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[RP] J'habite de l'autre côté de la terre...

Helvalia
... Là où les gens tombent.

Saint-Malo, Juin 1466

    La porte de l'auberge s'ouvre en une gueule béante, pour recracher dans la rue la carcasse échevelée, titubante, d'un marin. Ses bottes mal lacées glissent sur les pavés noircis, trempés de la bruine qui rafraîchit la ville depuis deux bonnes heures déjà. La Bretagne n'est jamais épargnée par la pluie, pas même en ce début d'été, et à cette heure avancée de la soirée les habitants du coin ont déjà couvert leurs bras et leurs nuques pour se prémunir du froid. Mais le matelot, fortement éméché si l'on se fie aux relents d'alcool qui s'accrochent à sa peau, n'a pas pris le temps de se rhabiller tout à fait. Les cordons de sa chemise n'ont pas été entièrement renoués, et les pans de cette dernière s'ouvrent sur un torse tanné, abîmé de cicatrices. On peut songer, au choix, qu'il vient de passer quelques heures dans les draps de sa maîtresse, ou bien qu'il vient de noyer son chagrin dans l'alcool. L'air hagard peint sur ses traits ne permet pas de trancher avec certitude. 

    Le mystère, en revanche, s'évapore tout entier lorsque la lourde s'ouvre à nouveau, laissant cette fois passer la silhouette fluette d'une jeune-femme. Si elle est vêtue bien plus décemment que le marin, ses joues restent roses et quelques mèches folles s'échappent du chignon fauve planté haut sur son crâne. Prévoyante, parce que sans doute plus sensible que le marin aux caprices du temps, elle pose sur ses épaules un châle léger et blanc, avant de refermer la porte derrière elle.

    Une goutte s'écrase sur son museau qu'elle lève vers le ciel, presque entièrement dissimulé par les nuages qui épaississent l'obscurité. Le crachin ne devrait pas tarder à se faire plus dense, et l'orage grondera sans doute cette nuit, forçant les navires à rester au port. C'est, pour la courtisane, l'assurance de remplir encore la bourse de cuir qui tinte doucement contre sa hanche, lourde des écus récoltés dans la journée. Mais ça signifie se déshabiller encore, laisser le froid mordre sa peau, comme les dents masculines qui voudront s'y planter. C'est devoir écarter les cuisses et geindre, feindre le plaisir que l'ego mâle réclame sans cesse, sourire et parler quand elle veut seulement boire et se taire. Elle n'aura sans doute pas, ce soir, le cœur à faire semblant. Mais c'est là tout l'avantage de n'avoir à rendre de comptes à personne. 

    Le nez toujours en l'air, elle ne remarque pas l'épaule qui, subitement, se retrouve sur sa trajectoire, et manque se la prendre en pleine poire. Ce n'est qu'un réflexe archaïque qui, se réveillant subitement, la pousse à se décaler de justesse. Les orbes azurés se braquent sur le visage masculin, à demi mangé par une barbe brune et constellée de gouttes de pluie. La dextre se lève brièvement, en signe d'excuse pour ce presque-accident, et la langue de la rousse se délie dans le même temps. 

    « Excusez-moi, je ne vous avais pas vu. »

    Elle replace une mèche rousse tombée devant ses yeux, et fronce les sourcils en songeant qu'elle ne perd rien à demander son chemin. Arrivée en ville il y a peu, elle peine encore à se repérer dans les méandres de Saint-Malo.

    « Dites, je cherchais La Barbe Fringante, vous savez de quel côté c'est ? »

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Jurgen.

    Il y avait moins de deux semaines qu’ils avaient débarqué à Sant-Maloù, et l’endroit n’avait guère changé. C’était eux qui, au fond, avaient changé. Ils s’étaient soulagé de douloureux moments et d’une vengeance trop pesante, mais l’ennui les guettait désormais. Quel but poursuivre, dès lors que l’on a accompli la mission de sa vie ? Il en fallait un nouveau, et pour Jurgen, cela se résumait à une vie tranquille. Beaucoup auraient qualifié ce fait de lâche, d’indigne, mais ils ne soupçonnaient pas à quel point ce but était difficile à atteindre. Il fallait garder une activité, pour survivre, mais se faire plus discret encore. Ils avaient laissé leurs affaires en bon ordre, car s’ils étaient partis dans la précipitation, il était hors de question de ne pas être soigneux et de tout perdre.

