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[RP] Quand tierce sonne le retour du frère prodigue

Iohanes
[Arras]


L'Artois au début du printemps, c'est moche. Pour peu que l'hiver traîne un peu trop, la végétation stagne dans sa physionomie hivernale. Morne, terne. C'était assez paradoxal puisque Jean avait toujours préféré ce genre d’atmosphère grisonnant qui avait tendance à pousser la majorité des gens à rester calfeutrer chez eux ; et si par malheur, ils pointaient le nez dehors, ils se hâtaient. La solitude à l'agitation, un ciel gris plutôt qu'une journée ensoleillée et bien trop chaude. Non, sans conteste, il préférait le froid ainsi que la solitude à l'agitation d'une ville trop peuplée. Le revers de la situation, c'était que ce genre de temps maussade finissait habituellement par rendre le jeune homme d'une humeur encore plus morose. Etant déjà d'une nature assez taciturne, autant dire que cela n'arrangeait rien. Pour parfaire la situation, son épouse - c'est-à-dire la rare personne capable de le dégeler - avait dû quitter Arras pour rejoindre le ban d'Alençon. Pis, le Bourguignon s'emmerdait profondément au sein du conseil comtal.

Après tierce, comme à son habitude, il rejoignit le bureau qu'il avait fait aménager à l'étage de l'une des tours flanquant la porte sud. En tant que chef d'armée, on lui avait confié la garde de la capitale et du château d'Arras. Insigne honneur s'il en est. Plutôt que de stationner en-dehors de l'enceinte, il avait alors préféré installer les quartiers de la troupe sur les boulevards à l'arrière des murs. Quant à lui, le privilège de la noblesse lui avait permis de négocier la location d'une des tours à son profit. S'il pouvait éviter de loger sous une tente par un temps si merdique, autant en profiter. Après tierce donc, Jean avait rejoint son cantonnement. Reprenant le cours de ses pensées d'avant la messe, il replongea malgré lui dans les registres de comptabilité de l'armée, dressée dans des recueils en vélin. Travail fastidieux et ennuyant. Rapidement, l'idée s'imposa qu'il aurait mieux fait de confier cette tâche à son second. Une seconde plus tard, il décrocha complètement, l'attention n'étant pas là. Lors, plutôt que de persister dans une tâche qui n'aboutirait pas dans l'immédiat, il prit le parti de ressortir. Par-dessus sa brigandine, il ajusta un large manteau sombre puis sortit de sa tour par la porte donnant sur la courtine.

Un mauvais crachin tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours et un vent froid lui cinglait la trogne au moindre instant. Ce temps avait le mérite d'être vivifiant. Humide aussi. Il observa un bref moment l'horizon complètement bouché puis vint s'accouder à un créneau surplombant la porte de ville, guettant d'un oeil distrait le flux des pérégrins entrant et sortant d'Arras.

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Matt...
Non mais qu'est-ce que c'était que ce temps de merde....

Après six années passées à griller sous le soleil de plomb des Croisades, Matt avait l'impression de rouiller sur sa selle. Le froid, il s'y était fais au fur et a mesure de son parcours laborieux à travers le Royaume de France. Et puis l'hivers dans le désert, il faisait froid aussi la nuit. Mais l'humidité... La pluie ne le dérangeait pas, au contraire, c'était une bénédiction dans le pays si aride dans lequel il avait passé ces dernières années. Mais ce crachin qui s'infiltrait partout, il n'appelait pas cela de la pluie... C'était juste l'horreur, surtout pour un homme portant de l'acier en guise de vêtement. L'odeur en devenait insoutenable même pour lui qui y était habitué. Quitte a choisir une région humide, autant voter pour la Normandie ! Là au moins, la pluie se justifiait.... Et tout ce vert.... Cela lui donnait presque le vertige. Il faut dire qu'aux Croisades, le vert... A part autour des points d'eau ce n'était pas très répandu.

En fait Matt se sentait perdu dans son pays natal et ce n'était pas pour lui arranger le caractère déjà instable après l'echafourré sur la route qu'il avait eu en compagnie d'Elebore. Il avait failli ne pas arriver à destination, à crever comme un con dans un bois en compagnie d'une donzelle a la tête dur et à la langue bien pendue. Et sans même que Jean soit informé de son arrivée prochaine. Le duo s'en était tiré à bon compte avec une belle estafilade en plus sur le bras gauche. Ce qui le rendait grognon en temps normal.... Et encore pire sous la pluie. Matt avait horreur de la bêtise et c'était uniquement de sa faute s'il s'était fais avoir comme un idiot par ces culs terreux se prenant pour des brigands... Heureusement d'ailleurs que ce n'était pas des professionnels car ce n'aurait pas été eux qui boufferaient les pissenlits par la racine mais lui et sa compagne de route. Quelle galère....

Donc le Croisé pestait sous le crachin en maudissant le ciel, tout en se demandant pourquoi son frère de lait avait été s'enterrer dans ce trou humide. Jean avait toujours aimé la difficulté mais il aurait pu penser un peu à Matt et au choc que le changement de temps aurait sur lui à son retour. Quoi que à la réflexion... Comme il n'avait pas écris pour l'annoncer, son retour s'entend, c'était un peu logique en fait... Il faut dire que l'écriture et lui... Il esquissait généralement des pattes de mouche a peine lisibles et agrémentées de tâches d'encre. Heureusement que Jean avait l'habitude de le déchiffrer sinon jamais il ne lui aurait répondu. Quoi que du coup, Matt aurait peut-être fais l'effort de s'améliorer... Ou pas. Il avait de loin préféré s'entraîner au maniement des armes.

Replaçant machinalement son arc de guerre qui lui rentrait dans le dos, il encoureaga de la voix son étalon alezan pour l'inciter à accélérer le mouvement. Ils avaient laissé Elebore un peu plus loin, à se reposer dans une auberge. Ainsi elle n'aurait pas à faire ce bout de route pour rien si jamais son fuyant presque frère ne se trouvait pas à Arras. Il la rejoindrait alors pour l'accompagner en Flandres et ensuite se mettre à la recherche de Jean. Encore... Et s'il était là, il lui enverrait un message pour lui dire de continuer sans lui bien qu'il s'inquiéta un peu de savoir la jeune fille seule sur la route même pour une courte distance au vue de sa maladresse...

Finalement, alors qu'il n'y croyait plus, les murailles grises de la ville se découpèrent à travers le crachin. Les paysans et marchands entraient ou sortaient de la ville avec l'empressement caractéristique des gens qui veulent essayer de rester sec sans trop y croire. Les gardes en faction à la porte tiraient une gueule de trois pieds de long sous la pluie. Leur présence ici au lieu d'être a l'abri dans la poterne lui signala la présence de Jean aussi clairement que si on la lui avait crié. La négligence du devoir était une chose qui faisait horreur à son presque frère. Sous son commandement, aucun soldat en poste ne se mettrait a l'abri même sous Le Déluge Divin. Les hommes le regardèrent d'un être méfiant s'approcher. Il faut dire que sa cape était un peu déchirée suite à l'attaque, sans parler des tâches de sang vu qu'il n'avait plus de fringues propres, mais sans doute surtout à cause de son épée et de son redoutable arc de guerre. Stoppant son cheval devant eux, en maudissant l'eau qui coulait depuis les murailles directement sur sa tête, il demanda.


