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[RP flashback] A grands espoirs, le misérable ne croit.

Sadella
    [Sept ans auparavant]

    J'avais seize ans et j'étais aussi sauvage qu'un chaton abandonné. La faim au ventre, les joues creusées par les ennuis, la peau salie par quelques coups, la terre ou le charbon. J'avais seize ans, je n'avais de femme que la silhouette planquée sous des frusques crades et le traumatisme encore récent d'une grossesse et d'un accouchement non désiré. Cela faisait déjà plusieurs mois, mais je n'avais pas passé une journée sans penser à cette fillette que j'avais livré à la vie sans aucune protection, incapable de lui offrir quoique ce soit dans ma position.

    J'avais seize ans et j'étais perdue. Jetée à la rue avec la rébellion au ventre, aussi farouche qu'un animal blessé, je n'acceptais aucune aide et tâchais de me débrouiller par moi-même pour obtenir de quoi survivre. Le vol fut la solution, mais à en voir mon allure chétive, je n'étais pas douée, encore contrainte par la morale inculquée par des parents qui pourtant n'avaient pas hésité à me foutre dehors. Mes gestes étaient hésitants, je fixais trop les gens et ces derniers se méfiaient de moi comme de la peste. Il faut dire que ma balafre n'aidait pas à montrer patte blanche devant les regards sans gêne des badauds. Les jours de grande faim, je devais donc mendier et ça m'arrachait la gorge d'en venir à réclamer de quoi bouffer. Même pour ça, je n'étais pas douée. Sans compter qu'à monde miséreux, la guerre de territoire peut être aussi terrible que conquête royale. J'avais déjà échappé à plusieurs bagarres, non sans me faire amocher au passage.

    J'avais seize ans et j'avais la rage. La rage de vivre pour être exacte. Celle aussi de ne pas me perdre par désespoir. Aussi avais-je tenu bon et m'étais-je refusée à faire du tapin. Déjà parce qu'avec ma cicatrice, il me faudrait me contenter des moins riches et parce que j'avais assez souffert de l'abandon d'un enfant sans vouloir me risquer à m'arracher un bout de cœur à chaque fois que ça m'arriverait. Ça, sans parler de mon orgueil. Parlons-en de celui-ci. Gros comme le monde, sur les épaules d'une jeune femme fine comme une brindille. L'ego démesuré me rendait exigeante et je ne souhaitais pas offrir ce qu'il me restait de dignité au premier gredin venu.

    J'étais jeune et j'ai découvert alors que l'Homme détourne plus facilement le regard d'un miséreux qu'il ne le détourne d'un spectacle de potence. C'est vrai qu'il n'y avait aucune distraction à observer la pauvreté en face. Je ne les blâmais pas, sans doute avais-je eu les mêmes réflexes quand je n'étais pas concernée. Voir l'être humain réduit à une enveloppe sans plus d'honneur, ni même d'attentes que celle de pouvoir vivre un jour de plus n'a rien d'une vision agréable. Je le comprenais et ça me révoltait à la fois. Combien de fois m'étais-je emportée sur le comportement d'un passant à mon égard ? Combien de fois m'avait-on remise à ma place par une baffe bien servie ? Je ne les comptais plus. A prendre des coups, on s'endurcit et on arrête de compter surtout.

    Si j'avais déjà fort caractère avant de rejoindre la rue, si j'aimais déjà me battre et faire tout ce qu'une fille n'a pas le droit de faire, j'avais en revanche aiguisé mon sens de l'observation dans les bas quartiers. Il m'avait fallu devenir plus futée, plus rusée pour survivre et si j'étais toujours une bille en larcins, au moins pouvais-je repérer les bonnes opportunités. Je commençais donc à connaître le quartier, les âmes qui s'y aventuraient qu'ils soient bons, mauvais, filous ou généreux. Et c'est donc comme ça que je pus la découvrir, elle.

    Qui était-elle ? Je n'en savais rien. Plus âgée que moi, plus grande aussi, elle avait quelque chose que moi, je n'avais pas : l'aisance et l'agilité pour la rapine. Je l'observais déjà depuis trois jours et je la suivais aussi discrètement que possible pour voir sa manière d'opérer et tenter d'en prendre de la graine. Ce jour-là ne marquait pas d'exception à ma filature, ça faisait déjà une heure que je la suivais quand au détour d'une rue, je la perdis de vue.