    Ils entreprenaient tout juste de faire rénover les bâtisses qui leur appartenaient, et avaient tout naturellement commencé avec l’auberge. En cette fin de journée, Moineau revenait du bureau des docks où il avait vendu quelques marchandises et acheté du bois. Il remarqua d’abord à peine la pluie fraîche qui lui tombait sur le front. Dans son élément, il n'avait pas le soucis de cacher l’encre de ses bras, et marchait d’un pas vif, si peu alerte, quand l’odeur du port quittait tout juste ses narines. La demoiselle n’était pas la seule à guetter les nuages. C’était une tradition côtière, et Jurgen n’y manquait pas. Les gouttes se faisait plus grosses, tombaient progressivement plus vite et humidifiaient le sol. L’orage était toujours si beau et si terrifiant. Sur terre, déjà, il inquiétait, mais les marins savaient que sa vraie nature se révélait au dessus de l’eau. Alors Jurgen, comme d’autres, aimait son odeur quand elle se mélangeait à celle de la terre et de sa verdure.

    Il la heurta juste avant qu’une goutte ne puisse s’immiscer dans son œil, soit un mal pour un bien. En baissant la tête vers elle et sa flamboyance, il demeura un instant interdit. Jeune fille, moins de vingt ans mais plus de quinze, seule, distraite, et perdue. C’était une chose qu’il taisait, mais sa jeunesse sur les ports et les ponts n’avait vraiment pas été respectable. Il avait été de ces garçons qui, tout d’abord timide, ne faisaient finalement pas grand cas de la dignité féminine, raillant les serveuses et les lavandières pour faire rire les aînés les soirs de permission. Jusqu’à se lasser de cette mascarade, surtout en côtoyant souvent les mêmes filles avec qui, de fait, il discutait aussi. C’était certainement à ce moment là qu’il était devenu un homme et qu’il avait appris à se forger ses propres opinions, quitte à s’embrouiller

    En miroir, il avait lui-même levé une main, et esquissa un sourire en la voyant faire. Il lui désigna l’extrémité de la rue.


    -C’est par là bas, c’n’est pas très loin. J’y vais aussi, suivez-moi.

    Il ne pu s’empêcher de la détailler. Il savait par expérience que les villes étaient pleines de nobles capricieuses en fugue, mais elles avaient la présence d’esprit d’éviter Sant-Maloù. Celle-ci n’avait pas une mise extraordinaire, mais le minois était frais et joliment fait, si bien que Jurgen douta qu’elle puisse n’être qu’une fermière ou une pêcheuse. Elle n’était d’ailleurs même pas d’ici, c’était une évidence.

    -’Cherchez un endroit où dormir ?

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Helvalia
    Le regard clair se pose sur le bras levé, tendu en direction du Sud pour indiquer la route à prendre. Mais l'espace d'un instant, cette information n'intéresse plus la jeune-femme, dont les prunelles peinent à se détacher des encres bleues qui habillent la peau tannée. Sans trop de manières, oublieuse de la pudeur qui serait pourtant de mise, rouquine se penche en avant, la tête légèrement tournée sur le côté, l'air concentré, son nez ainsi froncé se retroussant un peu plus. Sans en voir l'intégralité, parce qu'il est à demi dissimulé par la manche mal remontée, elle découvre le navire marqué à jamais dans la chair masculine. Ce n'est pas la première fois qu'elle voit un homme tatoué, d'ailleurs la plupart de ses amants qui portaient ces marques étaient des marins, cependant cela reste rare, même dans une ville portuaire comme Saint-Malo, et ce dessin-ci est particulièrement réussi. Elle distingue d'autres traits, moins fins, sur les mains usées, mais ils n'attirent pas son attention comme le fait le trois-mâts.

    Consciente, pourtant, qu'elle ne peut pas rester éternellement ainsi, à détailler sans gêne la peau gravée d'un inconnu, Helvalia finit par se redresser, un mince sourire à peine contrit étirant ses lippes. Aucune excuse ne passe la barrière de ses lèvres. A séduire pour gagner sa vie, à flatter les ego de mâles qui veulent séduire, elle a appris que chacun aspire, d'une façon ou d'une autre, à être vu. Et le brun ne teindrait pas sa peau à des endroits si visibles s'il ne voulait pas qu'on regarde les tatouages qu'il arbore. Que ce soit par pure provocation, par désir de plaire, de se démarquer, ou pour rendre ses souvenirs indélébiles, ils ne peuvent avoir vocation à rester secrets s'ils sont visibles.