Je cherche Jean de Niraco, vous sauriez où je peux le trouver ?

Ben à c't'heure doit être à sa tour j'suppose... Celle du sud...


Remerciant d'un hochement de tête, Matt se remit en route, pressé d'arriver et de se mettre au chaud. Sans quoi sa cotte de mailles allait s'incruster dans sa peau et son cul sur le cuir de sa selle, il en jurerait. Comme par un heureux hasard, il était arrivé par le sud, il lui fallut au final assez peu de temps pour rejoindre la tour où Jean avait élu ses quartiers. Il mit pied a terre avant d'attacher son cheval qui fit grise mine sous la pluie. Lui non plus n'aimait pas trop ce temps de normand... Matt s'avança alors vers la porte garder en rabattant sa capuche pour dévoiler son visage aux gardes. Et là, il tomba sur un os.

J'aimerai qu'on me conduise à Jean de Niraco je vous prie.

C'est pour quoi ?

Je suis son frère.

Jamais entendu parlé d'un frère pour le Comte.

Et bien, je vous en informe maintenant.

Qui me dit que c'est vrai ? Pis z'avez pas l'air d'un frère...


Un sourire aux lèvres, le garde s'amusa de sa remarque en détaillant les traits délicats sous les mèches blondes si pâles, les grands yeux gris vert bordés de longs cils et la cicatrice qui barrait la joue gauche sans troubler la beauté de Matt. Comme si c'était de sa faute s'il avait une trop belle gueule ! Le Croisé s'agaça de la remarque mais décida de garder son calme. Jean n'aimerait pas que son retour démarra par une bagarre...

Tout le monde peut pas avoir une tronche de demeuré galeux...

Autant pour la diplomatie ! Prenant les devant avant que cela ne dégénère plus que ce que sa grande gueule venait de faire, Matt reprit calmement, sortant de sous sa cotte de maille la médaille frappée aux armes de Jean, qu'il lui avait offert le jour de son départ aux Croisades.

Vous devez pouvoir reconnaitre les armes du Comte ? Pourquoi ne pas m'amener a lui. Il saura bien ce qu'il en est non ?

Et puis comme cela il serait a l'abri... Le deuxième garde haussa les épaules et passa outre les insultes que le premier commençait à lancer. Il l'invita à entrer dans la tour, enfin au sec, avant de le guider jusqu'à l'étage pour y trouver le Bourgignon exilé en Artois. Frappant à la porte, ils entrèrent dans le bureau pour trouver Jean.... sur le balcon sous la pluie.... A croire que c'était fait exprès. Suivant le garde jusque sur le parapet de pierre, il observa en souriant la silhouette de l'homme avec qui il partageait tout. A peu près de la même taille, il n'en était pas de même pour la corpulence. Comme dans leurs enfances, Matt était bien plus fin et léger que son frère de lait. Il n'en était pas jaloux même s'il l'avait un peu envié. Le maniement des armes avait développé ses muscles à foison mais pas épaissis sa carrure. Le voyant de dos, il ne pouvait pas observer ce que les six dernières années avaient changé. Mais il ne put s'empêcher de devancer le garde qui allait l'annoncer.

Ciel... Si j'avais pu imaginer que mon absence allait voir se transformer le Corbeau en canard.... Par le Très Haut, Jean, à choisir une ville humide autant y aller franchement et opter pour la Normandie. Au moins, on peut cogner sur les Bretons quand on s'ennuit.

Puis de sourire de toutes ses dents à l'homme qui visiblement ne l'attendait pas.
Iohanes
Le crachin tombait sans discontinuer, obscurcissant l'horizon. Ses cheveux de jais étaient mouillés, son large manteau noir complètement détrempé. Pensif, le regard perdu, il sentait ruisseler les gouttes une à une sur son nez aquilin. Parfois, du coin de l'oeil, il attrapait un mouvement ou une personne en contrebas. Son attention se portait sur elle, puis revenait ensuite sur le ciel grisâtre. Jean prenait l'air. On avait surtout le sentiment qu'il guettait. Quoi ? Lui-même ne le savait pas. Il attendait, ainsi perché sur son balcon. Vieille habitude qu'il avait prise, déjà tout jeune, de se mettre dans un coin, à attendre et à observer. Voir les gens, leurs manies, leurs comportements. Ou plus simplement méditer. Contempler un édifice, un paysage. Là, guère de paysage à admirer, simplement une perspective bouchée, grise, terne. Le temps semble parfois tellement proche de notre humeur. Le Bourguignon pensait ainsi, pour lui, en ce moment, il n'avait devant lui qu'un horizon terne, ennuyeux. Patienter, encore. Il n'entendit qu'à peine l'écho des pas dans la vis d'escalier et ne daigna pas même lever la tête ou se retourner pour voir qui arrivait. De toute façon, il n'y avait que ses hommes qui pouvaient monter.

    Ciel... Si j'avais pu imaginer que mon absence allait voir se transformer le Corbeau en canard.... Par le Très Haut, Jean, à choisir une ville humide autant y aller franchement et opter pour la Normandie. Au moins, on peut cogner sur les Bretons quand on s'ennuit.

Le coeur du Bourguignon manqua un battement.
Cette voix, pardieu ! il n'était pas possible de se tromper. Ce timbre si particulier avec lequel il avait grandi, parlé, gueulé, chanté depuis qu'il était mioche, il ne pouvait pas y avoir d'erreur. Elle ne pouvait appartenir qu'à une seule personne, son frère de lait. Lestement, le corbeau se retourna. Son ouïe ne l'avait pas trompé. Ébahi, il dévisagea le jeune homme face à lui. Voilà plusieurs années qu'ils ne s'étaient pas vus. Un rapide coup d'oeil lui démontra que, pourtant, ils avaient peu changé tous deux. Du moins physiquement, à quelques détails près. Cette trogne, il la reconnaîtra entre toutes. Charmant, plus que Jean assurément. Il avait un corps élancé et nerveux, le visage fin doté de beaux yeux gris-vert et une balafre sur la joue qu'il ne lui connaissait pas. Une épine le piqua au coeur alors qu'il dévorait de nouveau ce visage fraternel.
La bouche entrouverte, l'air un peu con, Jean ne sut quoi dire le temps d'un moment. Puis il se ressaisit et étreignit Matt, plongeant son bec dans le cou du jeune homme, le serrant à l'étouffer contre lui.


