulièrement l'allée remontant à la maisonnée.

    Jamais inconnue n'a été attendue avec autant d'entrain !


RP Ouvert, bien entendu, dans la logique et la cohérence. Mais viendez vous faire kiffer à raconter des vieilles histoires RP !

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Johanara
    « Avant de devenir souvenir précieusement chéri au creux de mon poitrail, tu seras douleur lancinante, absence cruelle, mélancolique torture. »


Le Ciel lui avait envoyé Tigist. Princesse nubienne, minois finement ciselé dans l'ébène, avec la grâce et le port altier dignes d'un noble lignage. Et fort sympathique au demeurant.

L'invitation lui arracha un franc sourire. Voilà qui allait joyeusement chambouler son programme. La divine rousse n'avait en effet qu'une seule occupation : boire en pleurant, pleurer en buvant.


    « Un verre, je pense à toi, deux verres, je pense à toi, trois verres, je pense à toi ... »



L'Ambroise jeta un coup d’œil à la toilette que sa camériste venait d'étaler, merveille chatoyante de soie et de mousseline sur la couche.


-Porterez vous ceci ma Dame pour aller visiter votre nouvelle connaissance ? Mais si mais si, vous avez besoin de porter vos plus beaux atours. Il y en a assez de vous entendre larmoyer tout en traînant vos guêtres...


Ainsi Johanara se présenta, rue des pendus, vêtue comme pour aller à quelques mondanités, sa luxuriante chevelure écarlate retenue par une lourde tresse éclairée de fils d'or.

Elle était accompagnée de sa cadette, Opale, dissimulée dans le bruissement de soie du jupon maternel et rassurant.

Derrière elles, Léopold, transportait tant bien que mal un énorme bouquet de lys et d'azalées.


Ah Tigist ! Que voilà un bien aimable jardinet. Dites lui où déposer les fleurs avant qu'il ne finisse par s'éborgner.... Oh mais ce sont vos enfants ? Adorables !




Un sourire sincère éclaira la frimousse piquetée de quelques tâches de rousseur.

Ca ne pouvait lui faire que du bien. Palabrer, voir jouer des enfants, manger les quelques gourmandises qu'elle avait apporté dans une élégante boite purpurine et qu'elle tendait à présent à son hôte, les mirettes rieuses.

Peut être que pendant quelques heures elle oublierait le feu dévastateur qui brûlait ses entrailles à la seule idée de ne plus jamais le revoir....

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Tigist


    Johanara, c'est le genre de potes que tu adores mais qui fout les boules.

    Voilà la conclusion que Tigist pourrait tirer de l'arrivée de l'Ambroise. Elle est belle, riche, noble, ses cheveux font comme un brasier autour de sa peau si pâle – Tigist est si noire, suivez, foutrecul – et bien éduquée en prime de tout le reste. Des fleurs, des mistembecs, une jolie robe et cette frimousse souriante qui paraît aussi jeune que la sienne.

    On nous la fait pas hé ! Mais ça fout les boules autant que ça fait envie.

    A la voir arrivée, elle reste coite, perdue dans ce qu'elle est censée dire ou faire, à mi-chemin entre les convenances occidentales qu'elle a appris à connaître vaguement auprès de Martin et le reliquat de l'éducation à l'orientale. Va chier.


    « Vous êtes venue ! » Les deux mains se tendent sans plus de réflexion pour saisir celles de la rousse et les presser doucement. « Dans la bibliothèque, j'aurai plaisir à les contempler pendant mes lectures. Elles sont superbes, comme les fleurs que nous avons ramassé la veille paraissent ternes à côté. »

    Mais c'est pourtant là, une jolie façon de voir les choses. Deux fleurs, l'une élégante, racée, et l'autre sauvage, déterminée à pousser. Mais toutes les fleurs sont aimables. La fine tête noire se penche pour contempler la robe et découvrir la mine timide de l'enfant derrière les jupes.