    Merde.

    Put-on m'entendre dire alors que je lançais un regard circulaire autour de moi.

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Rouge_gorge


[1461]

J'avais vingt ans et déjà côtoyé la mort. Je l'avais donné, je l'avais frôlé et j'en avais vécu un temps. Depuis, ma vie était un patchwork d'aventures décousues à l'instar de mes vêtements bouffants et rapiécés de diverses étoffes. Je n'étais pas faite pour un morne quotidien. Je n'avais pas spécialement soif d'aventure mais j'en avais besoin pour occuper mon esprit agité.

J'avais vingt ans et je ne savais toujours pas quoi faire de mon existence. J'errai dans le royaume, chassée ou détalant de mon propre chef pour éviter les fers, de villages en villes. Une lame au creux d'une main, mon larcin dans l'autre, je cachais mes butins dans l'ampleur des plis de mes habits. J'étais réduite à voler pour survivre car j'étais incapable de tenir un labeur plus de deux jours.

J'avais vingt ans, j'avais plus de nom, plus de famille, plus aucune raison d'être. Pourtant j'étais encore là et j'avais la rage de vivre. L'intérieur de ma caboche, c'était le foutoir et dans mon coeur, c'était pire encore. Je voulais juste pas crever de faim sur le bord de la route ou tuer un énième nouveau-né de mes propre mains.

J'avais vingt ans et je collectionnais les séjours en geôles, les marques de coups et les jours de diète. Mais avec le temps, mon cuir bleui s'était épaissi, mon estomac se gonflait de peu et je profitais de mes repos forcés. Bien que ces derniers étaient de plus en plus rares. J'avais pris le coup de main à force de me faire taper sur les doigts.

Je m'étais dictée un code de "bonne conduite". Je volais pas mes comparses, je partageais mon butin avec les plus faibles et je gardais le sourire. Toujours. L'alcool m'aidait à tenir que ce soit le froid, la faim, la peur ou l'humeur. J'en étais imbibée comme une éponge. Tant que de mes boucles grasses et de ma toilette dépareillée, se dégageait un fumet suintant l'âcre mélange de la boisson, du vomi et de la transpiration. J'avais beau me laver les jours de pluie, c'était mon parfum, j'y pouvais rien.

Trois jours que je trainais dans une ville dont je me souviens plus du nom. Je profitais de l'arrivée de marchands ambulants pour me remplir les poches. Vol à l'étalage? Rarement: c'est qu'ils avaient l'oeil sur leurs biens, les maraîchers. Vol à la tire? Jamais: ça amenait souvent à de la confrontation avec la milice. Non comme je disais, j'avais une petite lame bien aiguisée. Elle tranchait le cuir comme une motte de beurre, c'était pour les cordons de bourse. Puis j'avais l'esprit vif et le regard alerte, le geste facile pour glisser les denrées sous ma chemise ou dans mes braies. Je m'attaquais pas qu'à l'or, tout était bon à monnayer.

Je faisais mon bonhomme de chemin quand je sentis un regard se poser sur mes faits et gestes. D'abord, j'ai cru qu'on me traquait alors j'ai voulu en avoir le coeur net. Je pensais avoir repérer d'où venait l'attention, il ne me restait plus qu'à agir.

Elle était jeune et amaigrie. Elle avait le regard rivé sur mes actions et la filature peu discrète. Aisé de renverser la tendance. Il ne suffisait que d'accélérer la cadence pour la perdre et... gagné.


Merde.

Tu cherches quelque chose, la belle?

M’entendit-on lui répondre dans son dos.
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Si l'auteur d'un texte est maitre de sa plume, la hauteur de son verbe est soumise à son lecteur.
Sadella
    A la voix, j'avais fait demi-tour immédiatement. Celle que j'avais observé si longtemps se trouvait devant moi et je ne savais pas comment réagir. Si j'avais été un chat, par principe, j'aurais feulé et craché partout, seulement je n'étais pas une de ces bestioles, même si je m'en approchais. Un mouvement de recul vint tout de même marquer mes pas et immédiatement une lueur insolente étincela à l'iris comme un bouclier contre celle qui me dominait d'une taille plus grande que la mienne.

    Toi.