    Bordel, Matt ! Qu'est-ce que tu fous ici ?

L'étreinte se relâcha, Jean fit un pas en arrière, les mains sur les épaules du blond, détaillant son visage. Ses deux bras retombèrent finalement à ses flancs. D'un geste éloquent, il indiqua au garde qui avait accompagné Matt jusqu'en haut qu'il pouvait s'en aller. Alors que ce dernier s'exécutait sans mot dire, Jean renchérit.

    T'sais, les Artésiens sont encore plus cons que les Bretons. Si on s'ennuie, c'est plutôt sur eux qu'il faudrait se défouler ! Mordieu, tu n'imagines pas à quel point je suis heureux de te voir !

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Matt...
Au son de sa voix, la rude carrure de son presque jumeau s'était raidie, comme en anticipation de ce que son esprit n'arrivait pas encore à accepter. Mais la tête de Jean à l'instant où il se retourna pour le voir vallait bien tout les tonneaux de flotte qu'il avait pris sur la tronche pour atteindre ce pays humide. Aussi avidement que lui, Matt détailla les traits de son frère de lait, essayant de compenser le temps perdu. Si le visage avait assez peu changé entre l'adolescence et l'âge adulte, il avait indéniablement gagné en force musculaire et donc en épaisseur, le veinard. Raoul avait visiblement réussi à arracher son fils à ses livres et à ses prières. La seule différence notable semblait venir de l'attitude plutôt que du physique. Jean n'avait jamais été d'un naturel joyeux ou lumineux, mais là il se dégageait de lui une aura sombre, solitaire et dure. Mais le Croisé comptait bien rectifier cela.

Après l'instant de grâce de la stupeur, le Corbeau se mit en mouvement et avant que Matt ne put réagir, il se retrouva emprisonné dans l'étreinte de fer de ses bras, son visage niché contre son cou. Son coeur s'emballa, dans un mélange de peur et de joie sans borne. Il n'avait que peu voir aucun contact physique avec qui que ce soit, en dehors des hommes qu'ils combattaient pour les tuer. Sa mère avait été l'exception bien sûr, et Jean... Et bien il avait des droits que les autres n'avaient pas, car il ne cherchait pas à savoir ce que dissimulait le corps étrangement souple de son frère de lait ni n'en remettait en question la force ou la virilité. Ce n'était que par peur du rejet que Matt ne se dévoilait pas entièrement à sa moitié d'âme malgré sa confiance aveugle. Aussi, sevré presque tout le temps de contact, il en était d'autant plus avide, donc les rares fois où il se le permettait, toujours avec Jean d'ailleurs depuis la mort de sa mère, il s'y abandonnait avec plaisir.

Inspirant profondément son odeur musquée teintée de cuir humide et d'acier, le blond retint difficilement une grimace douloureuse quand la poigne de Jean appuya lourdement sur son estafilade au bras gauche. Avec sa chance, elle allait se rouvrir. Mais pour rien au monde il ne se serait plaind. Il éclata plutôt d'un rire joyeux devant l'exclamation pleine de vigueur et de surprise du corbeau. Quand ce dernier le libéra enfin, un sourire lumineux demeura sur les lèvres du jeune homme, trop heureux de retrouver celui qui partageait sa vie depuis sa naissance. Il lui avait manqué, c'était indéniable. Bien plus qu'il n'avait accepté le reconnaître durant son séjour prolongé aux Croisades. Maudit soit Raoul de l'y avoir expédié. S'il n'avair pas su que le vieux étair mort, il l'aurait probablement tabassé. Et ce n'était pas l'envie qui lui manquait d'aller pisser sur sa tombe.... Mais Jean risquait d'en prendre ombrage.


Tu croyais quand même pas que j'allais rester me dessécher dans ce foutu désert toute ma vie non ? Et je suis venu ici parce qu'un certain Bourguignon a trouvé intéressant de s'exiler si loin au nord de sa terre natale. Sinon tu penses que je serai resté plus au sud... Ne serait-ce que pour m'éviter le risque de m'attraper de la mousse au cul.

Jetant un regard navré sur le vêtement tâché de sang frais de Jean, Matt eut la confirmation que son bandage de fortune n'avait pas survécu a l'étreinte passionnée. Il s'en foutait, ayant déjà perdu plus de sang que cela, mais son ami risquait de s'inquiéter pour pas grand chose. Désignant le liquide vermeille qui trempait sa manche, il haussa les épaules comme pour en écarter tout risque de gravité.

Quand aux Artesiens, je te crois. Je me suis accroché avec certains cul terreux du coin à quelques lieux d'ici. La plupart sont resté sur le carreau. Ils sont visiblement aussi cons que tu le dis pour s'attaquer a un homme armé jusqu'aux dents. Mais le nombre l'emporte généralement sur la bêtise et puis je n'avais pas que ma vie a défendre. Cela guérira dans quelques jours, j'ai connu pire.

Se reculant un peu juste pour essayer de ne pas se prendre la totalité du ciel sur le coin de la figure alors qu'il était deja détrempé, Matt afficha le même sourire espiègle qu'à l'époque où il allait annoncer à son frère de lait qu'il avait piégé le repas du Moine en Supérieur du monastère où ils avaient passé plusieurs années. Ce qui était généralement suivi d'une correction en règle bien qu'il ne fut jamais expulsé en grande partie grâce aux menaces du corbeau de s'enfuir si on le renvoyait. Hors perdre le fils d'un Duc, cela faisait tâche.

Je suis très heureux de te revoir aussi mon frère. Ta tête à elle seule valait le déplacement jusque dans ce trou humide. Même si après des jours à rouiller sur ma selle, j'apprécierai de me mettre au sec.

Faisant demi tour, Matt rentra dans le bureau bien plus agréable que la froideur humide des remparts. Retirant son grand arc de guerre de son dos, il le posa gontee le mur sans plus de cérémonie, avant d'y suspendre sa cape trempée. Au moins elle ne goutterait pas sur le tapis. Puis il se plaça dos au feu en poussant un soupire d'aise. C'était mieux. Sortant un bandage à l'aspect douteux d'une de ses poches, il entreprit d'endiguer le saignement en le nouant autour de son bras sans s'en préoccuper beaucoup. Il se savait avoir une allure déplorable après des semaines passées à traverser l'Europe au pas de charge, alors que sa tenue soit un peu plus négligée ne changeait pas grand chose. Il avait perdu quelques livres de plus de sorte que ses chemises n'allaient pas être les seules de ses affaires à être trop grandes. En fait, à y réfléchir, c'etait peut-être son apparence boueuse et ensanglantée qui avait posé davantage problème au garde quand il avait annoncé être le frère du Comte plutôt que sa trop belle gueule de jouvenceau fragile. D'ailleurs...