    « Que voici une adorable enfant, veux-tu aller jouer avec les autres ? Ils ont trouvé une occupation fort plaisante, il s'agit d'attraper des papillons puis de les relâcher pour les attraper encore. »

    Allégorie de leur vie. Les enfants sont si cruels à leur corps défendant.

    « Quant à vous, j'ai quelques bouteilles qui ne sont pas tirées de derrière les fagots dont vous me direz des nouvelles, lance-t-elle à la mère avec un clin d'oeil. Voulez-vous profiter des derniers rayons de soleil ou bien rentrer ? »

    A son habitude, la main se porte à sa nuque pour la gratter dans un geste gêné. Comment reçoit-on chez soi ? Elle n'en a pas la moindre idée pour la simple et bonne raison que Tigist ne l'a jamais fait.
    Johanara, t'es ma toute première fois.

    Et pour preuve, Tigist réagit enfin et saisit la boîte de friandises pour décharger son hôte avec un sourire contrit. Déso.


    « Ainsi donc vous avez connu Eikorc quand il était jeune.. Avez-vous connu Maleus avant qu'il ne devienne un vieux con bougon moralisateur ou l'était-il déjà à la naissance ? »

    Sur un malentendu, hé !

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Johanara
Bien sûr que je suis venue ! C'était très aimable à vous de m'inviter. Rue des pendus de plus... C'est charmant ! Je vous conterai un jour comment je me suis pendue une fois à un fort joli ruban de soie bleue !

Sourire sibyllin tandis que les fleurs sont transportées vers la bibliothèque.


Restons ici. Allez y Opale, jouez avec eux. Oui oui je demeure là. Cette petite est collée à mes jupes !



Un regard attendri à sa progéniture. Rousse et bouclée, un petit minois en forme de cœur dévoré par d'immenses prunelles azur. Elle n'avait pas connu son père. D'ailleurs elle le pensait mort. Un léger voile assombrit les jades ambroisiennes quelques furtives secondes.

Puis de s'installer, un verre à la main, avec l 'air grave des madones antiques qui fouillent dans les vestiges de leurs mémoires pour aller y piocher quelques pépites :

Eikorc... Oui nous étions très jeunes tous les deux. C'est le premier homme que j'ai laissé me toucher. J'ai bien failli lui offrir mon pucelage hinhin. Mais j'étais si raisonnable à l'époque. Je suis partie plutôt que de m'enticher de ce Dieu polygame.

Quant à Maleus...Vous allez rire. Nous étions encore plus jeunes. Des enfants. On a grandi ensemble. Si bien qu'on s'est toujours considérés comme des cousins. Nous faisions les quatre cent coups dans les tavernes berrichonnes. Il était bien différent alors. Insouciant, intrépide, délicieusement naïf et généreux.



C'était une tout autre époque pour le Berry... Chaque soirée était fête. Bordel quel ennui à présent !


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Tigist


    Voilà bien ce qui lui avait plu chez la rousse : Un franc-parler et un rien de désinvolture concernant les convenances. Exactement ce qu'il fallait à Tigist pour mettre un pied dans le beau monde sans toutefois être tout à fait dépaysée.

    Gardant en mémoire l'anecdote concernant le ruban bleu, elle suit du regard l'enfant aussi délicieuse que la mère peut l'être. Ces jeux s'ils paraissent anodins ont le mérite de divertir les petits et de leur ôter de la tête toutes les questions gênantes concernant leur paternel. Car à la vérité, comme ce serait gênant de leur avouer qu'elle ne sait où se trouve exactement Gabriele et si leur père est toujours avec elle, ou bien dans la couche d'une autre.
    Laissons planer le mystère et gardons-nous de spéculations, car déjà, Johanara dévie la conversation sur le sujet le plus important : Les souvenirs du bon vieux temps.

    Ce temps où Eikorc, Maleus et même elles n'étaient pas encore eux-mêmes ou tout simplement morts.