    Avais-je rétorqué avec l'assurance d'une morveuse. Tout chez moi respirait la méfiance, de ma posture en retrait, tant que mes poings crispés, prêts à être brandis au moindre signe d'ennui. Clairement, je n'étais pas tranquille, cette voleuse pouvait ne pas apprécier que je la suive et vouloir me faire passer l'envie de recommencer.

    Toutefois, j'en profitais pour mieux l'observer de près et découvrir jusqu'à cette marque particulière qui se dessinait sur sa gorge. D'autres auraient détourné les yeux, moi, je voyais là un récit et toute histoire a le don d'éveiller ma curiosité. Je ne lui posais pas la question immédiatement, parce que je ne connaissais pas les intentions de la boursicoteuse et il me fallu beaucoup de concentration pour m'en détacher et revenir au visage de ma piégeuse.


    Je veux apprendre.

    Lui avouais-je en redressant le menton de fierté. Fière ? On ne saurait dire de quoi je l'étais clairement, mais il s'agissait là de ne pas donner trop de pouvoir à cette inconnue. Je voulais m'améliorer, mais mon ego m'interdisait de lui dire que j'avais besoin d'elle. Aussi avais-je tourné la phrase de manière à ce qu'elle se propose. Avec moi, tout n'a toujours été qu'une question d'orgueil.

    Il ne m'était pas venu à l'idée qu'elle puisse refuser de le faire. Trois jours que je l'observais et cette fille là n'était pas une sans cœur immorale, pas entièrement. J'avais pu détecter le souci du plus faible, en plus des autres capacités et si elle était capable d'un peu d'empathie, sans doute ne me laisserait-elle pas là dans ma merde, après ma pseudo demande d'aide. En vérité, j'avais toujours ce vieux réflexe de jeune femme qui ne manquait de rien il y a peu encore. Réflexe qui, à cet instant, me donnait l'impression que cette donzelle, parce qu'elle a fait des choses qui me fascinent, pourrait m'apporter la solution à mes emmerdes sur un plateau d'argent.

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Rouge_gorge
Je l'avais surprise à voir son mouvement de recul. Je ne la mettais pas spécialement à l'aise comme l'indiquaient ses poings serrés. J'avais l'oeil rivé sur ma traqueuse: un oeil joueur. Rares étaient ceux qui me portaient la moindre attention alors j'étais flattée même si je ne savais toujours pas ce qu'elle cherchait à me suivre de la sorte.

Toi.

De ma gorge naquit un léger ricanement. Un brin moqueur car ça, oui, je l'avais compris qu'elle en avait après moi. La question était pourquoi? Je croisais les bras sous ma poitrine pour marquer mon impatience tandis que son regard se perdait dans mon cou sans discrétion encore une fois. Je roulais des yeux: allait-elle vraiment m'interroger maintenant?

Je veux apprendre.

Bah voilà, c'était pas si compliqué! Même si j'eus la soudaine impression de lui arracher de la gueule. Elle prenait un air que son état ne lui permettait pas. Je compris alors qu'elle était nouvelle dans la rue. Pas besoin de baisser les yeux quand on est sans-abri mais la fierté en prend tout de même un coup en général. Le temps de s'y faire, elle comprendrait vite qu'elle n'avait plus de grands chevaux pour monter dessus.

J'avais compris qu'elle demandait de l'aide, si je ébréchais davantage son égo, elle aurait sûrement fuie. Puis parler de mes activités à voix haute dans une rue commerçante allait aussi me gêner. Quelques coups d'oeil par-ci par-là, voir si l'insistance sur ma personne avait cessé. Je lui demanda:


Es-tu seule?

Ça a du avoir l'air bête comme ça mais de deux choses: la première, c'était qu'elle aurait pu s'être trouver des compagnons d'infortune ou avoir d'autres personnes à charge: un frère, une soeur, un enfant. Bref. Et la deuxième, c'était que ça aurait tout bonnement pu être un coup monté: grimer une ado en miséreuse était un bon plan pour démasquer les voleurs. A cet instant, tandis que je la détaillais du regard, ça cogitait fort dans ma caboche. Le risque était là mais était-il si grand que cela? Un énième séjour aux fers pour avoir fait confiance à la mauvaise personne ne m'aurait pas tué. Puis j'aurai vu ça comme une leçon de vie.

Dans le fond, j'étais pas contre un peu de compagnie pour égayer mes journées. Quand on a plus un sou, le commun des mortels nous ignore et pour moi, le plus dur n'était pas la faim ou le froid mais bel et bien la solitude.

