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[rp]Devant la mort finissent les querelles.*

Andrea_
Vous avez déjà remarqué à quel point la vie était faite de clins d’œil du passé ? Que le destin s’évertuait à vous faire vivre les choses de façon cyclique ? Un peu comme lorsqu’enfin on beugle que la vie est injuste et que c’est de la maltraitance d’être privé de dessert et de pourtant, refaire exactement la même chose avec nos gosses.

J’avais rencontré Beren alors que je n’attendais plus rien de la vie, il avait le regard insolent de ceux à qui tout sourit, et les paroles de ceux qui pourtant ont déjà tant subit. Et puis il m’avait apprivoisé, jusqu’à ce qu’après avoir mis notre fils au monde, j’ai de nouveau cette folle envie de reprendre ma liberté.
Nous nous étions retrouvés alors qu’il n’attendait plus rien de la vie. J’avais le sourire insolent de ceux qui l’avait observé et les paroles de ceux qui ne veulent plus subir. Depuis, depuis je l’apprivoise, en priant pour qu’après avoir mis l’enfant d’un autre au monde, il n’ait pas envie de reprendre son envol.

Je vivais avec cette crainte, cette peur qui me vrillait le ventre qu’à chaque mot de travers, qu’à chaque pensée déplacée, il ne mette les voiles. J’étais devenu de ces personnes que j’exècre, ce genre de personne qui dit amen par peur de perdre l’autre. J’essaye tant bien que mal de donner le change, de sourire quand il évoquait ses conquêtes, de plaisanter aux souvenirs de ses maitresses, toutes plus sulfureuses les unes que les autres. Et si visuellement, je ressemblais à la parfaite femme au foyer complètement éprise de son mari, j’avais à l’intérieur, la rage aux tempes et la colère au bide. J’avais la folle envie de le secouer, de le secouer jusqu’à ce qu’il dégueule toutes ses maitresses pour qu’elles sortent de sa tête, de le secouer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une, et que cette une soit moi. Moi en mieux. La Moi telle qu’il m’avait connu la première fois moins la Moi qui fût capable de le quitter.
Si Beren, depuis toutes ces années, avait trouvé la capacité à parler librement de celles qui avaient partagé son lit, il avait oublié que les gens à qui il s’adressait pouvaient avoir un cœur. Je fus soulagée, je crois, de voir qu’il ne prenait pas un malin plaisir à me torturer, mais qu’il étendait son super pouvoir de chieur manque de tac à toutes les personnes que nous croisions. Il était devenu ce qu’on appelle communément un « sans filtre », qu’on a très envie de baffer.

Mais Moi, Moi, c’était le dernier de ses filtres que je voulais voir tomber. Ce filtre qu’il s’évertuait à garder bien en place, comme une double armure en adamentium qui faisait le tour de son cœur et l’empêchait de formuler ce qu’il ressentait. Parfois l’armure semble se fissurer, quand l’émeraude se fait plus profond, moins voilé, et qu’il me dit qu’il m’aime. Il ne le murmure pas, il le dit. Il le formule à voix haute, mais je ne saurais pourquoi il sonne faux. Peut être que je suis compliquée, que je n’ai aucun raison de réfuter ce « je t’aime » haut et fort et de préférer à la place un « je t’aime » murmuré du bout des lèvres au creux de mon oreille.
Plus tard on dira qu’il agit comme un robot. Qu’il reproduit ce qu’il sait de l’Amour, et même si je sais qu’il m’aime, profondément, pour de vrai, il ne me semble pas agir de façon naturelle.
Oui, parfois il se fissure, et je me renferme, quand sa main vient se poser sur mon ventre comme pour me dire « que tout ira bien avec cet enfant », et que je suis incapable de lui assurer que « oui, bien sûr tout ira bien ». Mais chaque faille qu’il laisse apparaitre se referme rapidement, et ses lèvres, machinalement me disent combien je suis belle, combien il m’aime.

Certains dirons que je sur-interprète, peut être que je me trompe, simplement. Mais je le connais, je le connais bien plus que toutes les autres réunies, et je sais que sous cette manière de se foutre de tout, il y a un Beren qui bout. Il y a la colère et la tristesse, il y a un bout de lui qui meurt. Qui meurt un peu plus, chaque jour. Qui meurt de se cacher.

Il avait suffit qu’il ne propose une escapade loin de la ville pour que ça m’explose en pleine face, comme au réveil après un cauchemar. Moi, bouffée par mes craintes, explosais soudain face à lui Et si les mots furent violents, le verbe haut et les décibels décalqués, il n’en était pourtant ressorti que l’évidence. Ce que je craignais, moi, ce que je formulais à voix haute, n’était que le reflet de ses propres craintes. Et s’il avait perdu la parole, il n’avait pas perdu ses sentiments.
Et ce que je prenais pour des doutes n’étaient en fait que la peur de se rétamer à nouveau.

J’avais finalement compris, que ce n’était pas la vie qui était une chienne et que chacun de nos actes n’était que la résultante de nos choix. J’avais voulu cette seconde chance, tout comme Lui. Pourquoi alors continuer de ressasser un passé qui nous avait séparés ?

Nous en étions là dans nos réflexions ce soir là. Au milieu de nulle part avec simplement sa pine et mon couteau. Le printemps semblait enfin poser ses valises, et même si les nuits étaient encore fraîches, il suffisait qu’un rire éclate pour être réchauffés.
Et s’il s’était coupé en posant les collets, il fût hors de question qu’il aille se battre contre un lapin pris au piège, il servirait les verres, et je ramènerai le repas. Rien ne troublerait cette escapade synonyme de renaissance, ce passé qu’au présent nous parlions du futur.


Rien ne troublerait cette escapade, et sûrement pas cette première crampe qui ralentit mon retour.



* Citation d’Emile Zola.

_________________
Beren
J'ai changé, oui. Je crois. Deux ans ont passé depuis ton départ, ça fait 730 occasions environ, de maudire les réveils de ne pas sentir ton corps allongé près du mien. Après un sommeil de rêves où parfois, tu me revenais, la cruelle évidence de ton absence s'imposait à moi. D'abord à ma paume quand, yeux clos, je tâtonnais le drap sous lequel tu n'étais pas, ensuite à mon esprit qui reprenait conscience. Frappante. Comme un soufflet insolent à ma fierté d'homme. Chaque nuit, tu refaisais surface, tu te présentais au seuil de la porte que tu avais franchie naguère, sans un regard ; chaque matin, tu étais partie.

Tu commentais chacune de mes maladresses d'un rire moqueur. Je t'entendais soupirer pour un autre, sans visage, quand une femme me souriait, et tu devisais entre mes tempes quand d'aventure, je conversais. Ton corps exaltait ailleurs et moi, je ne dormais jamais seul. Ton absence s'imposait, jour après jour, à l'instar de ta présence invisible. Je sentais ton menton appuyé à mon épaule quand je les renvoyais, aux premières lueurs, des fois que tu me surprennes, en actionnant la poignée de cette chambre où elles soupiraient mon prénom, où je ne savais pas le leur.

Tu m'avais piétiné le cœur, tu me vrillais alors l'âme, sans le vouloir sûrement, sans même le savoir. J'ai pris en horreur le sourire des femmes, et leurs rires, aussi. J'ai maudit toutes les petites qui voulaient prendre soin de moi comme on recueille un oiseau à l'aile brisée, j'ai fui les malignes, les effrontées et les insoumises ; j'ai aimé les timides, les gentilles, les mamans, toutes celles que je trouvais dociles, sous mes coups de reins vengeurs. J'ai méprisé celles qui m'offraient leurs cœurs, offert ma reconnaissance tacite à celles qui ne m'abusaient pas, en ne me concédant que leurs corps. J'avais juré mourir à l'instant où l'envie me reprendrait de remettre ma tête dans la gueule du serpent, de me laisser encore crucifier le cœur pour un joli sourire ou parfum de leur fleur.*

Les femmes, Déa, elles étaient toutes un peu toi, et pas assez. Et quand elles l'étaient trop, qu'elles incarnaient parfaitement l'étendue de tes vices, alors je prenais un malin plaisir à les éliminer. Avidement, cruellement, sans aucune once de pitié. Pour t'étreindre et t'éteindre, te blesser et te vaincre, par procuration. J'étranglais des cous graciles, je tranchais des gorges aimables, je tonnais d'écume alors que je plongeais les lames, de chair et d'acier, au plus profond de leurs entrailles, jusqu'à savourer leur dernier soupir, ce léger hoquet qui dit que c'est la fin, et suspend le battement du cœur. Et toi, toi, Déa... la seconde d'après tu riais, tu riais et riais encore, en dedans de moi. Le chanvre n'aidait pas, malgré ma consommation croissante. L'alcool non plus, malgré mes démarches plus qu'hésitantes. Je titubais sans ta béquille.

Alors, j'ai décidé de t'annihiler. J'ai martelé des pierres des heures durant, pour ne plus t'entendre ricaner, pour ne plus t'imaginer gémir d'un autre, dans un mirage auditif qui n'avait rien d'une image salutaire. Je ne voulais plus penser à rien ; le marteau cognait au burin et peu à peu, je changeai.

Mon corps s'étoffa, camouflant sous une enveloppe musculeuse le faible d'avant, cette figure rachitique et osseuse qui s'était fissurée, avait craquelé et dépéri. Plus les lignes de mon corps s'affûtaient et plus je devenais cinglant. Chaque nouvelle once de moi attaquait et soumettait celles qui les avaient précédées. Je mettais au rebut celui que bientôt, je n'étais plus.