Tu es donc devenu Comte, félicitations. Il m'avait semblé me rappeler que tu avais convolé en mon absence justement. Tu l'as mentionné dans une lettre je crois, après la description de ton nouveau cheval et avant les explications sur la politique royale du moment. Parle moi donc de ton grand amour !

Matt était curieux de connaître celle qui lui volait un peu Jean, même si elle ne pouvait se prévaloir de leur complicité, il en était un peu jaloux. Elle l'avait eu pour elle seule pendant un temps. Même si le corbeau l'avait assez peu mentionné dans ses longues lettres qu'il lui envoyait. Et lui-même dans la dizaine de lignes de pattes de mouche laborieuses qu'il répondait, il ne s'en était guère soucié. Après tout les femmes ne justifiaient pas qu'il se fatigue. Seulement maintenant qu'il était de retour, ce serait une autre paire de manche. Il lui faudrait faire avec cette femelle. Enfin si elle était un peu comme Elebore, cela ne serait pas forcément une corvée, la donzelle s'étant révélée une compagne de voyage plus qu'agréable.
Iohanes
Plus aucune véritable notion de temps sur ce fichu rempart. Il s'égrenait lentement, posément. Jean en profitait pleinement, détaillant consciencieusement le visage de son frère. Puis, l'acmé du ravissement passa doucement et le temps reprit son cours. Le Bourguignon ne s'aperçut de la tâche vermillon sur son manteau que lorsque Matt la lui indiqua. Peu lui importait et il s'intéressa davantage à la blessure de son interlocuteur. A peine eut-il entrouvert les lèvres pour lui demander l'origine de l'entaille que le Blond lui répondait. Des culs-terreux qui brigandaient près d'Arras ? Ce serait peut-être l'occasion de sortir la troupe de la capitale pour défourailler un bon coup. Pas de gloire, ni une véritable bataille, mais au moins une raison de s'occuper sinon l'esprit, au moins le corps. Et dieu savait que Jean avait besoin de se divertir. Ou de faire la guerre. Oui, surtout la guerre, en fait. Ce serait justice de les chasser, ils n'auraient pas du s'en prendre à son frère. Petit, déjà, plus d'une fois, Jean avait endossé le rôle du protecteur pour Matt, cognant ceux qui avaient pu emmerder son frère de lait quelque peu chétif. Jean avait une sale trogne, mais il ne faisait plus cas des moqueries sur son nez. Matt, lui, en plus d'être malingre, avait des traits un peu trop fins et à de nombreuses reprises cela avait suscité railleries de la part des autres gamins. Combien de fois étaient-ils revenus chez eux, crasseux et couverts d'ecchymoses ? A l'époque, comme aujourd'hui, peu importait les coups, seul leur indéfectible lien importait. Un lien pourtant vu d'un mauvais oeil par le vieux Raoul qui avait conduit les deux frères de lait à l'éloignement bien contre leur gré. L'un Outre-Mer, l'autre sur les routes du royaume. Ils avaient toujours vécu ensemble. Grandi, parlé, ri, chanté, battu. Depuis les seins d'Annette, ils avaient tout fait ensemble. En de rares occasions seulement, ils avaient été séparés. Ce n'était que ponctuel. Là, cela faisait plusieurs années qu'ils ne s'étaient plus vus. L'éloignement avait été rude, bien davantage que Jean ne l'aurait cru. La vie de reître qu'il suivait aux côtés de son père à ce moment de leur vie n'avait rien arrangé. En plus d'une solitude qui s'exacerbait quotidiennement, il sombrait peu à peu dans une violence continue, une frénésie perpétuelle. La guerre, encore la guerre, rien que la guerre sinon la mort. C'était le seul remède que Jean avait connu pour soigner ce démembrement.

Abasourdi par ces retrouvailles, légèrement pensif, le Corbeau observa distraitement le Blond battre en retraite dans la tour. Il l'accompagna du regard puis se mit en mouvement pour se mettre lui aussi à l'abri. Vrai qu'il était bien trempé. Refermant la porte derrière lui, Jean se déchargea de son lourd manteau qu'il suspendit à une patère. Il épia du coin de l'oeil l'autre freluquet qui se pansait avec un bandage à la propreté douteuse. Une oeillade rapide souligna l'état déplorable dans lequel se trouvait le jeune homme. La croisade ne l'avait guère réussi. Ou était-ce le voyage de retour ? De son côté, Jean tenta vainement de sécher sa tignasse de jais avec un pan du manteau qui n'était pas encore trop humide. Peine perdue. Se résignant à garder les cheveux mouillés, il agrippa un tabouret et vint s'asseoir près de Matt.

    T'es d'mauvaise foi quand même. Tu médis de l'Artois, mais notre Bourgogne est quand même plutôt humide dans son genre. Les quelques années dans ton trou sablonneux te l'ont peut-être fait oublier mais d'la mousse, tu devais déjà en avoir aux miches quand t'étais gamin. Il ne put s'empêcher d'esquisser un franc sourire. Plus sérieusement, d'puis que mon père s'est fait tuer à Tours, j'ai bien essayé de retourner à Semur mais ... Comment dire ... Il n'y avait plus rien qui me retenait là-bas. Du coup, j'ai empaqueté mes affaires et j'ai rejoint les rangs des Bandes Noires d'Amé de Montjoye. D'quoi m'occuper quelques temps. Sauf que, comme tu peux l'voir, j'm'ennuie un peu. Il marqua un court moment de pause. Tu veux boire quelque-chose ?

Le Bourguignon ne feignit même pas d'attendre la réponse de son frère et se releva pour aller chercher une cruche de vin (de Bourgogne, est-ce nécessaire de le préciser ?) et deux verres en étain. A défaut d'échanson, il s'occupa lui-même du service et remplit allègrement les coupes, tendit la première à Matt, conserva la seconde pour lui et posa la cruche entre eux deux, puis se rassit lestement sur le tabouret.
    Que j'te parle de Maelya ? Pardieu, il y aurait sans doute beaucoup à dire. Il esquissa un léger sourire. Déjà, j'pense que tu saisis l'ampleur de mes sentiments pour que je me résigne à me marier.