    Un sourire vient s'immiscer sans scrupule sur la face noire. Maleus insouciant. Jurant à part elle de remercier Dieu pour l'aubaine que s'avère être Johanara, l'éthiopienne étouffe une gloussement peu séant dans une gorgée avant de lâcher.


    « Me croiriez-vous si je vous annonçais qu'Eikorc est une des premières personnes qui m'ait adressé la parole en foulant le sol français ? Et que je m'étais imaginée qu'un jour, nous serions amants, que je lui offrirai mon hymen. Si on m'avait dit, hé, rit-elle de bon cœur. Et le pire étant que moi, je ne l'ai jamais connu jeune. Sélène, Cerdanne et Andréa me racontaient tant d'histoires d'amantes éperdues qui lui avaient juré l'aimer toujours. Mais aimer Eikorc, c'est à mon avis bien plus douloureux que de le laisser vous grimper dessus. »

    Mettez deux femmes seules ensemble, balancez de l'alcool par dessus et forcément que le niveau va pas voler haut.

    Prenant garde à ne pas y accrocher le col de sa cotte, elle s'adosse contre le mur de la maisonnée, réprimant l'envie de croiser les jambes en tailleur, pour la simple et bonne raison qu'elle porte une robe et que ce serait malvenu.


    « J'ai tout de même du mal à imaginer Maleus en jeune homme insouciant. En ce qui concerne les quatre-cent coups, là, pas de doute. C'est lui qui m'a appris à tirer à l'arbalète, et c'est Eikorc qui m'a appris à chasser et à les fabriquer. En quelque sorte, je leur dois quelques vies. Et plus personne ne sait qu'ils ont vécu. Comme si leur souvenir s'était évanoui aussi facilement qu'une vilaine gueule de bois. »

    Un regard porté sur les petits courant ci et là pour attraper les insectes voletant autour des fleurs, et déjà, l'éthiopienne sourit derechef.

    « Croyez qu'on pourrait faire croire aux gosses que c'étaient de braves types qui voulaient prendre l'argent aux riches pour le donner aux pauvres ? Une sorte de légende. Eikorc des bois et son fidèle compagnon, le Père Maleus. »

    Pour sûr que les mômes férus de contes en tout genre, goberaient celui-ci comme tous les autres. Pourtant, il y a toujours quelque chose d'un peu con dans le fait de mentir à ses propres mômes. Comme leur faire croire que leur père pense à eux chaque jour, ou bien que demain sera un plus beau jour, ou même qu'une souris à la con viendra leur donner une pièce contre une dent.

    « Je suis sûre qu'avec une histoire, on peut tout réparer. Comme donner des lettres de noblesse à Namaycush qui a brûlé les siennes sur un feu de joie de la St Jean. On pourrait leur faire croire qu'il a un jour été quelqu'un d'impressionnant et pas cet odieux fléau nauséabond qu'il voudrait camper, ose-t-elle avec un sourire goguenard. Vous l'avez connu jeune Namaycush ? »

    Par deux fois, la jambe droite a voulu se redresser sur le banc pour s'installer plus à son aise, par deux fois, elle l'a retenu. Sauvage oui, mais en progrès.

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Johanara
Et puis d'un coup, ça lui fait tilt. Maleus est mort. Johanara ne le savait pas. Elle n'avait pas été prévenue, n'était donc pas présente aux funérailles. C'était triste. Encore un bout de son histoire, de son passé, qui disparaissait.

Dans quelques années il n'y aurait plus personne pour témoigner de la flamboyante jeune fille qu'elle avait été. Intrépide, sauvage, loin de la madone marmoréenne et mélancolique qu'elle était devenue.

La nouvelle voila ses grands yeux, miroirs de jade, tandis qu'elle articula lentement :



Comment Maleus est il mort? C'est récent? Je...le pensais quelque part à prêcher la Réforme...




Elle se signa et adressa une prière muette. Avant de reporter son celeste minois vers son hôte.