Alors, je t'ai oubliée. Pas totalement, bien sûr, je te revoyais chaque fois que je posais les yeux sur notre fils. Alexandre avait l'océan de tes yeux en héritage, mais jamais ne les ouvrait-il sur toi. Je lui ai offert des mères de substitution ; il tétait les mêmes seins que ceux que je laissais fondre sous ma langue, la nuit venue.

J'ai reconstruit ce que j'avais mal bâti, fort de mes écueils précédents. J'ai rénové ce vieux moulin qui me semblait avoir vécu des jours heureux avant qu'on l'abandonne et que le temps ne le gâche ; je voyais en lui cette image de moi que je voulais voir disparaître. Je m'oubliai, et lui témoignai l'intégralité de mes attentions ; je le rendis solide par le renfort de poutres soutenant sa carcasse. Je réparai son cœur avant de pouvoir faire battre au vent ses quatre ailes majestueuses. Et bientôt, le roulis tranquille de ces dernières berçaient les jours tranquilles d'un été brûlant. Vinrent les premières récoltes, le tapis violine du champ de lavande que j'avais égrainée moi-même ; j'avais laissé les roses blanches derrière moi et planté des tulipes. Mon Nez savourait ces saveurs olfactives, sans vouloir en faire rien. J'étais passé de rêveur parfumeur à travailleur de ses mains.

D'ailleurs, je sculptais, quand les rectangles de pierre de taille m'ennuyaient et me laissaient du temps. La nuit, je profitais de la fraîcheur recouvrée et du sommeil enfantin pour me rendre à mon atelier, et laisser libre court à une folie créatrice qui m'animait sans que je le réalise. J'ai rencontré Lysianne, adopté sa famille, voyagé avec des bohémiens et même incarné des personnages dans des pièces de théâtre itinérantes. J'ai adoré Oxan et sa jeunesse innocente, ses sourcils froncés et ses élans frondeurs ; je lui ai offert une fronde pour qu'elle rende les coups moraux qu'un imbécile ou un autre lui donnait. Puis j'ai recroisé Sianne, et y suis retourné. J'ai retrouvé ma fille et ses yeux comme les miens ; j'ai enfanté d'autres enfants, dont une à vécu quand les autres ont terrassé leur mère dans une grossesse insoupçonnée. Ca aurait pu s'arrêter là, ailleurs recommencer mais entre temps, tu étais revenue.

Dans une auberge perdue hors du temps et de l'espace, où je t'avais donné rendez-vous pour tenter de sceller sur le papier l'absence de ton existence. Je n'avais pas imaginé que tu puisses me toucher, que je réfute ce pourquoi j'étais venu, moi, et t'avais pardonné. Puis tu étais partie, tu étais retournée chez toi et moi chez moi, et mon cœur était déchargé de haine, et plein de souvenirs, dont, étonnamment, la plupart étaient bons. On m'avait toujours dit que c'était ça, la fin d'une histoire ; ne se rappeler que des choses agréables, sans rancoeur, sans amertume. J'ai pris la nostalgie des jours suivants pour ce que je pensais être une libération, avant que l'idée de te revoir ne s'imprègne à mon esprit.

Devrais-je confesser qu'au creux d'autres bras, c'est toi que j'imaginais, alors ? Qu'à sa peau, j'ai senti la tienne, qu'à ses soupirs, j'ai voulu les tiens ? Que sous mes paupières, à l'abandon, je voyais ton visage ; que ces enfants qu'elle a portés, en pensée, c'est à toi que je les ai plantés ? Qu'à la rondeur de ton ventre portant la moitié de la vie d'un autre, je n'ai pas osé poser la main, pour ne pas l'aimer pour deux, quand tu lui refusais ta tendresse ? Que ma frustration a rendu mes mots plus colériques qu'à l'ordinaire, et m'a sorti d'une léthargie que j'avais imaginée être mon caractère. Là où tout et tous, avant, m'indifféraient ; chacun des moments que je vivais me criait à quel point tu n'en faisais pas partie et ces gens que je croisais m'agaçaient de n'être pas toi. J'ai passé plus de temps avec Alexandre, en cherchant à toujours croiser son regard – j'ai même guetté chacun de ses réveils pour me plonger dans la mer acier de ses yeux. De tes yeux.

La mort de Sianne et celle de ton mariage ont ressuscité notre couple, en mieux. Tu ne casses plus de vaisselle et tu parles quand ça ne va pas ; j'envoie valser des choppes et je ne dis rien, quand l'ire me prend.

Comme ce soir où sous un tapis d'étoiles étincelant à un ciel bleu nuit superbe, le fracas de ta main contre ma joue a retenti. Puis celui de nos corps, qui savent si bien réparer ce que les mots ont heurté, de ces baisers à réchauffer la froideur glaciale d'un silence rancunier, au pèle-mêle de nos souffles qui s'apaisent de se hâter. L'amour et la colère sont intimement liés, à l'instar de la tendresse, mais la tendresse n'a pas fonctionné, la première fois, alors allons-y pour la haine. De ta façon d'insister pour que je formule ce que je retiens. De l'injustice de tes accusations quand tu veux me tirer les vers du nez. De la manière dont tu doutes de toi et refuses de te révéler. De l'image lisse sous laquelle tu imagines te cacher, quand je sais toutes tes failles, d'en avoir été une. De ton ton calme et posé, quand j'ai envie de te gifler, ce que je ferai, sans le savoir déjà, dans quelques jours. De tes provocations pour me faire hurler quand je refuse de parler. De celui dont tu portes encore l'enfant, et dont tu trimbales un bout qui n'a rien demandé et que je ne hais pas, lui. Du temps passé loin de toi et du courroux dont je ne me déleste pas.

De l'absence de confiance que je te porte, quand je sais qu'un jour, tu repartiras. De moi-même, de savoir déjà que tu le feras et de me laisser revivre ça.

Il me faudra d'autres pierres de taille, d'autres moulins, d'autres lavandes. Il me faudra d'autres corps à malmener pour consoler ce muscle imbécile qui s'échine à battre pour toi. Ca, je le sais déjà.

Et ce que je sais aussi, pour en avoir eu des tas, c'est le signe caractéristique que l'enfant étend ses bras pour venir au monde, au dedans de toi, vers qui je me tourne, regard ferme et voix claire:


- C'est l'heure. N'est-ce pas?


* Allusion à Damien Saez, Putains vous m'aurez plus

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Andrea_
Il y a dans les naissances, une sorte d’instinct qui prend le dessus. Un sentiment primitif, quasi animal, qui vous prend aux tripes avant même que votre cerveau n’accepte l’évidence. Vous savez qu’il est l’heure de donner la vie, et ce dès la première fois qu’une crampe vous assaille. Vous savez, à sa manière de crisper vos reins, de tendre votre peau, que « c’est l’heure ». Il n’est pas possible de se tromper, et nul ne parle d’intensité, ou de douleur. Il est vraiment très délicat de tenter de l’expliquer. Le souffle se coupe, la peau se tend, et on sait.

Et cet instinct est encore plus profond qu’on ne peut l’imaginer, car certains disent que la femme, avant que son absence de menstrues ne lui confirme, sait, au plus profond d’elle-même, qu’elle porte la vie. Qu’il chante à leurs oreilles comme une douce musique quelques heures à peine après la fécondation.



Mais on ne peut pas dire que La Colombe soit de celles là, elle qui n’avait ouvert les yeux sur son état bien plus tard, bien trop tard.
Le père de cet enfant le lui avait pourtant assuré au matin de Noël : il n’avait aucun doute, l’héritier était en route.
Elle s’était enfoncée dans ce déni, refusant qu’un médicastre ne s’aventure entre ses cuisses pour mettre un mot sur ces maux. Chaque petit détail, parfois anodin, qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille était gentiment poussé d’un revers de main, et renvoyé loin, avec une explication bien ficelée. Elle prenait du poids, puisqu’elle crevait la dalle. Elle était nauséeuse, puisqu’elle mangeait trop. Elle était irritable, puisqu’ils lui faisaient remarquer qu’elle prenait du poids. Tant et si bien que plus personne n’osait parler de cet enfant qui pointerait son nez à la fin du prochain été, si Déos le voulait bien.
Les premières semaines, c’était simplement inconcevable, elle n’était pas prête, son corps ne pouvait pas la trahir, alors elle n’était pas grosse. Il y a d’abord cette poitrine qu’il faut serrer plus fort dans le corset, et bientôt le bustier pour aplatir ce ventre qui pointe dangereusement. Serrer, serrer encore, jusqu’à ce que les lacets ne lui coupent le souffle. Mais ça n’avait pas suffit à mettre fin à la dénégation. Encore aujourd’hui elle ne saurait expliquer pourquoi elle n’avait jamais vraiment assumé cette grossesse. Puis le couple avait pris l’eau et il était alors impensable de donner vie à un bâtard. Mais la Chiasse est une autruche, alors vaille que vaille, le petit habitant s’était fait discret, et fût presqu’oublié. Personne ne braille dans un berceau alors… un bébé ? Quel bébé ?