Jean n'était effectivement pas démonstratif. Déjà taiseux et discret de nature, il fallait savoir qu'il n'avait pas connu sa mère, probablement une putain, et son père n'avait été qu'une figure autoritaire et martiale bien lointaine. La seule femme qui avait pu être un tant soit peu attentionnée envers lui, fut la mère de Matt, elle aussi défunte. Lors, dans un monde sans affection et brutal, où votre seul ami est votre frère de lait, difficile d'être expansif. L'adolescence chez les moines ne fut pas tendre, entre les privations et les punitions ; la vie d'adulte à batailler et écumer les sentiers de la guerre eu tôt fait de lui forger un caractère taciturne. Alors rencontrer et épouser une comtesse ! Il réprima un léger rire en y repensant et leva son verre pour en descendre une bonne lampée.
    J'pense pas qu'tu te rappelles de Maelya. Pourtant, je la connais d'puis plusieurs années. Nos parents sont proches, 'fin étaient proches. Lorsque sa mère est décédée l'an passé, je suis r'tourné dans le Sud la retrouver. Puis nous nous sommes retrouvés. J'te passe les détails, hein. Finalement, je suis revenu en Artois avec une fort belle épouse et un château comtal. D'quoi avoir une descendance et de l'argent pour faire la guerre. A nouveau, Jean marqua un court instant de réflexion. J'pense que tu l'apprécieras, 'fin j'espère. T'auras l'occasion de te faire une opinion de toute façon. Bon, assez parlé d'elle. Racontes-moi un peu comment s'est passée ta croisade. Tes lettres étaient trop courtes et bien trop mal écrites pour que je sache vraiment c'que tu branlais là-bas !

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Matt...
Le blond regarda le brun s'installer sur un tabouret à ses côtés devant le feu de cheminée. Pour sa part, il resta debout. Déjà il avait plus à sécher que l'autre car il était sous la pluie depuis plus longtemps, et ensuite, il était tellement crevé que c'était pas impossible qu'il s'endorme si jamais il posait son séant sur quelque chose de plus confortable qu'une selle. Et comme il se méfiait de l'instinct protecteur du Corbeau, il ne tenait pas à se réveiller à moitié à poil devant un medicastre inconnu. Il n'avait pas envie qu'un étranger vienne fouiner dans ses affaires personnelles, entendez par là les malformations de naissance qu'il cachait soigneusement. Il restait donc debout mais accepta le vin avec plaisir, afin d'effacer un peu la poussière qu'il avait avalé, et le goût de la piquette immonde servie dans la dernière auberge où il avait créché avec Elebore. Tâchant de rattacher la charue aux boeufs, autrement dit de reprendre le fil de la conversation, Matt affiha un large sourire avant de rire.

C'est sans doute pas faux pour la Bourgogne, quoi que j'ai jamais eu de mousse au cul là bas... Ma' m'aurait récuré le fondement à l'etrille si cela m'était arrivé. Comme la fois où elle nous a surpris dans l'auge à cochon pour notre tentative d'infiltration du poulailler du voisin... On avait quoi, six ans ? Je ne sais pas ce qui, de l'etrille, de l'eau froide en février ou du bâton avec lequel le vieux d'à côté nous a rossé fut le pire...

En fait, il avait encore mal en y repensant, sa mère les adorait mais elle avait une poigne de fer face aux bêtises, ce qui n'était pas plus mal vu les trublions qu'ils étaient. Cela ne les empêchait pas le lendemain de recommencer, surtout que le soir après la correction, elle les avait bercé dans ses bras pour les consoler d'avoir si mal au cul. Buvant une gorgée de vin, il en apprécia le goût fruité avec plaisir.

Sûr que tu devais pas avoir envie de rester à Sémur... Déjà gamins à la mort de Ma', on aurait bien foutu le camps... Alors moi plus là, ça devait être carrément la mort à petit feu. Un peu comme quand on m'a affecté comme éclaireur à ce puit dans le désert... Personne à parler ou castagner pendant des semaines, j'allais finir par parler aux rochers si j'avais pas été rappelé...

En fait, seule la peur de décevoir Jean s'il venait à apprendre sa défection, l'avait empêché de déserter purement et simplement. L'honneur était importante aux yeux de son presque frère, pour ne pas dire sacrée. Seul avantage à cette situation, Matt avait pu s'entraîner au tir à l'arc à loisir, devenant l'un des meilleurs archers parmis les Croisés. Vint finalement la question de l'épouse. Il ne se rappelait pas d'elle non. Déjà ils étaient bien jeunes, et puis le blond avait toujours eu l'art d'éviter tout ce qui portaient jupons. Plus fuyant qu'une anguille envers la gente féminine, il n'avait que mépris pour celles qu'ils considéraient comme des emmerdeuses de première. Même si Elebore avait réussis à le convaincre que ce n'était pas le cas de toutes... Juste de la majorité. Aussi ses connaissances sur le sujet étaient-elles nulles, ou presque.

Je suis heureux pour toi, vraiment. Je sais à quel point il t'est difficile de te lier. Autant que moi à vrai dire même si ce n'est pas pour les mêmes raisons... Je te promet d'essayer de ne pas la détester par principe juste parce que c'est une femelle, et de me bien me tenir tout de même dans le cas contraire. J'avais peur en te laissant avec ton vieux que tu deviennes un roc impénétrable à tout sentiment, puisque les seuls que tu arrivais à ressentir après la mort de Ma' étaient pour moi.

Nulle prétention dans ces paroles, juste la vérité simple. Les deux étaient aussi proches que peuvent l'être deux êtres sans avoir partagé le même utérus, et si Matt avait choisi d'accorder à Jean l'entièreté de son affection et de sa loyauté, il était heureux que son frère de lait ait pu se lier à une autre. D'autant que le Corbeau avait un impératif de reproduction qui ne pesait pas sur lui-même, que le Très Haut en soit béni. Il serait bien emmerdé s'il devait prendre une femme... Avec sa brusquerie naturelle, Jean expédia promptement la question de son mariage, pas un soucis, il aurait tout le temps de le cuisiner plus tard, en le harcelant et le titillant comme lui seul savait le faire.

S'en suivit bien sûr le sujet des Croisades. Matt ne put retenir une grimace sans trop savoir si c'était à cause de la question ou de la remarque sur son écriture. Sans doute la première solution car son manque d'érudition le laissait totalement indifférent. Enfin pas tout à fait. Si Jean exigeait qu'il s'améliore, il allait devoir s'y mettre. Le jeune homme passa une main engourdie de fatigue dans ses mèches blondes décolorées par le soleil, comme cherchant ses mots. Mais surtout essayant de noyer le poisson...


C'est pas si facile d'écrire sur le dos de sa selle... Je faisais de mon mieux, pour toi. Et si les lettres étaient courtes, c'était pour deux raisons. La première, ben je viens de la citer... La deuxième.... Si je t'avais tout écris, je t'aurai vu débarquer dans ce désert cramé par le soleil plus rapidement que ta réponse écrite ne me serait arrivée...

Si je peux me permettre... Sache que si ton vieux avait pas clamsé y a des années, je l'aurai sans doute tué moi-même en arrivant, malgré toute mon affection pour toi... Tu sais qu'il m'avait quasiement convaincu que c'était indispensable que je parte aux Croisades ? Pour que tu sois fier et pour te faire honneur... Que c'était ce que tu voulais pour moi...