    « Où dormir, où manger aussi. »

    Ne pas établir ses quartiers dans la chambre d'auberge où elle reçoit les clients, c'est pour la rousse une règle primordiale. Le métier de courtisane, comme sans doute beaucoup d'autres, implique une discrétion dont dépend sa survie. Les gens mal intentionnés courent les rues, et la plupart d'entre eux fréquentent sa couche. Il serait trop aisé de savoir où elle garde les écus gagnés, de recevoir la visite d'une épouse bafouée, ou de celle d'un homme qui refuse d'affronter la solitude. La journée terminée, elle délaisse donc les lieux au profit d'une chambre plus intime, dans laquelle elle ne doit -en théorie- pas recevoir de visites indésirées.

    « Je vous suis. »

    Sourire toujours accroché aux lèvres, Helvalia laisse le brun reprendre sa route pour lui emboîter le pas. La coïncidence est trop belle pour qu'elle ne prenne pas le risque de saisir sa chance d'être guidée.

    Son regard, invariablement, revient aux bras masculins, et elle ne tarde pas à poser les questions qui lui brûlent les lèvres, en désignant ses tatouages.

    « C'est vous qui les avez faits ? Vous êtes marin ? »

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Jurgen.

         La première fois que Jurgen s'était marqué la peau, c'était sur son genou, et il ne devait pas avoir plus de douze ans. Il avait fouillé la piaule de Sextus pour trouver le sacro-saint peigne quand il était parti en ville et que lui-même était resté à bord. Le plus jeune à bord, on lui permettait davantage, et Corbeau le couvait d'un oeil dur mais bienveillant. Quelques points, juste pour savoir ce que ça faisait. De toutes façons, il ne dessinait pas très bien à cette époque là, et apprendrait un peu plus tard sur le tas. Sa première véritable oeuvre reçue était une ancre sur les côtes, vers ses quinze ans, et c'était un de ses frères d'arme qui s'en était chargé.
    Il la regardait regarder, et se sentait témoin d'une certaine forme d'effronterie.


    -Vous mangerez bien, et les lits n'sont pas mauvais.

         Tombé dedans comme on tombe dans l'alcool, l'encre satisfaisait Jurgen plus que de raison, si bien qu'il eu tôt fait d'avoir davantage de membres tatoués que vierges. Assumer la chose n'était donc plus une interrogation, même s'il avait tendance à les cacher la majeure partie du temps une fois à l'intérieur des terres. Coutumier des regards curieux, habitué à les ignorer, il ne savait jamais vraiment gérer les questions. Beaucoup de ses marques n'étaient que les témoignages d'une époque chérie ou haïe, mais ce trois-mâts... Il était l'incarnation de sentiments, et de beauté, il fallait le dire. La pièce était d'une précision rare, mais la femme qui l'avait effectuée n'avait jamais navigué. Davantage peintresse que tatoueuse, le style qui s'en dégageait était fort original et tout en nuances. Une véritable prouesse de patience, tant pour le tatoué que pour son aimée. Évoquer ce trois-mats, c'était dénuder un peu l'homme, le peler comme un fruit pour en extraire l'essence. Si Jurgen avait cet air dur (et son profil, tout particulièrement, avec ce nez cassé et l'ossature acérée), l'encre de ce bras traduisait à elle seule sa capacité à adorer, bien que dans son dos, des mois plus tard et comme en miroir, se piqueraient deux cornes en signe de trahison.

    -Pas tous. Certains, seul'ment.

         Moineau avait tendance à s'amuser de la question. Était-il marin? Était-ce là une question stupide? Quel homme ressemblait à un marin sans l'être? Personne, semblait-il à Jurgen, ne voudrait arborer cette tête, et posséder un de ces corps toujours quelque part défaillant (lui, c'était cette douleur et faiblesse dans la cuisse droite). C'était comme être routier: personne n'enviait ce sort. On leur préférait la chevalerie, ou au moins une fonction qui accordait un véritable statut.

    -Je crois, d'moiselle, que vous connaissez bien la réponse à votre question. Nee? Il ajouta, comme il n'attendait pas de réelle réponse: Et qu'est ce qui vous amène, vous, à Sant-Maloù?