L’esprit est occupé ailleurs, lui, il est déjà loin, lové dans les bras d’un barbu Toulousain exilé en Savoie. C’est d’ailleurs sur la route que l’enfant se manifeste la première fois, exterminant ses derniers doutes. Une petite vague sous la main endormie, puis une seconde, jusqu’à ce que la main soit retirée. Personne avec qui partager ce moment, seulement le regard de Nicolas, un regard entendu, qui sait ce qu’il s’est passé mais qui n’en dira rien, sinon qu’il est inquiet, plus que jamais. Le soutien indéfectible d’un enfant envers sa mère, et toujours la même peur de se perdre l’un et l’autre, voilà ce qui la tiendra entière jusqu’à Beren.


L’ironie du sort veut que ça soit grâce à Sianne –la fiancée du barbu-, que j’apprenne qu’il était trop tard, pour faire disparaitre ce « détail ». Que cela fait plusieurs semaines déjà, qu’il n’est plus question de jouer avec des aiguilles à tricoter ou faire appel à une faiseuse d’ange, à moins de risquer ma vie à un ratio bien trop élevé pour tenter le coup. Mais Moi, ma vie, j’ai prévu de la passer avec un autre, alors non je ne tenterai pas le Diable. Il était trop tard, c’était un enfant, blablabla, Sianne était déjà chiante, mais à dire des paroles contraires à ce que je voulais entendre, elle était imbuvable. C’est Elle, encore, qui m’ouvre les yeux sur ce qui m’attend. Ce qui est étrange, quand on y repense c’est qu’elle fût la première à évoquer la douleur d’élever un enfant qui n’est pas le sien, ou d’élever son enfant, sans son autre parent. Très étrange oui, quand on sait qu’elle a élevé mon fils, d’autant plus qu’avec le recul, elle portait la vie à cet instant.

La vie m’avait « fait un cadeau », le plus beau des cadeaux pour beaucoup, et je n’avais pas d’autres choix que de continuer à vivre.

Il avait alors fallu « faire avec ». Ni plus ni moins. Accepter que le corps change et adapter ses tenues en conséquence. Accepter, parfois, de donner vie à cet enfant, en parlant des nuits blanches qui nous attendaient. Accepter, soulagée, que Beren veuille être reconnu comme le père du marmot, pour faciliter la vie de tout le monde en évitant les bruits de couloir. L’un serait brun et l’autre blond, et alors ? Être père ce n’est pas baiser une femme pour en faire une mère, c’est être à ses côtés pour le voir grandir, l’élever, et l’aimer. En soi, j’en étais certaine, Beren serait un père merveilleux pour ce gosse, comme il l’a été pour les autres.



L’enfant. Il n’a jamais été nommé autrement. Je voyais dans les yeux de Beren le désarroi qu’il pouvait ressentir, lorsque j’esquivais les discussions sur ce petit être pour qui je n’avais aucune tendresse, et quand sa main parfois tentait de s’approcher de mon nombril. Cet enfant, pour moi, et nous en discuterions plus tard, n’était que la preuve que j’avais un jour aimé un autre homme que Lui. Que je l’avais aimé si fort que pour son plaisir, j’avais porté la vie. C’était la preuve, et la peine que j’aurais, chaque fois que mon regard croisera celui de ce môme, si par malheur il ressemblait à son père. Et Beren ne pouvait pas nier ce fait, lui qui l’avait vécu avec Hartasn. Je m’accrochais à l’espoir qu’avec lui naisse mon Amour à son égard, mais plus encore, avec l’idée de me réveiller un beau matin en ayant rêvé cette grossesse.
Imaginer Beren bercer cet enfant était inconcevable pour moi, tant il devait être douloureux de voir chaque jour le fruit d’un amour passé se trimbaler sous vos yeux.

Alors voilà, nous avons « fait avec ». Nous avons continué de nous retrouver, et passé des nuits dans les bras l’un de l’autre. Nous avons appris à nous connaitre, à nous reconnaitre. A nous pardonner aussi. A nous aimer, surtout. Différemment de la première fois mais pas moins fort.
Et cet enfant, ce soir encore, était un obstacle. Un caillou de plus dans ma godasse. Une épreuve de plus que j’infligeais à Beren, sans qu’il ne demande rien.



Ce n’était pas l’heure, et c’est que je t’aurais répondu, Beren, si mon esprit avait été capable de se détacher des signes que mon corps envoyait. Ce n’était pas l’heure, c’était bien trop tôt, si l’enfant avait été conçu pour Noël ou juste avant. Non, ce n’était pas l’heure et pourtant, la nature décidait que ça l’était.
Pas trop longtemps cependant, pour que je puisse reprendre mon joli costume d’autruche, continuant d’avancer vers Toi et levant, victorieuse, un lapin.


– De dîner ? Assurément !

Et vois comme je me plais dans mon costume, alors que je me pose non loin de toi, mes lèvres volant les tiennes d’un baiser. Un baiser, quelques éclats de rire, des regards entendus, et encore un peu de temps volé au temps. Le lapin déjà fait moins le malin au dessus du feu que tintent encore nos verres. A ce repas. A ce moment à deux. A cette deuxième chance que l’on s’offre.
Mon teint parfois devient blafard, les mots restent en suspens, puis la soirée reprend son cours, pour quelques minutes.
Alors ma main de plus en plus moite se pose sur ta cuisse, l’acier suspendu à tes yeux cherchant quelques mots réconfortants, histoire de redonner quelques plumes à mon costume. Peut être déjà sais tu ce qui se trame en moi, qu’à force d’être devenu père, tu as, toi aussi, cet instinct de savoir. Tu fais merveilleusement semblant, l’esprit occupé, ou préoccupé, ne laissant pas tes lèvres te trahir.

Tu me connais, tu me sais.
Ne me brusque pas, pas maintenant. Laisse moi encore dans ma bulle.


Je mentirais si je disais que j’avais pris soin de rester discrète sur les douleurs que je ressentais. J’avais simplement pris mon mal en patience et serré les dents. J’avais compris il y a plusieurs heures déjà, ce qui se passait, tout comme toi, je le voyais dans tes yeux maintenant qu’il faisait noir.
Oui, je savais, tout comme toi, qui à ma suite t’étais levé, ce qui m’avait arraché un éclat de rire.


J’vais juste pisser Chaton !


Tu avais ri aussi. Et avant que je ne disparaisse derrière quelques arbres, tu m’avais lancé ce regard, dont je me demande souvent ce qu’il veut dire.
C’est à ce regard que je m’accroche, à tes grands yeux verts et même à ses rides de sagesse, lorsque les bras tendus contre un arbre j’attends que cette contraction passe. Je n’ai aucune idée du temps écoulé depuis que je t’ai abandonné, déjà je perds un ongle dans l’écorce et résiste encore à l’idée de t’appeler. Un coup d’œil à ma botte m’arrache un « putain », son cuir s’imbibe de carmin, et je l’avoue, mes jambes en tremblent. Je repousse la peur, et l’idée de crever ici pour me préparer au prochain assaut.

J’attends. De trouver le courage nécessaire pour crier ton nom. Et vois comme c’est difficile, pour moi, de te demander de l’aide quand je t’ai tant fait souffrir. Qu’il est dur, pour moi, de montrer mes faiblesses alors même que je veux te montrer le meilleur de Moi. Qu’il me semble si injuste de te demander de m’aider, maintenant que je dois enfanter, quand je t’ai abandonné après avoir donné naissance à notre fils.
Un gémissement s’échappe, assez fort pour détonner avec le calme d’une forêt mais je l’espère, pas trop pour que tu l’aies entendu.
Je marche, un peu, en massant soigneusement ces reins qui me font souffrir avant d’inlassablement revenir à ce chêne qui ne sait pas encore que dans quelques heures, c’est à ses pieds que viendra au monde un nouvel être. Je ne suis plus qu’une boule de douleur qui crève de trouille. Bien trop fière pour demander de l’aide. Bien trop pudique pour que tu vois ce qu’un autre a planté là déchirer mon antre. Un revers de main écarte quelques mèches que la fièvre a collées sur son front. L’esprit s’envole un instant, espérant que tout s’arrêtera si elle n’y pense pas, en vain.

De nouveau le ventre se tend, jusqu’à tomber à genoux et dans un sanglot, étouffé à l’écorce, j’avais trouvé la force de faire éclore un



Je… J’vais pas prendre de dessert…


L’instinct n’est pas toujours ce qu’il parait, preuve en est, elle pense encore s’en sortir seule.
_________________
Beren
[Elle rentrera blessée
Dans les parfums d'un autre
Tu t'entendras hurler
« Que les diables l'emportent ! »
Elle voudra que tu pardonnes
Et tu pardonneras
C'est écrit...*]




Elle était rentrée blessée de la rondeur qu'un autre avait plantée au creux de son ventre. Pas exactement son ventre, bien sûr, mais enfin, la pudeur a cela de bon qu'elle loge les pensées, et les enfançons, un peu plus haut qu'ils devraient l'être, pour soulager l'âme de celui qui, meurtri, constate ce que la vie a germé, et non de lui.