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Si l'auteur d'un texte est maitre de sa plume, la hauteur de son verbe est soumise à son lecteur.
Sadella
    La question m'avait amusée. Il y avait quelques temps que j'étais seule au fond et par réflexe je lançais un coup d'oeil autour de moi pour vérifier si quelque chose ou quelqu'un pouvait renforcer la méfiance adverse. La fille était donc précautionneuse, mais pas fermée et c'était une bonne chose pour moi. J'avais finalement haussé les épaules avant de répondre :

    Je le suis, y'a meilleur comédien que moi pour piéger tu sais.

    Et c'était vrai. Chez moi, on pouvait tout lire d'un coup d'oeil sur ma trogne en général. J'ai jamais été bonne menteuse. Et même si ça m'arrivait de pouvoir tenir ma langue, mon visage me trahissait de toute manière. J'étais belle et bien seule et il n'y avait là aucun piège, ni aucune tromperie, car si j'avais essayé de la berner, sans doute aurais-je tenté d'être plus sympathique ou de paraître plus miséreuse pour lui inspirer de la pitié, ce dont j'étais bien incapable.

    Ça l'avait visiblement convaincue car elle m'avait entraînée à l'écart pour une discussion plus sérieuse à l'abri des oreilles indiscrètes. S'en suivirent plusieurs jours de formations et surtout d'apprivoisement l'une de l'autre, ce qui n'était pas une mince affaire. Quand on a pris nos habitudes dans la solitude, il est bien difficile de laisser une autre personne pénétrer son quotidien et c'était le cas tant pour l'une que pour l'autre, bien qu'on ait fini par trouver un équilibre dans le rythme de nos journées et de nos missions.


    - Quelques jours plus tard -


    Le marché était l'endroit rêvé pour qui voulait apprendre. Cette placette concentrée de stands, d'obstacles, de foule qui déambule, se heurte, se frôle et se contorsionne pour parvenir à attendre leur destination. Sans compter les cris, les négociations, les rumeurs s'entendant déjà quelques rues plus loin, où je m'étais postée pour réécouter les directives de Rouge. Elle me proposait de me lancer dans le bain, d'utiliser les techniques vues ensemble pour décrocher quelques bourses et la rejoindre. Ne pas être trop gourmande. Là était l'enjeu. Tout comme celui de la discrétion et de savoir jouer d'une distraction. Habile de mes mains, j'avais retenu rapidement les gestes, mais ce qui m'était le plus problématique, c'était le contact physique là où moi, je préservais depuis longtemps un cercle autour de moi d'auto-préservation.

    J'ai pigé. Je te retrouve de l'autre côté.

    Sourire bref avait été envoyé pour valider le rendez-vous et je lui avais tourné le dos, oisillon quittant le nid pour faire le grand saut. J'avais le cœur qui battait à tout rompre, les pupilles dilatées sous un taux d'adrénaline remonté en flèche. Je regardais cette place grouillante de monde avec la sensation que tous savaient ce que j'allais faire. Sans doute était-ce ma propre culpabilité qui s'affaissait sur ma conscience pour me convaincre de faire demi-tour. Seulement, je crevais de faim et la survie vint vite repousser ma morale pour m'inciter à m'élancer parmi la foule.

    Mes mains restèrent d'abord sagement contre moi, je regardais partout, me faisais bousculer par une épaule, un panier, un coude. On me disait de ne pas rester au milieu et je fis donc un pas de côté comme pour regarder ce qu'il y avait sur un étalage. Contre ma hanche, je pus soudain sentir le contact d'une bourse quand une femme s'était plaquée pour passer sa main par dessus moi afin de récupérer ses légumes. Elle fut ma première victime. Je me souviendrais toujours de sa robe verte et du sourire d'excuse qu'elle m'avait adressé en me bousculant. Je m'étais vite éloignée, mon larcin glissé dans ma poche et ayant passé le premier cap, je parvins plus facilement à me lancer sur un second, puis un troisième. Le quatrième fut plus laborieux et le type faillit me prendre sur le fait, si bien que j'avais décidé que ce serait le dernier de cet essai.

    Laissant le monde, les odeurs, le bruit derrière moi, j'avais finalement retrouvé Rouge-Gorge dans la ruelle que nous avions désigné et c'était avec un soupir de soulagement que j'étais allée m'affaler sur les marches d'un perron, le corps tremblant mais le sourire décoché d'une oreille à l'autre.