J'ai connu Sélène aussi. On a souvent aimé les mêmes hommes. Quant aux gosses c'est parfois mieux de leur raconter des bobards. Je ne suis pas très douée dans ce domaine. Je leur ai dit que leur père était décédé, lors d'une bataille. En vérité leur géniteur est à Limoges avec sa maitresse. Je le pensais mort. J'ai porté le deuil des années. Je lui suis restée fidèle. Pour découvrir qu'il se la coulait douce avec sa gourgandine.

J'ai rien osé leur avouer. Et encore ça c'est pour ceux dont il est le père. Y'en a un je ne sais pas ce qu'est devenu son paternel. Je ne suis pas sa vraie mère non plus. Y'en a que deux qui sont vraiment de moi en vérité... Mais c'est pas ça qui fait une famille hein. Je pourrai mourir pour chacun d'eux, c'est la seule chose qui compte...




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Tigist
    « Tell me where to go, tell me what to do, I’ll be right there for you
    Tell me what to say, don’t matter if it’s true, I’ll say it all for you »

    Eminem feat. Polina - Legacy ♫
    Dis-moi où aller, dis-moi quoi faire, je serais juste la pour toi.
    Indique-moi quoi dire, peu importe si c'est vrai, je le dirai pour toi



      [Anjou, printemps 1457]

      Caché derrière des tonneaux à l'arrière d'un bouge mal famé, des guenilles sur le corps, des traces de sang sur le visage, il tremble de faim et d'épuisement. Les ecchymoses couvrent son corps depuis cette fameuse journée où ses parents ont été dépouillés sur une route marchande. Le père a fait faillite faute de marchandises, il a sombré dans l'alcool et s'est noyé dans la Loire, la mère fait le tapin pour les nourrir son frère et lui, mais voilà son frère est mort hier d'une fièvre que toutes les passes de sa génitrice n'ont pas pu guérir, les mires sont chers et aucun ne travaille pour la gloire de la science ou par charité. Lui derrière ses tonneaux compte les quelques deniers qu'il a pu voler, espérant ne pas se faire attraper par le guet quand un bourgeois le dénoncera. Gilbert est à bout de nerfs, à bout de fatigue. Il n'a que douze ans, le père avait promis qu'à l'automne il rejoindrait les compagnons de la maçonnerie, mais voilà, sa réputation a décru et plus personne n'a voulu du fils d'une putain et d'un ivrogne.

      [Limoges, printemps 1467]