Matt se tut brièvement, la gorge serrée. Le voyage à fond de cale avait été un cauchemars. Il avait du user de son poignard pour garder à distance les autres conscrits qui le trouvaient assez mignon pour jouer avec lui le temps du voyage. Après que deux d'entre eux eurent fini en nourriture pour les requins, les autres l'avaient laissé tranquille. Cela ne l'avait pas empêché de tomber malade, comme tous à bord. Après des semaines en mer, il avait fini par se dire que Jean devait le détester pour l'avoir envoyé là, et lui-même c'était surpris a le haïr après cette épreuve. Il s'en était d'autant voulu quand la première lettre était arrivée avec en début et en fin le fait qu'il lui manquait, comme pour souligner l'importance du manque. Pour avoir oser douter de son frère de lait, Matt s'était jeté en pénitence dans les combats les plus durs, les missions suicides, risquant inutilement sans vie pour se racheter de ses mauvaises pensée dont pourtant Jean ne saurait jamais rien. Car ni du voyage, ni du doute, il ne parlerait jamais.

C'était dur... Surveiller, s'infiltrer, tuer... Comme je ne suis pas épais, j'étais envoyé souvent en éclaireur ou en espion... La plupart de ces gens ne faisaient que défendre leur terre. Je n'ai pas ta foi Jean, je ne l'ai jamais eu. Oh je crois oui, mais de loin, sans dévotion particulière. Mais je ne crois pas que le Très Haut approuverait ce qui est fais là bas en son nom... Même si j'ai appris à me taire.

Désignant la longue estafilade qui barrait sa joue gauche de sous son oeil jusqu'à sa machoire, il esquissa un sourire un peu jaune.

C'est mon Capitaine qui me l'a faite, en punition pour avoir émis des doutes a haute voix devant un membre du clergé. Sauf que le type n'avait même pas la tronche d'un curé avec cette trainée sur ses genoux... Moi je pense que c'était plutôt pour me faire payer mon pied dans ses couilles quand il a essayé de me faire tomber les braies... Bref... J'ai autant de cicatrices par l'ennemi, soit disant, que par ceux qui étaient censés se battre de notre côté. J'ai vu tuer des femmes et des enfants... C'était moche... Je me suis souvent dis que ton père m'a envoyé là-bas pour mourir. Et il s'en est fallu de peu que ça marche. Mais je t'avais promis de revenir. Alors je me suis accroché.

Quand on m'a enfin autorisé à partir, il m'a fallu une semaine pour y croire. J'avais la trouille que ce soit un mensonge pour me faire déserter et s'autoriser à m'exécuter. Mais quand j'en ai vu d'autres partir, je me suis dis que c'était vrai. Je suis partie a cheval plutôt que dans ce maudit bateau. Plus jamais je ne serai monté dans cette barcasse flottante, aurai-je dû rentrer à pied. Mais j'ai trouvé un étalon de là-bas, après un combat sanglant, les rênes prisonniers de la main de maître mort, emmêlés sous son cadavre. Je ne pouvais pas le laisser, lui aussi a vu trop de combat. Rentrer par la route a été presque aussi difficile que par bateau remarque. Surtout quand ma tête part en vadrouille loin de mon corps et que je me revois encore dans ce foutu désert... Mais cela passera. Ça s'atténue déjà.


Haussant les épaules comme pour évacuer tout ces souvenirs désagréables, un peu comme si ce n'était que les relents d'un cauchemar à demi effacé, Matt quitta son air trop sérieux pour afficher son éternel sourire malicieux qui le faisait paraître plus jeune et plus féminin qu'il ne l'aurait voulu, ses yeux gris-vert cherchant ceux de son presque jumeau pour s'y raccrocher comme pour éviterde se perdre dans son propre désert intérieur.

Tu vois que j'ai bien fais de ne pas te l'écrire ! Allez ! Maintenant que je suis là, que faisons nous ? Tu as dis que tu t'ennuyais et moi j'ai besoin de reprendre mes marques dans ce pays dans lequel je me sens un peu étranger.

Jetant un bref regard sur son bras blessé avec le bandage improvisé déjà gorgé de sang, ainsi que sur sa tenue crasseuse, il ajouta dans un éclat de rire.

Je pense que j'ai aussi besoin d'un bain et de m'habiller de propre, sinon ma cotte de maille va s'incruster dans ma peau. Ce qu'elle a commencé à faire à certains endroits de ma personne. Sinon même toi à l'odeur tu ne voudras plus m'approcher. Et je vais soigner ça un peu mieux avant de m'évanouir pour de bon.
Iohanes
Assis sur son bord de tabouret, son verre à la main, Jean écoutait avec un demi-sourire fiché au coin des lèvres. Les souvenirs de leur enfance commune, évoqués par Matt, avait de quoi l'amuser. Ce fut certainement l'unique période de leur vie où ils ne manquèrent de rien, dans une évidente insouciance. L'affaire de l'auge à cochon raviva un souvenir douloureux dans le fondement du jeune homme. Ouais. Il s'en souvenait des coups de pied du vieux et du bâton de la nourrice. Ce ne fut probablement pas la plus douloureuse correction qu'ils subirent, ni même la plus humiliante. Car il faut bien dire que les presque frères eurent leur lot de corrections lorsqu'ils vivaient encore à Semur. Querelleurs, chapardeurs, voyeurs, délateurs. Ce n'était en aucun cas de mauvais gamins, mais le moindre mauvais coup dans lequel ils pouvaient tremper, sans hésiter, ils y mettaient leur nez. Et c'était sans compter sur les autres gamins qui s'en prenaient à eux : à lui le bâtard un peu malingre ; à Matt, le garçonnet aux traits un peu trop fins. Qu'importe, cette partie de leur enfance avait clairement forgé leur tempérament querelleur. Si on ne le surnommait pas le Taciturne, se serait plutôt le Réchin qu'il faudrait donner comme sobriquet au Niraco. La conversation s'orienta finalement vers Semur pour terminer sur son père.
    Mon père ? C'tait un fieffé connard celui-là. La seule personne dont il se souciait, c'était lui-même. Il n'y avait que lui qui l'intéressait. Lui et encore lui. Sa renommée aussi. Et p't-être un peu les putains. Le seul intérêt qu'il avait d'me sortir du monastère, c'était d'avoir une épée supplémentaire à son service. 'fin, deux épées avec toi. Pause. Quand on était gamin, j'ai toujours haï c'père qui m'avait abandonné. Et j'l'ai davantage détesté une fois que j'le connaissais. Et t'sais le pire dans tout ça ? C'est que je l'aimais malgré c'qu'il était.

Jean marqua une plus longue pause. Le souvenir cuisant de se père honni ravivait une animosité enfouie. D'un geste leste, il vida d'un trait son gobelet et se resservit dans la foulée.
    J'avais jamais vraiment compris pourquoi tu étais parti Outre-Mer. Mon père avait toujours été un peu vague sur l'sujet et je m'étais laissé dire que tu y avais été d'ton plein gré. Pour t'faire un nom ou une connerie du genre. 'fin, c'est c'que me disait mon paternel. Au début, j't'en ai voulu d'm'avoir laissé seul. D'm'avoir surtout laissé avec lui, en fait.