    Putain ! J'ai réussi, j'en reviens pas ! Ce soir c'est picole et peut-être même un bout de pain pas rassis, t'en dis quoi ?

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Rouge_gorge
J'avais finalement cédé et je l'avais pris sous mon aile. Je savais pas vraiment où ça allait nous mener toutes les deux. Elle était encore trop sauvage pour en déduire quoi que ce soit. Il lui fallait du temps: celui pour réaliser, celui pour accepter. J'avais côtoyé des aînés qui ne s'étaient toujours pas fait de raison à leur situation et qui maudissaient la société pour leur sort des années durant. Moi, je m'étais vite pris en main parce qu'au fond, on charrie pas le destin.

La première nuit avait été difficile parce que j'avais eu envie d'en savoir plus sur elle. Je voulais connaitre son histoire, comprendre comment elle en était arrivée là mais elle semblait farouche alors j'insista pas. Je lui ai montré l'abri où je dormais puis j'étais partie vers mon refuge secret. Je n'ai pas su si elle avait dormi là-bas. En tout cas, le lendemain, elle était là où je l'avais laissé la veille. J'avais cogité toute la nuit à l'enseignement que j'allais lui fournir. Je ne savais pas vraiment par où commencer, j'avais pas la prétention de dire que c'était inné chez moi mais je faisais ça depuis tant d'années maintenant.

Au matin, je l'attendis avec un bout de pain. En y songeant, c'était comme si j'essayais d'apprivoiser un animal. Je voulais bien me faire professeur si je gagnais son amitié alors un pas après l'autre chacune de notre côté, nous nous étions rapprochées. Le premier jour, je lui avais appris les rudiments: les jeux de coudes et les ramassages furtifs. Elle avait du potentiel, le geste rapide et discret mais son hésitation et son regard fixe la trahissait. On a travaillé ça pendant quelques jours.

Un soir, alors que je lui laissais encore ma couche, que je partageais mon larcin du jour avec elle, je me suis rendue compte qu'on était toujours au point mort sur notre relation ou du moins, ce que j'en espérais. J'osais pas trop lui poser de questions, elle tenait à garder sa bulle. Alors j'ai eu la grande idée de la mettre au défi. Le lendemain, c'était jour de marché, le meilleur jour pour faire ses premiers pas.


- Le lendemain -


Je crois que j'avais encore plus peur qu'elle quand je l'ai lâché dans la ruelle. Mes yeux n'ont pas quittés son dos jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la foule. Et moi, j'étais là dans mon coin à l'attendre. Je restais dans les environs de la place pour monnayer quelques larcins de la veille tout en guettant la milice. Plus le temps passait, plus j'avais de gros doutes: et si je l'avais envoyé au casse-pipe? Peut-être que j'avais pas donné les bons conseils? Qu'elle allait se faire démasquer? Arrêter? Tabasser? Putain, je vous dis pas comme j'ai usé mes chausses ce jour-là à faire les cent pas dans la ruelle. Je dévisageais chaque personne qui passait en espérant revoir ce visage familier. Et quel fut mon soulagement quand elle apparut saine et sauve. Pour la première fois, je l'ai vu sourire et en plus, c'était elle qui régalait!

Ce fut la première nuit où l'on rit franchement, l'alcool aida forcément mais le coeur y était et pour moi c'était le principal. Quelques semaines passèrent, elle prenait plus de confiance et ramenait sa part sans trop de soucis. J'ai pas dis qu'il y avait pas de raté. Parfois, on s'essayait sur notre faim mais notre compagnie mutuelle apaisait la diète. On se plaignait pas trop, c'était encore la belle saison, dormir à la belle étoile n'était pas si désagréable mais bientôt l'automne allait se pointer et ses averses aussi.