      Le visage ravagé par les affres de la bouteille, il erre l'air mauvais dans les rues de Limoges, il flaire la piste qui l'a mené jusqu'en Limousin puisque l'Anjou n'a plus rien donné. Ces hommes n'ont même pas eu la décence de changer de nom pour se faire oublier, non. Ils continuent et pire encore, là où ses parents et lui-même ont littéralement tout perdu, eux ont fait fructifier cet or mal gagné. Il ne se serait pas avisé à attaqué le Nerra qui même vieillissant avant encore quantité d'amis à l'époque où il traînait ses guêtres en Anjou, mais l'autre, celui-là même qui a pris les rênes des chevaux du chariot de son père, cet homme à la face rieuse, on lui a dit qu'il était devenu pasteur, borgne et qu'il ne riait plus jamais. Gilbert en a des envies de lui ouvrir un sourire si large qu'on verrait sa gorge ouverte à tous vents. L'homme a rabattu sa capuche en arrière pour dégager sa face grêlée et il a la démarche hésitante des hommes qui ont trop bu, mais cette fois-ci, il a su se contenir, certain que cela nuirait à son entreprise plus qu'autre chose. Le voilà qui s'avance vers ce qu'on lui a annoncé comme la maison de l'Assay. Il a tant de fois vécu cette scène dans son esprit en songe. Tant de fois où il s'imaginait lui ricaner au nez avant de le rouer de coups, mais voilà l'enfant de douze ans n'a pas donné un homme fort et brave, non. Gilbert est aussi ivrogne que son père a pu l'être et surtout très lâche. Quand l'Assay passe à proximité, il fait mine de s'appuyer au mur pour soulager sa vessie, et comme le pleutre qu'il est, le voici qui se retourne pour coller un coup du gourdin qu'il gardait par dessous juste derrière la nuque du borgne. Quand celui-ci s'effondre au sol dans un bruit mat, Gilbert le fait rouler d'un coup de pied dans l'estomac pour observer la face de l'homme qui lui a volé sa vie une décennie plus tôt. La mauvaise foi et la rancoeur l'empêchent de réaliser que l'homme a changé, qu'il aurait pu s'amender avec l'âge, tout ce qu'il voit c'est la personnification de cette déchéance qui a donné suite à ce jour où les pas de ses parents ont croisé ceux de la Zoko. Zoko est mort, Eikorc est mort, reste Maleus qu'il a cherché à travers les auberges et les racontars qu'on a voulu lui céder contre quelques godets. Il voudrait le réveiller d'une gifle ou deux pour lui faire savoir qui le tue, qui lui en veut au point de lui ôter la vie, mais Gilbert est d'une lâcheté crasse alors il sort son coutelas et vient ouvrir la gorge du borgne sans plus d'état d'âme avant de quitter les lieux non sans voler la bourse garnie du pasteur pour gagner la première auberge venue pour y dépenser son butin à la mémoire des parents dont il a oublié autant le visage que les dernières années en leur compagnie. La mémoire est sélective. Et Maleus d'Assay est mort à cause de la mémoire d'un homme qui n'a pas oublié qu'avant d'être pasteur, royaliste, fervent défenseur d'une foi humble et austère, il était un homme plein de fougue, à la lame facilement sortie et aux piques aussi aiguisées que son épée.


    « And if you fall, I'll get you there, I’ll be your savior from all the wars that are fought inside your world.
    Please have faith in my words 'cause... »

    Et si tu tombes, je serais là pour te rattraper, je te sauverai de tous les conflits de ce monde.
    Je t'en prie crois mes paroles, car …


    A l'air attristé de la rousse, Tigist n'a rien à opposer si ce n'est le silence de prime abord. L'ambre dévisage la peau d'albâtre de sa vis à vis, s'étonnant d'y trouver si peu de rides alors qu'il lui semble que les blessures et les coups du temps ont griffé sa peau de temps de cicatrices au coin de ses yeux, sur son front, de ces marques que ceux qui aiment portent comme les stigmates de la peine continue.
    Elle se revoit si jeune, à quinze ans à peine, apeurée par un monde inconnu et si lointain des conventions sociales orientales. L'éthiopienne apeurée et craintive prise sous l'aile de deux anciens brigands des grands chemins, est devenue une femme posée et certaine de ce qu'elle envisage. Eikorc et Maleus ont nourri de principes tout relatifs un terreau présumé infertile avec le géniteur qu'on lui connaît, ils ont abreuvé d'honneur et de recommandations l'adolescente d'alors, le Nerra lui a offert la technique et le goût des armes, l'Assay lui a cédé sa patience et sa persévérance.
    Croître à l'ombre de deux monuments inébranlables, cela évite à une jeune pousse de devenir vigne folle, et Tigist est devenu un rosier capable de pousser en dépit des intempéries, des branches cassées, renforçant ses racines, griffant de ses épines ceux qui voudraient l'arracher d'où elle s'est installée. Mais voilà, ils avaient promis. Elle aurait pu cent fois leur en vouloir, mais elle a grandi, et a rendu à ces hommes ce qu'ils lui ont offert au centuple en les gardant toujours par devers elle.