Puis, avec le temps, l'animosité envers Matt s'était tassée et muée en manque. La vie de reître avec son paternel avait davantage durci son caractère peu sensible, réduisant ses sentiments à néant. Il en était à un point où il se demandait s'il était encore normal de ressentir un vide absolu en soi, que rien ne pouvait vraiment l'affecter hormis des sensations vraiment extrêmes comme l'imminence de la mort. La guerre, oui, c'était probablement l'une des très rares choses qui pouvait griser le Corbeau. Et son épouse. Et le retour de Matt. Vivre son adolescence et une partie de sa vie d'adulte avec un père narcissique, libidineux, mégalomane et cruel avait de quoi anesthésier la sensibilité. La spirale infernale de la violence du vieux Niraco avait certainement été atteinte lors du sac de Vesoul. Après le massacre en règle des défenseurs de la ville et le viol usuel de la plupart des jeunes femmes, le paternel avait trouvé de bon goût de crucifier cinq des échevins sur le parvis de l'église et de les écorcher vif. Manière à lui de laisser un avertissement. Le message était bien passé puisque les mercenaires de Raoul, Jean compris, on était traqué comme des chiens par les Comtois et leur avait valu le doux surnom d' "Écorcheurs". Alors, loin d'être une fin tragique, le violent trépas de Raoul sur les murs de Tours s'était apparenté bien davantage à une libération pour le jeune homme.
    Si ça peut t'rassurer, il a crevé en douleur l'vieux. Il s'vidait d'son sang par tous les trous. Le barbier a bien réussi à le recoudre mais il a chopé une gangrène du diable qui l'a tué en cinq jours. Cinq putains d'jours d'agonie, à entendre son vieux râle. J'avais qu'une envie, c'tait de l'achever. Ca a bien du l'dégoûter de crever comme une merde, lui qui espérait tant périr comme un chevalier sur un champ d'bataille. Beh non, il a cané comme un con dans un hospice à moitié en ruine entre deux pesteux.

Non. Définitivement, il haïssait ce père.
Il passa machinalement une main dans sa chevelure de jais, las, et descendit une lampée de son gobelet, préférant écouter Matt raconter sa vie de croisé. Il n'avait que trop parlé du vieux Raoul. Le récit de la balafre qui barrait la trogne du Blond vint enfin. L'histoire ne le surprit guère. Lui-même était réfractaire aux ecclésiastiques. Certains étaient vertueux, oui. La plupart ne sont que des simoniaques et des fornicateurs. Matt avait payé le prix de son audace pour dire une vérité que tout le monde savait mais que très peu osait s'avouer.

    C'sont des souvenirs désagréables parce qu'ils sont encore récents. Avec l'temps, ça passera et tu pourras t'vanter d'être un putain d'croisé. Ca courre par les rues par ici, j'te jure. Et puis ta balafre te donne presque un air viril. A défaut d'barbe, c'est au moins ça d'gagner. Désignant d'un geste vague la porte derrière lui, il enchaîna. S'tu veux te décrasser, j'peux demander aux gars d'te remplir la bassine d'eau chaude. Vu ta trogne, ça doit faire un bon moment qu't'as pas vu la couleur d'un bain. Puis, j'te donnerai des vêt'ments propres. Et secs surtout.

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Matt...
De savoir que le vieux Duc était crevé en agonisant lui apportait une étrange satisfaction. Non pas que Matt fut délibérément cruel. Il avait vu son lot de mort et achevé même quelques blessés sans espoir de guérison pour leur éviter la souffrance d'une mort longue à venir. Mais après ce qu'il avait enduré aux Croisades pour avoir "suivis" les conseils d'un menteur qui les avait abusé tout les deux, il était satisfait oui. D'autant plus que le salaud avait osé dire à Jean qu'il était parti se faire un nom, pour la gloire. Comme si cela l'avait un jour attiré ! Tout ce qu'il voulait, tout ce qu'il avait toujours voulu, c'était rester avec son presque jumeau. Le reste, il s'en foutait.

La chaleur du feu et le bourgogne aidant beaucoup, le blond commença à se détendre suffisamment pour ressentir jusque dans ses os. Le voyage avait été difficile. Le Corbeau se permit une remarque sur le glabre de ses joues qu'un autre que lui ce serait ravalé avec ses dents. Mais comme c'était Jean, Matt se contenta d'un sourire grimaçant pas vraiment convaincu. Plus virile ? Il était bien le premier à le dire... La plupart des gens avait envie de le protéger davantage ou de le consoler.... Comme s'il regrettait les mots qui l'avaient conduis à avoir cette marque... plutôt s'entailler l'autre joue lui-même tiens !


Je vois pas ce qu'y a à se vanter de tuer... Je suis un soldat, je nie pas... Mais les Croisades... C'est moche et inutile. Enfin j'ai quand même ramené quelques babioles. Tu pourras les donner à ta femme, cela évitera qu'elle râle trop à voir s'incruster un étranger. Pis les femelles aiment toujours ce genre de cailloux. Et pour le bain, je veux bien. Le dernier remonte à un an... Facile. Si on compte pas l'averse que j'ai pris sur le coin de la figure en arrivant. Même si je crois qu'il faudra que tu m'aides pour enlever la cotte de mailles. Avec mon bras, ça risque d'être légèrement compliqué, après je me débrouille.

Disons qu'il n'était pas facile d'avoir l'intimité suffisante à un bain lorsqu'on vit au milieu d'une armée de soldats crasseux et un brin curieux. Pendant que Jean faisait appeler ses hommes pour faire monter de l'eau chaude, le blond fouilla sous sa cotte et en sortie une petite bourse rebondit qu'il vida sur le bureau. Trésor de guerre pris sur l'ennemi. Il n'en avait pas voulu mais quand on lui avait donné sa part après certains pillages, il n'avait pas osé refusé pour s'éviter d'autres sanctions. Se prendre une raclée pour avoir ouvert sa gueule pour une bonne raison passe encore, mais pour du butin... Il en avait refilé une partie à des gens qui en avaient besoin quand il pouvait discrètement, le reste il l'avait garder. Le donner à Jean lui semblait normal. Les pierres accrochèrent les reflets des flammes, s'illuminant de l'intérieur en reflet rouge sang, bleu roi ou vert profond. Il y avait là une petite fortune dont il ne voulait pas. Pendant que le bain se préparait, l'un des gardes d'en bas arriva avec ses sacs de selles et l'air contrarié.

Qu'est-ce qu'on doit faire du cheval de l'autre mendian... heu de l'étranger... Votre Seigneurie ? Non parce que c'est une saloperie.... Il m'a mordu...