Début d'automne


Putain de pluie! ça drache depuis trois jours, je suis trempée jusqu'à la culotte. On va jamais pouvoir allumer de feu à ce rythme...Et je me les pèle sévère!
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Si l'auteur d'un texte est maitre de sa plume, la hauteur de son verbe est soumise à son lecteur.
Sadella
    La pluie, tant attendue des cultivateurs et tant redoutée des miséreux. Nous autres, n'aimons pas bien les longues périodes de flotte parce qu'on est toujours trempés jusqu'aux os, de jour comme de nuit, que nos vêtements humides sont désagréables et qu'on finit par attraper des maladies. Certains même en crèvent. Si petite j'aimais l'automne pour les couleurs chatoyantes qu'elle amenait à ma Bourgogne natale, pour les flaques dans lesquelles je m'amusais à sauter à pieds joints, pour les défis sous l'orage que Léon et moi nous lancions comme deux gosses inconscients, ces choses là n'étaient plaisantes qu'avec la certitude d'avoir un toit chaud au bout, des vêtements secs et un bon repas pour nous accueillir.

    Putain de pluie! ça drache depuis trois jours, je suis trempée jusqu'à la culotte. On va jamais pouvoir allumer de feu à ce rythme...Et je me les pèle sévère!

    Recroquevillée sous un bout de planche percée de notre abri de fortune, je tentais de lancer un feu qui ne prendrait jamais. Notre bois trop humide ne laissait aucune chance aux flammes qui mourraient immédiatement sous ma main tremblante. Je reniflais. J'avais attrapé un rhume et je passais mon temps à me moucher dans ma manche tout en m'étonnant à chaque fois que mon corps puisse produire une telle quantité de morve dans une enveloppe aussi frêle.

    Rouge, elle, fidèle à elle-même, râlait, parce que ça faisait du bien de lâcher ce qu'elle avait sur le cœur, parce que je la savais préoccupée aussi. Par jours de pluie, il nous était difficile de voler, les promeneurs se faisant rares et les opportunités trop incertaines. Celle qui était devenue mon amie, à force d'aventures ensemble, de repas maigres partagés, de rires pour nous réchauffer le cœur et de corps blottis l'un contre l'autre pour nous réchauffer tout court, était inquiète et ça se manifestait en général par ce genre d'exclamations.


    On pourrait aller dans le sud ? Paraît que ça pleut moins.

    Avais-je avancé sans être sûre de moi. Je ne me sentais pas encore prête à quitter la Bourgogne et ce n'était là qu'un fantasme balancé pour nous faire rêver un peu. Sans doute le savait-elle, j'avais rechigné à maintes reprises à me tirer. Pour autant, je n'étais pas en manque d'imagination et d'un bond je m'étais levée pour lui attraper le bras.

    Viens. On va visiter une crypte, on pioncera avec les morts, ils sont tranquilles eux et on réfléchira mieux quand on sera sèches.

    Et on s'était tirées. On s'était racontées des histoires d'horreur en gloussant devant les tombeaux, oubliant un court instant, le déluge extérieur et notre faim douloureuse.

    ***
    Solstice d'Hiver
    ***


    La neige avait recouvert les environs et notre planque n'était plus qu'un tas d'objets récupérés à droite et à gauche pour tenter d'en faire un nid à défaut de douillet, au moins protégé. L'on y planquait nos butins sous des bouts de bois, on avait réussi à voler quelques étoffes usées pour cacher les interstices qui laissaient filtrer l'air glacial de l'extérieur et on avait laissé un trou dans la planche qui servait de toit, pour pouvoir faire un feu. Nous étions débrouillardes et on se marrait bien pour compenser les courtes nuits à trembler devant les flammes maigrelettes que nous parvenions à maintenir tant bien que mal.

    Ce jour là, j'étais revenue avec deux parts de pain d'épice chourées chez le boulanger tandis qu'il les laissait refroidir. On se les était partagées en savourant chaque miette, redécouvrant le goût des épices avec délice. C'était en quelques sortes notre Noël avant l'heure. Mon Hanoucca à moi. Puis je lui avais offert une de mes créations maison, cet objet que j'avais déjà offert à Léon plus jeune. Un lance-pierre assemblé avec tout ce que j'avais pu récolter les mois précédents et sculpté dans son manche d'un petit piaf maladroitement élaboré. Rouge avait mérité cet objet hautement symbolique. Elle avait rejoint la courte liste de mes amis et connaissait à présent tout de moi, malgré mes attitudes de sauvageonne toujours présentes parfois.