Sa grossesse lui avait sauté aux yeux, et au cœur, quand, en apparence tranquille, il l'avait accueillie après quelques lettres échangées. A sa déroute évidente, il lui avait dit de le rejoindre, de « passer à Annecy », comme on invite un vieil ami pour l'apéro, en sachant qu'il y a quatre-vingt dix pour cent de chances que ce « un de ces jours » se mue en « jamais, en fait ». Mais elle était venue ; son fils aîné sur les talons et son nombril occupé à couver un enfant que la main ne se perdait pas à cajoler, par-delà la peau. Jamais. Pas une fois ne l'avait-il vue porter la main au berceau de chair, pas davantage qu'elle n'avait parlé de l'enfant, ou de son avenir. Elle avait l'air songeuse, et lui semblait revivre, comme si elle avait rouvert les rideaux et soulevé les draps des meubles d'une maison d'été quittée il y avait de cela deux ans. En un rien, elle avait épousseté son cœur, balayé l'absence d'une assise au fauteuil. Quelques bribes de souvenirs évoqués, quelques fou-rires et sourires entendus, et c'était comme si elle n'était jamais partie. A les voir ainsi, on aurait pu jurer qu'elle était partie la veille, fors les divers arrondis de son corps ; l'opulente poitrine et la lune pas encore pleine de son ventre se chargeaient de rappeler pourtant d'un regard, qu'elle avait vécu d'autres choses, en d'autres bras, tout ce temps là.

Dire que Beren était resté sage pendant deux ans aurait été incorrect, voire déplacé. Il avait aimé, des reins et un peu du cœur, par çi, par là ; celles qui avaient eu l'obole d'une inclinaison du cœur se reconnaîtraient, si elles savaient qu'elles sont toujours l'objet ou le destinataire de ses rares courriers. Il avait usé des vices jusqu'à ce que la corde de son corps s'élime, avait brûlé sous d'autres feux de stupre, avait passé nombre de nuits blanches au soleil de chutes de reins creusées et bientôt meurtries d'un instinct punitif primaire. Il s'était essouflé sous les mots d'amour, sourcils froncés et bassin implacable de les réfuter ; s'était échiné à déchirer, tendre, malmener ; avait soupiré plus souvent qu'à son aise en retombant, éreinté, à la couche de l'une ou l'autre, le temps de reprendre son souffle. Très rarement s'était-il attardé plus que de raison, préférant bien souvent, après un rapide baiser en guise d'adieu, enfiler ses braies pour rejoindre ses appartements, ou la chambre qu'il avait louée et qu'il quitterait au lendemain, pour aller voir ailleurs s'il y était. Et il n'y était jamais, du reste ; savait-il seulement où celui qu'il était était resté ? Le cherchait-il, d'ailleurs, ou le fuyait-il, cet imbécile là qu'il ne voulait plus être ? Au grand désespoir de Constant, qui, quand il n'y tenait plus de voir son ami et maître dans cet état, lui fournissait de quoi passer sa rage, il avait enchaîné les épisodes féminins sans lendemains, et était tombé toujours plus bas dans la quête du non soi.

Depuis le retour d'Andréa, il perdait souvent le cours de ses pensées, songeait à ce qu'ils avaient été, à ce qu'ils pourraient bien devenir. La question primordiale était de savoir si ça marcherait, au final, s'ils pourraient tous deux se relever de s'être traînés dans la boue, si l'ego baffoué de l'un ne chercherait pas à blesser celui, vacillant, de l'autre ? Si se blesser ne serait pas la seule résultante de ce rapprochement inattendu ? Il avait délaissé Sianne sans aucun remords sinon celui d'avoir laissé filer Andréa entre ses doigts à Annecy, était parti combattre et s'était montré odieux avec tous d'arriver après ce qui s'était avéré être les derniers affrontements d'un conflit dont il ne savait pas même de quoi il était issu, et s'en moquait. Tout ce qu'il voulait, c'était passer sa rage, sa colère et sa frustration ; et s'il n'avait pas voulu jurer qu'il y survivrait, c'est tout simplement parce qu'il ne savait plus s'il était vivant ou mort. Et ce qui avait péri, c'était Sianne, ce mariage qu'il ne voulait plus, et les enfants qu'elle portait sans le lui avoir dit. Jamais ne saura-t-il si elle avait connaissance de cette grossesse ou si la mort l'avait surprise en même temps que le sang qui s'était écoulé, épais de la mort d'enfants pas encore vivants, entre ses cuisses diaphanes. Il n'y pensait pas fréquemment ; si ce n'est que cela participait à la certitude qu'il engendrait la mort aussi souvent que la vie, voire davantage, au creux des femmes qu'il visitait.

Il avait, avec le temps, inscrit comme probabilité non négligeable, celle de la mort en couche, celle des petits ou bien de leurs mères, et si quand il était jeune, savoir sa compagne enceinte le ravissait, cette perspective, dorénavant, l'inquiétait. Si on lui avait donné le choix, sans doute aurait-il décidé de ne plus engendrer, de rendre stérile l'abandon qui s'échappait de lui pour se loger sûrement aux corps des femmes. Et l'angoisse, silencieuse, tendue, lui nimbait les épaules et croissait aussi sûrement que le bombé du ventre d'Andréa. En réchapperait-elle ? Et l'enfant ? Bien sûr, ce gamin n'était pas le sien, mais qu'y pouvait-il ? Lui avait tellement d'enfants, de tant de femmes différentes ; elle avait sous les yeux quasiment l'intégralité des amantes ou compagnes qui avaient compté, il lui suffisait de regarder la progénitude du Fiole pour s'en faire une idée. Ne manquaient que certains, auxquels il pensait quotidiennement, et qui sommeillaient pour toujours sous la couverture terreuse et froide d'une pierre tombale fleurie, si ce n'est dans les faits, au moins en tendresse. Alors non, cet enfant, il ne le maudit pas, il ne fait rien peser sur ses épaules encore frêles. Il ne porte aucune tare, aucun héritage à ses yeux ; c'est presque une seconde chance, après le fiasco de la naissance d'Alexandre. Presqu'un « on prend les mêmes et on recommence », sauf que cette fois, le mari laissé, ce n'est pas lui mais un autre. Il y a eu deux ans, il a eu l'enfant mais pas la mère ; si elle était revenue l'estomac lesté d'un enfant, il fallait bien faire avec, voir le positif de l'affaire. Il serait père une fois de plus, et voilà tout.

Le « c'est l'heure » qu'il a prononcé, d'une voix ferme et grave un peu plus tôt, lui tourne dans la tête, en boucle, comme il vide le lapin brandi. Elle est dans le déni, et lui n'ose pas insister. Alors le pain est déshabillé, vidé, assaisonné et mis à cuire. Tourner la broche a cela de positif qu'il n'a pas à la regarder, que ses yeux et la lueur inquiète qui y brille ne peuvent le trahir. Elle parle, il entend sans percevoir ; on ne peut pas dire qu'il écoute alors que ses oreilles bourdonnent sous des pensées macabres. Il pense à tout ce qui va poser problème : le manque d'eau et d'hygiène, l'isolement en pleine campagne, la douleur aussi, à laquelle il sait qu'il ne pourra rien sinon tenter de l'oblitérer, pour lui, pour elle. Il a été père suffisamment de fois pour savoir qu'il ne décidera de rien et qu'il doit admettre sa petitesse sous l'expertise de la nature ; c'est évidemment plus facile à formuler là que lorsqu'il devra assister son corps tendu et tordu de douleur, parfaitement impuissant, tout à l'heure. Ce combat qui s'approche, il faudra le gérer avec patience, comme des défenseurs emmurés subissant un siège et ses vagues d'assaut successives. Maîtriser le souffle, les crispations et l'endurance que la naissance suppose, et les premières contractions qui la font déjà blêmir sans qu'il n'en dise rien. Son regard part souvent en coin pour la surveiller, alors qu'il tente de la distraire, jusqu'à ce qu'il la sente crispée et se taise, le temps que l'orage passe. Puis les conversations reprennent, à l'instar du duo qu'ils forment pour l'instant, en attendant l'arrivée du troisième.

Il attend que le monde tremble et ouvre une faille suffisamment grande pour que le petit naisse. Il se tait de ce qu'elle ne dit rien mais il la sent souffrir, à la manière dont sa main parfois enserre sa cuisse, à la façon dont ses doigts se scellent aux siens. Elle se lève ; il bondit. Ils rient. Pas encore. Soit. Pas encore. Elle s'éloigne et il passe la main sur son front, où perle la sueur qu'il a si souvent perdue à son corps, dans l'étreinte. Et il profite de son absence pour débarrasser le feu de la broche vide, et le remplacer par un large chaudron d'eau mise à bouillir. Il patiente un temps, range un peu le camp, fait de l'espace pour faire le vide. Il fait partie de ceux qui gèrent un problème par le ménage, comme si ordonner les choses arrangeait ses pensées. Il classe, il plie, il range ; il prépare, installe, arrange.

C'est là qu'il réalise qu'elle s'est éloignée depuis un moment déjà, et qu'il tique à cette idée.

Elle geint.

Il est persuadé de l'avoir entendue, dans le silence quasi complet d'une forêt où les animaux diurnes sont assoupis et les nocturnes, pas encore levés. Entre chien et loup, dit-on ; entre vie et mort, aussi. Il ferme les yeux, déglutit. Le moment approche, et l'angoisse grimpe d'un cran. Les doigts se sont pliés pour former le poing, peut-être une once de force quand il lui semble que ses jambes le portent à peine et soudain, il se reprend. L'instinct prend le dessus, la résignation, aussi.

Il s'en va en direction du gémissement qui, s'il était bas, lui a semblé un hurlement dans une flugurance à son esprit. Elle est là, au sol, à genoux, dans l'humilité et la petitesse que l'humain devrait avoir au milieu de cette nature bien plus tranquille que les torpeurs ne dérangent pas. Si l'image est saisissante, il prend néanmoins sur lui de rester calme, voire, d'appesantir encore davantage ses gestes pour ne pas être brusque. Comme on s'approche d'un oiseau à l'aile cassée ou d'un félin à la patte prise dans un piège, il se meut avec lenteur, et parle d'une voix douce, alors que sa main se pose à l'avant-bras féminin. Il s'assied, passe son bras autour d'elle pour la réconforter, protecteur. Et la voix, soudain, d'assurer:


- Ca va aller.