Pendant que Matt laissait échapper un ricanement mauvais, ravi que son étalon rétif ait puni le garde insultant, Jean ordonna qu'on s'occupa avec soin de l'animal. Suivant son frère de lait dans la pièce d'à côté, sa chambre visiblement, il surprit le regard mauvais, et ne put donc s'empêcher une remarque finaude.

Attention, il rut autant qu'il mord.

Un de ces jours, il allait se recevoir un coup de couteau dans le dos pour sa grande gueule. Ah mais c'était déjà fais en fait ! Donc cela ne l'empêcherait pas de continuer. Une fois devant le baquet d'eau chaude, Matt y jeta un regard plein d'envie. De sa main valide, il ôta son tabard élimé et l'abandonna dans un coin. Dès que possible il en prendrait un neuf et brûlerait celui aux couleurs des Croisés. Après pas mal de contorsions et de grognement, Jean réussit à l'extirper de la cotte de maille, mettant au jour sa chemise à la couleur douteuse, à l'odeur détestable et à la manche déchirée et tachée de sang dans laquelle il flottait de façon alarmante maintenant que l'habit de fer ne le cachait plus.

Ça ira pour le reste. Je devrai réussir a me décrasser.

Ayant été élevés ensemble par la même femme et selon les mêmes habitudes, Jean ne releva pas et le laissa seul. Le fait que Matt ne se déshabilla jamais en sa présence lui était aussi familier que le fait que lui le fasse sans soucis. Le blond était pudique, le brun taciturne, chacun son caractère et le Corbeau n'était jamais allé chercher plus loin. Même le rituel de Matt de se bander le torse lui était normal. Enfin, le Croisé faisait confiance à son frère pour ne pas troubler son besoin de solitude lors de ses ablutions.

Une fois seul, Matt enleva sa chemise miteuse et la jeta sur le tabard. Dessous, son corps mince était limite maigre même si ses muscles restaient fermes et bien dessinés. Il avait perdu du poids, trop sans doute mais il ne doutait pas que Jean veillerait à le remplumer avec un soin tout particulier. Ses hanches étroites étaient même saillantes en fait. Poussant un soupire, il continua de se déshabiller, ne gardant que ses bandages et son pagne, par habitude. Dépouillé de son carcan de vêtement, il faisait encore plus chétif malgré sa taille somme toute normal pour un homme. Il hésita un instant avant de couper les bandes qui lui enserrait le torse. C'était le moment où jamais de les changer après plus d'un an sans y toucher. La peau était blanche dessous, et crasseuse. Et partout, des dizaines de cicatrices pâles, plus ou moins récentes, la plupart attrapées aux Croisades, désacralisaient sa peau autrefois lisse et sans défaut.

L'on voyait clairement ses côtes, ombrées par endroit de larges hématomes liés aux péripéties de la route. Refusant de poser les yeux sur les malformations qui pourrissaient sa vie, il s'avança jusqu'au bain avant de s'y plonger en poussant un soupire de soulagement au contact de l'eau chaude. Là, c'était le paradis. Il ôta finalement son pagne à l'abri de l'eau, avant de plonger toute la tête dans le liquide fumant afin de faire disparaître la crasse de plusieurs mois. Il fallut pas mois de trois lavages complet pour qu'il se sentit enfin propre. Il posa alors la nuque contre le bord du baquet, immergé jusqu'aux épaules pour mariner un peu. Se détendre était un luxe qu'il n'avait pas eu depuis des années... Sous la garde de Jean, il ne risquait rien.
Iohanes
Après accord du Blond, Jean se leva et se rendit lestement jusqu'à la vis d'escalier pour héler l'un de ses hommes. Rapidement, on entendit la cavalcade des domestiques dans l'escalier, qui se rendirent ensuite dans la pièce adjacente pour préparer le baquet d'eau chaude. En attendant, le Corbeau resté debout descendit d'une traite le fond de son gobelet d'étain, le posa sur la table à côté et lorgna le butin de guerre que son frère y déposait. La rapacité n'était en aucune façon l'un des vices de Jean, ni même l'envie. Au contraire. D'un geste éloquent de la main, il refusa. Il n'en avait pas besoin. Ce serait aussi certainement le cas de son épouse qui - quoique gracieuse - n'était pas à quelques pierres précieuses. Après tout, elle avait apporté à Jean un titre et un château. Et Matt n'avait pas besoin de monnayer la sympathie de Maelya pour se faire admettre au sein de la familia de Jean. Qu'importe. Matt refuserait certainement de garder son butin pour lui mais le Corbeau trouverait bien un moyen de lui refourguer sa camelote, d'une manière ou d'une autre. Alors que le reflet d'une émeraude à la teinte profonde attira l'oeil du jeune homme, l'un des gardes ramena les sacoches du Croisé.

Qu'est-ce qu'on doit faire du cheval de l'autre mendian... heu de l'étranger... Votre Seigneurie ? Non parce que c'est une saloperie.... Il m'a mordu...

Jean esquissa un demi-sourire narquois à destination du palefrenier.
    L'aut' mendiant comme tu l'appelles, c'est mon frère, couillon ! Occupe-toi de sa monture comme de la mienne et tu t'adresses à Matt comme s'tu t'adresses à moi. Bien ? Alors, maint'nant, casse-toi.

Le Blond surenchérit et le garçon d'écurie ne demanda pas son reste, planta les sacoches au pied de Matt et répartit aux étables par là d'où il était venu. Jean renifla d'un air dédaigneux. Non pas qu'il détestait la piétaille. Il n'était pas de ses nobles arrogants. Lui même n'avait pas grandi dans le stupre. Non, il aborait simplement les sots et les irrespectueux, en particulier ceux qui auraient pu s'en prendre aux siens. Quand le bain fut prêt, ils se rendirent tout deux dans la pièce adjacente où trônait un large baquet en bois non loin d'une cheminée où ronflait un feu du diable. Demandant assistance, il fallut que le presque frère tira, grogna, tourna dans divers sens les attaches et la cotte de maille pour, enfin, délivrer Matt de son armure de fer. Ou de son armure de crasse ? A la teinte de la peau comme de la couleur de la chemise, Jean devina sans mal que le dernier bain remontait à fort longtemps. Tout comme un bon repas. Il ne pouvait vraiment distinguer les formes du Blond mais il constata tout de même que la chemise baillait admirablement à ses flancs. La croisade ne l'avait vraiment pas réussi. Par habitude tout comme par pudeur, Jean prit congé et laissa son frère a un repos et une sérénité plus que mérités. Lui, après avoir commandé du haut de l'escalier que l'on apporte vêtements et pitance pour son frère, il reprit possession de son gobelet, se resservit et retourna s'asseoir derrière son lutrin. Il avait encore de quoi s'occuper jusqu'à sexte.
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