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Rouge_gorge
Saison morte


Le temps filait au rythme des larcins, des rires et des jours de diète. Je n'avais jamais fait les fêtes de fin d'année. Parce que dans ma famille, on avait pas les moyens de s'offrir quoi que ce soit et quand je les ai quitté, c'était pire encore. C'était donc mon premier Noël et je ne m'y attendais pas. Ce soir là, Del' m'avait offert une nuit unique -pas comme la blonde, hein-, une nuit magique. On avait pousser la chansonnette jusqu'à pas d'heure et je m'étais finalement endormie, bercée par la douce voix de ma comparse et de sa langue secrète. Depuis Noël pour moi a une saveur d'épices.

Si ce jour avait été si marquant, les épisodes de l'hiver n'avaient pas été des moindres. On avait plus rien à se mettre sous la dent depuis quelques jours, on avait trop froids pour que les flammèches nous réchauffent et si on avait eu des chaussettes, notre bonne humeur se serait enfoui dedans. On essuya quelques tensions, on était à cran et on avait les crocs. Un jour qu'on s'était engueulées pour des broutilles qui nous paraissaient si primordiales à l'époque, on était partie chacune de notre côté voir si l'herbe était plus verte dans notre coin. Les heures passèrent et la nuit tomba, je l'ai attendu toute la soirée durant en vain. J'avais pas fermé l'oeil de la nuit, guettant le moindre signe de sa part. Les heures passèrent et une profonde angoisse m'enveloppa: m'avait-elle abandonné?

J'ai eu froid...si froid dans l'âme puis vint le matin et sa mauvaise nouvelle avec: mon amie avait passé la nuit aux fers. Je lui en voulais terriblement de s'être faite prendre, c'était plus une débutante. Mais dans le fond, je m'en voulais encore plus de ne pas avoir su la protéger. J'ai fait alors ce que tout bon ami aurait fait, j'ai cherché des noises à la milice pour qu'ils m'arrêtent moi aussi. Après quelques coups offerts gratuitement, ils m'ont enfin conduit aux fers. J'avais la lèvre fendue mais le sourire maintenu. Les gardes me trainèrent sans ménagement vers ma cellule et je pus enfin me rassurer. Elle était là juste derrière la cloison de pierres. Mes côtes étaient douloureuses mais mon coeur si soulagé.

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Si l'auteur d'un texte est maitre de sa plume, la hauteur de son verbe est soumise à son lecteur.
Sadella
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Triste anniversaire
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    Des séjours en geôles, j'en avais fait quelques uns. Les premiers avaient été traumatisants, les suivants bien moins. Et si je me faisais prendre assez souvent par manque d'attention, j'étais sûre que je ne passerais jamais la nuit seule, qu'un grand oiseau bariolé finirait par être envoyé dans la cellule voisine par un garde zélé. Assise contre la pierre froide, les poignets endoloris par la morsure du fer, nous passions ce temps à philosopher sur la vie, nous, qui n'avions rien d'autre que les désillusions que celle-ci nous apportait.

    L'attache que nous nous portions était trop étroite pour être juste qualifiée d'amitié. Il y a dans la misère et dans ce quotidien que nous nous efforçions d'améliorer, une volonté d'arranger la vie de l'autre. Jamais je ne mangeais quoique ce soit sans le partager avec elle. Comme jamais elle ne me laissait croupir sans soulager un peu mon sort. Nous formions un duo de choc, soudé dans les plus basses conditions, luttant à deux pour notre survie. C'était nous, face au monde entier. Dû moins était-ce la pensée de Rouge-Gorge, puisque moi, davantage bercée d'espoirs et fervente humaniste, j'espérais toujours que nous n'étions pas les seules à pouvoir voir au delà de la crasse et des apparences.

    Nous n'avions pas non plus les mêmes goûts pour tout. Je connaissais celui qu'elle avait pour les femmes, quand les miens étaient tournés vers les hommes. Mais j'étais de toute manière difficile à approcher pour ceux qui espéraient se taper la balafrée que j'étais. J'avais la fâcheuse manie de repousser sans laisser la chance à quiconque d'envahir notre vie.