Il sait qu'elle attend ces mots là depuis qu'ils se sont remis ensemble, qu'elle veut les entendre formulés par la bouche du Parfumeur, et c'est à ce moment là qu'ils sortent. Forts. Clairs. Formels. Assurés.

Tu es revenue, Déa, tu as fait ce geste là, et pourtant, c'est lui qui a franchi les derniers pas., pour te rejoindre alors que la vie elle-même t'a fait ployer.


- Je suis là.


*Cabrel, C'est écrit.

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Andrea_
Ça va aller, trois mots. Trois petits mots que j’attends depuis mon retour. J’ai tant de fois supplié pour qu’ils franchissent tes lèvres, que j’aurais aimé que tu les répètes en boucle. Qu’il n’y ai plus que tes yeux dans les miens, ta main sur mon bras, et ce « ça va aller », que tu conjuguerais par delà les temps.
Tu as souvent hanté mes nuits, après mon départ. Je ne te l’ai pas dit. Jamais. Pourtant alors que l’enfant semble étendre ses bras vers un monde qu’il ne connait pas encore, j’ai tant de choses à te dire Beren. Des choses que je n’aimerais pas garder, si la vie venait à me faucher. Alors que ma joue mouillée de sel se pose contre ta main pour en cueillir toute la douceur dont tu émanes, j’aimerais que tu saches, oui, que là où tu as martelé des pierres, sculpté la roche autant que tes muscles, là où tu as perdu ton cœur et un peu la raison, moi, je gagnais du sommeil. Et si j’ai souvent gardé les yeux ouverts et les cuisses écartées, c’était pour occuper autant mon corps que mon esprit. Il serait facile, et même risible, d’annihiler tout ce que l’on a vécu maintenant que l’on s’est retrouvé. De réduire à néant celles et ceux qui ont fait battre nos cœurs ou cogner le sang à nos tempes. De renier celles qui t’ont trempé de gloire et ceux qui m’ont souillé d’un soir. Pourtant, et ce fût longtemps mon fardeau, je dormais pour oublier de t’oublier, pour avoir encore un peu de ce que j’avais quitté. Chaque réveil n’en était que plus douloureux, et c’est à ce moment là, que j’ai commencé à lacérer ma peau.
La première fois n’était pas de mon fait, c’était comme un signe que le destin avait laissé à ma peau, une cicatrice, comme un enfant, que j’aurais chaque jour devant les yeux. Alexandre n’a jamais guéri, alors tu ne peux comprendre ce que je ressentais, moi, quand cette gravure semblait disparaitre. Quand les chairs repoussaient pour laisser peau neuve, guérissant vite, toujours plus vite, quand ma peine ne faisait que revenir en boucle. Ce qui au début n’était qu’un ongle grattant la peau fragile, pour gagner du temps, devint rapidement un rituel. Un besoin. Une rayure, fait d’arme, de larmes, de sang et sanglots*. Un putain de rappel de ce que j’avais fait, preuve s’il en est, que si ta souffrance était réelle, la mienne existait. Juste là, sous les bandes de cuir à mes poignets.

J’ai tant de choses à te dire, Beren, des choses qui me semblaient bien futiles, avant et qui soudain revêtent une importance vitale. Mais la vérité, au fond, c’est que j’ai peur de crever.
Je n’ai pas peur de mourir ici, avec toi pour seule compagnie, je dirais même que c’est la seule chose qui apaise mes maux, te savoir, tout près, juste là. Rien n’est plus doux, que de se savoir aimer, quand la vie semble vous jouer un mauvais tour. Aucune pensée morbide concernant nos enfants, j’aurais donné cher pour les éloigner s’ils avaient été là.
J’ai juste peur de crever, et je hais d’autant plus cet enfant pour les pensées qu’il induit en moi. La vie s’est déjà tellement joué de Toi, et je me suis souvent jouée d’Elle, que je ne peux penser à autre chose.


S’il faut choisir Beren, tu.. t’souviens hein ?

Souviens-toi, alors que de nouveaux jurons franchissent mes lèvres, des chuchotis insolents pour les absents, des supplications pour le présent, des incertitudes pour demain.
Souviens-toi de ces paroles que je n’aurais jamais prononcé pour Alexandre, ni pour aucun de mes autres enfants. Que si l’un de nous devait périr, qu’il soit Lui. Je te connais, je te sais suffisamment pour savoir le poids que tu donnes à une vie. L’importance que revêt la vie d’un petit être, quand bien même il n’est pas tien. Je ne sais pas encore, d’ailleurs, tous les sacrifices auxquels tu auras fait face, mais de ton histoire je n’ai retenu que les trahisons de femmes ayant partagé ton lit, et un peu ta vie. Des choix que tu as du faire, pour vivre auprès de ceux que tu as engendré. De celles dont tu ne parles jamais, mais qui, comme Magdalena, en voulant donner la vie ont gagné la mort, ou de ceux qui les ont fait grossir sans voir le jour. Et ceux pour qui tu as sacrifié un bout de ta vie pour qu’ils vivent la leur. Alors je te supplie, Beren, de ne pas oublier ce que tu m’as promis, et que maintenant que le moment approche où deux paires d’yeux vont s’ouvrir sur le monde, je t’en prie Beren, n’oublies pas qu’ils ne sont pas les tiens. N’oublies pas, que je n’ai pas fini de te rendre heureux, que je vaux bien plus que cette vie là. Et que tu me pardonnes d’avoir eu un jour ce genre de pensées.
Que la mort me fauche en donnant le jour à un enfant de l’amour, que mon dernier souvenir soit mon enfant dans les bras de son père aurait été une épreuve, mais un apaisement. Imaginer que cet enfant là me survive et qu’il soit élevé par Beren me remplissait de rage.



J’oscille cependant. Déjà indécise de naissance, je ne suis en cet instant que le reflet en accéléré de mon caractère. Cherchant ta main autant que je la fuis, me redressant, avant qu’une nouvelle fois la vie à venir ne se rappelle à moi et fasse ployer mes jambes. L’envie d’être là, près de toi, et complètement ailleurs. L’envie de voir cet enfant quitter mon corps et refuser de croiser son regard.
Lui, il avait dans ses gestes la quiétude insolente des gens qui savent. Qui ont déjà donné la vie, si ce n’est par leur corps au moins par leur cœur. J’ai souvent jalousé cette partie de là de ta vie, imaginé tes gestes tendres envers d’autres, car je sais, moi aussi, cette bouffée d’amour qui lie un père et une mère lorsque la première fois ces deux paires d’yeux se posent sur l’enfançon. J’ai imaginé ta main dans leurs cheveux, tes lèvres sur leur front. J’ai imaginé la fierté de ton regard et la douceur des mots que tu pouvais fondre à leurs oreilles.

Y a dans tes gestes une certaine sagesse, et ce regard que tu me refusais. J’ai cru plusieurs heures durant que tu avais honte, que peut être, cet instant marquerait un tournant de notre couple, qu’il ferait tomber les dernières barrières que l’on tentait de garder debout. Qu’à trop avoir enterré le problème aujourd’hui il nous éclatait à la gueule. Qu’on était parti à deux et qu’on reviendrait à deux plus un, au lieu d’être trois.
Et puis, tu as répété, que « ça va aller », et tu sais toi, combien j’attendais ces mots, et combien la force que tu mets à les formuler les rend vibrants de vérité. Alors, ça ira forcément.

Depuis la nuit des temps, des femmes mettent au monde des enfants. Quand la vie a bien voulu leur faire ce cadeau, ou quand elle était trop joueuse pour les en priver. Depuis la nuit des temps, le corps comble d’instinct les lacunes laissées par la douleur. Quand le souffle se perd, puis se retrouve. Quand le corps s’accroupi et se relève, que la chemise semble de trop, que la robe parait trop lourde. Quand les derniers remparts de la pudeur tombent, et qu’Eve n’est plus qu’un animal, muant ses soupirs en gémissements, suivant un cercle imaginaire.
Et le temps passe.
La souffrance semble ne pas faiblir, contrairement à Elle. Bientôt ses gestes seront moins maitrisés, ses mots moins virulents. Le dos s’abandonnera contre l’écorce dans un long soupir. Les cernes sous ses yeux ne feront qu’accentuer le teint cadavérique qui s’est emparé de son visage, grignotant jusqu’à sa fossette en effaçant ses lèvres.


T’avais dit que ça allait aller... Regarde moi…


Tu me refuses tes grands yeux verts depuis la veille, mais vois tu, il serait temps de les laisser parler pour toi.

Depuis la nuit des temps, les femmes mettent des enfants au monde, mais le jour semble vouloir pointer son nez que l’enfant s’y refuse.



* Face à la mer, Calogéro


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Beren
Le silence est le tombeau des mots et il semble dresser un rideau opaque entre eux, un moment. Pense-t-elle à ce que l'enfant signifie, à ce qu'elle imagine qu'il signifie pour lui ?
Jamais n'y a-t-elle fait allusion, peut-être dans l'angoisse qu'en parler lui donnerait réalité, ou bien que la mention fasse naître une nouvelle dispute dans ce couple à la reprise difficile, souvent entrecoupée de querelles pour un rien, ou pour tout. Toujours est-il qu'elle a une pudeur conjugale au sujet de sa maternité, et que lui peine à en parler, aussi.