    « Il a été égorgé dans la rue, comme un malpropre. Je n'ai pas trouvé celui qui lui a fait cela, je voulais juste lui apporter ce qu'Eikorc avait laissé pour lui, lâche-t-elle regardant le rosier trônant dans le petit jardin de simples. Je me retrouve donc avec un couillard et une baliste, que voulez-vous que j'en fasse.. »

    Un soupir à fendre l'âme avant d'ajouter parce qu'il faut bien que ça sorte.

    « Je n'ai prévenu personne, j'en ai soupé de tout cela. J'ai emmené son corps dans la forêt et j'ai entassé tout le bois que j'ai pu trouver, j'ai allumé la poudre noire qu'Eikorc m'avait donné, je n'aurais pas su quoi en faire d'autre. Ils auraient été si fiers de moi, je n'ai même pas bronché, un frisson douloureux traverse l'échine de l'éthiopienne à revoir la scène, à appréhender que l'étincelle ne suffise pas à enflammer l'amadou grossier entassé sous le pseudo bucher funéraire, quand le bruit caractéristique de la poudre qui s'enflamme avait sifflé dans le silence de la forêt, quand il avait fallu ramasser les cendres de ce qui n'était déjà plus Maleus d'Assay pour les ramener à Bordeaux, de la même façon qu'elle l'avait fait avec le corps d'Eikorc depuis l'Anjou. Je ne sais pas s'il aurait voulu finir comme ça, mais je ne sais pas comment font les réformés. Je ne lui ai jamais demandé. »

    Ce qu'elle n'avouera pas, c'est que ce jour là en voyant les flammes lécher ce vieux corps chéri, elle aurait pu tuer pour un dernier prêche s'il lui avait permis de voir Maleus encore en vie un instant avant qu'il ne parte pour toujours.

    « Mais on ne raconte pas cela aux enfants. En fait, on leur cache tant de choses, mais je crois que cela ne les protège pas vraiment, on fait bien comme on peut, allez, je ne vous juge pas. Leur père est je ne sais où avec son ancienne épouse, rajoute-t-elle en haussant les épaules avant de lui sourire sincèrement. C'est le plus important, oui, je crois. Qu'importe s'ils sont de nous ou d'une autre, le cœur d'une mère ne décide pas ce genre de choses. Puis regardez-les.. »

    A voir les trois bambins jouer sous le soleil printanier, à entendre les éclats de rire quand un papillon s'échappe, qui pourrait croire que ces femmes là ont connu leur lot de deuils et de déceptions ? Qu'à entendre cette femme parler de ses enfants légitimes ou adoptés, lui vient l'image d'une petite brune au museau crasseux qu'elle avait chéri comme la sienne et que la mort lui a ravi alors même qu'elle perdait des enfants issus de son sein.

    « Eux, je pense bien qu'ils se foutent de qui est mort ou qui est vivant. J'envie cela aux enfants des fois, l'instant présent a plus de saveur à leurs yeux que toutes les histoires passées et notre nostalgie de mauvais aloi. Pourtant, je ne veux pas que ces histoires, leurs histoires soient oubliées. »

    Parce qu'alors, cela voudrait dire que la Zoko serait tout à fait morte, et qu'elles mêmes ne seraient plus qu'une page tâchée d'un livre oublié dans une rangée de bibliothèque poussiéreuse. Se levant, elle lui tend la main désignant le rosier de l'autre, ce maigre petit rosier planté depuis un mois déjà, qui n'en doutons pas, saura croître d'années en années jusqu'à devenir un massif aussi redoutable que superbe, compte tenu de son fertilisant particulier.

    « Même si vous n'étiez pas là quand ils sont partis, je doute qu'ils vous en tiennent rigueur. Et encore que .. C'étaient quand même deux sacrées têtes de cons. »

    Mais c'étaient les leurs.


    « This is my legacy (legacy)
    There's no guarantee
    It’s not up to me
    You can only see »

    C'est mon héritage, mon héritage.
    Il n'y a aucune garantie, ça ne repose pas sur moi. Vous êtes les seuls à pouvoir le voir.

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