    Puis, arriva le jour de l'anniversaire de l'enfant que j'avais abandonné un an auparavant. J'avais obtenu la date par une vieille du marché quelques jours avant et j'avais dès lors tiré la tronche en ne mangeant plus rien. Pire, estimant que ma comparse et protectrice ne pouvait pas me comprendre, j'avais quitté notre nid pendant trois jours pour me perdre dans les bras d'un vagabond que j'avais rejeté la veille en picolant avec elle. J'étais rentrée finalement, ivre et droguée et nous nous étions disputées comme jamais. Je crois que je lui avais fait peur et j'étais trop obstinée alors pour comprendre à quel point ma disparition pouvait déséquilibrer celle qui m'avait prise sous son aile. Et elle, elle était au moins aussi fière que moi. Il nous fallut bien une semaine de plus avant de retrouver notre harmonie et notre complicité. Et à moi, il me faudrait attendre un peu plus encore avant de comprendre la situation inverse et de découvrir le goût amer que laisse l'absence.

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Rouge_gorge
Heures rancunières


"...Quand on perd son amour, c'est qu'on a trop aimé
Qu'on s'est trop aimé soi, soi dans l'autre opposé
C'est qu'on a trop aimé, oui l'idée d'être aimé
Qu'on a aimé l'amour, aimé à s'aveugler..."


Elle était partie sans un mot. Elle m'avait abandonné. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais pleuré cette nuit là. J'avais pleuré sa perte mais encore plus la mienne parce que je lui avais tout donné. Je lui avais tout confié: mes rêves, mes désirs, mes craintes et mon passé. Elle savait tout de moi et elle était partie avec mon âme et ses secrets. Je me suis sentie trahie comme jamais je l'avais été. J'étais vide, désorientée.

"...Notre cœur qui sait plus comment battre tout seul..."


Finalement, elle était revenue après trois putain de jours. Ça a été trop pour moi quand elle m'a avoué où elle avait trainé ses bras. J'étais jalouse, oui, je l'avoue. J'enviais ce vagabond qui ne savait rien d'elle et pourtant qu'il lui avait pris tellement. Moi, j'étais là comme une conne à me flageller, à me torturer coeur et méninges pour savoir pourquoi. Pourquoi je lui inspirais tout à coup si peu de confiance.

"...Quand on perd son amour, c'est toujours une fille
Qui a fait monter des marées de sel à vos pupilles
Faut pas leur en vouloir ce ne sont que des filles
Et que bien trop souvent elles oublient d'être gentilles..."


Après une trop longue semaine à l'observer sous le prisme de mon égo blessé, j'ai finalement pansé mes désillusions sous un masque souriant. Et tout semblait redevenir comme avant...

Heures meurtrières


Les beaux jours étaient revenus mais le temps n'avait pas guéri mes plaies. Elles s'infectaient toujours plus. Avec un coup de trop dans le nez, je lui vomissais à nouveau ma rancoeur. Je lui rejetais toutes les futilités dans la gueule sans percer l'abcès car j'étais trop fière avant d'éponger le tout dans les larmes. C'était la période des orages sous les paupières.

"...Quand on perd son amour, c'est l'amour qui nous perd
De l'automne à l'été, oui c'est toujours l'hiver
La rivière et la mer qui n'ont plus d'estuaire
C'est les inséparables qui soudain se séparent..."


Avec l'arrivée de l'été a fleuri une opportunité. On m'avait proposé de me lancer dans le métier plus...professionnellement. J'étais malheureuse et je n'avais plus rien à perdre. J'avais tout appris à mon apprentie, elle n'avait plus qu'à voler de ses propres ailes. La nuit de mon départ, nous avons à nouveau poussé la chansonnette comme au bon vieux temps. J'avais retrouvé soudainement mon vrai sourire, le plus meurtrier. Mes yeux ne la quittaient pas, je voulais graver ses traits joyeux parce que c'était certainement la dernière fois que je les voyais. Elle avait fini par s'écrouler et je ne lui avais rien confessé de mes intentions. Je suis partie seule, sans bagages, ramasser les miettes de mon coeur ailleurs. Je lui ai tout laissé: nos biens matériaux, nos coups fourrés et nos souvenirs.

"...Quand on perd son amour, c'est bien plus que l'on perd
C'est un jour en été pour des siècles en hiver
Tous ces verbes futur qu'on conjugue au passé
Quand on perd son amour, on perd l'humanité
Quand on perd son amour, c'est le monde qui s'écroule
Quand on n'est plus qu'à soi au milieu de la foule
Quand on perd son amour, c'est l'amour que l'on perd
Quand on perd son amour, on perd l'humanité."


Paroles en vrac de "Quand on perd son amour" - Saez

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Si l'auteur d'un texte est maitre de sa plume, la hauteur de son verbe est soumise à son lecteur.
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