Il trimballe une dizaine d'enfants de plusieurs mères différentes. Il n'a pas toujours été là au moment de la délivrance, il n'a pas toujours assumé les grossesses, par peur de cette malédiction qu'il est sûr de porter sur lui. Nombre de ses enfants ont péri, en couche ou peu après ; Sianne est morte de l'avoir aimé, Christian repose à Pettinengo... Quand elles donnent la vie, il sème la mort. Il ne s'y est pas fait, évidemment, comment pourrait-on se résigner à ce qu'un « tiens » vale deux « tu l'auras » ?

Alexandre et Amalia, par leurs naissances si proches, témoignent dans la quasi gémellité de son instabilité émotionnelle crasse. Margaux, quand elle babille ou qu'elle ouvre les grands yeux de sa mère vers Andréa, signe la réalité de ce qu'a été la vie de Beren pendant deux ans. D'autres femmes, d'autres maîtresses, d'autres enfants. C'est sans doute pour cela que le Fiole ne perd pas la main à son ventre, qu'il ne lui parle pas de l'enfant et prétend presque, comme elle, qu'il n'est pas là, qu'il ne se trouve pas sous le giron maternel.

Peut-être par respect, en quelque sorte, pour ce qu'elle a aussi vécu, loin de lui. Pour l'histoire qu'elle a vécu avec un autre, celui qu'elle a suffisamment aimé pour lui faire un enfant ; c'est comme ça qu'elle prouve son amour, Déa : elle lui donne un goût d'éternité, sous les traits d'un petit.


- S’il faut choisir Beren, tu.. t’souviens hein ? 

Elle rompt le silence, dans une question à demie dévoilée, qui fait sens pour lui. Sa main quitte son épaule pour se poser sur le côté de la tête féminine, et l'attirer doucement vers lui comme il embrasse sa chevelure, dans un instinct de protection. Ce qu'elle veut, il le sait ; ils se savent suffisamment tous les deux pour se dire ces choses-là que d'autres ne comprendraient pas. Ils ont déjà abordé le sujet tous les deux, et les décisions à prendre sont par déjà arrêtées. Il s'y serait opposé si elles n'avaient pas correspondu à ce qu'il pensait, mais c'était le cas, alors, il murmura, à l'orée de sa chevelure:

- S'il faut choisir, chérie ; je te choisis, toi.

Les mots ont davantage de profondeur que ce qu'ils sous-tendent, en évidence. Il l'a déjà choisie, au détriment de Sianne ; il l'a déjà choisie, par delà la colère et le désir de vengeance qui auraient pu l'habiter. Il aurait pu la séduire et l'abandonner là, une fois l'avoir fait replonger. Il aurait pu la tromper à tire larigot comme il l'avait fait avec Lara, quand elle était revenue, sans même s'en cacher ; il aurait pu partir à tire d'aile, vers d'autres promesses. Mais elle était là, et lui aussi ; c'était un choix.

Il est père bien sûr, et s'il ne le sait pas encore, quand la douleur froncent les traits féminins, il fera tout ce qu'il est possible de faire pour faire naître cet enfant. A ses yeux, ce bébé, elle l'a presque fait toute seule, il oblitère complètement son père ; l'a-t-elle d'ailleurs houspillé d'un murmure rageur, dans le magma bouillonnant des jurons et chuchotis qui s'échappent d'entre ses lèvres, où l'a-t-il rêvé ? Tout semble hésiter, se contredire, quand elle se dresse, maladroite, se rassied, impuissante ou quand elle presse sa main ou la repousse presque. Fierté et abandon ; elle a toujours balancé entre les deux, ici est la coutume.

Lui est tendu de ne pouvoir rien faire, mais s'attèle à paraître confiant, sûr de lui. Il s'affaire, résolu à ralentir ses gestes pour ne pas qu'elle panique quand l'enfant les fait languir de vouloir s'attarder.

Il voit bien qu'elle faiblit, que la douleur croît. Que ses encouragements à lui se font parfois trop pressants, quand il devient nerveux. Que l'eau qu'il est parti quérir n'apaise en rien les reins sur lesquels il l'appose, que le front ne perle pas moins quand il y tamponne le tissu, que les mâchoires ne se desserrent pas, qu'elles ne cèdent que pour un râle ou une plainte. Que ça se présente mal, au final.

Il l'a détesté un peu quand même cet enfant, il faut l'avouer, et il secoue la tête pour chasser cette idée, alors qu'il est penché sur les murailles féminines, entre les jambes fléchies vers le ciel.


- Ca va aller, Déa, ça va aller... c'est presque fini..

Dit-il, comme pour s'en persuader lui-même.

Combien de temps est-ce que ça aura duré, au final, pour que le petit être se retrouve en ses mains ? Il fronce les sourcils après avoir rompu le lien entre l'enfant et la mère ; quelque chose ne va pas.

Après les cris et les mots martelés pour donner l'élan nécessaire pour qu'Eve expulse la vie et fasse naître sous ses yeux le héros qui sortirait sous les bravos*, le silence tombe, pesant.

Aucun cri. Pas un. Plus un bruit ne semble s'échapper de cette forêt où même le vent s'est tu.

Il tente l'eau, la pression sur le ventre, il essaie tout ce qu'il peut, même le renverser, bouger ses jambes et lever ses bas, il pince le nez pour souffler dans sa bouche mais rien à faire, le petit torse refuse de se lever.

Après de longues minutes d'essai, il faut se rendre à l'évidence, et cesser de torturer l'enfançon qui n'aura pas respiré.

Il regarde ce petit qui ne grandira pas, entre ses mains. Quelques livres de vie éteinte, avec ses mains pour linceul. Il essuie sa bouche, comme pour se faire bouger, comme pour le sortir de la torpeur assommante de ce qu'il s'apprête à annoncer :


- Déa... Amour, je suis désolé... Ton fils est né ensommeillé, et il ne se réveillera pas.

Il hésite, sans savoir vraiment ce qu'il faut faire.

- Es...Est-ce que tu veux le prendre, un moment?

La voix tremble, sous l'émotion. Elle l'a peut-être fait plus ou moins toute seule, mais son gamin, c'est presque le sien. Sauf qu'il a les yeux bleus. **

Et s'il se trouve un couillon, plus tard un jour venu, pour oser l'expression « Dieu que c'est beau », il lui dira « Ducon, naître n'est qu'un tombeau, dont Il n'est revenu. »***.




* Allusion à Balavoine, Dieu que c'est beau.
** Allusion à Goldman, Elle a fait un bébé toute seule.
*** Allusion à Archimède, Le grand jour.

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Andrea_
Il y a toujours un moment de flottement quand on souffre. Je suis bien incapable de vous dire s’il dure quelques secondes, quelques minutes, ou s’il est simplement de ces intervalles qui ne comptent pas vraiment tant il passe en un éclair.
C’est un souffle suspendu, des yeux qui se ferment. C’est l’impression que le temps s’ajourne, et emporte avec lui les douleurs ressenties. C’est le cœur qui loupe un battement, et se sentir soudainement… léger. Léger, au point d’avoir la sensation de flotter. Un tout petit instant, à fleur de fil, où il nous importe de ne pas tomber d’un côté ou de l’autre, pas encore. Avant il faut faire le bilan. Savoir si l’on est prêt à souffrir encore, à reprendre sa vie où on l’a laissé, à croire en un très haut qui se joue de nous, et avoir envie, quand même, de croire qu’il n’a pas prévu de nous laisser crever au beau milieu de cette forêt.
Ou bien s’il est temps de donner à notre corps le repos qu’il n’a même plus la force de réclamer. Quand on pense avoir accompli ce que l’on pouvait, ce que l’on savait de mieux, et qu’on est persuadé de laisser les autres entre de bonnes mains.

C’est un souffle suspendu, l’équilibre à trouver, avant de faire son choix, si tant est qu’on le fasse vraiment. C’est faire le bilan de sa vie, et savoir si on est prêt à partir avec nos souvenirs, sans l’envie d’en créer de nouveau. C’est se souvenir des yeux de ses enfants, jusqu’à être certaine qu’on ne les oubliera jamais. C’est se dire qu’on s’en est finalement pas trop mal sorti, qu’en partant de rien, au final, on est arrivé à rien, mais qu’on ne doit rien à personne. C’est sonder son âme, à la recherche d’un regret, d’un, ou plusieurs.
C’est rouvrir les yeux, le corps plié d’une nouvelle douleur que la vie impose. C’est envoyer au diable l’homme qui l’a mise dans cet état, le maudire, lui et tous les autres.
C’est se demander, si le repos que le travail offre par moment, ne pourrait pas être éternel. C’est supplier, en silence, que tout s’arrête. Qu’elle se réveille un beau matin, en ayant fait le plus long des cauchemars, se réveiller avant Pau. Avant la Valachie. Avant Limoges. C’est mettre au monde Alexandre, une nouvelle fois.
C’est malgré tout, se battre.
Encore. C’est grimacer un semblant de sourire et tenter, de l’acier des yeux que le teint blafard rend perçants, de rassurer l’Homme.
Se battre, pour cette paire d’yeux verts qui la scrutent. Pour ces mains qui cueillent la sueur de son front. Pour les mêmes, qui massent et rafraichissent ces reins.