         Ils arrivèrent devant un établissement où, vent absent, l'enseigne de bois peinte d'un barbu à la face surchargée de tatouages demeurait statique. Une manière de faire comprendre que le bouge n'était pas n'importe lequel pour qui connaissait le coin. L'intérieur avait été réaménagé de frais. Il y avait toujours ces tapisseries pourpres par dessus le bois et ces lustres qui donnaient à l'intérieur une atmosphère tamisée le soir venu. C'était plus facile pour tricher aux cartes, ou pour négocier un prix. Mais les meubles étaient plus jolis, moins bruts, si bien qu'il était évident que l'endroit n'avait pas vocation à subir les conflits, uniquement les ententes cordiales. C'était un lieu chaud en hiver, et frais en été, car s'il y avait des fenêtres, celles-ci se dissimulaient parfaitement sous les lourdes tentures. En général, on y préparait de bons poissons péchés le matin et l'odeur du beurre chauffé et du pain était réconfortante. A cette heure de la journée, il n'y avait pas grand monde, mais comme la pluie s'annonçait trainante, l'endroit ne tarderait pas à se remplir.
         La serveuse, une jeune fille bien en chaire, fort jolie, au breton prononcé salua Jurgen avec politesse, et ne tarda guère à demander à la jeune fille ce qu'elle souhaitait boire.

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Helvalia
    Le tatoué se trouve, de toute évidence, dans une ville qu'il est habitué à fréquenter, peut-être même son port d'attache. Outre le fait qu'il soit capable de se repérer sur terre, caractéristique suffisamment rare chez un marin pour être relevée, il a semble-t-il fréquenté les lieux assez souvent pour les recommander. Si la Renarde est habituée à dormir sur des couches de fortune ou à la belle étoile, l'idée de pouvoir se nourrir d'un repas de qualité fait en revanche briller son regard clair. La découverte des corps est rapidement devenue lassante, les étreintes sortant de l'ordinaire se faisant plus rares qu'on ne l'imagine... Mais il reste malgré tout un avantage primordial au fait de parcourir les routes du Royaume, j'ai nommé l'exploration culinaire. La silhouette frêle, les joues légèrement creusées, les clavicules saillantes témoignent du fait que la rouquine n'a guère été habituée à manger à sa faim, ne laissant rien voir de la gourmandise qui pourtant l'anime constamment, pendant inévitable d'une vie de privation. La question existentielle est malgré tout soufflée, du bout des lèvres.

    « Est-ce que c'est... abordable ? »

    La dextre glissée dans la poche du mantel soupèse un instant la bourse rudement gagnée, qui semble suffisamment lourde pour lui permettre de se loger, et sans doute de se balader en ville le lendemain, sans avoir à s'encombrer de nouveaux clients pour la journée. Il doit y avoir, assurément, des façons de devenir riche en vendant ses charmes, sans doute en trouvant quelque client suffisamment amouraché pour vous entretenir... Mais il est toujours difficile d'économiser quoi que ce soit quand on souhaite passer plus de temps à errer sur les routes qu'à écarter les cuisses dans une chambre d'auberge.

    Le museau se fronce, une lueur d'amusement éclairant le regard azuré, un fin sourire, espiègle, étirant les lippes de la Renarde. Un instant, elle tente de deviner quels dessins ont été tracés par les mains abîmées du barbu, lesquels ont été faits par d'autres. Il faut être confiant, ou complètement fou, pour laisser à un autre le pouvoir de grave votre chair à jamais, de cette encre bleue qui attire l’œil plus sûrement encore que le feraient des cicatrices.

    « Vous pourriez être un marin à la retraite... Ou un de ces types qui passent leur vie à regarder passer les bateaux sans jamais oser prendre la mer. » Sourire matois à l'appui, la courtisane dodeline de la tête. « Et puis demander confirmation, parfois ça incite les hommes à parler. »

    La discussion est naturellement interrompue lorsqu'ils pénètrent la bâtisse, laissant en suspend la question posée par le brun, Goupil perdue dans une contemplation qui l'empêche, pour l'heure, de prendre la parole. Les orbes clairs inspectent, avec une curiosité mêlée d'approbation, l'ambiance ouatée des lieux, les rares personnes déjà attablées. La truffe se plisse, chatouillée par les effluves alléchantes qui échappent de la cuisine. Il n'est guère difficile de trouver une table libre à laquelle s'installer, et la jeune-femme en désigne une, un air interrogateur se dessinant sur ses traits.

    « Je prendrais la même chose que lui... » Elle se tourne, à demi, levant le regard sur le tatoué. « Si vous voulez bien me tenir compagnie. »


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