Et taire, que si elle se bat encore, c’est pour cette paire d’yeux, avec qui elle a encore tant à partager. Se battre, pour ne pas avoir de regrets.


Des regrets. Parce que moi j’en ai plein. Y a tout un tas de choses que j’ai pas faites, et que j’avais mal évaluées avant d’en arriver là. Parce qu’en fait si ! Si, c’est vital d’aller à Alexandrie. C’est vital d’aller en Bretagne, de manger une crêpe sur le vieux port. C’est vital de voyager, de longer la côte par la mer, de pêcher au large, de croiser des pirates, et de se pisser dessus tellement j’ai peur qu’ils attaquent. J’ai envie de marcher sous la pluie Anglaise, de fouler le désert Nordique, envie d’me goinfrer de nourriture Italienne, et même envie de chier sur la tombe du grand Khan. Bien sûr que si, c’est vital de faire ce genre de choses, et à l’aube d’un jour dont je ne verrais peut être pas la fin, je prends la mesure de tout ça.

On passe notre temps à dire qu’on jouera « plus tard » à chat avec les enfants, qu’on fera « un jour » ce voyage vers les terres inconnues, qu’on a « largement le temps » de reprendre contact avec cet ami. On se contente d’un « pas de nouvelle bonne nouvelle » plutôt que de prendre son courage à deux mains et d’en donner. On remet à demain ce qu’on avait prévu de faire aujourd’hui, et à force de repousser, on se retrouve à avoir six mois de retard, puis huit, puis un an, trois, sept. Oh j’vous jette pas la pierre, je suis la reine de la procrastination.
Mais merd’ !
MERD’ !
Un jour on se réveille et on se rend compte que les enfants sont tellement grands qu’ils sont plus envie de jouer à chat avec nous. Qu’on est trop vieux pour les voyages, que nos amis sont morts et enterrés depuis belle lurette, et que si on avait pas le temps d’écrire trois mots sur une missive, on a pris le temps d’aller dire Adieu à leurs dépouilles. Un jour on comprend qu’à ne pas donner de nouvelles, on ne contacte les gens que par besoin, ou pour leur annoncer du malheur. Qu’à tout remettre à demain, toujours, on passe à côté de moments inoubliables, on pollue notre esprit de « j’aurais du le faire » ou « il faut que », au lieu de se fabriquer des souvenirs. Des bons, des mauvais, peu importe berdol !
Peu importe, oui, car j’peux vous l’dire, quand on passe près du trépas, ce n’sont pas les souvenirs qu’on se repasse en boucle, mais ces putains de regrets.
Alors ça, si tu le fais pas pour aujourd’hui, fais le au moins pour demain.


Alors une minute, ou un seconde, peu importe… Elle quitte le fil pour rejoindre la vie.



La délivrance n’aura jamais si bien porté son nom. Quand l’enfant quitte son berceau pour rejoindre le monde, quittant les entrailles pour les mains ô combien accueillantes d’un barbu qu’il nommera Papa, probablement.
Après la douleur et les cris, tombe sur eux un profond silence. Beren le lui dit souvent, rien n’est tout noir, ou tout blanc, et c’est encore vrai pour le silence. Tout comme il y a divers bruits, il y a différents silences.

J’avais attendu, malgré moi, que le petit corps prenne vie, car c’était ça, malgré tout, qu’il devait se passer. On met un enfant au monde, on lui « donne vie ». Et je n’avais pas encore pris la mesure de ce silence. Un mutisme, profond, dans lequel ne résonnent que les vaines tentatives des yeux verts à faire ouvrir ceux de l’enfant.
Un silence, presqu’assourdissant, de longues minutes où rien ne se passe. Un silence de mort, cette expression qui soudain prend tout son sens, car même la nature semble avoir abandonné l’idée de se faire connaitre. L’âme de l’enfant s’est envolée et toutes les autres vivantes se taisent à leur tour.
Si j’avais eu la force de crier, Beren, assures toi que le cri échappé de mes lèvres t’auraient vrillé les entrailles, mais il n’aurait pas eu la signification que tu peux imaginer.

Un fils. Un garçon. Et c’est presqu’un soulagement qu’il ne soit pas né fille, la vie m’a déjà arrachée ma fille unique, il n’aurait pas joué encore avec moi, ne m’aurait pas encore tourmenté sur la mort d’une autre.
Un autre. Un autre qui ne comptera jamais. Un « coup dans l’eau ». La vie emporte avec Elle un enfant, le résultat de quelques mois d’une union parfois chaotique. Elle ne m’infligera pas un enfant aussi capricieux que sa mère. Aussi vaniteux que son père. Je n’aurais pas à me demander si son père, un jour, viendrait l’arracher à moi. Et encore moins à aimer un « Lui » en miniature.

Décidément oui, c’est une délivrance.


Certaines pensées ne sont même pas repoussées, et peuvent probablement se lire sur mon visage que les souffrances ont émaciées. Il est né ensommeillé, c’est encore le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire. Les entrailles se vrillent à cette pensée, et l’estomac se vide un peu plus loin, rendant encore plus faible s’il était possible, la mère endeuillée. Mort, mais incapable de partir sans l’affaiblir. Digne de son père. Gâchis. Le corps s’éveille, doucement, la colère fait rage et pique le corps. Son regard devient noir alors qu’elle les pose sur Beren, fuyant volontairement ceux qui ne s’ouvriront plus jamais, si tant est qu’ils se soient déjà ouverts.



Non. Non. Non ! Enlève le.

Allez savoir où elle trouve la force de relever le buste jusqu’à ce que l’écorce morde son dos. Les yeux s’adoucissent, jusqu’à se voiler, le visage n’est plus qu’une épave lorsqu’il se meut en horreur, plusqu’en rage, se penchant légèrement sur le côté. La voix n’est que sanglots, et supplications.


Beren… Beren s’il te plait.. Je .. je ne veux pas… Je veux… enlève le…Je veux.. Dehors… Loin… Enlève le !



Qu’est ce qu’on peut bien faire, après ça ?
Est-ce qu’il y a des normes ? Est-ce qu’on doit soudain pleurer un enfant qu’on annihile depuis qu’il a été conçu ? Est ce qu’on peut juste vouloir qu’il disparaisse, purement et simplement ? Sous terre, au fond de l’eau ou simplement « loin ».

Les yeux se ferment, le corps trop épuisé ne pourra en faire plus. La respiration s’apaise, autant que les traits de son visage. C’est à peine si d’entre ses lèvres il pourra entre un « je suis désolée » sans pouvoir l’expliquer. Mais il saura Lui. Qu’elle est désolée de ce qu’elle vient de lui faire vivre, de ce qu’ils n’auraient jamais du partager, et de ce qui viendra… Ensuite.

_________________
Beren
[Well, life has a funny way of sneaking up on you
Eh bien, la vie reprend le dessus d'une drôle de façon
When you think everything's okay and everything's going right
Quand tu penses que tout va bien et va dans le bon sens
And life has a funny way of helping you out
Et la vie a une drôle de manière de t'aider
When you think everything's gone wrong and everything blows up
Quand tu penses que tout va mal et t'explose
In your face
A la figure]



Ils sont venus brigander et la vie s'est chargée de les délester eux, d'un trésor précieux, intime.

Le temps s'est presque suspendu, dans l'espoir que l'enfant se mette à inspirer et hurle de la douleur d'une première goulée d'air franchissant ses poumons. Il s'est entendu parler, bredouiller des excuses qu'il n'avait pas vraiment à formuler pour l'absence d'éveil du bébé qu'il tient entre ses bras comme il aurait tenu le sien. Il ne le tient pas du bout des doigts, bras tendus, comme s'il le brûlait. Au contraire, il l'a calé au creux de son bras droit, comme s'il sommeillait, tout juste repu d'une tétée bienheureuse.

A-t-il vraiment prié que le nourrisson vienne lui donner tort, l'interrompe dans ses paroles pour affirmer de pleurs sonores « je suis là, ne dis pas t'âneries, je suis en vie » ? N'a-t-il pas supplié en dedans de son esprit que le gamin s'agite un peu dans ses bras, meuve ses jambes ou ses bras comme un petit crapaud recroquevillé, et ouvre sur lui des billes qu'il n'aurait pas reconnues comme les siennes, mais qui auraient lui d'une vie qu'il prenait comme son dû ? N'a-t-il pas voulu reculer ou senti ses jambes lourdes refuser de s'avancer vers la mère veuve d'enfant ?

Mais rien n'y fait. Il ne bouge pas ; il ne crie pas, et Beren a toutes les peines du monde à ne pas le secuer en hurlant qu'il faut vivre, puisque c'est ce pourquoi il a crû au giron maternel. Que si son père n'est pas là, il en est un qui est prêt à prendre la place, à l'aider à grandir et se réaliser, à lui donner des conseils, lui apprendre à se raser, à fumer, et lui parler des filles en prétendant savoir de quoi il parle et en concluant, alors qu'ils seraient assis tous les deux devant la porte d'entrée un soir d'été, bras passé autour de ses épaules « tu sais fils, ce que je sais, c'est que je ne sais rien*. Regarde ta mère... ».

Il a envie de lui assurer qu'il y avait plein de choses à voir, et à cueillir. Qu'il y avait du soleil, des parfums, de la pluie, chaque jour un nouveau réveil, chaque jour une autre nuit... Des frères, des tendres, des trésors à chercher, des vertiges à prendre, à comprendre et des filles à caresser. Il a envie de lui dire que vivre est une bonne idée même si c'est qu'une étincelle avant l'obscurité, juste un passage, un arc-en-ciel, une étrange absurdité.** Il en rugirait que l'enfant ne vagisse pas entre ses bras. Mais la main qu'il a posé au petit poitrail frêle, sa main gauche, sa main forte, celle du cœur, ne se soulève pas sous les mouvements du diaphragme qui reste résolument immobile.

La mort s'est imposée et a violacé la bouche enfantine de son baiser mortifère.


Non. Non. Non ! Enlève le.

La rage, d'abord. Justifiée. Il prend sur lui l'ire de sa compagne à ce qu'il lui a annoncé, à ce qu'il lui a proposé. Elle a rendu l'aigreur de l'injustice, peut-être, d'être dans cette situation, un peu plus loin, et il n'a pas pu bouger, figé qu'il est, les bras chargés. Puis elle se meut, se dresse presque, animal blessé qui refuse de s'avouer vaincu.
C'est là la force d'Andréa : tomber sept fois, se relever huit. Dans un infini de volonté, elle récuse le fait de rester assise et se lève. Il a envie de la retenir, bien sûr, fait un pas vers elle, mais...


Beren… Beren s’il te plait.. Je .. je ne veux pas… Je veux… enlève le…Je veux.. Dehors… Loin… Enlève le !

Toujours debout, il recule aussitôt, en confirmant, pour la rassurer:


- Je le retire, je le retire, là, regarde. Je l'emmène. Il n'est plus là.

Il se rend jusqu'à la charrette qu'ils ont amenée avec eux, et vide une caisse de bois de son contenu. Il fouille dans son baluchon pour en tirer une chemise, et emmaillotte l'enfant, avec le réflexe idiot de maintenir sa nuque, comme s'il le couchait à un berceau de fortune et, ployé vers lui, le Fiole s'en vient déposer un baiser sur son front et lui murmurer un « Là, dors. Tout est bien... », tendre, en déni total de ce qu'il est en train de faire.

Revenu vers Déa, il l'entraîne avec lui jusqu'à la faire asseoir et l'entoure d'un bras ferme, la maintenant contre lui ; Elle s'excuse, il se contente d'un baiser à son front, quand sa main caresse sa chevelure humide de sueur, en répétant le même murmure, sempiternellement :


- Là, ça va aller. Ca va aller maintenant... Je suis là.

Viendront les soins, ensuite, pour s'assurer que le corps féminin se remette.

Et il attendra qu'elle soit couchée, qu'elle ait sombré dans un sommeil de fatigue, pour aller offrir une sépulture à celui que personne n'oserait appeler « le nouveau-né ». Il y a un endroit, près de l'eau, où un saule pleureur semble protéger un petit espace de la berge, le couver presque ; ce sera l'endroit parfait, cette tombe en sandwich entre le ciel et l'eau ne donnera pas une ombre triste au tableau***.

Il reposera là, en paix, veillé par le saule et bercé par le clapotis du ruisseau. Il lui faudra un nom, Beren y tiendra, et abordera le sujet au matin, avant qu'ils ne partent.

Et il sait ce qu'il dira à Déa si elle veut, quand l'aube aura pointé et que ses yeux seront cernés, aller sur la tombe de l'enfant...

Ici, c'est un tombeau ; là-haut, c'est une étoile.****





* Socrate.
** Allusion à Goldman, Bonne idée.
*** Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
**** Victor Hugo, citation modifiée.

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Andrea_
        Feel the vibe,
        Feel the terror,
        Feel the pain,
        It's driving me insane.
        I can't fake,
        For God's sake why am i driving in the wrong lane
        Trouble is my middle name.
        That is why I am so mad about you
        Ressentir la sensation,
        Ressentir la terreur,
        Ressentir la douleur,
        Cela me rend folle.
        Je ne peux pas simuler,
        Pour l'amour de Dieu pourquoi conduis-je sur la mauvaise voie
        Chagrin est mon nom intermédiaire.
        C'est pour cela que je suis si dingue de toi
        *



Je m’étais toujours félicitée de ne pas avoir été de celles, qui, sitôt quitté le lit conjugal, avait mis un terme à leur grossesse et je savais que Beren me remerciait chaque jour de Lui avoir donné un fils. Depuis nos retrouvailles, il n’avait pas été question une seule fois de savoir ce qui nous avait rapproché, mais si un jour nous devions aborder le sujet, je saurais lui dire, moi, que ce n’est pas cet enfant en commun, qui a motivé mon retour dans ses bras. Qu’il n’avait été qu’un prétexte pour me rapprocher d’Annecy. Que si l’enfant n’avait pas survécu, ou s’il n’avait jamais été procréé, je serai revenue quand même.

Je savais la douleur qu’il avait ressentie, toutes les fois où après avoir engrossé la mère, elle avait disparu le ventre rond. Toutes ces fois où il avait dû faire le deuil d’un enfant qui n’était pas né, était mort né, ou ne vivait que quelques jours. Je savais qu’il se pensait victime d’une damnation, d’une sorte de malédiction où un œuf fécondé sur deux ne donnerait pas vie à un enfant. Un sur deux, au bas mot. Je savais l’importance que revêtait une vie à ses yeux, qui plus est celle d’un enfant. Je savais alors, que cette situation nous plongeait tous les deux dans un profond désarroi. Mais il était trop tôt, alors, pour panser nos chagrins d’une promesse, bientôt, de donner vie ensemble à un enfant bien vivant.

Il avait emmené loin de moi le fruit d’un mariage tumultueux, et nos espoirs de seconde chance. Si j’avais pris la route sitôt après avoir donné naissance à notre fils, j’espérais secrètement qu’élever celui-ci comblerait les étapes importantes que j’avais loupées à l’époque. Il saura, bien plus tard, l’importance que ce geste a eue pour moi. Je lui dirais combien je lui suis reconnaissante, d’avoir respecté ma douleur en annihilant la sienne, de m’avoir, encore une fois, fait passer avant sa propre peine. Pour l’heure, il me fallait me reposer, et lové dans les bras d’un blond parfumeur, j’avais trouvé un calme relatif me permettant, enfin, de lâcher prise.

Le sommeil était entrecoupé de soupirs ou de sanglots, de douleurs et d’une absence impossible à combler. Le manque de quelque chose qui n’avait jamais vraiment existé, et d’un profond sentiment de culpabilité. La frontière entre le songe et la réalité était plus mince que jamais, et si j’étais rassurée, lorsque ma main caressait le bras Berenesque, je subissais son courroux. Il avait ce regard noir qu’il n’avait jamais posé sur moi, mais que je devinais parfois dans les courriers suivants notre rupture. Il avait le verbe haut et la voix plus assurée que jamais. Il aboyait ses mots, et crachait son venin avec véhémence. Je lui rappelais Lara, et ses choix de merde. Sianne, et sa manière de tourner sa veste pour faire virer la situation à ses avantages. J’avais été aussi naïve que Lysianne, à croire qu’il pouvait de nouveau m’aimer au point de supporter cette situation. J’étais un boulet, une ancre dont il souhaitait plus que jamais se défaire. J’étais bonne à rien, et visiblement même incapable de donner la vie sans semer la mort.
Je transposais mes craintes en un rêve décousu. J’avais ouvert les yeux parfois, pour me raccrocher au regard voilé de Beren, qui inlassablement caressait les fils bruns de mes cheveux. Je ne pu m’empêcher de penser que quelque chose, au fond de Lui, venait de changer. Peut être avait il pleuré, quelque chose s’est perlé dans ses yeux, il y avait comme…une fissure dans son regard, comme ces jours brisés ** que nous avions déjà vécu.

Puis j’avais sombré dans un sommeil sans rêve.
Je sais qu’il y aura bien d’autres orages, je sais, que la pluie n’est qu’une amie de passage***, que ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Je sais.

A mon réveil, Beren observait le jour se lever, comme on se satisfait qu’enfin la nuit soit barrée. Il y avait dans chacun de ses gestes un aveu, un secret dans chaque attitude****. Et même si je ne voyais pas ses fossettes, je les devinais. Son pied, rageur se balance, une impatience, la rage ou la colère. Et c’est plus qu’un long discours, là, dans l’innocence et l’oubli tout était dit. On ne ment qu’avec des mots ****.
Le regard rivé sur Lui, j’aventurais une main sur ce ventre qui ne couvait plus. Plus rien. Un tombeau. Un écrin tout juste bon à donner la mort au mauvais moment, au mauvais endroit. Je n’essayais pas de me relever de peur de troubler le moment de recueillement que Beren s’offrait, à sa manière. Nul besoin qu’il dise ce qu’il venait de faire, je le connaissais assez pour savoir que cet enfant reposait en paix désormais.
Il n’y a pas besoin de mots, ou de phrases toutes prêtes dans ces moments. Nous venions de traverser une tempête, et nous pleurions les pertes. La reconstruction, elle, viendra après. J’attendais un long moment, avant de me redresser pour venir me coller à Lui. Le ventre collé contre ses reins, mes bras entouraient son buste. Le front se pose sur son dos, les lèvres font de même.

Un baiser pour m’excuser.
Un baiser pour apaiser ta peine.
Un baiser parce que je t’aime.



Ça va aller maintenant… Je suis là.




* Mad about you, Hooverphonic
** Talk to me, Yodélice
*** Sombre et Sentimental, Calogéro
**** Tout était dit, Jean Jacques Goldman.

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